La conditionnalité politique dans les rapports entre la CEE et la République sud-africaine, 1985-1986
Political conditionality in relations between the EEC and the republic of South Africa, 1985-1986
p. 131-147
Résumés
Avec l’intensification de la répression contre les Noirs sud-africains et la détérioration des droits de l’homme, la CEE ne reste pas indifférente pendant cette période qui se caractérise par une vague de sanctions internationales contre la République d’Afrique du Sud. À partir de 1985, à la suite de débats animés entre les ministres des Affaires étrangères des pays membres de la CEE, une conditionnalité politique est introduite dans les relations économiques CEE-RSA. Pour la première fois, précisément le 10 septembre 1985 à Luxembourg, cette conditionnalité se traduit par la mise en œuvre de mesures punitives et positives à l’encontre de la RSA. Mais ce n’est qu’en 1986 à Bruxelles que les pays de la CEE ont unanimement harmonisé leurs attitudes et adopté des mesures ciblées contre la RSA. Cet article vise donc à présenter et à analyser ces mesures, qui combinent affaires et éthique dans les relations entre la CEE et la RSA, considérées comme un instrument de pression politique pour le démantèlement du système d’apartheid.
With the intensification of repression against Black South Africans and the deterioration of human rights, the EEC does not remain indifferent during the period which is characterised by a wave of international sanctions against the Republic of South Africa. From 1985, following heated debates between foreign ministers of the EEC member countries, a political conditionality was introduced in the EEC-RSA economic relation. For the first time, precisely on the 10th of September 1985 in Luxemburg, this conditionality translates itself into the implementation of punitive and positive measures against the RSA. But it was not until 1986 in Brussels that the EEC countries unanimously harmonized their attitudes and adopted targeted measures against the RSA. This paper therefore aims to present and analyse these measures, which combine business and ethics in the relations between the EEC and the RSA, considered as an instrument to exert political pressure for the dismantling of the apartheid system.
Texte intégral
« Mesdames et messieurs, pour toutes les personnes attachées à la justice et aux droits de l’homme, le régime d’apartheid en Afrique du Sud est inadmissible. Il institutionnalise la discrimination raciale. Il porte atteinte aux principes moraux qui fondent notre société1. »
1Ce discours du Premier ministre français Laurent Fabius du 24 juillet 1985 intervient au moment même où la défense de la cause des Noirs sud-africains réunit de plus en plus d’Européens. On peut même dire qu’il ouvre le débat sur la politique des sanctions des pays européens vis-à-vis de leur partenaire privilégié, la République sud-africaine (RSA)2. Pour rappel, depuis l’institutionnalisation de l’apartheid par le Parti national en 1948, les pays européens n’ont aucun doute que l’apartheid est le symbole même du mépris des droits de l’homme et de la loi majoritaire. Cependant, dès la création en 1957 de la Communauté économique européenne (CEE) et jusqu’en 1985, les pays membres n’engagent que deux actions contre le régime d’apartheid3. Ces actions européennes interviennent seulement après le massacre à Sharpeville en 1976. Il s’agit primo, du vote d’un embargo sur l’armement à destination et en provenance de la RSA en 19764, et secundo de l’adoption en 1977 du Code de conduite pour les entreprises des pays membres de la CEE ayant des filiales, succursales ou représentations en Afrique du Sud5.
2Au milieu des années 1980, la donne change devant la détérioration des droits de l’homme en RSA. Ainsi, de 1985 à 1986, la question des sanctions contre Pretoria est à l’ordre du jour dans toutes les instances internationales. La crédibilité des pays de la CEE, garante des droits élémentaires de l’homme, est remise en cause. Les pays du vieux continent se doivent d’en faire plus pour accroître leur pression concertée sur le régime de Pretoria. C’est-à-dire joindre l’acte à la parole avec des actions concrètes pour se démarquer du régime d’apartheid et de ses privilèges. L’instauration du principe de la conditionnalité dans les rapports CEE-RSA peut démontrer l’engagement européen sur le plan de la protection et de la défense des valeurs élémentaires humaines désormais très dégradées par le maintien de l’apartheid. Il était donc temps de donner de nouvelles orientations aux relations économiques qui lient la CEE à la RSA.
3La multiplication des protestations de mouvements associatifs anti-apartheid fait monter la pression. Une situation qui incite la CEE à engager des négociations dès 1985 dont le but est d’harmoniser les attitudes des pays qui la constituent. L’objectif principal de ce challenge est l’adoption d’un régime de sanctions autonomes dans divers secteurs économiques. Cette « période de politisation des rapports CEE-RSA » marque une étape primordiale dans le processus de démantèlement de l’apartheid. Dès lors, le régime sud-africain et sa politique de ségrégation raciale se heurtent aux changements d’attitudes et à la détermination des pays membres de la CEE pour faire respecter des principes européens et universels6.
4Au centre de cet article se trouve la problématique des sanctions dans les rapports CEE-RSA. Il ne s’agit pas débattre sur leur efficacité ou leur inefficacité. Un grand nombre de travaux porte sur la problématique de l’efficacité des embargos ou des sanctions ciblées, sur la capacité d’une sanction à faire plier un décideur politique. L’examen de ces travaux montre que peu d’entre-eux proposent une réflexion plus globale sur l’usage et les objectifs des sanctions7. L’objectif principal de notre étude vise plutôt à présenter et à analyser des mesures prises de 1985 à 1986 par la CEE contre le régime blanc sud-africain. Comment peut-on expliquer cette nouvelle attitude européenne8 ?
Les droits de l’homme bafoués en Afrique du Sud à l’origine d’une politisation des rapports CEE-RSA
5Au cours de la période allant de 1982 à 1984, des événements majeurs dégradent profondément les droits de l’homme en Afrique du Sud. Deux grands registres de motivations principales suscitent l’interrelation fondamentale entre les réformes politiques en Afrique du Sud et les rapports économiques qui lient ce pays à la CEE. Il s’agit bien d’une part, des enjeux de normes et de droit et d’autre part des enjeux sécuritaires régionaux.
