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    Plan détaillé Texte intégral LES RÈGLES DU JEU HUIT CAS D’ÉTUDE POUR LA CONSTRUCTION D’UN SCHÉMA ANALYTIQUE LES TROIS CAPITAUX DE L’ÉCONOMIE DE LA CULTURE LES INSTITUTIONS AU TRAVAIL LES INSTITUTIONS QUI ÉCHOUENT CONCLUSION Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    La classe créative selon Richard Florida

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 7. Le rôle des institutions dans l’économie créative

    Marianna d’Ovidio

    p. 165-185

    Texte intégral Bibliographie RÉFÉRENCES Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1L’économie de la culture, liée à la connaissance, à la créativité, à l’activité artistique et à la culture locales1, représente aujourd’hui un des plus importants moteurs de développement du territoire. Le sujet anime le débat sur la ville et suscite des réflexions, des propositions et des méthodes sur la façon dont des espaces urbains peuvent devenir des lieux de création et des centres d’innovation. Les politiciens, les chercheurs et les experts se demandent si et de quelle manière la politique est capable de donner un soutien aux secteurs économiques liés à la culture et à la créativité.

    2Au sein de ce débat, la vision de Richard Florida a eu un grand retentissement. En créant le terme de « classe créative », il a proposé une théorie simple et qui a connu un grand succès dans le domaine du développement de la ville.

    3Selon Florida (2002, 2005, 2008) les secteurs qui apportent du développement économique ont tendance à se localiser dans les lieux habités par la classe créative. Cette classe choisit villes et régions métropolitaines qui offrent de bonnes occasions de loisir, une grande qualité de vie, un climat social tolérant, etc. C’est ainsi que, selon l’auteur, les villes qui aspirent à obtenir le succès économique et à assumer une importance au niveau national et international doivent être en mesure d’attirer les professionnels créatifs en facilitant le processus d’insertion. Le type idéal floridien de la « ville créative » se fonde sur trois dimensions principales – le modèle des 3T. Selon ce modèle, un centre urbain créatif doit offrir un contexte avec un niveau technologique élevé (Technology), un bon niveau de capital humain (Talent) et un environnement social ouvert (Tolerance) (d’Ovidio et Mugnano, 2008). Selon Florida, chacun de ces T est nécessaire, mais en soi-même non suffisant ; en effet, « pour attirer la classe créative, générer de l’innovation et stimuler la croissance économique, un lieu doit offrir les trois dimensions » (Florida, 2002, p. 2492).

    4Cette vision, à notre avis trop réductrice de la réalité, ne tient pas compte de la spécificité des contextes locaux, de leur histoire, de leur culture et de leurs modèles culturels, et se fonde sur la recherche d’une recette universelle du développement local urbain. La thèse de Florida doit justement son grand succès auprès des politiciens et des administrateurs des villes à cette simplification. Inversement, elle est largement critiquée par les chercheurs et les intellectuels.

    5En revanche, comme nous allons le montrer, nous considérons fondamental de donner un espace aux particularités locales et aux spécificités de chaque contexte qui doivent être soutenues en reconnaissant la richesse de leur singularité. De plus, nous sommes fortement convaincus que le rôle de l’administration des villes et des institutions publiques est celui de soutenir la production culturelle locale à tous les niveaux et non de construire des villes « à la mesure de l’homme créatif », comme les théories floridiennes semblent l’évoquer. Nous reviendrons sur cet aspect dans les conclusions du chapitre.

    6Le débat autour des politiques culturelles n’est nullement nouveau ; ce qui l’est, ce sont les argumentations et leur importance à l’intérieur du discours public. En esquissant très brièvement les contours des relations entre culture et politique, il est possible de déterminer trois phases principales dans lesquelles les stratégies culturelles prennent différentes significations et visent différents objectifs. Bianchini (2003) trace un parcours qui lie les politiques à la culture. Il observe que l’on est passé de la culture pour la politique à la culture pour l’économie, jusqu’à arriver à la culture pour le renouvellement urbain et social. Ce sont les principales tendances, qui doivent être considérées comme telles, en se rappelant que des lieux et des contextes différents suivent des parcours et des temps différents.

    7La culture apparaît avec force dans l’agenda des politiciens à la fin des années 1970 et devient immédiatement un concept important faisant l’objet de débat : les mouvements urbains sociaux de 1968 avaient une dimension culturelle très claire, puisqu’ils entrelaçaient culture alternative et politique (Mortimer, 2006). La culture est utilisée par les administrateurs locaux afin de réussir dans leurs objectifs politiques et sociaux : des actions de soutien et de revitalisation de la culture locale font leur apparition, tandis que des mesures d’élargissement de la culture à toutes les couches sociales sont mises en place.

    8Dans les années 1980, on assiste à une transformation radicale : le passage vers une orientation politique néoconservatrice et néolibérale fait en sorte que les politiques culturelles répondent à des objectifs économiques plutôt que sociaux. D’une part, les investissements privés dans la culture sont de plus en plus encouragés, d’autre part, une gestion correcte et le marketing des biens culturels locaux deviennent les finalités des actions de gouvernement.

    9Pendant les années 1990, les objectifs des politiques culturelles changent de nouveau et la culture devient l’instrument pour des stratégies innovatrices de renouvellement urbain. On se tourne vers la culture pour réhabiliter les quartiers dégradés et, en général, pour toute stratégie de développement urbain. Les possibilités offertes par les vastes zones industrielles abandonnées sont exploitées par les villes pour créer de nouveaux quartiers avec des zones résidentielles, commerciales et culturelles. Cela se fait également grâce à des nouvelles formes de partenariat entre le public et le privé et de compétition internationale entre les villes. Le tourisme international, le programme européen sur les villes de culture, les investissements à l’étranger, voilà des exemples de zones de compétition entre les villes. La ville de Bilbao est un exemple très représentatif de cette transformation3.

    10Plus récemment, la culture est de plus en plus considérée, par les policy makers, comme la panacée pour tous les segments faibles de la vie urbaine ou locale4. Les stratégies de renouvellement urbain utilisent largement la culture et constituent les nouvelles zones urbaines autour des temples culturels, tels que les théâtres, les centres sportifs et les musées (Vicari Haddock, 2004). Les politiques qui s’adressent à la restructuration économique des villes cherchent à attirer la soi-disant classe créative (Florida, 2002 ; Peck, 2005 ; Pratt, 2008) pour améliorer l’industrie de la culture et, par conséquent, pour augmenter la richesse des villes.

