1Les élites de l’Ouest français du XVIII^e siècle ont appris aisément à connaître les îles d’Amérique française, la circulation des informations et des personnes empruntant volontiers les mêmes voies que celle des marchandises et des capitaux, en articulant les villes et leurs espaces ruraux d’influence avec Nantes, grand port d’entrée et de sortie du commerce international relié profondément à l’intérieur du royaume par le réseau hydrographique ligérien. La fonctionnalité duale de cette grande ville, deuxième pôle administratif de Bretagne, disposant d’une capacité d’attraction sociale interrégionale par la présence de la Chambre des comptes de cette province, a élargi au-delà des seuls milieux commerciaux l’intérêt pour cet horizon antillais, principalement dominguois, à travers les croisements des réseaux parentaux et de sociabilité. Les potentialités célébrées des terres coloniales pour accélérer l’enrichissement des familles ambitieuses en quête de promotion sociale en ont conduit certaines à tenter directement l’aventure antillaise ou à simplement s’y associer par la récupération d’héritages provenant d’alliances avec des familles créoles. Laissant de côté la question de la formation des réseaux marchands dans l’espace atlantique, l’interrogation porte ici sur les comportements de familles dont le patrimoine est principalement terrien1. Elle se dédouble en associant l’analyse de l’importance de la circulation des individus et des familles entre les deux rives de l’Atlantique et la logique de l’enchaînement du renforcement des patrimoines métropolitains et antillais. En tentant de mesurer le degré d’américanisation de lignages nobles de l’Ouest français, il s’agit de mieux comprendre les forces et les faiblesses de la construction d’un Atlantique français au XVIII^e siècle.

LA FAMILLE PAYS

2La famille Pays est liée par plusieurs branches à la mise en valeur de Saint-Domingue. Celle de Bourjolly, originaire de La Rochelle selon Moreau de Saint-

3Méry, y est présente dès la fin du XVII^e siècle. Celle dont nous suivons la progression vient du Maine2. Donatien Pays, né en 1675, à Savigny-sous-Rillé, a émigré avant 1700 puisqu’à cette date il fait déjà venir des engagés en tant que « marchand et habitant », ce qui sous-entend une activité mixte imposée par les débuts de l’installation. Sa chance, qui reste encore impossible à commenter, est d’avoir pu épouser Françoise-Geneviève Grandhomme, ce qui l’introduit dans la parenté d’une famille originaire de la paroisse du Lude, en Anjou, ayant joué un rôle essentiel dans la montée en puissance de Saint-Domingue. Même si la plus belle réussite économique et sociale est associée à la branche de Gizeux3, l’aura du patronyme profite cependant à la branche aînée à laquelle appartient son épouse. Le père de cette dernière, Jacques Grandhomme, dispose d’une assise suffisante pour tenir le capitanat des milices de Léogane au tout début du XVIII^e siècle ; sa tante, Geneviève Grandhomme, a épousé André I Giroust, conseiller au conseil supérieur du Petit Goave, puis de Léogane, signe évident de notabilité.

4Après le mariage célébré en 1707 à la Croix des Bouquets, au quartier de Léogane, le couple est resté vivre à Saint-Domingue où sont nés les sept enfants. Nous n’avons pas de renseignements sur le capital foncier et les activités exactes de Donatien Pays, à l’exception d’une donation de 1711, reçue par testament de l’oncle par alliance de son épouse, André Giroust déjà cité4. Il s’agit de la plantation de la Petite Rivière, dans la plaine de Léogane, conservée par la famille puisque citée dans l’indemnité de 1832 pour une superficie de 248 carreaux5. La mort prématurée de Donatien Pays à 50 ans en 1725, laissant des enfants entre 18 et 5 ans, paraît avoir orienté sa veuve vers l’assurance de leur avenir en métropole plutôt qu’aux îles. En 1729, elle mène ainsi deux opérations immobilières d’envergure conjuguées à une procédure d’achat d’anoblissement au profit de son aîné. Pour ce dernier, André-Donatien Pays (1707-1747), sa mère négocie parallèlement les acquisitions de lettres de noblesse, publiées sous forme de lettres patentes le 13 juin 1729 et enregistrées à la Chambre des comptes de Paris le 17 juin suivant, et de l’importante seigneurie de Lathan, située dans le Baugeois. L’acte est passé au Châtelet de Paris, le 21 juillet 1729 : les Frézeau de La Frézelière cèdent la propriété qu’ils possédaient depuis 1620 contre un versement immédiat de 6 500 livres tournois et une rente viagère de 3 000 livres par an6. L’ensemble, qui s’étend sur quatre paroisses, est centré sur celle du Breil où se trouvent le château et l’église portant le patronage curial, bénéficie du droit de haute justice et structure la gestion du domaine à travers sept exploitations agricoles. Le jeune héritier de 22 ans a été aussi intégré comme mousquetaire de la Garde du roi et porté sur l’état des officiers de la vénerie royale. L’étalement du paiement permet l’achat d’une seconde seigneurie, dite de Bouillé, près de Doué-la-Fontaine dans la partie sud de l’Anjou, pour la somme de 52 000 livres tournois, dont il est précisé qu’elle sera versée en « marchandises de sucre » à sortir des plantations familiales.

