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Chapitre III. Irlande, un logement social spécialisé
p. 67-78
Texte intégral
1Cet article a été écrit avant que la crise immobilière en Irlande prenne l’ampleur que l’on sait. L’analyse qui y est faite du fonctionnement du logement social dans ce pays reste cependant entièrement valable. Quant aux problèmes d’accès au logement abordés dans l’article, ils restent également entiers : la très forte baisse des prix et des loyers intervenue depuis deux ans est certes de nature à restaurer la solvabilité des locataires et des accédants ; mais cet effet est largement compensé par l’effondrement de la construction, la baisse des revenus des ménages et les restrictions budgétaires considérables qui ont été décidées par le gouvernement irlandais.
SITUATION ACTUELLE DU LOGEMENT SOCIAL
2En Irlande, ce sont les autorités locales (borough, city, county et town councils1) et les Housing Associations2 qui construisent et gèrent les logements sociaux. D’après les chiffres du gouvernement central, les autorités locales louaient 118 396 logements en décembre 20083. On ne dispose d’aucun chiffre définitif pour les logements loués par les Housing Associations. Cependant, le Conseil irlandais pour le logement social (Irish Council for Social Housing, ICSH), qui est l’organisme représentatif du secteur, estime qu’à l’heure actuelle, ce type de bailleur loge 25 422 ménages. Ainsi, en Irlande, le secteur du logement locatif social compte environ 143 000 logements, représentant 9,5 % d’un parc total de 1,5 million de logements.
3En chiffres absolus, la part du secteur locatif social a légèrement augmenté depuis 1990 ; durant la période, la construction a atteint une moyenne de 6 000 logements par an depuis 2000 (voir graphique 1) et le volume des ventes de logements aux locataires est relativement faible depuis 1993 si on le compare aux normes « historiques ».
Graphique 1 : Production de logements sociaux et ventes aux locataires, 1981-2008

Source : Department of the Environment, Heritage and Local Government
Tableau 1 : Évolution des statuts d’occupation, 1946-2002

Source : Central Statistics Office (2004).
* Pour 1946, les données ne font pas la différence entre le locatif privé et le locatif social, le chiffre de 42,6 % comprend donc les deux types de location.
4Cependant, le tableau 1 montre que sur le long terme, la part du secteur social construit et géré par les autorités locales a diminué de façon radicale (il n’est toutefois pas possible de se prononcer pour les logements gérés par les Housing Associations car les données d’avant 1990 ne sont pas disponibles pour ce secteur). Cette évolution résulte de la conjonction de trois facteurs :
- Dans la période comprise entre les années 1930 et 1950, la production des collectivités locales égalait ou surpassait celle du secteur privé. Dans les
- et 1970, le secteur privé (tous statuts d’occupation confondus) a considérablement augmenté sa production. Il résulte de cette évolution un décalage croissant entre les deux secteurs (bien qu’en nombres absolus, la construction par les autorités locales soit restée constante).
- Dans les années 1980, le gouvernement central a effectué des coupes sombres dans les dépenses destinées au financement de la construction par les autorités locales, ce qui a provoqué une baisse de la production. Celle-ci n’a plus jamais retrouvé le niveau des décennies antérieures, tandis que la production du secteur privé a continué de s’accroître.
- À l’heure actuelle, les Housing Associations ne peuvent pas vendre les logements à leurs locataires. En revanche, les locataires des collectivités locales rurales (les county councils) ont le droit d’acheter leur habitation depuis les années 1930, et le Housing Act de 1966 a élargi ce droit à leurs homologues urbains (locataires de logement pourvus par les borough, city et town councils) (Pour une discussion plus approfondie, voir Fahey, 2002). Fahey (1999) estime que depuis cette date les collectivités locales ont vendu plus des deux tiers de leur parc à leurs locataires.
