Principat et représentation politique en Catalogne à la fin du Moyen Âge
p. 245-264
Remerciements
Je remercie Samuel Hayat, Corinne Peneau et Yves Sintomer pour leurs relectures critiques et leurs suggestions.
Texte intégral
1À sa mort en 1458, le roi d’Aragon Alphonse le Magnanime lègue à son successeur Jean II une situation très difficile en Catalogne. Les mobiles de conflit avec les autorités du territoire sont en effet nombreux, anciens et profonds. Les désaccords concernent notamment les subsides exigés par le monarque, les prérogatives et les agissements de ses officiers, l’organisation institutionnelle municipale et le statut de certains paysans, les remences, soumis à de « mauvais usages » (mals usos) et qui se révoltent1. Dans un contexte de tension globale sur la définition du régime politique, l’arrestation sur ordre du roi de son propre fils et héritier, le prince Charles de Viane, particulièrement apprécié dans la région, conduit en 1460 à l’embrasement, et débouche bientôt sur une lutte ouverte entre Jean II et une grande partie de ses sujets catalans2. Lors de ce conflit, qui prend la tournure d’une guerre civile et dure plus de dix années, le roi d’Aragon, également comte de Barcelone, continue à revendiquer sa souveraineté sur l’ensemble de la Catalogne3. Ses opposants, soucieux d’éviter que la terre ne tombe en « veuvage » de seigneur4, prêtent pour leur part allégeance à des princes étrangers, d’abord à un roi, Henri IV de Castille (1462-1464), puis à un infant, dom Pedro du Portugal (1464-1466), et enfin à un duc, René d’Anjou (1466-1472). Les Catalans hostiles à Jean II reconnaissent par ailleurs l’autorité de trois organismes : la députation de la Généralité (Diputació de la Generalitat), plus communément appelée « Généralité de Catalogne » ou « Généralité » et qui est une émanation de l’assemblée du pays (Corts), le Conseil de la ville de Barcelone (Consell de Cent)5 et le « Conseil représentant le Principat de Catalogne » (Consell representant lo Principat de Catalunya)6. Pour un même territoire, il y a donc plusieurs seigneurs, l’un dénoncé pour sa tyrannie, les autres comme intrus, et des institutions concurrentes. Une seconde Generalitat, sous contrôle royal, s’oppose bientôt en effet depuis Tarragone à la première, demeurée à Barcelone7.
2Pour comprendre la mise à l’épreuve de la représentation politique du pays qui se joue alors, il convient de l’inscrire dans une histoire de longue durée. On a dans cette perspective fait ici le choix d’étudier les usages, nombreux et ambivalents, de la notion de Principat (de Catalogne), qui tient une place centrale et ambivalente dans le vocabulaire des acteurs du conflit8. Les sources susceptibles d’être mobilisées pour une telle enquête sont considérables, et il ne saurait dans le cadre de cet article être question d’exhaustivité. Les premiers résultats exposés se fondent sur la bibliographie existante, d’ampleur inégale selon les domaines et les périodes, ainsi que sur l’examen des chroniques catalanes, des dietaris (« diaires ») de la Generalitat, des actes et « procès » (procesos) des Corts, des testaments des rois d’Aragon, de correspondances diplomatiques et de textes juridiques, complété, pour les années de guerre civile, par la lecture de registres des délibérations de la ville de Barcelone et des « livres des troubles » (libri turbationum) abritant les correspondances, les actes et les comptes rendus des délibérations de la Generalitat et du Conseil représentant le Principat.
Le Principat : genèse et usages d’une notion représentant la Catalogne (xiie-xve siècle)
3En français et en catalan, « Principat » est de nos jours souvent employé sans distance critique comme s’il s’agissait d’un parfait synonyme de la Catalogne. Ce n’est pas le cas au Moyen Âge, où les deux termes, « Principat » ou « Principauté » (Principat en catalan, principatus en latin) et « Catalogne » (Catalonia en latin, Catalunya en catalan), véhiculent des significations diverses, changeantes, et ne coïncident pas systématiquement dans les sources. Leur histoire antérieure à la guerre civile a d’ores et déjà largement été éclairée grâce à plusieurs travaux importants menés sur la genèse de la Catalogne, la formation progressive d’une perception commune, d’un droit et d’une représentation politique de ce territoire. On rappellera ici de façon synthétique les résultats obtenus, en mettant l’accent sur le Principat et en prolongeant l’enquête sur les moments d’inflexion et de conflit dans l’usage de la notion.
4C’est au xiie siècle qu’apparaît le terme de Catalogne. Comme l’a montré Michel Zimmermann, il ne renvoie pas d’emblée à une entité politique unifiée, mais à un ensemble géographique formé de plusieurs comtés partageant une langue et des références communes. La « genèse de la Catalogne » est de la sorte pour l’historien avant tout un phénomène culturel dont le nom signe l’aboutissement logique9. Durant cette même période, le comte de Barcelone peut alors être désigné comme « princeps », il est un primus inter pares. Le terme même de « Principat » n’apparaît guère, si ce n’est dans les Usatges de Barcelone, une compilation juridique, et essentiellement sous son acception classique, pour signifier le gouvernement par le prince, sans lien impératif avec le territoire sur lequel il s’exerce10. Nullement exceptionnelle, cette disjonction a pu être observée ailleurs en Occident de façon contemporaine11. Même si la plupart des historiens considèrent qu’une Principauté s’est formée en Catalogne, on ne trouve alors dans les sources nulle mention explicite d’un « Principat de Catalogne ».
5À partir de la deuxième moitié du xiie siècle, alors que le comte de Barcelone est désormais aussi roi d’Aragon, la conception de l’entité « Catalogne » s’affine et s’affirme. Du Vidal Major aux Commemoracions de Pere Albert, les juristes influencés par le droit romain placent en Catalogne le « prince de la terre » (princeps terrae) au sommet de la hiérarchie féodale et reconnaissent son autorité sur l’ensemble d’un territoire dont la personnalité juridique est consolidée par le recours au concept d’universitas et par la réunion de Corts12. Selon la démonstration de Flocel Sabaté, la perception unitaire de la Catalogne est également renforcée par la fiscalité royale, qui fonde l’assiette du prélèvement d’un impôt important, le bovatge, sur « l’ensemble de la Catalogne » (lo general de Catalunya), par le développement d’institutions de la terre reconnaissant une autorité royale supérieure, ainsi que par la définition plus nette de frontières avec les territoires voisins13. Signe de son emprise, le champ lexical du « prince » n’est pas réservé aux seuls textes de droit savant. Le testament d’Alphonse le Batailleur de 1131 mentionne son « principat » (principatus), au sens de pouvoir princier14 ; le roi Pierre II est nommé « prince catholique » (princeps catholicus) par le pape Innocent III en 1205, « prince des Aragonais » (princeps Aragonensium) ou « prince du royaume des Aragonais » (princeps regni Aragonensium) dans des traités d’alliance avec Gênes15. L’extension demeure néanmoins doublement limitée avant le xive siècle : le roi d’Aragon, comte de Barcelone, n’est jamais qualifié de « prince » (princeps, príncep) dans les textes historiographiques produits sur ses terres ; le Principat continue à signifier le pouvoir de celui qui le détient et l’exerce ; il ne représente pas, il n’incarne pas le territoire de Catalogne.
