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    Plan détaillé Texte intégral L’aboutissement d’une succession de crises intérieures L’intervention armée : une décision négligeant les enjeux à long terme Des décisions présidentielles indissociables de leur contexte Un interventionnisme encore unilatéral Un processus de décision rudimentaire Un exemple de faiblesse doctrinale de la politique extérieure La fin d’une période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ? Notes de bas de page Auteur

    L’Europe et l’Afrique

    Ce livre est recensé par

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    Le déclenchement de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire en 2002-2003 : le début d’une nouvelle période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ?

    The launch of operation licorne in Ivory Coast in 2002-2003: the start of a new period in France’s singular relationship with Africa?

    Benoît Roux

    p. 103-115

    Résumés

    19 septembre 2002 : une rébellion politico-militaire tente de renverser le président ivoirien. La France s’interpose militairement entre les deux parties au conflit, puis se pose en régulateur. En présidant à Paris, le 15 janvier 2003, la signature de l’accord de Linas-Marcoussis, elle supplante la médiation ouest-africaine qui œuvrait depuis quatre mois et elle relègue les acteurs extérieurs au rang des utilités. L’étude du tout début de la crise ivoirienne éclaire les processus qui sont à l’œuvre lorsque les autorités françaises décident de s’engager militairement sur le continent africain. Elle constate que cette décision marque le début d’une période nouvelle dans la politique extérieure : celle d’engagements militaires en Afrique d’une ampleur inégalée depuis 50 ans ; et celle de la généralisation du modèle de l’internationalisation de la gestion des crises africaines avec sa recherche d’alliés ou de coalisés.

    September 19, 2002: A political-military rebellion attempts to overthrow the Ivorian president. France stand militarily between the two opposing camps, then acts as a regulator. By chairing the signing of the Linas-Marcoussis Agreement in Paris on January 2003, France supplantes the West African mediation which had been working for four months and relegates external actors to the background. The beginnings of French intervention in Côte d’Ivoire testify to France’s state of mind and action towards Africa. It notes that this decision marks the beginning of a new period in French foreign policy: that of military engagements in Africa on a scale unequalled in 50 years; and the generalisation of the model of the internationalisation of African crisis management with its search for allies or coalitions accompanied by the search for allies or coalition partners.

    Texte intégral L’aboutissement d’une succession de crises intérieures L’intervention armée : une décision négligeant les enjeux à long terme Des décisions présidentielles indissociables de leur contexte Un interventionnisme encore unilatéral Un processus de décision rudimentaire Un exemple de faiblesse doctrinale de la politique extérieure La fin d’une période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ? Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Le 19 septembre 2002, une rébellion armée tente de renverser le chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo. La France s’engage alors dans une action militaire et diplomatique en faveur de la résolution du conflit. Une fois la décision prise d’attribuer un rôle à ses troupes, la France maintiendra son engagement militaire sans en maîtriser ni l’échéance finale ni le coût. Ce n’est que huit ans après, le 21 mai 2011, que Nicolas Sarkozy, chef de l’État français annoncera la fin de l’opération militaire. Une mission en réalité achevée en 2015 seulement – sous le mandat de son successeur François Hollande – avec la dissolution de la force dénommée Licorne1. Cette intervention militaire se sera alors révélée exceptionnelle tant par son coût humain que budgétaire, mais aussi par l’une de ses conséquences : la modification dans la Constitution des conditions dans lesquelles sont prises les décisions d’intervention armée.

    2Rwanda, Libye, Mali, Centrafrique… Toute crise a ses singularités. Pour autant, le traitement français de la crise ivoirienne en 2002 constitue une expérience fondamentale et riche d’enseignements généraux. L’étude du tout début de la crise ivoirienne éclaire ses enjeux et les processus qui sont à l’œuvre lorsque les autorités françaises décident de s’engager militairement sur le continent africain. Pourquoi la France a-t-elle fait ce choix et dans quelles conditions ? Cette intervention marque-t-elle pour la France la fin d’une période dans la construction postcoloniale de son rapport avec l’Afrique et avec l’Europe ? C’est ce que nous tenterons de déterminer à travers l’examen des faits et des postures.

    L’aboutissement d’une succession de crises intérieures

    3Le 19 septembre 2002 est une date charnière dans l’histoire ivoirienne. Elle ouvre une longue période de division du pays. Elle clôt aussi près de trois années de déstabilisations. L’offensive du 19 septembre 2002 est alors la troisième tentative de coup d’État depuis celui – réussi près de trois ans auparavant – du jour de Noël 1999. Ce putsch avait placé durant quelques mois à la tête de l’État, le général Robert Guéï qui avait dû céder la place à Laurent Gbagbo, victorieux du scrutin présidentiel contesté d’octobre 2000.

    4Plusieurs militaires qui avaient fomenté ce putsch de 1999 sont les auteurs de la tentative de 2002. Expliquer les raisons de cette présence, c’est parcourir en quelques dates vingt ans de drame ivoirien et constater les ondulations de la politique extérieure française.

    5Tout d’abord, la mort en 1994, du Père de l’Indépendance, Félix Houphouët-Boigny et l’arrivée au pouvoir de son héritier politique, Henri Konan Bédié. La contestation de cet héritage par le Premier ministre Alassane Dramane Ouattara pose le premier jalon de la crise à venir. Il appartient à la même famille politique, conservatrice, libérale et francophile. Mais à la différence du premier, il incarne, du fait de ses origines familiales, les populations musulmanes et transfrontalières du Mali et du Burkina Faso. Le second jalon est posé par le président Henri Konan Bédié qui, en voulant disqualifier définitivement son rival, fracture durablement le pays. En 1996, il théorise le concept de l’Ivoirité qui promeut un antagonisme entre « Ivoiriens de souche » et « Ivoiriens de circonstance ». Une doctrine politique qui fonde une législation discriminante et de lourds contentieux politiques.

