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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral POURQUOI PARLER DE CRÉATIVITÉ EN LIEN AVEC LA COHÉSION SOCIALE DANS LA VILLE DANS LE CONTEXTE D’AUJOURD’HUI ? LE DÉBAT SUR LA CRÉATIVITÉ ET LA VILLE L’ÉCONOMIE SOCIALE COMME CADRE DE TRADUCTION DE LA CRÉATION EN PROJET CRÉATIF DANS LES QUARTIERS LA MISE EN ŒUVRE : POUR FAIRE DE LA CRÉATIVITÉ UN OUTIL DE DÉVELOPPEMENT COHÉSIF Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    La classe créative selon Richard Florida

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 8. Créativité et cohésion sociale en milieu urbain

    Pour une ville créative pour tous1

    Juan-Luis Klein et Diane-Gabrielle Tremblay

    p. 185-204

    Texte intégral Bibliographie RÉFÉRENCES Notes de bas de page Auteurs

    Texte intégral

    1L’objectif de ce texte est de présenter une vision globale et critique des principaux éléments théoriques, débats et perspectives stratégiques qui permettent de faire le lien entre la créativité et l’innovation, d’une part, et la cohésion sociale, d’autre part. Le sujet est donc vaste. Nous le délimiterons en nous référant surtout au domaine de la création et de la créativité culturelle et artistique, souvent invoqué lorsqu’il est question d’aménagement urbain et du développement de la ville. C’est pourquoi nous traiterons d’une des stratégies les plus marquantes parmi celles qui ont été proposées ces dernières années, à savoir la stratégie de la classe créative de Florida. Le texte est structuré de la façon suivante. D’abord, nous aborderons la problématique de la cohésion sociale. Nous le ferons surtout en nous concentrant sur les mutations que la nouvelle économie du savoir a produites dans l’espace urbain et qui ont transformé la ville en un espace fractionné, ce qui exprime sur le plan urbain une crise de cohésion sociale. Ensuite, nous présenterons le cœur de la stratégie proposée par Florida, à savoir la thèse de la classe créative, et nous nous attarderons sur la discussion de cette proposition et les critiques qui lui ont été adressées par certains auteurs. En même temps, nous mettrons l’accent sur certains champs d’action où s’expriment des actions créatives sur le plan culturel et qui constituent des jalons d’une ville créative non élitiste, par opposition à la thèse proposée par Florida. En troisième lieu, nous verrons que les organisations d’économie sociale peuvent être considérées comme des incubateurs de création et en même temps comme des médiateurs et des intermédiaires permettant la traduction de la créativité culturelle en projets de développement urbain. Et en quatrième lieu, en guise de conclusion, nous aborderons les modalités de gouvernance appropriées pour le passage de la création culturelle à la ville créative, mais ici nous parlerons d’une ville créative pour tous et non pas seulement pour une classe sociale donnée, comme le propose la thèse de la cité et de la classe créative.

    POURQUOI PARLER DE CRÉATIVITÉ EN LIEN AVEC LA COHÉSION SOCIALE DANS LA VILLE DANS LE CONTEXTE D’AUJOURD’HUI ?

    2La mondialisation est un phénomène étroitement lié à la « nouvelle économie » qui a bouleversé presque tous les domaines de la réalité et de la vie des êtres humains sur la planète. Les changements arrivent à une vitesse telle que l’adaptation précaire (quelquefois impossible) à ces bouleversements provoque des problèmes sérieux, tout un ouvrant un nouveau champ d’options. Sur le plan économique, les mécanismes de la mondialisation et la montée de la nouvelle économie du savoir posent un défi à l’ensemble des espaces productifs de la planète. Le développement, voire la survie de plusieurs régions des pays du Nord et du Sud tient principalement à la capacité de leur collectivité de répondre d’une façon créative aux fortes turbulences provoquées par l’apparition, la disparition ou le réaménagement de pans entiers de la production. Nombre de régions résistent bien et « surfent » sur les vagues de suppression d’emplois ou de réorganisation sectorielle. D’autres luttent pour limiter la dévitalisation productive et mettent en œuvre des stratégies complexes dans le but de conserver leurs emplois et leurs entreprises. Plusieurs régions doivent restructurer complètement leurs assises économiques (Fontan et al., 2005) alors que d’autres deviennent tout simplement exclues du développement (Fontan et al., 2003).

    3La nouvelle économie se caractérise par trois aspects : elle est globale, informationnelle et réticulaire. Elle met en œuvre un nouveau modèle de capitalisme, le capitalisme informationnel, où les technologies de l’information jouent un rôle capital. Sans les nouvelles technologies de l’information, le capitalisme global n’aurait pas le rayonnement d’aujourd’hui (Castells, 2001, p. 44). Ces technologies sont à la base des transformations dans les modes de production, renforcent le rôle des méga-groupes financiers et permettent l’introduction de changements importants dans l’organisation du travail (Scott, 2006). Cela a fait apparaître la notion de « flexicurité » (Tremblay, 2008), qui renvoie à l’idée d’offrir de la sécurité d’emploi aux travailleurs, tout en assurant de la flexibilité aux organisations par le biais d’une adaptation des heures de travail ou des conditions de travail. Il s’agit d’une question tout à fait importante dans nombre de secteurs où les travailleurs ont souvent de mauvaises conditions de travail et peu de sécurité d’emploi.