6Prenons le cas des enjeux de normes et de droit, un problème persistant depuis l’institutionnalisation de la politique d’apartheid. Au début des années 1980, en raison d’une énième mise à l’écart des Noirs de la scène politique, la situation devient intenable, conséquence directe d’une période de réformes politiques entamée par Pieter Botha, le Premier ministre sud-africain. Ces réformes posent les bases d’une décrispation sociale et du démantèlement progressif de l’apartheid. La situation de crise sociale que traverse le pays et la guerre interne au sein du Parti nationaliste expliquent une difficile acceptation de ces réformes, non seulement à cause de l’opposition de l’aile extrémiste du Parti nationaliste mais aussi à leur rejet systématique par les Noirs. Au-delà des contestations, les réformes de Botha apportent tout de même un changement politique de grande envergure dans le pays puisqu’elles permettent l’entrée au parlement des Asiatiques et des Métis en 19839. Dans la continuité de ses réformes, le Premier ministre fait voter une nouvelle Constitution en 1984. Seulement, une fois encore dans l’histoire de ce pays, le pouvoir blanc écarte les Noirs sud-africains du nouveau paysage politique. Pire, la constitution qui inclut les autres « races » marginalisées, vient les isoler.
7Cette attitude est condamnée par les pays membres de la CEE le 17 août 1984 aux Nations unies, à l’exception du Royaume-Uni10. De même, la persistance de la mise à l’écart des Noirs dans la gestion politique de leur pays occasionne de graves conséquences internes. Un nouveau cycle d’agitation, la plus grande d’ailleurs dans l’histoire de l’Afrique du Sud depuis les événements de Soweto en 1976, commence dans le Triangle du Vaal et se généralise rapidement11. Pour contrer l’agitation des Noirs dans les provinces, les autorités utilisent la manière forte et proclament l’état d’urgence partiel en 1985. L’agitation gagne aussi les syndicats des travailleurs noirs dans les secteurs minier et administratif. Le 21 février 1985, les autorités mettent aux arrêts 200 travailleurs municipaux de Potchefstroom à 100 kilomètres au sud-ouest de Johannesburg pour grève illégale12. C’est aussi le cas lorsque La Carbone Pty Ltd, filiale sud-africaine de la société française Le Carbone Lorraine, licencie 118 travailleurs noirs en grève dans son usine à Johannesburg, le 31 juillet 198613. La répression policière est particulièrement sévère avec les arrestations d’enfants et d’adolescents, la mise au secret des dirigeants, les limitations très strictes à l’accès de la presse dans les zones de troubles. On enregistre selon les sources officielles environs 6 733 personnes détenues14. Dans ces prisons, selon des rapports de certaines associations et organisation non gouvernementale notamment les Amis des parents de prisonniers, Amnesty international, etc., la plupart des prisonniers sont victimes de torture. La peine de mort et les exécutions deviennent une arme contre les opposants au régime d’apartheid. L’échec de cette première expérience engendre le regain de la lutte armée orchestrée par le nouveau mouvement anti-apartheid, le Front démocratique uni (UDF)15.
8Les enjeux sécuritaires régionaux sont également essentiels. Ils relèvent des agressions sud-africaines tous azimuts contre certains pays de la sous-région et de la Conférence de coordination pour le développement de l’Afrique australe (SADCC) regroupés au sein de la ligne de front16. L’Afrique du Sud qui accuse ces pays d’abriter des bases armées des mouvements hostiles à sa politique se permet en dépit des droits internationaux d’effectuer des raids militaires sur leurs territoires. Ces raids dont l’objectif est de détruire les bases de l’ANC et de la SWAPO deviennent un tremplin pour déstabiliser l’économie de ces pays par le sabotage de leurs infrastructures existantes. La réplique aux opérations militaires sud-africaines par les branches armées des mouvements dont l’Umkhnto we Sizwe ou le MK de l’ANC sur le territoire sud-africain favorise le développement du terrorisme urbain.
9Pour éviter que la situation se détériore et gagne toute l’Afrique australe déjà en ébullition, la CEE opte pour une diplomatie préventive parfois dotée d’intimidations. Le cas de la condamnation à mort du poète Benjamin Moloïse en est une illustration. Les ambassadeurs occidentaux qui représentent la CEE en Afrique du Sud lancent des appels à la clémence, le 17 octobre 1985. En France, le 18 octobre 1985, François Mitterrand, dans une lettre confidentielle, prévient son homologue sud-africain, Pieter Botha, que la libération du poète pourrait apaiser les tensions en RSA17. Mais le ministre sud-africain de la Justice, Coetsee, rejette tout appel à clémence de la sphère diplomatique occidentale18. Le régime sud-africain justifie la condamnation parce que le poète a lui-même reconnu l’assassinat du policier19. Devant l’échec de toutes les démarches diplomatiques, le régime sud-africain procède à la pendaison de Benjamin Moloïse, le 18 octobre 1985, dans la prison centrale de Pretoria.
10Le 24 juillet 1985, devant l’escalade de la violence, Laurent Fabius dévoile l’action de son gouvernement contre le régime d’apartheid. Il juge que par tradition, « la France est une terre des droits de l’homme et des libertés. Raison pour laquelle, elle ne peut sans réagir laisser bafouer ainsi les droits fondamentaux de la personne humaine20 ». La CEE ne reste pas en marge de cette catastrophe quotidienne que subissent les Noirs sud-africains, poussée par la pression des mouvements anti-apartheid appuyés par les partis communistes qui organisent des manifestations pour des prises de sanctions économiques contre la RSA, ou par la propre volonté d’un gouvernement d’agir21. La France en est la parfaite illustration en adoptant des sanctions unilatérales. Le régime d’apartheid en Afrique du Sud, selon Laurent Fabius, est devenu inadmissible22.
L’introduction du principe de conditionnalité politique dans les rapports CEE-RSA en 1985
11Quelques mois après la présidence française du Conseil de la CEE, et sous l’impulsion du gouvernement socialiste dirigé par Laurent Fabius, les membres de la Communauté décident d’harmoniser leurs attitudes contre le régime d’apartheid. Déjà, au sein des Nations unies, la France montre la voie à suivre en proposant le 26 juillet 1985 la résolution 56923. Elle comporte une série de mesures économiques restrictives contre la RSA. Le Royaume-Uni et les États-Unis s’abstiennent24.
12La question des sanctions a longtemps divisé les pays membres de la Communauté. Deux opinions opposées se constituent et se radicalisent jusqu’en 1985. Il s’agit d’un côté des « adversaires des sanctions » et de l’autre des « partisans des sanctions ». La Grande-Bretagne, soutenue par la RFA et le Portugal, s’oppose à toute sanction économique ciblée, globale et immédiate de la CEE contre l’Afrique du Sud25. Cependant, les « adversaires des sanctions » ne s’opposent pas à l’adoption et la mise en œuvre du « Code de conduite des entreprises européennes implantées en Afrique du Sud » comme l’un des instruments de la diplomatie coercitive de la CEE contre ce pays. Les « partisans des sanctions », dont la France, considèrent qu’en plus des aides nationales et communautaires, la CEE se doit de prendre d’autres mesures restrictives ciblées sur le plan économique. Pour ces pays, ces mesures paraissent crédibles comme premier moyen de pression sur le gouvernement de Pretoria.