    6C’est dans ce contexte de division que, les 24 et 25 décembre 1999, de nouveaux acteurs entrent en scène. Des soldats sans construction idéologique élaborée, mais profondément choqués par la dérive ethniciste du pouvoir, renversent le chef de l’État. Ils appellent alors à sa tête leur ancien chef d’état-major, le général Robert Guéï. Lequel détourne à son profit la transition politique qui lui était confiée. Marginalisés, certains éliminés, la désespérance politique des mutins de Noël 1999 ne s’apaisera plus désormais. En effet, le président de transition Robert Guéï puis son successeur élu, Laurent Gabgbo, exploitent à leur tour les ressorts de l’ivoirité avec la même visée électoraliste : écarter à nouveau Alassane Dramane Ouattara de la course présidentielle. Plusieurs soldats putschistes survivants tentent alors de nouveaux coups de force et certains d’entre eux périssent à leur tour lors des représailles. Un désespoir assez voisin gagne aussi les rangs de Laurent Gbagbo, dans lesquels figurent certains de ses proches amis politiques. C’est ainsi que ces deux composantes, militaire d’un côté, et politique de l’autre, se rejoignent et forment la rébellion de septembre 2002 d’où émergera un leader, Guillaume Soro.

    7Le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire est donc en guerre civile. L’historiographie de l’Afrique regorge de ce type de conflits intérieurs, mais aussi de cette spécificité de l’intervention de la France, depuis les indépendances, dans nombre de conflits intérieurs de ses anciennes colonies.

    L’intervention armée : une décision négligeant les enjeux à long terme

    8Peu de chose, dans le déroulement des événements du 19 septembre 2002 distinguent le coup de force de la rébellion de tant d’autres de ses équivalents en Afrique. Partis du Burkina Faso où ils étaient complaisamment hébergés par un autre président putschiste – Blaise Compaoré – une colonne armée conquiert l’axe nord-sud du pays jusqu’à la ville centrale de Bouaké. Prépositionnés dans la capitale économique Abidjan, située sur le rivage atlantique, d’autres éléments profitent du séjour de Laurent Gbagbo à Rome pour s’attaquer aux centres de pouvoir. Ce second volet de l’offensive est un échec. Au soir du 19 septembre, les assaillants regroupés à Bouaké s’interrogent sur la conduite des opérations. Dans la capitale ivoirienne les rebelles sont pourchassés et les premières représailles visent les populations civiles originaires du nord du pays et supposées complices. Au cours des jours suivants, les rebelles consolident leurs positions dans le centre du pays. La Côte d’Ivoire est durablement divisée en deux et Bouaké fait désormais figure de capitale de la rébellion.

    9En France, le sommet de l’État ne reste pas en position d’observateur. Comme en 1999, au cours des premières heures, le chef de l’État consulte ses homologues africains, échange avec le chef de l’État ivoirien, lui propose un exil en France, et ordonne l’attentisme aux forces françaises implantées près d’Abidjan2. L’engagement militaire français ne débute que trois jours plus tard. Quels sont les ressorts de la décision de cette intervention française ? Sur ces faits, jusqu’à une date récente, l’historiographie est inexistante. L’événement a été documenté en 2017 par l’auteur3 à partir des entretiens accordés par le général d’armée Henri Bentégeat, par les témoignages d’autres responsables militaires et politiques de cette période et par la confrontation de ces faits à l’historiographie de décisions équivalentes. En décembre 2018, le général Bentégeat complète la reconstitution de ces faits dans un ouvrage consacré aux attitudes et aux comportements des « chefs d’État en guerre4 ». De même, sur les décisions qui déterminent la politique ivoirienne de la France, les chercheurs disposent d’un matériel relativement abondant, et ce malgré l’impossibilité de consultation des archives diplomatiques. Il y a là, trois raisons principales. La première est que tous les acteurs français sont, encore à ce jour, vivants et plusieurs acceptent de se livrer. La deuxième est la qualité et l’ampleur de la couverture qui en a été faite par la presse française. La troisième est que durant cette période, certains acteurs de premier plan, dont Dominique de Villepin, ont été très loquaces.

    10La décision d’engager militairement la France en Côte d’Ivoire est prise le samedi 21 septembre. Deux jours se sont écoulés depuis le constat d’échec de la tentative de coup d’État. Jacques Chirac et Dominique de Villepin doivent s’envoler l’un et l’autre à l’étranger quelques heures plus tard. Au cours de l’après-midi, Dominique de Villepin convainc Jacques Chirac du risque d’insécurité que faisait peser la rébellion sur les ressortissants français. Le chef de l’État sollicite alors l’avis de son chef d’État-major particulier (CEMP), le général Bentégeat. Celui-ci n’objecte pas. L’armée française dispose d’une force militaire prépositionnée dans l’agglomération d’Abidjan (43e Bima de Port-Bouët). Ses soldats reçoivent alors un ordre d’interposition. Le lendemain, ils prennent position au centre du pays sur l’axe Bouaké-Abidjan afin de dissuader un nouvel assaut de la capitale économique par la rébellion. Mais quelques jours plus tard, la donne change. Les militaires français ouvrent le tir sur les rebelles afin d’empêcher leur progression. Ce faisant, la France prend parti.

    11Dans son ouvrage récent, le général Bentégeat propose une reconstitution plus détaillée de l’échange qu’il a alors avec Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Dans le Salon Vert qui jouxte le bureau présidentiel, le chef de l’État informe tout d’abord son CEMP que Laurent Gbagbo lui a affirmé que son pays a été attaqué par le Burkina Faso motivant ainsi sa demande d’application des accords bilatéraux de défense5 et donc de soutien à une offensive contre l’État burkinabé. Une thèse à laquelle le général Bentégeat et Dominique de Villepin apportent un démenti formel. Si une aide de Blaise Compaoré à la rébellion ne peut être exclue, les deux hommes ne disposent d’aucun renseignement accréditant la thèse d’une agression extérieure. Pour Jacques Chirac, il n’y a donc « pas d’accords qui tiennent » mais une question qu’il adresse à son CEMP : « Que se passera-t-il si nous laissons faire ? » Le général Bentégeat livre alors ses éléments de diagnostic : 25 000 résidents français vivent dans la capitale ivoirienne ; ils seront en danger si les rebelles entrent à nouveau dans la ville ; l’armée française ne pourra procéder à leur évacuation à temps. Sa préconisation est alors adoptée par le chef de l’État : faire arrêter la progression des mutins [vers Abidjan] par les forces françaises. Jacques Chirac « prend cette décision avec regret6 » et – précise le général Bentégeat – indique que « nous devrons rester le plus neutre possible » et que « c’est aux chefs d’État de la région qu’il revient de régler cette crise ».