    4La nouvelle économie est perçue comme une source d’occasions pour ceux qui sont en mesure d’en bénéficier, mais aussi comme une menace pour ceux qui sont incapables d’en tirer profit. Elle favorise de nouvelles prospérités économiques, mais crée également de nombreuses inégalités, d’autant plus que les gouvernements enclenchent plusieurs processus de déréglementation/reréglementation afin de la favoriser (Castells, 2001), ce qui fragilise la protection sociale et génère la précarité dans une couche importante de la population. Ces inégalités engendrent des tensions sociales importantes provoquées par le fait que des fractions de la population s’insèrent dans des réseaux performants sur le plan économique, alors que d’autres en sont exclues (Soja et Scott, 1986 ; Sassen, 1996 ; Scott, 2006). Au plan territorial, cela se traduit par de nouvelles fractures qui affectent la cohésion sociale (Viard, 1994 ; Veltz, 1996). Les configurations géographiques se voient modifiées de façon importante, et ce, selon deux tendances combinées : la mise en réseau à l’échelle globale et la concentration à l’échelle locale (Castells, 2004). Cela favorise certains espaces (régions, villes, quartiers) et certaines catégories sociales (Benko et Lipietz, 1992), aux dépens d’autres (Côté et al., 1995).

    Crise des mécanismes d’intégration et atomisation de la société

    5La cohésion sociale est cruciale pour la prospérité économique et pour le développement de la société. En fait, en l’absence de cohésion sociale, une société n’est pas une société. La cohésion sociale est ce qui tient une société ensemble. Elle n’est pas que la somme des institutions qui soutiennent une société, mais plutôt la colle qui assure la collaboration entre les institutions (Jenson, 2002, p. 142). Selon Forrest et Kearns (2001), la cohésion sociale est le résultat de plusieurs facteurs. Elle repose sur le partage de valeurs communes entre les membres d’une collectivité, mais aussi sur les interactions et les liens entre les divers niveaux de régulation d’une société. En fait, la cohésion sociale dépend du niveau de confiance que les citoyens ont dans les institutions, ce qui est une condition pour l’engagement individuel avec le collectif. Cet engagement individuel avec la société dépend aussi de l’équité dans les relations socioéconomiques entre les individus. À l’engagement du citoyen avec sa collectivité, il faut ajouter l’engagement mutuel entre les communautés formant une société. À la coopération entre citoyens s’ajoute donc la coopération entre territoires.

    L’appartenance et l’identité

    6Sans doute le sens d’appartenance à une communauté et l’identité territoriale sont-ils des facteurs importants pour la cohésion d’une collectivité. Or, le processus de polarisation accélérée traverse nos sociétés, lequel se manifeste à tous les niveaux (politique, économique, social, culturel, etc.) et à toutes les échelles (nationale, régionale, locale, voisinage), fragilise les appartenances communes et atomise les territoires. Parlant du territoire urbain, on peut constater que les villes contemporaines sont traversées par des fractures profondes en ce qui concerne les revenus, l’accès aux services et la qualité de vie. Des couches importantes de la société se voient limitées dans l’exercice de leurs droits de citoyenneté et les dispositifs assurant leur protection deviennent inopérants (Castel, 2008), ce qui affecte de façon importante la cohésion sociale des sociétés et des villes.

    7D’autre part, les institutions et mécanismes qui assuraient l’intégration sociale et les valeurs qui soudaient la société sont en crise. Le marché du travail, la religion, l’école, trois mécanismes qui intégraient les différentes classes sociales ainsi que les différents groupes (ethniques, religieux, d’âge, etc.) n’assurent plus ce rôle et la société devient de plus en plus atomisée. D’ailleurs, les approches du développement qui sont mises en œuvre par les États pour s’adapter aux exigences posées par la globalisation, lesquelles misent surtout sur le capital privé et sur la performance, confortent cette situation.

    8En même temps, de nouvelles identités et de nouvelles appartenances se créent. C’est que, comme le montre bien Castells (1997), des nouvelles identités et appartenances émergent en lien avec des réseaux qui se structurent à diverses échelles. D’autre part, le modèle économique qui soutient cette nouvelle société fait la promotion de l’individu et du court terme et non pas du collectif et de la solidarité sociale. Dans ce contexte, les villes, qui étaient des espaces d’interaction, deviennent des espaces fragmentés, atomisés, avec forte ségrégation (Borja, 2002 ; 2003).

    La créativité et la cohésion sociale dans la ville

    9Comment réagir à la fragmentation sociale provoquée par la mondialisation, la nouvelle économie du savoir et la société en réseau ? La réaction naturelle est celle de vouloir reconstruire la cohésion sociale brisée basée sur l’homogénéité et la solidarité centrées sur l’État. Or, cela n’est ni possible ni souhaitable dans le contexte actuel (Boltanski et Chiapello, 1999). Des expériences réussies ont montré que la solution aux fractures sociales provoquées par la mondialisation ne peut pas être trouvée uniquement au sein des institutions étatiques. Ce sont des stratégies novatrices et socialement créatives qu’il faut élaborer et mettre en place (Moulaert et Nussbaumer, 2008). L’appellation « créative » s’inscrit dans le sens de l’inventivité et des pratiques socialement innovantes qui permettent de favoriser le développement des communautés défavorisées mais dans un contexte de respect de l’hétérogénéité. Le défi est cependant de trouver un équilibre entre l’homogénéité et la diversité, comme le soulignent certains auteurs (Jenson, 2002, p. 148). Mais surtout, ce qu’il faut, c’est rétablir les ponts entre les divers groupes sociaux à travers des actions qui recréent les liens sociaux et des organisations qui agissent comme des intermédiaires entre les groupes. Les actions concernant la créativité, notamment dans le domaine culturel, sont souvent invoquées comme étant susceptibles de rapprocher les groupes sociaux.

    10Il existe un très grand nombre de façons d’aborder la créativité (Aleinikov, Kackmeister et Koenig, 2000). Toutes ciblent cependant la capacité de créer de la nouveauté, d’inventer. Trois facteurs interviennent dans la créativité : l’individu, la société et la culture. À partir de connaissances établies (la culture), une personne (l’individu) crée quelque chose de nouveau. La société acceptera ou rejettera la nouveauté. C’est dans l’acceptation sociale et la diffusion de la création que réside l’innovation. L’innovation peut donc être vue comme l’effet social de la création. C’est donc au plan du social que la création et l’innovation se rejoignent. Dans ce texte, nous renvoyons en particulier aux actions innovantes qui permettent aux collectivités de construire de nouvelles formes de cohésion sociale. Dans le domaine social, l’innovation sociale se traduit par de nouvelles pratiques sociales qui deviennent des sources de transformations pour la société et contribuent à la reconstruction de la cohésion sociale.