6Les choses changent et se complexifient au plus tard à partir du milieu du xive siècle. En 1342, lorsque le roi d’Aragon Pierre IV lance un procès contre son oncle et vassal Jacques III de Majorque afin de lui confisquer ses terres, l’argumentaire de la procédure accusatoire recourt à de nombreuses reprises à la notion de Principat16. Il s’agit d’abord de rappeler, au sens classique, que les terres du roi de Majorque sont « sous le Principat » (sub principatu) du roi d’Aragon17, de soutenir, en consonance avec les efforts déployés pour maintenir l’unité d’une Couronne aux territoires dispersés, le caractère inaliénable et indivisible d’un « Principat du seigneur roi » envisagé en équivalent de la domination ou de la monarchie18. Les juristes font de manière plus novatrice encore valoir l’existence du « Principat de Catalogne », en y intégrant le Roussillon, un comté dont le roi de Majorque est le seigneur, afin de mieux démontrer les droits qu’y possède le roi d’Aragon19. Alors que les défenseurs de la cause de Jacques III portent une conception traditionnelle du Principat limité au gouvernement et refusent en tout cas d’y soumettre le Roussillon, la territorialisation expansive du concept permet à la partie aragonaise de dénoncer les refus d’obéissance du roi vassal comme autant de crimes de lèse-majesté commis par un félon20. Apparu peut-être pour la première fois dans le procès – on n’en trouve pas d’autre mention auparavant –, le « Principat de Catalogne » est dans ce contexte à la fois une représentation de l’ensemble du territoire et une notion de combat, au service de la monarchie aragonaise dans son entreprise de réunification des membra disjecta de la Couronne.
7Durant les années suivantes, la notion de « Principat de Catalogne » apparaît désormais de façon récurrente dans des documents de natures très diverses émanant de Pierre IV d’Aragon. Sa présence devient fréquente dans les correspondances diplomatiques, dans les traités21. S’il n’est pas agrégé à la titulature royale, le Principat est placé sur le même plan que les royaumes de Valence et d’Aragon dans une donation au comte Henri de Trastamare du 8 décembre 135722. Il apparaît aussi à plusieurs reprises dans le Livre à caractère autobiographique composé sous l’autorité du monarque23. Au-delà de la production écrite royale, la diffusion de l’expression est particulièrement remarquable dans les comptes rendus des Corts et les chapitres des concessions (donatius) faites par les braços (« bras »), c’est-à-dire par les états. En novembre 1350, à Perpignan, la demande par Pierre IV d’une aide extraordinaire pour lutter contre la rébellion en Sardaigne est justifiée par la nécessité d’œuvrer pour le bien, l’honneur et l’utilité de « son Principat de Catalogne24 ». La notion figure ensuite systématiquement dans les convocations aux Corts, dans les préambules justificatifs, mais aussi dans les discours tenus par les bras25. Les demandes suscitées par la guerre, tout en facilitant l’émergence d’une fiscalité d’État en Catalogne, ont donc été un cadre essentiel pour la naturalisation de la notion de Principat de Catalogne dans le langage politique employé pour les échanges entre le pouvoir royal et les représentants de la terre.
8Comme le souligne Flocel Sabaté, l’usage de l’expression est alors essentiellement un « indicateur de la juridiction royale », une solution habile pour affirmer la supériorité du roi et faire valoir sa faculté à rassembler derrière lui et à représenter l’ensemble d’un territoire dispersé26. Dans le même temps, à partir de la deuxième moitié du xive siècle, le « Principat de Catalogne » tend à être érigé en véritable sujet politique, dans les discours des représentants des Corts comme par le fonctionnement de la Generalitat, initialement une modeste émanation de l’assemblée chargée en 1359 de gérer des subsides, mais qui devient progressivement une institution puissante27. La notion sert désormais aussi à montrer la capacité des Corts à représenter l’ensemble du territoire catalan, à faire valoir devant le roi la défense des droits et du bien commun du Principat, à agir pour la « défense du Principat de Catalogne », d’abord au moment de la guerre contre la Castille (1356-1363), puis, plus encore, pendant l’interrègne (1410-1412)28. L’on réunit alors des « assemblées du Principat de Catalogne », des ambassades sont envoyées au nom de ce dernier, des lettres sont adressées par le pape à son intention, ce qui aurait été impensable un siècle plus tôt29. En conséquence, une fois l’interrègne résolu, la Generalitat obtient en 1413 une extension considérable de ses prérogatives30. Elle est désormais garante des droits pactés de la Catalogne, doit assurer sa défense contre les ennemis extérieurs. Dans les Dietaris où sont consignés les principaux événements concernant l’institution, les hommes placés à sa tête sont nommés députés de la Généralité ou du Principat (de Catalogne)31. Forts de la légitimité que leur confère la délégation permanente de pouvoir par les Corts, ils deviennent des représentants légitimes du territoire, incarnent une forme de continuité du pays, de ses droits.
9Entre les deux interprétations du Principat de Catalogne, celle émanant du roi et celle formulée par les représentants du territoire, le fossé se creuse. Cela tient d’une part à l’éloignement du roi Alphonse le Magnanime, qui part conquérir Naples en 1435 pour ne plus revenir en péninsule Ibérique jusqu’à sa mort, et, d’autre part, des tensions entre l’oligarchie, les gouverneurs et autres officiers royaux. L’historiographie en offre un témoignage saisissant. Le noble Pere Tomic compose dans les années 1440 des Histoires et conquêtes du royaume d’Aragon et du Principat de Catalogne. Celui-ci y devient un véritable sujet politique, dont la légitimité est renforcée par une triple fondation : un héros étranger, Otger Cataló, qui donne son nom aux Catalans en les défendant contre les musulmans ; Charlemagne, qui crée le Principat et une structure politique préfigurant celle du xve siècle ; le lignage des comtes de Barcelone. Dans cette optique, le Principat et les lignages nobles précèdent une dynastie liée par un pacte fondateur32. Par le droit, par la négociation, par l’écriture de l’histoire, le Principat est de plus en plus défendu au xve siècle comme une construction et un sujet politique certes soumis au roi, mais dont l’organisation émane du territoire et de ses états33. La tension interprétative sur la notion reflète de la sorte les luttes sur la conception du régime politique et cristallise en particulier les ambitions concurrentielles du roi et des états à représenter le pays, son droit et son bien.