5Si Françoise-Geneviève Grandhomme a pensé la promotion sociale de ses enfants dans le cadre métropolitain suivant le modèle le plus traditionnel, elle n’en a pas pour autant rompu avec l’horizon américain qui a magnifiquement servi de tremplin social à sa famille depuis la fin du XVII^e siècle. Elle recherche ainsi systématiquement des mariages créoles pour ses fils. L’aîné, solidement installé et lancé, épouse en 1729, à Léogane, Catherine Gauvin de Vaumartin, fille de Jean-François Gauvain, planteur du quartier et capitaine des milices du Cul-de-Sac. La concentration de toutes les initiatives sur la même année de 1729 prouve combien l’ensemble a été bien organisé et laisse à penser à une association de deux investissements antillais tirés des profits des habitations coloniales. Catherine Gauvain était en effet une belle héritière. Son père, décédé en 1721, lui avait laissé deux habitations qu’il avait bien améliorées durant sa vie, associant héritage par alliance et acquisition de terres complémentaires7. La plantation de Surène avait pour base une exploitation sucrière située au Cul-de-Sac, héritée, en indivision avec son frère, par son épouse, Marie Lebé, à la mort de leur père en 1711. Dès 1712, le couple en avait l’entière propriété, et l’augmentait de deux places à vivres en 1715. L’ensemble est légèrement amélioré par l’addition d’une concession en 1734. Un acte de 1770 lui attribue une superficie de 150 carreaux. La seconde habitation, dite de la Haste, résulte de la réunion de trois terrains : le premier acquis en 1700, le deuxième en 1708, et le troisième en 1744 par André-Donatien Pays lui-même. L’ensemble constitué est estimé à 267 carreaux par un inventaire de 1784, soit 126 carreaux pour la plantation de sucre et 141 carreaux pour la hatte lui servant de réserve.

6Le deuxième fils, Jacques-Marie Pays, seigneur de Rosseau (1715-1799) a suivi une carrière militaire qui en a fait un capitaine au régiment de Berry et lui a valu l’admission comme chevalier dans l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Le troisième fils, François-Charles Pays, seigneur du Vau (1719-1794), a épousé lui aussi une riche créole, Marie-Anne Lechat des Landes, fille de feu Mathurin-André, ancien capitaine des milices de Léogane, membre d’un des lignages les importants dans la fondation et l’organisation de la colonisation à Saint-Domingue8. Ce cadet a opté pour les offices angevins pour améliorer sa position sociale en France. Il est ainsi second président du présidial d’Angers lorsqu’il est élu maire de la ville en 1747. À sa sortie de charge en 1750, il peut bénéficier du privilège municipal d’anoblissement pour intégrer à son tour le second ordre. On ne peut que mettre en rapport cette saisie de la présidence du bureau de ville avec le décès de son frère aîné la même année, sans pouvoir établir de preuves de cause à effet. Les malheurs de la vie l’ont obligé à revenir au sein de la cour d’Angers alors qu’il avait quitté celle-ci après son mandat municipal. Il avait pris la précaution d’acquérir pour son fils l’office de lieutenant général civil en la sénéchaussée et siège présidial d’Anjou, mais le décès de ce dernier en août 1783 le conduit à siéger lui-même à partir du 5 février 1784. Il a organisé son existence entre sa maison d’Angers et le domaine du Rosseau, acquis par ses ancêtres en 1666, bel ensemble composé d’une métairie et de douze closeries, estimé à 200 hectares et 180 000 livres tournois en 1798. Cette implantation entièrement angevine ne lui fait pas oublier les horizons dominguois9. Il est intéressé partiellement dans quatre habitations : pour un tiers avec son épouse et son beau-frère dans deux habitations du quartier des Citronniers (la sucrerie Beaulieu et la caféière Latour), pour deux cinquièmes dans l’habitation Gasnetière à Port-au-Prince, héritée d’Anne-Geneviève Grandhomme, et pour une part inconnue dans la sucrerie Bon Repos, propriété du duc de Brancas à la Croix-des-Bouquets.

7Le quatrième fils, Joseph-Donatien Pays, seigneur de Bouillé, a opté pour l’anoblissement par les offices de la Chambre des comptes de Bretagne. Un office d’auditeur est acquis dès 1743, à l’âge de 23 ans, trois ans avant son mariage avec Luce Thomazou, dans l’église Saint-Nicolas de Nantes, le 5 juillet 1746. La jeune épouse est aussi une créole, native de la paroisse du Cul-de-Sac. Leur fils Charles-Marie entre aussi à la Chambre des comptes en 1775 pour respecter les règles de l’anoblissement graduel, son père étant mort en charge en 1771. Malheureusement pour cette branche, la Révolution française, en supprimant tous les privilèges et la société des ordres et des états, a balayé toute cette stratégie.