    12C’est cette seule décision – trois hommes, quelques dizaines de minutes tout au plus – qui va engager militairement la France durant treize ans dans ce qui sera sa plus importante opération militaire depuis la guerre d’indépendance algérienne achevée quarante ans plus tôt. Quels enseignements nous livrent cette décision et le processus qui l’a déterminé ?

    Des décisions présidentielles indissociables de leur contexte

    13Le premier enseignement est celui du changement de posture présidentielle lors de deux événements assez similaires, celui de 1999 et celui de 2002. Lors du coup d’État du 24 décembre 1999, l’Élysée opte pour le sauvetage de la présidence d’Henri Konan Bédié par le moyen d’une opération militaire dénommée Kaya. L’opération prévoit de déployer ses soldats, sous deux prétextes, celui de la protection des expatriés – dont l’évacuation n’est pas envisagée7 – et celui de l’application des accords de défense. Cette intervention doit permettre à Henri Konan Bédié de reprendre le dessus. Mais en 1999, Jacques Chirac n’est pas le seul maître de la politique extérieure de la France. Il cohabite avec Lionel Jospin, son Premier ministre et son principal adversaire politique. Lionel Jospin a énoncé une doctrine africaine que l’on connaît sous l’expression du « Ni indifférence, ni ingérence » à l’égard de l’Afrique. Il est donc opposé à l’opération envisagée par Jacques Chirac. Celui-ci est contraint d’y renoncer. Henri Konan Bédié, renversé, se réfugie alors à Paris.

    14En 2002, la posture du président français n’est plus la même et les conditions de la prise de décision non plus. L’intervention militaire est décidée par le seul Jacques Chirac. Et même si elle doit protéger les ressortissants, elle n’a pas, comme en 1999 avec le projet d’opération Kaya, vocation à sauver le pouvoir de son homologue ivoirien. Cet état de fait est le produit de deux changements. Depuis la défaite de Lionel Jospin, le 21 avril 2002, à l’élection présidentielle, Jacques Chirac n’a plus à composer avec ce contradicteur. Réélu avec sa majorité parlementaire, il délimite seul le périmètre de son « domaine réservé8 » et peut prendre également seul la décision de l’intervention militaire. C’est le premier changement. Mais sans doute aussi n’a-t-il pas, à l’égard de Laurent Gabgbo, les mêmes sentiments et intérêts qui guident son comportement à l’égard des autres chefs d’État africains ? Jacques Chirac initié à la Françafrique très tôt dans sa carrière entretient ces liens étroits tissés entre l’Élysée et la plupart des chefs d’État du « pré carré ». C’est le second changement : il n’a pas établi avec Laurent Gbagbo les relations directes et chaleureuses qui font la réputation du président français auprès des homologues du continent africain. Le socialiste Laurent Gbagbo, le tombeur de la lignée politique d’Houphouët-Boigny ne bénéficie pas de la part du chef de l’État français des mêmes réflexes de solidarité à l’œuvre en 1999 lors du renversement d’Henri Konan Bédié. À l’Élysée, les précautions sont de mise. Michel Dupuch le conseiller diplomatique du chef de l’État a été précédemment ambassadeur auprès d’Houphouët-Boigny est l’ami personnel d’Henri Konan Bédié. Les violences électorales qui ont accompagné l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir lui valent d’être mis « sous observation9 » par l’Union européenne (UE). Elles le privent de faste protocolaire lors de sa première visite à Paris, reléguée au rang de visite privée à l’invitation du président de la République10. Ce désintérêt du chef de l’État français, encore peu perceptible en 2002, se transformera au cours des années suivantes, en franche hostilité.

    Un interventionnisme encore unilatéral

    15Le second enseignement est que Jacques Chirac s’inscrit dans la même logique interventionniste de ses prédécesseurs. Comme eux, il est convaincu que l’armée française est un outil au service des ambitions diplomatiques du pays. Avec cette décision, il ajoute donc un nouveau théâtre à la longue liste des opérations extérieures (OPEX) conduites depuis 196211. Des opérations nombreuses, dont le nombre lui-même est impossible à établir, « certaines ayant été trop courtes (quelques heures parfois) et nombre d’informations ayant disparu12 », constate Olivier Schmitt.

    16Cette dynamique ne doit cependant pas conduire à caricaturer Jacques Chirac en faucon de la politique extérieure. D’une part, parce qu’il apparaît « plus réticent que son prédécesseur [François Mitterrand] à l’interventionnisme militaire13 », note le général Bentégeat, qui a servi aux côtés des deux chefs d’État. Une attitude fondée pour partie par l’appréciation défavorable qu’il porte sur celles qui ont été conduites dans le centre de l’Afrique comme celle au Rwanda huit ans plus tôt : il semblait « comme lassé par toutes ces interventions militaires françaises14 ». Et de fait, hormis les décisions relatives à l’opération Licorne et le lancement de l’opération Boali en Centrafrique15, Jacques Chirac, jusqu’à la fin de son mandat, n’engagera plus d’opérations significatives sous le pavillon exclusivement français. D’autre part, parce que simultanément, Jacques Chirac ne craint pas de passer pour un pacifiste. À la même période, il se refuse à rejoindre la coalition formée par George Bush pour la Seconde guerre du Golfe. À l’automne 2002, cette décision à l’égard de l’Irak est encore et pour longtemps secrète, elle n’en est pas moins certaine. Elle ne fait aucun doute pour son plus proche conseiller militaire qui depuis l’été est convaincu que « nous n’irions pas16 ». Elle transparaît, quelques jours après la décision d’engagement en Côte d’Ivoire, au cours d’un échange avec le chef d’état-major des armées Jean-Pierre Kelche. Ce dernier est favorable à l’engagement des soldats français aux côtés des Américains et s’entend répondre : « Ils n’iront pas, mais je vous écoute, mon général17. » Ainsi, dans un étonnant parallélisme des dates et des décisions, alors qu’il se refuse à intervenir de manière coalisée en Irak, il n’hésite pas à engager unilatéralement ses troupes en Côte d’Ivoire.

