Les « meneurs de révolte »
Représenter « l’ensemble du pays » dans les contestations antifiscales (Saxe et Thuringe, xviie et xviiie siècles)
p. 289-304
Texte intégral
1Cet article propose de montrer comment s’élaborent, dans les contestations antifiscales collectives, des formes de représentation qui s’efforcent de rivaliser avec la prétention des autorités à incarner seules « l’ensemble du pays1 ». Par là, la contestation antifiscale se pose comme une structure de substition par rapport à des autorités jugées défaillantes et partant, contribue à construire des formes de participation, d’organisation et de représentation. Par conséquent, alors qu’il est souvent perçu, dans le cadre des grands récits de la construction de l’État, comme un simple frein à la construction politique et à la modernité, pensées comme émanant exclusivement des autorités2, nous souhaiterions au contraire faire apparaître le refus collectif de l’impôt comme le lieu d’une expérimentation et d’une élaboration proprement politiques. La représentation joue de ce point de vue un rôle crucial, à un triple égard : il faut à la fois mettre en scène la communauté contestataire vis-à-vis de multiples destinataires, l’incarner dans des individus singuliers qui se substituent aux autorités ordinaires, et instituer des formes de délégation afin de porter la parole des insurgés dans l’espace public. Or, l’impôt n’est pas un objet de contestation anodin : il a étroitement partie liée avec la représentation institutionnelle, puisque la fonction première des assemblées (diètes ou assemblées d’états) est presque toujours d’organiser le consentement à l’impôt3.
2Lorsqu’en 1662, les sujets du territoire Schönburg intentent un procès à leurs autorités4 auprès du tribunal de la Chambre impériale, l’une des deux plus hautes juridictions du Saint-Empire romain germanique, pour protester contre la levée de l’impôt d’Empire, les seigneurs de Schönburg affirment, par l’entremise de leur avocat, que :
« Les sujets Schönburg, jusqu’à cette heure, ne se sont de loin pas acquittés entièrement de leur contingent aux charges de l’Empire, et encore moins n’ont payé le moindre sou de trop, bien au contraire, lorsque le bailliage leur ordonne de payer quelque chose à ce titre […], ils commencent par demander conseil à leurs meneurs de révolte, qui se nomment eux-mêmes l’assemblée du pays (die Landschaft), obéissent à leurs interdictions et ne paient pas un seul sou qui ne soit levé au moyen d’un recouvrement militaire5. »
3Cette affirmation nous permet de poser les principaux éléments liés à la question de la représentation dans la révolte antifiscale. Tout d’abord, les seigneurs identifient ici une strate au sein du groupe insurgé, qu’ils appellent les « meneurs de révolte » (Rädelsführer), et qui semble s’ériger en gouvernement alternatif. Les sujets refusent de payer l’impôt aux autorités, ne font rien sans « demander conseil » à ces meneurs, et « obéissent à leurs interdictions » : ils s’instituent donc en autorités concurrentes du pouvoir territorial6. Il s’agit a priori de sujets qui ne sont pas les représentants traditionnels (échevins, juges de village, maires, etc.) et donc, d’une représentation ad hoc, liée de manière circonstancielle à la révolte et au procès. Symétriquement, la communauté représentée, elle aussi, est créée par la révolte et le procès : ces meneurs « se nomment eux-mêmes l’assemblée du pays », et le terme Landschaft peut désigner ici aussi bien de manière générale un « pays tout entier » qu’une forme institutionnelle précise, à savoir une assemblée d’états (incluant le plus souvent une représentation paysanne, par opposition au Landtag) chargée de consentir l’impôt7. Or une telle institution n’existe pas chez les Schönburg : par conséquent, la révolte et le procès semblent aspirer à la création performative de cette représentation institutionnelle ou, à tout le moins, car les deux ne s’excluent pas, à représenter, au sens d’une incarnation, la totalité du pays. Cette représentation créée de facto par la contestation et qui s’inspire de (ou du moins mobilise la référence à) l’institution de l’assemblée d’états, rappelle la spécificité des enjeux de la question fiscale en termes de représentation. Enfin, et l’indignation des seigneurs et comtes de Schönburg le souligne ici, cette autonomisation des insurgés et des procédants qui créent leurs formes propres de représentation et de délégation est une source de grande inquiétude pour les gouvernants. La création de formes et d’espaces d’organisation collectifs des administrés sur lesquels les autorités n’ont pas de prise fait planer le danger d’une structure concurrente, qui est un affront, une rupture du devoir vassalique de fidélité et du lien de sujétion, et qui requiert par conséquent répression et réparation. Les gouvernants déploient donc un ensemble de stratégies pour réaffirmer leur monopole à représenter le pays, que ce soit vers l’intérieur ou l’extérieur du territoire.
