« Quand des enfants irresponsables se mêlent d’une querelle d’adultes » : les médias et la mobilisation politique d’élèves du secondaire pendant les « années 1968 » au Québec
p. 51-68
Texte intégral
1Le 22 février 1967, un journal local de Longueuil, ville de la banlieue de Montréal, publie un article ridiculisant une manifestation organisée par des élèves du secondaire1 pour contester la loi spéciale suspendant le droit de grève des enseignants du Québec. Intitulé « Quand des enfants irresponsables se mêlent d’une querelle d’adultes », il pique au vif les jeunes participants. En réponse, ils parodient son titre (« Quand un parent irresponsable se mêle de faire du journalisme2 ») dans le journal de leur école pour souligner l’absurdité, à leurs yeux, de qualifier un enjeu scolaire de « querelle d’adultes3 ».
2La prise de parole et l’action d’une frange certes minoritaire, mais visible de la jeunesse québécoise tout au long des années 1960 marquent l’affirmation de ce groupe d’âge sur la scène publique4. L’année 1968, dont les résonances internationales sont relayées dans les foyers par les nouveaux médias de masse (dont la télévision), est à cet égard emblématique5. Comparativement à la France, où les structures politiques ont durci le ton dès les premières revendications des jeunes, on observe au Québec relativement peu de résistance de la part de la génération plus âgée, qui accueille à bras ouverts cette montée de la jeunesse pendant une période de modernisations accélérées de la société connue sous le nom de « Révolution tranquille6 ». Les réformistes au pouvoir entendent ainsi marquer la rupture avec l’ordre ancien en s’associant au dynamisme et au vent de renouveau porté par une jeunesse démographiquement et symboliquement forte7. Or, si « les jeunes », pris dans leur ensemble, sont davantage reconnus (voire célébrés) en tant qu’acteurs légitimes de la sphère publique, nos travaux font ressortir une plus grande réticence face à l’engagement politique et au militantisme des adolescents8.
3Cette hiérarchie des âges qui s’opère à l’intérieur même de la catégorie « jeunesse » s’observe également dans l’historiographie. En effet, lorsque les historiens québécois ont tenté de traduire la voix des jeunes (au sein de l’institution scolaire et du mouvement étudiant, notamment), celle des étudiants des collèges9 et des universités fut essentiellement privilégiée10. Or, dans le Québec des années 1960, ces derniers correspondent encore, pour la plupart, à une portion minoritaire, privilégiée, masculine, urbaine et plus âgée de la jeunesse11. Des études historiques s’intéressant à d’autres contextes nationaux font, en outre, ressortir la difficulté des leaders étudiants adolescents à se faire entendre dans les médias12. Ils sont, par conséquent, moins visibles que leurs aînés de quelques années (voire de quelques mois) dans les principales archives utilisées par les chercheurs. Issus de couches sociales plus diversifiées, ils ne bénéficient pas des mêmes accès privilégiés aux classes dirigeantes que leurs camarades universitaires et des collèges privés avec leurs réseaux d’anciens et de « fils de13 ». Pour ces raisons, les journaux étudiants du secondaire ont retenu notre intérêt. Ils offrent une perspective complémentaire en ouvrant une fenêtre sur la prise de parole et l’action d’élèves du secondaire.
4Évidemment, nous ne prétendons pas que les élèves-journalistes sont représentatifs de l’ensemble de leur groupe d’âge (tout comme les journalistes adultes d’ailleurs). Plusieurs enquêtes réalisées au Québec à la fin des années 1960 révèlent le faible intérêt de la majorité des jeunes pour la politique, et ce, tant du côté des étudiants universitaires que du secondaire14. Ceux qui sont perçus par les réformistes comme la clé de voûte de la transformation sociale placent ainsi la réussite personnelle bien avant les idéaux de participation, de nationalisme ou de révolution15. Aussi convient-il de relativiser la vision nostalgique et romancée de la génération des années 1960 qui ne fut jamais aussi unie, politisée et militante que ses membres aiment se le rappeler16. Plusieurs analyses politiques de l’époque suggèrent, en outre, que si l’âge a une certaine incidence politique, les facteurs de classe, d’appartenance linguistique, de genre, notamment, et surtout le niveau d’éducation pèsent lourd dans la balance17. Qui plus est, des chercheurs ont récemment mis en garde contre la tendance à valoriser la rébellion en tant qu’expression de l’agentivité18 des enfants et du coup, à en ignorer ou minimiser les manifestations conformes aux courants dominants de pensée chez les adultes19. Cette quête de l’agentivité idéale tend à favoriser une interprétation binaire jeunes/adultes qui occulte les alliances intergénérationnelles et les rapports de pouvoir à l’intérieur d’un même groupe d’âge fondés sur l’intersectionnalité de marqueurs identitaires comme l’âge, le genre, l’orientation sexuelle, la classe sociale, la racialisation et la capacité, par exemple20. Le concept échouerait également à traduire les nuances dans les différents niveaux de participation politique des jeunes, lesquels varient grandement, comme le font ressortir les témoignages recueillis dans cette contribution.
5En somme, la présente contribution entend combler une part du vide historiographique quant à la participation des adolescents dans la contestation des « années 196821 » à partir de l’exemple québécois22. Notre objectif dépasse toutefois la simple intégration des élèves du secondaire à l’historiographie du mouvement étudiant. En croisant les perspectives de médias produits par des élèves et des adultes, nous entendons, plus largement, mettre en lumière l’imbrication d’appartenances identitaires et les jeux d’alliances intergénérationnelles au cours d’une période de vives contestations sociales (marquée entre autres par l’affirmation des mouvements étudiants, syndicalistes et nationalistes) qui ne peut être réduite uniquement à un conflit entre « jeunes » et « vieux », même si cet aspect demeure signifiant.
6Nous situerons d’abord le déploiement d’un journalisme et d’un syndicalisme étudiant dans les écoles secondaires du Québec au cours des années 1960. Puis, le cœur de cette contribution se concentrera sur trois moments clés de mobilisation des élèves du secondaire durant les « années 1968 » : la contestation étudiante d’Octobre 68, les manifestations d’élèves en appui aux grèves enseignantes de 1967-1969 et finalement, la contestation du projet de loi 63 sur la langue d’enseignement (1968-1969). Ces exemples révèlent la prise de position d’adolescents sur de grands enjeux de société liés au monde scolaire – leur domaine23, selon leurs mots. Notre étude repose sur l’analyse d’un corpus de 19 journaux d’écoles secondaires catholiques publiques du Québec et de la couverture journalistique de mobilisations d’élèves du secondaire dans la presse à grand tirage. Nous nous intéresserons plus précisément aux représentations des jeunes manifestants dans les médias officiels de même qu’aux réactions des chefs politiques et des autorités scolaires qui y sont exprimées. Nous verrons que ces discours ont en commun d’infantiliser les participants pour mieux disqualifier leurs revendications24. On observe aussi leur tendance à chercher qui sont les adultes qui tirent les ficelles derrière les jeunes. Des élèves écrivent d’ailleurs dans le journal de leur école – souvent envoyé par la poste aux parents et distribué dans les écoles voisines – pour revendiquer la pleine responsabilité de leurs actes, dénoncer le traitement qui leur est réservé dans la presse locale et nationale et discuter des stratégies à adopter pour faire reconnaître la légitimité et le sérieux de leur démarche. En somme, les réactions diverses que suscitent leurs prises de parole et d’action citoyennes révèlent les frontières arbitraires entre sphères politique et prépolitique25.