    Un processus de décision rudimentaire

    17Le troisième enseignement est de démontrer les limites d’une décision d’engagement politico-militaire lorsque celle-ci n’est pas précédée d’une consultation.

    18Le 21 septembre 2002, le procédé de décision employé par Jacques Chirac est rudimentaire. Alors que depuis 48 heures, il s’est fortement investi dans la contention de la crise, il ne convoque pas pour autant son Conseil restreint de Défense. Il se prive ainsi de la précaution et du discernement qu’offre le débat. Ce Conseil restreint est l’une des deux instances dont le chef de l’État dispose en matière de défense auxquelles s’ajoute le rituel de sa rencontre hebdomadaire avec le ministre de la Défense18. La première, le Conseil de défense, a été instituée par la Constitution et est l’organe central de la décision dans le domaine de la politique de défense. Elle se réunit deux ou trois fois par an, sans lien avec l’actualité opérationnelle, et n’aura aucune influence sur les décisions relatives aux crises ivoirienne et irakienne. C’est la seconde instance, le Conseil retreint de défense qui constitue le point de départ de la plupart des décisions d’emploi de la force et des décisions diplomatico-militaires d’envergure, le plus sûr moyen d’« examiner sereinement les différends dans la gestion des crises19 ». Selon une périodicité variable dictée par l’actualité, se réunissent autour du chef de l’État, son Premier ministre et les ministres et les chefs militaires et d’administrations concernés par l’engagement de la force armée. C’est elle qui assure d’un débat contradictoire, d’une prise en compte de toute la portée d’une telle décision ou de la référence à une doctrine ou à des principes formalisés. Le 21 septembre, le chef de l’État s’est ainsi privé de l’évaluation de l’hypothèse de l’intervention alors même que des épisodes précédents justifiaient d’en débattre20. Jacques Chirac attendra le 26 septembre pour le réunir et aborder une première fois l’engagement français et décider de la création de l’opération et de la force Licorne.

    19Jacques Chirac n’envisage pas non plus, comme l’avait fait François Mitterrand en 1991 pour la Première guerre du Golfe, d’encourager le débat parlementaire. Le prédécesseur de Jacques Chirac avait choisi d’éprouver le soutien du Parlement en lui adressant un message et en engageant la responsabilité du gouvernement21. À la décharge de Jacques Chirac, il faut relever qu’au cours de cette période, le Parlement ne s’érige par comme un contre-pouvoir en matière d’engagement militaire. Mal informé – il ne connaît pas le contenu des accords de défense – il semble également renoncer à ses prérogatives d’interrogation et de contrôle de l’action présidentielle et gouvernementale, en séance plénière comme dans les commissions. Ce faisant, députés et sénateurs n’encouragent pas l’exécutif à contrôler la justesse de ses positions et de ses arguments.

    20Dans ces conditions, et aussi surprenant que cela peut être, le 21 septembre 2002, Jacques Chirac néglige les conséquences à long terme d’une décision d’apparence tactique. Il n’envisage pas plus qu’ils ne les entrevoient, les répercussions à long terme sur les plans militaire, politique et financier. Avec le recul, cette méthode de décision apparaît donc disproportionnée au regard des enjeux.

    Un exemple de faiblesse doctrinale de la politique extérieure

    21Le quatrième enseignement est que le brio diplomatique n’assure pas à la politique extérieure de disposer d’un cadre solide de références doctrinales. En 2018, le général Bentégeat, livrant son interprétation de plus de huit années d’observation du président de la République énonce la thèse d’un Jacques Chirac « homme de la transition : de la défense du pré carré vers une politique toujours solidaire, mais élargie au-delà du cercle francophone et largement coordonnée avec les organisations internationales22 ». Élargi à l’ensemble des deux mandats de Jacques Chirac, le diagnostic est assez convaincant. Cependant, en septembre 2002, les lignes directrices ne sont pas encore si claires. L’illustration est apportée par les revirements qui jalonnent la séquence septembre 2002-janvier 2003.

    22Rappelons auparavant le contexte qui est celui de l’affrontement de la France et des États-Unis sur la question de l’engagement ou non de la Guerre d’Irak. Sa chronologie est voisine de ce qui constitue la première période du long conflit ivoirien : du 19 septembre 2002 à la conclusion de l’accord de Linas-Marcoussis (24 janvier 2003). Au cours de ces quelques mois, la diplomatie française est engagée sur deux fronts : le front principal, celui de l’opposition à la guerre d’Irak qu’incarnera Dominique de Villepin ; et le front secondaire, celui de la Côte d’Ivoire que Dominique de Villepin n’évoquera même pas dans son livre-testament politique « Notre vieux pays23 ».

