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Chapitre I. Le logement social en Europe : tendances communes et diversités persistantes
p. 17-44
Texte intégral
1Ce chapitre présente une vue d’ensemble du secteur du logement social en Europe. Il s’agit de faire ressortir les grands principes de fonctionnement en vigueur et d’identifier les tendances lourdes susceptibles de peser sur l’évolution future des politiques. Nous avons cherché en particulier à identifier la nature des forces qui poussent au changement dans chaque pays.
2Nous nous sommes intéressées aux pays d’Europe dont les gouvernements ont toujours considéré le logement comme l’un des piliers de leur politique sociale. À titre de comparaison, nous avons inclus la Hongrie et les autres pays d’Europe de l’Est dont c’était là la tradition, mais qui ont connu, depuis, un démantèlement de leur secteur social.
3Une remarque préalable s’impose au vu des différentes situations nationales : il n’existe pas de définition unique du logement social à travers l’Europe. La question se pose en particulier de savoir s’il convient ou non d’y ranger les coopératives, les systèmes de subventions limitées dans le temps, les bailleurs privés « conventionnés », et les logements en « accession sociale ». Nous avons donc adopté les définitions provenant de l’appareil statistique des pays eux-mêmes.
4Selon les pays, la caractérisation d’une fraction du parc comme « sociale » peut renvoyer au statut juridique du bailleur – il peut s’agir notamment d’organismes à but non lucratif et de collectivités locales (aux Pays-Bas et en Suède), à celui du constructeur et/ou du gestionnaire (en Autriche et en France), au régime des loyers (inférieurs ou non à ceux du marché (en Irlande et en Angleterre), au mode de financement et/ou aux subventions et garanties publiques (en France et en Allemagne), enfin et surtout, dans presque tous les pays étudiés, de la mission assignée à cette offre de logement. Dans certains pays, le logement social est théoriquement accessible à tous les ménages (en Autriche et en Suède), mais le plus souvent il vise (comme en Angleterre) en principe ceux qui ne peuvent subvenir par leurs propres moyens à leurs besoins en logement.
L’OFFRE DE LOGEMENT SOCIAL
Tableau 1 : Résidences principales selon le statut d’occupation (en %) et taille du secteur social (2001 à 2006 selon les pays)

N. B. : Pour les pays du sud, les totaux ne sont pas de 100 %, à cause de l’importance des statuts « autres ». Voir le chapitre IV du présent ouvrage.
* Suède : la propriété occupante inclut les sociétés coopératives.
** France : ne comprend pas 6,1 % de « autres ».
*** Allemagne : l’occupation par le propriétaire comprend les copropriétés (Genossenschaften).
**** IACP, Italie, source CECODHAS, 2008.
Sources :
France : [www.union-hlm.org/gp].
Hongrie : Housing statistics in the European Union 2004.
Allemagne : Scanlon & Whitehead (2001), International trends in housing tenure & mortgage finance
Pays-Bas : [www.cbs.nl] ; [www.vrom.nl].
Pays du Sud : Cecodhas et rapports OCDE.
5En raison du caractère variable des définitions du logement social, il est impossible de fournir des mesures strictement comparables de l’offre. Nous utiliserons donc la définition propre à chaque pays, qui reflète sa vision de la nature et de l’importance du logement social. Dans les 11 régions et pays étudiés, le logement social représente (voir tableau 11) un pourcentage du parc total de logements qui va du chiffre élevé de 34 % aux Pays-Bas à un petit 4 % en Hongrie, suite à la vague de privatisations des années 1990. Dans la plupart des pays, ce pourcentage a diminué dans la dernière décennie. La construction sociale n’a pas suivi le rythme général de la construction et des logements sociaux ont été privatisés ou démolis, parfois en très grand nombre, sauf au Danemark où la production se poursuit au même rythme que l’offre globale.
6C’est la France qui possède le parc social le plus important, avec près de 4,25 millions de logements2, l’Angleterre venant en deuxième position, malgré le déclin significatif enregistré du fait des privatisations3, sous la forme d’un programme de ventes massives aux occupants (Right to Buy4). L’offre globale, qui atteignait 5,1 millions en 1979, s’y est ainsi trouvée réduite de plus d’un million de logements.
7L’un des effets des privatisations a été de faire sortir du secteur social la fraction du parc de qualité supérieure. Certains pays (Irlande et Royaume-Uni) autorisent la vente de logements sociaux depuis des décennies, d’autres depuis la fin des années 1990 (comme les Pays-Bas) ; d’autres encore (le Danemark) commencent seulement à emprunter cette voie à titre expérimental. Dans certains pays, les locataires peuvent exercer un « droit à l’achat » sur leur habitation, tandis que d’autres pays laissent aux bailleurs le choix de vendre ou non (les Pays-Bas). Dans le cas particulier de l’Allemagne, où il existe, depuis de nombreuses années, un système d’engagements limités dans le temps, quelque 200 000 unités de logement social passent chaque année dans le domaine privé, à l’expiration de la période d’encadrement des loyers conventionnés.
8La situation des pays de l’Europe du Sud est particulière, dans la mesure où la part de logements sociaux, même si l’on y inclut l’accession sociale, est partout inférieure à 5 %. En Italie, où le parc social est le moins réduit des quatre pays du Sud, il ne représente cependant que 5 % du parc total de logement. Le logement public ne cesse d’y diminuer, suite à la vente de logements sociaux. Il en va de même du parc municipal. Par conséquent, le parc de logements sociaux publics représente actuellement moins d’un million d’habitations. Il ne compte ainsi que pour 3 % au Portugal et à peine plus de 1 % en Espagne.
9Quelle que soit l’importance du parc, la demande de logement social reste cependant forte, et en croissance dans tous les pays. Cela s’accompagne d’un allongement des files d’attente, du moins dans les principales zones urbaines. Cette situation résulte en partie de l’augmentation du prix des logements et des loyers presque partout en Europe, qui rend plus difficile l’accès à la propriété. Elle est aussi le résultat de facteurs démographiques, notamment l’augmentation du nombre de ménages et des flux d’immigration qui tendent à exercer une pression supplémentaire sur le secteur locatif privé. Elle est enfin la conséquence d’une répartition des revenus de plus en plus inégalitaire, qui aggrave les problèmes d’accessibilité du logement.
10Pour toutes ces raisons, les gouvernements s’intéressent à nouveau au logement social, car ils y voient le seul moyen de répondre aux besoins. Dans de nombreux pays, on envisage une nouvelle offre sans, pour l’instant, mener d’actions concrètes ou y investir de l’argent comme en France et à présent au Royaume-Uni.
