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Chapitre VII. France : un modèle généraliste en question
p. 123-148
Texte intégral
1En France comme dans d’autres pays européens, c’est dans la seconde moitié du XIXe siècle qu’apparaissent, sous l’impulsion de philanthropes et d’entrepreneurs « éclairés », les premières ébauches de logement social (Guerrand, 1967 ; Flamand, 1989). Il s’agissait alors, dans un élan qui mêlait charité et intérêt bien compris, de s’attaquer à la question du logement ouvrier, dont les conditions exécrables entretenaient la misère urbaine. Malgré la création des Offices de l’habitat dès 1912, et quelques tentatives exemplaires de développement du logement social dans les années 1920 et 1930, notamment à Paris, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, plus précisément à partir de 1955, que le parc connut un développement significatif. Il avait alors vocation à résoudre le problème du mal logement qui, dans le contexte dramatique de pénurie de logements de l’après-guerre, concernait la grande majorité de la population salariée. Les années 1960 ont été celles de la production de masse de logements sociaux, notamment sous la forme de grands ensembles, pouvant atteindre plusieurs milliers de logements, installés en périphérie des grandes villes. Cette véritable industrialisation de la construction s’est appuyée sur une alliance étroite entre les constructeurs, les financeurs, les architectes-urbanistes et l’État avec l’aval des municipalités ouvrières. L’afflux de populations rapatriées d’Afrique du Nord a contribué à justifier ce tournant. À la fin des années 1960, le passage par le logement social, devenu en quelque sorte le logement salarial standard, constituait ainsi une étape normale dans le « parcours résidentiel » de la classe moyenne, parcours ascendant qui se terminait éventuellement (mais pas nécessairement, tant le modèle locatif restait dominant) par l’accession à la propriété. Ce « modèle », cependant, laissait de côté les plus modestes et la plupart des immigrés, pour lesquels étaient mises en place des filières particulières (cités de transit, foyers Sonacotra).
2Dès le début des années 1970 cependant, le système de financement direct de la construction, dit « d’aide à la pierre », était critiqué pour des raisons tenant à la fois à son coût budgétaire, à son supposé manque d’équité et à son caractère ségrégatif, lié aux conditions de l’offre foncière. Suite au rapport Barre (1975), et pour répondre à la volonté politique du président Giscard d’Estaing, un tournant majeur était alors pris en 1977, en faveur des aides à la personne et du développement de l’accession à la propriété, et au détriment de l’aide à la pierre. Le paysage du logement social s’en est trouvé profondément bouleversé. La réforme du financement de 1977 (loi Barrot) a en effet favorisé une mobilité sélective, les classes moyennes sortant de plus en plus du logement social, et les familles immigrées y accédant beaucoup plus largement.
3Au cours des années 1980, l’entrée dans le chômage de masse et le durcissement des ségrégations socio-raciales sur les marchés de l’emploi et du logement, ont contribué à la dégradation de nombreux quartiers d’habitat social des années 1960, fragilisés par le sous-emploi et une maintenance insuffisante, et transformés en véritables « zones de relégation » de populations défavorisées. En même temps, la fin de l’inflation et le faible rythme d’augmentation des revenus mettaient en crise le modèle « giscardien » d’accession à la propriété, finalement abandonné en 1995 avec la suppression des prêts PAP2.
4Depuis lors, la politique française du logement semble dépourvue de doctrine claire, et se cherche à travers des mesures partielles. Au fil du temps, s’est cependant dessiné un certain équilibre entre les dispositifs de soutien à l’accession, d’aide au locatif social et d’incitation à l’investissement locatif privé, qui explique la combinaison particulière de statuts d’occupation caractéristique de la situation française (voir Tutin, 2008). Pour autant, l’équilibre entre l’offre et la demande n’est toujours pas réalisé. Les déséquilibres tendent même à gagner de multiples segments du marché sur lesquels, conformément à la tradition généraliste française mais dans des formes renouvelées, le logement social est un acteur potentiel.
5Sa place dans le système d’habitat n’était d’ailleurs pas sérieusement mise en cause jusqu’à la dernière élection présidentielle, et après un net déclin au cours des années 1990 (en partie seulement compensé par une politique d’acquisition de logements anciens), l’effort de construction de HLM avait repris, sous l’impulsion du plan de cohésion sociale lancé en 2004. À aucun moment ne s’est engagé le processus de « résidualisation » du logement social observé dans d’autres pays européens. Cependant, compte tenu des orientations affichées depuis 2007, le maintien du statu quo entre statuts d’occupation n’est pas assuré pour l’avenir, et même si le contexte actuel de crise pousse plutôt au renforcement du locatif social, celui-ci n’échappe pas à la fragilisation, et aux recompositions, qui touchent l’ensemble du système de protection sociale. Il s’agit donc dans ce chapitre de décrire et d’interpréter, dans une perspective longue, les avatars du modèle généraliste « à la française ».
LE PARC SOCIAL ET SA LOCALISATION
6En janvier 2007, le secteur locatif social au sens de l’enquête PLS3 comptait environ 4,4 millions de logements (tableau 1), représentant un peu plus de 17 % des résidences principales (logements vacants et résidences secondaires exclus). Avec 69 logements sociaux pour 1 000 habitants, la France occupe ainsi une position intermédiaire en Europe, entre les Pays-Bas (155/1 000) et le Royaume-Uni (106/1 000) d’un côté, et l’Allemagne (30/1 000) et l’Italie (16/1 000) de l’autre. Avec un secteur locatif privé significatif (23 %, et même 27 % si l’on y inclut les « autres statuts »), elle présente une combinaison de statuts d’occupation assez inhabituelle en Europe, qui ne se retrouve qu’en Autriche, au Danemark, en Finlande et en Suède.
7Plus de la moitié (55 %) du parc social a été construite avant 1976, dont 29 % (soit 1,12 millions de logements : plus de 110 000 par an) entre 1966 et 1975, décennie au cours de laquelle ont été édifiés de nombreux quartiers d’habitat social monofonctionnels. Les HLM livrées après 1995 représentent 10 % du parc social, et celles d’avant 1956 7 % seulement.
Tableau 1 : Parc de logements sociaux

Source : MEEDDAT SESP, EPLS au 1er janvier 2007, et RP rénové 2004.
8Le parc a connu une progression lente mais continue depuis vingt ans (1 million de HLM supplémentaires entre 1984 et 2006). Son évolution résulte chaque année du solde des constructions, acquisitions, ventes et démolitions. En dépit de la volonté affichée par le gouvernement, la construction de logements sociaux, qui avait atteint un niveau d’étiage au milieu des années 1990 (autour de 30 000 mises en chantier) a eu le plus grand mal à repasser le seuil symbolique des 50 000 par an.