    23Face à la crise ivoirienne, le premier acte de Dominique de Villepin, dès le 20 septembre est de suggérer l’organisation d’un sommet d’urgence à Marrakech24. L’initiative est française, elle concurrence celle que dessine déjà la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Les deux têtes de l’exécutif y renoncent rapidement, faute de volontaires. Parmi les réfractaires, les chefs d’État qui lui préfèrent une solution ouest-africaine. C’est le premier revirement français. La France s’incline et laisse la place de régulateur de la crise à la diplomatie ouest-africaine. Celle-ci conduit alors son processus de dialogue dénommé Pourparlers de Lomé. L’organisation internationale sera ainsi l’auteure de plusieurs accords successifs. Cependant, le dialogue est impuissant à désarmer les deux camps et sur le terrain militaire la situation ne cesse de s’aggraver au cours des trois premiers mois de la crise. C’est alors qu’intervient en décembre le second revirement français. Le contexte est alors celui d’un répit dans le dossier irakien que Jacques Chirac et Dominique de Villepin mettent à profit pour reprendre l’initiative en Côte d’Ivoire. Dominique de Villepin lance le concept de ce qui deviendra le mois suivant (janvier 2003) la table ronde de Linas-Marcoussis réunissant tous les acteurs ivoiriens du conflit, puis la tenue d’une Conférence des chefs d’État pour la Côte d’Ivoire dont la fonction est de parrainer l’accord de Linas-Marcoussis. Ce second revirement – qui revient à saborder les efforts de la présidence ouest-africaine25 – est d’autant plus inattendu que les arguments publics de Dominique de Villepin se contredisent. Le ministre des Affaires étrangères y érige en dogme que la France ne peut se substituer à ses partenaires africains – « c’est une règle nécessaire26 » – avec pour conséquence que « nous agissons en soutien des médiations africaines ». Mais il énonce aussi une exception qui fait la règle : « Mais compte tenu du sentiment d’urgence qui est le nôtre, nous sommes prêts à accueillir à Paris, les chefs d’État concernés […]. » C’est ainsi, selon les mots du ministre, cet impératif du temps restreint, du temps compté, qui semble influencer de manière majeure le diagnostic des autorités françaises. C’est un sentiment, celui que les autorités françaises ont urgence à agir, qui justifie l’offre. Ces deux changements brusques suffisent déjà à illustrer l’inconstance de la diplomatie française. Mais un troisième revirement achève la démonstration : celui qui succède à la tenue de la table ronde et de la conférence. De la table ronde, on sait qu’elle a été productive : durant une dizaine de jours, sous présidence française, les différentes parties au conflit se sont écoutées, ont débattu et ont formé l’accord de Linas-Marcoussis que tous ont considéré comme une réussite. De la seconde (la conférence des chefs d’État), on connaît le résultat : Laurent Gbagbo a négocié avec Guillaume Soro sous la pression de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, la désignation d’un Premier ministre et l’attribution à la rébellion des ministères de la Défense et de l’Intérieur. Et, cette dernière décision crée un nouveau contentieux. Conséquences immédiates : les assauts des implantations françaises par les partisans de Laurent Gbagbo et l’impossibilité d’application de ses accords de Paris. Une opposition que Laurent Gbagbo formulera dans une allocution télévisée en affirmant qu’il « appliquera l’accord dans son esprit mais pas dans la lettre27 ». C’est ainsi que la France changera une nouvelle fois de posture en se plaçant en retrait de l’action diplomatique. Elle laissera alors et désormais la place à la diplomatie internationale, en premier lieu, à la CEDEAO et à l’ONU et de manière plus périphérique, à l’Union européenne.

    La fin d’une période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ?

    24Nourris de cette connaissance des faits, nous pouvons esquisser une réponse à cette question. Cette première séquence de la guerre civile ivoirienne, offre quatre arguments en faveur du constat d’un tournant historique opéré en 2002-2003. Mais elle invite aussi à un diagnostic prudent. Quatre arguments appuient l’affirmation que les premiers mois d’intervention française marquent la fin d’une période.

    25Le premier argument nécessite d’exploiter le tableau historiographique dressé par Walter Bruyères-Ostels en 201628. L’historien y présente un séquencement des engagements militaires français au cours de la période post-coloniale. Une première période, des indépendances de 1960 à 1974, ces années Foccart où se met en place une politique d’influence par le moyen de la capacité militaire. Une deuxième période, de 1974 à 1989, qu’il nomme celle de la « politique du Jaguar » et qui s’illustre par un interventionnisme militaire marqué. Une troisième période, celle qui débute avec le discours de La Baule en 1990 et connaît un recul du nombre de projections militaires françaises parmi lesquelles celle qui constitue un repère pour les chefs d’État français, celle du Rwanda, en 1994. Un désengagement d’autant plus prononcé que les dernières années de cette période sont celles du « Ni indifférence, ni ingérence » de Lionel Jospin. À ces trois périodes, peut-être doit-on considérer que s’ajoute une quatrième qui commence en 2002 avec l’opération Licorne. Cette période est celle d’engagements militaires en Afrique d’une ampleur inégalée depuis 50 ans et appelant une coopération ou une coalition internationale : l’opération Serval puis Barkhane dans la Bande sahélo-saharienne, l’opération Harmattan en Libye en 2011, et même dans un format plus modeste, l’opération Boali à partir de 2002 en Centrafrique puis Sangaris de 2013 à 2016. C’est ainsi moins la finalité que la nature des moyens militaires qui sont déployés qui les caractérisent. Avec pour conséquence, le poids qu’elles font peser sur les finances publiques françaises et le soutien qu’elles nécessitent de la part de l’opinion publique et des acteurs politiques français.

    26Le deuxième argument en faveur du tournant opéré avec l’engagement en Côte d’Ivoire est celui du constat de la réduction de l’influence française dans le contexte internationalisé des crises africaines. La relation privilégiée qui s’établissait entre la France et les États africains de l’ancien « pré carré » est disputée par de nombreux acteurs publics et privés : ceux que les États Africains ont eux-mêmes créés, au premier rang desquels figurent l’Union africaine (UA) et la CEDEAO, les États-Unis qui ont créé en 2008 à Stuttgart leur Commandement pour l’Afrique (Africom), la Chine, des nouveaux entrants dans la géopolitique africaine, l’Inde et la Turquie, mais aussi l’UE grande pourvoyeuse de moyens. On le constate avec l’engagement français en Côte d’Ivoire, les autorités françaises semblent négliger cette évolution jusqu’à organiser sur leur propre sol, plutôt qu’en Afrique, la table ronde de Linas-Marcoussis, et à cantonner les organisations internationales, dont l’UE, dans le rôle de soutien de l’initiative française.

    27Le troisième argument est celui du constat des limites du processus décisionnel français. Le déclenchement de l’opération Licorne l’illustre, en 2002, le chef de l’État dispose d’un pouvoir quasi absolu d’engagement de la force armée. À cela s’ajoute la pratique de Jacques Chirac qui le conduit à négliger la consultation du Gouvernement et du Parlement. Six ans plus tard, la modification de la Constitution portée par Nicolas Sarkozy devenu président de la République, marque l’inflexion des pratiques présidentielles et du Parlement. En 2008, est ainsi créée une obligation d’information du Parlement lors du déclenchement d’une opération extérieure et celle d’une autorisation par la loi lorsque l’opération excède trois mois29. De même, les décisions d’intervention des trois successeurs de Jacques Chirac ont été systématiquement précédées de la consultation – pourtant facultative – du Conseil restreint de Défense.