11On observe, toutefois, une offre excédentaire dans certaines régions (est de l’Allemagne et nord de l’Angleterre, par exemple) ainsi qu’un recours croissant à des politiques de démolition et de restructuration à grande échelle. Même dans des régions soumises à de fortes pressions, comme Dublin, Amsterdam ou la région parisienne, des logements sociaux datant des années 1950, 1960 et 1970 (dont tous ne contreviennent pas aux normes de qualité) sont en cours de démolition. De grands ensembles sont souvent, après démolition partielle ou totale, remplacés par des programmes à statuts d’occupation mixtes (France, Angleterre, Pays-Bas). Leur densité est parfois renforcée dans le but d’assurer la mixité des quartiers et leur viabilité. Le développement de programmes à usage mixte vise aussi, en partie, à rentabiliser l’investissement foncier.
12Le statut des bailleurs sociaux et les systèmes de financement varient selon les pays. Les bailleurs sont de plus en plus distincts des autorités locales bien que, simultanément, le pouvoir de décision revienne de plus en plus à ces dernières.
13Le logement social a été progressivement soumis, au cours des deux dernières décennies, aux règles de concurrence du marché unique européen. Ainsi, les pays dans lesquels il est destiné aux ménages qui travaillent et ont des revenus moyens sont confrontés à des problèmes de conformité avec la législation européenne, car ils se voient reprocher d’aider « ceux qui ne le méritent pas » alors que l’UE considère que seul le logement des plus pauvres constitue un service d’intérêt économique général (SIEG). Dans l’ensemble, et quel que soit le rôle particulier du secteur social dans chaque pays, les pressions et les tensions auxquelles celui-ci est soumis sont étrangement similaires à travers l’Europe. L’accent est de plus en plus fortement mis sur les partenariats et la mixité des quartiers, et l’on se préoccupe tout particulièrement de la question de la ségrégation et des ménages vulnérables. Bien que le discours politique reflète une préoccupation croissante en faveur du logement social, rares sont les pays qui ont pu effectivement dégager de nouvelles sources de financement pour assurer l’investissement qui serait nécessaire pour répondre à la demande de logement abordable. Dans le même temps, on accorde de plus en plus d’importance à la construction de bâtiments « durables » ou sans émissions de carbone (Allemagne, France, Pays-Bas, Danemark, et désormais Royaume-Uni). Le logement social est partout saisi par la problématique du développement durable.
14Le profil du parc de logement social varie considérablement d’un pays à l’autre en termes d’âge, de type d’habitat et de taille des ensembles immobiliers5.
15Le nouveau logement social est, en général, composé de types plus variés de logements. Des efforts sont également faits pour introduire une plus grande mixité sociale dans le parc existant, et utiliser l’argent public de façon plus « rentable ». Certains pays favorisent les logements dits intermédiaires ou l’aide à l’accession à la propriété pour les ménages qui sans cela loueraient des logements sociaux. Cela fait parfois partie d’une politique clairement affichée de promotion d’une certaine mixité dans les zones défavorisées. De nombreux pays explorent les possibilités offertes par des partenariats public-privé. Ceci peut signifier que l’offre de logements fournie par les bailleurs sociaux traditionnels soit financée par des fonds privés, ou que des promoteurs privés prennent désormais part au fonctionnement du logement social. On constate que le ciblage de plus en plus étroit des aides conduit à une résidualisation, alors même que les questions de ségrégation deviennent un sujet de préoccupation dans tous les secteurs du logement social.
Nouvelles constructions de logement social
16La construction de logements sociaux se poursuit dans la plupart des pays étudiés, même si une baisse significative de la production a pu être observée dans la plupart d’entre eux au cours des deux dernières décennies. Certains, tels l’Allemagne, la Hongrie, ainsi que la plupart des autres pays en transition, n’ont plus les moyens ou la volonté politique d’accroître le nombre de logements en octroyant des subventions au niveau national, si bien que l’offre repose désormais sur les initiatives locales, consistant en investissements des collectivités locales ou d’autres acteurs locaux.
17Depuis le début du XXIe siècle, un certain nombre de pays sont de plus en plus soucieux d’accroître l’offre de logements sociaux – notamment en raison des pressions politiques engendrées par les problèmes de disponibilité et d’accessibilité à ce type de logement et des inquiétudes suscitées par le faible niveau global de l’offre abordable. L’Autriche s’est montrée particulièrement efficace dans ses efforts pour accroître l’offre de logement social. En Angleterre, le gouvernement s’est engagé sur un objectif de 200 000 constructions annuelles de logements neufs et à doubler la production de logements sociaux, de 15 000 à 30 000 par an, en partie grâce à des Planning obligations6. L’Irlande cherche à mettre en place des mesures similaires. Copenhague s’est engagée sur une augmentation importante du nombre de logements abordables, tandis qu’en France le manque de logements abordables a occupé une place importante dans la campagne électorale de 2007. Dans l’ensemble, il est généralement admis que les problèmes croissants liés à la cherté de l’offre ne peuvent se résoudre qu’en proposant davantage de logements abordables, à défaut de logements sociaux. Cependant, il existe actuellement peu de nouvelles sources de financement et au moins dans la plupart des grandes villes les logements abordables demeurent largement… introuvables.
18Selon les pays, le logement social s’adresse à des groupes sociaux différents. Dans certains, il s’agit d’un type de logement destiné aux plus pauvres, alors que dans d’autres, il s’adresse aux salariés à bas revenus, voire à la classe moyenne alors que les très pauvres sont logés ailleurs. Dans plusieurs pays, les locataires du secteur social présentent un large éventail de groupes de revenus. On peut cependant dire que le secteur social loge, en général, une proportion de familles monoparentales, de personnes âgées et de ménages pauvres sensiblement supérieure à leur part dans la population totale. De même, les minorités ethniques7 sont nettement surreprésentées dans le logement social, où elles peuplent souvent les grands ensembles. Ceci est dû à la fois à la pauvreté des ménages d’origine étrangère, à leur composition et aux difficultés auxquelles ils se heurtent pour accéder aux autres types de logements. Dans certains pays, l’habitat des minorités est devenu une question politique sensible, en raison de la concentration mal acceptée de certains groupes sur certains segments de parc.
19Dans de nombreux pays, les problèmes du logement social se confondent avec la question de la dégradation des grands ensembles d’après-guerre. Par ailleurs, le secteur « très social », qui offre des logements temporaires et parfois précaires voit son importance augmenter. Les Housing Associations8 et les organismes caritatifs y jouent un rôle croissant.