8Dans la filiation de la branche aînée des Pays de Lathan, l’intérêt pour le mariage créole est parfaitement confirmé à la troisième génération. Cependant, le retour massif de la deuxième génération vers les seigneuries angevines, les carrières militaires continentales ou les offices royaux de la cour d’Angers, semble avoir distendu la connaissance réelle des positions des familles à Saint-Domingue. L’absence totale de circulation, même pour de rapides inspections des habitations, affaiblit d’autant la qualité de l’information sur la solidité des partis, à moins que l’évolution des mœurs dans cette seconde moitié du XVIII^e siècle, où triomphe le romantisme de Rousseau, ne fasse passer les sentiments avant les calculs de rentabilité. Quoi qu’il en soit, le mariage créole de Jacques-Marie Pays de Lathan, militaire de son état et honoré de l’admission dans l’ordre de Saint-Louis comme son oncle, est très loin d’être une bonne affaire. En juin 1771, cet homme de 37 ans (1734-1814) a épousé une jeune fille de 19 ans, Françoise Ferron de Ferréol (1752-1817), dont la famille a tenté sa chance à Saint-Domingue au XVIII^e siècle. Il existe des liens entre les Pays et les Ferron, même s’ils paraissent venir d’un rameau plus effacé. Le couple s’est ainsi rencontré à Lathan en 1769, à l’occasion d’un baptême d’une fille d’un parent des Pays de Lathan, travaillant comme intendant au château.

9La famille Ferron est originaire du Dauphiné, mais ses membres n’ont pas hésité à se déplacer pour assurer leur promotion sociale. La plus ancienne liaison avec Saint-Domingue renvoie à l’installation du grand-père de l’épouse, Jean-Baptiste Ferron, conseiller au conseil souverain de Léogane, mais aussi à l’alliance d’Adrienne-Félicienne Ferron et de Charles-Michel Bizoton, lieutenant du roi à Saint-Marc, dont la famille était implantée dans l’île depuis 1716 et dont le père, Charles-Nicolas, avait été conseiller garde des sceaux au conseil supé- rieur de Léogane10. Les affaires directement familiales n’ont pas dû être fructueuses puisqu’il ne reste rien des possessions du grand-père au milieu du XVIII^e siècle. La seule implantation est celle de l’oncle de l’épouse, Ferron de Callignon, pour une indivision sur une habitation nommée la Motte Bizoton, portant le nom des copropriétaires, ce qui renvoie à l’alliance mentionnée. En effet, Jean Ferron, père de Françoise, a d’abord vécu à Paris où il est identifié comme avocat au Parlement. Toutefois, en 1753, il décide de passer à Saint-Domingue avec son épouse et leur fille âgée seulement d’un an. L’acquisition d’une habitation dans le quartier du Boucassin se traduit par un échec très rapide. Au bout de cinq ans, incapable de faire face aux échéances de paiement, il doit se retirer au profit de son vendeur, avec 80 000 livres de dettes liées pour l’essentiel au remboursement d’une « très grande quantité de nègres » qui avaient péri. Il dut chercher refuge chez son frère. À sa mort, le 11 février 1762 à Port-au-Prince, il ne disposait d’aucun immeuble personnel à Saint-Domingue, ce qui ne dit rien d’une possible propriété métropolitaine qui semble assurée par la suite des événements. Françoise Ferron, âgée de dix ans, est placée sous la tutelle de sa mère qui acquiert la même année une maison d’une valeur de 11 000 livres à Port-au-Prince. On ne peut que se poser la question de l’origine et de la méthode du financement ? Une seconde, d’une valeur de 30 000 livres, vient s’ajouter en 1765. Malheureusement pour cette famille, ces deux biens sont très affectés par le grand tremblement de terre du 3 juin 1770.

10Le mariage de l’écuyer Jacques-Marie Pays, seigneur de Lathan en 1771 ne paraît donc pas relever d’une pure logique financière ou alors il s’agit davantage d’un appui protecteur envers une famille insérée dans le réseau de patronage familial que d’un choix stratégique destiné à accélérer l’ascension du lignage. Le seul doute vient de l’hypothèse d’une récupération de la moitié de l’habitation de Ferron de Callignon dont Françoise est la seule héritière et dont le décès pourrait bien expliquer la seconde acquisition et la réalisation du mariage. Si cette hypothèse est la bonne, la clôture du compte de tutelle, le 12 juillet 1775, a dû être une terrible désillusion11. Les époux Bizoton, qui ont profité du décès pour supprimer l’indivision, étaient donc redevables de 100 000 livres, versées pour moitié en capital, pour moitié en rente. En additionnant les dettes paternelles dont il reste plus de la moitié à payer et les frais occasionnés par l’achat des deux maisons et de leurs réparations, le couple angevin se trouve redevable de 45 649 livres vis-à-vis de Gabrielle Ponsignon, veuve Ferron, charge dont il se libère en lui cédant la propriété des deux maisons. La part de l’oncle étant engloutie dans le remboursement des dettes, les jeunes époux doivent encore prendre sur leurs ressources propres pour financer les frais de restitution de dot leur mère et belle-mère, estimés à 8 700 livres tournois.