9Quelque 56 000 logements sociaux avaient été livrés en moyenne au cours des années 1990, chiffre tombé à moins de 44 000 par an entre 2000 et 2003. Malgré une nette remontée de la construction neuve (autour de 60 000 mises en chantier en 2007), le ralentissement des acquisitions, joint à la progression programmée des ventes (9 000 en 2006) et des démolitions (13 000 en 2006), laisse craindre que l’addition nette au parc (43 000 livraisons en 2006) n’augmente guère dans les années à venir, mais reste autour des 40 000 logements par an qu’elle atteint en moyenne depuis 1995. La situation est particulièrement préoccupante en Île-de-France, où les mises en chantier de logements sociaux ont été divisées par plus de trois entre 1994 et 2007, passant de presque 18 000 à un peu plus de 5 000.
Graphique 2 : Construction de logements sociaux entre 1994 et 2007, nombre de mises en chantier de logements HLM + SEM

Source : MEDAD.
10Le parc est constitué à plus de 85 % d’appartements, proportion qui atteint 97 % en région parisienne, 96 % en Alsace et 94 % en Provence Côte-d’Azur. La part des maisons individuelles est nettement plus forte dans les constructions neuves, dont elles ont représenté en 2006 le tiers des mises en service au niveau national. Les bâtiments ou les programmes de plus de 100 unités représentent 31 % du parc et 56,5 % autour de Paris. Les grands ensembles de plus de 500 appartements représentent moins de 6 % du parc au niveau national, mais leur part s’élève jusqu’à 12 % en région parisienne. Les deux tiers des logements HLM ont 3 ou 4 pièces, ainsi qu’on peut le voir sur le tableau 1.
11Le parc social est principalement urbain : 62 % sont localisés dans des villes ou des agglomérations de plus de 100 000 habitants, dont 27 % en région parisienne, tandis que 14 % se trouvent dans des villes de moins de 10 000 habitants, voire des zones rurales. La densité du parc est nettement inférieure à la moyenne dans les régions situées à l’ouest de la diagonale Cherbourg-Grenoble (voir carte 1).
12Les disparités sont plus fortes encore dans la localisation intra urbaine du parc locatif social. Dans les grandes métropoles, certaines communes sont presque totalement dépourvues de logements sociaux, tandis que dans d’autres le pourcentage de logements HLM peut s’élever jusqu’à 70 % du parc de logements, voire 100 % à l’échelle d’un quartier. Cette polarisation spatiale est particulièrement importante à Paris, Lyon et Marseille. C’est ainsi que dans la commune de Neuilly, en région parisienne, les logements sociaux ne représentent que 1,2 % de l’ensemble du parc, alors qu’ils dépassent les 70 % à Gennevilliers ou à Saint-Denis, pour ne donner que des exemples franciliens. Le cas des 20 arrondissements parisiens fournit aussi l’illustration de tels déséquilibres. Le contraste est moins accentué dans d’autres agglomérations telles que Lille ou Rennes.
Carte 1 : Densité du parc social (nombre de logements pour 1 000 habitants au 01-01-2007)

Source : MEEDDAT/SEPS, EPLS au 1er janvier 2007.
13À côté des phénomènes de concentration spatiale qui le marquent, le parc social est caractérisé par une grande hétérogénéité de produits, de peuplement et d’insertion urbaine. À un niveau très global, il est éclaté entre un parc « périphérique », principalement hérité des années 1960 et 1970, où les programmes sont souvent dégradés, et un parc « central » beaucoup plus attractif. Les 752 ZUS (zones urbaines sensibles) qui regroupent les quartiers les plus dégradés comprennent près d’un million de logements sociaux (soit près de 25 % du parc HLM). 120 d’entre elles sont situées dans 3 départements : le Nord, le Rhône et la Seine-Saint-Denis. L’importance des ZUS ne doit cependant pas faire oublier que les trois quarts du parc social sont situés en dehors de ces dernières. La segmentation interne du parc social recoupe à la fois des différences de localisation, d’âge des constructions et de type de programme (financement initial et forme du bâti). Précocement vétustes, de nombreuses HLM « ordinaires » bâties avant 1977 offrent par exemple une qualité d’usage aujourd’hui bien inférieure à celle des actuelles HLM « très sociales ».
14Il existe trois grands types de logement social, correspondant à trois types de prêts réglementés proposés par l’État, et auxquels sont associées des contraintes différentes en termes de loyers et de revenus plafonds, et donc des populations cibles également très différentes. Par commodité, on les qualifiera de « standard » (il s’agit des logements HLM aujourd’hui financés par les prêts PLUS, et par les prêts PLA avant 19994), « supérieur » (pour le PLS) et « inférieur » (ou « très social »). Cette diversification des « produits » offerts par le secteur HLM remonte aux années 1960, avec les PSR d’un côté, et les ILN de l’autre. Elle allait de pair avec l’affirmation du caractère « généraliste » du secteur HLM. Depuis, cette vocation plurielle s’est affirmée tout en se redéfinissant, diverses mesures (comme l’ouverture des PLA-TS à partir de 1994) ayant contribué à une plus grande implication du secteur dans une nouvelle offre de logement ou d’habitat temporaire, en liaison avec le secteur associatif dont l’influence grandit. Ainsi, le logement social se spécialise « par le haut et par le bas », comme on peut le voir sur le tableau suivant, au détriment de l’offre « standard ».
15Jusqu’en 1977, le logement social standard a représenté 81 % du total, mais cette proportion est tombée en dessous de 70 % au cours des dernières années. Depuis 2000, l’État a également favorisé, comme le montre le tableau 2 ci-dessous, la construction de logements sociaux « supérieurs » (les PLS). Sur la période 2000-2004, 26 % des prêts subventionnés par l’État sont allés à des programmes PLS, à comparer aux 7 % que représentaient leurs équivalents ILN et ILM d’avant 1977 (et aux 12 % entre 1977 et 2003). De leur côté, les logements « très sociaux » ont représenté un peu moins de 10 % des HLM récemment mis en service. Ce glissement apparaît, selon les derniers rapports sur l’état du mal-logement établi par la Fondation Abbé Pierre, (2007 et 2008), comme l’une des causes du manque croissant de logements abordables.
Tableau 2 : Catégories de logement social *

* Ces catégories sont liées aux différents types de prêts subventionnés – voir tableau B annexe.
** Généralement qualifié dans les documents officiels de « logements intermédiaires ».
Source : PLS 2004 et DGUHC.
ORGANISATION ET FINANCEMENT DU SECTEUR LOCATIF SOCIAL
16Le secteur HLM français comprend deux grandes familles de bailleurs sociaux :
- les offices publics, qui sont des organismes publics financés et contrôlés par les collectivités locales ;
- les entreprises sociales d’habitat (ESH), qui ont le statut de sociétés privées, mais ne visent pas la maximisation de leur profit.
17Les deux composantes du secteur HLM ont un parc essentiellement composé de logements sociaux standard, lesquels représentent 80 % et 78 % de leur parc respectivement, mais les premiers offrent une plus grande proportion de logement social « inférieur » (ou très social) (10 % de leur parc, contre seulement 7 % pour les ESH) et les seconds une plus grande proportion de logement sociaux « supérieurs » (ou « intermédiaires ») : 8 % de leur parc, contre 4,5 % pour les Offices).