Diffusion d’un journalisme et d’un syndicalisme étudiant dans les écoles secondaires du Québec des années 1960
7Les journaux étudiants s’imposent comme lieu de diffusion d’idées et de débat entre des jeunes des quatre coins du Québec au cours de la période étudiée. Des équipes éditoriales font ainsi parvenir leur journal par la poste à plus d’une centaine d’institutions scolaires qui leur rendent la pareille. « On croit souvent qu’un journal étudiant ne sort pas de son école et n’a qu’une portée locale. C’est faux ! Ce reflet de ce que nous sommes, et de ce que nous pensons parvient aux yeux des étudiants du Québec et même du Canada26. » Cette grande circulation (et le style professionnel des journaux dépouillés) est attribuable à l’influence de la Presse étudiante nationale (PEN), un organisme qui fédère alors les journaux des institutions collégiales, universitaires, normales et secondaires27. Dans leurs journaux, les élèves écrivent à leurs pairs, aux parents, aux enseignants et à la direction pour les informer et les influencer. À titre d’exemples, ils se positionnent sur les réformes scolaires en cours, commentent l’actualité politique nationale et internationale, lancent des appels à la responsabilisation de leurs camarades et demandent plus de pouvoirs et de libertés au sein de leur école. Certains s’engagent même dans un type d’action plus direct en organisant des campagnes de boycott ou des manifestations.
8En parallèle, on assiste dans la décennie 1960 au déploiement d’un syndicalisme étudiant au Québec. Au secondaire, ce phénomène se manifeste par la mobilisation d’élèves pour réclamer la mise sur pied d’un conseil étudiant ou d’une Association générale étudiante (AGE) dans leur école. Selon les membres de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, qui ont visité une cinquantaine d’établissements d’enseignement en Europe et en Amérique du Nord dans le cadre de leurs travaux, la présence d’AGE dans les écoles secondaires serait une particularité québécoise28. Le milieu des années 1960 marque le début de la radicalisation et de la massification du mouvement étudiant29. La fondation de l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ) en 1964 est à cet égard un repère signifiant. Les élèves du secondaire qui participent au mouvement prennent plaisir à célébrer (et probablement à exagérer) leurs coups d’éclat dans le journal de leur école, forts de leur nombre et fiers d’avoir contesté l’autorité. Le type de contestation privilégié semble toutefois varier selon le genre, comme nous le verrons plus loin.
Participation d’élèves du secondaire à la contestation d’Octobre 1968
9Au Québec, la contestation étudiante atteint son point culminant avec l’occupation des cégeps en octobre 1968, peu après de premiers remous survenus en février et mars à l’université de Montréal30. Le secondaire n’est pas en reste, mais les élèves n’y sont pas aussi organisés et les autorités s’y montrent plus répressives. Il faut dire que leur rapport de force et leur cohésion ne sont pas les mêmes que dans les cégeps et universités où des milliers d’étudiants sont rassemblés au sein d’un même établissement, voire d’une même AGE. On retrace néanmoins plusieurs exemples de participation d’adolescents au mouvement. Ainsi, 5 000 élèves du secondaire défilent dans les rues de la ville de Québec. À Laval, 700 élèves occupent les locaux de leur école pendant plusieurs jours, après en avoir chassé le directeur31. Le mouvement s’essouffle à la fin du mois d’octobre. Les événements incitent néanmoins des écoles secondaires de la région de Québec à se regrouper dans une AGE commune. Comme l’exprime Marc, qui fréquente une école de la ville de Québec : « On sent le besoin impérieux de se tenir les coudes, de faire front commun après un mouvement de masse qui n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre et de salive32. »
10À la mi-novembre, quelques leaders étudiants tentent de réactiver le mouvement, ce qui entraîne, au Cégep de Chicoutimi, le renvoi d’une dizaine d’étudiants. La mesure répressive indigne l’équipe du Mirador, journal de l’École Perreault à Québec, qui invite les élèves du secondaire à réagir : « C’est un affront aux étudiants qui défendent leur droit ; un affront fait à la justice des hommes et au droit de parole et de représentation d’une masse d’étudiants33. » Si la presse parle de crise, ces manifestations sont plutôt, aux yeux d’un élève, « le signe d’une prise de conscience collective d’un pouvoir de masse. C’est l’occasion de se surprendre en pleine solidarité, de se sentir bien dans sa peau d’étudiant34 ». De fait, les élèves-journalistes se sentent solidaires de leurs aînés du collégial et de l’université, avec lesquels ils entretiennent des liens grâce aux structures étudiantes nationales que sont la PEN et l’UGEQ, notamment. À une époque où la jeunesse est fortement identifiée à la classe étudiante, les élèves du secondaire (fussent-ils minoritaires et minorisés au sein du mouvement étudiant) se considèrent étudiants à part entière.
11Encore une fois, il faut éviter le piège de voir les étudiants comme un bloc uni. Selon certaines analyses, seulement 5 % d’entre eux participent réellement à la contestation étudiante de 1968 au Québec35. Des élèves écrivent d’ailleurs dans les pages du journal de leur école pour critiquer le mouvement. Pourquoi les étudiants ne considèrent-ils plus le dialogue « avant de se lancer dans des manifestations enfantines ?36 », demande un élève. De même, un de ses camarades invite à ne pas entrer dans le jeu des semeurs de trouble plus âgés qui se servent d’eux comme de pions37. « Ces “Esprits Moutons”, il ne faut pas les prendre au sérieux mais leur laisser le temps de passer leur crise », écrit pour sa part une élève de Granby. Elle affirme toutefois ne pas condamner la contestation « fondée sur des idées solides et fermement étudiées ; elle prouve alors l’intérêt que porte la jeunesse à la société qu’elle formera et dirigera dans un avenir rapproché38 ». Comme le font ressortir ces extraits, l’agentivité des jeunes ne se manifeste pas qu’à travers l’activisme et la révolte, même si l’histoire a davantage eu tendance à retenir ces exemples plus spectaculaires. De plus, ces prises de position critiques sur le mouvement étudiant témoignent également d’une forme de politisation des élèves.