    11L’innovation sociale apparaît comme une réponse relevant d’initiatives sociales là ou les solutions instituées ne réussissent pas à résoudre les problèmes sociaux (Klein et Harrisson, 2007). Se diffusant à travers des réseaux sectoriels, mais interagissant avec des instances de gouvernance, l’innovation sociale a des effets sur les politiques publiques et sur l’acteur privé (Laville, 2009). Elle est enracinée dans une dialectique intime entre la satisfaction des besoins humains, des formes d’économie qui donnent au social une place importante dans la définition des modalités de régulation et des modalités participatives de gouvernance (Moulaert et al., 2003). En ce qui a trait au développement urbain, cela prend une forme multidimensionnelle où interviennent aussi bien les arts, l’architecture, les espaces publics, les activités récréatives et socioculturelles ; sont également mises en cause dans ces développements la question du genre, l’entrepreneuriat, la participation politique et l’environnement.

    12La créativité et l’innovation sont donc des jalons d’une dynamique sociale qui tire profit de la différence, voire du conflit. La résolution des problèmes oriente les acteurs vers des solutions légitimes, vers des compromis, leur permettant de coopérer et de s’inscrire dans la poursuite du bien commun, sans perdre de vue leurs intérêts respectifs. Mais pour atteindre ces compromis, le contact et l’interaction sont nécessaires. Pour plusieurs, la ville apparaît comme l’espace le plus approprié pour y parvenir.

    LE DÉBAT SUR LA CRÉATIVITÉ ET LA VILLE

    13Le débat sur la créativité et la ville a été concentré ces dernières années autour de l’approche de la « ville créative » de Florida. Dans cette section, nous présenterons d’abord ce qui nous apparaît être l’élément le plus discuté de cette approche, à savoir la stratégie de la « classe créative », laquelle oriente non seulement de nombreux chercheurs, mais aussi de nombreux politiciens. Dans un deuxième temps, nous ferons une synthèse des critiques qui sont adressées à cette stratégie précisément à cause de ses effets négatifs sur la cohésion sociale, pour dégager ensuite certains champs d’action où ont lieu des expérimentations créatives conduisant à plus de cohésion sociale. Nous verrons ainsi que ce n’est pas l’hypothèse d’une ville créative qui est contestée, mais bien son aspect élitiste.

    La classe créative

    14La relation entre création et ville est bien enracinée. H. Lefebvre (1970) voyait la ville comme le centre de toutes les créations. J. Jacobs a été la première à parler de « ville créative », dans son livre Cities and Wealth of Nations (1984), dans lequel elle associe créativité et diversité. Mais c’est surtout Florida (2002a, b) qui a ramené à la discussion le thème de la créativité en milieu urbain en l’associant à la capacité des villes de croître, de s’enrichir et d’augmenter leur compétitivité dans un contexte de concurrence internationale pour attirer des investissements économiques. Il a associé la ville créative à l’existence d’une classe créative :

    The Super-Creative Core of this new class includes scientists and engineers, university professors, poets and novelists, artists… and other opinion-makers… Beyond this core group, the Creative Class also includes “creative professionals” who work in a wide range of Knowledge-intensive industries… Doing so typically requires a high degree of formal education and thus a high level of human capital (Florida, 2002a, p. 68-69).

    15Selon Florida, une ville créative repose sur le talent, la technologie et la tolérance, ce qui fait à peu près consensus. Le problème est que, dans l’optique de Florida, le talent est associé à une élite, soit aux personnes possédant généralement de hauts niveaux de scolarité, ou encore de capital créatif (un concept mal défini). Selon Florida, les « talents » seraient la base de l’ouverture à la diversité et à la création. Conséquemment, Florida prône des investissements massifs permettant de construire une offre artistique et culturelle attractive afin d’attirer ladite classe créative et de stimuler l’innovation et la croissance économique des villes, sans se préoccuper de la répartition des richesses, ni du sort des exclus, des « sans talent » ou de ceux dont le « talent » n’est ni reconnu, ni bien rémunéré.

    Visions alternatives : la créativité sociale à partir de la base

    16L’approche de Florida inspire de nombreux gouvernements urbains et municipaux qui investissent dans des équipements culturels de prestige, mais elle suscite aussi de nombreuses critiques de la part aussi bien de chercheurs (voir les articles de cet ouvrage, ainsi que Polèse et Tremblay, 2005 ; Markusen, 2006a, b, c ; Shearmur, 2006 ; Stern et Seifert, 2007) que d’acteurs locaux. Certes certains acteurs culturels, comme Culture Montréal par exemple, y voient un soutien à leurs revendications (Klein et al., 2009b), et, en général, on s’entend sur le fait que les travaux de Florida ont réussi à centrer l’attention sur l’importance de la culture et de l’éducation en regard du développement urbain, ce qui peut être considéré comme positif (Tremblay et Darchen, 2008). Cependant, la majorité des auteurs lui reprochent une vision élitiste et proposent une vision plus inclusive de la créativité urbaine, dans laquelle l’» émancipation sociale » est préférée à l’» embellissement physique » (Moulaert et al., 2004 ; Markusen, 2006a et b).

    17Selon une telle vision, une ville créative doit être le résultat de l’action de toutes les classes sociales et non seulement de celles qui possèdent les plus hauts niveaux d’éducation (Markusen, 2006c), ce qui associe la créativité à la mobilisation de la culture pour l’amélioration de la qualité de vie et du développement social de tous les groupes qui composent la société (Gertler, 2004 ; Tremblay et al., 2006). Cela est une réponse au fait que, comme certaines recherches ont pu le montrer, les commodités ou infrastructures artistiques ne permettent pas toujours d’attirer les catégories professionnelles qui, selon Florida, composent la classe créative, plusieurs d’entre elles étant davantage intéressées par les occasions d’emploi (Darchen et Tremblay, 2009) ; les jeunes artistes, pour leur part, sont plus attirés par les loyers faibles qui leur permettent d’avoir accès à des studios à peu de frais pour démarrer leur carrière (Pilati et Tremblay, 2008).