LES MÉCANISMES DE PRODUCTION ET DE FINANCEMENT DU LOGEMENT SOCIAL
5Comme nous l’avons expliqué plus haut, les autorités locales possèdent et gèrent directement environ 90 % du logement social en Irlande. Actuellement, 102 collectivités locales sont les propriétaires agréés de logements sociaux, mais 5 city councils fournissent à eux seuls 36 % du parc de ce secteur. Mullins et al. (2003) considèrent que le parc des Housing Associations est réparti entre 470 organisations, même si, à l’heure actuelle, seules 330 d’entre elles développent activement de nouveaux projets d’habitat. Les auteurs indiquent que 6 grandes organisations possèdent la majeure partie des logements standards que fournit ce secteur, tandis que la majorité des Housing Associations gère moins de 10 logements et que ces organismes mineurs offrent le plus souvent des logements destinés à des populations à besoins spécifiques (special needs groups). En raison de l’augmentation constante de l’offre de logement fournie par les autorités locales au XXe siècle, ainsi que de l’absence de financement alloué par l’État aux Housing Associations, celles-ci construisirent peu de nouveaux logements. Cette tendance a évolué et changé depuis 1984, date à laquelle fut établi le premier programme de financement alloué par l’État à ce secteur (Norris, 2005).
6Bien que les modalités de financement du logement social diffèrent selon qu’il s’agit des autorités locales ou des Housing Associations, les mécanismes sont largement similaires, et par ailleurs assez inhabituels en regard du reste de l’Europe de l’Ouest. Le gouvernement central finance en effet presque à 100 % les coûts d’investissement liés à la construction et à l’acquisition des terrains destinés au logement social. La répartition se fait de la manière suivante :
7Pour les autorités locales, ce sont surtout les subventions du gouvernement central qui financent les coûts de construction. Même si les collectivités peuvent participer et contribuent effectivement aux coûts grâce à leurs ressources propres, celles-ci sont limitées car il n’y a pas de système d’impôts locaux en Irlande. La subvention maximale par logement varie d’une région à l’autre, et les subventions sont attribuées pour une période de trois ans afin de permettre à chaque collectivité de construire un nombre défini de logements. L’acquisition des terrains est financée via des emprunts à faible taux d’intérêt par un prêteur intermédiaire agréé, la Housing Finance Agency (Agence de financement du logement). Le montant des intérêts pour ces prêts est financé par le gouvernement central, qui rembourse également les emprunts dès que les chantiers de construction ont commencé4.
8Pour les Housing Associations qui souhaitent bénéficier d’un financement de l’État, elles doivent d’abord obtenir l’agrément (status approved) du ministère du Logement. Pour cela, elles doivent avoir le statut de société à responsabilité limitée reconnue d’utilité publique (charity) et accepter de louer leurs logements selon les normes qui s’appliquent au logement social. La plupart des terrains destinés à la construction de logements sociaux sont fournis par les autorités locales, qui gèrent également les prêts du gouvernement aux Housing Associations. Depuis le début des années 1990 en effet, le gouvernement a élargi les compétences traditionnelles des autorités locales au-delà de la construction de logements locatifs sociaux afin de permettre aux ménages à faible revenu d’acheter leur maison5. Afin de faciliter l’offre, les financements alloués aux Housing Associations augmentent.
9Depuis 2002, la législation autorise ces dernières à emprunter directement à la Housing Finance Agency, mais ces mesures ne sont pas entrées en vigueur. Les constructions de logements destinés à des populations spécifiques sont pour la plupart financées par le Capital Assistance Scheme (Programme d’aide à l’investissement), qui fournit jusqu’à 95 % du coût d’investissement des logements destinés aux sans-abris et 90 % pour d’autres types d’habitat. La construction de la plupart des logements standards des Housing Associations est financée par le Capital Loan and Subsidy Scheme, (un programme de prêt et de subventions qui, techniquement, consiste en un prêt non remboursable de la Housing Finance Agency) qui couvre 100 % du coût de la construction et fournit une subvention annuelle fixe pour la gérance et l’entretien de chaque logement. Brooke (2001), ainsi que d’autres auteurs, avancent que ces modalités de financement bureaucratiques, ainsi que les difficultés d’acquisition des terrains (découlant partiellement du fait que les autorités locales préfèrent allouer leurs terrains à leurs propres programmes de logement) constituent un obstacle de taille à l’accélération de la production des Housing Associations.