    11On observe d’une part une augmentation des acteurs impliqués, d’autre part, paradoxalement, une adhésion des politiciens et des consultants aux modèles de politiques locales qui présentent un fort impact communicatif, mais qui sont rarement efficaces dans la réalité. En ce sens, nous croyons que le débat sur l’économie de la culture ne peut pas être limité à des facteurs d’attraction ou de soutien économique, mais qu’il est nécessaire, afin de résoudre cette contradiction, d’observer la pluralité des forces qui interviennent dans la définition de la réalité et de placer l’objet d’étude dans le contexte économique, politique et institutionnel auquel il se réfère.

    12Un des éléments souvent négligés est le rôle des institutions. Leur caractère décisif est souvent ignoré par ceux qui soulignent l’importance des facteurs soft (qualité de vie, tolérance et mixité sociale, etc.) de ce secteur économique. Il nous semble au contraire que l’enchevêtrement de la situation sociale, politique et économique des villes rend nécessaire une enquête sur le rôle central joué par les institutions en donnant forme à l’économie culturelle et créative locale. Si nous voulons élaborer une analyse exhaustive de l’économie de la culture, nous ne pouvons pas laisser de côté le contexte institutionnel qui la règle. C’est pourquoi l’observation d’un vaste éventail d’acteurs, d’usages et d’organisations qui opèrent en particulier au niveau local nous semble nécessaire.

    13Dans ce texte, nous proposons une analyse attentive du contexte institutionnel, afin de discerner les aspects les plus cachés de la trame du tissu social. L’objectif de ce texte est donc de fournir une clé de lecture interprétative afin d’analyser les institutions en lien avec l’économie culturelle créative. À travers la lecture de huit cas d’étude, nous présenterons un modèle pour l’analyse du rôle institutionnel lorsqu’il concerne le capital créatif ou innovateur, le capital économique et le capital relationnel (ou capital social). Dans les conclusions, nous proposerons de compléter le cadre en proposant une quatrième dimension. Nous verrons jusqu’à quel point les institutions sont en mesure de fournir un soutien à la production créative locale comme instrument d’inclusion sociale.

    LES RÈGLES DU JEU

    14L’exploration du rôle des institutions dans la vie économique de la société est désormais, sans aucun doute, une thèse importante pour les sciences sociales. L’affirmation « les institutions comptent » (institutions matter) s’est imposée dans le débat des sciences sociales (Jessop, 2001)5. À partir des années 1980, un nouveau courant d’étude, appelé néo-institutionnalisme sociologique, fait son apparition. Ce nouveau courant a comme objet principal l’analyse des organisations et des institutions. L’idée centrale du néo-institutionnalisme est celle de déterminer une « spécificité sociologique des organisations, en le conceptualisant dans un contexte historique et social constitué non seulement de liens matériels, mais aussi de règles juridiques et culturelles historiquement particulières et, de plus, peuplé par une série d’autres organisations ayant des buts similaires » (Regini et Ballarino, 2007, p. 15). Cette approche se propose, en outre, de comprendre les modalités d’institutionnalisation des champs organisationnels (Powell et DiMaggio, 1991), c’est-à-dire l’ensemble des organisations similaires qui résident dans un contexte précis. Elle analyse non seulement les mécanismes formels de coordination et de contrôle, mais aussi les règles informelles et les relations sociales. De la même façon, North fait référence aux « échafaudages construits par les hommes », en les définissant comme des normes formelles et des principes informels qui dictent les règles du jeu (2005). Plus récemment, on assiste à un nouvel intérêt pour les institutions qui organisent l’action sociale. Ce qui caractérise l’analyse contemporaine est l’attention de plus en plus importante à l’égard de toutes les typologies d’institutions, non seulement celles traditionnellement considérées comme relevant du gouvernement, mais aussi l’ensemble des institutions formelles et informelles, les pratiques et les normes consolidées dans le temps. De plus en plus souvent, les économies contemporaines sont chapeautées par les relations entre les acteurs publics, les institutions économiques et des éléments informels : « The focus falls on building the wealth of regions (not the individual firm) with upgrading of the economic, institutional and social base » (Amin, 1999, p. 370).

    15Dans la recherche empirique sur l’économie de la culture, il nous semble que l’attention au rôle des institutions n’est pas suffisamment mise en relief, bien que cette thématique soit souvent au centre de l’intérêt des enquêtes théoriques. Des auteurs comme Allen Scott, Norma Rantisi ou Andy Pratt expriment la nécessité de considérer aussi le niveau institutionnel formel et informel.

    16Par exemple, Scott, en analysant les liens entre les économies régionales et urbaines et le champ créatif, considère important de souligner que la sphère économique de la ville créative est étroitement liée à la sphère institutionnelle et politique (2006, p. 8). Jeffcutt et Pratt soulignent aussi que la créativité nécessite un contexte institutionnel capable de la nourrir. À leur avis, ce contexte est constitué par des individus, des institutions et le gouvernement, et cela parce que la créativité est un processus qui unifie les acteurs sur des plans différents. Par conséquent, les auteurs expriment la nécessité de saisir comment la créativité est comprise et exprimée dans différents contextes institutionnels (2002). Enfin, Leslie et Rantisi soutiennent l’importance d’une étude du rôle des institutions en soulignant que le développement économique est toujours lié à la capacité des institutions de s’adapter au changement de la société de plus en plus complexe, qui est réglée par une multitude d’acteurs publics et privés (2006).

    17Notre contribution veut répondre à cette sollicitation en fournissant un cadre théorico-méthodologique à l’intérieur duquel étudier et analyser le rôle des institutions de l’économie de la culture. Nous nous proposons une direction interprétative multidimensionnelle qui a comme but de lire l’action institutionnelle à travers les effets sur l’économie de la culture. En suivant l’approche néo-institutionnaliste, nous plaçons l’industrie de la culture dans le contexte institutionnel de référence et nous allons déterminer quels effets ont les institutions sur la production culturelle ou créative locale.