4Poser la question de la représentation dans les contestations antifiscales permet donc plusieurs choses. Cela permet d’aborder la révolte en évitant de l’analyser comme une pure irruption de violence impulsive et déréglée – c’est-à-dire la révolte telle qu’elle est décrite le plus souvent par les autorités, c’est-à-dire encore par la majorité des sources – et de la voir d’emblée à la fois comme quelque chose de construit et de constructeur. Ici, les propos des Schönburg interviennent dans le cadre d’un procès, qui est également concomitant d’une très grande et très longue révolte des sujets contre l’impôt d’Empire, puisqu’entre 1652 et 1681, la situation de contestation, marquée par plusieurs épisodes violents, est presque permanente8. Cela permet donc de poser la question de l’articulation des deux modes d’action et d’insister sur fait qu’il n’y a pas d’opposition entre une action violente d’une part, et une procédure légale et pacifiée d’autre part. Les deux pratiques s’entrecroisent sans cesse, et l’on trouve dans les deux cas des systèmes de représentation et de délégation assez analogues qui mobilisent les mêmes répertoires d’action. Cela permet de considérer la révolte en tant que lieu d’élaboration politique : en refusant l’impôt, les sujets s’organisent, mais interrogent également la nature juridique et politique du pouvoir exercé sur eux9. Cette organisation des sujets contestataires connaît au demeurant une forme précaire de pérennité, puisqu’ils réitèrent leurs protestations de façon extrêmement régulière : on comprend dès lors en partie le sens et la fonction de cette agitation régulière contre l’impôt, dans un contexte où les sujets ont globalement fort peu de chances d’obtenir gain de cause : c’est qu’au-delà d’une hypothétique satisfaction des revendications portées, le processus lui-même ménage des espaces d’action et de parole politiques autonomes qui n’existent pas en dehors de lui. La question de la satisfaction des exigences n’est pas l’unique aune à laquelle on peut évaluer la fonction ou le succès d’une action collective10 (révolte ou procès).
5La représentation politique ne se limite donc pas à des institutions mises en place par les autorités, qui sont ici inexistantes, mais fait l’objet d’un processus de (re)conquête permanente, et cette conquête commence bien avant le xixe siècle, de même que « l’apprentissage » du vote, de la démocratie délibérative ou de la politique en général11. En disant cela, il ne s’agit pas de reculer le point de départ de la « politisation », mais de montrer au contraire que des pratiques politiques s’élaborent sans cesse, de manière différenciée dans le temps et selon les contextes, sans naître ex nihilo de la politisation démocratique. Les sujets, en se révoltant et en menant des actions en justice, créent des espaces de discussion et d’organisation qui leur permettent de peser pour tenter de redéfinir la répartition des prérogatives entre gouvernants et gouvernés, et leur condition de sujets. En somme, interroger la place de la représentation dans les révoltes antifiscales permet de poser, plus fondamentalement, la question de la politisation et de l’espace public, du rôle des contre-publics subalternes et de l’antagonisme dans la construction politique.
6Nous partirons des contestations survenues dans les seigneuries et comtés de Schönburg et de Reuss, qui sont deux tout petits territoires du Saint-Empire romain germanique. Les princes de ces territoires sont dits « immédiats d’Empire », c’est-à-dire qu’ils sont soumis immédiatement à l’autorité impériale, et à ce titre pourvus de prérogatives régaliennes (parmi lesquelles le droit de lever des impôts en leur nom propre, ou jus collectandi) et de quelques obligations (parmi lesquelles celle de payer l’impôt d’Empire à l’Empereur). Mais ils font partie des « états de moindre puissance12 », en raison de leur petite taille, de leur rang moindre, et de la faiblesse de leur poids politique sur la scène impériale.
7Ces contestations concernent ici l’impôt d’Empire, qui est un impôt extraordinaire, consenti à l’Empereur par les princes de tout l’Empire réunis à la Diète de Ratisbonne, mais payé par les sujets de ces princes. Les sujets, contribuables effectifs de cet impôt, n’ont par conséquent aucun droit de consentement : y compris quand le territoire est pourvu d’une diète ou d’une assemblée d’états, celle-ci n’a vocation qu’à consentir à l’impôt du territoire, et l’impôt d’Empire y échappe puisqu’il a déjà fait l’objet d’une procédure de validation par les princes représentés à la Diète de Ratisbonne. Révolte et procès sont donc également des manières de s’approprier l’exigence fiscale, et de s’arroger un droit de consentement et de refus : on comprend mieux, dès lors, la fonction politique de la proclamation fictive d’une « assemblée d’états » par les sujets Schönburg.
Représenter la révolte : construction du groupe représentant et du groupe représenté
Communautés et « ensemble du pays »
8Il y a dans les révoltes et les procès un double processus d’élaboration : il faut construire à la fois le groupe représenté et le groupe représentant, car ni l’un ni l’autre ne préexistent à la mobilisation, qui concerne un espace transversal aux logiques d’organisation coutumières (territoire, seigneurie, bailliage, fief, communauté d’habitants qui, bien qu’elle reste la cellule d’organisation de base13, ne correspond pas à l’échelle de la révolte, qui est celle de l’ensemble des communautés insurgées). On ne peut évidemment pas comprendre l’un sans l’autre, d’autant plus ici que le groupe représenté est tout aussi ad hoc que le groupe représentant : il faut construire la communauté insurgée et désigner des représentants qui ne coïncident que rarement avec les représentants traditionnels. Ces représentants désignés ont vocation à représenter « tout le peuple », « tout le pays », ou encore « l’ensemble des sujets ». Cette prétention, toujours performative et jamais véritablement réalisée, à la totalité et à l’unanimité, a une fonction de légitimation du groupe contestataire vis-à-vis de plusieurs destinataires : les autorités territoriales et extraterritoriales ; les communautés villageoises et urbaines elles-mêmes ; les autorités judiciaires, à la fois dans et hors du territoire.
