Introduction
p. 9-12
Texte intégral
1L’Afrique subsaharienne a toujours été un espace d’étude privilégié du Centre de recherches en histoire internationale et atlantique depuis sa création en 1984, bien que le CRHIA ne soit pas un laboratoire spécialisé en études africaines. En histoire moderne, l’histoire de la traite puis l’histoire atlantique ont toujours placé l’Afrique au cœur des travaux des historiens nantais, de Serge Daget à Guy Saupin et à Antonio Almeida Mendes. Le CRHIA a également privilégié le recrutement d’enseignants-chercheurs spécialistes de l’Afrique contemporaine (Alain Tirefort, Bernard Salvaing, et dernièrement Céline Pauthier), tandis que leurs collègues spécialistes d’histoire coloniale (Jacques Weber), d’histoire religieuse (Marcel Launay, Rémi Fabre) ou d’histoire des relations internationales (Yves-Henri Nouailhat, Michel Catala) lançaient également des recherches sur les questions africaines dans leurs domaines d’études, profitant notamment des fonds particulièrement riches des archives des postes français en Afrique conservés au Centre des archives diplomatiques de Nantes. Notre collection Enquêtes et documents reflète cette orientation avec plusieurs numéros consacrés à l’histoire de l’Afrique, d’abord les quatre numéros intitulés Nantes Afrique Amériques publiés dans les années 1980, puis le no 26 en 2000 intitulé La Côte d’Ivoire : regards croisés sur les relations entre la France et l’Afrique, dirigé par Alain Tirefort et Rémi Fabre, le no 33 en 2006 intitulé Guerres et paix en Afrique noire et à Madagascar xixe et xxe siècle dirigé par Alain Tirefort (plusieurs collègues d’Abidjan avaient participé à ces deux numéros), et plus récemment le no 52 en 2015 intitulé Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes dans l’Afrique d’aujourd’hui dirigé par Bernard Salvaing1.
2Le no 26 de notre collection était déjà le fruit des coopérations solides lancées dès les années 1990 avec l’Université Cocody d’Abidjan, désormais dénommée université Félix Houphouet-Boigny, notamment avec le professeur Simon Pierre Ekanza2. De multiples échanges d’enseignants ont lieu à cette époque et aboutissent à la soutenance à Nantes en 2005 de la thèse de doctorat d’histoire moderne d’Aka Kouamé3. La guerre et le conflit ivoirien ont suspendu ces échanges qui ont finalement repris à partir de 2011 avec 9 la signature d’un nouvel accord de coopération aboutissant au lancement de plusieurs doctorats en cotutelle entre les deux universités4. Au total, huit doctorants ivoiriens ont été accueillis au CRHIA depuis huit ans, et déjà trois thèses ont été soutenues5. Au-delà de cette belle coopération franco-ivoirienne, ce sont dix thèses de doctorat sur l’histoire de l’Afrique subsaharienne aux époques moderne et contemporaine qui ont été soutenues au CRHIA à Nantes depuis 20106. Quatorze thèses sur l’histoire de l’Afrique subsaharienne sont en cours en 2020 (dix à Nantes et quatre à La Rochelle), soit 23 % des thèses en histoire moderne et contemporaine, ce qui démontre une nouvelle fois la place importante de l’histoire de l’Afrique au sein de notre laboratoire7.
3Cette présence de doctorants ivoiriens et africains au CRHIA nous a incité à organiser trois journées d’études doctorales successives, en 2017, 2018 et 2019, sur les crises et les conflits en Afrique, et notamment les relations entre les deux continents, l’Europe et l’Afrique, depuis les indépendances jusqu’aux temps présents. Les deux premières journées étaient centrées sur les questions politiques et militaires, la dernière sur les questions économiques, dans une perspective résolument tournée vers l’histoire des relations internationales. Les contributions rassemblées ici ont fait l’objet de communications dans le cadre de ces journées. Trois thèmes sont abordés successivement par des doctorants mais également par les enseignants-chercheurs confirmés français, européens et ivoiriens.