    28Le quatrième argument est celui de la généralisation du modèle de l’internationalisation de la gestion des crises, par la France. Et de fait, même si les réalisations concrètes traduisent insuffisamment les engagements pris, la France conjugue à partir de 2002, systématiquement son engagement avec celui des États africains, l’ONU et l’UE, dans la conduite des opérations militaires en Afrique. Attention cependant à ne pas forcer le trait. Aucune des opérations françaises en Afrique depuis 2002, à l’exception des interventions françaises en Libye et en Centrafrique, n’est conçu initialement sur le mode de la coalition. La recherche d’alliés n’est engagée que postérieurement. Pour autant, l’on se doit de constater, qu’à la différence de l’engagement en Côte d’Ivoire, ces opérations, telles que celles déclenchées à partir de 2011 au Mali, se sont traduites par la recherche immédiate d’une co-action avec d’autres forces, africaines, onusiennes ou occidentales. Et c’est une piste de recherche que de savoir si c’est cette absence de perspectives qui a conduit la France à renoncer à un engagement dans la Guerre du Darfour frontalier du Tchad à partir de 2003.

    29C’est ce même quatrième argument qui contient l’objection à ce constat du tournant historique dans le rapport entre la France et l’Afrique. En effet, même si la France recherche des alliés ou des coalisés, lors du déclenchement de sa plus grande opération en Afrique conduite depuis 2002, celle du Mali en 2011, la France décide seule.

    Notes de bas de page

    1La mission s’achève le 26 janvier 2015. Les éléments résiduels de la force Licorne et les effectifs du 43e BIMA qui l’accueillait (cf. infra) sont rebaptisés Troupes françaises en Côte d’Ivoire (TFCI) constituant ainsi avec son équivalant au Gabon, une des deux bases opérationnelles avancées de l’armée française en Afrique.

    2Comme dans plusieurs autres pays d’Afrique, la France y dispose d’un Bataillon d’infanterie de marine, le 43e Bima. Cette implantation est un reliquat de la période coloniale et un témoin de la politique de coopération militaire engagée ensuite. Près de 500 soldats français y sont affectés plusieurs années ou quelques mois. Dans le cadre des accords de défense entre les deux pays, ils s’y entraînent et réalisent conjointement avec l’armée ivoirienne, la plupart des exercices dont cette dernière a besoin.

    3Roux B., La France et la crise ivoirienne, thèse de doctorat d’histoire, université de Nantes, 2017, [http://www.theses.fr/2017NANT2054].

    4Bentégeat H., Chefs d’État en guerre, Paris, Perrin, 2018.

    5Sous cette appellation d’accord de défense s’assemblent en réalité cinq textes. Le premier est un accord général, intitulé Accord de défense signé le 24 avril 1961, les autres sont des accords techniques de coopération militaire, signés entre 1965 et 1968. L’un d’entre eux est une convention concernant le maintien de l’ordre considérée comme caduque par Paris, mais qui n’a jamais été officiellement dénoncée. Un autre, celui qui sera au cœur de la mésentente entre Abidjan et Paris, implique « une garantie française en cas d’agression », selon la formule empruntée par les auteurs du rapport sénatorial d’information quelques années plus tard.

    6Bentégeat H., op. cit., p. 475.

    7Selon le témoignage du général Thorette qui est alors chef du cabinet militaire du ministre Alain Richard, « l’hypothèse formelle de l’intervention n’a même jamais été évoquée, intrinsèquement elle était hors de question ». Général Bernard Thorette, 24 septembre 2015, Paris, entretien avec l’auteur.

    8Dans ses mémoires, Jacques Chirac consacre un long chapitre à cette gestion du domaine réservé dans le contexte de la cohabitation. Chirac J. et Barré J.-L., Le temps présidentiel Mémoires 2, Paris, Nil éditions, 2011.

    9Smith S., « La Côte d’Ivoire cherche l’aide de la France », Le Monde, 19 juin 2001.

    10Ultérieurement Laurent Gbagbo affirmera dans un livre-témoignage publié alors qu’il est incarcéré par la CPI à La Haye, que cette visite avait avant tout pour but de faire de lui un des financiers de la future campagne présidentielle de Jacques Chirac. Mattei F., Laurent Gbagbo selon François Mattei : pour la vérité et la justice, Paris, Éditions du Moment, 2014. Des fonds livrés lors d’une seconde visite – officielle celle-ci – affirme le journaliste de RFI, Christophe Boisbouvier. Boisbouvier C., Hollande l’Africain, Paris, La Découverte, 2015.

    11En 1999, selon Olivier Schmidt, la France est engagée simultanément dans 27 Opex. Schmitt O., « Faire la guerre : interventions et conflits depuis 1962 », in Drevillon H. et Wierviorka O. (dir.), Histoire militaire de la France, tome II, Paris, Perrin, 2018. Un nombre cependant contredit par le tableau chronologique des Opex établi par l’historien et général Jean-Marc Marill qui ne contient que 12 opérations en cours de conduite au cours de l’année 1999. Chapleau P. et Marill J.-M., Dictionnaire des opérations extérieures de l’armée française de 1963 à nos jours, Paris, Nouveau monde éditions, 2018.

    12Schmitt O., op. cit.

    13Bentégeat H., op. cit.

    14Bentégeat H., 2 juin 2014, Paris, entretien et correspondance avec l’auteur.

    15Décidée en octobre 2002, l’opération Boali va engager la France bien au-delà de ses intentions initiales. Selon un schéma voisin de celui annoncé pour la Côte d’Ivoire, la France vise à agir en complément d’une force multinationale africaine puis onusienne. Mais onze ans après celle-ci est toujours en cours et tente de réduire les dommages des guerres civiles successives. En 2013, elle est transmutée en une nouvelle opération baptisée Sangaris qui s’achève en 2016 sans pour autant signifier un total désengagement militaire.

    16Général Henri Bentégeat, entretien cité.

    17Général Jean-Louis Georgelin, 2 septembre 2014, Paris, entretien et correspondance avec l’auteur.