9Mener à bien une révolte antifiscale suppose en amont de surmonter les divisions qui sont ordinairement engendrées par l’impôt, car ce dernier est un puissant instrument de classement, de division, de hiérarchisation des lieux et des hommes, voire de leur mise en concurrence – tant et si bien que l’on constate ordinairement une compétition des communautés et des individus pour l’obtention de la grâce auprès des différentes autorités, qui, tout en perpétuant ces divisions, peuvent s’ériger en juges et en instances pourvoyeuses de l’équité fiscale. Le moment de la révolte est un moment qui rompt avec ces divisions de statut, de rang, avec les clivages issus des appartenances communautaires ou des fidélités clientélaires, et qui les surmonte pour parvenir à une organisation collective. C’est l’aboutissement d’un long mécanisme à la fois ritualisé et pragmatique : on est en tout cas au plus loin d’une quelconque impulsivité14. Cette organisation rigoureuse, qui recourt également à la coercition, ou du moins à la menace de coercition, a une fonction : empêcher les divisions du groupe et faire pièce aux logiques centrifuges, à la fois intérieures et extérieures, et notamment aux pressions des différentes autorités qui n’ont de cesse de tenter de diviser le front des insurgés. Ces révoltes peuvent mobiliser jusqu’à plusieurs dizaines de communautés : ce sont au total plusieurs milliers de personnes qui, régulièrement, doivent s’organiser et c’est une échelle nouvelle de fonctionnement, intercommunautaire, qui émerge.
Rassemblements
10La construction du groupe insurgé et la désignation des représentants passent avant tout par des rassemblements, diurnes ou nocturnes. Cette fonction de l’assemblée dans la construction d’une organisation politique alternative est loin d’être anodine et recèle une dimension éminemment subversive, puisqu’elle institue de facto une échelle organisée de « l’ensemble du pays » qui n’est pas reconnue par les autorités. Ces rassemblements servent à décider des modalités et de la forme des actions à mener, de la stratégie d’ensemble, à définir des revendications, à consulter des avocats, à désigner des messagers et à rédiger textes et suppliques. C’est lors de ces rassemblements qu’on voit s’organiser un premier système de représentation et de délégation au niveau intercommunautaire. Ils ont également vocation à renouveler l’adhésion des communautés et la solidarité globale dans les moments où il y a des risques de défection15.
11Le premier niveau de représentation est celui des délégués envoyés par chaque communauté à ces rassemblements, car tous ne réunissent pas toujours l’ensemble des individus mobilisés. Ainsi Andreas Koch en 1685, chez les Reuss, est-il envoyé par sa communauté de Caselwitz à un rassemblement d’environ 50 personnes à Hohndorff, représentant entre 25 et 50 communautés contestataires (les sources se contredisent). Arrêté et interrogé par autorités, il affirme que :
« La communauté de Caselwitz s’est réunie hier et c’était son tour et celui de Michael Eckardt [die Reyhe auf Ihn und Michel Eckardt gewesen] […]. Le juge16 [de Caselwitz] a bien dit qu’il s’agissait de l’impôt, mais n’a pas ordonné de payer ou de ne pas payer. Ils s’en sont tenus à ce que décidaient les autres [Hätten sich nach denen anderen gehalten]17. »
12Il est donc envoyé par un représentant coutumier, le juge de son village et ce, sans mandat prédéfini ou consigne sur la conduite à tenir – mais il y a ici un problème lié à la situation d’élocution : une fois arrêtés, les sujets affirment systématiquement « s’en tenir à ce que décident les autres », en invoquant parfois les risques de représailles qu’ils encourent de la part des autres sujets. Outre la crainte légitime de la vengeance, il y a là également une fonction de protection des insurgés par le groupe, car cette stratégie argumentative, appliquée de manière systématique, rend impossible d’imputer la responsabilité de l’insubordination à un ou plusieurs individus singuliers.
13Les délégués sont désignés par leur communauté selon un système de « tours » : les sujets déclarent que « c’était leur tour18 » (weil die reyhe an Ihnen gewesen) ou, comme Michael Zweffel de Gablau en 1715, qu’il s’est bien rendu au rassemblement « car tout le pays était rassemblé là et que son nom a été écrit, mais qui l’a fait, il ne peut pas le dire19 », sans que l’on en sache davantage sur le système de désignation et la façon dont s’opèrent ces « tours » et notamment, s’il s’agit d’une rotation tirée au sort ou d’une désignation par vote20.
14Cette assemblée de Hohndorff en 1685, qui réunit uniquement des délégués de chaque communauté, a été préparée en amont par un autre rassemblement, secret, lui, et tenu de nuit dans la forêt. Là encore, il est préparé par les autorités coutumières (les maires de village), et débouche sur la désignation de représentants. Interrogé par les autorités après son arrestation pour « sédition » (Aufruhr), Martin Breuyel relate :
« Les maires de village21, Hans Huffer et Paul Daßler les ont convoqués pour le mercredi midi et ont dit : ils doivent se rendre au-delà de Wölfßdorf [Wolfersdorf] devant la forêt, le pays serait rassemblé là [das Land wollte allda zusammen kommen]. Il s’y est rendu avec d’autres et la plupart de ceux de la communauté de Pöllwitz. Quoiqu’il ne puisse pas nier qu’il ait eu connaissance de l’interdiction formelle qui avait été édictée à propos des rassemblements secrets, il s’est dit que si les autres y allaient, il devait y aller aussi, et lorsqu’ils furent arrivés, il y avait beaucoup de sujets qui étaient déjà là, et les autres arrivèrent ensuite, ils ont parlementé entre eux et ont dit que les paysans devaient dire aux juges qu’aucun d’entre eux ne pourrait venir, et qu’il devrait y avoir un délégué par communauté à Hohndorff, ils feraient écrire leur texte là-bas, et les choses se sont probablement passées ainsi, mais lui ne sait pas qui de Pöllwitz y est allé, les maires de village devraient savoir à qui était le tour et qui ils ont convoqué [an wen die Reyhe gewesen, und wen sie geheißen hätten]22. »
15On retrouve bien ici à la fois la proclamation de la totalité (« le pays serait rassemblé là »), l’argument selon lequel la coercition collective rend nécessaire de désobéir aux ordres de la seigneurie (« si les autres y allaient, il devait y aller aussi »), et le degré assez poussé d’organisation et de ritualisation du processus.