18En 1977, un système de conventionnement entre l’État et les bailleurs sociaux a été mis en place. L’accès aux aides à la pierre et aux financements privilégiés (subventions, prêts sur fonds d’épargne, et divers avantages fiscaux5) est suspendu à ce conventionnement, qui détermine par ailleurs les devoirs du bailleur (attributions sous conditions de ressources, loyer maximum, réservations) et ouvre le droit à l’aide personnelle (APL) pour les locataires. Un programme peut être conventionné au moment de sa construction ou de son acquisition par le bailleur, ou à l’occasion de travaux d’amélioration financés par une aide de l’État, ou encore, depuis 1988, sans travaux, dans le cadre d’un accord de conventionnement du patrimoine existant. La proportion de logements HLM conventionnés a fortement progressé dans les années 1990, pour atteindre 93,1 % en 2004.
19Les bailleurs sociaux bénéficient de prêts spécifiques de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), financés par des dépôts d’épargne défiscalisés (Livret A). Ceux-ci viennent d’être réformés sous la pression de la Commission européenne, qui leur reprochait de n’être distribués que par les réseaux de la Banque postale et des caisses d’épargne. Il s’agit de prêts à long terme (40 ans pour la construction, 50 ans pour la location) dont le taux est lié à celui du Livret A, qui varie lui-même avec l’Euribor et l’inflation.
20Les conditions de financement et de production du logement social ont connu divers changements au cours des vingt dernières années, dont le rythme est en train de s’accélérer. Même si c’est toujours l’État qui garantit les prêts consentis par la Caisse de dépôts et consignations, qui définit les besoins et décide des aides accordées au logement social, le rôle des collectivités locales n’a cessé de s’accroître. Ces dernières supervisent les bailleurs sociaux, cofinancent les programmes de logement social, et sont responsables de l’urbanisation. La deuxième loi de décentralisation de 2004, qui autorise des intercommunalités (communautés de communes ou d’agglomération) à assumer la responsabilité de la distribution des prêts publics pour le logement social est l’un des changements les plus récents. Plusieurs dizaines de groupements intercommunaux ont déjà signé un accord avec l’État, et ce nombre devrait augmenter rapidement au cours des prochaines années, malgré les réserves émises par de nombreuses villes qui craignent que l’État ne leur transfère également la charge financière du logement social.
21En dehors des ressources propres des organismes, le financement du logement social est assuré par l’État et les collectivités locales. Les employeurs y contribuent également à travers le « 1 % logement » (taxe sur les salaires, dont le taux est en fait de 0,46 % aujourd’hui), cette participation des entreprises, gérée de façon paritaire, étant l’autre originalité (avec le livret A) du système français de financement du logement social. Le volume total des aides de l’État au logement social a fortement baissé au cours de 20 dernières années (voir l’annexe C pour le détail) : il n’était plus que de 1,8 milliards d’euros en 2004, contre 2,8 en 1984. Les aides fiscales6 ont augmenté (de 298 millions d’euros à 440 millions d’euros), mais les aides de taux sont passées de 2,2 milliards d’euros en 1984 à seulement 329 millions d’euros en 2004 (essentiellement en raison du faible niveau actuel des taux d’intérêt du marché). Avec 455 millions en 2004 contre 442 millions d’euros en 1997, les aides directes sont stables en valeur. Elles ne représentent que 5 % des coûts de la construction, mais elles exercent un effet de levier sur d’autres financements. Simultanément, les aides personnelles au logement ont enregistré une progression continue, passant de moins de 5 milliards d’euros en 1984 à plus de 14 milliards d’euros en 2004. Elles représentent plus de 55 % du coût budgétaire total de la politique de logement, mais leur pouvoir solvabilisateur a diminué dans la période récente.
PEUPLEMENT DU PARC SOCIAL ET SÉGRÉGATION SPATIALE
22Le système français de logement social appartient à la famille des systèmes généralistes, par opposition aux systèmes dits « résiduels » ou ciblés, mais de nouvelles tendances ont fait leur apparition au cours des deux dernières décennies.
23Les revenus des ménages candidats à un logement social ne doivent pas excéder certains plafonds, qui dépendent du type de programme concerné (HLM standard, supérieure ou inférieure), mais sont assez élevés : de l’ordre de 40 000 € annuels en 2006 pour un ménage avec deux enfants prétendant à un logement PLUS standard. En 2007, la proportion de ménages pouvant prétendre à un logement social était de 35 % des ménages pour le très social, 71 % pour les HLM standard (PLUS), et 80 % pour les programmes PLS de logements « intermédiaires » (Chodorge, 2006)7.
Tableau 3 : Ménages habitant un logement social : distribution des revenus par quartiles, 1973-2002

Source : INSEE, Enquêtes nationales logement (ENL), cité dans Frédéric GILLI, « Vingt ans de dépenses publiques de logement », Données sociales – la société française, édition 2006.
24Dans l’ensemble, cependant, les locataires du secteur HLM ont des revenus plus faibles que l’ensemble des locataires, et beaucoup plus faibles que ceux des propriétaires-occupants. Le revenu moyen d’un ménage français (en dehors des étudiants) était de 1 449 € par mois en 2001. Les locataires du secteur social percevaient 1 062 €, ceux du secteur privé 1 410 €, et les propriétaires occupants 1 606 €. La moitié des ménages vivant en HLM reçoivent une aide personnalisée au logement (ALF, ALS ou APL8). La concentration de ménages pauvres dans le secteur HLM s’est accentuée dans les deux dernières décennies (voir tableau 3).
25Alors que la répartition de la population par quartiles de revenus était pratiquement identique en 1973 à celle de la population française, le premier quartile a vu sa part tripler trente ans après, au détriment du 3e et surtout du 4e quartile. Une étude récente a montré que le quart des emménagés récents en HLM avaient des revenus inférieurs à 20 % du plafond.
26On observe une différenciation socio-spatiale croissante au sein du logement social. Les occupants les plus pauvres du parc social sont ceux qui habitent des quartiers défavorisés, tandis que les locataires HLM aux plus hauts revenus habitent des quartiers dont le quart au moins de la population est composé de ménages aisés (dont le chef est cadre ou profession libérale). La géographie sociale du parc HLM tend ainsi à épouser celle des villes où il est localisé.
Tableau 4 : Répartition des ménages par nationalité, statut d’occupation et taille moyenne du ménage en 2001

Les pourcentages ne totalisent pas 100 %, certains types de statut d’occupation ne figurant pas dans ce tableau.
Source : DEEF/USH, d’après ENL-INSEE.