20Dans de nombreux pays, le logement destiné à répondre à des besoins dits spécifiques représente un pourcentage toujours plus grand des constructions neuves. Au Danemark, par exemple, plus de 50 % des nouveaux logements sociaux entrent dans cette catégorie, tandis que les Pays-Bas donnent la priorité aux logements destinés aux sans-logis et aux personnes atteintes de troubles mentaux. La définition de ces « besoins spécifiques » est très variable, mais recouvre au moins ceux des personnes âgées, des handicapés et même parfois des familles nombreuses.
STATUT DES BAILLEURS SOCIAUX ET RÔLE DU SECTEUR PRIVÉ
21Le graphique 1 décrit la forme de propriété des logements sociaux dans les pays étudiés (à l’exception du logement loué par des coopératives). En Hongrie, les municipalités sont propriétaires de tous les logements sociaux, tandis qu’aux Pays-Bas ces logements appartiennent presque tous à des organismes privés (Woningcorporaties), même si, traditionnellement, les municipalités sont garantes de ces organismes. Avec un ratio proche de 50/50, l’Angleterre est à mi-chemin entre les deux systèmes.
22La tendance générale va dans le sens d’une diminution de l’engagement des municipalités et d’une diversité croissante des acteurs impliqués dans l’offre de logement social – notamment sous la forme de partenariats public-privé. La question du mode de propriété est étroitement liée à celles des subventions d’État et à la possibilité de financer le logement social, du moins en partie, par le biais du secteur privé.
Graphique 1 : Mode de propriété du logement social

23L’implication du secteur privé dans l’offre de logement social va croissant. Les subventions gouvernementales consacrées à l’offre de nouveaux logements ou à la réhabilitation du parc existant sont de plus en plus ciblées et limitées. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, les bailleurs sociaux financent la totalité de leurs investissements, et qu’en Suède, le logement public municipal contribue même positivement au budget de l’État. Dans les économies en transition et en Allemagne, il n’existe plus aucun financement au plan national. À un niveau plus général, les exigences de l’Union européenne en matière budgétaire ainsi que les autres contraintes qu’elle impose ont considérablement réduit les possibilités de financement public. Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que le secteur privé joue un rôle grandissant, non seulement en prenant l’initiative d’investir, mais aussi en finançant lui-même cet investissement.
24L’offre relevant du secteur privé est depuis longtemps la norme en Allemagne, où, à moins d’appartenir à une municipalité, le logement n’est « social » que pour une période limitée, avant de passer sur le marché libre. Ce pays a connu un changement important lorsque certaines villes allemandes – Kiel et Dresde par exemple – ont vendu l’intégralité de leur parc municipal à des fonds d’investissements qui en sont devenus propriétaires. La participation du secteur privé est également un élément clé du système autrichien, mais sans qu’il y ait pour autant privatisation. En Autriche, les subventions à la construction de logements sociaux sont accordées à des personnes privées et à des entreprises qui jouent un rôle de plus en plus important en tant que bailleurs. Les partenariats public-privé sont également de plus en plus sollicités, principalement à Vienne.
25Plusieurs pays ont lancé des initiatives permettant de fournir des logements sociaux ou intermédiaires en réduisant la part des subventions et en augmentant celle du privé (Angleterre, Danemark, Irlande, Pays-Bas et Allemagne). Ces initiatives consistent souvent de la part des collectivités locales ou des promoteurs à fournir des terrains gratuits ou très bon marché.
26À plus d’un titre, la France s’est trouvée à l’origine des partenariats public-privé. La quasi-totalité de l’offre de logement social au XIXe siècle relevait de bailleurs privés, généralement patrons d’industries, et d’œuvres de charité. Dans le contexte politique actuel, l’éventualité de la revente d’une partie du parc est discutée et suscite des inquiétudes, même si par ailleurs, divers types de bailleurs sont impliqués dans le logement social et que les flux financiers vont à des organismes à but non lucratif qui recourent à des financements privés. À Dublin, la politique des autorités locales oblige dans les programmes de grande taille les promoteurs privés à mettre 20 % des habitations neuves, ou leur équivalent, à disposition de la ville afin qu’elle les consacre au logement social ou abordable. Cette nouvelle politique n’est pas encore finalisée dans les détails. Dublin a recouru à des systèmes de partenariat public-privé pour financer et mettre en œuvre la réhabilitation d’un petit nombre d’ensembles locatifs sociaux. Des villes comme Munich exigent des promoteurs privés qu’ils incluent un certain pourcentage de logements sociaux dans les nouveaux programmes immobiliers, mais il ne s’agit que d’initiatives locales. En Angleterre, entre 20 et 50 % des grands programmes de construction et de réhabilitation doivent comprendre des logements abordables – ce qui, actuellement, représente à peu près la moitié de l’ensemble de l’offre sociale neuve. Une initiative récente permet également aux promoteurs privés de proposer des logements sociaux, mais la majorité de l’offre reste assurée par des Housing Associations. Récemment, aux Pays-Bas, un promoteur privé a pour la première fois fait l’acquisition de terrains à un prix « social » afin d’y construire des logements à prix abordable. Ce projet est perçu comme ayant valeur d’exemple. Ce cas se présente aussi à Vienne. Des arrangements locaux aboutissent, en France aussi, au même résultat.
27Une distinction importante doit donc être faite entre deux approches. D’une part, celle des pays où les propriétaires et les gestionnaires du parc relèvent encore d’un secteur social formel, mais utilisent des fonds privés pour financer une offre complémentaire (généralement subventionnée), comme c’est le cas en Angleterre, aux Pays-Bas et en Irlande. D’autre part, l’approche de pays comme l’Allemagne et l’Autriche, dans lesquels des promoteurs et des entreprises de construction purement privés jouent un rôle significatif dans l’aménagement immobilier et la propriété. Ailleurs, notamment dans de nombreux pays en transition et en Europe du Sud, on commence tout juste à explorer timidement cette voie.
Niveaux de décision et de contrôle
28On relève de nombreuses similarités dans les systèmes de décisions concernant le volume et la localisation des constructions neuves, le niveau des loyers et le montant des subventions. Les loyers sont presque partout déterminés au niveau national (à l’exception de la Hongrie et de certains pays en transition, ou de l’Irlande jusqu’au début des années 1980), tandis que les autres aspects de la politique du logement (production, financement, localisation) sont généralement définis par les autorités locales ou après négociation avec les bailleurs, l’Angleterre et la France restant les deux pays où le système est le plus centralisé9.
29Au cours des 20 dernières années, plusieurs pays sont officiellement passés d’un système de prise de décision au niveau national à un système plus décentralisé. Ces changements sont généralement passés par l’adoption d’une législation spécifique – comme ce fut le cas en Autriche en 1987-1988, aux Pays-Bas en 1989, au Danemark en 1994, en Hongrie dans les années 1990, en France en 1982, 1991, 2000 et 2004, en Allemagne en 2006. Dans d’autres pays, on assiste au remplacement progressif des bailleurs municipaux par des bailleurs indépendants ou en partenariat, ce qui risque de réduire le poids des instances démocratiques locales.