16En 1715, le fonctionnement est globalement analogue : toujours chez les Reuss, un rassemblement a eu lieu, qui fait l’objet de toutes les attentions des autorités. Le vendredi de Pâques, « il apparaît que les paysans se seraient de nouveau rassemblés sur la Waldspitze et que chaque communauté a élu deux syndics23 ». Ce dernier terme est celui qui est employé habituellement dans le cadre des actions judiciaires. Georg Henckel d’Uelsdorf, convoqué par les autorités, dit :
« Qu’il confesse qu’il était le vendredi précédent présent sur la Waldspitze, attendu que tout le pays était rassemblé là, afin d’en élire [choisir – erwählen] certains parmi eux, et c’est un petit homme de Fröbersgrün qui les a convoqués, il pense qu’il est tailleur, et il le reconnaîtrait s’il le voyait, […] et à Uelsdorff tout le monde a élu Matthes Seudel, mais celui-ci a refusé, mais il [Henckel] ne sait pas s’il [Seudel] a maintenu son refus, car il [Henckel] est rentré chez lui24. »
17Le rassemblement a ici pour vocation principale de désigner des représentants, y compris, manifestement, contre leur gré – ces refus ne sont pas rares et cela ne saurait surprendre étant donné la répression féroce qui s’abat sur ceux qui sont identifiés comme des « meneurs de révolte ». Mais cette mention peut également, dans une situation d’interrogatoire, avoir pour fonction de protéger Matthias Seudel, s’il a finalement accepté sa charge. Les modalités de fonctionnement du rassemblement sont ici entièrement calquées sur le fonctionnement qui prévaut dans le cadre des actions judiciaires à tel point que, dans ce cas comme dans d’autres, il est extrêmement malaisé de faire concrètement la différence entre ce qui relève de la révolte et du procès. Les deux modes d’action sont au demeurant d’autant plus difficiles à départager que les deux parties, seigneurs et sujets, s’emploient à brouiller les lignes : toute tentative de contestation, fût-ce devant un tribunal, est immédiatement qualifiée de révolte par les autorités ; quant aux sujets, ils affirment toujours que la révolte est une tentative de commencer une action en justice.
Représenter les procédants : avocats et syndics
18Ce qui change une fois qu’un tribunal a accepté une procédure, ce sont moins les modalités de fonctionnement elles-mêmes, que le fait que les deux parties doivent composer avec des procédures formelles, légales et que du même coup, la communauté qui est créée par le conflit fait l’objet d’une reconnaissance officielle, que les rassemblements sont autorisés et protégés par le droit d’Empire, que la constitution d’un « syndicat » est obligatoire, et que les procédants ont même droit à une autonomie financière, qui inclut le droit de s’auto-imposer pour financer l’action en justice – toutes choses qui n’empêchent pas pour autant les comtes et princes de réprimer ces pratiques en les taxant de séditieuses.
Élection des syndics
19On dispose rarement les protocoles d’élection des syndics : le seul cas pour lequel ils sont conservés intégralement est celui des sujets de Schönburg, qui intentent dans les années 1790 un procès devant cour d’appel de l’Électeur de Saxe, pour protester contre l’impôt d’Empire levé durant la guerre de Sept Ans, puis à l’occasion des guerres contre la France révolutionnaire. En revanche, l’existence de syndicats est attestée dans toutes les actions, car elle est obligatoire. À l’automne 1791, les sujets de Schönburg font appel à un notaire impérial pour faire établir les protocoles d’élection25 : 62 localités (sur un total d’environ 65 à 80 dans l’ensemble des seigneuries de Schönburg) et 2 893 chefs de feu ont participé à l’élection. Le notaire envoie un messager assermenté, chargé de rassembler les listes de contribuables auprès des autorités locales. Une fois les registres collectés, le messager fait convoquer l’ensemble des contribuables. Le jour où le notaire se rend dans la communauté, il faut que deux tiers des inscrits soient présents : on compte les présents, on les compare à la liste des contribuables, et l’on procède ensuite à la désignation des syndics, à la majorité des présents : au total, 49 personnes sont désignées, dont certaines représentent plusieurs communautés. Le taux moyen de participation est ici de 79,4 % : ceux qui refusent de participer à l’élection et au procès sont tout simplement absents de la réunion puisque, presque systématiquement, les syndics sont désignés à l’unanimité ou à la quasi-unanimité, sans aucune discussion sur le choix de la personne : celui-ci a donc probablement eu lieu en amont, et le taux d’adhésion correspond ainsi presque entièrement au taux de participation.
20Les protocoles d’élection contribuent donc également à sceller une image d’unanimité, qui légitime les représentants dans une triple direction, vis-à-vis du tribunal, vis-à-vis des comtes de Schönburg, mais également vis-à-vis de la communauté des procédants elle-même, pour dissuader les défections. Les métiers et occupations de ces syndics correspondent globalement à la sociologie des contestataires eux-mêmes : sur les 49 personnes élues, 36 sont des paysans, avant tout petits propriétaires, ce qui est conforme à la structure sociale d’un procès contre un impôt qui est principalement foncier. Quant aux représentants des trois communautés urbaines qui participent au procès, ils sont surtout maîtres de métiers, maçons ou cordonniers. Ces syndics, relativement nombreux (près d’un pour 60 participants au procès), forment donc un petit groupe chargé principalement de faire le lien entre les avocats et les procédants.
