« Les Hollandais, comme les Anglais de l’époque élisabéthaine, ont d’abord préféré le pillage aux charges inhérentes à toute installation stable dans des pays vides ou hostiles. Dès 1604, ils avaient acquis une affreuse réputation au Brésil, ayant cette année-là pillé le port de Bahia. Dix ans plus tôt, en 1595, ils avaient sévi sur la côte de l’Afrique noire, liée économiquement aux plantations d’Amérique. Ces incursions, celles que nous connaissons, plus celles qui n’ont pas laissé de traces, indiquent une prise de contact, une mise en appétit.
Tout change en 1621. La trêve de Douze Ans, signée avec l’Espagne en 1609, n’a pas été renouvelée. La guerre s’ouvre à nouveau et, le 9 juin de cette même année 1621, la nouvelle Compagnie des Indes orientales recevait son octroi. Le problème pour la nouvelle compagnie ? S’introduire dans la masse de l’Amérique hispanique, faite de l’addition, depuis 1580, des domaines espagnols et lusitaniens du Nouveau Monde. La zone fragile, en 1621, c’était l’Amérique portugaise, et c’est là qu’assez logiquement se dirige l’attaque hollandaise… » (Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècle, t. 3, Le temps du monde, Paris, A. Colin, 1979, p. 196).

1Il est assez logique d’imaginer pourquoi les Pays-Bas se sont intéressés au Brésil – la « Nouvelle-Hollande »– au XVII^e siècle1. Par-delà les antécédents aventureux évoqués par Fernand Braudel, les Néerlandais sont liés à mains égards aux Portugais durant cette période par l’inspiration individuelle du secrétaire néerlandais de l’évêque de Goa à la fin du XVI^e siècle, van Linschoten, mais aussi par l’émigration bien plus collective des juifs séfarades vers les Pays-Bas : les Néerlandais s’implanteront d’ailleurs, temporairement ou plus durablement, dans plusieurs territoires colonisés par le Portugal, en Amérique au Brésil, en Asie dans l’Insulinde, et en Afrique du Sud dans la région du Cap, sans parler des nombreux territoires qu’ils reprennent aux Portugais qui les ont occupés en Asie pendant parfois des décennies auparavant (Ceylan, divers comptoirs en Inde et au Kérala, en Indochine, Malacca, etc.). D’ailleurs, le plus grand ouvrage néerlandais sur l’outre-mer rédigé à la fin du XVI^e siècle est produit par ce secrétaire particulier de l’évêque portugais de Goa déjà cité, Johan Huygen van Linschoten2.

2Diverses raisons de « structures mentales », pour reprendre l’expression chère à Fernand Braudel, expliquent une relative proximité voire une réelle compatibilité entre Néerlandais et Portugais en Amérique comme en Asie – notamment une même conception de libre-échange et d’austérité économique – que beaucoup opposent par ailleurs suivant notre grand historien qui n’hésite parfois pas à évoquer une « légende noire » dans les débuts hollandais au Brésil, prisonnier de ses sources hispaniques et portugaises « papistes3 ».

3Au plan administratif et budgétaire, le schéma de développement colonial néerlandais emprunte d’ailleurs beaucoup à la dynamique coloniale portugaise, ne serait-ce que parce qu’il s’agit de deux nations relativement libre-échangistes, dans un contexte dominé durant deux siècles par diverses visions économiques du mercantilisme. Les deux nations ont des dirigeants soucieux, durant l’essentiel des années de l’Ancien Régime, de ne pas développer de dépenses aux colonies qui seraient rapidement jugées comme abusives : dans les deux cas, des empires coloniaux portugais et néerlandais, les dépenses publiques resteront strictement maîtrisées par l’État. À la différence des Français et des Espagnols, Néerlandais et Portugais vont largement éviter de doter leurs colonies de coûteux systèmes de protections fortifiées imposantes et ne pas chercher à doter leurs empires d’édifices célébrant la gloire de l’État4. De la même manière, la tolérance des Néerlandais et celle des Portugais vont faciliter l’accueil d’immigrants déracinés par les différentes formes d’intolérance religieuse de l’Ancien Régime. Parmi les immigrants qui apportent leur force de travail et leur capital figurent les émigrés huguenots français, les mennonites d’Europe centrale et les juifs séfarades comme ashkénazes passés par Amsterdam, la « Nouvelle Jérusalem » du Siècle d’or qu’a célébrée une remarquable exposition du musée d’Art et d’Histoire du judaïsme à Paris en 20075.