11Ces déboires financiers n’empêchent pas Jacques-Marie Pays de Lathan d’avoir de grands projets pour sa seigneurie, ambition qu’il n’a pas pu totalement satisfaire. Plus que pour son château, le domaine valait surtout pour la beauté de son parc aménagé par les Frézeau au XVII^e siècle sur le modèle des grands jardins à la française de la noblesse de cour. Celui-ci a été non seulement protégé, mais amélioré dans les deux dernières décennies de l’Ancien Régime. Il s’est agrémenté du pavillon de la Gloriette, construction en pierres et tuiles jetée sur la rivière Lathan, dans l’alignement du canal et du château, mais aussi d’une fabrique appelée Trianon. L’ambition la plus grande s’est concrétisée dans la volonté de reconstruire le château puisque des plans ont été demandés en 1773 à Victor Louis12, le célèbre architecte du roi de Pologne Stanislas Poniatowsky. Est-ce la démesure de la commande ou la concurrence de la construction du grand théâtre de Bordeaux, toujours est-il qu’on en est resté au niveau des plans, à l’exception de la réalisation d’une orangerie à l’est et de dépendances à l’ouest. Si la forme extérieure du château est demeurée en l’état, l’intérieur a été profondément revu pour s’adapter aux nouvelles conditions de confort et de recherche d’intimité exigées dans les élites sociales à la fin du XVIII^e siècle. On est ainsi passé de neuf grandes salles à une trentaine de pièces.

LA FAMILLE GALBAUD

12Il convient d’aborder avec un esprit très critique les écrits anciens cherchant à établir l’ancienneté de noblesse des Galbaud. Au contraire, leur itinéraire social renvoie à la progression lente, mais régulière, à travers les fonctions judiciaires de la ville de Nantes, menant à l’anoblissement grâce aux privilèges de la Chambre des comptes de Bretagne. Dans ce schéma d’ascension sociale, les acquisitions de biens fonciers dans la proche couronne de la ville sont des plus classiques pour cette bourgeoisie juridique en mutation d’ordres. Préparée par les relations de parenté avec des familles déjà intéressées par Saint-Domingue au début du XVIII^e siècle, l’implantation antillaise repose sur l’héritage apporté par les femmes à partir d’une alliance en 1735 d’un fils d’auditeur avec une fille de négociant nantais de seconde catégorie. Ensuite, la famille partage réellement son existence entre les deux côtes de l’Atlantique, avant que les événements révolutionnaires ne viennent la projeter brièvement, mais dramatiquement, sur la scène américaine.

13Le premier membre de la lignée vraiment établie13 et pour lequel il est possible de dresser un sommaire portrait social s’appelle François Galbaud. C’est un maître pâtissier de la paroisse portuaire Saint-Nicolas de Nantes dont la boutique devait bien tourner, puisqu’elle avait permis l’acquisition de biens fonciers, comme l’indique la mention de « sieur de la Barrière » présente sur tous les actes le concernant. Ces revenus terriens ont été bien utiles pour assurer de bonnes conditions de vie à sa veuve Françoise Brosset et leur fils âgé de trois ans à son décès en 1642. Le mariage avait été célébré à Saint-Nicolas en 1634. Sa veuve s’est remariée en 1651 avec Michel Tedoye, procureur au pré- sidial de Nantes. C’est ce dernier qui profite des difficultés financières de la famille Le Gasne pour acquérir dans une vente aux enchères en 1672 la sieurie du Fort, juste avant le décès de François Brosset survenu la même année14. Mort sans descendant en 1678 malgré un second mariage avec Isabelle Valleton, la propriété revient alors à Pierre I Galbaud, fils de sa première épouse. Ainsi, la protection du capital déjà acquis par son père et les effets bénéfiques du remariage de sa mère ont permis à ce dernier de franchir une étape supplémentaire dans l’amélioration de la situation sociale de la famille.

14Pierre I Galbaud (1639-1720), sieur de la Barrière avant de préférer tardivement en 1701 la référence du Fort, est avocat à la cour, c’est-à-dire à la sénéchaussée et au présidial de Nantes. Il a épousé en 1672, dans une belle logique d’échange de prestige familial, Perrine du Pas, fille de Pierre, sieur de Beaulieu, procureur au présidial. La légère infériorité de la fonction en dignité est peut-être compensée par une meilleure aisance de la belle-famille. Elle l’est en tout cas par la visibilité municipale puisque son beau-père siège comme échevin de Nantes de 1679 à 1682.

15La sieurie du Fort n’est pas mentionnée dans l’inventaire après décès de Pierre I Galbaud en 1728 et il faut attendre le règlement successoral de son fils Pierre II en 1742 pour en avoir une description15. La propriété comprend une maison de maîtres, bâtiment de deux étages avec grenier, et une borderie pour la mise en valeur des terres. Elle est complétée par l’achat d’une seconde borderie, dite du Cellier, plus proche de l’Erdre, en 1689. Le terme de borderie renvoie vers des exploitations agricoles de taille petite à moyenne, ce qui est confirmé par l’estimation à 13 hectares en 1742 pour l’ensemble des deux. Les baux de ferme du XVIII^e siècle font état de la mise en location de quatre autres borderies sur la même paroisse Saint-Donatien, celles de la Prévenchaire, du Houx, du Buron et de la Bretonnière, mais nous ne savons pas à quelles dates exactes elles ont été acquises. Si elles ressemblent aux deux précédentes, la propriété foncière métropolitaine des Galbaud doit approcher 40 hectares. Cette famille, qui intègre le second d’ordre en bénéficiant des privilèges de la noblesse graduelle des offices des Comptes, n’a guère cherché à arrondir ses possessions au XVIII^e siècle, ni à se doter d’une seigneurie, complexe de propriété réelle et éminente porteur d’un prestige social nettement plus marquant. Le patrimoine immobilier est toutefois complété par deux maisons de ville, situées rue du Port-Maillard, sur la paroisse Saint-Croix, entre la place du Bouffay et le château. La première est estimée 8 400 livres tournois en 1728 et la seconde à 7 000 livres tournois en 1742. Ce sont deux maisons étroites de forme simple, avec une pièce principale carrelée au rez-de-chaussée avec cheminée et évier, au-dessus d’une cave, et surmontée de deux étages avec latrines à chaque niveau. Elles sont dites en mauvais état. La famille n’y réside pas et les archives familiales conservées ne montrent pas de baux de location. Seule la maison du Fort a bénéficié de travaux durant les années 1750, certainement permis par les bénéfices dominguois.