13Au-delà de ce clivage, l’expérience du Zimbabwe reste un mauvais souvenir pour les Européens26. Le cas zimbabwéen où les sanctions décrétées n’affectent que les victimes du régime de Ian Smith fait accorder Français et Britanniques qui ont alors les mêmes sentiments sur les effets pervers des sanctions pour les peuples opprimés. En effet, les deux camps craignent les graves conséquences pour les non-Blancs, les moins nantis des Sud-Africains et des pays voisins en cas d’adoption des sanctions économiques27. D’ailleurs, le régime de Pretoria utilise bien ce même argument pour vilipender les menaces de sanctions de la CEE qui pourraient favoriser la radicalisation de la société sud-africaine, accroître le chômage parmi les Noirs, aggraver leurs conditions de vie et empêcher l’émergence d’une classe moyenne. Le pouvoir de Pretoria va même plus loin en brandissant la menace de rétorsion contre tous les partisans des sanctions. Le 15 août 1985, le président sud-africain Pieter Botha, dans un discours prononcé à Durban, menace à son tour la Communauté : « Si vous creusez la tombe en Afrique du Sud, vous risquez de tomber dedans. » Avant d’ajouter que « l’Afrique du Sud n’a pas besoin des autres pour résoudre ses problèmes internes28 ».
14Les partenaires de la CEE prennent au sérieux ces menaces vu l’importance des richesses stratégiques du sous-sol de l’Afrique du Sud et le rôle capital qu’elle joue dans l’écoulement des produits commerciaux dans la région. Les matières premières stratégiques sud-africaines jouent un rôle de premier plan dans le développement et le fonctionnement des industries occidentales29. L’Afrique du Sud occupe les trois premiers rangs au monde des réserves en ressources minières et minéralières. Hormis ce constat, un autre facteur détermine le poids sud-africain dans les économies des pays européens. En 1984, le montant des investissements directs du Royaume-Uni en Afrique du Sud s’élevait à huit milliards de dollars, soit 45 % des investissements directs étrangers30. Les économistes évaluent à 150 000 le nombre des emplois dépendant du commerce entre les deux pays. Le montant global des investissements bruts français en Afrique du Sud pour la période 1981 à 1984 représentait 278 millions de Francs, soit une moyenne de 70 millions de Francs par an31.
Tableau 1. Importance stratégique des minerais sud-africains32
Minerai | Classement dans la production mondiale | Part de la RSA dans la production mondiale (%) | Pourcentage RSA dans les ressources mondiales |
Or | 1 | 60 | 65 |
Chrome | 1 | 31 | 70 |
Vanadium | 1 | 34 | 50 |
Fluorine | 1 | 6 | 15 |
Andalousite | 1 | 17 | 35 |
Platine | 2 | 40 | 60 |
Manganèse | 2 | 13 | 50 |
Vermiculite | 2 | 34 | 40 |
Diamant | 2 | 17 | 50 |
Uranium | 3 | 15 | 20 |

Tableau 2. Investissements des pays membres de la CEE au 31 décembre 198533 (millions de Rands)
Pays de la CEE | Investissements directs | Investissements indirects | Total | ||||||
Total | Long terme | Court terme | Total | Long terme | Court terme | Total | Long terme | Court terme | |
Grande-Bretagne | 11 934 | 9 002 | 2 932 | 7 370 | 4 702 | 2 668 | 19 304 | 13 704 | 5 600 |
RFA | 2 054 | 589 | 1 465 | 5 968 | 4 299 | 1 669 | 8 022 | 4 888 | 3 134 |
France | 745 | 382 | 363 | 3 281 | 2 320 | 961 | 4 026 | 2 702 | 1 324 |
Pays-Bas | 2 832 | 2 178 | 654 | 265 | 143 | 122 | 3 097 | 2 321 | 776 |
Belgique | 100 | 55 | 45 | 458 | 292 | 166 | 558 | 347 | 211 |
Italie | 119 | 23 | 96 | 54 | 99 | 155 | 373 | 122 | 251 |
Espagne | – | – | – | – | – | – | – | – | – |
Grèce | – | – | – | – | – | – | – | – | – |
Portugal | – | – | – | – | – | – | – | – | – |

15Les Britanniques tiennent compte de cet aspect dans la définition de leur politique sud-africaine et dans toutes négociations sur la question. Il est clair que tout accord pour une politique de sanctions européennes contre l’Afrique du Sud mettrait à rude épreuve les intérêts économiques de la Grande-Bretagne, mais également de la RFA. C’est pourquoi la diplomatie britannique préfère l’aide aux victimes de l’apartheid contre toutes sanctions économiques ciblées ou globales et obligatoires. Et s’agissant des sanctions, pour sa défense, Margaret Thatcher utilise le motif connu de tous, c’est-à-dire les effets néfastes du désinvestissement pour le peuple noir sud-africain.
16Mais le discours qui présente les Noirs comme des victimes des sanctions en Afrique du Sud ne tient plus face à la montée des tensions et à la précarité des droits de l’homme. Ce sont d’ailleurs les Noirs eux-mêmes de façon unanime qui, dès l’année 1985, montent au créneau pour réclamer des sanctions économiques contre leur pays, notamment par les voix des principaux dirigeants de la lutte anti-apartheid tels que Mgr Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, le Dr Boesak, le Révérend Chikane, Olivier Tambo, Winnie Mandela. Ces dirigeants souhaitent que les Occidentaux prennent des sanctions soit individuellement soit au nom des organisations34 qu’ils représentent. Pour ces leaders noirs, aucun changement véritable ne peut venir de la part du gouvernement de Pretoria, à moins que l’occident le contraigne. Le Conseil sud-africain des Églises soutient cette position et dès juin 1985 :
« Le désinvestissement et les mesures économiques du même ordre s’imposent désormais comme moyen pacifique efficace de faire pression sur le gouvernement sud-africain pour qu’il procède aux changements essentiels dont le pays a besoin35. »
17À propos de la victimisation des Noirs, Mgr Tutu répond en considérant qu’ils n’ont plus rien à perdre. En effet, selon lui, « ils sont prêts à souffrir davantage pour conquérir la liberté ». Les Noirs sollicitent et reçoivent l’appui des organisations anti-apartheid qui organisent des campagnes pour des sanctions en Europe36. Toute cette agitation renforce la volonté des pays de la CEE à changer d’attitude à l’endroit de leur partenaire sud-africain.