    18À la différence des entretiens hebdomadaires de Jacques Chirac avec son prédécesseur, Alain Richard, les chefs d’état-major particulier du président (successivement, Henri Bentégeat et Jean-Louis Georgelin) assisteront systématiquement à ces entretiens. Général Jean-Louis Georgelin, entretien cité.

    19Dulphy A. et Manigand C., « Entretien avec le général Henri Bentegeat », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 18, septembre-décembre 2012, [www.histoire-politique.fr], consulté le 10 mai 2014.

    20L’hypothèse de la mise en danger des ressortissants qui a justifié l’intervention aurait pu être battue en brèche En effet, deux jours auparavant (19 septembre), lors de la première offensive aucun ressortissant étranger n’avait été menacé et rien n’avait indiqué que les ressortissants constituaient une cible de la rébellion. Dans des circonstances assez voisines, à Noël 1999, alors que les putschistes contrôlaient la capitale économique, ils ne l’avaient pas été davantage. Lors des tentatives de coup d’État qui avaient suivi (2000 et 2001), Français et Occidentaux n’avaient pas été non plus inquiétés et les soldats français étaient restés l’arme au pied.

    21Le président de la République avait convoqué le Parlement en session extraordinaire le 16 janvier 1991. Il avait fait lire par les présidents des deux assemblées un message à la Nation. Le Premier ministre Michel Rocard avait soumis une déclaration de politique générale sur laquelle députés et sénateurs avaient été invités à se prononcer par un vote conformément à l’article 49 de la Constitution.

    22Bentégeat H., op. cit.

    23Villepin D. (de), Notre vieux pays, Paris, Plon, 2011.

    24L’initiative est attribuée publiquement au président gabonais, Omar Bongo qui, parti de Paris au lendemain du coup de force, le 20 septembre, profite d’une escale au Maroc pour convaincre le roi Mohamed V de la suggestion du Quai d’Orsay d’accueillir à Marrakech le jeudi 26 septembre, un sommet dit de bonne volonté. Le président congolais Sassou Nguesso, alors à Paris, et son homologue sénégalais séjournant dans le sud de la France, rejoignent l’initiative.

    25L’initiative française produira un refroidissement des relations avec le président togolais Eyadema qui refusera de rejoindre les quelques chefs d’État participant en janvier 2003 à la Conférence des chefs d’État pour la Côte d’Ivoire.

    26Ficatier J. et Ploquin J.-C., « Entretien avec Dominique de Villepin », La Croix, 16 décembre 2002.

    27Point de presse Laurent Gbagbo, [document audiovisuel], Conclusions de la conférence des chefs d’État. 26 janvier 2003 [http://news.abidjan.net/reportages/sommet_chefs_États/index.html], consulté le 12 août 2014.

    28Bruyères-Ostels W., « Outil militaire et politique africaine de la France depuis 1960 : tableau historiographique et perspectives de recherche », Relations internationales, no 165/2016, p. 3-21.

    29Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, [https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JOR-FTEXT000000467267], consulté le 3 février 2019. Exposé des motifs de la révision constitutionnelle de 2008, Assemblée nationale in [https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000018688554&type=expose], consulté le 3 février 2019.

    Auteur

    Benoît Roux

    Docteur en histoire contemporaine de l’université de Nantes. Avec sa thèse soutenue en 2017, il a mis à jour le processus de décision qui a conduit la France à intervenir dans la crise ivoirienne (2002-2011). Enseignant et consultant, il poursuit son exploration des modes de décision publique dans la gestion des crises.

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    1La mission s’achève le 26 janvier 2015. Les éléments résiduels de la force Licorne et les effectifs du 43e BIMA qui l’accueillait (cf. infra) sont rebaptisés Troupes françaises en Côte d’Ivoire (TFCI) constituant ainsi avec son équivalant au Gabon, une des deux bases opérationnelles avancées de l’armée française en Afrique.

    2Comme dans plusieurs autres pays d’Afrique, la France y dispose d’un Bataillon d’infanterie de marine, le 43e Bima. Cette implantation est un reliquat de la période coloniale et un témoin de la politique de coopération militaire engagée ensuite. Près de 500 soldats français y sont affectés plusieurs années ou quelques mois. Dans le cadre des accords de défense entre les deux pays, ils s’y entraînent et réalisent conjointement avec l’armée ivoirienne, la plupart des exercices dont cette dernière a besoin.

    3Roux B., La France et la crise ivoirienne, thèse de doctorat d’histoire, université de Nantes, 2017, [http://www.theses.fr/2017NANT2054].

    4Bentégeat H., Chefs d’État en guerre, Paris, Perrin, 2018.

    5Sous cette appellation d’accord de défense s’assemblent en réalité cinq textes. Le premier est un accord général, intitulé Accord de défense signé le 24 avril 1961, les autres sont des accords techniques de coopération militaire, signés entre 1965 et 1968. L’un d’entre eux est une convention concernant le maintien de l’ordre considérée comme caduque par Paris, mais qui n’a jamais été officiellement dénoncée. Un autre, celui qui sera au cœur de la mésentente entre Abidjan et Paris, implique « une garantie française en cas d’agression », selon la formule empruntée par les auteurs du rapport sénatorial d’information quelques années plus tard.

    6Bentégeat H., op. cit., p. 475.

    7Selon le témoignage du général Thorette qui est alors chef du cabinet militaire du ministre Alain Richard, « l’hypothèse formelle de l’intervention n’a même jamais été évoquée, intrinsèquement elle était hors de question ». Général Bernard Thorette, 24 septembre 2015, Paris, entretien avec l’auteur.

    8Dans ses mémoires, Jacques Chirac consacre un long chapitre à cette gestion du domaine réservé dans le contexte de la cohabitation. Chirac J. et Barré J.-L., Le temps présidentiel Mémoires 2, Paris, Nil éditions, 2011.

    9Smith S., « La Côte d’Ivoire cherche l’aide de la France », Le Monde, 19 juin 2001.