16C’est à la troisième génération de progression sociale connue que commence le processus d’anoblissement par l’acquisition d’un office d’auditeur de la Chambre des comptes, au niveau le plus faible des offices de la compagnie souveraine, ce qui témoigne des limites de l’aisance financière de cette famille relevant cependant de l’élite nantaise. L’opération est réalisée en 1702 au profit de Pierre II Galbaud (1672-1758), sieur du Fort ; elle est certainement liée à son mariage célébré en 1700 avec Marie Giroust, fille d’un autre procureur au présidial, lui aussi échevin de 1687 à 1690. Le modèle est classique : deux familles de la robe seconde, sinon inférieure, s’associent pour réussir un saut qualitatif en faveur de leurs enfants. La logique familiale de progression est donc lente mais méthodique, catégorielle au niveau socioprofessionnel, et nantaise. Toutefois, l’établissement de liens de parenté avec les Giroust fait entrer les Galbaud dans une famille dont une branche est déjà active à Saint-Domingue16. Il est fort probable que cet enrichissement relationnel ait fourni une première occasion de mieux s’ouvrir à l’horizon antillais. Une contestation d’héritage fournit d’ailleurs l’occasion de s’y intéresser de plus près. Par testament, André I Giroust avait fait « donation » de son habitation de la Petite Rivière à sa nièce Françoise-Geneviève Grandhomme et son mari Donatien Pays, déjà cités, lésant ainsi les droits de son épouse Geneviève Grandhomme, de sa sœur Françoise et des trois enfants de son frère Guillaume, décédé en 1706. Ces derniers ont certainement contesté la valeur du testament puisqu’une transaction avec les bénéficiaires aboutit à un accord en 172017. Ces derniers conservent l’habitation qu’ils sont censés avoir acheté pour la somme de 30 000 livres qu’ils doivent donc verser aux héritiers Giroust, avec droit d’usufruit pour la veuve du donataire-vendeur. Dans la transaction signée entre cette dernière et Pierre Galbaud, procureur des héritiers Giroust, il est convenu que l’usufruit prendra la forme d’une rente viagère annuelle de 1 100 livres tournois.

17Il nous manque une expression plus intime des acteurs pour commenter la logique ayant conduit à la conclusion du mariage en 1735 de Philippe-François Galbaud (1707-1767), sieur du Fort, avec Agnès Dubreuil, fille d’un négociant nantais de second rang. Doit-on privilégier une vision prioritairement nantaise où l’ambition de progression dans la noblesse de robe s’appuie sur l’introduction de capitaux d’origine marchande, fournis par un entrepreneur nantais, ce qui renvoie la dimension coloniale au second plan ? Doit-on plutôt souligner la bonne connaissance des potentialités de la jeune épouse en termes d’héritage dominguois, à partir d’une plantation édifiée par son grand-père maternel, de la fin du XVII^e au début du XVIII^e siècle ? Jean Duquesnot, noble nîmois émigré en 1685, certainement pour des raisons religieuses, était un notable affirmé du tout début du XVIII^e siècle, nommé comme tel conseiller au conseil supérieur du Petit Goave, avant de devenir procureur du roi du même conseil lors de son transfert à Léogane18. Ce qui est certain, c’est que l’association des deux familles avait pour but la montée dans la partie supérieure de la Chambre des comptes, grâce à un office de maître obtenu pour 50 000 livres – au prix de tarif de

18Colbert – en 1743. Marie Duquesnot, belle-mère du nouvel officier, est citée également comme acquéreur dans le contrat d’office. L’opération a été néanmoins facilitée par le soutien familial nantais puisque son beau-frère Le Bouvier des Mortiers, lui-même auditeur des comptes, a servi de créancier pour 24 000 livres19.