18Le 10 septembre 1985, à Luxembourg, à l’issue d’un débat nourri, les ministres des Affaires étrangères de la CEE parviennent à s’entendre sur les règles de leur future relation avec l’Afrique du Sud37. Lors de cette réunion, les dix ainsi que l’Espagne et le Portugal décident d’harmoniser leurs attitudes sur des mesures économiques à l’encontre de l’Afrique du Sud38. Trois registres de sanctions conditionnent dès lors les rapports CEE-RSA : des « mesures restrictives » dont des sanctions négatives économiques, militaires, diplomatiques et sportives, le Code de conduite ou Code d’éthique des entreprises européennes en Afrique du Sud et le Programme de Mesures Spéciales ou « mesures positives39 ».
19La CEE adopte les toutes premières mesures restrictives contre la RSA, mais la Grande-Bretagne émet de nombreuses réserves40.
Tableau 3. Les mesures adoptées au Conseil de Luxembourg et les réserves britanniques41
Mesures adoptées sous les réserves de la Grande-Bretagne | Les mesures acceptées par tous les pays membres |
Embargo rigoureusement contrôlé sur les exportations d’armes et de matériel paramilitaire vers la République sud-africaine. | Renforcement du code de conduite des entreprises européennes en Afrique du Sud. |
Embargo rigoureusement contrôlé sur les importations d’armes et de matériels paramilitaire provenant de l’Afrique du Sud. | Programmes d’aide aux organisations anti-apartheid à caractère non-violent, notamment aux Églises, ainsi que dans le domaine de l’éducation de la population non blanche. |
Rejet de toute coopération dans le domaine militaire. | Intensification des contacts culturels, syndicaux, patronaux, politiques et sportifs avec la communauté non-branche. |
Rappel des attachés militaires en l’Afrique du Sud, refus de l’accréditation des attachés militaires de ce pays. | Programme d’aide aux pays de la « Ligne de front » et à la South African Development Cooperation Conference (SADCC). |
Refus des accords culturels et scientifiques, excepté dans le cas où ils sont de nature à contribuer à éliminer l’apartheid ou n’ont pas pour conséquence de le soutenir. | |
Gel des contacts officiels et des accords internationaux dans le domaine du sport et de la sécurité. | |
Suppression des exportations de pétrole vers l’Afrique du Sud. | |
Suppression des exportations de matériel sensible destiné à l’armée et à la police de l’Afrique du Sud. | |
Interdiction de toute collaboration nouvelle dans le domaine nucléaire. | |
Rappel des ambassadeurs des pays membres en Afrique du Sud. | |
Renvoi des attachés militaires dans les Ambassades sud-africaines auprès des pays de la CEE. |

20Le Code de conduite ou Code d’éthique42 des entreprises de la CEE en Afrique du Sud a été adopté le 20 septembre 1977. La CEE le considère comme l’un des instruments de sa politique de pression contre le régime d’apartheid puisqu’il s’applique aux différentes sociétés européennes implantées en Afrique du Sud et permet de déségrégationner ces dernières. En effet, à travers ce texte, les gouvernements des pays membres de la CEE fixent des règles à respecter au sein de leurs entreprises en Afrique du Sud. Jusqu’en 1985, le code est timidement appliqué par tous les pays mais surtout par les entreprises françaises. Vu son importance, le Conseil des ministres européens procède à son élargissement et à son renforcement le 4 octobre 1985 à Luxembourg avant d’adopter sa révision le 19 novembre 1985. Pour sa bonne marche, la CEE crée trois organes administratifs et politiques43.
21Le programme de mesures spéciales (PMS) représente l’ensemble des sanctions positives adoptées par la CEE contre le régime d’apartheid fondées essentiellement sur l’assistance aux organisations anti-apartheid non violente44, sur l’aide à la formation et le soutien à la Conférence pour la coordination du développement en Afrique du Sud (JADCC)45 et aux pays de la Ligne de Front46. Le programme européen d’aide aux victimes de l’apartheid fait parti de la politique communautaire d’isolement du régime sud-africain. Non seulement l’aide est censée affaiblir les dirigeants mais elle contribue également à renforcer l’opposition en vue des négociations entre Noirs et Blancs47. Hors de son territoire sud-africain, le PMS participe également à la création d’un contrepoids à la puissance économique de l’Afrique du Sud dans la sous-région.
22Historiquement le Conseil de Luxembourg marque une rupture dans les rapports CEE-RSA. Malgré la qualité des textes adoptés et la volonté de punir ou prévenir l’Afrique du Sud, les discordances demeurent. Les pays membres ne parviennent pas à s’accorder sur les secteurs à cibler dans le cadre des mesures restrictives. Mais la rencontre elle-même rassure et fait naître l’espoir quant à l’engagement de l’Europe dans le démantèlement de l’apartheid. La mise en œuvre des mesures de Luxembourg de 1985 rencontre rapidement des difficultés, ce qui n’est pas étonnant vu que la Grande-Bretagne maintient sa position hostile aux mesures économiques restrictives. Sur le plan diplomatique, les pays membres de la CEE rappellent leurs ambassadeurs, et certains pays vont plus loin en appliquant partiellement de façon unilatérale les décisions de Luxembourg. C’est le cas de la France par exemple qui procède à la suspension de tout nouvel investissement vers l’Afrique du Sud et à l’interdiction des importations du charbon par la circulaire du 21 mai 1985.
Les mesures de Bruxelles du 16 septembre 1986 ou l’affirmation de la politique des sanctions concertée de la CEE contre la RSA
23Mais la pression sur la CEE s’accentue au début du second semestre de l’année 1986. En effet, le 12 juin 1986, le régime sud-africain décide l’extension de l’état d’urgence. Les Nations unies organisent une conférence sur les sanctions à l’encontre de l’Afrique du Sud dans la capitale française à Paris du 16 au 20 juin 1986. La déclaration finale de cette rencontre interpelle les partenaires économiques de l’Afrique du Sud et insiste sur les « sanctions globales et obligatoires » à mettre en place contre l’Afrique du Sud. Sans toutefois mentionner les pays membres de la CEE, les Nations unies mettent ainsi la pression sur les gouvernements des pays européens pour qu’ils prennent leur responsabilité.
24La marche vers l’harmonisation des attitudes au sein de la CEE pour une politisation ou une conditionnalité des rapports économiques entretenus avec l’Afrique du Sud se termine en 1986 dans la capitale belge, Bruxelles. Mais avant cette étape décisive, d’autres tentatives de prévention initiées par la CEE dont une série de rencontres et une mission en Afrique du Sud posent les bases de ces mesures. De juin en septembre, seulement quelques mois après la Conférence onusienne de Paris, deux rencontres au sommet de la CEE permettent de les préparer. Il s’agit de la réunion du Conseil européen de La Haye des 26 et 27 juin 1986 et la Déclaration de Luxembourg du 10 septembre 1986.