    18La capacité des ressources culturelles et des acteurs du domaine de la culture à rendre une ville plus dynamique et créative est reconnue, mais la plupart des auteurs s’entendent sur le besoin d’une vision large de la culture. Plutôt qu’une stratégie destinée à attirer les talents, on préconise la conception de stratégies diversifiées, qui mobilisent des ressources culturelles, mais qui opèrent sur plusieurs dimensions (Tremblay et Darchen, 2008 ; Costa, 2004 ; Pilati et Tremblay, 2007). Ce point de vue est d’autant plus pertinent que certaines études montrent que le soutien public à l’égard des secteurs créatifs s’adresse davantage aux « industries » (producteurs et autres groupes apparentés) plutôt qu’à améliorer les conditions des travailleurs créatifs ou à accroître l’accessibilité des plus démunis aux activités culturelles. De fait, comme l’a montré Menger (2002), la création pourrait constituer en quelque sorte un champ d’expérimentation des conditions de travail de l’avenir, mais il ne faut pas oublier que ces conditions se traduisent souvent par de faibles salaires et de la précarité. Elle est certes intéressante et stimulante, mais à quel prix ? Les sections suivantes nous permettront de revenir sur l’expérimentation d’actions menées dans le domaine de la culture, qui relèvent de la création culturelle, mais qui visent l’ensemble de la population et non pas seulement une élite.

    La création ascendante comme atout pour le développement des milieux locaux

    19Plusieurs expériences montrent le potentiel particulier de la création culturelle pour favoriser la cohésion sociale et le changement de l’image d’une collectivité dans une perspective cohésive (Walshok et al., 2002 ; Scott, 2000). Par exemple, dans ses études sur les friches industrielles réorganisées en sites culturels, Greffe (2003) montre que le développement des activités artistiques et culturelles peut jouer un rôle d’inclusion et de requalification et permet d’accroître les capacités de réflexion et d’entrepreneuriat des acteurs locaux.

    20L’exemple des centres d’artistes de Minneapolis-St. Paul, étudié en profondeur par Markusen (2006b), montre que la création artistique peut devenir un facteur de créativité économique et, en même temps, de promotion sociale des quartiers. Selon cette chercheure, les regroupements d’artistes dans divers quartiers encouragent les résidents à traverser les frontières internes dans la ville, brisant ainsi la ghettoïsation, ce qui favorise la mixité et crée des liens socioterritoriaux. En même temps, le caractère autogéré de ces regroupements favorise l’apprentissage collectif et leur interrelation avec le milieu local. Ces regroupements peuvent aussi devenir des attractions touristiques et des piliers commerciaux dans les petites villes, comme dans le cas de Montomor-o-novo au Portugal (André et Abreu, 2009) et, en même temps, des leviers pour le développement communautaire et l’intégration sociale, comme dans le cas de l’École des arts du cirque (TOHU), dans le quartier Saint-Michel à Montréal, ou les regroupements autogérés d’artistes au Québec (Tremblay et Pilati, 2008).

    21L’» art public » constitue ainsi un puissant moyen d’intégration sociale. Ce qui est important, c’est que la création artistique soit conçue comme un processus et non pas comme un produit, un processus qui crée des liens sociaux dans la communauté et accroît l’estime de soi au plan individuel et collectif (McCarthy, 2006), tout en augmentant la sécurité et le respect dans les différents quartiers (Perez et al., 2000). Cela est d’autant plus important dans des quartiers où des groupes sociaux de statut économique ou d’origine ethnique différents cohabitent sans interrelation, ce qui peut accentuer la stigmatisation et l’exclusion.

    La création et l’intégration dans les espaces publics

    22Mettre l’accent sur une approche de créativité sociale implique la valorisation des espaces publics, permettant aux individus d’interagir et de débattre. En principe, ces espaces sont des lieux ouverts et accessibles, qui ont la propriété de permettre l’interaction, les rencontres et l’échange social, et où une grande variété d’activités sont menées par des groupes ayant des intérêts différents (Chelkoff et Thibaud, 1992, 1993). Cependant, ce rôle a été remis en question comme conséquence de l’individualisme favorisé par les nouveaux modèles économiques d’orientation néolibérale, lesquels favorisent l’individualisme. Cet individualisme amène plusieurs à délaisser les liens de voisinage. La peur de la stigmatisation et les nouvelles modalités de travail en éloignent d’autres. Le fait que des groupes importants abandonnent les espaces publics crée des conditions d’insécurité, lesquelles sont accentuées par l’atomisation et la ségrégation sociale, ce qui amène d’autres secteurs à les déserter. Plusieurs espaces publics deviennent donc associés à l’insécurité et la population tend à se réfugier dans ses espaces domestiques, ce qui accentue l’isolement. Réinvestir les espaces publics devient donc une priorité pour la construction d’une société cohésive.

    23Les expériences démontrent que l’activité culturelle permet de resocialiser l’espace public. Elle réduit les actes de vandalisme et accroît le sentiment de sécurité. Cela renforce l’image du lieu et améliore l’environnement. En outre, en tant que lieu attirant pour les habitants et les visiteurs, le quartier attire des emplois et les acteurs lancent des initiatives économiques qui suscitent la participation. Les habitants changent leur perception de l’endroit où ils vivent et développent une relation de confiance envers leur milieu (Evans et Shaw, 2004). C’est le cas par exemple du quartier Saint-Michel, où l’implantation de la Cité des arts du cirque a généré diverses formes de collaboration entre des acteurs locaux et donné à la population des repères identitaires qui transforment la perception que l’on en a, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. C’est aussi l’exemple de l’expérience de Parole d’excluEs dans l’Ilôt Pelletier à Montréal-Nord, où un projet de mobilisation sociale a débuté par la réhabilitation de logements et est devenu une expérience de développement intégré. Même si elle ne règle pas tout, la réalisation d’activités à visée culturelle transforme le lieu en espace public permettant à des immigrants de diverses origines, à des personnes seules marginalisées et à d’autres types de résidents démunis qui habitent ce lieu de socialiser et de participer à des projets qui améliorent la qualité de vie dans le quartier et augmentent leur capacité d’agir (Chamberland et Rodriguez, 2009).