19Jean Duquesnot avait acquis la plantation des Sources en 1701 auprès de Ducasse et de deux associés pour la somme de 100 000 livres coloniales (85 000 livres tournois). Formée au départ en indigoterie dès 1678, elle avait été transformée en sucrerie en 1695. Elle avait bénéficié d’investissements tirés de la fructueuse expédition contre Carthagène. En 1710, au décès de Jean Duquesnot, l’habitation a été estimée à environ 160 000 livres coloniales, soit une très belle progression sur neuf ans. En 1713, la veuve, Louise d’Ardilliers, s’est remariée avec François Rousseau, propriétaire de l’habitation voisine. Les deux sucreries ont été intégrées dans un même processus de production du sucre, en faveur de l’habitation Rousseau qui a centralisé l’activité industrielle en rassemblant toutes les chaudières. Le décès de François Rousseau, survenu en 1735, l’année même du mariage de Philippe-François Galbaud, place ce dernier en position de régler la question de la succession20 et d’initiative quant à la relance de la plantation des Sources, augmentée de la moitié de l’habitation Maugis acquise en 1720 en communauté par le couple Rousseau-d’Ardilliers, ainsi que du tiers de la terre des Renauds pour la même raison. Il a fallu six ans pour répartir les biens du couple entre les ayants droit, l’arrêt du conseil de Léogane datant du 14 juillet 1741. Cette répartition des lots ne semble avoir rompu la gestion commune de l’ensemble21. Selon un plan du quartier de Léogane dressé en 1784, soulignant l’importance des investissements nantais, tant du négoce que de la noblesse robine, l’habitation du Fort n’est pas à proximité de la côte, mais à l’intérieur, au pied de la montagne. Dans les documents fournis au début du XIX^e siècle pour l’obtention de l’indemnité, l’habitation des Sources est estimée à 458 carreaux, ce qui paraît un chiffre gonflé selon les données de l’inventaire de 1784 qui ramènerait plutôt autour de 300 carreaux. Les Galbaud ont également hérité de la caféière des Abricots, située à l’extrémité sud de l’île, dans la juridiction de Jérémie, propriété d’un frère d’Agnès Dubreuil22. Présentée grande de 180 carreaux, elle n’en aurait qu’environ 150 ou même 120 selon un bail du 15 prairial an IX. Enclavée dans un pays de mornes, elle est cédée par les frères et sœurs de son épouse contre une compensation de 900 livres tournois.

20Philippe-François Galbaud a partagé sa vie entre Nantes et Saint-Domingue. Immédiatement après le mariage, le jeune couple est venu prendre possession de la plantation des Sources, dans la plaine de Léogane, afin de la rénover pour une relance de la production. Mais, il ne s’agit pas d’une vraie conversion à l’activité de planteur ouvrant à une série de plusieurs acquisitions. La perspective d’ascension sociale demeure robine et nantaise puisque la famille rentre en France pour l’entrée à la Chambre des comptes. Cependant, l’intérêt américain est réel puisque Philippe-François Galbaud revient avec sa famille sur la plantation en 1762, ayant obtenu le privilège de cumul de sa charge nantaise avec celle de conseiller au conseil supérieur de Port-au-Prince le 23 juin 1762. Il ne procède à la revente de son office nantais qu’en décembre 1766, lorsqu’il a été promu second conseiller à Saint-Domingue. L’office est cédé au prix d’achat à son gendre Guillaume Fouray de La Granderie, dans le cadre d’un soutien familial à ses enfants. Après son décès l’année suivante, sa veuve Agnès Dubreuil revient vivre en France dans leur maison du Fort, sur la paroisse Saint-Donatien, aux portes de Nantes, proche de la rivière Erdre. Lorsque la fatigue de la vieillesse s’est fait sentir, elle a préféré se retirer dans une chambre du cloître Notre-Dame, où elle est décédée en 1793.

21Philippe-François Galbaud n’a pu organiser que le mariage de sa fille aînée Marie-Agnès en 1759. Il est probable qu’il l’a envisagé avec la perspective d’installer son gendre à la Chambre des comptes, en profitant de son retour aux îles, même si le décalage des dates laisse planer une incertitude sur la chronologie de la configuration de cette solution. Il faut souligner la forte inclination américaine de la famille, peut-être sous l’influence de sa veuve, dans la conclusion des mariages des autres enfants qui reposent tous sur une alliance créole, à l’exception de François-Thomas qui a épousé une fille de noblesse irlandaise, toutefois bien intégré dans le réseau relationnel des puissantes familles de la communauté et de l’élite marchande nantaise. Sur les six autres enfants, quatre se sont unis à des familles dominguoises : un garçon et trois filles, dont deux avec la famille Coustard.

22Les événements révolutionnaires ont placé dramatiquement la famille Galbaud au premier plan. François-Thomas, après une brillante carrière militaire commencée sous l’Ancien Régime comme élève en artillerie en 1761 et poursuivie jusqu’au grade de maréchal de camp sous la Révolution, a été nommé gouverneur général de Saint-Domingue par la Convention nationale en février 1793. Ayant participé à l’arrêt de l’invasion grâce à la victoire de Valmy, et nommé gouverneur de Verdun, il disposait de la protection du général Dumouriez. Il fut nommé par Monge, ministre de la Marine et des Colonies, proche des Girondins. C’était donc un défenseur des intérêts des planteurs, mais au sein d’une orientation politique favorable aux réformes révolutionnaires telles qu’elles avaient été formées par l’Assemblée constituante et mis en œuvre par l’Assemblée législative23. Arrivé au Cap-Français le 7 mars, accompagné de son frère cadet César comme chef d’état-major, il voulut affirmer son autorité supérieure en menant une politique personnelle et se heurta très vite aux trois commissaires civils envoyés par l’Assemblée législative en juin 1792. Sonthonax, dont la priorité était de remettre l’île au travail en obligeant les colons à rentrer sur leurs plantations et en réduisant la révolte des esclaves, n’admit pas ses prétentions24. Fort du prestige et de l’autorité qu’il avait tirés de la reprise de Port-au-Prince le 13 avril 1793, il obtint la destitution du gouverneur et son exil en Nouvelle-Angleterre.