25Le Conseil européen de La Haye (26 et 27 juin 1986) intervient au moment où la RSA défie la communauté internationale en procédant à l’extension de l’état d’urgence48. Les débats portent sur la possibilité d’adoption de mesures restrictives économiques conformément aux dispositions de la Conférence de Paris. Mais la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher et l’Allemagne fédérale du chancelier Helmut Kohl réussissent à persuader les autres membres de ne pas de rallier immédiatement au principe des sanctions économiques contre la RSA49. La représentation britannique propose que la CEE entame une nouvelle et dernière tentative de dialogue avec les autorités sud-africaines qui, en cas d’échec, amèneront l’adoption de mesures restrictives économiques en référence à la Conférence de l’ONU de Paris. Les pays membres réaffirment le traditionnel Programme européen d’assistance aux victimes de l’apartheid. De même, le Conseil laisse trois mois au régime sud-africain pour libérer « inconditionnellement » Nelson Mandela et d’autres prisonniers politiques. Il demande également la levée de l’interdiction frappant nombre d’organisations noires.
26Sir Geoffrey Howe, secrétaire britannique au Foreign Office se rend en Afrique du Sud du 23 au 29 juillet 1986 avec pour mission de transmettre les propositions de la CEE au président Pieter Botha50. Mais la mission échoue, le président sud-africain oppose une fin de non-recevoir aux demandes formulées par le Conseil européen. Pieter Botha ajoute qu’il n’accepte aucune interférence venant de quelque gouvernement que ce soit dans les affaires de son pays. Cette attitude de Pretoria est la conséquence directe du soutien américain. Au moment où le monde se mobilise dans une vaste campagne de sensibilisation pour l’adoption des sanctions contre l’apartheid, le président américain Roland Reagan s’affiche comme un soutien indéfectible du régime sud-africain. Les États-Unis dénoncent l’apartheid comme « moralement et politiquement inacceptable », mais dans son discours prononcé le 22 juillet 1986, Ronald Reagan réaffirme sa position favorable au régime blanc de Pretoria. En effet, le président américain soutient que rompre avec l’Afrique du Sud serait un « acte de folie historique ». Son discours est très tôt taxé « d’apologie du système inhumain de l’apartheid » par l’Organisation de l’unité africaine51.
27En dépit de la position américaine, les ministres des Affaires étrangères des dix ainsi que ceux de l’Espagne et du Portugal adoptent la Déclaration de Luxembourg le 10 septembre 198652. Ce communiqué final du Conseil annonce une « harmonisation des attitudes » sur un certain nombre de mesures punitives dans le domaine économique à l’encontre de l’Afrique du Sud. Et pour la première fois de son histoire, la CEE unanime cible des secteurs et des produits à sanctionner. La Communauté décide un embargo sur les exportations et importations d’armes et de matériels paramilitaires et un autre sur les exportations de pétrole et de matériel sensible.
28Du 15 au 16 septembre 1986, les ministres des Affaires étrangères de la CEE s’accordent sur les nouvelles restrictions des rapports économiques CEE-RSA. Mais les Douze parviennent à s’accorder seulement sur l’interdiction de nouveaux investissements et l’importation de diverses ressources stratégiques dont le fer, l’acier et les pièces d’or53. Les mesures apparaissent décevantes.
Tableau 4. Synthèse des mesures de Bruxelles de septembre 1986
Les mesures de Bruxelles ou « mesures partielles » de 1986 | |
Régime de sanctions économiques (Point 5 du texte final) | Le PMS ou mesures positives (Point 3 du texte final) |
Interdiction de nouveaux investissements54. | Rendre plus efficace le renforcement et la coordination des mesures positives. |
Interdiction des importations de fer, d’acier et de pièces d’or en provenance de la RSA. | Augmentation pour le Programme communautaire destiné à l’enseignement (soumis au Parlement européen). |
Interdiction sur l’importation du charbon55. | L’appel à un recours au dialogue national authentique selon les deux mesures des dispositions de la réunion de La Haye. |
29Les décisions de Bruxelles choquent car elles sont qualifiées de « mesures partielles » par rapport aux ambitions affichées. La France opposée à la Grande-Bretagne sur la question de sanctions économiques, estime que les mesures de Bruxelles du 16 septembre 1986 ne reflètent pas les principes de « mesures restrictives obligatoires et globales » envisagées à Luxembourg quelques mois plus tôt et à la Conférence de l’ONU à Paris. C’est un « recul par rapport à l’accord de principe intervenu en juin 198656 » martèlent les autorités françaises. L’attitude française est légitime vu que c’est le seul pays de la CEE qui d’ailleurs applique d’ores et déjà les recommandations de 1985 de Luxembourg et la décision unilatérale du gouvernement français d’interdire l’importation du charbon la même année. En Asie, Rajiv Gandhi, Premier ministre de l’Inde, adopte la même posture que la France en s’attaquant sévèrement aux mesures de la Communauté. Le Premier ministre indien accuse les pays européens de vouloir diluer un peu plus leurs sanctions et marchander les principes adoptés sur l’Afrique du Sud. Une attitude européenne qu’il caractérise par « … un triste jour pour les droits de l’homme et la dignité humaine57 ».
30En Grande-Bretagne, les réactions sont toutes autres. Le pays catégoriquement opposé à toute typologie de sanctions économiques se félicite à travers ses médias du succès des négociations de Bruxelles. L’opinion britannique crie « victoire ! » et se dit satisfaite que les négociations aboutissent à des « mesures partielles » en lieu et place des dispositions de la Conférence de Paris. Les journaux parlent même de la victoire du « réalisme » dont des adversaires des sanctions sur la position des « idéalistes », les partisans des sanctions économiques globales58.
31Malgré toute l’agitation autour des mesures ciblées du 16 septembre 1986, l’interdiction de nouveaux investissements des pays membres de la CEE, premiers partenaires commerciaux de la RSA, était susceptible de porter un coup dur à l’économie sud-africaine déjà sujette à plusieurs autres sanctions, notamment celles du Commonwealth, des États-Unis d’Amérique, des pays nordiques, et d’autres pays de façon unilatérale59.