27En termes de structures familiales, le secteur social abrite davantage de familles monoparentales (19 % des locataires en 2006, contre 15 % en 1997) et de couples avec enfants (27 % en 2006, contre 32 % en 1997) que le secteur locatif privé, qui de son côté accueille relativement plus de personnes seules. La proportion de ménages étrangers y est plus de deux fois supérieure à leur part dans la population nationale. En effet, les immigrés, qui représentaient 9,5 % des ménages en 2002, occupaient 22 % des logements HLM. Le logement social héberge 29 % des immigrés, contre 14 % de la population non immigrée. Mais ce pourcentage est beaucoup plus élevé pour les populations turques, maghrébines et d’Afrique noire : 44 %, 48 % et 38 % respectivement. La taille des ménages immigrés est supérieure à la moyenne : dans le secteur HLM, le nombre moyen de personnes par ménage est de 3,5 chez les immigrés et de 2,4 chez les autres ménages.
28Significativement, près de 70 % des immigrés résidents du secteur social (contre 55 % seulement de l’ensemble de la population du secteur) sont logés dans des programmes construits entre 1949 et 1974, dont se composent massivement les ensembles dégradés. Seuls 5 % d’entre eux logent dans les programmes les plus anciens (d’avant 1949) et les plus récents (d’après 1990).
29Comme le montre le tableau 5, la proportion d’immigrés propriétaires (presque 40 % en 2001) progresse parallèlement à celle des locataires HLM. Les autres statuts (foyers, etc.) et le locatif privé reculent de plus de 4 points entre 1996 et 2001. Cette baisse s’explique en partie par le fait que les étrangers, et plus encore les populations originaires d’Afrique noire ou des pays méditerranéens, parviennent de plus en plus difficilement à se loger dans le secteur locatif privé. La surreprésentation des immigrés dans le locatif social est l’expression du caractère relativement moins ségrégatif du secteur pris globalement.
Tableau 5 : Statuts d’occupation des immigrés et des non-immigrés, en 1996 et 2001

Source : DEEF/USH, d’après ENL-INSEE.
NOUVEAUX BESOINS ET DEMANDE DE LOGEMENTS SOCIAUX
30Le logement social est sollicité de multiples façons. Il lui est demandé de prendre en compte tout à la fois les « nouveaux » besoins des ménages, la crise énergétique, et les exigences de qualité environnementale. En moyenne, le secteur HLM affiche de meilleures performances environnementales que les autres : ses émissions de CO2 ou ses consommations d’eau seraient de 30 % inférieures à la moyenne. Le gouvernement a récemment renforcé les incitations à la construction de logements durables, et certains promoteurs de logement social mettent l’accent sur l’utilisation de matériaux écologiques et de systèmes énergétiques innovants. Ce mouvement ne fait probablement que s’amorcer, le défi consistant à ce niveau à satisfaire aux nouvelles exigences environnementales sans que cela ne pèse trop sur les coûts. L’interprétation et l’intégration de ces nouvelles normes font l’objet d’arbitrages complexes entre l’État, les constructeurs, les financeurs et les collectivités qui en rendent la généralisation improbable à court terme.
31Plus délicate encore est la question des besoins et des aspirations, nombre de ménages étant tentés, dans un contexte « d’insécurité sociale » grandissante (Castel, 2002), d’accéder à la propriété de leur logement, envisagée comme une manière d’assurance sociale. Bien que le logement social soit représenté dans une grande variété de quartiers et de villes, dont de nombreux espaces résidentiels « intermédiaires »9 et soit donc très loin de se réduire à sa fraction la plus paupérisée, il souffre d’une image de plus en plus dégradée, d’ailleurs souvent en décalage avec la perception des habitants. Une amélioration de la maintenance et de la gestion, ainsi que des services urbains de meilleure qualité, contribueraient à lui rendre une partie de son attractivité. Par ailleurs, le maintien d’un secteur locatif offrant à des prix abordables des logements bien répartis sur le territoire, conditionne la satisfaction des besoins de mobilité d’une part croissante de la population (actifs en mutation, travailleurs mobiles, jeunes en formation, etc.) en réponse aux transformations du marché de l’emploi.
32Les évolutions économiques et démographiques auront évidemment un impact important sur la demande de logements. Indépendamment de la croissance de la population, le nombre de ménages, dont l’INSEE prévoit qu’il augmentera de 275 000 par an, voire plus, va continuer de croître plus vite que l’ensemble de la population. Suite à un divorce, deux unités de logement sont nécessaires là où une seule suffisait, et ces deux unités doivent être de taille suffisante pour loger des enfants. La moitié des nouveaux ménages sera composée de célibataires, de personnes âgées et d’étudiants, catégories qui sont demandeuses de logements de petite taille et bien situés, à proximité de services de qualité. Tous ces besoins s’expriment de façon différenciée selon les territoires, ce qui renvoie à la nécessité pour les bailleurs sociaux de coller au plus près de la réalité des systèmes locaux d’habitat.
33À côté de ces demandes qualitativement nouvelles, des besoins « quantitatifs » traditionnels restent insatisfaits. Dans les années 1980, le phénomène le plus nouveau a été l’émergence de la question des sans-logis. Ce problème demeure, même si différents types de « produits d’urgence » sont apparus, gérés par des associations spécialisées ou caritatives. Depuis dix ans, le doublement des prix réels des logements a fait surgir une préoccupation nouvelle : la pénurie de logements abordables pour les ménages comprenant au moins un actif ayant un emploi. Dans la plupart des grandes métropoles, un salaire moyen ne permet plus de se loger aux conditions du marché. C’est le phénomène des travailleurs pauvres.
34Le secteur HLM doit ainsi faire face à une demande accrue, alimentée par les expulsions dues aux fortes augmentations des loyers et des prix du logement et par la précarité croissante de l’emploi sur le marché du travail. La faiblesse des taux de vacance et la longueur des listes d’attente sont des indicateurs de l’importance des besoins non satisfaits de logements sociaux. Les taux de vacance du secteur social sont nettement inférieurs à la moyenne (autour de 2,5 % contre 6,9 % sur l’ensemble du parc), mais ils varient beaucoup selon les régions, allant de moins de 2 % en Île-de-France et dans les régions Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Bretagne, à presque 5 % en Bourgogne. De même, le délai d’attente moyen, c’est-à-dire la période séparant la première demande de logement social de l’attribution d’un logement, va de quelques mois dans certains départements à plusieurs années dans d’autres10. La diminution constante du taux de mobilité des ménages dans le parc social, qui est passée de 10,1 % début 2005 à 9,6 % début 2006, et dépasse à peine 5 % à Paris (APUR, 2007), est à la fois une cause et une conséquence de ces tensions : elle est due à l’absence d’alternative, et entraîne une augmentation de la demande insatisfaite.