12La mobilisation d’élèves du secondaire durant les « années 1968 » ne se limite pas, loin s’en faut, à la contestation étudiante d’Octobre 1968. Conscients d’être plus instruits que la génération précédente et d’incarner l’avenir du Québec, ils se sentent le droit et le devoir de s’exprimer sur les enjeux de l’heure, au même titre que leurs aînés du collégial et de l’université.
Manifestations d’élèves contre la loi 25 suspendant le droit de grève des enseignants (1967-1969)
13En janvier 1967, un mouvement de grève est lancé par la Corporation des enseignants du Québec (CEQ). Si quelques élèves reprochent à leurs enseignants de ne pas se soucier d’eux ou de mettre en danger leur année scolaire39 dans leurs journaux, la plupart de ceux qui prennent position appuient les revendications enseignantes. L’obtention de meilleures conditions de travail, soulignent-ils, profitera également aux élèves40. Particulièrement attachés à la liberté d’expression, les étudiants désapprouvent fortement la loi 25 qui, à son entrée en vigueur le 17 février 1967, suspend le droit de grève des enseignants jusqu’en juin 196841. Plusieurs élèves du secondaire participent à la grande manifestation du 12 février à Québec, où l’on retrouve également des représentants d’autres centrales syndicales et des membres de l’UGEQ. Les médias officiels accusent les jeunes participants de s’être laissés endoctriner par leurs professeurs. « C’est totalement faux », affirme un élève qui souligne que leurs enseignants se sont abstenus de commenter la grève. « De plus, ajoute-t-il fièrement, chacun sait que les étudiants de [l’école] Gérard-Filion ne se laissent pas soudoyer aussi facilement42. » De fait, dans les médias officiels, l’âge des manifestants éclipse le message politique qu’ils tentent de livrer. Qui plus est, en faisant porter la responsabilité de leurs actes à leurs enseignants et à des extrémistes (souvent adultes) ou en attribuant leurs manifestations à des débordements enfantins, étape « normale » de leur développement vers la rationalité adulte, le cadrage médiatique43 nie toute agentivité politique aux élèves44.
14D’autres manifestations ont lieu dans diverses régions du Québec, parfois initiées par des adolescents. Des élèves reprochent à nouveau aux médias en quête de sensationnalisme de présenter plusieurs faussetés et entendent corriger le tir dans le journal de leur école. Ainsi, L’Écho Expansion, journal local de Longueuil, rapporte que la police aurait eu beaucoup à faire pour contenir les manifestations organisées par des élèves en février 1967 et suggère que les élèves étaient incapables d’expliquer pourquoi ils manifestaient. L’équipe du journal étudiant La Minerve réplique en soulignant le calme dans lequel s’est déroulée la journée et que, si le journaliste avait pris la peine de leur demander, il aurait vite réalisé que les étudiants savaient pourquoi ils prenaient la rue45. Une autre manifestation étudiante contre la loi 25 a lieu à Longueuil en avril 1967. Un élève note la quasi-absence de publicité médiatique autour de l’événement, ce qui prouve, à son avis, la nécessité pour les associations étudiantes (en particulier au secondaire) de s’unir pour se faire entendre. Malgré tout, il estime que l’expérience fut très formatrice pour les participants : « Ils ont combattu, la plupart pour la première fois, pour quelque chose. Il est certain qu’un combat comme celui-là contribue énormément à donner un sens social, en l’informant de faits ou d’injustices commis par la société46. » À la lumière de ces témoignages, on peut présumer qu’en plus de marquer un moment important dans la socialisation politique des élèves qui se mobilisent, le traitement médiatique qui leur est réservé leur fait prendre conscience des biais journalistiques47.
15On remarquera que les récits de manifestants retracés sont tous écrits par des garçons. Pourtant, la majorité des journaux composants notre corpus provient d’institutions pour filles. Même dans les établissements mixtes, les garçons sont plus nombreux à prendre la plume pour célébrer leurs coups d’éclat. Ceci dit, des jeunes filles se mobilisent également pour signifier leur appui à leurs enseignants. Elles semblent toutefois privilégier des moyens de pression moins frontaux (des pétitions, des lettres aux élus, des journées d’étude, par exemple) et une approche plus collaboratrice. Ainsi, un après-midi de février 1969, les enseignants de Granby quittent leur école après avoir reçu la consigne de débrayer. « À ce moment-là, les filles ont pris conscience de l’importance de la chose et ont pris position », rapporte L’Étincelle, journal d’une école pour filles de la ville. « Je crois, que si les professeurs ne peuvent pas répondre aux accusations injustes des gens, c’est à nous et à moi, qui sommes informées, de les défendre », écrit une élève. En réponse aux fréquentes accusations faites aux enseignants d’endoctriner leurs élèves, elle précise : « Ne croyez surtout pas que j’agis sous la contrainte ou l’influence de quelqu’un, c’est bien mon opinion véritable48. »
16Comment interpréter cette différence genrée marquée dans les formes et l’intensité de la contestation ? Des études récentes sur la socialisation genrée à l’école avancent que les garçons sont davantage encouragés par leurs pairs à braver l’autorité et à être insolents afin d’affirmer leur masculinité, tandis qu’on attendrait plus de docilité de la part des filles49. Ces normes ressortent également des travaux historiens sur la construction des rôles sociaux de genre dans la première moitié du xxe siècle au Canada50. Notre thèse suggère, en outre, que la contestation des filles, de même que celle des élèves plus jeunes, est moins tolérée par les autorités scolaires. Les méthodes d’action privilégiées par les étudiantes s’inscriraient, en ce sens, dans les limites de ce qui leur est permis à l’école secondaire. À la lumière de la contribution de Daniel Poitras au présent ouvrage, nous pourrions également soumettre l’hypothèse que les jeunes filles, qui ont à cette époque moins de modèles féminins auxquels s’identifier au sein du mouvement étudiant (ou encore des milieux politique et syndical), ne ressentent pas autant le besoin de « performer » leur identité étudiante en confrontant les autorités que leurs collègues masculins. Nous poursuivrons nos réflexions sur la dimension genrée de la contestation des élèves dans la prochaine section.