Conclusion
32En somme, les deux années 1985 et 1986 marquent une étape décisive dans l’histoire des rapports économiques CEE-RSA et sur la défense des droits de l’homme par la CEE60. Si dans les années antérieures à 1985, les pays de la CEE restent sur les principes de la protection de leurs intérêts et la conquête de nouveaux marchés, à partir de cette même année, la conditionnalité de leur coopération économique au respect des droits de l’homme devient l’objectif principal visé. Réunie à Luxembourg en 1985, la CEE réitère son soutien aux victimes de l’apartheid en développant et augmentant sa politique d’aide résumée au Programme de mesures spéciales. Elle en fait de même pour le Code de conduite pour les entreprises européennes implantées ou ayant de succursales en Afrique du Sud, adopté depuis 1976 par les ministres des Affaires étrangères de la CEE. C’est durant cette période que plusieurs pays tels que la France rompent leur relation diplomatique avec l’Afrique du Sud en rappelant leurs ambassadeurs en exercice dans ce pays selon les recommandations des textes de Luxembourg de 1985. C’est aussi dès 1985 que quelques membres interdisent des investissements nouveaux en Afrique du Sud, comme la France.
33Mais toute cette volonté ne suffit pas devant le refus des textes de Luxembourg par la Grande-Bretagne et la RFA. Et dès le début de l’année 1986, plusieurs éléments nouveaux surviennent tels que la Conférence des Nations unies au bureau de l’Unesco à Paris sur les sanctions contre l’Afrique du Sud, la dégradation de la situation et les violences en Afrique du Sud, la pression des mouvements associatifs européens et internationaux, etc. Les gouvernements européens entament alors une série de négociations qui aboutit en 1986 aux premières mesures restrictives économiques ciblées contre la politique d’apartheid.
34D’aucuns peuvent dénoncer l’inefficacité des sanctions prises par la communauté européenne dans le processus de démantèlement de l’apartheid. D’autres peuvent même traiter de faits divers les sanctions européennes de ces deux années. Une chose est pourtant certaine, la CEE n’est pas restée en marge de cette période caractérisée par une vague de sanctions internationales contre le régime sud-africain. La demande de libération de Nelson Mandela et de tous les prisonniers politiques montre l’attachement des gouvernements européens réunis au sein de la CEE au respect de leurs valeurs en Afrique du Sud.
« Même si nous savions que les sanctions ne donnent pas de résultats, nous continuerions d’être favorables à l’application de sanctions par l’Occident. Celui-ci serait alors du bon côté de l’histoire. »
Notes de bas de page
1Déclaration de Laurent Fabius, Premier ministre français, le 24 juillet 1985. Archives socialistes (AS), dossier 555 RI 30, carton « PS + Gouvernement : Chronologie, actions et déclaration de Gauche et des dirigeants du PS (1981-1988) ».
2Avec 53,8 % du total des avoirs étrangers contre 57,7 % en 1980 soit le total de 21,5 milliards de rands, les pays membres de la CEE sont les premiers partenaires économiques de la RSA au début des années 1980.
3La Communauté européenne (CEE) est née en 1957 avec la signature du traité de Rome. L’objectif est la constitution d’un marché commun et d’une union douanière d’abord à six pays (l’Allemagne de l’Ouest, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, la France et l’Italie), neuf pays en 1973 avec le premier élargissement et l’adhésion du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni, et dix en 1981 avec l’adhésion de la Grèce. L’Espagne et du Portugal signent leur traité d’adhésion le 12 juin 1985.
4Embargo obligatoire sur les armes contre l’Afrique du Sud, cf. Résolution 418 (1977) du Conseil de sécurité en date du 4 novembre 1977. Assemblée générale de l’ONU, Rapports spéciaux du comité spécial contre l’apartheid, Documents officiels : quarantième session, supplément no 22a (a/40/22/add. 1 à 4), New York, Nations unies, 1986, 97 p.
5Le Code de conduite est adopté le 20 septembre 1977 par les ministres des Affaires étrangères des pays membres de la CEE. Il va être révisé à partir de 1985.
6La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 définit très bien ces principes. De Schutter O. et Van Drooghenbroeck S., Droit international des droits de l’homme devant le juge national, Bruxelles, Éditions Larcier, 1999, p. 15.
7Pour plus d’informations sur la question, Wallensteen P., « A century of Economic Sanctions : A Field Revisited », Uppsala Peace Research Papers no 1, Sweden, 2000. Van den berg L., « Economic Sanctions, an Effective Tool of Foreign Policy Statecraft ? », Queen’s Policy Review, vol. 1, no 1, 2010. Allen S. H. et Lektzian D. J., « Economic sanctions : a blunt instrument ? », Journal of Peace Research, vol. 50, no 1, 2013. Matelly Sylvie, Gomez C. et Carcanague S., Performance des sanctions internationales, Paris, Institut de relations internationales et stratégiques-IRIS, mars 2017, 48 p.
8Les sources utilisées sont majoritairement les fonds du Centre des archives diplomatiques de Nantes, les archives présidentielles aux Archives nationales et les archives socialistes de la Fondation Jean Jaurès.
9Archives nationales (AN), AG/5(4)/GP/40, « Agitation en Afrique du Sud. Ses origines et perspectives », Dépêche no 121/DAM, de Pierre Boyer, ambassade de France en Afrique du Sud à Roland Dumas, ministre des Relations extérieures de la France, 10 avril 1985.
10Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, approuvée le 17 août 1984 à la 2551e séance par 13 voix et 2 abstentions (États-Unis d’Amérique et Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), juge « nulles et non avenues » la nouvelle Constitution et ces élections considérées comme « contraires aux principes de la Charte de l’ONU ». Voir Résolution 554 (1984), du 17 août 1984.
11Née dans le Triangle du Vaal le 3 septembre 1984, l’agitation gagne d’autres provinces telles que le Natal, le Transvaal et le Cap.
12Selon les statistiques publiées par le ministre de la Main-d’œuvre, l’Afrique du Sud connaît en 1984 un nombre record de 469 grèves. AN, AG/5(4)/GP/40, « Afrique du Sud : grève pour l’année 1984 », note no 384/DAM, Paris, le 11 mars 1985, Dahan P.
13Le Carbone Lorraine fabrique des produits à base de carbone et de graphite pour les moteurs électriques et le génie chimique.
14AN, AG/5(4)GP/40 (1985-1986), « Afrique du Sud : les prisonniers politiques sud-africains », note no 61/DAM, Pretoria, le 26 février, 1986 de Claude Blanchemaison à Roland Dumas.
15L’UDF, en anglais l’United Democratic Front, est le fer de lance des vastes protestations violentes dont les caractéristiques se distinguent nettement des périodes de troubles antérieures. Cette organisation rejette même toutes les méthodes non violentes prônées par Boesak, Tutu, Nande ou Buthelezi. Il adopte plutôt la lutte violente telle que le sabotage d’installations économiques et de transports et les attentats ponctuels (terrorisme urbain). Voir Van Vuuren H., Apartheid Guns and money, Londres, Oxford University Press, 2018.