LES LOYERS
35Les loyers du secteur social sont nettement inférieurs à ceux du secteur privé. Le différentiel est de 30 à 40 % en moyenne, mais peut être plus considérable encore dans les grandes villes (notamment à Paris, où le ratio entre les loyers sociaux et les loyers privés est de 1 à 2, voire 1 à 3) où les marchés du logement sont les plus tendus. L’avantage ainsi obtenu par les ménages bénéficiant d’un loyer social (et qui peuvent donc augmenter d’autant leur consommation) est difficile à mesurer exactement, mais s’élève à plusieurs milliards d’euros annuel (Laferrère et Leblanc, 1999). Depuis 1997, l’écart entre les loyers privés et les loyers sociaux s’est rapidement creusé, en raison de l’augmentation rapide du prix des logements, qui retentit sur les loyers de relocation. De ce fait, il est devenu plus difficile pour de nombreux locataires, y compris ceux qui ne sont pas parmi les plus modestes, de quitter le secteur social pour le secteur privé ou pour devenir propriétaires.
36De façon générale, la dispersion des loyers est nettement moindre dans le secteur social que dans le secteur privé, ce qui s’explique à la fois par le caractère administré de ces loyers, et par la relative homogénéité du parc (beaucoup plus homogène en tout cas que le parc privé). La localisation joue peu de rôle dans les variations de loyers enregistrées, la seule différence significative en ce domaine étant celle qui sépare Paris des autres villes. Les deux facteurs les plus importants de variation des loyers HLM sont l’âge de la construction et le type de financement initial (voir ci-dessus). Assez homogènes jusqu’en 1976, les loyers augmentent en fonction de la date de mise en location si celle-ci est antérieure à 1996. Au-delà, le poids croissant des programmes très sociaux (aux loyers beaucoup plus faibles) dans un volume global d’offre neuve très faible, fait que les loyers sont plus faibles en moyenne.
Tableau 6 : Loyers moyens du secteur social, par type de zone (€/m 2/mois) en 2005

Source : USH.
37Comme on le voit sur le tableau 6, les loyers HLM, exprimés en euros mensuels au mètre carré, varient de moins de 4 € à plus de 8 €, selon la localisation et le type de programme – de 3,92 € pour le « très social » dans les zones les moins chères à 8,65 € pour un logement social de catégorie supérieure à Paris. Pour une HLM « standard » (PLUS ou anciens PLA), les loyers s’étagent de 4,40 € à 5,76 €. Ces niveaux de loyers sont à comparer à ceux du secteur privé : 11,20 €/m2 mensuel en moyenne, mais plus de 20 € dans Paris en 200511.
38Les locataires, en particulier les plus pauvres, perçoivent également des aides personnelles. Pour les 10 % de ménages les plus pauvres, 60 % du loyer sont payés par des aides personnalisées au logement, ce qui ramène leur taux d’effort de 33 % à 10 % de leur revenu.
LE LOGEMENT SOCIAL ET LES AUTRES FORMES D’OFFRE ABORDABLE
39Outre le secteur traditionnel du logement social, structuré autour du mouvement HLM, il existe d’autres formes de logement que l’on peut qualifier de « social » au regard de leur fonction d’accueil de populations fragiles. Par nature mouvant, cet ensemble hétéroclite relève pour une part du marché locatif privé, et pour une autre part il résulte de l’intervention publique. Le premier type comprend des logements locatifs privés de qualité médiocre, que l’on désigne habituellement comme « logement social de fait » ou encore « logement quasi social ». Le secteur « très social » administré comprend quant à lui, en plus des logements très sociaux (voir ci-dessus), des types non-traditionnels de logement tels que foyers ou résidences sociales. L’accession sociale, enfin, représente une autre forme de logement abordable, bien que répondant à des exigences très différentes. Enfin, dans le cadre d’une politique d’incitation fiscale à l’investissement locatif, menée par tous les gouvernements depuis le milieu des années 1980, une tentative a récemment été faite pour stimuler la production de logements locatifs abordables.
Logement social de fait
40Si environ 2,5 % du parc de résidences principales se situent en-dessous des normes (absence, par exemple, de salle de bains, de toilettes intérieures ou de chauffage), leur part dans le parc locatif privé est nettement plus importante. De 1993 à 2002, l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (ANAH) a financé la rénovation de 1,2 millions de logements, mis sur le marché sous un régime de loyers contrôlés. L’ANAH souhaiterait élargir ce programme, mais elle ne dispose pas des fonds nécessaires. En outre, sa capacité d’action est relativement limitée dans les zones où le marché est tendu.
41Le secteur locatif privé loge environ un million de ménages pauvres (aux revenus inférieurs à 30 % du plafond HLM). Il accueille également un grand nombre de ménages mobiles et de jeunes pour lesquels il constitue le premier logement indépendant. Ce segment dévalorisé du parc privé joue donc un rôle de logement quasi social, dans une mesure variable selon les tensions du marché local, qui sont elles-mêmes liées à la taille du parc de logement social. À titre d’exemple, à Paris et en région méditerranéenne, les ménages les plus modestes sont souvent locataires du secteur privé, alors que dans des zones rurales, les ménages du même type auront davantage tendance à être propriétaires. Là où le logement social est moins développé, les ménages pauvres et les migrants doivent se loger dans le segment le moins recherché du secteur locatif privé, où les loyers peuvent cependant être très élevés eu égard à la qualité des biens loués. Enfin, parmi les 5,5 millions de ménages locataires du secteur privé, seuls 200 000 bénéficient encore des loyers contrôlés instaurés par la loi dite de 1948. Depuis la loi Méhaignerie de 1986, ce parc est graduellement réintégré au marché libre.
Secteur « très social » et logement temporaire
42Alors que le parc social de fait se réduit de manière spectaculaire, un secteur « très social » a fait son apparition à côté du logement social de catégorie inférieure du secteur « officiel » (financé par les prêts PLAI). Ce secteur12 recouvre plusieurs types d’offre, qui ont en commun le mode d’accès (une régulation par la prescription sociale), des droits restreints pour le résident ou le locataire, et l’intervention d’un tiers, le plus souvent associatif, entre le bailleur et le « bénéficiaire » (Ballain et Maurel, 2002). En 1994, de nouvelles dispositions (en particulier la circulaire sur les foyers logement créant la résidence sociale) ont permis d’attribuer des fonds publics à des bailleurs sociaux pour construire, acheter ou réhabiliter des logements en vue de créer ce nouveau type d’habitat, situé à mi-chemin entre les foyers d’accueil et le logement standard. C’est dans ce cadre que de vieux foyers et des hôtels meublés dégradés ont été rénovés. Comme pour les CHRS (Centres d’hébergement et de réinsertion sociale) qui appartiennent aussi à la catégorie des logements temporaires, les responsables politiques souhaitaient que ce type de logement reste transitoire – deux années maximum –, et qu’il aide ses bénéficiaires à passer ensuite à un logement « normal » (ou de droit commun).
43Cependant, dans un contexte où le marché du logement connaît de fortes tensions, les personnes hébergées ont tendance à rester captives de cet habitat durablement marginal. Le coût de ce secteur du logement social « temporaire » ou « transitoire » est loin d’être négligeable. Même si des objectifs quantitatifs sont fixés au niveau national, il est très difficile de déterminer le nombre exact de lits ou de logements offerts dans ce secteur, car leur création dépend d’initiatives locales souvent dispersées. Il comprend sans doute au moins 150 000 unités13, et ce nombre est en augmentation (DGUHC, 2004).