4La première partie rassemble quatre communications sur les interventions étrangères dans les conflits liés aux indépendances et à leurs conséquences des années 1960 aux années 1980, dans le contexte de la guerre froide. Roseline Kouamé et Walter Bruyère-Ostells nous présentent deux cas d’interventions des puissances européennes dans des guerres civiles « post-indépendances », au Congo en 1964-1965, et au Nigéria lors de la guerre du Biafra entre 1967 et 1970. Les deux articles s’intéressent tout particulièrement au rôle joué par les mercenaires français et européens dans ces guerres civiles, comme force militaire nécessaire à la résolution des conflits mais aussi dans une fonction de protection des intérêts européens sur place et de vecteurs d’une influence stratégique. Walter Bruyère-Ostells nous montre la complexité des réseaux d’influence utilisés par la France dans le cadre de ses interventions au Biafra, et finalement la spécificité du terrain africain pour l’ancienne puissance coloniale. Lobry Abel Bagnon présente l’indépendance tardive de Djibouti sous la protection militaire française dans une région en proie à de multiples conflits dans le cadre de l’irruption de l’URSS dans une Corne de l’Afrique devenue un enjeu essentiel des relations internationales. Enfin, Yannick Effoussou revient sur un autre conflit de la guerre froide en Afrique, la guerre angolaise marquée par l’intervention des Soviétiques et des Occidentaux par l’intermédiaire de leurs auxiliaires cubains et sud-africains.
5La seconde partie est centrée sur la diversité des nouveaux conflits en Afrique depuis la fin de la guerre froide. Yao Kouassi commence par nous présenter les grandes caractéristiques de la conflictualité et des nouvelles menaces (terrorisme, trafics, piraterie) sur un continent en mutation accélérée dans le cadre d’une mondialisation qui la transforme rapidement. Il nous rappelle également les difficultés pour apporter des réponses africaines et internationales à ces enjeux. Guessan Kouadiou et Benoît Roux reviennent tous les deux sur l’un des principaux conflits qui frappe l’Afrique de l’Ouest dans les années 2000, la crise franco-ivoirienne, chacun dans une perspective différente. Notre collègue ivoirien tente de l’expliquer en présentant les origines et les manifestations du conflit en 2004, tout autant politiques qu’économiques. Benoît Roux revient quant à lui sur le déclenchement de l’intervention et le processus de décision français, soulignant les permanences et les mutations de la politique africaine de la France. Enfin, Mathilde Leyendecker et Sergiu Miṣcoiu nous entraînent vers un autre conflit plus méconnu, en Casamance, en retraçant les itinéraires très hétérogènes des combattants indépendantistes plus ou moins convertis à l’action politique après l’essoufflement de la lutte armée, l’histoire d’une difficile sortie de guerre par le recueil des témoignages d’hommes engagés dans la lutte.
6La dernière partie est issue des travaux de la troisième journée consacrée aux relations économiques entre l’Europe en construction et les pays africains depuis les années 1980, relations compliquées par la globalisation et par l’irruption des contentieux politiques dans des rapports asymétriques où la compétition l’emporte de plus en plus sur la coopération et l’aide au développement. Loukey Kouamé Yocoly commence par aborder une crise où les enjeux économiques et politiques s’entrecroisent, la lutte contre l’Apartheid au milieu des années 1980 et la décision difficile de mettre en place des sanctions économiques européennes contre l’Afrique du Sud. Ou comment les intérêts économiques viennent contrarier et retarder une politique de sanctions qui pouvait pourtant donner une nouvelle dimension internationale à la CEE. À la même époque, Guia Migani nous présente l’évolution de la politique de coopération et d’aide au développement de la CEE, notamment sa politique en direction des pays ACP mise en place à Lomé en 1975 et régulièrement réformée jusqu’au milieu des années 1990. Cette politique s’adapte au nouveau contexte, réoriente ses priorités économiques et introduit une dimension politique plus affirmée, alors que la priorité africaine est remise en cause par la mondialisation de la politique européenne. Enfin, les deux dernières interventions s’attachent à des problématiques d’histoire immédiate. Sabikou Moumouni nous présente les évolutions de la politique européenne en direction de l’Afrique depuis 20 ans (notamment les fameux accords APE) sous l’effet de l’irruption de nouveaux acteurs sur le continent, la Chine et les émergents. Lorraine Stravens prend l’exemple de l’évolution des coopérations décentralisées menées par les autorités locales et régionales françaises pour illustrer les changements des objectifs et les remises en cause des fondements des politiques européennes d’aide au développement en Afrique. Décidément, ce continent a beaucoup changé en cinquante ans d’indépendance, et ses rapports avec l’Europe et notamment avec la France ont évolué considérablement. Ce volume, en se risquant à aborder la question sur le temps long, illustre parfaitement ces profondes mutations.