10Les coûts d’entretien des logements sociaux sont principalement couverts par les loyers. En Irlande, ces derniers sont fixés selon des modalités très spécifiques. Qu’ils dépendent des autorités locales ou du secteur des housing associations, ils sont établis en fonction du revenu des locataires (modalité que l’on appelle couramment « loyers différentiels »). Les phénomènes de « trappe à pauvreté » inhérents au système de détermination des prix mis en place par les autorités locales ont longtemps été la cible d’importantes critiques (par exemple Blackwell, 1988). Cependant, des recherches récentes montrent que bon nombre de ces problèmes ont été résolus (Coates et Norris, 2006), en partie parce que le calcul des loyers est passé d’un système « par paliers » (par exemple, tous les ménages dont le revenu est inférieur à 300 € par semaine payent 6 % de leur revenu ; ceux dont le revenu se situe entre 301 € et 500 € payent 7 %, etc.) à un système proportionnel qui consiste en ce que tous les ménages disposant d’un revenu inférieur à 100 € par semaine sont exemptés, et que tous ceux qui ont un revenu supérieur paient un loyer équivalent à 3 % de leurs revenus. L’absence d’aides au logement dans le secteur locatif social associée à la détermination des loyers en fonction des revenus reste cependant problématique. Les revenus moyens des locataires sociaux étant peu élevés, les recettes provenant des loyers ne le sont pas non plus. En 2004 (date la plus récente pour laquelle des données sont disponibles), les loyers perçus par les autorités locales ne couvraient que 79 % des frais de gestion et d’entretien. Les autorités locales compensent ce déficit à travers un jeu d’écriture comptable, en utilisant les ressources d’autres services bénéficiaires tandis que les Housing Associations reçoivent d’autres subventions du gouvernement et des dons d’œuvres caritatives. Cependant, on remarque que le déséquilibre entre les recettes et les dépenses a conduit à un sous-investissement dans l’entretien des logements gérés par les autorités locales, et à un recours abusif à la réhabilitation, laquelle est financée principalement par le gouvernement central (Treadwell, Shine et Norris, 2006).
QUI SONT LES BÉNÉFICIAIRES DES LOGEMENTS SOCIAUX ?
11Les logements sociaux en Irlande visent directement les ménages les plus pauvres. Seuls les ménages dont le revenu ne dépasse pas un certain seuil peuvent être demandeurs. Le Housing Act de 1988 précise que ce sont les autorités locales qui doivent déterminer l’ordre selon lequel les demandeurs accèdent aux logements sociaux grâce à un « programme de priorité locative » qui donne la préséance à certains groupes. De fait, chaque autorité locale peut avoir ses propres priorités, mais les listes d’attente sont si longues dans les zones les plus demandées que ces priorités ne signifient rien en pratique et que la durée de l’attente devient l’élément déterminant. En théorie, les groupes prioritaires sont les sans-abris, les personnes vivant dans des logements insalubres ou inadaptés, les personnes obligées de cohabiter, les personnes vivant dans des logements surpeuplés, les jeunes quittant une institution ou qui n’ont pas de domicile parental, les personnes qui, pour raison personnelle ou de santé ont besoin d’un logement, les personnes âgées, les handicapés, les personnes quittant une structure médicalisée, les gens du voyage irlandais (Irish Travellers, « minorité indigène nomade ») et tous ceux qui ne peuvent pas payer un logement adapté. Le total de ces besoins était, estimé à environ 25 000 logements en 2005, à comparer aux quelque 6 000 logements sociaux construits annuellement.
12En fonction du type de programme qui a permis de financer la construction, les Housing Associations doivent allouer la plus grande part, voire la totalité de leur stock de logements aux ménages inscrits sur les listes d’attente des autorités locales.
13Aujourd’hui, les files d’attente sont relativement longues, et en conséquence, seuls les ménages les plus démunis ont accès aux logements sociaux, tandis que les locataires les plus aisés du parc géré par les autorités locales peuvent quitter le secteur en achetant leur logement. Ainsi, le profil du locataire est extrêmement ciblé vers le bas de la hiérarchie des revenus, particulièrement dans les zones urbaines (Norris et Murray, 2004). En 2000, 62 % des ménages occupant des logements sociaux percevaient des revenus inférieurs à 60 % du revenu médian, alors que cette catégorie ne représentait que 22,1 % de l’ensemble des ménages (Fahey et al., 2004).