« QUÉBÉCOIS, ne laissez pas vivre le bill 6351! » : mobilisation des élèves du secondaire lors de la crise linguistique des milieux scolaires de 1967-1969
17La contestation de la loi 63 sur la langue d’enseignement constitue un autre exemple de solidarités intergénérationnelles autour d’une question socialement vive. Les événements analysés dans cette section s’inscrivent dans le contexte de crise linguistique qui agite les milieux scolaires de la province dans la seconde moitié des années 1960, moment fort d’affirmation du nationalisme québécois52. Dès 1967, la crise de Saint-Léonard, une banlieue de Montréal où est établie une importante communauté italo-québécoise, divise les partisans du libre choix de la langue d’enseignement et ceux priorisant l’intégration scolaire des immigrants au système scolaire francophone. Saint-Léonard devient dans l’opinion publique francophone le symbole de la menace que représente l’assimilation massive des immigrants à la communauté anglophone pour la survie du français au Québec53. Pour nombre d’élèves qui prennent position dans leur journal, c’est l’occasion d’affirmer leur identité québécoise.
18Dans la nuit du 30 août 1968, 85 élèves s’introduisent dans l’École secondaire Aimé-Renaud, à Saint-Léonard, pour l’occuper jusqu’au 5 septembre. Ils protestent contre la proposition de la Commission scolaire régionale Le Royer de transformer la seule école secondaire du quartier en école anglophone. « Nous avons pris possession de ce qui nous appartient », « Aimé-Renaud en français », affirment les occupants dans un communiqué de presse. Des parents font du piquetage devant l’école. Ils ne sont pas les seuls à témoigner leur appui : près de 3 500 personnes viennent manifester leur soutien aux élèves54. Cette fois, la couverture médiatique leur est favorable. Des journalistes citent leur courage en exemple55. Constatant que l’appui aux élèves grandit de jour en jour56, le gouvernement est contraint d’intervenir. Les élèves obtiennent gain de cause après plusieurs journées de négociation. Souhaitant éviter une escalade de violence, le gouvernement unioniste de Jean-Jacques Bertrand propose la Loi pour promouvoir la langue française au Québec (loi 63), qui accorde aux parents le droit de choisir la langue d’enseignement de leurs enfants. Plutôt que de calmer le jeu, le projet de loi provoque un mouvement d’opposition sans précédent au sein de la population francophone du Québec.
19La contestation du « Bill 63 » est un moment fort de mobilisation des élèves du secondaire. Selon la journaliste Lysiane Gagnon, qui couvre les événements pour La Presse – l’un des plus importants quotidiens du Québec –, ils seraient, cette fois, « résolument entrés dans l’action, avec un enthousiasme et une spontanéité que déjà, les cégépiens (leurs aînés de deux, trois ans…) avaient perdue57 ». Nous avons choisi de nous concentrer sur le traitement médiatique d’un événement qui fit grand bruit à l’époque : l’attaque aux boules de neige du Parlement du Québec par des élèves.
Figure 1. – L’attaque aux boules de neige au Parlement du Québec (5 décembre 1968).

Le 5 décembre 1968, alors que des rumeurs évoquent erronément le dépôt dans la journée d’un projet de loi consacrant le libre choix de la langue d’enseignement (y compris pour les immigrants), 3 000 manifestants, dont 90 % seraient des élèves du secondaire, prennent part à ce qui sera connu comme l’attaque aux boules de neige au Parlement. On retrouve aussi parmi la foule le Mouvement pour l’intégration scolaire (MIS) et des étudiants plus âgés membres de l’UGEQ. Une soixantaine de carreaux auraient été brisés par des balles de neige. La police intervient. Quinze personnes, dont treize ont moins de 21 ans, sont arrêtées.
Les témoignages recueillis dépeignent un mouvement spontané, désorganisé, où les élèves sont, comme le craignaient certains de leurs leaders, peu informés. La Presse rapporte que des écoliers de 12 et 13 ans croyaient que le gouvernement allait abolir ce jour-là la langue française au Québec. La manifestation prend par surprise parents, professeurs et autorités scolaires, tout comme les fonctionnaires dont les bureaux sont situés au sein de l’édifice parlementaire qui, n’ayant pas été avisés de la manifestation, ne comprennent pas pourquoi des « bambins » leur lancent des boules de neige.
On remarquera que les images des manifestations d’élèves dans les médias officiels et dans les journaux du secondaire mettent essentiellement en scène des garçons. Cela témoigne, certes, des normes genrées balisant à l’époque la participation politique des femmes et l’éducation des filles (la contestation étant moins tolérée chez les filles et les élèves plus jeunes, tel que vu précédemment). On peut aussi se demander si le cadrage médiatique lui-même ne renforcerait pas ce phénomène en mettant l’accent sur les figures masculines de la contestation étudiante. Par ailleurs, les médias officiels semblent privilégier les photographies d’élèves plus jeunes (présentés comme victimes) et plus agités (présentés comme « violents »), deux moyens de faire réagir l’opinion publique et de discréditer le mouvement
Sources du texte : Lesage Gilles, « S’il le faut, nous appliquerons la force… Solennel avertissement de Bertrand aux “extrémistes” », Le Devoir, 6 décembre 1968, p. 1, 6 ; Daoust Gilles, « Hésitation et maladresse de Bertrand à la source des réactions de violence », La Presse, 6 décembre 1968, p. 37 ; Tawner Marc, « Le “super-show” du 5 décembre », Le Mirador, vol. 2, no 3, 12/1968, p. 3.
Source : La Presse, 6 décembre 1968, p. 1.
20Le matin de la manifestation, l’Association des étudiants de l’École Perreault déclare à l’interphone de son école :
« Cette manifestation est organisée dans le but de réaffirmer nos convictions linguistiques et préserver nos droits fondamentaux de citoyen québécois. Ce qui veut dire que nous reconnaissons la langue anglaise comme la langue des minorités mais nous exigeons que le français soit réellement la langue prioritaire au Québec58. »
21Dans les médias, on cherche les coupables. L’idée selon laquelle des mineurs pourraient être à l’origine des événements ne semble pas effleurer l’esprit des journalistes. Le mot court selon lequel les enseignants auraient encouragé leurs élèves à prendre la rue, voire qu’ils les auraient amenés devant le Parlement. Les principaux chefs de partis condamnent aussitôt l’embrigadement politique des enfants par leurs enseignants. Le Premier ministre Jean-Jacques Bertrand déclare :
« Que l’on exerce des libertés, qu’on les exerce suivant les procédés démocratiques mais, de grâce, qu’on ne dérange pas toute une génération d’étudiants, d’enfants âgés de 10 et 12 ans, en les conduisant devant le Parlement, en leur faisant poser des actes au sujet desquels ils ne devraient porter aucune responsabilité59. »
22René Lévesque, chef du nouveau Parti Québécois et leader souverainiste, est celui des trois qui aura les mots les plus durs. S’empressant de dissocier son parti – très populaire chez les jeunes –, des événements, il qualifie de « répugnant » que l’on « ait été jusqu’à se servir de plusieurs centaines d’enfants, des bouts de chou, et qu’on les ait poussés en avant ». À propos des jeunes manifestants, il suggère qu’« il s’agit au fond d’un petit groupe marginal et déséquilibré ou d’un bon nombre de cerveaux brûlés qui se prennent pour des révolutionnaires ». À la demande du député Pierre Laporte, une enquête est immédiatement mise sur pied par le ministère de l’Éducation pour identifier qui sont ceux qui ont incité ces enfants à manifester.