Le « Conseil représentant le Principat [de Catalogne] »
10Ces tensions atteignent un niveau sans précédent durant le conflit opposant le roi d’Aragon à une grande partie des Catalans de 1460 à 1473. La question de la représentation politique du territoire fait alors partie intégrante des luttes. Dans le cadre de cette enquête menée au prisme du Principat, on mettra ici plus particulièrement l’accent sur deux phénomènes inédits de la période, la création d’un « Conseil représentant le Principat » (Consell representant lo Principat) ou Conseil du Principat, et la coexistence concurrentielle de deux Generalitats.
11Longtemps négligés dans l’historiographie, les premiers temps du Conseil du Principat sont désormais mieux connus34. Comme souvent en Occident à cette période, un incident dynastique joue un rôle essentiel dans la manifestation des institutions représentatives et de tensions sur leurs prérogatives35. Lorsque le prince Charles de Viane est arrêté en Catalogne, face à une décision royale perçue comme injuste, les Corts donnent faculté aux députés de la Généralité de choisir les membres d’un groupe chargé d’obtenir sa libération36. Les députés envoient des convocations, puis l’on forme à Barcelone un « parlement de tous les trois états » (parlament de tots els tres staments), ecclésiastique, nobiliaire et royal. La méthode tranche avec celle en usage pour les Corts, car la convocation royale est ordinairement jugée indispensable37. Ce « parlement » procède ensuite à une double élection. Il choisit pour les dépêcher auprès du roi douze ambassadeurs, parmi lesquels l’archevêque de Tarragone, l’évêque et des notables de Barcelone. Il désigne également un conseil composé de 27 membres issus des trois états. Durant les premiers mois de son existence, ce « Conseil assesseur » (Consell assesor) de la Généralité ou « Conseil représentant le principat » a pour seule mission d’obtenir la libération du prince. Dans ce but, ses membres coordonnent leur action avec le Conseil des Cent de Barcelone et avec la Généralité38.
12En termes de pratiques et d’idéologie représentatives, cet organisme conçu ad hoc se distingue d’emblée par le souci d’être le relais de l’ensemble du territoire. Si la terminologie qui le désigne est variable39, il se définit dans les lettres expédiées en son nom et consignées dans ses registres comme « représentant toute la Catalogne », « tout le Principat40 ». D’importants efforts de « communication » et « d’information » sont mis en œuvre auprès des villes et des autres autorités instituées de Catalogne afin d’obtenir leur assentiment, leur ralliement, et de faire en sorte que soit établie une « bonne et sainte union » (bona et sancta unitat) de tout le Principat derrière le Conseil, de bannir notamment toute division entre les villes du territoire catalan41, car l’enjeu « est loin d’être insignifiant pour les localités de ce Principat42 ».
13Ce souhait d’une prise de parole unifiée se manifeste aussi par le choix d’un mode de représentation spécifique, une « façon de procéder » (modo de procehir) fondée sur l’élargissement répété du groupe des mandatés43. La composition du Conseil comme celle des ambassades dépêchées au roi doivent rendre patente la présence de l’ensemble de la Catalogne. Les hommes du Conseil visent explicitement une « amplification » (amplificació) de leur assemblée qui permette la combinaison du nombre, de la variété et de la sagesse. Ils convoquent à cet effet des seigneurs, leurs procureurs et des représentants d’universitates urbaines. Il en résulte un conseil représentant le principat aux contours fondamentalement instables à la fin de l’année 1460 et au début de l’année 1461. Un même principe prévaut pour les ambassades : aux douze ambassadeurs initialement adressés au roi pour le convaincre de libérer le prince de Viane, on en adjoint bientôt trois, puis quarante-cinq autres, aboutissant à une ambassade inouïe de soixante représentants de « tout le Principat », flanqués de surcroît à la cour du roi d’autres ambassades dépêchées par les conseils de différentes villes44.
14Cette stratégie de revendication portée par une forme de représentation-identité, qui mobilise essentiellement des personnages de rang élevé et aux fonctions sociales variées, emporte temporairement l’assentiment de la majorité des Catalans. Il n’y aurait pas le moindre désaccord, la moindre tintilla de discrepancia à Vic à la fin de l’année 1460, par exemple45. Mais l’union est fragile et précaire en Catalogne. Elle se fissure bientôt au sein même du Conseil du Principat où des dissensions apparaissent au sujet de l’élargissement à de nouveaux membres46, tandis que les autres territoires de la Couronne d’Aragon se refusent à affronter le roi pour défendre le prince de Viane. Confronté à une sorte de Catalogne en miniature venue à sa cour, Jean II se dit « oppressé », presque agressé physiquement47. À l’aide de ses juristes, il dénie aux Catalans le droit d’agir de la sorte : s’ils prétendent s’exprimer au nom de la Cort, ils n’y sont pas fondés, car ils n’ont pas reçu l’autorisation royale requise ; leur tentative est dénoncée comme un acte irresponsable, susceptible de favoriser les « commotions », les troubles et les soulèvements dans ses royaumes tout en aiguisant l’appétit de ses voisins48.
15Dans les instructions remises aux ambassadeurs du Conseil du Principat comme à l’occasion de très longs entretiens en face-à-face lors desquels les arguments sont assénés de façon répétitive, les positions se radicalisent49. Accusés d’infidélité envers la personne du roi, les membres du Conseil représentant le Principat et leurs ambassadeurs jouent de plusieurs registres complémentaires. En usant d’une manière superlative de la voie de supplique, ils s’avancent en défenseurs du bien public, de la Couronne royale, du repos du Principat, du rétablissement des liens d’amour distendus entre le père, Jean II, et son fils, Charles de Viane, en garants des droits et des libertés de la Catalogne, mais aussi de la mémoire des hauts faits des rois d’Aragon, en sujets fidèles et exigeants. À cela, ils ajoutent un point essentiel : telle une représentation ou une médiation providentielle, ils s’affirment seuls susceptibles de canaliser les « angoisses » (congoixa) provoquées par l’emprisonnement du prince Charles, de faire en sorte que le peuple ne se soulève pas contre le roi50. Leurs discours entremêlent ainsi plusieurs voix, celles des députés et du Conseil du Principat, celle émanant des Corts, et une troisième, plus suggestive, du peuple de Catalogne.
16Par le choix d’une représentation nombreuse et diverse comme par l’insistance répétée sur l’unité du territoire, par leur prétention à incarner l’ensemble de la Catalogne, les hommes du Conseil du Principat et ceux qui le reconnaissent font le pari que la présentation au roi de l’opposition de tout le territoire le conduira à céder, tout en leur permettant de respecter la voie obligée de supplique, en esquivant l’accusation d’illégitimité. Dans cette lutte, au gré de ces réunions et des échanges épistolaires, l’unité de la Catalogne pour certains se renforce ; bien que contestée, la légitimité de sa représentation s’affirme par le conseil qui porte son nom en emblème, et la faculté du Principat à admonester le roi est revendiquée haut et fort51. La méthode s’avère dans une certaine mesure efficace, puisque, grâce à la menace d’une levée en armes, le conseil parvient à obtenir la libération du prince et, à Vilafranca del Penedès, des capitulations avantageuses où le roi est contraint de reconnaître une restriction de sa souveraineté en Catalogne52.