SYSTÈMES DE FIXATION DES LOYERS SOCIAUX ET COMPARAISON AVEC LES LOYERS PRIVÉS
30Le tableau 2 décrit la façon dont sont déterminés les loyers dans les 9 pays étudiés ici. Dans la plupart des cas, ils reposent sur le coût de construction – ce qui signifie qu’ils doivent couvrir l’ensemble des débours (y compris les frais financiers) diminués des éventuelles aides à la pierre. Dans bon nombre de ces pays, les loyers, déterminés au niveau de chaque programme, sont liés au coût originel qui remonte à l’époque de sa construction ou de sa rénovation. C’est ainsi que les loyers sont fréquemment plus bas dans les ensembles les plus anciens, qui sont pourtant souvent plus grands et mieux situés que les ensembles plus récents. Les bailleurs qui envisagent des opérations de rénovation sont parfois obligés d’augmenter les loyers dans une proportion qui dépasserait les capacités financières des locataires, si bien qu’ils peuvent être amenés à renoncer à ces opérations, voire aux réparations. Le Danemark constitue un exemple particulièrement représentatif de ce type de situation, même s’il existe au niveau national un fonds qui subventionne les dépenses de rénovation des ensembles dépourvus de ressources propres.
31Dans la plupart des autres pays, le produit des loyers doit couvrir les frais supportés par les organismes propriétaires. Dans certains pays, ces loyers, déterminés en fonction de l’organisme, sont comparables à ceux que l’on trouve au Danemark et qui sont définis en fonction du type de résidence. En France, les loyers peuvent être déterminés sur la base du programme ou du propriétaire, en fonction du type de financement initial. Il n’est toutefois pas possible d’augmenter les loyers pour couvrir des frais de maintenance ou d’améliorations mineures, si bien qu’il peut être tentant de lancer des opérations de rénovation à grande échelle dans le cadre desquelles des augmentations sont possibles. Ailleurs (Pays-Bas et Angleterre), il est possible de mutualiser les loyers perçus sur l’ensemble du parc ou même sur l’ensemble des bailleurs. De manière générale, plus la capacité de mutualisation des loyers est grande, plus il est facile de se lancer dans des investissements sur telle ou telle résidence.
32Le mode de détermination des loyers des habitations individuelles varie lui aussi selon les pays. Le plus souvent, les loyers varient en fonction des attributs des logements. Aux Pays-Bas, comme en Angleterre, les loyers sont directement fonction de la valeur de marché, mais des facteurs de revenus interviennent également dans leur calcul. En Irlande, et dans une moindre mesure dans certaines parties de l’Allemagne, les loyers sont en relation directe avec le revenu du locataire. Chacune de ces règles présente ses propres inconvénients. Les loyers liés aux revenus des occupants présentent des inconvénients spécifiques. Ils ne couvrent généralement pas les coûts engendrés pour le bailleur et ne reflètent pas les caractéristiques de chaque habitation. Mais le fait de lier les loyers aux coûts réels de construction engendre des problèmes majeurs d’accessibilité et de ségrégation. Sur les marchés du logement les plus tendus, l’écart se creuse entre le logement social locatif, d’ordinaire peu cher, et le secteur de la propriété occupante, qui devient de plus en plus cher. Le résultat est que les ménages salariés dont les revenus sont trop élevés pour prétendre à un logement social, mais qui disposent de ressources insuffisantes pour se loger sur le marché, ont de plus en plus de mal à trouver un logement.
Tableau 2 : Détermination des loyers dans le secteur social et le secteur privé

* HA : Housing Associations
** AL : Autorités locales
33La façon dont sont déterminées les augmentations de loyers constitue un tout autre problème. Celles-ci peuvent être décidées au niveau du gouvernement (Angleterre, France et Allemagne) ou faire l’objet d’une négociation entre les propriétaires et les locataires (Suède). Dans ces conditions, le contexte politique peut avoir un impact sur les niveaux de revenus perçus à partir des loyers, et donc affecter la capacité des propriétaires à assurer l’entretien et l’amélioration du parc.
34Il n’y a pas actuellement de consensus sur la méthode la mieux adaptée pour établir un système de loyers à la fois équitable et économiquement efficace dans le secteur du logement social. Les loyers reposant sur le coût couvrent par définition les frais passés, mais le fait qu’ils ne soient pas directement soumis aux forces du marché peut provoquer des distorsions importantes. Dans les pays où les loyers reposent sur les coûts de construction, certains experts (par exemple au Danemark) prônent une évolution vers un système davantage orienté vers le marché.
35Les systèmes de loyers reposant sur le revenu des occupants ne reflètent pas non plus les forces du marché. En outre, comme ils génèrent des flux de revenu inadéquats et rendent plus difficile l’emploi de financements privés dans ce secteur, les experts n’y sont généralement pas favorables. Même les loyers reposant sur la « valeur d’usage » (taille et normes) ne reflètent pas nécessairement le niveau d’attractivité relative des logements individuels, et peuvent, dans certains cas, être à l’origine de problèmes de vacance ou générer un excès de demande.
36Dans les pays où les loyers sont liés au revenu, le secteur du logement social est généralement de petite taille (comme en Irlande et, en dehors du périmètre de notre champ d’étude, aux États-Unis et en Australie). Les pays où la moyenne des loyers est basse (Hongrie et Irlande) disposent de logements abordables dans ce secteur, mais les recettes sont inférieures aux coûts, ce qui n’est pas sans poser des problèmes majeurs de gestion et de maintenance. Enfin, les systèmes de loyers sont généralement liés à des systèmes d’aides ou d’allocations logement. Ces dernières n’existent pas dans certaines économies en transition, ce qui crée de fortes tensions entre le maintien du caractère abordable du logement et la réponse aux besoins de maintenance.
37Dans de nombreux pays européens, la législation relie également les loyers du secteur privé au coût de la construction. Dans d’autres pays (Suède), les loyers sont déterminés par un système en miroir reliant le privé au social. Ailleurs, les augmentations de loyers sont limitées dans le secteur privé. Même dans les pays où tous les logements locatifs, privés et publics confondus, sont soumis aux mêmes règles, les loyers du privé sont généralement plus élevés que ceux du secteur social. L’ampleur de la différence dépend du contexte réglementaire particulier. À l’autre extrémité de l’échelle, où c’est le marché qui détermine les loyers privés, les écarts entre loyers sociaux et privés peuvent être très importants, surtout dans les régions où le marché est soumis à des tensions fortes (Angleterre et Irlande).