Mission des syndics : « Ce que le pays lui a confié, il l’a transmis, ce qu’il lui a ordonné, il l’a fait26 »
21Les syndics élus reçoivent les pleins pouvoirs pour comparaître et négocier au nom des autres, prêtent serment de mener l’affaire à bien et jusqu’à son terme, en se soumettant à toutes les procédures et en privilégiant la négociation27. Leurs fonctions concrètes consistent en grande partie à servir de relais local de l’information et de courroie de transmission auprès des avocats. Ce sont eux qui font, en amont, tout le travail de collecte de l’information qui sert ensuite de matière première aux avocats pour élaborer leurs plaidoiries28. Ils recensent également l’ensemble des exactions commises, à l’instar du syndic Martin Wünsch qui, en 1668, requiert un notaire impérial pour faire enregistrer les violences commises par les soldats lors d’une procédure de recouvrement militaire, appelée « exécution fiscale29 » : le notaire impérial est chargé de venir sur place consigner les dépositions des témoins, qui relateront par le menu la manière dont les soldats sont venus dans les communautés piller et punir les « récalcitrants » (Renitenten).
22Il revient donc aux syndics une grande part d’initiative dans la construction des pièces du dossier et des plaidoiries, puisque ces dernières s’appuient en règle générale sur les protocoles d’auditions de témoins élaborés par les syndics30. Leur deuxième grande fonction consiste à mener à bien les collectes pour financer le procès et à conserver la documentation et la correspondance du procès. L’action en justice garantit en principe une autonomie financière aux sujets : les syndics, au moment de leur élection, s’engagent entre autres « à recevoir des deniers en leur nom et à rendre des comptes dessus en leur nom31 ». C’est là l’un des aspects qui est, peut-être, le plus mal accepté par les autorités, a fortiori dans le cadre des actions antifiscales. Ce qui fait des révoltes et procès un affront insupportable, ce sont précisément ces formes d’organisation collective et de représentation sur lesquelles ils n’ont pas pris, et qu’ils considèrent comme un défi et une concurrence à leurs propres prérogatives : ces aspects deviennent très clairs dans les formes que prend la répression de ces contestations.
Arrestation et punition des « meneurs de révolte »
23Les autorités n’ont de cesse de s’employer à discréditer ces pratiques en les présentant comme séditieuses. Sur le plan argumentatif, cela passe dans une large mesure par le fait d’affirmer que les représentants ne sont pas représentatifs. Pour atteindre la révolte, on s’efforce d’atteindre ses têtes : la répression vise avant tout ceux qui sont identifiés comme meneurs, et cette tactique répond à une double nécessité, à la fois pratique et théorique. Une nécessité pratique, car ces contestations interviennent dans le cadre de pouvoirs aux capacités répressives – et plus largement, exécutives – faibles : ils optent donc pour une répression ciblée, qui vise aussi bien les « têtes récalcitrantes » que les syndics élus, certaines autorités coutumières, voire, dans certains cas, les avocats. Mais le fait de s’en prendre exclusivement aux « meneurs » répond également à une nécessité plus proprement politique. Car penser la contestation sur le mode de la contamination, de la gangrène et de la manipulation, et diriger la répression exclusivement contre les meneurs, c’est également proclamer que « l’ensemble du pays » demeure gouvernable, que l’ensemble des sujets n’est pas séditieux – une exonération qui permet de maintenir la fiction d’un assentiment des sujets au gouvernement en général, et à l’impôt en particulier. Ainsi, en 1666, les seigneurs de Schönburg affirment que :
« Seule une minorité de sujets a eu connaissance de ces plaintes, mais la procédure judiciaire et la rébellion sont seulement provoquées et dirigées par quelques meneurs qui se présentent comme des syndics sans le moindre fondement de vérité, ou qui ont parfois seulement été syndics lors de procédures dans le passé32. »
24L’action en justice est présentée comme une sédition, puisque les syndics sont vus ici comme des usurpateurs, à un double titre : ils sont en réalité des « meneurs de révolte » et non des syndics ; ils sont présentés comme agissant en leur seul nom, sans mandat du « pays », et soupçonnés d’agir à l’insu de la majorité des sujets – et c’est bien cette minorité qui fonde leur illégitimité. Partant, leur fonction de représentation est niée. On peut au demeurant légitimement douter du fait qu’une « minorité de sujets » ait eu connaissance des plaintes, eu égard au fait qu’en 1666, des révoltes d’une ampleur inédite depuis la guerre des Paysans agitent le pays depuis plus de quinze ans. Tout cela permet de proclamer que la majorité des sujets reste gouvernable, et que seuls les gouvernants représentent le pays, car eux seuls sont fondés à l’incarner. Les autorités font donc systématiquement arrêter ceux qu’ils identifient comme des meneurs, comme l’attestent ces propos d’un administrateur des Reuss en 1680 :
« Pour finir, il n’est pas inutile, si l’on tient certains pour des meneurs, de les faire arrêter et de les maintenir en détention au moins jusqu’à ce que l’on découvre celui qui a rédigé leurs textes ou leur avocat ; ces derniers pourraient alors bien protester auprès de leur autorité qu’on les a empêchés de les défendre33. »
25On voit très bien dans ces propos à quel point les autorités du territoire sont en réalité conscientes de la lisière entre révolte et procès – et à quel point l’existence d’un droit d’Empire et de juridictions suprêmes contraint leur action. Ces représailles à l’encontre de ceux qui représentent la contestation peuvent même s’étendre aux avocats : huit ans plus tard, en 1693, toujours chez les Reuss, la comtesse rapporte que « les paysans se sont plaints beaucoup de l’arrestation de leur avocat et, comme je l’ai appris en confidence, le Conseil impérial aulique s’irrite du procédé34 ». Représenter la révolte implique donc de s’exposer, et c’est une fonction dangereuse. L’interrogatoire de Martin Henschel, en 1666, chez les Schönburg, révèle assez bien l’ensemble des pratiques de répression mises en œuvre, en même temps qu’il donne un aperçu concret de leurs missions et du fonctionnement de leur organisation. Interrogé après son arrestation, on lui demande :
« Si dans cette sédition ce n’est pas Michel Weber de Reinholshain, autrement appelé “Fürst” [prince] et avant cela son père Ambrosius Weber qui ont donné la première impulsion et mené jusqu’à présent la direction de cette affaire ?