23D’autres personnalités politiques, considérées radicales par l’opinion publique, félicitent au contraire les élèves pour leur engagement citoyen. Pour Raymond Lemieux, président du MIS, la journée « a été, pour les centaines d’adolescents qui y ont participé, une excellente leçon de démocratie de participation et un cours vivant d’histoire, meilleur que tout ce qu’il y a dans les livres60 ». Plusieurs élèves accusent Lemieux ainsi que des leaders syndicalistes de tenter de récupérer, voire de dénaturer, leur mobilisation, tandis que les élèves, soulignent-ils, veulent simplement protéger la langue française et s’affirmer en tant que Québécois61. Le désaveu des chefs de parti, mais également, l’empressement des leaders syndicaux et du MIS à appuyer publiquement les jeunes, voire à entretenir le flou sur leur réelle implication, envoient à certains élèves le message que les adultes agissent d’abord selon leurs propres intérêts. Les instigateurs de la journée insistent sur le fait que leur action était indépendante du MIS et que leurs directeurs et enseignants n’étaient pas au courant de leur projet62.
24À cette occasion encore, des participants reprochent aux médias ayant couvert les événements d’attaquer leur crédibilité en minimisant le nombre de manifestants, en abaissant l’âge moyen des participants, ou encore en mettant en avant, dans leurs reportages, des élèves peu informés qu’ils jugent non-représentatifs de l’ensemble. « Les étudiants, à qui on a demandé de définir le bill 63 était sûrement des élèves de première année qui venaient de finir leur classe63 », suggère un élève qui estime que la forte majorité des manifestants était des finissants du secondaire. Sous cet angle, les discours étudiés traduisent une gradation de la participation politique légitime en fonction de l’âge, y compris dans le discours des adolescents.
25Malgré une vive opposition des milieux francophones, le projet de loi 63 est déposé en octobre 1969. Pendant près d’une semaine, les institutions d’enseignement de la province sont paralysées pendant que les étudiants marchent dans les rues pour protester. La moitié des écoles secondaires montréalaises se vident. Le 28 octobre, plus de 5 000 élèves du secondaire se rassemblent au parc Laurier situé dans la métropole pour protester contre le Bill 6364. Les régions plus éloignées ne sont pas en reste : toutes les écoles secondaires de Sept-Îles, l’une des villes les plus au nord du Québec, sont fermées65. Les autorités scolaires adoptent une attitude généralement conciliante face à la mobilisation des étudiants. Cette fois, l’institution scolaire n’est pas directement attaquée comme en Octobre 196866. Quant au Premier ministre, il s’indigne à nouveau de la présence « d’enfants » dans les manifestations et accuse, une fois de plus, les enseignants d’en être la cause.
« On dirait, poursuit Bertrand, que l’on veut créer un climat qui habituera la jeunesse à parcourir les rues et à participer à des démonstrations. Quant à moi, je pense que ce n’est pas une façon de préparer les jeunes à être de véritables citoyens conscients de leurs responsabilités. Ce n’est certainement pas un mécanisme de la démocratie67. »
26En novembre 1969, le congrès annuel des commissaires d’école adopte une résolution interdisant aux enseignants d’émettre des opinions personnelles, politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions68. Cette censure indigne d’autant plus les élèves qu’elle sous-entend qu’ils ne sont pas capables de penser par eux-mêmes : « savent-ils que c’est nous, les étudiants, qui obligeons les professeurs à prendre position, en classe, sur telle ou telle question ? Savent-ils que nous ne tolérons pas les professeurs robots sans opinions69 ? » Une enquête de la Commission des écoles catholiques de Québec confirmera que ce sont des élèves qui ont incité leurs confrères à manifester devant le parlement. Le président du regroupement syndical des enseignants, Raymond Laliberté, exigera que les chefs des partis se rétractent publiquement : « Il serait temps que l’on cesse de charger les enseignants de toutes les tares de la société du Québec ». « Vous remarquerez, note-t-il au passage, que les élèves du secondaire n’ont pas besoin d’être tellement incités par d’autres, ces derniers temps, pour manifester collectivement70. »
27La contestation de la loi 63 représente un moment fort de socialisation politique des élèves du secondaire. Elle marque particulièrement leur imaginaire politique, comme en témoigne la fréquence des références au « Bill 63 » dans leurs journaux au cours des années suivantes. Pour maints élèves, le conflit est l’occasion d’affirmer leur identité québécoise et de se sentir de plain-pied avec les adultes, même s’ils se reconnaissent un rôle d’avant-garde. À leurs yeux, leur éducation plus poussée que leurs aînés leur permet de porter un regard plus lucide sur la société : « Nous remercions sincèrement la société qui, nous permettant de nous instruire, nous permet aussi de voir dans quel abîme elle est entrée71. » Ayant manifestement intégré pour la plupart l’idée qu’ils possèdent une citoyenneté partielle ou différée, les élèves attendent impatiemment le jour où ils prendront le pouvoir en tant que citoyens à part entière :
« […] aujourd’hui le peuple québécois prend de plus en plus part à sa situation. Il se réveille. Mais pas encore assez car les changements n’arrivent pas vite. […] Il appert donc que l’avenir de notre nation est entre les mains de ceux qui sont instruits, et qui pour la majorité forment la jeunesse. C’est dire que nous les étudiants devons commencer à nous préparer dès maintenant et à faire en sorte que lorsque nous occuperons à part entière la place de citoyens au Québec nous puissions vivre en français72. »
28En somme, si l’on ne peut nier l’existence de sensibilités particulières au sein d’une même tranche d’âge73, l’opposition entre « jeunes » et « adultes » en filigrane de nombreux enjeux abordés dans les journaux étudiants relève aussi, pour une part, de la stratégie discursive et du jeu de pouvoir, comme le souligne le sociologue français Gérard Mauger dans un texte devenu classique :
« Les “détenteurs” qui sont aussi les plus vieux biologiquement, renvoient les “prétendants” à […] un ensemble de représentations propres à [les] disqualifier. Les “jeunes” (comme les femmes ou les membres des classes dominées), rejetés du pouvoir, […] [sont associés à] la puérilité, l’inexpérience, l’immoralité. À l’inverse, […] les plus jeunes biologiquement renvoient les “détenteurs” à leur “vieillesse”74. »
29Ce que la célèbre citation de Mauger ne souligne pas, par contre, c’est que ces jeux de pouvoir s’opèrent également au sein d’une même classe d’âge, selon l’imbrication des appartenances identitaires, des intérêts et de la quête de légitimité de chaque acteur individuel et collectif.