LA COMPAGNIE NÉERLANDAISE DES INDES OCCIDENTALES ET LA « NOUVELLE-HOLLANDE » (BRÉSIL NÉERLANDAIS)

4Didier Poton a montré avec talent comment les huguenots français ont tissé de multiples liens avec les calvinistes néerlandais grâce à des personnalités exceptionnelles et méconnues comme Philippe Duplessis-Mornay6. Un grand ouvrage à caractère encyclopédique en deux volumes vient plus particulièrement d’illustrer les conditions de la participation huguenote à l’histoire de l’Atlantique durant le Siècle d’or7. En pratique, les huguenots français iront se former aux Pays-Bas dans les facultés de théologie ou de médecine dès les premières années d’existence de la république des Provinces-Unies, à Leyde ou Amsterdam : c’est le cas des ministres de l’Église réformée comme Vincent Joachim Soler qui animent l’Église huguenote au Brésil néerlandais durant la brève histoire de la « Nouvelle-Hollande », entre 1637 et 1648, et nous ont laissé une abondante correspondance8. Et en retour, des personnalités néerlandaises éminentes seront formées en France, notamment à l’Académie de Saumur.

5La West-Indische Compagnie ou WIC est en fait une société par action qui adopte pour son gouvernement d’entreprise un système qui reflète le caractère institutionnel fédéral des Provinces-Unies, avec une division en cinq « Chambres » représentant chaque province des Provinces-Unies. Les deux plus importantes Chambres de la WIC (celles d’Amsterdam et de Zélande) possèdent respectivement 4/9 et 2/9 du capital de l’entreprise. Chaque Chambre représente une société indépendante qui désigne proportionnellement au poids de ses parts un ou plusieurs gouverneurs composant le conseil d’administration de la « holding » WIC, conseil connu sous l’appellation de « Heeren XIX » ou les XIX seigneurs, dont la réunion doit se tenir alternativement six ans de suite et deux ans consécutifs en Zélande, fédéralisme oblige. La gestion de la WIC sera organisée suivant des principes assez fortement démocratiques pour l’époque, ce qui la différencie assez nettement de sa sœur aînée la Vereenigde Oost Indische Compagnie (VOC, l’autre compagnie des Indes, tournée vers l’Asie), dirigée par l’élite patricienne d’Amsterdam. La WIC va être la colonne vertébrale structurant l’Atlantique néerlandais de la fondation des Provinces-Unies et durant deux cents ans jusqu’aux années 18009.

6Cette organisation « démocratique » des Compagnies de colonisation néerlandaises en plein XVII^e siècle, et surtout celle de la WIC, répond à l’exigence de défense des intérêts des actionnaires populaires, en particulier les petits porteurs d’actions se confondant souvent avec les familles d’exilés des Pays-Bas du Sud (restés espagnols et catholiques après l’émancipation des Provinces-Unies consécutivement à la révolte des Gueux de 1572). Cette structure de l’actionnariat de la Compagnie va déterminer les caractéristiques sociologiques de peuplement des colonies américaines qui seront situées dans l’orbite de la WIC : la province de Zélande, province d’accueil des réfugiés du Sud au sein des Provinces-Unies, fournit un contingent proportionnellement important des émigrants néerlandais du XVII^e siècle notamment au Brésil entre 1630 et 1650 puis en Guyane au XVIII^e siècle (à Berbice surtout, qui est quasiment la colonie particulière de la famille zélandaise des Van Peere, mais aussi au Suriname). Politiquement, le Brésil des Néerlandais sera gouverné conformément à ces principes, sinon démocratiques du moins collégiaux, tels que le Haut Conseil, le Conseil politique assistant le gouverneur Jean-Maurice de Nassau à partir de 1637 et les Conseils d’échevins dans les municipalités associant représentants néerlandais et portugais.