    24L’espace public peut ainsi devenir à la fois un lieu de diversité et d’intégration. Socialement réinvesti, il génère un sentiment d’appartenance commune (Garcia-Ramon et al., 2004). Par ailleurs, à travers divers types de manifestations, l’espace public permet l’expression de la parole et la discussion, permettant ainsi de rendre visibles des problèmes sociaux qui touchent un quartier et qui, autrement, seraient occultés. L’espace public est aussi un espace de débats, ce qui permet la confrontation de points de vue, voire d’intérêts et la gestation de compromis, ce qui constitue un jalon important pour générer la cohésion sociale (Borja, 2001).

    La création comme moyen pour construire une identité positive

    25Les fractures sociales ne reposent pas uniquement sur des inégalités objectives, telles les inégalités de revenus ou la qualité du logement, par exemple. Elles reposent aussi sur des perceptions, celles sur soi-même et celles rendues par l’image projetée de l’autre. Ces dernières sont souvent stigmatisantes à l’endroit des collectivités défavorisées (minorités ethniques, chômeurs, assistés sociaux, handicapés, etc.). La stigmatisation produit chez les personnes cibles des sentiments de vulnérabilité, de honte, et des comportements de retrait, ce qui transforme la fracture sociale en exclusion sociale. Certains programmes étatiques peuvent assurer un soutien et un certain niveau de bien-être à ces personnes, mais ils ne changent pas tous la stigmatisation qu’elles subissent, bien au contraire, comme le montrent les travaux de Preteceille (2003) au sujet des ensembles de logements sociaux. Dans le modèle économique orienté vers la performance individuelle, cette perception stigmatisante est encore plus forte (Ulysse, 2007), et se double d’une perte de confiance envers les institutions qui jadis assuraient l’intégration.

    26Dans ce contexte, la reconstruction de la cohésion sociale passe par le renforcement de l’estime de soi (individuelle et collective), par des actions qui permettent de construire une perception positive de soi et de son environnement ou, comme diraient Bassand et Guindani (1983), par la transformation des stigmates en emblèmes. Dans les pays européens notamment (mais aussi ailleurs, notamment aux États-Unis), l’expression culturelle (musicale, théâtrale ou picturale) de nature populaire a été un moyen privilégié pour les groupes sociaux d’affirmer leur identité et de conquérir la reconnaissance nécessaire à leur insertion sociale (Bassand, 1990). Dans les grandes villes latino-américaines, on constate l’émergence d’expressions culturelles que Gargurevich (2002, p. 7-8) regroupe dans ce qu’il appelle « culture chicha ». Ces expressions culturelles ont réussi à renverser les préjugés sociaux contre les secteurs les plus démunis, forçant ainsi la reconnaissance sociale de ces formes culturelles par l’élite. Parallèlement, les luttes sociales laissent leurs marques à travers les murs des cités. La musique et la danse ont aussi un rôle cohésif fondamental, comme le soulignait Dos Santos (2008) en citant le cas des habitants des favelas au Brésil, lesquels soutiennent massivement les écoles de samba qui leur permettent de participer aux carnavals et ainsi de se valoriser2.

    27On le voit d’ailleurs dans le film Parole d’exclus, réalisé par Patrice Rodriguez. L’un des derniers plans de ce film montre un groupe de « catadores » (collecteurs et recycleurs de papier) dans une favela de Sao Paulo qui préparent leur participation à un carnaval dansant au rythme d’une chanson composée par eux et dont les paroles affirment leur identité. Leur art, dit une « catadora » dans le film, leur a permis de renverser l’image négative que leur renvoyait la société et de se créer une image positive d’eux-mêmes, en même temps qu’ils se sont insérés dans un réseau formé par des chorales et artistes « catadores » qui leur permettent de se créer un milieu de vie et de référence forgé par des valeurs d’entraide et de reconnaissance. Voilà un exemple de la façon dont l’art peut amener une communauté à répondre de façon innovante à des problèmes causés par l’exclusion. Les murales collectives créées sur des murs d’édifices par les populations de plusieurs quartiers aux États-Unis, en collaboration avec un artiste « en résidence » dans le quartier, peuvent aussi jouer ce rôle. Ainsi, l’art peut être une activité créative sur le plan esthétique, mais il peut l’être aussi sur le plan social lorsqu’il devient un facteur de lien social, comme c’est le cas avec ces créations collectives.

    28On peut donc conclure cette section en constatant que ce n’est pas l’idée de ville créative de Florida qui est contestée, et encore moins celle de l’importance de la créativité dans la culture et dans tous les domaines, mais bien la conception élitiste de la créativité et du rôle qu’on peut lui attribuer dans une stratégie de développement. Il apparaît juste et approprié que les villes affichent leur identité et leur décision d’être compétitives en mettant en œuvre des projets de prestige dans le domaine des arts et de la culture. Mais cela ne peut pas suffire pour assurer un développement économique équitable et de la cohésion sociale. Au contraire, cela peut accentuer les fractures territoriales et sociales auxquelles, en principe du moins, on essaie de réagir. C’est plutôt la créativité sociale qui s’exprime dans divers domaines et qui favorise la confrontation d’idées et de perspectives qui permet aux différents citoyens de construire des sociétés cohésives tout en respectant les différences. Mais comment favoriser l’émergence de ce type d’initiatives ? Comment les coordonner, comment leur donner une base institutionnelle de façon à ce qu’elles fassent système et aient un effet sur l’ensemble de la société ? Plusieurs auteurs voient dans les organisations d’économie sociale et solidaire un cadre assurant l’intermédiation entre les expériences et instances politiques et sociales qui gouvernent la ville (Klein et al., à paraître ; Laville, 2009).