    18À ce propos, il est nécessaire d’éclaircir les termes que nous sommes en train d’utiliser. Pour ce qui concerne le terme institutions, nous nous en tenons à ce qui est dit par North, qui renvoie aux règles du jeu. Nous nous référons à tous les ensembles normatifs qui règlent et prescrivent les formes de comportements individuels ou collectifs à travers une série d’incitations et de mécanismes de sanction. Ensuite, en nous proposant de déterminer quels effets ont les institutions sur la production locale, nous voulons voir de près comment est mise en place une action (ou un groupe d’actions) institutionnelle sur la production locale créative en termes d’amélioration de la performance économique, du pouvoir innovateur et créatif du secteur, de la typologie des sujets impliqués et du degré de participation. Notre propos est donc d’offrir un modèle d’analyse des institutions qui s’intéresse aux effets des institutions sur les milieux de l’économie de la culture.

    HUIT CAS D’ÉTUDE POUR LA CONSTRUCTION D’UN SCHÉMA ANALYTIQUE

    19Nous commençons par la lecture transversale de huit cas d’étude, tirés de la littérature, dans lesquels l’action institutionnelle est analysée. Nous avons choisi les cas selon deux critères : le type d’institutions et les objectifs déclarés. Nous nous sommes concentrés sur les institutions formelles, aussi bien publiques que privées, qui mettent en place des actions de soutien adressées aux acteurs engagés dans l’économie culturelle. Pour cela, la sphère d’action est toujours le marché, bien que, comme nous le montrerons ensuite, toutes les opérations puissent être orientées vers des milieux situés en dehors de la sphère économique. Nous avons choisi de réduire notre champ d’étude afin de rendre notre discours plus clair et aussi afin de construire un modèle préliminaire qui puisse permettre d’élargir la perspective d’enquête en analysant différentes typologies. Nous n’avons donc pas considéré le tiers secteur, ni les institutions publiques qui ne sont pas liées, dans leurs objectifs et dans leurs actions, à la sphère économique.

    20Les cas d’étude seront examinés en appliquant le modèle analytique que nous proposons. Ces exemples ne prétendent pas constituer un échantillon de tous les cas possibles, et nous ne désirons pas non plus construire une taxonomie. En revanche, ils peuvent être considérés comme de bons points de départ pour bâtir notre proposition d’analyse. En particulier, nous avons choisi quatre cas d’institutions du Québec, une région où, grâce à un système de gouvernance inclusif (le « modèle québécois »), les politiques culturelles ont donné lieu à un processus de mise en jeu de plusieurs acteurs (publics, privés et troisième secteur), capables de promouvoir des projets culturels d’une certaine importance (Klein et Tremblay, 2009). Nous pensons que l’étude attentive de l’action institutionnelle de ce contexte peut nous offrir des cas très stimulants. Voici donc les huit cas sur lesquels repose notre analyse :

    1. Banca Etica (Italie). Il s’agit d’une banque commerciale qui fonde ses actions sur les principes de la finance éthique (transparence, droit d’accès au crédit, efficacité et attention aux conséquences non économiques des actions économiques) ([www.bancaetica.com], dernière consultation, juillet 2008). Parmi les différentes actions de crédit, elle offre des prêts à des compagnies de théâtre qui travaillent dans les prisons, avec les minorités ethniques, etc. (ERICarts, 2002).

    2. La Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) (Québec) est une agence provinciale basée à Montréal, qui dépend du ministère de la Culture du Québec. Elle fournit des services de soutien économique pour la commercialisation et la distribution des produits d’activités artisanales ou apparentées. Elle exerce aussi les fonctions d’une banque commerciale ([www.sodec.gouv.qc.ca], dernière consultation, juillet 2008).

    3. Centre national de la cinématographie (France). Le CNC est une organisation publique qui soutient l’industrie cinématographique française de façons différentes : à travers des prêts, en fournissant un soutien à plusieurs activités de formation, en commanditant le festival cinématographique de Cannes, en organisant une série d’événements qui favorisent la rencontre entre les producteurs, les metteurs en scène et les opérateurs, etc. Une commission, la Commission supérieure technique de l’image et du son (CST), a été spécialement créée pour l’innovation technologique et elle soutient la recherche dans le domaine de l’audiovisuel ([www.cnc.fr], dernière consultation, juillet 2008).

    4. L’Institut du design Montréal (IDM) (Québec) est une organisation à but non lucratif créée par la mairie de Montréal. Formellement, elle a la mission de « promouvoir le design en tant que valeur économique et faire de Montréal un centre de design de calibre international » ([www.idm.qc.ca/], dernière consultation, 6 août 2008). Parmi ses programmes, citons : l’organisation d’ateliers et de conférences, le financement de bourses et de stages pour les étudiants universitaires en design, l’affectation de fonds dédiés à des jeunes entreprises et à des activités économiques de jeunes designers, le soutien aux entreprises pour intégrer design et production.

    5. Le Consorzio delle Langhe (Association des Langhe) (Piémont, Italie). Cette association représente un exemple de ce que Santagata (2004) appelle les districts culturels institutionnalisés. Pour l’auteur, le terme indique les contextes de production locaux qui acquièrent un label pour sauvegarder la qualité des productions locales. La région du Chianti en Toscane en est un autre exemple. Dans ces contextes, la production de vin est protégée par le label « dénomination d’origine contrôlée » (DOC), qui assure la qualité des vignobles et des moyens de production ([www.langhe.it], dernière consultation, juillet 2008).

    6. La compétition annuelle Commerce Design Montréal (Canada), organisée, comme le programme IDM, par la mairie de Montréal. Cette compétition attribue des prix aux espaces publics qui renouvellent leur décor intérieur avec un design innovateur et en utilisant le travail des designers locaux ([ville.montreal.qc.ca], dernière consultation, juillet 2008). Le travail de cette institution est intéressant, bien que son programme n’ait pas une longue tradition et qu’il ne soit pas non plus très connu, dans la mesure où il associe l’espace public avec l’attention au design. La dimension urbaine de cette institution et son lien avec le design la rendent, selon nous, digne d’être observée et étudiée.

    7. Le Programme de crédit d’impôt provincial (Québec) est un programme du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE) du Québec, qui accorde des crédits d’impôt aux entreprises de la province qui utilisent les services d’un designer qualifié dans plusieurs secteurs productifs, tels la production de design industriel, de mode, de décor intérieur, etc. ([www.mdeie.gouv.qc.ca], dernière consultation, juillet 2008).