7À Nantes, ces recherches sur l’Afrique et ses relations avec l’Europe ont été financées grâce au soutien de l’axe 4 l’Europe, les Européens et le monde du labex EHNE, Écrire une histoire nouvelle de l’Europe coordonné avec Virginie Chaillou-Atrous, et de l’Institut d’études européennes et globales Alliance Europa. Nous tenons également à remercier les collègues qui ont accepté de participer à l’animation de nos journées d’études, notamment les professeurs Bernard Salvaing, Walter Bruyère-Ostells et Sergiu Mişcoiu. Enfin, rien n’aurait été possible sans le concours des doctorants associés à la préparation des trois journées d’études, Lobry Abel Bagnon, Roseline Amenan Kouamé, Loukey Kouamé Yocoly, Lorraine Stravens et Sabikou Moumouni, sans le soutien d’Aurélie Cloarec et de Sacha Crusson pour l’organisation, et sans la confiance du directeur du CRHIA, Éric Schnakenbourg.
Notes de bas de page
1Bernard Salvaing a également organisé un colloque international en 2014 sur l’histoire des missionnaires aux xixe et xxe siècles, publié aux éditions Khartala en 2016, avec le concours du regretté Jean-Marie Bouron, auteur d’une thèse très remarqué sur la christianisation de l’Afrique de l’Ouest soutenu à Nantes en 2013.
2D’autres coopérations existent entre le CRHIA et des universités africaines, notamment l’université Cheik Anta Diop de Dakar, mais aussi de manière plus ponctuelle avec des universités sénégalaise, camerounaise, guinéenne et gabonaise.
3Kouamé A., Les cargaisons de traite nantaise au xviiie siècle : une contribution à l’étude de la traite négrière française, université de Nantes, 2005, sous la direction de Christian Hermann.
4Cet accord concerne l’ensemble de l’université de Nantes et se traduit également par des diplômes communs de masters en droit maritime et en géographie.
5Séverin Angoua en histoire moderne en 2014 sous la codirection de Guy Saupin et René Allou Kouame, Flubert Ettien en 2015 en histoire médiévale sous la codirection de John Tolan et de Simon Pierre Ekanza, Bi kakou Kouakou en 2017 en histoire moderne sous la codirection de Guy Saupin et d’Aka Kouame. En histoire contemporaine, trois thèses d’histoire des relations internationales et d’histoire militaire ont été lancées en cotutelle entre Michel Catala et Yao Kouassi. Après la disparition brutale et prématurée du professeur Kouassi en 2018, Aka Kouamé et Guessan Kouadio ont pris la codirection de ces thèses.
6Sous la direction de Bernard Salvaing, Guy Saupin, Jacques Weber et Michel Catala. Soit 25 % des thèses d’histoire moderne et contemporaine soutenues à Nantes depuis dix ans.
7Des coopérations sont également lancées avec des universités d’Europe centrale (Varsovie, Pecs et Cluj Napoca notamment) sur les relations entre l’Europe centrale et l’Afrique depuis les indépendances, notamment dans le cadre de l’Institut d’études européennes et globales Alliance Europa.
Auteur
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Nantes, est membre du Centre de recherches en histoire internationale et altantique qu’il a dirigé de 2005 à 2016. Directeur de l’Institut d’études européennes et globales Alliance Europa, il travaille sur l’histoire des relations internationales au xxe siècle, sur les relations Europe Afrique et sur l’histoire de la construction européenne.

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