    L’ÉCONOMIE SOCIALE COMME CADRE DE TRADUCTION DE LA CRÉATION EN PROJET CRÉATIF DANS LES QUARTIERS

    29Un aspect important abordé par les auteurs qui font la promotion d’une ville culturellement dynamique, mais en même temps inclusive et cohésive, concerne le rôle des organisations rattachées à l’économie sociale et solidaire (ou à l’économie populaire en Amérique latine, ou communautaire [community development] aux États-Unis) en tant qu’incubateurs d’expériences de création culturelle qui valorisent la créativité au profit du développement économique local. Même si elles affichent plusieurs variantes selon les pays et les secteurs (Nyssens, 2004 ; Moulaert et Ailenei, 2005), ces organisations ont deux caractéristiques communes : d’une part, elles visent à améliorer le sort des citoyens aussi bien au plan économique que social et, d’autre part, elles sont ancrées dans la collectivité locale. Ainsi, elles ont la capacité de mettre en œuvre une dynamique collective de créativité sociale dans des quartiers défavorisés. Cette capacité se traduit aussi par une quête de reconnaissance en tant qu’acteur dans le domaine de la culture (Colin et Gauthier, 2008).

    30À cet égard, l’exemple des corporations de développement économique communautaire (CDEC) à Montréal est révélateur. Ces CDEC jouent un rôle important dans la construction d’une nouvelle économie basée sur l’hybridation de l’économie sociale, de l’économie publique et du marché. En même temps, elles mettent en valeur la création et la culture au profit de la revitalisation des quartiers dévitalisés. Un exemple est celui du LabCréatif, un regroupement de designers et créateurs dans le domaine de la mode qui a vu le jour dans le quartier défavorisé du Mile-End à Montréal, grâce à l’appui de la Corporation de développement économique communautaire du Plateau-Mont-Royal – Centre-Sud (Klein et al., à paraître). Cette expérience constitue un exemple révélateur du rôle qu’un organisme d’économie sociale peut jouer dans la valorisation de la créativité au profit de la redynamisation d’un secteur économique traditionnel et d’un quartier dévitalisé.

    31En participant au regroupement des designers, la CDEC a contribué à satisfaire des besoins de promotion et de production communs aux designers. Ce regroupement permet aussi à ces entrepreneurs de se donner des moyens de représentation auprès des pouvoirs publics et des moyens d’action sur des problèmes qui leur sont particuliers. Les designers s’insèrent dans une dynamique plus générale qui favorise la création. En plus de la mise en commun de ressources, la CDEC a procuré aux entrepreneurs designers la légitimité et l’accès à des informations qu’ils n’auraient pas eues autrement, notamment parce qu’ils sont de jeunes entrepreneurs qui ne disposent ni du capital social qui procure la crédibilité financière ni du réseau informationnel que des années d’expérience permettent de construire. De plus, le capital social de la CDEC a permis aux designers d’avoir le soutien de plusieurs organismes sociaux, économiques et politiques. L’accès à ces ressources est le résultat de leur caractère communautaire et de leur insertion dans divers types de réseaux. Cela leur permet de mobiliser un ensemble d’acteurs d’origine diverse, locale et exogène, privée et publique, au profit des initiatives socialement créatives. Cet exemple montre que l’économie sociale peut être la base de l’hybridation de plusieurs types d’actions (économiques, sociales, politiques, éducatives, environnementales) et favoriser ainsi l’intégration des actions de développement dans un quartier (Moulaert et Nussbaumer, 2008).

    32La créativité peut en effet être la base d’une stratégie cohésive de développement urbain, à condition qu’une telle stratégie s’insère dans une conception plus large qui mise sur les capacités créatives des individus vus dans leur diversité. Le défi pour les décideurs et les planificateurs est de faire en sorte que la création dans ses diverses formes devienne une action collective, voire un moteur pour l’amélioration de la qualité de vie de l’ensemble des citoyens en favorisant autant les projets de prestige que l’accessibilité et la participation à la création dans tous les domaines et pour tous les citoyens (Gertler, 2004 ; Markusen et King, 2003 ; Markusen et al., 2004 ; Jensen, 2007 ; Cecilli et Tremblay, 2008).

    LA MISE EN ŒUVRE : POUR FAIRE DE LA CRÉATIVITÉ UN OUTIL DE DÉVELOPPEMENT COHÉSIF

    33La créativité et la création peuvent avoir un effet cohésif sur les collectivités, mais cela ne va pas de soi. Lorsqu’elle s’exprime en produits artistiques ou culturels créés individuellement, la localisation de la créativité dans des lieux particuliers n’engendre pas nécessairement de la cohésion sociale (Gertler, 2004), et ce n’est généralement pas son objectif. Plusieurs quartiers dans le monde ont connu ce genre de processus. Par contre, des processus créatifs peuvent donner lieu à des partages, à des initiatives collectives, et alors ils peuvent avoir un effet cohésif ; la création doit s’intégrer dans une vision globale de la gouvernance de la cité, laquelle doit inclure les dimensions sociales, économiques et politiques et affirmer une volonté d’équité sociale et territoriale.