17Un conflit armé surgit toutefois rapidement suite à la mort du prince de Viane et à l’entrée du roi Jean II en Catalogne. Il ne demande pas à cette occasion l’autorisation du Principat, alors que les capitulations de Vilafranca théoriquement l’y obligent. Le Conseil, en se fondant sur la défense des droits, des libertés et de la chose publique, en vient alors à déclarer le roi « ennemi du Principat53 ». Jean II, pour sa part, condamne l’envoi d’ambassadeurs en France par le Conseil du Principat au motif qu’il s’agit d’une atteinte à ses prérogatives royales54. Avec la guerre s’accomplit ainsi une singulière parabole : brandie un siècle plus tôt par les juristes du roi au profit de ce dernier, la notion de Principat permet désormais aux opposants à Jean II d’identifier un sujet politique autonome à l’égard de son prince, à un point tel que le conseil prétendant le représenter use de son existence comme d’un argument pour condamner le roi55. En se fondant sur l’extension des prérogatives de la Generalitat accordées en 1413 et sur la trahison proclamée du roi aux principes, Usatges de Barcelone et aux Constitucions de Catalogne qu’il devrait selon son serment garantir56, les députés et le Conseil représentant le Principat, avec l’accord du Conseil de la ville de Barcelone, peuvent dès lors revendiquer en droit et assumer dans les faits de nouvelles et considérables prérogatives dans le domaine de la défense, de l’économie et de la diplomatie57. Au cours même de la guerre, les députés et les hommes du conseil se présentent de façon répétée en dépositaires de la potestas des rois durant leur absence, de leur iurisdictio – le pouvoir de dire le droit ou d’administrer et de gouverner le territoire –, ce qui les autorise même à se choisir de nouveaux seigneurs. Dans cette perspective, le Principat, porté par le Conseil censé le représenter et défendre les lois comme les droits qui y sont attachés, est devenu une incarnation de l’ensemble de la Catalogne et un garant de l’intégrité d’une Couronne royale mise en péril par un dépositaire indigne.
La Generalitat et son double
18Tandis que la Généralité soutenue par le Conseil du Principat exerce de fait des prérogatives réservées ordinairement à la monarchie, la division du territoire et de ses habitants se traduit également par une remise en cause profonde des Corts, qui ne sont plus en mesure de faire fonction de scène de prédilection pour l’échange politique entre le prince et les représentants du pays58. Dans la partie de la Catalogne hostile au roi d’Aragon, aucune Cort n’est réunie entre 1460 et 1473. L’état de guerre endémique rend certainement difficile leur organisation. Cette absence s’explique aussi par la puissance limitée des princes de substitution choisis par les Catalans. Henri IV de Castille ne vient pas dans le Principat, l’infant Pedro a été plus engagé pour sa capacité de chef de guerre (dux belli) que pour traiter avec les états, et René d’Anjou dépêche des lieutenants privés de la faculté de convoquer des Corts, soit, à l’instar de l’infant Pedro, sont plus engagés pour leur capacité de chef de guerre (dux belli) que pour traiter avec les états du pays. Reconnaître à ces nouveaux seigneurs la faculté de convoquer des assemblées conduirait en outre à manifester leur puissance avec un éclat excessif. De la sorte, la seule véritable et légitime représentation du territoire se trouve, pour les hommes qui s’en jugent les dépositaires, concentrée à la Generalitat et au Conseil représentant le Principat de Catalogne.
19Parallèlement, durant ce long conflit, la partie du territoire fidèle au roi d’Aragon – d’abord à l’ouest et au sud, puis bientôt au nord et sur la côte – ne renonce pas à réunir des parlaments, c’est-à-dire des « bras » isolés, ainsi que des Corts de Catalogne, à Tortosa en 1463-1464 puis à Cervera en 1468-1469. Des Catalans participent même aux Cortes generales de Monzón en 1469-1470 où se retrouvent devant le roi des représentants des états des différents territoires de la Couronne d’Aragon. Si le faible nombre de Corts n’est nullement exceptionnel – elles ne sont alors ni permanentes ni réunies avec une périodicité régulière, et leur fréquence durant la guerre civile est comparable à celle de la première moitié du xve siècle –, le conflit affecte profondément la composition des assemblées. Celle de Cervera est la moins nombreuse du siècle. Comme une grande partie de la Catalogne échappe encore au contrôle du roi, des convocations sont adressées à des localités de taille très modestes (Cambrils, Vila del Prat, par exemple) qui habituellement n’envoient pas leurs délégués aux Corts59. Signe de la reprise en main du territoire par Jean II, l’assistance des Catalans s’élargit et s’accroît à Monzón, une assemblée importante pour l’effort de guerre60. Dans les différents cas, il s’agit de convoquer la « majeure partie des Catalans très fidèles » (la major part dels fidelíssims catalans), ce qui revient en réalité à restreindre l’assemblée à la sanior pars, longtemps minoritaire.
20Tout en favorisant la tenue de Corts qui doivent rendre manifeste la continuité d’une Catalogne loyaliste, la partie fidèle à Jean II s’efforce de faire pièce à la Generalitat passée sous le contrôle des opposants en soutenant une autre institution éponyme. À partir de 1463, il existe par conséquent deux députations prétendant représenter l’ensemble du Principat de Catalogne, théoriquement toutes deux chargées de prélever et de gérer les generalitats (des taxes), de veiller à la défense du territoire, de préserver les droits, libertés et constitutions. L’histoire de cette seconde Generalitat est connue essentiellement à travers le registre tenu entre le 23 janvier 1463 et le 15 octobre 1473 par son principal responsable, Bernat Saportella, qui s’efforce de s’inscrire dans la continuité des pratiques scripturaires de l’institution61. La documentation consignée y est importante et forte d’une typologie variée : des lettres expédiées au roi d’Aragon, à diverses autorités extérieures (monarques étrangers, députés d’Aragon, jurats de Saragosse, de Valence, de Majorque, d’Ibiza) et aux hommes reconnaissant cette Generalitat, une partie de la correspondance passive, des actes de nomination, des instructions et des notes de liaison entre les différentes entrées.
21Si ce registre a été édité dès le xixe siècle, l’étude de la Generalitat dont il émane et, plus généralement, celle des hommes restés en Catalogne fidèles à Jean II ont assez peu retenu l’attention des historiens62. Or, ce volume apporte un éclairage singulier sur l’expérience politique portée par Bernat Saportella. Celui-ci est un ancien député de la Généralité de Catalogne où il avait été élu en 1461 pour trois années. D’après son propre récit, corroboré par sa condamnation et la saisie de ses biens à Barcelone, Saportella s’enfuit de la capitale catalane par voie de mer dans la nuit du 7 au 8 février 146363. Il se rend à Tarragone, rallie le parti royal, sollicite Jean II pour la création ou, plus exactement, le prolongement de la Généralité, dont il serait alors l’unique député. Le roi accepte, et l’institution s’étoffe quelque peu avec un service de scribes, des députés locaux, mais Saportella reste seul député en charge jusqu’en 1470.