— Tous les courriers et messagers allaient à Michel Weber et étaient préparés par lui, il a aussi eu tous les revenus de 1654 à 1660, mais s’il a fait cela pour lui-même, ou s’il l’a fait avec d’autres, il n’en sait rien35. »
26Le surnom de « prince » souligne bien la fonction de substitution des représentants de la révolte aux autorités instituées, comme le mimétisme subtilement carnavalesque qui y préside. Ces représentants centralisent par ailleurs la correspondance liée au procès, de même que les revenus – et à ce titre, les sujets sont savamment organisés. On apprend, de plus, au détour d’une confrontation du déposant avec un autre « meneur de révolte », Pienßdorff, que ces syndics sont salariés par la communauté :
« Henschell a dit en face à Pienßdorff que …
3. Son salaire hebdomadaire de 3 florins lui était donné par le meunier
— Oui, d’autres avant lui l’ont aussi eu.
4. Lorsque Michel Weber a repris le bien de son père et a exercé un office, le meunier a eu tout le directoire et détenu l’ensemble des documents écrits.
— Il ne peut pas non plus le nier, cela a duré trois ans, 1660, 1661 et 1662, après quoi il a rendu le directoire à Michel Weber, qui le détient encore …
6. Le meunier lui a donné la direction des revenus dans toute la seigneurie en 1660, 1661 et 1662 et c’est à lui qu’il rendait compte.
— Oui36. »
27On saisit ici l’ampleur de l’organisation logistique requise par la contestation : c’est bel et bien une organisation parallèle, dotée de représentants, de sa correspondance et de finances propres, qui se met en place. Les seigneurs ont d’ailleurs profité de l’arrestation des meneurs pour faire main basse sur les documents écrits produits lors du procès : une fois les sujets arrêtés, ils ont envoyé des soldats dans les maisons des représentants pour saisir l’ensemble de la correspondance conservée. Henschel raconte que « tandis qu’ils me retenaient attachés par des chaînes et des liens, des cavaliers sont allés jusque chez moi et ont forcé ma femme par violence à ouvrir les portes et coffres, et ils ont emporté par violence les actes de Spire hors de la maison37 ». La « violence » du pouvoir (Gewalt) dit ici, dans la bouche de Henschel, son illégitimité. La pratique est courante et on la retrouve par exemple chez les Reuss à la faveur des exécutions fiscales de 1715. On mesure pourtant également à travers ces questions l’ampleur de l’autonomie de l’organisation des sujets et les craintes qu’elle suscite. Et d’ailleurs, les autorités de Glauchau demandent à Pienßdorff : « Si les syndics et l’ensemble des sujets n’ont pas obéi davantage aux ordres et instructions édictés par Weber, qu’à ce qui était ordonné par la noble seigneurie et le bailliage38. »
28Ce sont là deux structures de gouvernement, deux organisations financières et administratives, et en dernier ressort, deux légitimités qui entrent en collision. Et il y a somme toute un conflit pour savoir qui est véritablement le pays : les sujets ou les autorités ?
Conclusion
29Représenter la révolte est une fonction dangereuse. Pourtant, la couche de meneurs qui émerge de ces contestations a également intérêt à la perpétuation de l’action collective, car ils en retirent un bénéfice certain en termes de surface sociale et, probablement, un intérêt financier. Consolidée par une solidarité – qui va jusqu’à la coercition violente à l’encontre de ceux qui voudraient faire défection – la communauté insurgée s’érige en gouvernement alternatif, doté de ses propres assemblées, de ses rudiments d’administration et de finances, de ses représentants, distincts des autorités comme des représentants coutumiers (échevins, juges, maires, etc.). Se créent ainsi des espaces d’action et de parole collectifs indépendants de ceux que ménagent ordinairement, et avec parcimonie, les autorités. La contestation antifiscale est ainsi un moyen de conquérir une organisation et une représentation politiques qui se posent en concurrentes de l’organisation et de la représentation telles qu’elles sont définies par les autorités seigneuriales : dans ces pays où les sujets ne disposent pas d’une représentation instituée sous la forme d’une diète ou d’une assemblée d’états – comme chez les Schönburg – ou encore, lorsqu’ils n’y sont pas représentés – c’est le cas chez les Reuss –, ils recourent de façon mimétique à des procédures qui s’inspirent à la fois des formes pratiques et de la rhétorique de légitimation portée par ces instances. C’est là bien sûr une manière de protester tout en légitimant leurs revendications par la mobilisation d’un cadre d’action et d’arguments considérés comme redevables. Par leurs revendications, les sujets luttent pour redéfinir les conditions concrètes de la sujétion et, en particulier, contre une conception du sujet fiscal comme être indéfiniment redevable : en refusant l’impôt, les sujets s’arrogent de fait un droit de consentement fiscal dont ils ne disposent pas en droit. La révolte antifiscale est donc aussi un moment de construction d’un espace public concurrent de celui dont le « populaire » est ordinairement exclu. Dans la constitution de ce « contre-public subalterne39 », le système de représentation des contestataires joue un rôle crucial de courroie de transmission avec des passeurs (avocats, notaires, tribunaux) liés à d’autres univers sociaux.