LE DÉVELOPPEMENT DE L’EMPIRE COLONIAL NÉERLANDAIS EN AMÉRIQUE AU XVII^e SIÈCLE : DE LA « NOUVELLE-HOLLANDE » À LA « NOUVELLE-NÉERLANDE » (« NIEUW-NEDERLAND »)

7Entre 1570 et 1640, les Provinces-Unies des Pays-Bas passent du statut de provinces révoltées contre la couronne d’Espagne, peuplées par les « Gueux de la mer » (prise de Den Briel en 1572 et révolte des provinces de Hollande et de Zélande) à celui de grande puissance mondiale, établie en Amérique, en Afrique et en Asie : en cinquante ans environ, les Provinces-Unies, arrivent à faire jeu égal sur mer et sur terre avec leur ancien suzerain. Elles devancent le Portugal entre-temps réuni à la couronne d’Espagne : en 1579, l’union d’Utrecht établit des États-Généraux ou république des Provinces-Unies des Pays-Bas unissant les provinces de Frise, Groningue, Gueldre, Hollande, Overijssel, Utrecht, Zélande.

8À cette époque, qui constitue en fait l’aube de leur « Siècle d’or » (le « Gouden Eeuw »), les Provinces-Unies des Pays-Bas traiteront très vite sur un pied d’égalité avec les trois autres grandes puissances de l’époque : le géant français auquel elles s’allient durant le règne d’Henri IV, de même que l’Angleterre, en compagnie de laquelle elles terrassent l’Invincible Armada (1588) et le Portugal. Ce dernier disparaît même en tant qu’entité autonome en 1580 en s’unissant pour plusieurs décennies à la couronne d’Espagne de Philippe II. D’ailleurs, le domaine lusitanien, affaibli, va rapidement devenir une proie prisée des Néerlandais qui apprennent l’outre-mer dans l’ombre ou le sillage des Portugais depuis le milieu du XVI^e siècle au moins. Le domaine portugais ne reprendra des couleurs outre-mer qu’avec l’avènement du duc de Bragance à la tête du royaume de Portugal reconstitué le 15 décembre 1640, sous le nom de Jean IV.

9Parfois, les Provinces-Unies surclassent même les quatre « grands » d’alors, notamment en Asie, avec la prise des possessions des Indes orientales ou du cap de Bonne-Espérance sur les Portugais entre 1600 et 1632 : en 1602 est fondée la Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC, la grande Compagnie des Indes orientales néerlandaise, qui vivra jusqu’en 1796. Et les Portugais sont expulsés des Moluques en 1605 tandis qu’une flotte néerlandaise montre la suprématie établie sur l’Atlantique en venant même au cœur du Portugal établir un blocus de Lisbonne et du Tage en 1606 !

10La maîtrise de l’Atlantique dans le premier quart du XVII^e siècle se précise par des faits d’armes hollandais spectaculaires. Dans la mer des Caraïbes, l’audace et la réputation des marins néerlandais atteignent leur apogée avec la capture magistrale et phénoménale, sans aucun blessé néerlandais, de la flotte entière du Galion d’or sur l’Espagne par l’amiral Piet Heyn en 1628.

11Ainsi, en 1575, les Provinces-Unies représentent un groupe de villes et leur hinterland révoltés. Cinquante-cinq ans plus tard, les Pays-Bas achèvent la conquête de la capitainerie la plus riche du Brésil, Pernambouc, en 1630, et la marine portugaise connaît une défaite navale majeure au large du chef-lieu

12Recife en 1640, permettant aux Provinces-Unies de consolider leur position au Brésil, placé sous le gouvernement général d’un prince éclairé, Jean-Maurice de Nassau. Jean-Maurice représente l’un des plus considérables dirigeants coloniaux des grandes puissances de l’ensemble de l’Ancien Régime, en relation directe avec le roi de France, au zénith de la monarchie française colbertiste, Louis XIV.

13Le traité de Munster en 1648 consacre la reconnaissance officielle et définitive de la république des Provinces-Unies des Pays-Bas par le royaume d’Espagne. Au milieu du XVII^e siècle, les Provinces-Unies représentent « la » grande puissance émergente dotée d’un très fort potentiel et incontournable pour les grandes puissances de l’époque.