Conclusion
30Cette contribution a fait ressortir la dynamique intergénérationnelle à l’œuvre au cours des « années 1968 » au Québec de même que les rapports de pouvoir s’opérant au sein d’une même classe d’âge. Il met également en lumière différents niveaux et moyens d’engagement chez les étudiants, notamment en fonction du genre et de l’âge de ceux-ci. Les élèves du secondaire apparaissent, certes, moins expérimentés, plus désorganisés, numériquement inférieurs au sein d’un même établissement et bénéficient de moins de ressources (matérielles, mais aussi d’amis bien placés) que leurs aînés du collégial et de l’université. Ils participent néanmoins, à leurs façons, à la discussion publique en prenant une part active à la contestation, mais aussi en critiquant l’action de leurs pairs. De fait, des élèves n’hésitent pas à défendre les valeurs qui leur sont chères, comme la liberté d’expression ou la langue française. Ils se montrent solidaires de leurs enseignants lors de conflits syndicaux au nom de leur intérêt commun pour la qualité de l’éducation. Leurs journalistes étudiants appuient en grande majorité le mouvement nationaliste et affirment leur identité québécoise. Au sein de notre corpus, les garçons plus âgés sont plus nombreux à mettre en avant leur participation à la contestation et à confronter ouvertement les autorités. Ils obtiennent (et s’accordent) davantage d’attention médiatique lors des événements étudiés. Bref, les solidarités et fractures qui traversent les classes d’âge s’expriment aussi dans la couverture médiatique des événements ciblés, tant dans la presse à grand tirage que dans les journaux scolaires.
31On retient aussi la tendance des décideurs et des médias à nier l’agentivité politique des élèves en se concentrant sur leur jeune âge plutôt que sur leurs revendications et en cherchant les « vrais responsables » derrière leurs actions. Cette difficulté à concevoir que des élèves aient pu prendre l’initiative de leur propre chef indique que l’action politique des mineurs dérange. Ainsi constate-t-on une tension entre la volonté affirmée de politiser la future génération de citoyens et le désir de tenir les élèves éloignés de la politique. La majorité des élèves du secondaire semble elle-même avoir intégré l’idée qu’ils sont des citoyens en devenir. Ils n’en revendiquent pas moins un rôle actif dans la société et affirment leur compétence à se prononcer sur des enjeux d’actualité, en particulier ceux touchant le monde scolaire, leur domaine. Conscients d’être plus instruits que les générations qui les ont précédés et d’incarner l’avenir du Québec, ils anticipent le moment où ils pourront prendre les choses en main en tant que citoyens à part entière. En attendant ce jour, ils tentent d’influencer les choses avec les moyens dont ils disposent, dont leur journal étudiant.
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Notes de bas de page
1Équivalent du collège et des premières années du lycée en France ou du High School états-unien. Les élèves qui fréquentent l’école secondaire au Québec ont donc généralement entre 12 et 17 ans.
2Michon Jean-Yves, « Quand un parent irresponsable se mêle de faire du journalisme », La Minerve, vol. 1, no 3, 04/1967, p. 2.
3Nous remercions sincèrement Louise Bienvenue et Alexandre Patenaude qui ont commenté une version antérieure de ce texte. Nos recherches ont bénéficié du soutien du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.
4Plusieurs historiennes ont toutefois mis en lumière l’action de groupes de jeunes au Québec pour la défense des intérêts de la jeunesse et la reconnaissance de leur capacité à participer activement à la vie publique bien avant les années 1960 : Neatby Nicole, Carabins ou activistes. L’idéalisme et la radicalisation de la pensée étudiante à l’Université de Montréal au temps du duplessisme, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1997 ; Bienvenue Louise, Quand la jeunesse entre en scène. L’Action catholique avant la Révolution tranquille, Montréal, Boréal, 2003 ; Piché Lucie, Femmes et changement social au Québec. L’apport de la Jeunesse ouvrière catholique féminine, 1931-1966, Québec, Presses de l’université Laval, 2003 ; Hébert Karine, Impatient d’être soi-même. Les étudiants montréalais 1895-1960, Montréal, Presses de l’université du Québec, 2008.
5Voir entre autres : Dramé Patrick et Lamarre Jean (dir.), 1968, des sociétés en crise. Une perspective globale, Québec, Presses de l’université Laval, 2009.
6L’Exposition universelle de Montréal en 1967 incarna cette ouverture d’une génération à une autre. Carel Ivan, « L’Expo 67 et la jeunesse », Bulletin d’histoire politique, vol. 17, no 1, 2008/aut., p. 108. Pour un portrait des premiers nés de la génération du babyboom au Québec, voir Ricard François, La génération lyrique, Montréal, Boréal, 1992.
7L’abaissement de l’âge électoral à 18 ans au niveau provincial en 1964 (six ans avant le pallier fédéral canadien et dix avant la France) constitue d’ailleurs un puissant symbole de la révolution des âges s’opérant parallèlement à la « Révolution tranquille » québécoise. LeBrun Andréanne et Bienvenue Louise, « Pour “un gouvernement jeune et dynamique”. L’abaissement du droit de vote à 18 ans au Québec en 1964 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 71, nos 1-2, 2017/été-aut., p. 113-135.
8Cette contribution s’inspire de recherches menées dans le cadre de notre thèse doctorale : LeBrun Andréanne, École, adolescence et citoyenneté : modèles de citoyenneté et de participation politique proposés à l’école secondaire catholique publique du Québec (1956-1982), thèse de doctorat en histoire, sous la dir. de Louise Bienvenue, université de Sherbrooke, 2023.
9Avant 1967 au Québec, le niveau collégial réfère aux collèges classiques, institutions élitistes fortement attachées à la tradition jésuite du ratio studiorum représentant pendant longtemps la seule voie d’accès à l’université. Ils sont remplacés en 1967 par les « collèges d’enseignement général et professionnel » (CEGEP), un niveau d’enseignement public unique au Québec offrant des formations techniques et préuniversitaires. Le cégep correspond, dans le système français, à la terminale et à la première année d’université.
10Font entre autres exceptions les travaux de Piché Lucie, op. cit.
11La contribution signée par Daniel Poitras dans le présent ouvrage jette d’ailleurs un éclairage fort intéressant sur les enjeux genrés, de classe et de racialisation au sein du mouvement étudiant québécois des années 1950 et 1960.