    8. Les Istituzioni della cultura (Milan, Italie). Ce cas nous présente, à la différence des précédents, une situation où les institutions de la ville sont absentes. Pour un secteur économique aussi important que celui de la mode et du vêtement, cette absence est dommageable. L’industrie de la mode de Milan est en train de vivre une situation paradoxale : d’une part elle est, sans aucun doute, considérée comme une des quatre capitales mondiales de la mode (avec Paris, Londres et New York) ; de l’autre, de plus en plus dans les dernières années, les acteurs et certains chercheurs dénoncent une crise du secteur. Ce paradoxe est souligné par la difficulté des jeunes à trouver une place dans ce monde, par la difficulté des opérateurs à être présents aux défilés, par les rares liens qui se créent entre les stylistes et les écoles de mode (d’Ovidio, 2008 ; Amadasi et Salvemini, 2005). Plusieurs sources dénoncent l’inefficacité des institutions culturelles à soutenir et à nourrir la créativité milanaise, aussi bien en offrant un soutien pour les jeunes (espaces d’exposition, incitations, etc.), qu’en élaborant des politiques culturelles pour le long terme (Xing, 2004 ; Mingione et al., 2008).

    Tableau 7.1 : Cas d’étude

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    LES TROIS CAPITAUX DE L’ÉCONOMIE DE LA CULTURE

    21Pour poursuivre la présentation du cadre théorico-méthodologique que nous voulons proposer, il est nécessaire tout d’abord de définir l’économie de la culture et ses caractéristiques principales.

    22À travers l’analyse des cas empiriques des contributions théoriques qui animent le débat6 sur l’économie créative et culturelle, nous observons que ce segment de l’économie est caractérisé par des produits (objets et services) dont la valeur dérive plus du contenu symbolique et culturel que du contenu matériel. Il est possible de décomposer un objet culturel selon les aspects d’innovation et de créativité qui le caractérisent, le circuit économique dans lequel il est inséré et l’ensemble des individus associés à cet objet. Sont présents aussi bien des acteurs économiques, des agents culturels, créatifs et innovateurs, que des flux de connaissance et de savoir-faire qui irriguent les différents acteurs. Ce secteur est souvent plus florissant quand les trois aspects (l’innovation, l’économie et les relations) sont entrelacés entre eux dans un mélange d’art, d’affaires et de réseau d’acteurs (Scott, 2006). En utilisant le langage classique des sciences sociales, nous pouvons dire qu’un produit de l’économie de la culture dérive d’un mélange de capital créatif, capital économique et capital social.

    Le capital créatif

    23La valeur d’un produit culturel dérive, de fait, des éléments culturels, symboliques et artistiques qui le composent, plutôt que du matériel physique dont il est fabriqué. La valeur d’un livre n’est pas déterminée par le papier et l’encre, mais par le contenu de ses pages. Au même titre, quand nous achetons un parfum, nous sommes bien conscients que son prix ne vient pas du coût de l’alcool et des fragrances, mais de l’ensemble des symboles, du statut et de l’imaginaire qui y sont associés. Quand tous ces éléments culturels, artistiques et créatifs entrent dans un processus d’exploitation, ils sont soumis aux règles du marché. Une des conséquences de ce processus est qualifiée d’inflation symbolique par Harvey (1990). Il s’agit du processus qui fait que chaque objet doit être constamment réinventé, recouvert de symboles ou réassemblé pour pouvoir tenir sur un marché qui est toujours à la recherche de nouveautés. La transformation continuelle des styles de mode, de courants intellectuels, du star-system, ne sont que quelques-unes des conséquences visibles de l’inflation symbolique. De fait, pour le succès de l’économie de la culture, il est nécessaire d’introduire des produits sans cesse renouvelés, d’inventer toujours de nouveaux signes et de nouveaux symboles (Negus, 1997 ; Molotch, 2003). Nous pouvons définir le capital créatif comme la capacité de continuellement innover et de proposer des produits originaux.

    Le capital économique

    24Les créateurs, les artistes et les travailleurs dans la culture évoluent aussi à l’intérieur des logiques de marché et pas seulement en fonction de leur créativité. La solidité économique se révèle particulièrement cruciale dans le secteur de la culture pour au moins trois raisons principales. Tout d’abord, la compétition est très élevée dans un marché en changement extrêmement rapide et sujet au processus d’inflation symbolique (Hirsh, 2000 ; Pratt, 2006) ; de plus, puisque les marchandises sont jugées sur la base de leur valeur symbolique et esthétique, au moment de l’entrée sur le marché d’un produit, il est très difficile de pouvoir prévoir son succès (Entwistle, 2000). Enfin, l’économie de la culture est souvent caractérisée par des coûts de développement très élevés confrontés à des coûts de reproduction très bas (Bassett et al., 2002). Cela rend les investissements encore plus importants que dans l’industrie traditionnelle, dans laquelle les économies à large échelle permettent la réduction des coûts.

    Le capital relationnel (ou capital social)

    25Le rôle et l’influence du capital social ont été estimés par plusieurs auteurs en rapport avec tous les aspects de la société, de la politique à l’économie, de la famille aux mouvements sociaux7. L’analyse théorique et la recherche empirique font ressortir que ce capital est particulier (sans être exclusif) à l’économie fondée sur la culture. Tout d’abord, plus que tout autre secteur, celui de la culture est organisé en réseau. Ces réseaux se développent horizontalement dans le cas où les opérateurs du même niveau sont en relation entre eux, ou alors verticalement quand les opérateurs qui travaillent dans le même secteur, mais sur des niveaux différents, collaborent pour une même production. De plus, un des aspects cruciaux de l’économie de la culture est le développement des relations de coprésence ou de vis-à-vis. Il a été montré que ces relations sont un outil capable de stimuler la créativité (Becker, 1982 ; Molotch, 2003), de construire des relations de confiance (Banks et al., 2000), de fournir légitimité et reconnaissance (Storper et Venables, 2002) et de créer de nouveaux postes et de nouveaux projets (Pratt, 2000) dans l’industrie de la culture plus que dans d’autres secteurs.

    26Le modèle que nous allons présenter pour l’étude des effets des institutions sur l’économie de la culture repose sur l’analyse de ces trois capitaux. Ce modèle se propose d’étudier comment les institutions agissent sur les différents versants. L’effet des institutions sur l’économie de la culture se décline en capital créatif, économique et relationnel.