    10Ultérieurement Laurent Gbagbo affirmera dans un livre-témoignage publié alors qu’il est incarcéré par la CPI à La Haye, que cette visite avait avant tout pour but de faire de lui un des financiers de la future campagne présidentielle de Jacques Chirac. Mattei F., Laurent Gbagbo selon François Mattei : pour la vérité et la justice, Paris, Éditions du Moment, 2014. Des fonds livrés lors d’une seconde visite – officielle celle-ci – affirme le journaliste de RFI, Christophe Boisbouvier. Boisbouvier C., Hollande l’Africain, Paris, La Découverte, 2015.

    11En 1999, selon Olivier Schmidt, la France est engagée simultanément dans 27 Opex. Schmitt O., « Faire la guerre : interventions et conflits depuis 1962 », in Drevillon H. et Wierviorka O. (dir.), Histoire militaire de la France, tome II, Paris, Perrin, 2018. Un nombre cependant contredit par le tableau chronologique des Opex établi par l’historien et général Jean-Marc Marill qui ne contient que 12 opérations en cours de conduite au cours de l’année 1999. Chapleau P. et Marill J.-M., Dictionnaire des opérations extérieures de l’armée française de 1963 à nos jours, Paris, Nouveau monde éditions, 2018.

    12Schmitt O., op. cit.

    13Bentégeat H., op. cit.

    14Bentégeat H., 2 juin 2014, Paris, entretien et correspondance avec l’auteur.

    15Décidée en octobre 2002, l’opération Boali va engager la France bien au-delà de ses intentions initiales. Selon un schéma voisin de celui annoncé pour la Côte d’Ivoire, la France vise à agir en complément d’une force multinationale africaine puis onusienne. Mais onze ans après celle-ci est toujours en cours et tente de réduire les dommages des guerres civiles successives. En 2013, elle est transmutée en une nouvelle opération baptisée Sangaris qui s’achève en 2016 sans pour autant signifier un total désengagement militaire.

    16Général Henri Bentégeat, entretien cité.

    17Général Jean-Louis Georgelin, 2 septembre 2014, Paris, entretien et correspondance avec l’auteur.

    18À la différence des entretiens hebdomadaires de Jacques Chirac avec son prédécesseur, Alain Richard, les chefs d’état-major particulier du président (successivement, Henri Bentégeat et Jean-Louis Georgelin) assisteront systématiquement à ces entretiens. Général Jean-Louis Georgelin, entretien cité.

    19Dulphy A. et Manigand C., « Entretien avec le général Henri Bentegeat », Histoire@Politique. Politique, culture, société, no 18, septembre-décembre 2012, [www.histoire-politique.fr], consulté le 10 mai 2014.

    20L’hypothèse de la mise en danger des ressortissants qui a justifié l’intervention aurait pu être battue en brèche En effet, deux jours auparavant (19 septembre), lors de la première offensive aucun ressortissant étranger n’avait été menacé et rien n’avait indiqué que les ressortissants constituaient une cible de la rébellion. Dans des circonstances assez voisines, à Noël 1999, alors que les putschistes contrôlaient la capitale économique, ils ne l’avaient pas été davantage. Lors des tentatives de coup d’État qui avaient suivi (2000 et 2001), Français et Occidentaux n’avaient pas été non plus inquiétés et les soldats français étaient restés l’arme au pied.

    21Le président de la République avait convoqué le Parlement en session extraordinaire le 16 janvier 1991. Il avait fait lire par les présidents des deux assemblées un message à la Nation. Le Premier ministre Michel Rocard avait soumis une déclaration de politique générale sur laquelle députés et sénateurs avaient été invités à se prononcer par un vote conformément à l’article 49 de la Constitution.

    22Bentégeat H., op. cit.

    23Villepin D. (de), Notre vieux pays, Paris, Plon, 2011.

    24L’initiative est attribuée publiquement au président gabonais, Omar Bongo qui, parti de Paris au lendemain du coup de force, le 20 septembre, profite d’une escale au Maroc pour convaincre le roi Mohamed V de la suggestion du Quai d’Orsay d’accueillir à Marrakech le jeudi 26 septembre, un sommet dit de bonne volonté. Le président congolais Sassou Nguesso, alors à Paris, et son homologue sénégalais séjournant dans le sud de la France, rejoignent l’initiative.

    25L’initiative française produira un refroidissement des relations avec le président togolais Eyadema qui refusera de rejoindre les quelques chefs d’État participant en janvier 2003 à la Conférence des chefs d’État pour la Côte d’Ivoire.

    26Ficatier J. et Ploquin J.-C., « Entretien avec Dominique de Villepin », La Croix, 16 décembre 2002.

    27Point de presse Laurent Gbagbo, [document audiovisuel], Conclusions de la conférence des chefs d’État. 26 janvier 2003 [http://news.abidjan.net/reportages/sommet_chefs_États/index.html], consulté le 12 août 2014.

    28Bruyères-Ostels W., « Outil militaire et politique africaine de la France depuis 1960 : tableau historiographique et perspectives de recherche », Relations internationales, no 165/2016, p. 3-21.

    29Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, [https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JOR-FTEXT000000467267], consulté le 3 février 2019. Exposé des motifs de la révision constitutionnelle de 2008, Assemblée nationale in [https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000018688554&type=expose], consulté le 3 février 2019.

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    Roux, B. (2020). Le déclenchement de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire en 2002-2003 : le début d’une nouvelle période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ?. In M. Catala (éd.), L’Europe et l’Afrique (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/13vuf
    Roux, Benoît. « Le déclenchement de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire en 2002-2003 : le début d’une nouvelle période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ? ». In L’Europe et l’Afrique, édité par Michel Catala. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2020. https://doi.org/10.4000/13vuf.
    Roux, Benoît. « Le déclenchement de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire en 2002-2003 : le début d’une nouvelle période dans le rapport singulier de la France avec l’Afrique ? ». L’Europe et l’Afrique, édité par Michel Catala, Presses universitaires de Rennes, 2020, https://doi.org/10.4000/13vuf.

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    Catala, M. (éd.). (2020). L’Europe et l’Afrique (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/13vzp
    Catala, Michel, éd. L’Europe et l’Afrique. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2020. https://doi.org/10.4000/13vzp.
    Catala, Michel, éditeur. L’Europe et l’Afrique. Presses universitaires de Rennes, 2020, https://doi.org/10.4000/13vzp.
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