12Snider Colin, « High School Students and Youthful Political Mobilization in Brazil (1948-1989) », communication présentée à la conférence de la Society for the History of Children and Youth, University of British Columbia, Vancouver, 2015/6.
13Ces réseaux d’alliances ressortent de nos recherches sur la mobilisation de groupes de jeunes pour l’abaissement de l’âge électoral à 18 ans en 1964, de même que de la contribution de Daniel Poitras au présent ouvrage. LeBrun Andréanne et Bienvenue Louise, « Pour “un gouvernement jeune et dynamique” », art. cité.
14Entre autres : Rioux Marcel et Sévigny Robert, Les nouveaux citoyens. Enquête sociologique sur les jeunes du Québec, Montréal, Service des publications de Radio-Canada, 1965.
15Un nouvel univers scolaire, la polyvalente, ministère de l’Éducation, 1970, p. 356.
16Gauthier Madeleine, « Le mouvement étudiant des années soixante comme aspect du mythe de la Révolution tranquille ? », in Raymond Hudon et Bernard Fournier (dir.), Jeunesses et politique, Sainte-Foy/Paris, Presses de l’université Laval/L’Harmattan, 1994, p. 233-255 ; Warren Jean-Philippe, Une douce anarchie. Les années 68 au Québec, Montréal, Boréal, 2008.
17Blais André et Nadeau Richard, L’appui au parti québécois. Évolution de la clientèle de 1970 à 1981, in Jean Crète (dir.), Comportement électoral au Québec, Chicoutimi, Gaétan Morin, 1984 ; Lemieux Vincent, Le quotient politique vrai. Le vote provincial et fédéral au Québec, Québec, Presses de l’université Laval, 1973, p. 33.
18La notion d’agentivité des enfants met en évidence leur capacité de choix, d’initiative, d’influencer la vie sociale et culturelle et de transformer leur environnement, matériel et humain. Garnier Pascale, « L’agency des enfants. Projet scientifique et politique des Childhood studies », Childhood Studies, vol. 36, no 2, 2015/7, p. 159-173.
19Lancy David, « Unmasking Children’s Agency », AnthoproChildren, vol. 2, 2012, [https://digitalcommons.usu.edu/sswa_facpubs/277].
20Gleason Mona, « Avoiding the Agency Trap. Caveats for Historians of Children, Youth, and Education », History of Education, vol. 45, no 4, 2016/7, p. 446-459.
21Par « années 1968 », nous référons à la période de vives contestations sociales entre 1967 et 1970 au Québec.
22Sur les contestations lycéennes en France, voir Leschi Didier, « Mai 68 et le mouvement lycéen », in Stéphane Courtois (dir.), Mai-68 : Les mouvements étudiants en France et dans le monde, Matériaux pour l’histoire de notre temps, nos 11-13, 1988, p. 260-264.
23Il s’agit, selon nos analyses, de l’enjeu sociopolitique le plus populaire dans les journaux du secondaire au cours de la période ciblée. Warren fait un constat similaire pour les journaux universitaires dans Une douce anarchie, op. cit., p. 33-34.
24On retrouve cette même attitude paternaliste face à d’autres mobilisations de jeunes actuelles et passées. Entre autres, le Premier ministre Maurice Duplessis avait refusé de rencontrer les leaders étudiants lors de la grève de 1957, affirmant qu’il n’avait « pas le temps de recevoir des enfants mal éduqués ». Neatby Nicole, op. cit.
25Nous renvoyons ici à Hannah Arendt qui conçoit l’école comme sphère prépolitique : « la politique ou le droit de participer au maniement des affaires publiques, commencent sérieusement quand l’éducation est achevée. […] [D]ans l’éducation, on a toujours affaire à des gens qui ne peuvent encore être admis à la politique et à l’égalité parce qu’ils sont en train d’y être préparés. » « La Crise de l’éducation », in La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972 (1954), p. 157.
26Dumas Denyse, « Édito : La PEN », L’Écho-Lierre, vol. 4, no 1, 1964/10, p. 2.
27Fondée en novembre 1943, la Corporation des Escholiers griffoneurs prend le nom de Presse étudiante nationale en 1961 et se positionne comme une centrale intellectuelle orientant les débats et l’action dans les milieux étudiants. Après avoir joué un rôle déterminant dans la structuration du mouvement étudiant des années 1960, la PEN se dissout vers 1969, au même moment que d’autres organisations étudiantes. Sur l’histoire de la PEN, voir Raphel Marc, La Presse Étudiante Nationale. Une association étudiante dans la Révolution tranquille (1960-1969), mémoire de maîtrise en histoire, sous la dir. de Jacques-Guy Petit, université d’Angers, 2001.
28Elles ont toutefois été précédées par différentes formes de conseils étudiants. Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, t. III, Québec, Éditeur du Québec, 1966, art. 750.
29Sur le mouvement étudiant au Québec, voir entre autres : Warren Jean-Philippe, Une douce anarchie, op. cit. ; Lamarre Jean, Le mouvement étudiant québécois des années 1960 et ses relations avec le mouvement international, Sillery, Septentrion, 2017 et les travaux de Poitras Daniel, en particulier : « Penser l’histoire du mouvement étudiant au Québec. Sous les lieux communs, un chantier », Globe, vol. 17, no 1, 2014, p. 199-228.
30Les étudiants revendiquent principalement la création d’une deuxième université francophone publique à Montréal, la révision du programme de prêts et bourses, des ajustements dans les méthodes pédagogiques et une participation active à l’administration scolaire (cogestion).
31Gagnon Lysiane, « Bref historique du mouvement étudiant au Québec 1958-1971 », 05/1971, reproduit dans Bulletin d’histoire politique, vol. 16, no 2, 2008/hiv., p. 38-51.
32Plamondon Marc, « Éditorial », Le Mirador, vol. 2, no 2, 11/1968, p. 2.
33L. P., « État de crise ici ? », Le Mirador, vol. 2, no 1, 11/1968, p. 1.
34Ibid.
35Gagnon Lysiane, « Bref historique du mouvement étudiant au Québec 1958-1971 », art. cité, p. 18 ; Warren Jean-Philippe, « La révolte des années 1968 au Québec. L’évolution du système d’éducation », in Patrick Dramé et Jean Lamarre (dir.), 1968, des sociétés en crise. Une perspective globale, op. cit., p. 179.
36Potvin Pierre, « Documents 2 », Le Mirador, vol. 2, no 1, 11/1968, p. 3.
37Lamontagne Pierre, « L’étudiant, ce mouton », Le Mirador, vol. 2, no 3, 12/1968, p. 2.
38Bernard Nycol, « Je conteste, tu contestes, il conteste… », L’Étincelle, vol. 16, no 17, 12/1969, p. 2.