Bibliographie
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Trossbach Werner, Soziale Bewegung und politische Erfahrung : bäuerlicher Protest in hessischen Territorien 1648-1806, Drumlin, Weingarten, 1987.
Notes de bas de page
1L’expression « daß ganze Land » est récurrente dans la documentation. Par exemple Thüringisches Staatsarchiv Greiz (TStG), Hausarchiv Ober-und Untergreiz, Schrank IV, Fach 6d, no 7, rapport du bailli de Hohndorff, 11 septembre 1684 : « pour autant que j’ai vu et entendu, l’ensemble du pays pour ceux d’Obergreiz et de Dölau était rassemblé aujourd’hui ici en nombre conséquent ». L’expression est également utilisée par les sujets en révolte, comme on le verra.
2Voir par exemple Gerteis Klaus, « Fiscalité, représentation et soulèvements urbains en Allemagne aux xviie et xviiie siècles », in Jean-Philippe Genet et Michel Le Mené, Genèse de l’État moderne : Prélèvement et redistribution Actes du colloque de Fontevraud 1984, Paris, Éd. du CNRS, 1987, p. 160 : « ainsi je pense que le caractère rétrograde des villes allemandes dans l’histoire des finances peut être considéré comme un facteur important dans l’explication de la situation générale arriérée de l’Europe centrale par rapport à l’Europe occidentale ».
3Cf. Stollberg-Rilinger Barbara, Vormünder des Volkes ? Konzepte landständischer Repräsentation in der Spätphase des Alten Reiches, Duncker & Humblot, Berlin, 1999, en particulier p. 92-103 pour les questions fiscales et ibid., « Was heißt landständische Repräsentation ? Überlegungen zur argumentativen Verwendung eines politischen Begriffs », Zeitsprünge. Forschungen zur Frühen Neuzeit, vol. 4, 2000, p. 120-135. Blickle Peter, Landschaften im Alten Reich : die staatliche Funktion des gemeinen Mannes in Oberdeutschland, Munich, Beck, 1973.
4Le procès est intenté à la fois contre les seigneurs de Schönburg et les administrateurs locaux, en particulier le bailli de la ville de Glauchau. Les seigneuries Schönburg sont gouvernées collectivement par les princes de la famille Schönburg, voir Schlesinger Walter, Die Landesherrschaft der Herren von Schönburg, eine Studie zur Geschichte des Staates in Deutschland, Münster, Böhlau, 1954 ; Renault Rachel, La permanence de l’extraordinaire : fiscalité, pouvoirs et monde social en Allemagne aux xviie-xviiie siècles, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017.
5Hauptstaatsarchiv Dresden (HStAD), Reichskammergericht no 41, vol. 2, fo 199 (Schönburg, 1662).
6Cf. dans le même sens pour les émeutes frumentaires, Thompson Edward Palmer, « The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century », Past & Present, no 50, février 1971, p. 110 : « la foule clamait que puisque les autorités refusaient de faire appliquer les lois, elle se chargerait elle-même de le faire » (« the crowd claimed that since the authorities refused to enforce the “laws” they must enforce them for themselves »).
7Cf. Blickle Peter, Landschaften im Alten Reich. Die staatliche Funktion des gemeinen Mannes in Oberdeutschland, Munich, Beck, 1973, et les critiques de Press Volker, « Herrschaft, Landschaft und Gemeiner Mann in Oberdeutschland », Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, vol. 123, Neue Folge 84, 1975, p. 169-214.
8Cf. Hottenroth Joseph, « Bauernunruhen in den Schönburgischen Lehnsherrschaften, 1652-1665 und 1672-1680 », Die Heimat, 6, 1939 et Stiegler Karl, « Der Schönburgische Bauernkrieg, 1654-1684 », Unsere Heimat, avril 1937.
9Refuser l’impôt d’Empire met en cause, entre autres, le droit d’imposer (jus collectandi) des seigneurs, comtes et princes d’Empire, qui est l’un des éléments de la « supériorité territoriale » et au cœur de la définition de leur pouvoir en tant qu’état d’Empire (Reichsstand).
10Cf. Root Hilton, « Politiques frumentaires et violence collective en Europe au xviiie siècle », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 45, no 1, janvier-février 1990, p. 167-189, qui propose une analyse à partir du cadre théorique de Mancur Olsson.
11Nous renvoyons ici bien évidemment aux travaux de Maurice Agulhon. Cf. par exemple la brève mais éclairante introduction : Agulhon Maurice, « Présentation », in La politisation des campagnes au xixe siècle : France, Italie, Espagne, Portugal, Actes du colloque EFR, février 1997, Rome/Paris, École française de Rome/de Boccard, 2000, p. 1-9.
12On distingue par une minuscule l’état au sens de Stand (état d’Empire) et par une majuscule l’État au sens de Staat (État moderne). Un état d’Empire (Reichsstand) est défini par le fait d’avoir voix et siège à la Diète de Ratisbonne – et donc en grande partie, par la faculté de consentir à l’impôt d’Empire ; en règle générale, un état d’Empire est immédiat d’Empire, détient une partie au moins de ses terres en fief directement de l’Empereur, et depuis la paix de Westphalie, est fondé à exercer sur ses terres la « supériorité territoriale », dont le droit de lever des impôts (ensemble de prérogatives régaliennes mouvantes qui sont l’équivalent de la souveraineté dans l’espace impérial), une armée et de conclure des alliances diplomatiques. Mais ces équivalences souffrent de nombreuses exceptions [http://saintempire.hypotheses.org/publications/glossaire/reichsstand].