22Outre sa singularité, l’intérêt de ce cas réside dans les discours et les argumentaires développés par le transfuge à l’intention de son roi, d’autres princes qu’il veut convaincre, et des Catalans qu’il veut s’attacher. Bernat Saportella commence par effectuer devant notaire à Tarragone une protestation en bonne et due forme, au moyen d’une cédule justifiant son attitude récente. S’il a signé des lettres à Barcelone avec les autres députés, c’est parce qu’il y était contraint par la force. Lorsqu’il a manifesté une hésitation – et l’on sait par ailleurs qu’il s’est abstenu du vote ayant conduit à l’élection du roi de Castille comme seigneur de Catalogne –, certains auraient alors menacé de le défenestrer. L’argumentaire est repris dans une lettre adressée à Jean II64, dans d’autres qui sont envoyées aux rois de Castille et du Portugal afin de les informer de l’invalidité des lettres signées par Saportella sous la contrainte. Il condamne ainsi ce qu’il qualifie de « terreur » (terror), (r)établit une vérité, balaie de « fausses informations » avec une efficacité rhétorique d’autant plus grande qu’il reprend une bonne partie des arguments de la Généralité, notamment la défense des droits et la fidélité au roi65.
23Auprès de nombreux destinataires, il dénonce avec force la perturbation du régime de la représentation politique légitime provoquée par les rebelles, l’existence d’une fausse représentation du Principat, des « actes faits au nom des députés de Catalogne et Conseil disant représenter le Principat66 ». Les désobéissants disposent certes de ce qu’il appelle un « nombre copieux », autrement dit la major pars, mais ils ne représentent pas pour autant légitimement leur cité. Saportella plaide donc pour une bonne représentation du Principat qui, en de telles circonstances, soit fondée sur la sanior pars, « la part la plus saine et la plus grande de Catalogne, en particulier les prélats, les barons et militaires ». Comment la déterminer ? La réponse est simple pour Saportella : il s’agit des hommes qui demeurent fidèles au roi67. Le député lui-même ne prétend nullement accaparer la Généralité à son bénéfice, mais il demande et obtient qu’elle lui soit dévolue par le roi, après l’assentiment du Conseil de Tarragone. À l’instar de ses anciens collègues de la Généralité demeurés à Barcelone et de ceux qui font partie du Conseil représentant le Principat de Catalogne, il s’affirme en dépositaire de la potestas royale en Catalogne68, avec une Généralité légitime qui est le « refuge divin et la conservation de la Couronne royale et des libertés du Principat69 ». Pour ces différentes raisons et à ces conditions, Bernat Saportella use du sceau du Principat et s’exprime à plusieurs reprises en son nom du Principat en se nommant « député du général du Principat de Catalogne », « député unique » ou « député unique et général de l’insigne Principat de Catalogne70 ». Autrement dit, il s’avance comme le représentant unique du vrai Principat, celui qui est fidèle au roi, et permet de la sorte de combiner harmonieusement les deux acceptions de la notion : un territoire soumis à la juridiction du roi ; une entité politique disposant de ses propres institutions. Bernat Saportella demeure « député unique » sur les terres royalistes jusqu’en 1470 et assure ainsi une forme de continuité institutionnelle de la Généralité sous mandat royal.
Conclusion
24En 1469-1470, aux Corts royalistes de Monzón, Saportella est finalement chargé d’organiser une députation avec trois députés « selon la forme nouvelle » (iuxta formam novam), c’est-à-dire en adoptant le système établi par le roi Alphonse le Magnanime en 1455, et qui mêle cooptation – chaque député et « auditeur » (oïdor) sortant doit écrire un nom pour chacune des six charges à pourvoir, ce choix est mis dans une boule de cire (rodolí de cera) – et tirage au sort (insaculació) par un enfant qui plonge la main dans un bocal où flottent les rodolins71. L’élection n’en est pas moins singulière. Saportella, unique député légitime, procède lui-même à six reprises à l’inscription de ses six successeurs potentiels… Après un temps de coexistence acceptée des deux Generalitats, les institutions fusionnent suite aux Capitulations de Pedralbes (1473) au bénéfice de la méthode et de l’orientation politique favorables à Jean II d’Aragon. La parenthèse de la guerre se referme. Elle aura non seulement marqué le pays par de nombreux dégâts, mais aussi été une période de conflits pour s’approprier le droit et la faculté de parler au nom de la communauté72, un temps riche en expérimentations dans le domaine de la représentation politique. Le Conseil représentant le Principat de Catalogne est alors définitivement condamné, ses registres enveloppés dans une reliure noire frappée de la lettre grecque thêta, signifiant la mort, et ils deviennent accessibles uniquement sur permission du roi. Cet enterrement aux archives est une dernière preuve de l’importance prêtée à l’affaire par le pouvoir royal. Le régime de représentation politique de la Catalogne a été soumis durant la guerre civile à une telle épreuve que le rétablissement d’une Generalitat et d’institutions autorisées par Jean II sont jugés à eux seuls insuffisants, et qu’il paraît nécessaire, outre les concessions nombreuses octroyées aux Catalans, de mettre le passé sous clef pour éviter les retours de discorde. Il s’agit alors de tout faire pour empêcher que ne se reproduise l’expérience d’un Principat de Catalogne faisant fi du roi d’Aragon, son « seigneur naturel » – autrement dit légitime par l’hérédité et par son bon gouvernement73 –, de passer sous silence une part de l’histoire pour mieux gouverner, avec une représentation politique du territoire dûment autorisée par le pouvoir royal74.
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Notes de bas de page
1Batlle Gallart Carmen, La crisis social y económica de Barcelona a mediados del siglo xv, 2 vol., Barcelone, 1973 ; Ryder Alan, Alfonso the Magnanimous, King of Aragon, Naples and Sicily, 1396-1458, Oxford, 1990 ; La Corona d’Aragona ai tempi di Alfonso il Magnanimo. XVI Congresso Internazionale di Storia della Corona d’Aragona, 2 vol., Naples, 2000. Sur la question des remences, voir Freedman Paul, The Origines of Peasant Servitude in Medieval Catalonia, Cambridge, 1991 ; Fernàndez i Trabal Josep, « El conflicte remença a la Catalunya del segle xv », Afers, no 42-43, 2002, p. 587-624 ; Ortí Gost Pere, « Els remences i l’exercici de la jurisdicció als segles xiv i xv : una lluita pel poder polític », in Rosa Lluch Bramon, Pere Ortí Gost, Francesco Panero et Lluís To Figueras (dir.), Migrazioni interne e forme di dipendenza libera e servile nelle campagne bassomedievali, Cherasso, 2015, p. 125-153.