23Alors que Galbaud était consigné sur le bateau qui devait l’emmener aux États-Unis, une émeute, déclenchée par les marins, lui offrit l’occasion de s’emparer de la ville du Cap. Alors qu’il était sur le point d’y parvenir après deux jours d’affrontement les 20 et 21 juin 1793, l’intervention de troupes d’esclaves, à qui Sonthonax avait promis la liberté comme récompense de l’engagement, fit basculer soudainement le rapport de forces en sa défaveur25. Il fut expulsé vers les États-Unis le 25 juin, au milieu d’une fuite massive de colons. Galbaud demeura huit mois en Nouvelle-Angleterre, avec l’intention de se défendre devant l’État français républicain. Après avoir rédigé un mémoire justifiant sa conduite, daté du 10 octobre 1793, il parvint à regagner la France en avril 1794, en compagnie de trois autres planteurs, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants. Le couple fut mis en prison, lui à Paris à Saint-Lazare et elle à Nantes au Bon-Pasteur26. La crise politique, qui aboutit à la chute des Robespierristes, empêcha l’organisation d’un procès27, mais ils ne furent libérés qu’en décembre 1795. L’occupation militaire anglaise du sud et de la partie ouest de Saint-Domingue, de Saint-Marc à Port-au-Prince, de juin 1794 à 1798, offrit l’opportunité à son plus jeune frère Claude Auguste de s’engager dans le régiment du prince Édouard, dont il devint un capitaine.

LA FAMILLE LE CHAUFF

24Dans un mémoire réalisé par un des membres du lignage, les Le Chauff font remonter leur noblesse au X^e siècle, en mettant en scène un de leurs aïeux au service du roi d’Angleterre Richard I^er, et pour lequel il aurait tenu les côtes entre Saint-Malo et le Mont-Saint-Michel. Ils se seraient fixés dans la région, passant ensuite au service des ducs de Bretagne28. La seule chose qui soit assurée, c’est la présence d’une famille de noblesse de tradition militaire installée dans le diocèse de Dol et assez puissante pour parvenir dans l’entourage ducal en bénéficiant d’une charge de chambellan au début du XV^e siècle. Ensuite, le lignage semble plutôt se situer au niveau de la petite gentilhommerie bretonne, à la puissance seulement locale. Des branches, sans doute cadettes, ont migré vers le comté nantais au début du XVIII^e siècle pour des raisons encore impossibles à expliquer. Les premiers se sont installés au sud du comté, vers Vallet, dans la zone du vignoble. La branche de la Bernardière est arrivée dans la presqu’île guérandaise. Il est encore impossible de dire si cette venue est plutôt une cause ou une conséquence de l’alliance matrimoniale avec la famille guérandaise Cady de Pradroy en 1730. On repère François-Marie Le Chauff (1696-1763) comme lieutenant dans la capitainerie des gardes-côtes de Guérande dont il devient le major en mars 1732. Il faut attendre les années 1740 pour le voir commencer un travail régulier et efficace de rassembleur de terres qui va aboutir à la construction de la sieurie de Kerguenec, tout en se dotant d’une maison dans la ville de Guérande.

25Tout débute avec l’achat de la tenue de Guenec, au village de Kerrio, sur la paroisse de Saint-Molf, au nord-ouest de Guérande. La terre est cédée par Jacques de Kermeno, seigneur de Kervaret. Si l’acte mentionne l’existence d’un château, ce dernier devait bien en ruine puisque dès 1742 le nouvel acquéreur s’y fait édifier sa demeure qui est ensuite nommée ou maison de Kerrio ou château de Kerguenec29. La réunion de menues parcelles est régulière, méthodique, mais nettement renforcée par l’achat de la métairie du Cormier pour 3 300 livres en 174830. Il semble que cette branche familiale soit en véritable restauration économique et sociale puisque son chef s’est senti obligé de solliciter une reconnaissance officielle de noblesse auprès du duc d’Aiguillon, commandant en chef en Bretagne, ce qu’il obtient juste avant sa disparition. Ce créateur est décédé dans sa maison en 1763, trois ans après avoir marié son fils François, le premier à porter le nom de sieur de Kerguenec, avec Catherine-Brigitte Maré, d’une famille implantée à Saint-Domingue depuis trois générations31. Son père Jérôme II Maré, propriétaire de l’habitation des Vases, sur la paroisse de l’Arcahaye, avait été capitaine des milices de la zone. Son oncle, Louis Maré, tenait une habitation au Boucassin où son grand-père, Jérôme I Maré, avait été également capitaine de milice.