ÉVOLUTION DES BESOINS ET PRÉVISIONS POUR L’AVENIR
14Le Housing Act de 1988 oblige également les autorités locales à procéder tous les trois ans à une estimation des besoins en logements6. Le résultat de ces estimations montre que les besoins ont augmenté de 76 % entre 1996 et 2002, même s’ils ont très légèrement diminué la dernière année (voir tableau 2). Lors de ces estimations, on demande aux autorités locales de regrouper les ménages qui ont besoin de logements sociaux selon les catégories du programme de priorité locative. L’analyse de ces données révèle que la catégorie qui augmente le plus rapidement est celle des personnes qui ne peuvent pas payer de loyer, dont le nombre a plus que décuplé sur la période. Cette évolution reflète l’inflation considérable des prix de vente et des loyers du secteur privé au cours des dernières années en Irlande. L’augmentation du prix de l’immobilier est passée d’une moyenne annuelle de 7,7 % entre 1990 et 1993, à 22 % entre 1996 et 2002 ; l’inflation des loyers dans le secteur privé est passée brutalement de 3 % par an entre 1990 et 1996 à 14,6 % en 2000-2001 (Downey, 2005). L’inflation des prix de vente et des loyers étant plus élevée encore dans les villes, et particulièrement à Dublin, la ville concentre les difficultés d’accessibilité et les besoins en logements sociaux. Même si la hausse se stabilise, en l’absence d’un réel infléchissement des prix de l’immobilier, ces difficultés d’accès perdureront longtemps et les besoins en logements sociaux resteront, eux aussi, importants.
15Des tendances démographiques plus larges sont également à l’origine du besoin en logements sociaux et des pressions sur le marché immobilier. Entre 1991 et 2002, la population irlandaise a augmenté de 11 % et le nombre de ménages de 25 % ; ces tendances vont persister dans les années à venir.
Tableau 2 : Les besoins de logements sociaux (ménages) par catégories de besoin et lieu, 1991-2005

Source : Department of the Environment, Heritage and Local Government.
LOYERS SOCIAUX, LOYERS PRIVÉS ET TAUX D’EFFORT DES MÉNAGES
16Les loyers des logements sociaux en Irlande sont, on l’a vu, fonction du revenu du locataire et, en raison de la résidualisation du secteur, ils sont relativement bas. En 2004, le loyer moyen hebdomadaire par ménage dans les logements pourvus par les autorités locales était de 35,75 €. Le graphique 2 ci-dessous compare la part de revenu que les ménages consacrent au loyer ou au coût d’un emprunt immobilier. Ce graphique montre qu’en 1973, pour les locataires du logement social propriété des autorités locales, le loyer représentait 7,4 % de la totalité des dépenses du ménage et que cette part est restée pratiquement inchangée en 1999-2000. En conséquence, Fahey et al. (2004) expliquent que les dépenses de loyer n’ont pas ou peu d’impact sur les revenus des personnes démunies qui sont locataires des autorités locales. En revanche, pour les locataires du secteur privé, la part du budget des ménages consacrée au paiement du loyer a doublé entre 1980 et 1999-2000, malgré le fait que 38 % des locataires de ce secteur perçoivent des allocations logement. Fahey et al. (2004) avancent que c’est dans cette catégorie que se concentrent les principaux problèmes d’accès au logement, plus que pour les locataires sociaux ou les propriétaires-occupants.
Graphique 2 : Dépenses hebdomadaires en loyers et emprunts immobiliers en pourcentage des dépenses totales des ménages, 1973-2004

Source : Norris et Winston (2004).
LES PRESSIONS POUR PASSER DU LOGEMENT SOCIAL À D’AUTRES FORMES DE LOGEMENT ABORDABLE
17En 1975, le Social Welfare Act (Supplementary Welfare Allowances, loi sur la protection sociale instaurant des aides sociales complémentaires) a mis en place une aide au logement fondée sur les revenus, le rent supplément (aide complémentaire au paiement du loyer). Celle-ci est désormais une forme majeure d’aide au logement pour les personnes à faibles revenus et on peut, de ce fait, le considérer comme du logement social.