    LES INSTITUTIONS AU TRAVAIL

    27Les huit cas qui ont été choisis peuvent être démontés et recomposés dans la perspective du schéma d’analyse présenté plus haut, c’est-à-dire en considérant le rôle de l’institution comme une action qui agit sur un ou plusieurs capitaux (créatif, économique, social). Ainsi, la Banca Etica en Italie et le Centre national de la cinématographie en France agissent sur le capital économique, le programme Commerce Design Montréal a une influence sur le capital innovateur et l’Institut Design Montréal sur le capital relationnel.

    28Ce genre de synthèse ne donne pas plus qu’une simple taxinomie sur les actions institutionnelles. Ce que peut offrir le modèle que nous présentons ici est, en revanche, une lecture profonde des effets des institutions sur chaque cas particulier. Il est possible d’enquêter non seulement sur les effets directs des institutions, mais aussi et surtout sur les effets indirects des actions institutionnelles, comme nous le montrerons dans les pages qui suivent. Les institutions peuvent certainement favoriser la production culturelle locale, mais elles peuvent aussi avoir des résultats imprévus sur d’autres domaines, ou encore peuvent s’y opposer. Nous présentons d’abord les cas dans lesquels les institutions réussissent à soutenir le tissu productif culturel local pour ensuite passer à des situations plus critiques.

    Les institutions qui réussissent

    29La Banca Etica agit directement sur le capital économique : elle offre du crédit, avec des taux d’intérêt très bas, à des compagnies de théâtre qui fonctionnent en situations non conventionnelles (minorités ethnico-linguistiques, situations de marginalisation sociale). Grâce à son action, elle soutient un réseau d’acteurs privés, publics et du tiers secteur qui, autrement, n’existerait pas. Il a été observé (ERICarts, 2002) que la production culturelle qui se génère à partir de ce capital social est extrêmement innovatrice et radicale, capable de renforcer l’ensemble du paysage de la production théâtrale. Nous interprétons donc l’action institutionnelle non seulement comme dirigée vers le capital économique, mais comme soutien du capital relationnel qui génère, à la fois, du capital innovateur.

    30La SODEC est une institution publique qui a une action similaire à celle de la Banca Etica. En effet, elle est orientée vers le soutien économique aux entreprises, finance des stages ou agit comme source de financement dans le secteur culturel. Son mandat consiste à « promouvoir et soutenir l’implantation et le développement des entreprises culturelles, y compris les médias » ; elle intervient dans les domaines du cinéma et de la télévision, de la musique et des variétés, du livre, du patrimoine immobilier, mais aussi des métiers d’art, ce qui en fait le pivot de la créativité et de l’innovation locale (Leslie et Rantisi, 2006). Même en agissant comme institution financière, la SODEC a développé une grande capacité à reconnaître la valeur économique de la créativité de certaines productions et, par conséquent, elle offre des taux d’intérêt assez bas. Son action explicite est donc orientée vers le capital économique, qui se traduit en soutien au capital innovateur.

    31Nous avons vu deux institutions qui, en soutenant directement le capital économique, favorisent le développement de l’innovation culturelle : en Italie dans le théâtre, grâce à la naissance de collaborations indirectes entre privés et troisième secteur ; dans la production artisanale de Montréal, où les petits artisans et les industries culturelles sont encouragés à exprimer leur créativité, en créant un cercle vertueux qui les autoalimente.

    32Nous avons vu deux institutions qui, en soutenant directement le capital économique, favorisent le développement de l’innovation culturelle : en Italie dans le théâtre, grâce à la naissance de collaborations indirectes entre privés et troisième secteur ; dans la production artisanale de Montréal, où les petits artisans sont encouragés à exprimer leur créativité, en créant un cercle vertueux qui les autoalimente. Voyons maintenant deux institutions qui soutiennent un secteur économique local : en France, le CNC, qui favorise l’industrie cinématographique, et à Montréal, l’IDM, qui soutient l’industrie du design.

    33L’action du CNC (Centre national de la cinématographie) a été analysée par Allen Scott dans une étude sur la production cinématographique française (2000). Tout d’abord, Scott observe comment le rôle principal du CNC, au-delà du soutien financier, est celui de créer un lien entre les différents sujets en fournissant, d’un côté, le soutien économique là où cela manque, de l’autre, en créant des relations nouvelles entre acteurs. De plus, à travers la commission CST, il favorise le développement technologique. Nous pouvons donc interpréter l’action du CNC comme dirigée aussi bien vers le soutien du capital économique (réduction de la charge fiscale) que vers le soutien du capital innovateur (surtout grâce au CST), et vers le capital relationnel. C’est à ce dernier niveau en particulier que s’exprime l’importance de l’action institutionnelle, dans la mesure où elle s’appuie en premier lieu sur les divers acteurs de l’industrie cinématographique française (Benghozi, 1989).

    34L’IDM a comme but explicite l’action sur la sphère économique du design. Pour cela, l’IDM construit des réseaux d’acteurs, aussi bien entre des acteurs internationaux et privés qu’entre les acteurs privés (Leslie et Rantisi, 2006). Il offre aussi des prix de design et offre des stages aux jeunes designers. Son action est pour cela tournée vers le capital relationnel avec l’objectif d’amplifier le capital économique en soutenant le capital innovateur. En effet, l’IDM a un programme qui met en réseau des designers et des entreprises petites et moyennes, d’une part afin d’aider les designers à se faire connaître, d’autre part en organisant des services de consultation qui déterminent les aspects qu’il faudrait améliorer dans la définition du produit. L’institut organise des conférences et des sessions de remue-méninges où les designers, les opérateurs du secteur, des universitaires et des politiciens sont invités à réfléchir et à discuter ensemble sur différentes thématiques liées au design.

    35Nous terminons cette partie de présentation des cas d’étude et verrons plus loin les cas qui nous semblent avoir échoué.

    36Les districts culturels institutionnalisés ont des effets positifs et négatifs dans le soutien de la production locale et dans l’amélioration de la performance (Santagata, 2004). Dans ce paragraphe, nous présentons les effets vertueux, et nous verrons plus loin les effets pervers. Les effets vertueux sont la protection de la culture8 d’une communauté dans une certaine région grâce à la création d’un label réservé uniquement aux producteurs locaux ; la protection contre les copies non autorisées de biens locaux et l’incitation à la production de biens de haute qualité ; l’augmentation des réseaux de producteurs locaux et le soutien à l’échange d’informations ; la définition des normes de qualité qui, à leur tour, favorisent l’entrée de nouveaux producteurs capables de soutenir le même niveau de production et de combattre la compétition négative ; enfin, comme conséquence de cet enchaînement d’effets, l’augmentation des prix en raison de l’amélioration du produit. Les districts locaux institutionnalisés sont le produit d’un réseau d’acteurs qui ont pour origine le capital relationnel local. Les effets peuvent être interprétés comme une amélioration et une croissance du capital innovateur et du capital culturel (dans ce cas, il s’agit du capital qui dérive de la culture locale) qui ont une répercussion sur le capital économique.