2Sur Charles de Viane, voir Desdevises du Dézert Georges, Don Carlos d’Aragon, prince de Viane, Paris, Armand Colin, 1889 ; Raufast Chico Miguel, « ¿Recibir al primogénito ? Política y ceremonia en las entradas del príncipe de Viana en Barcelona (1460-1461) », in Eloísa Ramírez Vaquero et Roser Salicrú i Lluch (dir.), Cataluña y Navarra en la Baja Edad Media, Pampelune, 2010, p. 265-322 ; Miranda Menacho Vera-Cruz, El príncipe de Viana en la Corona de Aragón (1457-1461), thèse, dir. Roser Salicrú Lluch et Eloísa Ramírez Vaquero, Universidad de Barcelona, 2011.
3Sur la « guerre civile catalane », qui fut d’abord longtemps considérée comme une « révolution », voir Calmette Joseph, Louis XI, Jean II et la Révolution catalane (1461-1473), Toulouse, Privat, 1903 ; Vicens Vives Jaime, Juan II de Aragón (1398-1479) : monarquía y revolución en la España del siglo xv, éd. Paul H. Freedman et Josep M. Muñoz i Lloret, Pampelune, 2003 (1953) ; Sobrequés i Vidal Santiago et Sobrequés i Callicó Jaume, La guerra civil catalana del segle xv, 2 vol., Barcelone, 1973 ; Ryder Alan, The Wreck of Catalonia. Civil War in the Fifteenth Century, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; Pere Verdés, « Les villes catalanes pendant la guerre civile (1462-1472) », in Christiane Raynaud (dir.), Villes en guerre (xive-xve siècles), Aix-en-Provence, 2008, p. 161-188 ; Raufast Chico Miguel, « Ceremonia y conflicto : entradas reales en Barcelona en el contexto de la guerra civil catalana (1460-1473) », Anuario de Estudios Medievales, vol. 38, no 2, 2008, p. 1037-1085 ; Muxella Prat Imma, La terra en guerra. L’acció de les institucions durant el regnat de Renat d’Anjou (1466-1472), tesi doctoral, Universitat de Barcelona, 2013 ; Péquignot Stéphane, « Dans la discorde, avant la “ruine”. Barcelone, lieu d’expérimentation politique durant la guerre civile (1462-1472) », in Emmanuelle Tixier du Mesnil et Gilles Lecuppre (dir.), Désordres créateurs. L’invention politique à la faveur des troubles, Paris, Kimé, 2014, p. 65-105.
4Lettre du Conseil du Principat à Dom Pedro du Portugal, le 27 octobre 1463, Barcelone (Codoin, t. XXIV, p. 223).
5Sur le Consell de Cent, voir en première orientation Rovira i Solà Manuel et Riera i Viader Sebastià (dir.), El temps del Consell de Cent, 2 vol., Barcelona Quaderns d’Història, no 4-5, 2001.
6Maria Solé i Sabaté Josep (dir.), Història de la Generalitat i dels seus presidents, Barcelone, 2003 ; Sánchez de Movellán Torent Isabel, La diputació del General de Catalunya (1413-1479), Barcelone, 2004 ; Riera Melis Antoni, « La Diputació del General de Catalunya, 1412-1444. El desenvolupament d’una administració autonòmica medieval en un context conflictiu », Acta historica et archaeologica mediaevalia, 30, 2009/2010, p. 153-249.
7Sur cet aspect, voir les développements infra.
8À une échelle et avec une ambition bien plus modestes, cette façon de procéder rejoint l’approche d’Hofmann Hasso, Repräsentation. Studien zur Wort-und Begriffsgeschichte von der Antike bis ins 19. Jahrhundert, Berlin, 2003 (1977).
9Zimmermann Michel, Écrire et lire en Catalogne, ixe-xiie siècle, 2 vol., Madrid, 2003 ; id., « Les origines de la Catalogne d’après les “Gesta comitum barcinonensium”. Mythe fondateur ou récit étiologique ? », in Dominique Barthélemy et Jean-Marie Martin (dir.), Liber largitorius. Études d’histoire médiévales offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Genève, 2003, p. 517-544.
10Usatges, 64. Sur la polysémie du « principatus », voir Oudart Hervé, « Introduction générale. Prince et principat durant l’Antiquité et le Moyen Âge : jalons historiographiques », in id., Jean-Michel Picard et Joëlle Quaghebeur (dir.), Le prince, son peuple et le bien commun, Rennes, PUR, 2013, p. 7-52.
11Pacaut Marcel, « Recherches sur les termes “Princeps, principatus, prince, principauté” au Moyen Âge », Les Principautés au Moyen Âge, Bordeaux, Société des historiens médiévistes, 1973, p. 26.
12Kagay Donald J., « The king’s right must be preferred to the lord’s : sovereignty and suzereinty in the treatises of Pere Albert », in id., War, government, and society in the medieval Crown of Aragon, 2007, p. 693-703 ; Ferran i Planas Elisabet, El jurista Pere Albert i les « Commemoracions », Barcelone, Universitat Pompeu Fabra, 2006.
13Sabaté i Curull Flocel, El territori de la Catalunya medieval. Percepció de l’espai i divisió territorial al llarg de la Edat mitjana, Barcelone, 1997 ; id., « L’idéal politique et la nation catalane : la terre, le roi et le mythe des origines », in Jean-Philippe Genet (dir.), La légitimité implicite, Rome/Paris, École française de Rome/Publications de la Sorbonne, 2015, p. 85-140.
14Baiges Ignasi J., Feliu Gaspar et Salrach Joseph M. (dir.), Els pergamins de l’Arxiu Comtal de Barcelona, de Ramon Berenguer II a Ramon Berenguer IV, Barcelone, Fundació Noguera, 2010, vol. III, doc. 646, p. 1081.
15Ferrer i Mallol Maria Teresa et Riu i Riu Manuel (dir.), Tractats i negociacions diplomàtiques de Catalunya i de la Corona catalanoaragonesa a l’edat mitjana, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans 2009, vol. I/1, p. 310, p. 384, p. 445-446 ; Alvira Cabrer Martín, Pedro el Católico, rey de Aragón y conde de Barcelona (1196-1213), Saragosse, 2010, t. II, doc. 261, p. 399 ; doc. 550, p. 658.
16Sur le procès, cf. en première approche Ensenyat Pujol Gabriel, La reintegració de la Corona de Mallorca a la Corona d’Aragó (1343-1349), Majorque, Moll, 1997, 2 vol.
17Bofarull y Mascaró Prosper (dir.), Colección de Documentos inéditos del Archivo General de la Corona de Aragón (dorénavant Codoin), Barcelone, 1850, t. 29, p. 243, 248, 298-299, 302-303,
18Codoin, t. 30, p. 223.
19Codoin, t. 29, p. 223, 245, 249, 299, 303, 312, 317, 329 ; Codoin, t. 30, p. 66, 69, 253, 273, 278, 279, 287, 297, 303, 308, 344, 348, 357, 364.
20Codoin, t. 30, p. 248, 298-299, 302-303, 303, 308-309.