18Par ailleurs, l’augmentation du prix de l’immobilier durant la dernière décennie et les problèmes d’accessibilité qui en ont résulté ont conduit à développer un certain nombre de nouveaux programmes destinés aux primo-accédants. Trois programmes de « logements abordables » ont été lancés. Dans les trois cas, le coût du terrain est soit contrôlé, soit subventionné, ce qui permet d’assurer des prix de vente inférieurs à ceux du marché. Enfin, sur le plan politique, ces programmes de logements abordables ont reçu un soutien important du gouvernement. En effet, les problèmes des primo-accédants sont plus prononcés dans les grandes zones urbaines et tout particulièrement à Dublin. Même s’il n’y a pas de changement majeur d’orientation dans le sens d’un glissement du secteur locatif social vers le logement abordable, ces deux secteurs restant bien distincts, la mise en place de ces nouveaux programmes par les autorités locales provoque une certaine tension. La question de la répartition des ressources entre le secteur locatif social et le logement abordable demeure délicate, en particulier lorsqu’il s’agit de choisir la localisation des uns et des autres et de décider l’affectation des terrains.
RÉFLEXIONS SUR L’AVENIR DU LOGEMENT SOCIAL EN IRLANDE
19Un récent rapport du National Economic and Social Council (NESC)7 (2004) recommandait que l’offre de logement social soit fortement accrue entre 2005 et 2012. Il soutenait qu’en raison de l’augmentation de la demande, un supplément net de 73 000 logements locatifs sociaux durant cette période serait nécessaire, ce qui porterait le parc locatif social à un total d’environ 200 000 unités d’habitation. Cependant, le gouvernement actuel tarde à souscrire complètement à cette proposition et il y a peu de chances de voir l’objectif des 200 000 logements sociaux atteint en 2012.
20Même si des ressources considérables ont été investies dans le secteur locatif social ces dernières années, il existe une certaine réticence à entreprendre un changement fondamental. Vu la croissance économique et la stabilité des recettes de l’État, cette position reflète l’idée selon laquelle les modèles traditionnels d’offre de logements locatifs sociaux ont atteint leurs limites. Cependant, le gouvernement n’a mis en place aucune mesure alternative bien définie. On peut avancer, a minima, que le gouvernement préfère maintenir une pluralité de mécanismes d’offre de logement social, préférence qui s’affiche clairement dans certains projets de rénovation à Dublin où de vieux immeubles collectifs d’habitat social, nécessitant la démolition, vont être remplacés par des programmes mixtes. Le gouvernement a opté pour une démarche de partenariat public-privé, dans lequel une partie du site est cédée aux promoteurs privés pour construire des logements mis en vente sur le marché libre. En échange de la gratuité du terrain, les promoteurs construisent aussi des unités sociales locatives et des logements à prix abordables. Bien qu’innovante, cette mesure a été controversée et a entraîné des débats sur la juste proportion des divers statuts d’habitation et sur le transfert de terrains publics aux promoteurs privés. Cette solution reste l’option privilégiée par le gouvernement.
21En matière de nouvelles initiatives dans le logement social, la partie V du Planning and Development Act de 2000 fut l’une des plus intéressantes et novatrices (voir Norris, 2006, pour une description complète). En 2000, le gouvernement a introduit ce qui s’est révélé être une réglementation d’aménagement urbain complexe et controversée. Celle-ci imposait aux promoteurs du secteur privé de subventionner des logements sociaux et des logements abordables sur les sites qu’ils désiraient construire. Désormais, s’ils veulent obtenir un permis de construire, les promoteurs doivent transférer jusqu’à 20 % de leur terrain aux autorités locales afin que cette part soit utilisée pour des logements sociaux ou des logements abordables.
22Plus important encore, ce transfert du terrain à l’État doit s’effectuer à sa valeur d’usage actuelle. Les promoteurs disposent de différents moyens pour répondre à cette obligation. Ils peuvent transférer jusqu’à 20 % du terrain aux autorités locales à sa valeur actuelle d’usage, ou 20 % des habitations achevées aux autorités locales. Ils peuvent aussi transférer jusqu’à 20 % des sites aménagés aux autorités locales, ou un équivalent financier égal à la valeur du terrain (valeur du marché moins la valeur actuelle d’usage). Ils peuvent enfin transférer un site équivalent aux responsables locaux de l’aménagement urbain. Les promoteurs peuvent également panacher ces mesures.