16La Ligne de Front naît en 1975 avec les pays tels que l’Angola, le Mozambique, la Zambie, la Tanzanie, le Botswana, le Zimbabwe, le Lesotho pour faire face à la politique raciale et agressive sud-africaine. Yocoly L. K., La politique de déstabilisation de la RSA en Angola (1975-1988), facteurs, aspects et conséquences, Berlin, Paf, 2015, p. 32.
17On pouvait lire dans la lettre du président français : « Je persiste à penser que la commutation de la peine infligée à M. Moloïse aurait contribué à diminuer les tensions et à créer le climat sans lequel le dialogue entre les diverses composantes de la nation sud-africaine ne pourra s’instaurer. Ce dialogue est, à mes yeux, la seule voie susceptible de mener à la réconciliation et à l’avènement d’une société de paix et de justice que la France appelle de ses vœux pour la RSA. » AN, AG/5(4)GP/40, « Réponse à la lettre du 5 novembre de P. W. Botha par le président François Mitterrand, le 19 novembre 1985, State President of the Republic of South Africa, Union Building, Pretoria », Note (sans numéro) pour le Cabinet du Premier ministre (à l’attention de D. Bernard) de Jean de Maurice Ripert, Paris, le 9 décembre 1985.
18Le ministre précise que seuls « ceux qui ont coopéré et montré qu’ils ont tourné le dos au crime » peuvent bénéficier de la réduction de leur peine ou d’une clémence. AN, 5(4)/GP/39, note no 102/DA/DAM, de l’ambassadeur de France à Pretoria F. Plaisant au ministre des Relations extérieures, C. Cheysson, le 6 juillet 1982.
19AN, AG/5(4)GP/40, « Lettre du président sud-africain, P. W. Botha au président français François Mitterrand, Ambassade de l’AFS en France (traduction de courtoisie) », note (sans numéro) pour le Cabinet du Premier ministre (à l’attention de D. Bernard) de Jean de Maurice Ripert, Paris, le 9 décembre 1985, Pretoria, le 5 novembre 1985.
20Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN), RP ONU, 10POI/1, carton no 870, note du 19 juillet 1985 de la direction des Affaires économiques et financières.
21En France, le 26 septembre 1985, une journée d’action a lieu à Paris sur le Pont Alexandre III et le Quai d’Orsay à l’initiative de la jeunesse communiste pour obtenir la libération de Nelson Mandela et le boycott du régime de l’Apartheid. On pouvait entendre et lire comme slogans de cette mobilisation : « Solidarité, ANC, Free Mandela ! », « Boycott immédiat » et « Nous sommes tous des Noirs d’Afrique du Sud ». Voir « Manifestation anti apartheid à Paris - 26 septembre 1985 », réalisé par Chevrier G., 1985, consultable sur [https://www.cinearchives.org].
22Id.
23AN, AG/5(4) GP/40 (1985-1986), « Relations commerciales financières et industrielles », note no 130/DE, du ministre des RE/DAM pour le Cabinet du ministre à l’attention de M. Ripert, 4 décembre 1985 ; « Sanctions contre l’Afrique du Sud », Résolution 569 (1985) : S/Ires/569 (1985) du 26 juillet 1985. Lire aussi Bas P. et Tersen D., L’Afrique australe dans la tourmente 2 : relation de puissance, Paris, La Documentation française, 1987, p. 49.
24Plusieurs mesures figurent dans le texte français : suspension des prêts garantis à l’exportation, cessation des ventes de matériels informatiques à l’armée ou la police sud-africaine, interdiction de contrat nucléaire nouveau, embargo sur le krugerrand, l’or sud-africain, etc. CADN, RP ONU, 10POI/1 carton no 870, note (sans numéro), le 15 juin 1985, de la Direction des Affaires économiques et financières au ministre des Affaires étrangères, Monsieur Roland Dumas, p. 1.
25Il s’agit pour eux d’aider les victimes de l’apartheid d’Afrique du Sud et des pays de la Ligne de front et favoriser à la même occasion la mise œuvre des réformes entamées par le régime de Pretoria depuis 1982.
26Coli A., « Les sanctions internationales de l’Union européenne : soft power, hard power ou puissance symbolique ? », Revue internationale et stratégique, 2015/1, no 97, p. 129-138, p. 134.
27AN, AG/5(4) /DP/13, dossier 2 : Afrique du Sud 1990-1991, note no 155/QAS (sous-direction des Questions atomiques et spatiales) de Philippe Thiebaud pour la sous-direction de l’Afrique australe et de l’Océan indien, le 26 avril 1990. « Afrique du Sud : sanctions ». « Relations Commerciales Financières et Industrielles », note no 130/DE, id.
28Ibid.
29« Les représailles de l’Afrique du Sud ne concerneraient pas les minerais », Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 42e année, no 2129, p. 2212.
30En 1984, 150 entreprises britanniques sont implantées en Afrique du Sud dont la Consolidated Godmines qui détient plus de 40 % des parts dans les mines dior sud-africaines. AN, 5AG4/GP/39, Service d’expansion économique, Pretoria, « Liens économiques et français entre la France et l’Afrique du Sud », 18 mai 1981.
31Contrairement au Royaume-Uni, la France, fidèle à sa politique de rupture entamée dès 1981, procède à des désinvestissements, largement plus élevés durant la période 1981 à 1984 que les investissements avec 323 millions de Francs français. AN, 5AG4/GP/39, Service d’expansion économique, Pretoria, « Liens économiques et français entre la France et l’Afrique du Sud », le 18 mai 1981.
32CADN, Prétoria Série B, 551PO/B, carton no 109, « Investissements français en Afrique du Sud (1980-1986), Service d’expansion économique », Pretoria, le 9 juin 1988.
33CADN, Prétoria Série B, 551PO/B, carton no 110, « Investissements français en Afrique du Sud (1980-1986) », Service d’expansion économique, Pretoria, le 9 juin 1988.
34ANC, Front Démocratique Uni (UDF), Conseil sud-africain des Églises, Confédération syndicale COSATU, etc.
35AN, AG/5(4) /DP/13, dossier 2 : Afrique du Sud 1990-1991, Note no 155/QAS, op. cit.
36« Manifestation anti apartheid à Paris - 26 septembre 1985 », op. cit. Voir aussi AS, 511RI22, Journal Africa confidential, fin 1986, extrait du dossier Afrique du Sud « Mouvement anti-apartheid » et dossier 511RI7, Afrique du Sud 1, « Manifestation contre liapartheid du jeudi 6 octobre 1986 ».