14Il faut donc démêler et expliquer les circonstances qui président à l’établissement de l’Empire néerlandais d’Amérique, marquant l’avènement du Siècle d’or des Provinces-Unies à l’époque classique, sur fond de « guerre de Quatre-Vingts Ans », période d’hostilité et d’insécurité interrompue principalement par la trêve de Douze Ans (1609-1621) entre les Provinces-Unies et le royaume d’Espagne : en pratique, l’état de guerre entre ces deux protagonistes va de fait de 1568 – avec l’exécution déjà citée des comtes d’Egmont et Hornes à Bruxelles sur ordre du duc d’Albe – et l’ascension politique corrélative de Guillaume d’Orange – à la paix de Münster en 1648.

15Dans l’histoire de la présence des Provinces-Unies en Amérique à la fin du XVI^e et au début du XVII^e siècle, trois périodes se dessinent : une première étape est marquée par la découverte de l’Amérique par les marins néerlandais, souvent dans le sillage des Portugais (1572-1600), tandis qu’une deuxième est caractérisée par l’accession au statut de grande puissance maritime disposant de premiers points d’appuis et de ravitaillement outre-mer (1600-1621).

16Enfin, au cours d’une troisième période, les Provinces-Unies déploient les premiers éléments prometteurs d’un véritable domaine colonial alors en plein essor en Amérique du Nord, dans la zone Caraïbe de l’Amérique centrale et en Amérique du Sud (1621-1640). C’est aussi durant cette grande période que débute l’éphémère présence néerlandaise en Amérique du Nord, qui laissera néanmoins des traces profondes jusqu’au XXI^e siècle : en effet Pieter Minnewit ou Pierre Minuit est nommé « directeur » de la colonie de Nieuw Nederland en 1626 par la WIC et qui y restera jusqu’en 1632. C’est lui qui achète l’île de Manhattan pour 60 florins aux Indiens pour y faire bâtir le premier fort véritable qui sera à l’origine d’un mur célèbre longtemps plus tard car s’y élabore progressivement un chemin entre le fortin et les maisons qui s’y construisent, le chemin, puis la rue étant adossés à ce « Walle » qui deviendra Wall Street. Champlain aura donc connaissance dans la dernière décennie de sa vie du réel développement de Nieuw-Amsterdam, quoique ce développement soit affecté par divers troubles après un démarrage intéressant, symétrique de celui qui affecte le Brésil néerlandais. Mais il y manquera l’arrivée d’un Jean-Maurice de Nassau à la même époque (un grand administrateur arrivera, dix ans plus tard, en 1647, avec la personnalité de Peter Stuyvesant mais la geste néerlandaise en Amérique sera clairement sur le reflux).

17Au XVII^e siècle, l’empire colonial néerlandais se développe tout d’abord pour la partie la plus importante en efforts financiers, administratifs, politiques et militaires au Brésil, provisoirement et par étapes, durant la période allant de 1624 à 1644. L’apogée de l’aventure néerlandaise au Brésil intervient dans la période 1637-1644, marquée par le gouvernement très éclairé d’un prince de sang royal, Jean-Maurice de Nassau, qui crée même dans sa colonie le premier embryon d’assemblée représentative d’Amérique du Sud et s’entoure d’un cabinet éclectique de savant, artistes et médecins qui appartiennent à l’élite scientifique et artistique mondiale de l’époque10.

18La capture du Brésil sur les luso-espagnols va entraîner stratégiquement et logiquement celle des colonies portugaises d’Afrique occidentale qui fournissent les importants contingents d’esclaves qui ont commencé à être déracinés depuis une cinquantaine d’années d’Afrique par le commerce triangulaire à partir de la côte de l’Or et des Esclaves en Guinée et en remontant jusqu’au Sénégal (ainsi la forteresse de Gorée au Sénégal a été baptisée par référence à la passe et île de Goeree située au nord d’Amsterdam dans la métropole néerlandaise). Au début du XVIII^e siècle, l’Atlantique néerlandais forme ainsi un ensemble cohérent, verticalement intégré, permettant de réunir en une seule chaîne de valeur ajoutée des territoires qui fournissent à la fois la main-d’œuvre et l’ensemble du processus de production qui feront d’Amsterdam le premier pôle économique et portuaire du système économique atlantique, avant Londres qui se substituera à la métropole néerlandaise au fil du siècle en question avec l’implantation des colonisateurs britanniques des deux côtés de l’Atlantique, suivant un mécanisme d’ailleurs assez analogue à celui des Provinces-Unies, avant même de s’y substituer complètement à la fin du XVIII^e siècle11.