13Les travaux de Peter Blickle ont beaucoup contribué à la diffusion du concept afférent de « communalisme » (Blickle Peter, Kommunalismus. Skizzen einer gesellschaftlichen Organisationsform, 2 vol., Munich, Oldenbourg, 2000). Pour une lecture critique, stimulante et informée de ce concept et de ses conséquences, cf. Morsel Joseph [https://lamop.univ-paris1.fr/fileadmin/lamop/publications/Communautes_habitants/Communautes_lecture_Blickle_Morsel.pdf].
14Voir Trossbach Werner, Soziale Bewegung und politische Erfahrung : bäuerlicher Protest in hessischen Territorien 1648-1806, Drumlin, Weingarten, 1987.
15Ibid.
16Richter : il ne s’agit pas ici de quelqu’un exerçant des fonctions judiciaires, mais d’une forme coutumière de la représentation villageoise.
17TStAG, Hausarchiv Ober-und Untergreiz, Schrank IV, Fach 6d, no 7, fo 55-58. On ne dispose malheureusement que des réponses, et non des questions.
18Ibid.
19Ibid., Fach 7a, no 9, fo 14-17.
20Sur les systèmes de désignation, cf. Trossbach Werner, Soziale Bewegung und politische Erfahrung, op. cit., notamment p. 82. Il pose l’hypothèse selon laquelle la « judiciarisation » croissante des procédures conduirait à une disparition des alliances jurées au profit des actions en justice avec élection d’un syndicat (sur la procédure, cf. infra).
21Nous empruntons la traduction au dictionnaire Schwan Christian Friedrich, Nouveau dictionnaire de la langue allemande et françoise, composé sur les dictionnaires de M. Adelung et de l’Académie françoise, enrichi des termes propres des sciences et des arts…, Mannheim, C. F. Schwan et M. Fontaine, 1782-1784, art. « Heimbürger ».
22TStAG, Hausarchiv Ober-und Untergreiz, Schrank IV, Fach 6d, no 7, fo 73-74. Souligné par nous.
23Ibid., Fach 7a, no 9, fo 14, interrogatoire du 22 mars 1715.
24Ibid. Souligné par nous.
25Hstad, Appellationsgericht, 5446.
26« Waß ihm das Land hette mitgegeben und befohlen, daß hette er übergeben und gethan », Martin Henschel, député et syndic des sujets de Schönburg, interrogatoire de 1666, HStAD, Reichskammergericht, no 41, vol. 3.
27HStAD, Appellationsgericht, 5446, serment des syndics de Merane, 1791.
28Voir également, dans le territoire voisin des princes de Schwarzburg, l’immense opération de collecte de l’information fiscale opéré par le meneur de la révolte, Bulisius, en 1725, qui a fait circuler des tableaux pré-imprimés, sur lesquels chacun se chargeait d’inscrire la valeur de sa propriété, de ses revenus et de ses dépenses. 14 714 personnes, femmes incluses, auraient renseigné ces tableaux. Ranke Ermentrude von, Das Fürstentum Schwarzburg-Rudolstadt zu Beginn des 18. Jahrhunderts. Der Landstreit gegen die fürstliche Willkür vor Reichskammergericht und Reichshofrat, Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwürde der Hohen Philosophischen Fakultät… Halle-Wittenberg, Halle, C. A. Kaemmerer, 1915, p. 121-122.
29Hstad, Reichskammergericht, no 41, vol. 3, fo 681-685.
30Sur les protocoles d’audition de témoins, cf. Bähr Matthias, Die Sprache der Zeugen. Argumentationsstrategien bäuerlicher Gemeinden vor dem Reichskammergericht (1693-1806), Constance/Munich, UVK, 2012.
31« Gelder Nahmens ihrer in Empfang nehmen, darüber in ihren Namen quittiren », Hstad, Appellationsgericht, 5446, serment des syndics de Merane [1791].
32« Ob nicht wahr, daß […] diewenigsten Unterthanen wißenschafft gehabt, sondern alle widersezlichkeit und clage nur von einigen rädelsführern so sich zum theil ohne grund der wahrheit vor syndicen außgegeben, theils auch beÿ vorigen processen einmahls syndici gewesen, angestifftet und dirigirt worden », Hstad, Reichskammergericht, no 41, vol. 3, fo 626-636.
33TStAG, Hausarchiv Ober-und Untergreiz, Schrank II, Fach 20, Nr. 846, fo 85-86, § 8.
34TStAG, Paragiatherrschaft Köstritz, Kap. 6, no 592.
35HStAD, Reichskammergericht, no 41, vol. 3, fo 626-636.
36HStAD, Reichskammergericht, no 41, vol. 3, fo 636b-637b.
37Ibid., fo 663-668.
38Ibid., fo 638b.
39Blondiaux Loïc, « Démocratie délibérative vs. démocratie agonistique ? Le statut du conflit dans les théories et les pratiques de participation contemporaines », Raisons politiques, 2008/2, no 30, p. 131-147. Fraser Nancy et Valenta Muriel, « Repenser la sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement », Hermès. La Revue, 2001/3, no 31, p. 125-156.
Auteur
-
Rachel Renault
Maîtresse de conférences au Mans-université (laboratoire TEMOS). Ses travaux portent sur les contestations populaires et la fiscalité dans le Saint-Empire romain germanique à l’époque moderne. Elle a notamment publié La permanence de l’extraordinaire : fiscalité, pouvoirs et monde social en Allemagne aux xviie-xviiie siècles (Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017).

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