44De façon générale, les politiques visant le logement des plus faibles ont souvent emprunté la voie de l’expérimentation locale. Portée par les organismes HLM et de plus en plus par les associations, sous l’autorité des maires et des communautés d’agglomération, celle-ci est soutenue par la puissance publique, inversant en partie les logiques politiques traditionnelles. Un nouveau domaine d’action publique, construit à l’intersection de l’immobilier et du social, du national et du local, a ainsi émergé.
Accession sociale à la propriété et « Borloo populaire »
45Depuis 1977, de nombreuses tentatives ont été faites pour développer l’accession sociale à la propriété de la résidence principale. Après l’abandon, en 1995, des prêts PAP, ceux-ci ont été remplacés par le prêt à taux zéro (PTZ), initialement réservé à l’acquisition de logements neufs, et étendu en 2004 aux logements anciens. Le gouvernement espérait voir ainsi le nombre de nouveaux propriétaires subventionnés passer de 100 000 à 200 000.
46L’objectif était d’encourager les primo-accédants, mais l’effet a été plus que contrebalancé par l’accélération des hausses de prix entre 2004 et 2006. La part des primo-accédants parmi les acquéreurs n’a jamais été aussi faible.
Tableau 7 : Dépenses consacrées au logement

Source : ENL INSEE, 2002.
47Enfin, un nouvel avantage fiscal connu sous le nom de « Borloo populaire » a été introduit en 2006, qui vise à encourager l’investissement dans la construction destinée au marché locatif intermédiaire. En contrepartie d’un dispositif très avantageux d’amortissement fiscal l’investisseur doit louer le logement pendant au moins neuf ans à un ménage disposant de revenus inférieurs au plafond du PLS (logement social « supérieur » – voir plus haut – dont les loyers sont dans certaines agglomérations au moins égaux à ceux du locatif privé). Le loyer doit être de 30 % inférieur à ceux du marché. Ce dispositif (à l’instar de l’avantage fiscal dit « de Robien », dont il est une déclinaison) a pour objectif la construction de 60 000 logements à partir de 2007. Le renouvellement, sous des formes diverses depuis 1986, d’incitations fiscales à l’investissement locatif (sous la forme d’amortissement) a permis d’enrayer le déclin du secteur locatif privé qui s’annonçait dans les années 1980 avec le retrait des investisseurs institutionnels. Il vient d’être remplacé par l’amendement Scellier, qui simplifie et augmente les avantages au bénéfice de l’acquéreur.
48Au total, le coût (en recettes fiscales non perçues) de l’aide à l’investissement locatif est aujourd’hui supérieur à celui des aides directes d’État au logement social.
Tableau 8 : Aides à la construction (aides effectives et avantages fiscaux) accordées selon le statut d’occupation

Source : INSEE [2006] Compte du logement 2004.
* Total avantages = aides effectives (dépenses publiques) + avantages fiscaux (réductions ou exemptions d’impôt)
** Dénommées « aides à la pierre »
LE LOGEMENT SOCIAL DANS LE DÉBAT POLITIQUE FRANÇAIS (1982-2007)
49Éclatée depuis vingt ans entre une variété de dispositifs, l’orientation de la politique française du logement n’est pas toujours facile à saisir. Cela est particulièrement vrai du logement social, qui occupe un rôle central dans les discours et les politiques locales, mais absorbe une part de plus en plus réduite de la dépense publique pour le logement (voir tableau 8). Trois évolutions majeures l’ont affecté dans les trois dernières décennies, qui permettent de mieux comprendre la succession des mesures adoptées depuis un quart de siècle.
50La première a été l’entrée dans le chômage de masse et l’émergence de nouvelles pauvretés qui ont eu deux conséquences majeures dans le domaine qui nous occupe. D’une part, on observe un appauvrissement et parfois même une marginalisation sociale d’une partie des occupants du parc social. D’autre part celui-ci, conçu pour loger les salariés moyens, mais non pour accueillir ces « publics » dits « défavorisés » ni pour répondre aux nouveaux besoins évoqués plus haut, doit renouveler et adapter sa philosophie et les moyens de sa mise en œuvre.
51Jointe à l’obsolescence et à l’enclavement d’une forme architecturale et urbaine – le grand ensemble –, au déclin de la classe ouvrière et au développement continu de l’accession, cette évolution a contribué à enclencher le processus de dégradation des quartiers d’habitat périphérique, qui ne sont d’ailleurs pas uniquement composés d’habitat social, mais aussi de copropriétés en déshérence. Ce qui est peu à peu devenu la « crise des banlieues » a débouché sur les émeutes urbaines de l’automne 2005, mais aussi sur des phénomènes de désintégration sociale moins visibles et moins médiatisés.
52Au plan institutionnel, enfin, la décentralisation des décisions d’urbanisme en 1982, complétée en 2004 par celle des compétences en matière de programmation des aides à la pierre, a largement modifié la gouvernance du secteur social.
53Paupérisation, « crise des banlieues » et décentralisation : tels sont les trois défis auxquels est confronté le logement social. À côté de l’encouragement constant à la propriété, les gouvernements successifs ont mis en place différents dispositifs, ou lancé des programmes d’action pour s’attaquer à l’un ou à l’autre. La politique de la ville a ainsi succédé à partir de 1990 à la politique de développement social des quartiers, et elle s’est très largement appuyée sur la contractualisation des projets (GPU, GPV). La décentralisation des procédures s’est quant à elle accompagnée de la généralisation des PLH puis de la programmation locale des logements. La loi Besson de 1990, suivie par d’autres (loi de lutte contre les exclusions de 1998), a tenté de mettre en œuvre l’accès au logement pour les plus modestes. Elle a créé les PDLPD (Plans départementaux pour le logement des plus défavorisés) qui reposent d’ailleurs essentiellement sur l’offre locative sociale. La difficulté à faire entrer dans les faits le droit au logement, constamment réaffirmé par les textes depuis la loi Quilliot de 1982, a finalement débouché en 2007 sur l’introduction du DALO (Droit au logement opposable), sans que les premières évaluations de sa mise en œuvre ne débouchent sur des perspectives encourageantes14. L’affirmation juridique du droit au logement ne saurait masquer l’échec de sa mise en œuvre effective, régulièrement dénoncé par les mobilisations de mal logés et de sans logis, de la Place de la réunion en 1991 à la Rue de la Banque en 2007, en passant par l’action sur les quais du canal Saint-Martin menée fin 2006 par les Enfants de Don quichotte.