L’ACCÈS AU LOGEMENT SOCIAL
38Dans la plupart des pays (mais non la totalité) des plafonds de revenus sont imposés aux ménages qui souhaitent occuper un logement social. Les limites théoriques peuvent toutefois être si élevées que la majorité de la population est admissible (Autriche et France). Le tableau 3 résume les plafonds de revenu imposés pour bénéficier d’un logement social.
39Les pays où, traditionnellement, le logement social est pratiquement accessible à tous (Suède et Danemark) doivent se garder de transgresser les règles concurrentielles de l’Union européenne. Selon la législation européenne, en effet, seuls les services d’intérêt économique général (SIEG) peuvent bénéficier de subventions de l’État, et le logement destiné aux groupes des revenus moyens ou supérieurs n’entre pas dans cette définition. Ces pays ont dû « blinder » leur secteur de logement social contre les règles européennes en introduisant une distinction claire entre les services relevant de subventions gouvernementales et les autres. À l’autre extrémité se trouve l’Angleterre où, théoriquement, chacun a droit à un logement (par exemple si celui-ci est détruit par un incendie ou en cas d’expulsion suite à une vente) mais où l’attribution de logements sociaux se fait en pratique sur la base du caractère prioritaire du besoin, et non sur le revenu en tant que tel.
40Dans les pays où prévalent des critères de revenu, la question se pose de savoir ce qui se passe lorsque les revenus du ménage dépassent ensuite le plafond appliqué lors de son entrée dans le logement. Dans plusieurs pays (Autriche et Pays-Bas), le loyer reste inchangé – bien que le ménage ne soit généralement plus autorisé à percevoir des allocations logement. En France, ces locataires paient un supplément de loyer dit de solidarité – qui vient d’être augmenté — tandis qu’en Irlande leur loyer augmente, les loyers étant directement indexés sur le revenu du ménage. Ce sont généralement les gouvernements centraux qui établissent les règles d’accès au logement social, tandis que les autorités locales ou les bailleurs déterminent si tel ou tel ménage répond à ces critères, et les affectent à un logement adapté à leur situation, ainsi qu’on peut le voir sur le tableau 3.
Tableau 3 : Accès au logement social : plafonds de revenu

* L’accès repose, cependant, sur le besoin de logement.
** Les Housing Associations offrent aussi des habitations plus chères, accessibles à tous.
41En matière d’attribution, un traitement plus favorable est souvent réservé aux salariés des « métiers clés » (keyworkers), c’est-à-dire les employés des principaux services publics tels que l’éducation, la santé et la police, voire même, comme au Danemark, à toute personne ayant un emploi. Il s’agit en effet de loger dans les programmes sociaux une proportion substantielle de personnes en activité, afin de garantir un niveau satisfaisant de mixité sociale (voir tableau 5). Alors que les questions de ségrégation ressurgissent dans l’actualité et dans les programmes politiques, l’Europe se soucie de plus en plus de la mixité sociale. Cela oblige également à des choix difficiles en matière de logement des très pauvres, des exclus et des populations ayant des besoins spécifiques, dans un contexte où la cherté du logement devient un problème crucial.
Tableau 4 : Attribution des logements sociaux

GC = gouvernement central
AL = autorités locales/régionales BS = bailleur social
Tableau 5 : Type de salariés prioritaires pour le logement social

LE LOGEMENT DES CATÉGORIES LES PLUS VULNÉRABLES : LE SECTEUR « TRÈS SOCIAL »
42Le logement social sert, dans de nombreux pays, à abriter les plus vulnérables et les personnes qui ont impérativement besoin d’être logées, tels que les sans-logis, les personnes ayant souffert de troubles psychiatriques, les anciens toxicomanes ou les femmes victimes de violences conjugales. Le logement destiné à ces groupes est parfois qualifié de « très social » et peut être fourni par différents types de bailleurs. Il s’agit souvent des municipalités, mais aussi d’organismes caritatifs ciblant des groupes spécifiques. La plupart des pays, pour des raisons historiques, semblent établir une distinction, au niveau de la définition de l’offre et des circuits de financement, entre la prise en charge des sans-logis en général et le logement de groupes spécifiques qui nécessitent une prise en charge supplémentaire. Ce secteur se prête donc très peu aux comparaisons. En termes politiques, le logement très social renvoie à une question plus générale : le logement social s’adresse-t-il prioritairement aux ménages qui travaillent et perçoivent de faibles revenus ou aux membres les plus démunis de la société ? Cette question s’intègre à son tour dans le débat, plus large, sur la taille du secteur social et l’accessibilité à d’autres statuts d’occupation permettant de loger les ménages salariés à faibles revenus ; enfin elle permet d’aborder les mutations de l’État social dans les deux dernières décennies.
43Les tableaux suivants apportent des indications sur les secteurs qui hébergent les ménages les plus vulnérables dans chaque pays. Même si, comme on pourrait s’y attendre, une grande partie d’entre eux vit dans le secteur social, le secteur locatif privé est également un important pourvoyeur de logements et constitue souvent, dans ce dernier cas, un logement « quasi social » ou « social de fait ».
44Le tableau 6 montre les superpositions entre les secteurs qui logent les plus vulnérables : les responsabilités et les financements transitent entre les acteurs privés et publics. Le tableau 7 permet de mieux saisir comment une partie du secteur locatif privé est mobilisée à défaut de logement social voire « comme du logement social ». À la question : « Une partie du secteur privé locatif fonctionne-t-elle en pratique comme du logement social ? », les différents pays apportent des réponses spécifiques.
Tableau 6 : Logement « très social » : les différents parcs affectés aux plus vulnérables



* HA : Housing Associations
** AL : Autorités locales
*** PDALPD : Plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées créés par la loi Besson (1990) et rénforcés par la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998
**** CADA : Centre d’accueil pour demandeur d’asile
Tableau 7 : Le logement social de fait


LES AIDES PERSONNELLES AU LOGEMENT
45En pratique, le fonctionnement du système de logement social en Europe est indissociable du système général de protection sociale, et en particulier des aides personnelles au logement, quel que soit le nom qui leur est donné : aide au logement, allocation logement, complément de loyer, etc. Le tableau 8 indique, sous forme résumée, les principaux critères permettant d’obtenir des aides individuelles au logement dans les différents pays.