    LES INSTITUTIONS QUI ÉCHOUENT

    37Nous présentons maintenant certains cas qui encouragent des actions qui défavorisent la production locale ou qui, n’étant pas en mesure de conjuguer ensemble capital économique, culturel et social, ne constituent que partiellement une aide pour l’économie de la culture. Comme nous le verrons, nous définissons les échecs non pas en tant qu’institutions qui échouent dans leurs objectifs, mais plutôt en tant qu’expériences ayant une stratégie qui nous semble limitée à une seule dimension de l’économie créative (par exemple une stratégie fondée uniquement sur la subsistance économique, ou uniquement sur la mise en place de réseaux, etc.). Nous croyons en effet, comme nous l’avons indiqué, que seules des mesures capables d’opérer à plusieurs niveaux et en créant une synergie peuvent être d’un réel bénéfice pour l’économie créative culturelle et locale.

    38Le programme Commerce Design Montréal, bien qu’atteignant des objectifs positifs, n’a jamais été en mesure de vraiment soutenir fortement l’industrie du design (Leslie et Rantisi, 2006). Le programme a été en partie un succès, puisque les espaces publics ont gagné de la visibilité et de la réputation, il a créé des occasions de travail pour les designers, a stimulé la curiosité du public vis-à-vis du design et a encouragé le tourisme. Néanmoins, les effets sont plutôt orientés vers le renouvellement urbain et le tourisme que vers le soutien de l’industrie et du design comme tels (Leslie et Rantisi, 2006). L’action est concentrée sur l’aspect financier, beaucoup moins sur l’élargissement du capital relationnel des designers. De notre point de vue, l’institution n’est pas en mesure d’intervenir sur le capital innovateur9.

    39Un cas qui mérite l’attention est celui du programme de crédit d’impôt. Si d’une part il a obtenu de nombreux succès dans le domaine de la mode et du design, d’autre part, certains auteurs critiquent la valeur réelle de ce programme dans le développement du design (Leslie et Rantisi, 2006). Les auteurs soulignent deux aspects en particulier. En premier lieu, du point de vue de la présentation du programme et de son développement futur, selon les auteurs, il y a une certaine timidité dans le soutien aux projets, ce qui rend difficile leur mise en œuvre complète. Ensuite, le programme voit le design comme s’il s’agissait d’un coût à assumer et non comme s’il était une valeur en soi-même, en limitant son action du point de vue économique. Encore une fois, il est possible de schématiser le rôle de ce programme comme centré sur le capital économique, un peu sur le capital relationnel et très faiblement sur l’innovation, cette dernière étant concentrée chez les designers eux-mêmes.

    40En ce qui concerne le Consorzio delle Langhe, et en général les districts culturels institutionnalisés, il faut noter aussi des effets défavorables sur la production locale. Selon Santagata (2004), ces institutions peuvent encourager des comportements de free rider dans le cas où des individus ou des groupes, utilisant le label, offrent des productions de mauvaise qualité. Dans ce cas, il peut arriver que l’association soit abandonnée par ceux qui sont intéressés par la qualité, d’où la réduction de la valeur de la production portant le label local. Ces situations se produisent quand l’institution perd de la force, c’est-à-dire quand le capital relationnel, qui est à l’origine de l’institution, diminue. Dans ce cas, les acteurs uniquement intéressés au capital économique utilisent l’institution en vue de cet intérêt au détriment du capital culturel.

    41Examinons le cas de l’industrie de la mode de Milan. Comment pouvons-nous interpréter l’action institutionnelle dans ce contexte en utilisant le schéma que nous avons proposé ? Nous nous trouvons face à une situation où le capital créatif et relationnel ont un passé important et où le capital économique est florissant. Néanmoins, nous remarquons qu’aussi bien le capital relationnel que le capital innovateur sont en crise. Le premier parce qu’il n’arrive pas à se renouveler, le deuxième parce que, à cause du manque de renouvellement, il n’arrive pas à s’entretenir. Quel est le rôle des institutions culturelles ? Si nous formalisons l’action institutionnelle selon notre modèle, il est possible d’affirmer que le manque d’un soutien institutionnel au capital innovateur affaiblit, avant tout, le capital relationnel de l’industrie de la mode de Milan. Il est possible de prévoir comme effet pervers de cela une crise économique du secteur. En effet, le manque de politique culturelle de soutien à la créativité tend d’un côté à ne pas encourager les jeunes créatifs, d’autre part à favoriser le départ de ceux déjà présents sur le territoire. S’il est vrai que le manque de contacts avec les écoles de mode de Milan favorise l’engagement de designers étrangers, il est aussi vrai que ceux-ci ont tendance à rester à Milan pour de courtes périodes. Les designers étrangers quittent souvent la ville pour aller travailler dans des environnements plus créatifs, ce qui affaiblit le capital culturel local (d’Ovidio, 2008 ; Xing, 2004).

    CONCLUSION

    42Cet article part de la constatation d’une lacune dans les réflexions théoriques et empiriques concernant l’action des institutions sur l’économie de la culture. Avec cet essai, nous nous sommes proposé de présenter un cadre théorico-méthodologique qui permet d’analyser l’action institutionnelle sur trois fronts : la capacité d’innovation (capital créatif), la force économique (capital économique) et le patrimoine relationnel (capital social). À travers la présentation de huit cas d’étude, nous avons montré la capacité de ce modèle à analyser l’action des institutions et à évaluer leur efficacité. Notre contribution se poursuit en proposant quelques réflexions jusqu’alors ignorées par ceux qui étudient l’économie de la culture locale et par ceux qui gouvernent le territoire.