26Il est impossible de reconstituer le réseau des relations sociales dans lequel ont pu s’effectuer la rencontre des deux jeunes gens et l’accord des familles autour d’un mariage. Orpheline de père, la jeune fille a été envoyée, comme tant d’autres dans les familles de planteurs, au couvent des dames de Sainte-Élisabeth de Nantes, pour préparer son entrée dans le monde. Les liens des Maré avec Nantes sont peut-être d’ordre commerciaux, ce que laisserait penser le mariage de son cousin Louis-Jérome Maré (1729-1759) avec Marie-Jeanne Grou, fille de Louis et de Marie Suzanne Prudhomme. Cette alliance avec l’une des plus grandes familles du négoce nantais des deux premiers tiers du XVIII^e siècle implique certainement des liens d’affaires antérieurs. Même si le décès très rapide de son cousin brise cette union en 1759, l’horizon nantais s’est renforcé d’une solidarité parentale. Reste à comprendre les motivations des Le Chauff de Kerguenec, jusqu’alors totalement étrangers à l’horizon américain, très éloignés de Nantes et de ses réseaux de sociabilité, complètement investis dans leur reconstruction seigneuriale, même si la presqu’île guérandaise était largement connectée avec les îles étant donné la part importante prise par les équipages du Croisic dans le commerce de droiture et la traite négrière32. L’idée d’accélérer une entreprise foncière métropolitaine grâce à l’apport de revenus antillais a-t-elle joué un rôle décisif ? Il est bien dommage que les papiers privés de la famille ne conservent pas d’échanges épistolaires autour de ce mariage. L’élargissement du financement ne pouvait être très important car l’habitation des Vases était tenue en indivision avec les deux sœurs, Adélaïde et Marie-Jeanne. Il convient cependant de noter que le jeune ménage s’est lancé dès 1770 dans une opération signalant un notable changement d’échelle avec l’acquisition pour 40 000 livres tournois de la belle seigneurie de la Motte-Almand, centrée sur la paroisse de Saint-Nazaire33. L’adjonction d’une métairie au village de Kerrio a aussi contribué à renforcer le domaine de Kerguenec. Selon l’inventaire révolutionnaire du 29 pluviôse an V34, celui est estimé à 19 630 livres, soit 6 560 livres pour l’ancienne métairie du Cormier, 8 000 livres pour le pourprix et 4 800 livres pour la métairie de Kerrio.

27Cette étude a confronté les itinéraires économiques et sociaux de trois familles de la noblesse de l’Ouest français, toutes possessionnées en métropole et intéressées par l’horizon dominguois.

28Deux font leur entrée dans le second ordre privilégié, tandis que la troisième est de noblesse ancienne. Toutes ont établi des liens de parenté et ont intégré les plantations coloniales dans leur patrimoine en allant chercher des épouses dans la société des planteurs dominguois. Soulignons à ce propos l’importance des mariages avec des orphelines de père, ce qui pourrait être un facteur décisif de ces arrangements familiaux. La quête des héritières, qui est une donnée classique du comportement des lignages nobiliaires, prend ici la particularité du pari sur la fécondité financière de l’horizon antillais. Cette stratégie a pourtant donné des résultats différents qui renvoient au potentiel hérité, à la qualité de la gestion des habitations et à l’influence du contexte historique, principalement dans la période très instable de la Révolution. Les Pays de Lathan ont manifestement tiré grand profit de leurs habitations pour acquérir de belles seigneuries angevines qui ont heureusement soutenu leur nouveau statut nobiliaire. Les Galbaud n’ont guère amélioré leurs sieuries de la banlieue nantaise, sans agrandir pour autant leurs propriétés coloniales. Les Le Chauff semblent aussi avoir profité des bénéfices coloniaux pour accélérer leur dimension seigneuriale, avant de connaître des profits fabuleux sous la période de l’occupation anglaise suivis d’un effondrement brutal à l’indépendance de Haïti, ce qui pourrait rendre compte d’une frilosité sur le marché foncier français.

29Ces familles de petite noblesse française intéressées aux Îles d’Amérique ont-elles acquis une dimension atlantique qui en aurait fait des acteurs importants pour la construction d’un Atlantique français ? Dans les trois cas étudiés, les capitaux ont circulé beaucoup plus que les personnes, même si les familles illustrent des comportements différenciés. Les Le Chauff n’ont quasiment jamais quitté leur presqu’île guérandaise, sauf pour une visite d’inspection en 1790. Si la première génération des Pays s’est totalement installée à Saint-Domingue, les deux suivantes sont revenues vivre en Anjou, sans aucun retour même furtif dans l’île. Il s’en est suivi un affaiblissement de la connaissance fine de la société dominguois qui explique peut-être le caractère curieux de l’ultime mariage créole, du point de vue strictement financier. Finalement, ce sont les Galbaud qui ont montré l’attachement le plus fort à l’insertion antillaise, surtout pour la gestion des carrières. Toute conclusion doit être soucieuse de cette complexité. La relative faiblesse de la circulation n’empêche pas le maintien d’une mentalité américaine dans le choix des conjoints et dans une connaissance de l’évolution des îles antillaises nourrie de la correspondance avec les gérants des habitations. Toutefois, cette dimension culturelle atlantique reste nettement inscrite dans un rapport colonial puisque ce sont les profits des habitations qui ont servi à agrandir les possessions métropolitaines et non l’inverse.