    34Prendre la décision d’orienter les processus de gouvernance et de planification en ayant comme base la créativité et l’innovation signifie que les décideurs, les planificateurs et les citoyens décident de remettre en question leurs croyances et leurs dogmes et de faire confiance à la créativité des citoyens. Les processus qui sont à la base de la créativité s’insèrent dans des contextes institutionnels et dépendent de la volonté des acteurs et décideurs politiques gérant les destins de la collectivité. Vue ainsi, la créativité génère de l’innovation et est à la fois un facteur de transformations sociales et une réponse à celles-ci. L’innovation ne peut être menée à terme en l’absence de réseaux (de savoir, de solidarité, de pouvoir) ni sans l’acteur public. Sur un plan global, le besoin de créer socialement et d’innover doit être situé dans un contexte large où la société vit des changements majeurs en ce qui concerne la croissance et la mobilité de la population, le rapport des collectivités aux ressources de type naturel et de type humain, ainsi que les changements environnementaux qui imposent des choix éthiques majeurs. Dans ce contexte, l’État doit jouer davantage un rôle de facilitateur et de catalyseur, et non pas de faiseur. Mais il doit être présent. Son action doit être forte mais flexible. Il doit soutenir les individus créatifs, et pas seulement les industries créatives comme c’est trop souvent le cas, car alors les financements ne se rendent pas toujours, ou pas essentiellement aux individus créatifs à la base. Il peut aussi favoriser des initiatives collectives, associées à des individus créatifs, comme c’est le cas pour les murales collectives, ou encore les danses de samba au Brésil.

    35La mise en œuvre d’actions créatives et innovantes exige de nouvelles formes de gouvernance favorisant à la fois la confrontation et la concertation entre les acteurs sociaux tant à l’échelle locale (Stoker, 2002) qu’entre les différentes échelles qui permettent d’intégrer le développement (Moulaert et al., 2003). Nous parlons ici d’une approche où la société civile a une place dans la définition des stratégies de développement et dans la gouverne des sociétés (Fontan et al., 2003), ce qui résulte en partie du recul de la prise en charge étatique du développement, mais aussi du réengagement des acteurs intermédiaires, et de la demande de plus en plus forte de nombre d’acteurs pour participer à la prise de décisions.

    36Le défi consiste à construire des modalités de gouvernance ancrées dans les contextes locaux, répondant aux problèmes locaux et pouvant être réappropriées par les acteurs locaux (Crouzel, 2007). Il s’agit d’un défi de démocratisation de la gouvernance, souvent établie selon des logiques verticales. La « démocratie formelle », fondée sur l’élection des autorités, se révèle insuffisante, ce qui soulève le besoin d’implanter une « démocratie de contenu » (Crouzel, 2007, p. 4). Dès lors, l’enjeu de la démocratisation est étroitement lié aux enjeux de l’action publique locale, impliquant les acteurs non étatiques dans les processus décisionnels et ouvrant un champ de conflits politiques et sociaux pour la reconnaissance de leur rôle (Stoker, 2002 ; Colin et Gauthier, 2008). C’est à partir du niveau local qu’il est possible de reconstruire des relations de confiance entre les acteurs ainsi que le capital social nécessaire pour le renouvellement d’une cohésion sociale basée sur des rapports d’équité sociale, économique et territoriale. Mais c’est l’ouverture au monde et à sa diversité qui permet de bénéficier des occasions ouvertes par la mondialisation.

    37Dans le contexte actuel, la ville se transforme. De nombreux acteurs font valoir leur point de vue sur la ville et les citoyens se font entendre. L’émergence de nouveaux acteurs soulève cependant de nouveaux problèmes, qui interpellent la planification urbaine, comme en témoignent les cas de budget participatif qui se diffusent partout dans le monde à partir des expériences brésiliennes ; même si une partie seulement du budget est véritablement participatif, cela ouvre de nouvelles perspectives. Ces expériences posent l’exigence de construire un projet de développement économique sans exclusion, qui place le citoyen au centre du processus de production du destin de la ville.

    38Créativité sociale et gouvernance ne sont pas synonymes. À travers la gouvernance, les acteurs convergent sur des « points de ralliement » (Fontan et al., 2005) et « pilotent » la régulation sociale (Boyer et Saillard, 2002). La créativité sociale amène les citoyens à participer à ce pilotage, à fixer de nouveaux points de ralliement, provoquant ainsi la mise en œuvre d’innovations qui peuvent transformer la gouvernance. Il est donc important dans la perspective de la cohésion sociale dans la ville de mettre en œuvre une gouvernance qui favorise la créativité et les actions culturelles, ainsi que leur effet cohésif.

    39À cet égard, Borja (2002, 2003) fait un appel à l’innovation politique pour les villes du XXI e siècle afin d’apporter une réponse à la fragmentation qui les caractérise. Borja émet trois recommandations. En premier lieu, l’instance publique locale et régionale doit jouer un rôle plus grand et plus important dans l’élaboration de stratégies appuyées sur leurs spécificités. En deuxième lieu, il faut la volonté sociale de construire un espace public, collectif et de partage, afin de rétablir la confiance et de favoriser la coexistence et la tolérance entre les groupes culturels, entre les différentes minorités, entre les différents types de citoyens. En troisième lieu, on doit lutter contre la ségrégation sociale et spatiale, en mettant en place des formes non stigmatisantes de mixité sociale, des modalités de communication entre les citoyens et des actions culturelles participatives. Une gouvernance locale créative doit assurer la concertation entre les acteurs au bénéfice de tous, y compris les populations les plus défavorisées (Donzelot, 1997) et donner la parole aux acteurs et aux citoyens. C’est à cette condition que la ville sera cohésive.

    40Il faut reconnaître que les activités culturelles et la créativité culturelle ne peuvent générer la cohésion sociale à elles seules. Mais, lorsque ce sont les citoyens qui sont à la base de réponses créatives à des problèmes qui les concernent, ils augmentent leur capacité d’agir, ils construisent des liens sociaux et ils reconstruisent leur identité. Leur appartenance devient ainsi un atout et un objet d’action collective et de mobilisation sociale. Il faut ainsi réfléchir à des formules permettant la participation de tous aux activités créatives afin d’éviter la vision élitiste qui ressort souvent des propositions fondées sur les travaux de Florida.