Tableau 8 : Aides personnelles au logement


S : Locataires du secteur social
P : Locataires du secteur privé
PO : Propriétaires occupant
* Uniquement s’il s’agit de retraités
46Dans tous les pays d’Europe de l’Ouest, les locataires du secteur social comme ceux du privé ont droit à ce type d’aide, exception faite de l’Irlande où les loyers sociaux sont directement liés aux revenus. En Hongrie, comme dans d’autres pays en transition, rien n’est organisé au niveau national et la plupart des villes ne disposent pas des fonds qui leur permettraient de financer des aides à la personne. Dans d’autres pays, à l’exception des Pays-Bas et de l’Irlande, l’aide au logement ne tient pas compte des statuts d’occupation et les propriétaires occupants perçoivent également des aides. Dans la majorité de ces pays, les prestations sociales sont par ailleurs suffisamment généreuses pour que seul un pourcentage relativement faible de locataires ait besoin d’une aide individuelle.
LE PEUPLEMENT DU PARC SOCIAL
Tableau 9 : Caractéristiques démographiques des locataires du logement social

* HA : Housing Associations
47On notera que partout – même en Suède et au Danemark, pays où traditionnellement le logement social est ouvert à tous – les locataires du secteur social présentent un profil spécifique. Ils se recrutent généralement parmi les jeunes et les personnes âgées, ainsi que les parents isolés et les familles nombreuses (tableau 9). Les familles comprenant deux parents à revenus moyens préfèrent devenir propriétaires-occupants, démarche encouragée par la politique menée dans de nombreux pays, et qui a pour effet de favoriser la sortie des classes moyennes du logement social. Ce phénomène peut être vu comme positif, dans la mesure où ces ménages concrétisent leurs aspirations et où les subventions soutenant l’offre de logements sociaux sont de ce fait mieux ciblées. Il est toutefois à l’origine d’une polarisation des revenus et des statuts d’occupation à laquelle les politiques de renouvellement urbain prétendent par ailleurs remédier.
48Dans de nombreux pays, on constate l’existence de problèmes croissants de ségrégation par les revenus et la catégorie sociale, principalement dans les ensembles résidentiels les moins attractifs. Cet aspect est visible dans tous les pays, y compris les Pays-Bas et le Danemark qui disposent d’un secteur social important dans lequel habite généralement une population couvrant un large éventail de catégories socioprofessionnelles.
LES IMMIGRÉS ET LE LOGEMENT SOCIAL
49En général, les immigrés sont plus fortement représentés dans le logement social (tableau 10) que dans la population totale, et ce pour trois raisons principales. Ces ménages disposent souvent de faibles revenus, ils ont tendance à vivre dans les villes, voire à se trouver regroupés volontairement ou non dans certains quartiers. La question de la répartition « ethnique »10 des résidents du logement social est en passe de devenir un véritable « problème de société » dans de nombreux pays. Elle est du moins présentée comme telle par une fraction grandissante de la classe politique. Pour certains, elle se pose en termes de nationalité (c’est le cas de l’Autriche et, dans une certaine mesure, du Danemark), pour d’autres, en termes d’immigration (l’Irlande) ou encore d’appartenance « ethnique » et d’intégration (les Pays-Bas). Les données statistiques disponibles varient largement selon les pays. La plupart d’entre eux ne disposent pas de statistiques sur les caractéristiques « ethniques » des locataires du secteur social telles que le phénotype ou l’origine géographique si la personne est de la nationalité du pays habité. En France, en Autriche ou encore en Allemagne, la collecte d’informations relatives à « l’appartenance ethnique » ou religieuse n’est pas autorisée au niveau national. Ainsi, les statistiques issues des enquêtes officielles ne font généralement référence qu’à la nationalité.
Tableau 10 : Immigrés et étrangers

Note : Dans la mesure où les chiffres ne renvoient pas exactement aux mêmes données, la comparaison directe n’est pas possible d’un pays à l’autre. Pour plus d’informations, se référer aux chapitres sur chaque pays.
* 33 % à Vienne. Jusqu’en 2006, seuls les citoyens autrichiens avaient accès au logement municipal.
50Avant de passer à la description des différents pays, il convient de tirer l’enseignement principal du tableau ci-dessus : le logement social est une option très fréquente pour les immigrés. Leur représentation importante dans l’habitat social ne suffit cependant pas à expliquer comment et pourquoi cette question a envahi la scène politico-médiatique dans la plupart des pays dont il est question ici.
51En Autriche, au cours des années 1990, les immigrés naturalisés ont afflué vers le logement social, ce qui a généré des tensions dans certains ensembles résidentiels. Les immigrés ont du mal à obtenir la citoyenneté, à laquelle ils ne peuvent postuler qu’après avoir été résidents permanents pendant 15 ans. Récemment encore, dans certains États fédérés, seuls les citoyens autrichiens pouvaient prétendre au logement social. Cette politique a changé suite à des pressions de l’UE.
52Aux Pays-Bas, les immigrés se trouvent concentrés sur les grands ensembles résidentiels horizontaux d’après-guerre (les barres), sur les grands immeubles (comme le fameux Bijlmermeer à Amsterdam) et dans certains quartiers anciens construits avant guerre. La concentration ethnique est un sujet de préoccupation, tout comme la ségrégation entre quartiers et dans les écoles. Les zones où réside un fort pourcentage de membres des « minorités » enregistrent des taux de criminalité et de chômage plus élevés. Par ailleurs, leurs résidents sont souvent confrontés à une discrimination à l’embauche. La citoyenneté n’est pas un problème en tant que tel, en partie parce que les ressortissants du Surinam, par exemple, (qui constituent l’un des trois principaux groupes) ont un passeport néerlandais, tandis que de nombreux Marocains ont la double nationalité.
53En Irlande, les immigrés sont surtout concentrés dans les zones urbaines, principalement le grand Dublin, et dans le secteur locatif privé. Jusqu’en 2003, le débat portait essentiellement sur les demandeurs d’asile, le flux de demandes s’étant accru de manière significative depuis le milieu des années 1990. Avec la diminution du nombre de demandes, le marché du travail est devenu le principal levier de l’immigration. Jusqu’à présent, le débat s’est focalisé sur la nécessité de mesures gouvernementales supposées faciliter l’intégration des immigrés (en particulier l’apprentissage de l’anglais) et restreindre leur exploitation par certains employeurs. Dernièrement, il a pris un tour plus négatif, sur le thème des immigrés qui prendraient la place des travailleurs « de souche » et présenteraient des taux de criminalité élevés.
54Au Danemark, les immigrés se concentrent dans les grands ensembles urbains, ce qui est perçu comme générant la ségrégation et le délaissement. Certains de ces ensembles ont été qualifiés de « ghettos » par les médias et le gouvernement. En Suède la situation est comparable à celle que l’on observe au Danemark. La politique mise en œuvre a consisté à loger les demandeurs d’asile et les réfugiés dans des zones peu attractives sur l’ensemble du pays, si bien que ceux-ci peuvent y obtenir un logement mais sont le plus souvent dans l’incapacité d’y trouver un travail, et qu’ils finissent par échouer dans les ensembles résidentiels les moins attractifs.