54Dans le traitement des inégalités socio-spatiales, il a été fait appel à la notion de mixité. Comme dans d’autres pays du nord-ouest européen, la mixité des statuts d’occupation est considérée comme le moyen de parvenir à une plus grande mixité de peuplement, et par là de réduire les fractures urbaines. Les discussions se sont plus particulièrement focalisées sur l’article 55 de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) adoptée en 2000, et qui impose aux communes de plus de 3 500 habitants de disposer à terme d’un stock de logements sociaux représentant 20 % des résidences principales. Le respect de ce taux, par ailleurs proche de la moyenne nationale, visait à mieux répartir le parc social dans l’espace des villes, et à lutter ainsi contre le durcissement des processus ségrégatifs entretenu par le « boom » immobilier après 1997. La mise en œuvre de ce principe s’est accompagnée de la résurgence de l’idée ancienne, reprise à son compte par le monde HLM, mais aussi par les collectivités territoriales, du pouvoir régulateur d’une mixité sociale à l’échelle des quartiers et des programmes (Houard, 2009). À son tour, ce regain est à l’origine de critiques adressées aux attributaires, l’argument de la mixité pouvant aussi être mis au service de politiques d’attribution abusivement sélectives.
55La politique de rénovation urbaine engagée depuis 2004, avec le lancement du Programme national de rénovation urbaine (PNRU) et du Plan de cohésion sociale (PCS) joue également sur la notion de mixité, à partir de l’offre là encore, mais pas seulement sociale. Doté de moyens considérables, ce programme quantitativement très ambitieux proposait de diversifier l’offre de logement dans les zones défavorisées, afin d’y attirer des ménages appartenant aux classes moyennes. Par le jeu des démolitions et des reconstructions, il s’agissait de restructurer à la fois le bâti et les statuts d’occupation en injectant dans les quartiers populaires une dose d’habitat individuel et d’accession. On aurait, ainsi, contribué à « casser les ghettos ». Les évaluations politiques et scientifiques des activités de l’ANRU en pointent cependant les faiblesses : la difficulté du relogement et le déficit de reconstruction de logements sociaux démolis, le « un pour un » ne semblant pas toujours la règle.
56Par ailleurs, la rénovation ne s’attaque pas, par définition, aux besoins insatisfaits et aux problèmes sociaux qu’ils entraînent, qui trouvent leur origine dans le blocage de la construction et la cherté des loyers et de l’acquisition. Le gouvernement actuel affiche un objectif annuel de production de 500 000 logements neufs, dont 120 000 logements sociaux, manifestement hors de portée alors que les objectifs de 80 000 logements annuels du PCS n’ont pas pu être tenus. Au moment où la promotion privée est frappée de plein fouet par le retournement à la baisse des marchés immobiliers, le secteur social se heurte quant à lui à deux obstacles : les réticences de certaines collectivités locales, et l’absence de politique foncière (dispositifs juridiques et moyens financiers) permettant de dégager des terrains et de monter des opérations d’aménagement et de construction à grande échelle.
57Dans une situation de pénurie globale et d’insuffisance des constructions, la tentation est grande de chercher la solution dans l’éviction des classes moyennes, qui comme nous l’avons vu s’en sont déjà largement retirées. C’est dans cet esprit que la loi Boutin de Mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion adoptée en mars 2009 a modifié divers éléments de régulation du secteur HLM : il a ainsi été décidé d’abaisser de 10 % les plafonds de ressources afin de restreindre l’accès au logement social et d’augmenter les surloyers pour les occupants qui les dépassent, mais aussi de limiter le droit au maintien dans les lieux jusqu’ici admis. Globalement, les mesures prises vont dans le sens d’une plus grande spécialisation sociale du secteur, au moment où la baisse de la mobilité résidentielle ne témoigne que trop du manque de marge de manœuvre des ménages.
58Par ailleurs, de sérieuses menaces pèsent sur le financement futur du logement social, avec la double proposition – qui fait suite à sa banalisation – d’affecter une partie des ressources du livret A à d’autres objets que le logement social (soutien aux PME, etc.), et de substituer les fonds du 1 % patronal aux ressources budgétaires de l’État pour le financement de la politique de rénovation urbaine.
CONCLUSION : SCÉNARII POUR LE LOGEMENT SOCIAL EN FRANCE
59Alors que le parc de logements sociaux continue de progresser lentement, faut-il craindre une « résidualisation » à venir du secteur HLM ? La campagne présidentielle de 2007 avait été marquée par deux propositions de Nicolas Sarkozy, inscrites ensuite au programme du gouvernement Fillon : atteindre 70 % de propriétaires, et vendre 40 000 logements sociaux par an. Ces deux propositions, parfaitement complémentaires, semblaient ouvrir la voie à une contraction « à l’anglaise » – ou plutôt à un « cantonnement »15 – du parc social, appelé à abandonner les villes centres et à se spécialiser dans l’accueil des populations les plus défavorisées. Les dispositions de la loi Boutin vont dans ce sens, mais l’éclatement de la crise des subprimes et sa transformation en crise financière et immobilière mondiale ont sensiblement modifié la donne. Elles ont remis le logement social au cœur de la politique gouvernementale, et lui offrent peut-être une chance « historique » de retrouver une légitimité entamée.
60Dans le nouveau contexte économique, son rôle contra-cyclique retrouve d’abord une importance non négligeable pour les gouvernements en mal de relance. Il offre par ailleurs des garanties, du point de vue de l’offre (pérennité) et de la demande (sécurité d’occupation) que le secteur privé est moins que jamais en mesure d’offrir. Dans les conditions actuelles d’insécurité du crédit et de l’emploi, la voie vers l’accession s’est en effet singulièrement rétrécie. La restauration du pouvoir d’achat immobilier par la baisse des prix est en effet plus que contrebalancée par les risques accrus pesant sur l’emploi et les revenus. Par ailleurs, la question du financement de l’accession à la propriété – et de l’accession sociale en particulier – se trouve entièrement reposée. La perspective d’un élargissement du marché hypothécaire français, pour le rapprocher du modèle anglo-saxon, s’est brutalement éloignée. Quant à la perspective de ventes massives de logements sociaux, comme elle a pu se pratiquer en Angleterre, elle est au moins reportée à des temps meilleurs. Il n’a d’ailleurs jamais été question d’un right to buy à l’anglaise, et la convention finalement signée entre le gouvernement et l’USH en décembre 2007, si elle prévoit effectivement une accélération des ventes, les soumet en même temps à toutes sortes de conditions, dont une obligation de reconstitution du parc16.
61Au-delà des aléas conjoncturels et des péripéties du débat politique, diverses raisons, plus structurelles, invitent à penser que le secteur connaîtra des recompositions, mais pas de diminution spectaculaire.