    43La première question concerne le rapport entre art et économie. Dans les cas que nous avons présentés, les institutions qui veulent soutenir le capital créatif opèrent directement sur la sphère économique et rarement sur la sphère artistique. Il nous semble qu’il reste encore un défi, celui d’agir de façon plus hybride, en cherchant à articuler les deux domaines. Le rôle de l’art, en particulier, comme le suggérait O’Connor (1999), devrait être repensé, surtout dans sa relation avec le marché. Nous partageons sa proposition d’annuler la séparation nette entre les deux milieux. Les interrogations qui apparaissent se trouvent dans le domaine de l’action institutionnelle et de l’analyse sociologique : comment art et économie peuvent-ils être réunis ? Comment les institutions peuvent-elles soutenir les deux capitaux sans privilégier l’un au détriment de l’autre ? Du point de vue sociologique, il faut s’engager pour comprendre le poids de ces deux mondes en cherchant à garder une vision unitaire.

    44La deuxième question concerne le discours sur les aspects positifs des réseaux, qui néglige leurs échecs. Si les réseaux sont trop serrés, quand ils tendent à se refermer aux influences externes et se structurent de façon à empêcher l’échange d’idées et d’informations, ils peuvent devenir un obstacle pour l’innovation.

    45Scott observe que « cut-throat competition, low levels of trust, or a failure to recognize the mutual interdependence of all upon all can lead to dysfunctional outcomes, but relevant agencies, such as industry associations or some sorts of private-public partnership, can sometimes provide frameworks for remedial action » (Scott, 2006, p. 6). Ce que nous voulons souligner ici est l’importance du soutien des individus qui sont profondément enracinés dans la culture locale ou qui ont des ancrages sociaux. Des partenariats entre le public et le privé et des associations du tiers secteur, comme pour la Banca Etica, nous semblent de bons exemples de construction de réseaux qui ont aussi des effets positifs sur le capital créatif. Un mélange de liens faibles et forts entre acteurs différents, à des niveaux différents, peut être plus productif qu’un nombre réduit d’actions fortes et ciblées. Par exemple, grâce à la fonction du CNC, qui soutient les maillons faibles de la chaîne de l’industrie cinématographique française, celle-ci arrive à maintenir sa place sur le marché international.

    46Nous tenons à mentionner un dernier point qui concerne la relation entre l’économie de la culture et la société. Nous pensons que les institutions et les gouvernements locaux peuvent utiliser une économie de la culture comme un instrument pour l’inclusion sociale et le développement de la culture locale. C’est la nature même de ce secteur qui le permet. Ayant ses origines dans le capital culturel et social caractéristique du tissu social dont elle provient, l’économie de la culture peut devenir un instrument pour renforcer le substrat même qui l’a générée, grâce au capital économique qu’elle arrive à produire10. Les institutions, mais surtout les gouvernements locaux, devraient orienter leurs mesures de soutien à l’économie de la culture vers les domaines qui conduisent le plus vers le développement de la cohésion sociale, et non uniquement vers l’amélioration des prestations économiques de ce secteur. Les politiques, suggérées par exemple par la théorie sur la classe créative de Richard Florida (2002), investissent dans le domaine économique des villes. Ces politiques ont été mises en place dans plusieurs villes avec des résultats incertains et contestés (Peck, 2005 ; Markusen, 2006 ; Pratt, 2008). Nous pensons, en revanche, que les aspects sociaux de l’économie en général, et en particulier de celle qui se développe à partir du capital créatif social et local, doivent être considérés comme aussi importants que les aspects économiques. Par conséquent, nous pensons qu’ils doivent être conduits avec la même attention. Nous pensons aussi que le profit économique, la cohésion et l’inclusion sociales sont liés entre eux. Une meilleure inclusion n’entre pas en contradiction avec le profit économique.

    47Grâce aux cas présentés, nous pouvons observer que dans certaines circonstances, les performances économiques procèdent au même rythme que l’innovation sociale et l’inclusion (par exemple, le cinéma en France ou la culture locale, qui est renforcée par les labels des associations). Dans d’autres situations, en revanche, comme celle de la Banca Etica, la motivation sociale est plus importante que la valeur économique, mais l’innovation culturelle qui en dérive est en mesure de générer un cercle vertueux de créativité qui peut aussi devenir économiquement valide. À Montréal, les politiques culturelles viennent des intérêts économiques, mais elles sont aussi motivées par des intérêts de soutien à la culture locale (surtout à travers le programme de la SODEC). Au contraire, le cas milanais montre qu’une faible implication des institutions dans la croissance de l’art et de la culture locales met en péril la force des secteurs économiques qui représentent pourtant une valeur pour l’ensemble de la ville. Les investissements dans l’art et dans la culture conduiraient probablement à des améliorations des performances économiques des autres secteurs.

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    Cette bibliographie a été enrichie de toutes les références bibliographiques automatiquement générées par Bilbo en utilisant Crossref.

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    Notes de bas de page

    1 Nous utilisons la définition qui est proposée par la Communauté européenne dans le document The Economy of Culture in Europe de 2006. Les termes « économie de la culture » et « économie culturelle et créative » peuvent être considérés comme des synonymes. « The “cultural sector” includes non-industrial sectors producing non-reproducible goods and services aimed at being « consumed » on the spot [a concert, an art fair, an exhibition] and industrial sectors producing cultural products aimed at mass reproduction, mass-dissemination and exports. These are “cultural industries” including film and video, video-games, broadcasting, music, book and press publishing. In the “creative sector”, culture becomes a “creative” input in the production of non-cultural goods. It includes activities such as design [fashion design, interior design, and product design], architecture, and advertising. Creativity is understood in the study as the use of cultural resources as an intermediate consumption in the production process of non-cultural sectors, and thereby as a source of innovation » (European Commission, 2006, p. 44).

    2 Traduction de l’auteur.

    3 La requalification de la ville de Bilbao qui était un pôle industriel pour devenir une destination de tourisme culturel a été observée par plusieurs chercheurs et a donné lieu à des interprétations parfois opposées. C’est un exemple de débat sur l’efficacité des stratégies urbaines de requalification de la ville par le biais des investissements sur les infrastructures culturelles et sur le marketing urbain (Gomez, 1998 ; Plaza, 1999 ; Gomez et Gonzalez, 2001 ; Plaza, 2006).

    4 Le terme cultural economies policies, développé à la fin des années 1990 (Kong, 2000), reflète l’attention que les gouvernements locaux et nationaux dédient pour consolider le lien entre la culture et l’économie.