55En Allemagne, les immigrés représentent 35 à 40 % des résidents de certains grands ensembles de Berlin et d’Allemagne de l’Ouest. On constate également une forte concentration de migrants en provenance de Russie (qui ont la nationalité allemande) dans les grands ensembles d’Allemagne de l’Est.
56En France, certains grands ensembles de la périphérie des villes abritent d’importantes populations immigrées, concentrations qui suscitent l’inquiétude des politiques. Les immigrés clandestins n’ont pas droit au logement social, et trouvent généralement à se loger dans les fractions les plus délabrées du secteur locatif privé. Les populations issues de l’immigration, en particulier d’Afrique noire, sont souvent confrontées à une discrimination de la part des propriétaires privés. Le logement social constitue un logement adapté et permettant la mobilité sociale et résidentielle pour peu que les conditions économiques soient favorables, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
57En Angleterre, de nombreux grands ensembles urbains abritent de fortes concentrations de ménages appartenant à des minorités ethniques – qu’il s’agisse de migrants de longue date vivant dans le pays depuis deux ou trois générations ou de personnes arrivées plus récemment. L’inquiétude grandit à propos des tensions qui se font jour entre l’idée de « droit » (entitlement) et celle de besoin, en particulier dans les zones soumises à la pression du marché immobilier, et à propos de la cohésion sociale en général. Certains groupes ethniques importants et disposant de faibles revenus sont sous-représentés dans le secteur social : c’est le cas des Indiens (notamment de l’Inde du Sud) et des Chinois. La diversité croissante des immigrés actuels, en particulier à Londres, contribue à une situation où « tout le monde peut se considérer comme faisant partie d’une minorité », même si la concurrence en matière de logement est peut-être la plus importante source de tensions entre les ménages établis et les nouveaux arrivants. Un nouveau problème se pose, celui de savoir quel sera l’impact de l’immigration en provenance des huit pays qui ont rejoint l’UE en 2004, puis des trois autres qui en font partie depuis 2007. Ce type d’immigration est davantage réparti sur l’ensemble du pays.
58Il ne faut cependant pas perdre de vue que le logement social fonctionne – ou du moins a fonctionné pendant plusieurs décennies – comme une puissante « machine à intégrer » ; en effet le secteur a fourni un logement de qualité à de nombreux ménages qui en étaient dépourvus, qu’ils soient primo-arrivants ou qu’ils aient commencé leur parcours résidentiel dans le pays. Au niveau européen, il semble aujourd’hui peu probable qu’une évolution vers la mixité des quartiers et l’intégration des statuts d’occupation parvienne à réduire de manière significative les niveaux de ségrégation ethnique, à moins qu’un changement n’intervienne dans la distribution des revenus.
EXTENSION DES MISSIONS DU LOGEMENT SOCIAL ET DÉBATS EN COURS
59Désormais, le logement social et la responsabilité de ses bailleurs ne se limitent plus simplement à la fourniture d’un logement (tableau 11). Ils se voient confier de nouvelles responsabilités au niveau local, comme celle de répondre à des besoins spécifiques ou d’offrir des services de régie de quartier (chauffage, gardiennage, etc.). Ils peuvent aussi jouer un rôle moins défini, intéressant la société dans son ensemble, comme par exemple promouvoir la « cohésion sociale », mener des initiatives locales, voire déterminer les loyers dans d’autres types de logement. Par conséquent, dans certains pays, les loyers du secteur social ont un impact direct sur ceux qui sont autorisés dans le secteur privé, ce qui affecte à son tour l’accessibilité du logement locatif, en général, et la mobilité vers ce secteur. En réalité, ces missions « globales » ont été constitutives de l’identité même du logement social dès son origine, mais elles se déclinent aujourd’hui dans des contextes politiques et sociaux différents.
Tableau 11 : Extension des missions du logement social

H = historiquement A = actuellement
60Dans la plupart des pays européens, le logement social est redevenu un sujet de débat incontournable pour les politiques du logement. Les « débats » sont naturellement traversés par les enjeux politiques majeurs soulevés par la question du logement et de la protection sociale, leur expression même témoignant des rapports de force existants. Bien qu’il existe des différences considérables entre les divers secteurs sociaux locatifs en Europe, ils présentent également des similitudes dans les tendances et les tensions qu’on y observe. De manière générale, le secteur locatif social « pur » est en déclin, et diverses formes de partenariats public/privé gagnent du terrain. La plupart des pays accordent la priorité à l’amélioration et la restructuration du parc existant, afin de répondre aux aspirations croissantes et de réduire les concentrations de logements de qualité médiocre et de ménages défavorisés. Cependant, une majorité de pays se préoccupe également des besoins en logements abordables, particulièrement pour les migrants et les ménages les plus vulnérables.
61Dans la plupart des pays, en effet, la demande de logement s’accroît, toutes catégories confondues, d’où un regain des pressions en faveur d’une augmentation de l’offre, que celle-ci soit privée ou sociale. Pour satisfaire ces demandes, les pays concernés doivent souvent utiliser des terrains appartenant à l’État ou en tout cas mobiliser du foncier pour fournir des logements sociaux. L’exception la plus notable est l’ancienne Allemagne de l’Est dont les villes se dépeuplent et où l’on trouve une offre à grande échelle de logement social de qualité médiocre qui ne trouve pas preneur. C’est également le cas de certaines zones peu attractives, réparties sur l’ensemble du territoire européen, principalement en Angleterre et en Suède. On note toutefois que les pressions augmentent dans presque tous les pays, avec une demande souvent mal évaluée mais qui peine à rencontrer une offre qui lui corresponde.
62Les problèmes de ségrégation sont présents dans la plupart des pays étudiés ici. Leur importance est variable, mais on observe partout un phénomène de concentration dans certains ensembles résidentiels ou dans certains quartiers. Ces problèmes, associés dans les discours à la question de la « cohésion sociale » et souvent de l’immigration, prennent une importance grandissante, et reçoivent une traduction politique parfois inquiétante.
63Le logement social serait-il en passe d’être considéré comme un problème plutôt que comme une partie de la solution ? Certes, quelques pays, dont l’Autriche, perçoivent le logement social comme un statut d’occupation « durable » que l’on doit alimenter ; la France, les Pays-Bas et le Danemark le considèrent comme un statut courant. Cependant, dans bon nombre de pays, la montée de l’accession à la propriété a réduit la mixité sociale et le logement social commence à être perçu comme un bien de qualité inférieure. Cette perception est renforcée par les préoccupations nées du fait que les quartiers d’habitat social sont assimilés à des lieux où les incivilités sont fréquentes.