21Codoin, t. 29, p. 26, 27, 29, 30 ; Masiá de Ros Ángeles, Relación castellano-aragonesa desde Jaime II a Pedro el Ceremonioso, Barcelone 1994, vol. II, p. 352-360, 369-383, 396-398, 411-422, 447, 459-476, 536-7, 545-552, 578-581, 592-4, 597-605.
22Lecoy de la Marche Albert, Les relations politiques de la France avec le royaume de Majorque, Paris, 1892, t. I, p. 348-349.
23Pere el Ceremoniós, Crònica, Ferran Soldevila (éd.), Les quatre grans cròniques, Barcelone, Selecta, 1971, p. 1001-1225, en particulier p. 1029, 1041-1042.
24Cortes generales de los reinos de Aragón, de Valencia y del Principado de Cataluña (dorénavant : Cortes), Madrid, Real Academia de la Historia, 1896, t. I, p. 331, 362.
25Ibid., t. II, p. 308, aux Corts de Tortosa, présentée comme indissociable du Principat : « sit membrum notabile et insigne Comitatus Barchinone et Cathalonie principatus ne unquam ipsa Civitas ab ipsis Comitatu et Principatu valeat separari ».
26Sabaté i Curull Flocel, El territori de la Catalunya medieval, op. cit., p. 339-349 ; id., « L’idéel politique et la nation catalane », art. cité, p. 105 notamment. Le terme figure également dans les testaments royaux à partir de cette même période (Udina i Abelló Antoni, Els testaments dels comtes de Barcelona i dels reis de la Corona d’Aragó de Guifré Borrell a Joan II, Barcelone, Fundació Noguera 2001, p. 357-8, 372, 385-386).
27Vue d’ensemble dans Sánchez Martínez Manuel, El naixement de la fiscalitat d’Estat a Catalunya (segles xii-xiv), Vic, Universidad de Girona, 1995.
28Sánchez Martínez Manuel et Ortí Gost Pere (dir.), Corts, parlaments i fiscalitat a Catalunya : els capítols del donatiu (1288-1384), Barcelone, 1997, p. 191-192, 229-230 ; Sabaté i Curull Flocel, El territori de la Catalunya medieval, op. cit., p. 339-349 ; id., « L’idéel politique et la nation catalane », art. cité, p. 112, 113, 130-134.
29Sesma Muñoz Ángel José (dir.), Acta Curiarum Regni Aragonum. Parlamentos del Interregno, Saragosse, 2011, t. VII, vol. 1 et 2, passim.
30Riera Melis Antoni, « La Diputació del General de Catalunya », art. cité.
31Sans i Travé Josep Maria (éd.), Dietaris de la Generalitat de Catalunya (dorénavant Dietaris), Barcelone, Generalitat de Cataluña, 1994, t. I, p. 111, 118, 151, 156-159, etc.
32Tomic Pere, Històries e conquestes del realme d’Aragó e principat de Catalunya, éd. Joan Iborra, Catarroja, Editorial Afers, 2009, p. 183-184, 196-197, 227, 235, 237, 244, 246, 249, 253, 259, 263, 275, 282-283.
33À la fin de la guerre civile, « l’identification du Principat avec la Catalogne devient si complète qu’elle peut se passer de référent royal » (Sabaté i Curull Flocel, El territori de la Catalunya medieval, op. cit., p. 346).
34Le travail essentiel est ici celui d’Imma Muxella Prat, qui offre une reconstitution précise d’un affrontement interprété comme celui de l’autoritarisme (royal) et de la défense (catalane) du pactisme, en soulignant notamment l’importance des procédures juridiques engagées par les Catalans (la « terre ») pour faire valoir leurs droits (Muxella Prat Imma, La terra en guerra, op. cit. notamment p. 33-76 ; ead., « El cas del Príncep de Viana : contrafacció reial i resposta constitucional », Butlletí de la Societat Catalana d’Estudis Històrics, no 27, 2016, p. 321-358). Ces matériaux ont également été analysés par Jaume Sobrequés, qui en déduit une ligne de continuité entre le « nationalisme » (évidemment problématique pour le Moyen Âge) des Catalans opposé au roi et celui des hommes de notre temps, ce qui me semble relever d’une approche téléologique (Sobrequés i Callico Jaume, « Nació, nacionalisme i ordre constitucional català durant la guerra civil del segle XV », dans Enfrontaments civils : postguerres i reconstruccions, Lleida, vol. I, 2002, p. 104-121 ; id., « El primer memorial de greuges del catalanisme polític : l’ambaixada de la diputació del General i del Consell del Principat a Joan II (1460-1461) », Butlletí de la Societat Catalana d’Estudis Històrics, XVI, 2005, p. 9-35).
35Blockmans Wim, « Des conditions pour une participation politique effective dans l’Ancien Régime », in Jean-Philippe Genet, Dominique Le Page et Olivier Mattéoni (dir.), Consensus et représentation, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 527.
36Dietaris, t. I, p. 157 ; Codoin, t. 14, p. 47.
37Sur les enjeux des lettres de convocation, voir Hébert Michel, Parlementer. Assemblées représentatives et échange politique en Europe occidentale à la fin du Moyen Âge, Paris, de Boccard, 2014, p. 81-132.
38Les correspondances entre les différentes institutions peuvent être suivies dans leurs registres de chancellerie, conservés aux Archives municipales de Barcelone et aux Archives de la Couronne d’Aragon.
39Muxella Prat Imma, « El cas del Príncep de Viana », art. cité, p. 349 ; id, La terra en guerra, op. cit., p. 68.
40Codoin, t. 14, p. 16-17, p. 22. La notion est de façon significative beaucoup plus usitée alors dans le diaire de la Generalitat. Le Dietari de 1411-1473 comprend 10 mentions du Principat pour les années 1413-1453, 23 pour la seule année 1461, 15 pour 1462 et 20 pour 1463 (Dietaris, op. cit., t. I, passim). Pour aller plus loin, il serait assurément utile de mener à bien une lemmatisation du corpus disponible afin de mesurer et d’analyser les occurrences et cooccurrences de ces différents termes, en particulier de ceux relevant du champ lexical de la « représentation ». Je remercie Yves Sintomer pour cette suggestion. L’importance du corpus rendrait nécessaire un autre article pour développer pleinement cette méthode de lexicologie politique.
41Codoin, t. 14, p. 89-90, 146-149, 208-209, 245, notamment.
42« Aquella fi en la qual no va poch als poblats de aquell principat » (ibid., p. 146).
43Ibid., t. 14, p. 106-109.
44« Dicmenge, a XXV. Missatgeria. Aquest die lo Parlament General del principat de Cathalunya, qui staven congregats en la casa de la Deputació, publicaren una elecció de XXXXV embaxadors, los quals havien càrrech de anar al senyor rey e de ajustar-se ab los XV embaxadors qui ja primer hi eren anats per part del dit Principat. E tots LX ensemps havien càrrech de entendre en lo desliurament e liberació de la persona del senyor príncep, lo qual lo senyor rey tenia pres, la nòmina dels quals XXXXV són continuats en lo procés o memorial fet per aquesta raó en la scrivania de la Deputació del dit General » (Dietaris, t. I, p. 157).