    5 L’auteur, en distinguant trois formes d’institutional turn, trace les parcours de l’évolution du débat et argumente sur les différents types de définitions d’institutions et leurs approches analytiques.

    6 Voir entre autres Markusen et al. (2008) pour une synthèse sur le débat.

    7 Woolcock (2001) esquisse, de façon schématique, le débat mené dans les dernières années.

    8 « Les composantes tangibles et intangibles enracinées dans les biens et dans les services produits localement » (Santagata, 2004, p. 13).

    9 À ce propos, nous rappelons le cas d’une institution analogue qui a eu, surtout dans le passé, des résultats très positifs dans le soutien de la production du design en Italie en général, et à Milan en particulier. Le prix Compasso d’Oro, institué pas les grands magasins La Rinascente en 1954, a comme but de promouvoir les objets d’utilisation quotidienne dessinés par des jeunes designers italiens. Surtout dans les années de sa création, le concours a représenté un stimulus à la fois pour le public à s’intéresser aux objets de design que pour les créateurs à dessiner des produits toujours nouveaux. La compétition et la renommée qui suivront favoriseront la diffusion d’objets, d’ameublement et de décoration de design en favorisant l’expansion et la consolidation de l’industrie du design milanaise.

    10 Comme le souligne Kong (2000), bien que cela soit vrai dans tous les secteurs de l’économie, dans les secteurs concernant la culture, le lien est particulièrement significatif à cause de l’intensité de la relation.

    Auteur

    Marianna d’Ovidio

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    1 Nous utilisons la définition qui est proposée par la Communauté européenne dans le document The Economy of Culture in Europe de 2006. Les termes « économie de la culture » et « économie culturelle et créative » peuvent être considérés comme des synonymes. « The “cultural sector” includes non-industrial sectors producing non-reproducible goods and services aimed at being « consumed » on the spot [a concert, an art fair, an exhibition] and industrial sectors producing cultural products aimed at mass reproduction, mass-dissemination and exports. These are “cultural industries” including film and video, video-games, broadcasting, music, book and press publishing. In the “creative sector”, culture becomes a “creative” input in the production of non-cultural goods. It includes activities such as design [fashion design, interior design, and product design], architecture, and advertising. Creativity is understood in the study as the use of cultural resources as an intermediate consumption in the production process of non-cultural sectors, and thereby as a source of innovation » (European Commission, 2006, p. 44).

    2 Traduction de l’auteur.

    3 La requalification de la ville de Bilbao qui était un pôle industriel pour devenir une destination de tourisme culturel a été observée par plusieurs chercheurs et a donné lieu à des interprétations parfois opposées. C’est un exemple de débat sur l’efficacité des stratégies urbaines de requalification de la ville par le biais des investissements sur les infrastructures culturelles et sur le marketing urbain (Gomez, 1998 ; Plaza, 1999 ; Gomez et Gonzalez, 2001 ; Plaza, 2006).

    4 Le terme cultural economies policies, développé à la fin des années 1990 (Kong, 2000), reflète l’attention que les gouvernements locaux et nationaux dédient pour consolider le lien entre la culture et l’économie.

    5 L’auteur, en distinguant trois formes d’institutional turn, trace les parcours de l’évolution du débat et argumente sur les différents types de définitions d’institutions et leurs approches analytiques.

    6 Voir entre autres Markusen et al. (2008) pour une synthèse sur le débat.

    7 Woolcock (2001) esquisse, de façon schématique, le débat mené dans les dernières années.

    8 « Les composantes tangibles et intangibles enracinées dans les biens et dans les services produits localement » (Santagata, 2004, p. 13).

    9 À ce propos, nous rappelons le cas d’une institution analogue qui a eu, surtout dans le passé, des résultats très positifs dans le soutien de la production du design en Italie en général, et à Milan en particulier. Le prix Compasso d’Oro, institué pas les grands magasins La Rinascente en 1954, a comme but de promouvoir les objets d’utilisation quotidienne dessinés par des jeunes designers italiens. Surtout dans les années de sa création, le concours a représenté un stimulus à la fois pour le public à s’intéresser aux objets de design que pour les créateurs à dessiner des produits toujours nouveaux. La compétition et la renommée qui suivront favoriseront la diffusion d’objets, d’ameublement et de décoration de design en favorisant l’expansion et la consolidation de l’industrie du design milanaise.

    10 Comme le souligne Kong (2000), bien que cela soit vrai dans tous les secteurs de l’économie, dans les secteurs concernant la culture, le lien est particulièrement significatif à cause de l’intensité de la relation.

    La classe créative selon Richard Florida

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    Ce livre est cité par

    • Renoir, Simon. (2018) Assemble Sound, un courtier au cœur de la restructuration de la filière musicale à Détroit. Questions de communication. DOI: 10.4000/questionsdecommunication.15869
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    La classe créative selon Richard Florida

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    d’Ovidio, M. (2010). Chapitre 7. Le rôle des institutions dans l’économie créative. In R. Tremblay & D.-G. Tremblay (éds.), La classe créative selon Richard Florida (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.26558
    d’Ovidio, Marianna. « Chapitre 7. Le rôle des institutions dans l’économie créative ». In La classe créative selon Richard Florida, édité par Rémy Tremblay et Diane-Gabrielle Tremblay. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2010. https://doi.org/10.4000/books.pur.26558.
    d’Ovidio, Marianna. « Chapitre 7. Le rôle des institutions dans l’économie créative ». La classe créative selon Richard Florida, édité par Rémy Tremblay et Diane-Gabrielle Tremblay, Presses universitaires de Rennes, 2010, https://doi.org/10.4000/books.pur.26558.

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    Format

    Tremblay, R., & Tremblay, D.-G. (éds.). (2010). La classe créative selon Richard Florida (1‑). Presses universitaires de Rennes, Presses de l’Université du Québec. https://doi.org/10.4000/books.pur.26539
    Tremblay, Rémy, et Diane-Gabrielle Tremblay, éd. La classe créative selon Richard Florida. Rennes: Presses universitaires de Rennes, Presses de l’Université du Québec, 2010. https://doi.org/10.4000/books.pur.26539.
    Tremblay, Rémy, et Diane-Gabrielle Tremblay, éditeurs. La classe créative selon Richard Florida. Presses universitaires de Rennes, Presses de l’Université du Québec, 2010, https://doi.org/10.4000/books.pur.26539.
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