64Traditionnellement, les processus d’attribution accordaient la priorité au logement des personnes qui résidaient dans la localité et de leurs enfants. La mobilité et l’immigration ont conduit à revoir ces priorités afin d’assurer le logement de ceux qui en avaient le plus besoin, même s’ils ne pouvaient justifier de liens particuliers avec la localité concernée.
65Comment faire coïncider la localisation du logement social, souvent située sur d’anciennes zones industrielles où la demande est désormais faible, et la demande de logement abordable qui se concentre sur les zones de forte pression ? Ce problème se pose de façon particulièrement aigüe au Royaume-Uni et en Allemagne, mais il devient également de plus en plus important en Suède et hors du champ de notre étude, en Finlande et sans doute dans d’autres pays de l’Europe des 27. Est-il préférable de fournir des logements sociaux dans des zones distinctes, destinées à une seule fonction, ou dans des zones où les statuts d’occupation et l’utilisation sont mixtes ? À l’heure actuelle, on admet généralement que l’accent devrait être mis sur la recherche de la mixité sociale, et sur un meilleur accès aux services et à l’emploi. Les mécanismes permettant d’atteindre ces objectifs impliquent fréquemment de restructurer la manière dont sont utilisés les terrains pour en accroître la valeur et fournir des financements. C’est en Angleterre que cette approche est la plus répandue, mais elle suscite un intérêt croissant partout en Europe.
66Quels nouveaux rôles le logement social et les bailleurs sociaux seront-ils appelés à jouer dans l’avenir ? Des inquiétudes grandissantes, apparues à propos de la gestion des quartiers et de la nécessité de rénovations à grande échelle, soumettent les bailleurs sociaux indépendants et les promoteurs privés à de fortes pressions pour qu’ils étendent leur rôle et leurs compétences, et qu’ils élargissent la gamme de leurs services dans un objectif affiché de cohésion sociale. Même si l’on reconnaît de plus en plus la nécessité d’associer le logement des personnes âgées et des groupes les plus vulnérables à la fourniture de services, voire d’accompagnement social, les bailleurs traditionnels ne sont pas nécessairement les mieux placés pour étendre leur rôle et leurs activités dans ces domaines. Ce type d’offre tend donc à impliquer des partenariats avec des acteurs spécialisés, approche qui est désormais bien développée en Scandinavie, aux Pays-Bas et en France avec le monde associatif sous toutes ses formes.
67Dans de nombreux pays, on reconnaît que la pérennisation du secteur social exigerait à la fois un accroissement de l’offre, une optimisation de l’entretien et des travaux d’amélioration, une réhabilitation et une extension de la gamme des services. Mais les ressources financières complémentaires correspondant restent à identifier. La majorité des programmes d’investissement prévoient soit d’utiliser les actifs existants de façon plus efficiente, en mettant des biens en vente sur le marché, soit des mécanismes permettant d’utiliser la valeur du terrain pour un financement croisé des aménagements. Les pays où les loyers sont déterminés en fonction du groupe résidentiel ou du revenu sont confrontés à des problèmes spécifiques d’entretien et de mise en route des travaux d’amélioration. La question du passage à des systèmes reposant davantage sur la valeur du bien, comme en Angleterre et aux Pays-Bas, se pose dans toute l’Europe.
68Les financements disponibles sont de plus en plus limités aux fonds privés, aux terrains appartenant à l’État et au recyclage des actifs existants. L’engagement à fournir un logement aux ménages salariés à bas revenus reste fort, mais il se concrétise par des aides plus faibles, en partie en raison des problèmes de cherté du logement auxquels sont confrontés les ménages les plus jeunes. Le traitement de ce problème fait toutefois souvent appel à des moyens non traditionnels, tels que des systèmes d’accession à la propriété à bas prix. L’engagement à s’occuper des plus vulnérables s’oriente généralement davantage sur la personne, et dépend de plus en plus fortement des allocations liées au revenu ainsi que des bailleurs privés et caritatifs. Les initiatives les plus récentes mettent toutefois l’accent sur l’offre de logements neufs et le soutien à des projets de rénovation plus vastes. Par rapport à la situation d’il y a dix ans, on peut considérer comme un progrès le fait qu’on admette aujourd’hui, un peu partout en Europe, que le logement social devrait jouer un rôle positif dans la résolution des problèmes de logement qui se posent à nos sociétés.
Notes de bas de page
1 Nous avons fait figurer a posteriori les trois pays du Sud qui font l’objet du chapitre IV, et qui, comme on le voit, présentent une situation de quasi absence de logement social (NdE).
2 Voir note 3 de l’introduction générale.
3 L’ordre est inversé si l’on considère le Royaume-Uni, incluant l’Écosse et le Pays-de-Galles, et non la seule Angleterre. Le parc social britannique approche alors les 5 millions de logements (NdE).
4 Droit à l’achat (en fait, une obligation pour les bailleurs de vendre aux occupants désireux d’acheter) (NdT).
5 Nous avons généralement préféré le terme « ensemble immobilier » à celui de « programme » (NdE).
6 Contrats privés entre les autorités locales chargées de l’urbanisme et des personnes intéressées par une parcelle de terrain afin de procéder à un aménagement immobilier qui n’aurait pas été accepté autrement compte tenu des plans d’aménagements urbains (NdT).
7 Le terme anglais ethnic minority est repris tel quel car c’est celui que les auteures ont choisi. Il ne convient cependant pas à d’autres contextes nationaux comme celui de la France, car il repose sur une certaine conception de la nation née d’histoires nationales différentes. Nous nous en tiendrons aux catégories officiellement en usage dans les pays concernés (NdE).
8 Parmi les difficultés engendrées par la diversité de statut des bailleurs sociaux à travers l’Europe et la diversité des missions qui leur sont conférées, l’absence de terme unique pour les désigner. La littérature anglophone a tendance à désigner tous les bailleurs « indépendants » par le qualificatif de « housing associations », qui désigne, en Angleterre et en Écosse, tous les registered social landlords dont le patrimoine n’est pas propriété des collectivités locales. Mais ce terme s’applique assez mal aux ESH « à la française », ou aux bailleurs néerlandais, dont le statut d’entreprises est assez proche de ces dernières (NdE).
9 Avec toutefois une évolution en sens inverse, vers plus de décentralisation en France, et plus de centralisation en Grande-Bretagne (NdE).
10 Voir la note 7 ci-dessus sur l’usage des termes.
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Le logement social en Europe au début du xxie siècle
Ce livre est cité par
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Le logement social en Europe au début du xxie siècle
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