39Gazaille Denyse, « Contestation », L’Étincelle, vol. 16, no 2, 12/1968, p. 2 ; Steben Jysel, « Les ministres se promènent », L’Étincelle, vol. 16, no 4, 02/1969, p. 2.
40Turgeon Bertrand, « La crise », Le Mirador, vol. 3, no 1, 11/1969, p. 4.
41Rouillard Jacques, Le syndicalisme québécois, Montréal, Boréal, 2004, p. 166.
42Colbert Jan, « On calomnie les étudiants et les professeurs de Gérard Filion », La Minerve, vol. 1, no 2, 01/1967, p. 2.
43La notion de cadrage médiatique met de l’avant la construction de sens résultant de l’angle journalistique privilégié. En sélectionnant et en mettant en relief certains aspects d’une réalité perçue, le cadrage médiatique oriente les perceptions des citoyens d’enjeux d’actualité. Pour un survol des usages du concept : Lemarier-Saulnier Catherine, « Cadrer les définitions du cadrage. Une recension multidisciplinaire des approches du cadrage médiatique », Canadian Journal of Communication, vol. 41, no 1, 2016, p. 65-73 ; Entman Robert, « Framing. Toward clarification of a fractured paradigm », Journal of Communication, vol. 43, no 4, 1993, p. 52.
44Scott Holly fait des constats similaires pour les États-Unis dans Younger Than That Now. The Politics of Age in the 1960s, Amherst, University of Massachusetts Press, 2016. Son usage de la notion de « youth frame » est fort stimulant.
45Michon Jean-Yves, « Quand un parent irresponsable se mêle de faire du journalisme », art. cité.
46Laframboise Jean, « Contre le bill 25. Les étudiants manifestent », La Minerve, vol. 1, no 3, 04/1967, p. 2.
47Dans un article retraçant l’engagement politique de différentes générations au Québec, la politicologue Catherine Côté observe que la politisation des jeunes se fait principalement durant les périodes de crise sociale, comme au Printemps érable 2012. « Une génération spontanée ? Analyse socio-historique du comportement politique des générations X et Y », Bulletin d’histoire politique, vol. 24, no 3, 2016, p. 128.
48Ouellet Suzanne, « Pour ou contre », L’Étincelle, vol. 16, no 5, 04/1969, p. 2.
49Mosconi Nicole, « Effets et limites de la mixité scolaire », Travail, genre et sociétés, vol. 1, no 11, 2004, p. 168 ; Ayral Sylvie, La fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège, Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 43 ; Conseil du statut de la femme, L’égalité entre les sexes en milieu scolaire, Gouvernement du Québec, 2016, p. 82-83.
50Entre autres : Myers Tamara, Caught. Montreal’s Modern Girls and the Law, 1869-1945, Toronto, University of Toronto Press, 2006 ; Gossage Peter et Rutherdale Robert, Making Men, Making History. Canadian Masculinities across Time and Place, Vancouver, UBC Press, 2008.
51Vaillant Raymond Jr, « Bill 63 », Le Phare, vol. 11, no 1, 11/1969, p. 2.
52Godin Pierre, La poudrière linguistique, Montréal, Boréal, 1990, p. 295-300.
53Des enquêtes publiées dans les années précédentes mettent en lumière le rôle du système scolaire dans l’assimilation massive des Néo-canadiens à la communauté anglophone du Québec. Andrade Miguel, « La Commission des écoles catholiques de Montréal et l’intégration des immigrants et des minorités ethniques à l’école française de 1947 à 1977 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 60, no 4, 2007/printemps, p. 455-486.
54Godin Pierre, « Intervention de Cardinal à Saint-Léonard », La Presse, 3 septembre 1968, p. 1-2.
55Léger Jean-Marc, « Il faut créer dix, vingt, cinquante St-Léonard », Le Devoir, 4 septembre 1968, p. 4.
56Plusieurs organismes influents les soutiennent publiquement. Entre autres : le MIS, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération des Sociétés St-Jean-Baptiste, la Fédération des enseignants de Montréal, la CEQ, l’UGEQ, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN).
57Gagnon Lysiane, « Bref historique du mouvement étudiant au Québec 1958-1971 », art. cité, p. 47.
58Dugas Jean-Pierre, « Camarades », Le Mirador, vol. 2, no 3, 12/1968, p. 3.
59Lesage Gilles, op. cit. Toutes les citations de ce paragraphe proviennent de cette source.
60Trépanier François, « Lemieux : victoire pour le MIS », La Presse, 6 décembre 1968, p. 1.
61Anonyme, « Bill 63 (encore) », Le Phare, vol. 11, no 1, 11/1969, p. 2.
62Dugas Jean-Pierre, « Camarades », Le Mirador, vol. 2, no 3, 12/1968, p. 3 ; « Exonérant les enseignants : Des étudiants de Québec revendiquent la paternité de la marche de jeudi », Le Devoir, 9 décembre 1968, p. 3.
63Anonyme, « Bill 63 (encore) », art. cité, p. 1.
64Gagnon Lysiane, « Le monde de l’éducation était paralysé hier dans la métropole », La Presse, 29 octobre 1968, p. 6.
65« Le monde de l’éducation est paralysé au Québec », La Presse, 31 octobre 1969, p. 5.
66Gagnon Lysiane, « Bref historique du mouvement étudiant au Québec 1958-1971 », art. cité, p. 47.
67Trépanier François, « Des agitateurs professionnels dirigent l’opposition au bill 63 », La Presse, 30 octobre 1969, p. 6.
68Voisard, Anne-Marie, « Résolution unanime des commissaires d’écoles. Les enseignants devront taire leurs opinions personnelles », Le Soleil, 24 novembre 1969.
69Rochefort Michel, « Politique et professeurs », Le Mirador, vol. 3, no 2, 12/1969, p. 4.
70« Rétractation exigée. Laliberté : les maîtres n’ont pas manifesté », La Presse, 9 décembre 1968, p. 1.
71Dugas Jean-Pierre, « Contestataires d’aujourd’hui et de demain », Le Mirador, vol. 3, no 1, 11/1969, p. 4.
72Vaillant Raymond Jr, op. cit.
73Côté Catherine, op. cit.
74Mauger Gérard, « La catégorie de jeunesse. Essai d’inventaire, de classement et de critique de quelques usages courants ou savants », in Annick Percheron et François Proust (dir.), Les jeunes et les autres. Contributions des sciences de l’homme à la question des jeunes, tome I, Vaucresson, CRIV, 1986, p. 57.
Auteur
-
Andréanne LeBrun
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
Andréanne LeBrun est professeure en sciences de l’éducation à l’université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Ses principaux champs d’expertise sont l’histoire de l’éducation et de la jeunesse ainsi que les rapports entre cultures politiques et cultures scolaires.

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