37AN, AG/5(4)GP/40 (1985-1986), « Sanctions contre l’Afrique du Sud », Résolution 569 (1985) : S/1res/569 (1985) du 26 juillet 1985, extrait de la note no 1359/DAM, Paris, le 12 septembre 1985 du ministère des Relations extérieures à la présidence de la République.
38CADN, RP, ONU, 10POI/1 dossier 870, « Mesures économiques restrictives à l’encontre de l’Afrique du Sud », TD no 38856, du service Relations commerciales, financières et industrielles, le 27 septembre 1985, Bruxelles.
39CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, carton 103, dossier EU 3.2.3 : « Relations de la CEE/RSA : Programme de Mesures Positives (1986-1987) ».
40AN, AG/5(4)/GP/40 (1985-1986), Note no 279/DAM du 12 septembre 1985 du ministre des Relations extérieures à la Présidence, « Réunion ministérielle des dix (Luxembourg 10 septembre) Afrique du Sud ».
41CADN, RP, ONU, 10POI/1, carton 870, dossier : Sanctions contre l’Afrique du Sud (Embargo pétrolier), « Mesures restrictives à l’encontre de l’Afrique du Sud. Position britannique », TD Londres no 1389, du 31 octobre 1985. Voir aussi Barbier J.-C. et Dessouches O., Sanctionner l’apartheid. Quatorze questions sur l’isolement de l’Afrique du Sud, Paris, La Découverte, 1987, p. 192.
42CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, carton no 103, dossier EU 3.2.4, « Code de conduite/RSA (1985-1990) », document no 34/DE de la direction des Affaires économiques et financières, Service des relations commerciales financières et industrielles, « Communiqué de presse de la réunion ministérielle du 19 novembre 1985, A/S : code de conduite européen », Paris, le 2 décembre 1985, p. 1-6.
43À savoir le Groupe Ad hoc code Conduite, le Comité politique et le Conseil ministériel.
44CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, carton 103, dossier EU3.2, note no 2427/CE, Paris, le 17 décembre 1991.
45On peut ici citer quelques-uns des projets soumis à la CEE qui portent sur la coopération agricole : élevage, défrichage, formation des populations déplacées, appui aux détenus et à leurs familles : aide juridique, HU-militaire, financement d’une étude d’évaluation d’un projet agricole destiné à assurer l’autosuffisance alimentaire. CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, carton 103, dossier EU 3.2.3 : « Relations de la CEE/RSA : Programme de Mesures Positives (1986-1987) », TD culturel no 11166, « Afrique du Sud : mesures positives », Bruxelles, le 16 octobre 1986.
46Plusieurs secteurs sont ciblés comme la formation (sous forme de bourses d’études ou financement de projets), l’éducation, la santé, les investissements, les prêts, etc. CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, carton 103, dossier EU 3.2.3 : « Relations de la CEE/RSA : Programme de Mesures Positives (1986-1987) », Fiche no 1487/CE : « A/S : Afrique du Sud : la CEE et les mesures positives », Paris, le 16 octobre 1986, p. 1.
47Kreis G., « L’embargo, arme contre l’apartheid ? La Suisse et l’Afrique du Sud, 1986-1990 », Relations internationales, 2007/no 131, p. 98.
48CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, série B, carton 102, dossier EU 3.2 « CEE/RSA 1985-1986 », TA Local, REF. CPE/PRES/LON 862, Bruxelles, le 15 octobre 1986.
49Lemaitre P., « Isolé au Conseil européen de Dublin, la Grande-Bretagne a décidé de lever les sanctions contre l’Afrique du Sud », Le Monde, 22 février 1990, p. 8.
50« RSA : Sir Geoffrey HOWE en Afrique du Sud, peut-être la fin des négociations », Marchés Tropicaux et méditerranéens, 42e année, no 2125, vendredi 1er août 1986, p. 2018-2019.
51« 22-29 juillet 1986 : Afrique du Sud, la question des sanctions économiques au premier plan », [www.universalis.fr/encyclopedie/republique-d-afrique-du-sud], consulté le 7 mai 2019.
52AN, AG5(4)/DP/13, dossier 2 (Afrique du Sud 1990-1991), « Afrique du Sud : mesures adoptées par la CEE », note no 155/QAS (sous-direction des question atomiques et spéciales) de Philippe Thibaud (rédigée par J. Louvet pour la DAM sous-direction de l’Afrique australe et de l’Océan indien), Paris, le 26 avril 1990
53AN, « Afrique du Sud : mesures adoptées par la CEE », note no 155/QAS, op. cit.
54Il faut attendre le 27 octobre 1986 pour que la CEE adopte définitivement la suspension des nouveaux investissements.
55L’Allemagne Fédérale et le Portugal s’y opposent.
56CADN, TA Local, REF. CPE/PRES/LON 862, Bruxelles, le 15 octobre 1986, op. cit.
57CADN, Pretoria Série B, 551PO/B, série B, carton 109, dossier DE 5.1. « Relations économiques France-RSA 1981-1990 », TD New Delhi no 1255, New Delhi, Discours prononcé par Rajiv Gandhi à Cochin devant la convention du Parti du Congrès, le 18 septembre 1986.
Idem.
58« RSA, Le détail des sanctions américaines », Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 42e année, no 2129, p. 2579-2580. « RSA : Les représailles ne concernent pas les minerais », Marchés Tropicaux et Méditerranéens, 42e année, no 2135, p. 2212-2213.
59CADN, RP ONU, 10POI/1, carton 870, dossier : Sanctions contre l’Afrique du Sud (Embargo pétrolier), TD Washington no 1384, 6 juin 1985. Dans les textes de la CEE revenaient les expressions « libération des prisonniers politiques », « arrêt des transferts de populations », « élimination de la ségrégation raciale en matière d’habitation », etc.
60AS, 511 RI 13-20, dossier 511 RI 13, Afrique du Sud, dossier « quelques positions du PS, 1987-1988 », note sur la rencontre avec les représentants des chambres de commerce d’Afrique du Sud, Paris le 29 juin 1988, Secrétariat International du Parti socialiste. Citation du rapport de la mission infructueuse du Groupe des éminentes personnalités du Commonwealth de 1986.
Auteur
Doctorant en histoire contemporaine au Centre de recherches en histoire internationale et atlantique (CRHIA), université de Nantes. Il prépare une thèse sur La diplomatie française face à l’apartheid sous François Mitterrand, sous la co-direction de Michel Catala et de Guessan Kouadio, en cotutelle entre l’université de Nantes et l’université UFHB d’Abidjan-Cocody.

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