23La logique de cette législation tenait en deux points. En premier lieu, le but était de permettre aux autorités locales d’avoir accès à des terrains aménagés peu chers, et de leur permettre ainsi de construire soit des logements sociaux soit des logements abordables en-dessous des prix du marché. Les autorités locales et autres bailleurs sociaux ont de grandes difficultés à acquérir du foncier dans les zones urbaines, tout particulièrement lorsqu’ils sont en compétition avec les promoteurs privés. Alors que les promoteurs ont la possibilité de payer aux autorités locales l’équivalent du coût du terrain, beaucoup d’entre elles, surtout dans les zones urbaines, cherchent à obtenir des promoteurs des logements achevés. Le City Council de Dublin en est l’exemple type : chaque fois qu’un promoteur construit 100 appartements, 20 sont remis aux autorités locales pour en faire des logements sociaux et des logements abordables (normalement, 10 seront destinés à la location sociale et 10 à la vente à prix modérés). Enfin la nouvelle réglementation de l’aménagement urbain a un autre but, plus social : s’assurer que les logements sociaux sont construits en même temps, voire sont intégrés aux programmes privés en accession, permet de réduire le niveau de ce qu’on appelle « la ségrégation excessive », et favorise, pense-t-on, la mixité et les interactions sociales.
24En raison d’un grand nombre de freins, les progrès dans la mise en œuvre de cette mesure sont relativement lents. Un récent rapport publié par Focus Ireland (2006) résume les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la loi promulguée en 2000. Avant tout, les débats préalables à l’aménagement portant sur les mécanismes de transferts de logements sociaux ou abordables des promoteurs aux autorités locales entraînent des délais importants. Ensuite, les questions touchant les choix en matière de conception et de transfert entraînent de nouveaux délais. Enfin, même quand les estimations des coûts d’aménagement sont établies, il reste que les ressources et capacités limitées des autorités locales constituent encore des freins. Malgré les problèmes soulevés par son application, le gouvernement semble décidé à s’investir dans la mise en œuvre et la réussite de cette nouvelle réglementation.
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Notes de bas de page
1 Conseils des autorités locales correspondant à des découpages administratifs et géographiques. Le borough est généralement l’autorité locale la plus petite, suivie du town, puis de la city. Le county est généralement une sous-division d’une région auto-gérée à l’intérieur d’une juridiction souveraine.
2 Les Housing Associations sont de deux types : sociétés coopératives (co-operative society ou organismes à but non lucratif (voluntary sector). Nous ne les distinguons pas ici car ils jouent le même rôle et sont soumis aux mêmes règles générales. Les Housing Associations gèrent des logements standards ainsi que des logements adaptés, destinés aux handicapés, aux personnes âgées et aux sans-abris (NdT).
3 Source : Department of the Environment, Heritage and Local Government.
4 Le Housing Finance Agency Act de 1981 a mis en place la Housing Finance Agency qui prête de l’argent aux autorités locales afin de favoriser l’offre de logement social et l’offre de logement abordable. Plus tard, un amendement a permis aux Housing Associations d’avoir accès à cette forme de financement. En 1984 est créé le Capital Assistance Scheme, le premier programme de financement alloué par l’État aux Housing Associations. Cela marque le début d’une période de croissance importante du secteur des Housing Associations.
5 La déclaration du gouvernement (1991), « un Plan pour le logement », met en avant « la nécessité d’éviter que les autorités locales construisent de grands ensembles immobiliers, car ceux-ci ont, par le passé, renforcé la ségrégation sociale », et émet des doutes sur la qualité de la gestion et de l’entretien des logements.
6 De manière significative, le Housing Act de 1988 donne pour la première fois une définition légale des sans-abri et encourage (mais sans les y obliger clairement) les autorités locales à les loger directement, ou bien à financer les Housing Associations ou d’autres Voluntary associations afin que celles-ci leur procurent un bail temporaire ou un bail à long terme dans le logement social.
7 Le NESC est composé de représentants des principaux intérêts économiques et sociaux de la société irlandaise, y compris les syndicats, les entreprises et le secteur associatif.
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Le logement social en Europe au début du xxie siècle
Ce livre est cité par
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Le logement social en Europe au début du xxie siècle
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