In memoriam : Gérard Louise
p. 9-11
Texte intégral
1Le présent volume d’Enquêtes et documents. Économie et société de l’Ouest du Moyen Âge aux Temps modernes, est dédié à la mémoire de Gérard Louise, professeur d’histoire médiévale à l’université de Nantes et chercheur au CRHMA. Gérard Louise nous a quittés le 10 juillet 2001 au terme d’une courte et implacable maladie. À son épouse et à ses deux fils si cruellement affectés vont nos pensées les plus amicales.
2Parmi les historiens nantais, tous vivement émus par sa disparition brutale, notre collègue a laissé l’image toujours bien vivante d’un homme modeste, affable et d’une remarquable disponibilité. Après une carrière itinérante de professeur de l’enseignement secondaire dans différents collèges et lycées à Liévin, Montivilliers, Pornic, Le Mans et Nantes, il avait effectué un cursus universitaire classique comme maître de conférences puis comme professeur à l’université Bordeaux III-Michel de Montaigne. À la rentrée 1999, il avait rejoint le département d’histoire de l’université de Nantes et s’y était parfaitement intégré, ne tardant pas à mettre en place un dispositif de recherche dans son domaine.
3Chercheur infatigable et d’une très solide érudition, Gérard Louise s’était spécialisé dans la période des Xe-XIIe siècles, traditionnellement qualifiée de féodale par l’historiographie. Il y pratiquait, avec une égale compétence, à la fois l’histoire sociale et la Siedlungsgeschichte. Dans ce cadre, il accordait une attention particulière à l’habitat aristocratique et à la dévolution du ban seigneurial. Formé à l’école du doyen Michel de Boüard, de Lucien Musset et d’André Debord pendant ses études à l’université de Caen, il savait conjoindre, avec une rare maîtrise, les données croisées des sources écrites, de la toponymie et des enquêtes archéologiques. Dès ses premiers travaux sur « la dîme dans l’Ouest ornais », Le Pays Bas-Normand, n° 141, 1976 ou sur « le peuplement de l’ancienne vicaria d’Alençon à la fin du Xe siècle », Le Pays Bas-Normand, n° 174, 1984, mais plus encore dans sa thèse de doctorat d’État, La seigneurie de Bellême (Xe-XIIe siècles). Dévolution des pouvoirs territoriaux et construction d’une seigneurie aux confins de la Normandie et du Maine à la charnière de l’an mil, soutenue en 1988 et publiée par Le Pays Bas-Normand dans ses numéros 199, 200, 201 et 202 (1990, nos 3 et 4 ; 1991, nos 1 et 2), Flers, 1992-1993, il avait forgé une méthode et s’y tenait avec une grande rigueur : choisir, dans la tradition historiographique française de la monographie régionale, un espace limité et en analyser de manière approfondie sinon exhaustive les structures économiques, les composantes sociales et religieuses, les réseaux constitutifs. Le territoire privilégié de sa recherche était son cher bocage normand et plus particulièrement la seigneurie de Bellême, une seigneurie de marche établie sur un immense saltus de hauteurs forestières en marge de pouvoirs déjà constitués, aux confins de la Normandie et du Maine. Dans sa thèse, il avait su renverser la perspective habituelle de l’érudition : au lieu de partir une nouvelle fois de la généalogie plus ou moins bien démêlée des Bellême, il s’était d’abord attaché à présenter la seigneurie, sa formation, son territoire, sa place dans la géographie politique de l’Ouest. Reprise avec un sens critique aiguisé, l’étude du lignage ouvrait alors fort logiquement sur une analyse des pouvoirs et du rôle des châteaux dans la seigneurie. L’espace seigneurial était ainsi appréhendé comme un objet historique complexe soumis aux approches entrecroisées.
4Gérard Louise avait un sens très développé du document ; il savait interroger avec la même pertinence la belle notice du XIe siècle et la matrice cadastrale des années 1820 ou 1830, susceptible d’éclairer l’environnement d’une motte castrale. Il était sans conteste l’un des meilleurs connaisseurs des sources normandes et mancelles des Xe-XIIIe siècles. Il a, au demeurant, publié un Catalogue des actes des comtes d’Artois pour le Domfrontais conservés aux archives départementales du Pas-de-Calais (1226-1318), Le Pays Bas-Normand, n° 198 (1990, n° 2), p. 3-138. Au fil de ses recherches, il avait élargi le territoire de ses investigations bien au-delà de sa spécialité de base, l’habitat aristocratique. Dans sa contribution « Népotisme épiscopal et politique capétienne dans la cité du Mans (Xe-XIe siècle) » aux mélanges Bernard Guillemain, Les prélats, l’Église et la société, XIe-XVe siècles, Bordeaux, 1994, p. 29-40, il présentait ainsi, en partant du contexte grégorien des années 1050, une remarquable étude de l’évêché du Mans comme enjeu stratégique de la politique vers l’ouest des Robertiens-Capétiens, dans le cadre du vieux ducatus cenomannicus des temps mérovingiens et carolingiens. Lors d’un colloque sur « Les petites villes et la politique », il s’interrogeait à propos des Pagenses, Burgenses et autres Municipes sur les origines de la représentation collective des petites communautés urbaines des confins de la Normandie et du Maine entre le XIe et le XVe siècle.
5Gérard Louise participait activement aux colloques internationaux Château-Gaillard. Études de castellologie médiévale et il était devenu, après la disparition d’André Debord, l’un des organisateurs des Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire en Périgord. Il avait également apporté sa contribution à la monumentale entreprise de l’Atlas historique des villes de France (Centre Charles Higounet, université Bordeaux III) avec l’Atlas historique de la ville d’Alençon, Paris, éd. du CNRS, 1994. En collaboration avec André Debord, il s’était chargé de l’« espace normand et manceau » dans l’Atlas de la France de l’an mil, Paris, 1994. La mort l’a surpris alors qu’il avait presque achevé la partie médiévale de l’Histoire du Bocage normand. Au présent volume d’Enquêtes et documents, nul doute qu’il aurait donné une savante étude sur les bourgs ou sur le peuplement d’une zone de marche. Lui dédier n’en est que plus légitime.
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