    Bibliographie

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    Notes de bas de page

    1 Ce texte a été écrit avec la collaboration de Darío Enriquez, Ping Huang et Reina Victoria Vega, dans le cadre du projet Social Polis : Social Platform on Cities and Social Cohesion, coordonné par Frank Moulaert et financé par l’Union européenne (Coordination and Support Action – CSA FP7-SSH-2007-2.2.3). Les auteurs tiennent à remercier Isabel André, André Carmo et Frank Moulaert pour les commentaires et critiques apportés à une version antérieure de ce texte, qui a ensuite été remanié pour cet ouvrage sur les thèses de Florida.

    2 Présentation de Théotonio Dos Santos lors d’un séminaire du CRISES réalisé à l’université Concordia, à Montréal, le 12 décembre 2008.

    Auteurs

    Juan-Luis Klein

    Diane-Gabrielle Tremblay

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    1 Ce texte a été écrit avec la collaboration de Darío Enriquez, Ping Huang et Reina Victoria Vega, dans le cadre du projet Social Polis : Social Platform on Cities and Social Cohesion, coordonné par Frank Moulaert et financé par l’Union européenne (Coordination and Support Action – CSA FP7-SSH-2007-2.2.3). Les auteurs tiennent à remercier Isabel André, André Carmo et Frank Moulaert pour les commentaires et critiques apportés à une version antérieure de ce texte, qui a ensuite été remanié pour cet ouvrage sur les thèses de Florida.

    2 Présentation de Théotonio Dos Santos lors d’un séminaire du CRISES réalisé à l’université Concordia, à Montréal, le 12 décembre 2008.

    La classe créative selon Richard Florida

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    Ce livre est cité par

    • Renoir, Simon. (2018) Assemble Sound, un courtier au cœur de la restructuration de la filière musicale à Détroit. Questions de communication. DOI: 10.4000/questionsdecommunication.15869
    • Gomez-Breysse, Marie. (2016) L’entrepreneur « lifestyle ». Revue de l’Entrepreneuriat, Vol. 15. DOI: 10.3917/entre.153.0231
    • Yagoubi, Amina. Tremblay, Diane-Gabrielle. (2017) L’innovation numérique et technologique dans le secteur vêtement-mode : les politiques publiques en soutien à la création d’un écosystème d’affaires intersectoriel. Innovations, n° 53. DOI: 10.3917/inno.pr1.0011
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    • Andres, Lauren. Grésillon, Boris. (2011) Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives. L’Espace géographique, Tome 40. DOI: 10.3917/eg.401.0015
    • Bouchez, Jean-pierre. (2014) Autour de « l'économie du savoir » : ses composantes, ses dynamiques et ses enjeux. Savoirs, n° 34. DOI: 10.3917/savo.034.0009
    • Liefooghe, Christine. (2013) Spatialités créatives, trajectoires d'artistes et développement des territoires. Territoire en mouvement. DOI: 10.4000/tem.2112
    • Sibertin-Blanc, Mariette. (2020) Culture in Urban Development: Putting Forth the Hypothesis of a Bifurcation in France. disP - The Planning Review, 56. DOI: 10.1080/02513625.2020.1851906
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    • Polo, Jean-Francois. (2015) The Istanbul Modern Art Museum: An Urban Regeneration Project?. European Planning Studies, 23. DOI: 10.1080/09654313.2013.819074
    • Piraud, Mischa-S.. (2017) Le piège de la créativité : examen sémantique et pragmatique du capitalisme créatif. Interventions économiques. DOI: 10.4000/interventionseconomiques.3316
    • Darchen, Sebastien. Tremblay, Diane-Gabrielle. (2010) What attracts and retains knowledge workers/students: The quality of place or career opportunities? The cases of Montreal and Ottawa. Cities, 27. DOI: 10.1016/j.cities.2009.12.009

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    • Michel, Basile. Bioteau, Emmanuel. (2020) L’ESS dans les quartiers créatifs : ancrage et utilité sociale dans les territoires de proximité. RECMA, N° 355. DOI: 10.3917/recma.355.0065
    • Dambre-Sauvage, Laurent. Klein, Juan-Luis. Tremblay, Diane-Gabrielle. (2023) Communs culturels territoriaux et COVID-19 : le cas du quartier Saint-Michel à Montréal. Recherches sociographiques, 64. DOI: 10.7202/1100577ar

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    Klein, J.-L., & Tremblay, D.-G. (2010). Chapitre 8. Créativité et cohésion sociale en milieu urbain. In R. Tremblay & D.-G. Tremblay (éds.), La classe créative selon Richard Florida (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.26560
    Klein, Juan-Luis, et Diane-Gabrielle Tremblay. « Chapitre 8. Créativité et cohésion sociale en milieu urbain ». In La classe créative selon Richard Florida, édité par Rémy Tremblay et Diane-Gabrielle Tremblay. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2010. https://doi.org/10.4000/books.pur.26560.
    Klein, Juan-Luis, et Diane-Gabrielle Tremblay. « Chapitre 8. Créativité et cohésion sociale en milieu urbain ». La classe créative selon Richard Florida, édité par Rémy Tremblay et Diane-Gabrielle Tremblay, Presses universitaires de Rennes, 2010, https://doi.org/10.4000/books.pur.26560.

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    Tremblay, R., & Tremblay, D.-G. (éds.). (2010). La classe créative selon Richard Florida (1‑). Presses universitaires de Rennes, Presses de l’Université du Québec. https://doi.org/10.4000/books.pur.26539
    Tremblay, Rémy, et Diane-Gabrielle Tremblay, éd. La classe créative selon Richard Florida. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Presses de l’Université du Québec, 2010. https://doi.org/10.4000/books.pur.26539.
    Tremblay, Rémy, et Diane-Gabrielle Tremblay, éditeurs. La classe créative selon Richard Florida. Presses universitaires de Rennes, Presses de l’Université du Québec, 2010, https://doi.org/10.4000/books.pur.26539.
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