45Codoin, t. 14, p. 168, 170, 180, 243 notamment.
46Muxella Prat Imma, « El cas del Príncep de Viana », art. cité, notamment p. 335.
47Lettre des députés et du Conseil du Principat à leurs ambassadeurs auprès de Jean II, le 21 janvier 1461 (ibid., p. 261-262).
48Ibid., p. 42-49.
49Instructions aux ambassadeurs auprès du roi Jean II du 9 décembre 1460 (ibid., p. 8-13), puis les correspondances ultérieures entre le Conseil et ses représentants, éditées dans le même volume.
50Ibid., p. 42-49.
51Ibid., p. 12.
52Ibid., p. 28-29, 41, 160, 164.
53Ibid., p. 171.
54Voir Péquignot Stéphane, « “La pràticha de aquesta ciutat e principat”. Réflexions sur l’action diplomatique des autorités catalanes à la veille et au début de la guerre civile (1461-1464) », in Gisela Naegle (dir.), Frieden schaffen und sich verteidigen im Spätmittelalter / Faire la paix et se défendre à la fin du Moyen Âge, Munich, De Gruyter, 2012, p. 163-188.
55C’est là franchir un pas supplémentaire par rapport au rôle essentiel que s’était déjà arrogé la Diputació del General dans le processus électif qui conduisit à la sentence de Caspe en 1412 et à la désignation de Ferdinand de Antequera comme nouveau roi d’Aragon. Sur le « compromis de Caspe », pour lequel il existe une bibliographie considérable, voir en première approche Flocel Sabaté i Curull, « El compromiso de Caspe : ¿Ruptura dinástica o modelo de estado ? », in Sabaté i Curull Flocel (dir.), Ruptura i legitimació dinàstica a l’Edat Mitjana, Lérida, Pagès, 2015, p. 279-290.
56Sur les serments prêtés par les rois d’Aragon à l’occasion de leur couronnement depuis la fin du xiiie siècle, ainsi que sur l’évolution normative en ce domaine, liée à celle de la mise en écrit du droit catalan dont la Generalitat se présente comme garante, voir en particulier Ferro Víctor, El dret públic català. Les institucions a Catalunya fins al Decret de Nova Planta, Vic, Eumo, 1987, p. 31-34 ; Bajet Royo Montserrat, El jurament i el seu significat jurídic al principat segons el dret general de Catalunya (segles xiii-xviii) : edició de la « Forma i pràctica de celebrar els juraments i les eleccions a la ciutat de Barcelona en el segle xv », Barcelone, Universitat Pompeu Fabra, 2009, p. 42-50.
57Sur ces aspects, voir Stéphane Péquignot, « Dans la discorde, avant la ruine », art. cité.
58Sur cette notion, voir de manière générale Hébert Michel, Parlementer, op. cit.
59Cortes, t. XXIV, en particulier p. 58-59.
60Ibid., passim ; Sánchez de Movellán Torent Isabel, La diputació del General de Catalunya, op. cit., p. 50.
61Codoin, t. 25.
62Voir néanmoins Sobrequés i Vidal Santiago et Sobrequés i Callicó Jaume, La guerra civil catalana, op. cit., t. I, p. 431-435.
63Ibid. ; Dietaris, t. I, p. 175 ; Sánchez de Movellán Torent Isabel, La diputació del General de Catalunya, op. cit., p. 530.
64Codoin, t. 25, p. 16.
65Ibid., p. 12-13.
66Ibid., p. 21, 23-24.
67Ibid., p. 44-47.
68Ibid., p. 184, 185, 203.
69Ibid., p. 39.
70Ibid., p. 39, 57, 310, 391.
71La désignation des députés a d’abord été effectuée par les Corts, puis, à partir de 1413, par un système de cooptation entre les députés sortants. Le changement de 1455 vise à mettre un terme aux abus et à la corruption, à limiter la domination oligarchique. Le système sera à nouveau modifié à la fin du xve siècle. Sur cette question, voir notamment Riera i Melis Antoni, « La Diputació del General de Catalunya, 1412-1444 », art. cité, p. 183-184 ; id., « La Diputació del General de Catalunya, 1412-1458. Desenvolupament de les estructures i ampliació de les competències », in Maria Teresa Ferrer i Mallol (dir.), Josep Maria Roig Rosich (coord.), Història de la Generalitat de Catalunya. Dels orígens medievals a l’actualitat, 650 anys, Barcelone, Generalitat de Catalunya/Institut d’Estudis Catalans, 2011, p. 43-72, ici p. 60-71 ; en particulier p. 69. L’instauration du tirage au sort est développée de manière contemporaine pour les charges électives dans les villes catalanes au xve siècle (Torras i Ribé J. M., Els municipis catalans de l’antic règim [1453-1808] [Procediments electorals, òrgans de poder i grups dominants], Barcelone, Curial, 1983, p. 59-68).
72Intéressants éléments de comparaison dans della Misericordia Massimo, « Principat, communauté et individu au bas Moyen Âge : cultures politiques dans l’État de Milan », Médiévales, no 57, 2009, p. 93-111.
73Ces significations sont attestées en Castille pour la période, alors qu’en France se développe également, à l’occasion de la guerre de Cent Ans, l’idée d’une naturalité ethnique ou territoriale du prince. Voir Krynen Jacques, L’Empire du roi. Idées et croyances politiques en France, xiiie-xve siècles, Paris, 1993, en particulier p. 331-332 ; Torres Sans Xavier, « Els naturals i el rei natural en la Catalunya de la guerra dels Segadors : a propòsit d’un Sermó de Gaspar Sala », Estudi General. Revista de la Facultat de Lletra de la Universitat de Girona, no 21, 2001, p. 221-240, ici p. 227-234. Je remercie Corinne Peneau d’avoir attiré mon attention sur ce point.
74On notera pour finir la soutenance le 19 novembre 2019 de la thèse de Rogerio Ribeiro Tostes, « De Verbis Potestatis ». A representatividade política na Catalunha de Pedro, o Cerimonioso, um exemplo na semântica europeia, à l’université de Lérida (dir. F. Sabaté). Cette thèse encore inédite n’a pas été consultée pour la réalisation de cet article.
Auteur
-
Stéphane Péquignot
Directeur d’études à l’École pratique des hautes études (Paris), membre de l’équipe Saprat et chercheur associé à l’université Nouvelle de Lisbonne (Institut d’études médiévales). Ses travaux portent sur la diplomatie et les pratiques de négociation du Moyen Âge au xvie siècle, ainsi que sur la Couronne d’Aragon, le royaume de Majorque, la Catalogne et l’histoire des archives. Il a notamment dirigé avec Jean-Marie Moeglin Diplomatie et « relations internationales » au Moyen Âge, ixe-xve siècles (Paris, PUF, Nouvelle Clio, 2017).

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