62La première est qu’il existe en France une culture et une longue tradition de logement social, animée par des acteurs locaux, régionaux et nationaux puissants. La seconde est que le marché n’est visiblement pas en mesure de répondre aux besoins en logements ; en effet, la proportion de logements abordables dans l’offre du secteur locatif privé est en diminution sans qu’aucune offre alternative – si l’on exclut le secteur minoritaire et hors droit commun du logement temporaire et de l’hébergement d’urgence – ne se soit développée. La troisième est que le coût croissant de l’accession – en particulier pour les primo-accédants – laisse peu de marges de développement dans l’avenir immédiat, à moins de mettre en œuvre de nouvelles mesures incitatives très coûteuses pour les finances publiques, et sauf à organiser une braderie du patrimoine social dont une partie est difficilement vendable. Indépendamment de la fraction dégradée du parc (qui ne représente pas plus du quart du total), la proportion écrasante de logements collectifs dans le parc social français le rend peu apte à satisfaire une demande d’accession, qui est très majoritairement une demande d’habitat individuel17. La quatrième est que les municipalités tiennent à conserver leur capacité de fournir un logement à leurs propres employés et prestataires de services. Le maintien d’une offre de logement social à destination des classes moyennes apparaît à cet égard indispensable. De plus, la résidualisation renforcerait nécessairement la concentration spatiale de résidents défavorisés sur les quartiers les moins recherchés, au risque d’accentuer les fractures urbaines.
63Le scénario le plus probable est donc celui d’une plus grande fragmentation du parc de logement social, dans un contexte de décentralisation croissante, où les collectivités locales (organisées en intercommunalités) auront une responsabilité accrue dans la programmation des constructions de logement social, même si les réglementations et les ressources restent de la compétence de l’État. Des structures intermédiaires, issues de la mouvance associative, prendront une place de plus en plus importante. Un des défis majeurs consistera, pour les organismes de logement social, à trouver les moyens de réduire la ségrégation socio-spatiale, et leur capacité à le faire dépendra de plus en plus du contexte politique local. En situation favorable, les opérateurs de logement social pourraient trouver ou retrouver un rôle de précurseur dans la conception architecturale et l’organisation urbaine. Dans un contexte de changement de paradigme de l’action publique qui touche au sens même du « social », on risque cependant d’assister au renforcement de la différenciation déjà observable des partenariats et des régimes locaux d’habitat : un affaiblissement, de ce point de vue, du modèle généraliste.
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Sites internet
[http://www.statistiques.equipement.gouv.fr]
[http://www.2.logement.gouv.fr/dguhc]
Annexe
ANNEXES
Tableau A : Ensemble du parc de logements (en milliers d’unités)

* La définition du secteur social retenue par l’INSEE est la définition large, qui déborde le secteur HLM (voir au texte).
Source : INSEE (2006), Le compte du logement, Compte provisoire 2004 et 2008.
Tableau B : Parc locatif social par type de financement
Tableau Ba : Répartition des financements avant et après 1977

Tableau Bb : Typologie des financements

Tableau C : Aides publiques au logement (aides effectives et avantages fiscaux) (en milliards d’euros)

Source : INSEE [2006], Compte du logement 2004 et 2008
Notes de bas de page
2 Le prêt aidé d’accession à la propriété (PAP) a constitué, de 1977, date de sa création, à 1995, date de son remplacement par le prêt à 0 %, le principal dispositif généraliste d’aide à l’accession. Ce système de prêts bonifiés était caractérisé par des remboursements progressifs ; conçu pour fonctionner en période d’inflation, il a été victime de la désinflation, qui a fragilisé les plus modestes de ses bénéficiaires à partir du milieu des années 1980.
3 Qui comprend, outre le secteur HLM (3,9 millions de logements), les logements offerts par les SEM (Sociétés d’économie mixte, dont le capital est contrôlé par les collectivités) ; une définition encore plus large, comprenant les logements offerts par l’État, des collectivités locales et certaines entreprises publiques, est retenue par l’INSEE dans les Comptes du logement. On atteint alors 4,85 millions de logements.
4 Voir en annexe du présent chapitre le tableau B pour une nomenclature plus détaillée, et la signification de tous les sigles. Le Dictionnaire de l’habitat et du logement (Segaud M., Brun J., Driant J. -C. [éd.], Colin, 2002), comporte également un utile index de sigles.
5 Comme l’exonération de TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties) et le bénéfice d’un taux de TVA réduit à 5,5 % depuis la loi de Finances pour 1997.
6 Comme l’exonération de taxe foncière sur la propriété bâtie et le bénéfice d’un taux de TVA sur les travaux réduit à 5,5 % depuis la loi de Finances pour 1997.
7 Pourcentages qui ont été abaissés par la loi Boutin de mars 2009.
8 ALF : Allocation logement à caractère famillial.
ALS : Allocation logement à caractère social.
APL : Aide personnalisée au logement.
9 Voir Funès et Tutin (2001) pour une vision de sa répartition en Île-de-France entre types d’espaces résidentiels.
10 Fixé officiellement pour chaque catégorie de logement, le délai moyen définit le seuil au-delà duquel il doit être considéré comme « anormalement long » et ouvre droit à un recours au titre du droit au logement « opposable ».
11 Notons au passage que malgré le tassement des prix de l’immobilier, les loyers n’ont cessé d’augmenter. Le loyer moyen à Paris avoisine les 28 euros le m2 en janvier 2009.
12 Nous ne parlons pas ici du secteur de l’hébergement (centres d’hébergement d’urgence, foyers d’accueil, CADA) car ces établissements ne sont pas considérés comme des logements à proprement parler.
13 Sans compter les personnes vivant à l’hôtel en résidence principale, dont le nombre est généralement estimé à 50 000.
14 Voir le second rapport du comité d’évaluation de la loi dite « DALO » du 5 mars 2007, rendu public en novembre 2008.
15 Le parc britannique reste en effet le plus important d’Europe en nombre de logements, et le second en termes relatifs, après le parc hollandais.
16 . Cette condition de reconstitution (1 logement construit pour tout logement vendu) s’entend au niveau de l’agglomération. Dans les communes concernées par la loi SRU, et qui n’atteignent pas 20 % de logements sociaux, la reconstitution devra se faire à hauteur de 2 nouveaux logements pour 1 vendu. Là où un constat de carence a été établi par le préfet, aucune vente ne pourra avoir lieu. Enfin, l’initiative des mises en vente revient aux organismes HLM (c’est en cela qu’il ne s’agit pas d’un right to buy où les organismes sont obligés de vendre si le locataire souhaite acheter), et elles sont soumises à l’accord des collectivités locales lorsque celles-ci sont réservataires sur le programme concerné.
17 . Outre les rabais considérables (jusqu’à 70 % de la valeur estimée de marché !) consentis sur les prix de vente – et qui ont abouti à une véritable dépossession du patrimoine des collectivités locales, le succès du programme britannique de privatisation s’explique par la nette prédominance (plus de 60 %) des maisons individuelles dans l’ancien parc social.
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Le logement social en Europe au début du xxie siècle
Ce livre est cité par
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- Pollard, Julie. (2023) The political conditions of the rise of real-estate developers in French housing policies. Environment and Planning C: Politics and Space, 41. DOI: 10.1177/23996544221129125
Ce chapitre est cité par
- Driant, Jean-Claude. Li, Mingye. (2012) The Ongoing Transformation of Social Housing Finance in France: Towards a Self-financing System?. International Journal of Housing Policy, 12. DOI: 10.1080/14616718.2012.651337
Le logement social en Europe au début du xxie siècle
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Le logement social en Europe au début du xxie siècle
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