19Pour rester aux années 1630-1650, c’est à partir de l’expérience brésilienne et de l’apprentissage de gestion des processus de production de l’industrie sucrière et des diverses autres denrées coloniales présentes dans la région de Recife que les Néerlandais vont ensuite chercher à occuper d’autres territoires dans la mer des Caraïbes où ils vont pouvoir développer ces productions.

20Dès la fondation de la WIC, un plan stratégique est conçu de manière économique et rationnelle pour le prince d’Orange, Stadhouder de Hollande, et les États-Généraux par le grand marchand Jan Andries Moerbeek qui cible le Brésil comme le ventre mou de l’Empire hispano-portugais dans plusieurs mesures, et notamment celle voulant que les habitants, brésiliens et portugais, ne seront pas en mesure de se défendre contre la WIC tandis qu’ils sont les ennemis jurés des Espagnols auxquels ils feront défection pour se livrer aux Néerlandais « pourvu qu’ils soient maniés avec tact ».

21Par ailleurs, en dépit de la taille du pays, les captures et possessions de Bahia et Pernambouc (Recife) suffisent à tenir tout le pays, dont l’essentiel des parties riches sont bien irriguées et proches de l’Océan, de sorte qu’il n’est pas indispensable de mettre en œuvre un important corps expéditionnaire terrestre.

22Dans les années qui suivent, ce plan sera mis en œuvre pratiquement à la lettre près, en particulier par le gouverneur-général Jean-Maurice de Nassau (présent au Brésil de 1637 à 1644), mais avec une nette sous-estimation par la métropole des moyens matériels terrestres à mettre en œuvre pour conserver le territoire. Par ailleurs, en 1624, il est impossible de prévoir qu’en 1640, la couronne du Portugal sera de nouveau ceinte par un roi portugais indépendant de l’Espagne, dont le souci le plus pressant sera de récupérer ses sujets et ses terres brésiliennes que les Néerlandais n’auront pas su peupler démographiquement durant les deux décennies où ils auront eu cette opportunité. Et lorsqu’en mai 1624 intervient l’attaque néerlandaise de Salvador de Bahia, conquise par la flotte sous les ordres de l’amiral Willekens, les Néerlandais ont une connaissance géographique de plus de quarante ans de l’Amérique méridionale12 ! Même s’ils ne conservent pas Bahia par défaut de troupes de garnison disposées pour la défendre, ils vont revenir à la charge en 1630 par l’opération navale commandée par l’amiral Lonq qui permet d’établir une position importante dans la région de Pernambouc.

LE RENFORCEMENT DES POSITIONS DES PAYS-BAS DANS LA MER DES CARAÏBES APRÈS LA PERTE DE LA NOUVELLE-HOLLANDE (1654) ET CELLE DE LA NOUVELLE-NÉERLANDE (1664)

23C’est en fait dès la fin du XVI^e siècle que les Néerlandais apprennent à fréquenter la mer des Caraïbes, poussés dans la région par des facteurs technologiques liés à l’activité des pêches. En 1585, avec la fermeture des ports espagnols aux navires de pêche au hareng et en particulier des « îles à sel » (îles du Cap-Vert) par la décision de Philippe II, l’activité économique en question, vitale pour l’économie et le consommateur néerlandais, est gravement compromise car le sel est l’agent conservateur principal en l’absence d’entrepôts réfrigérés qui seront inventés plusieurs siècles plus tard.

24La recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en sel mais aussi de havres sécurisables à titre permanent conduit les marins de commerce et de pêche néerlandais à explorer l’Atlantique sud jusqu’au Brésil en suivant les courants remontant de l’Amazone le long de la Guyane jusqu’à la mer des Caraïbes. Au nord de ce qui va devenir au XVII^e siècle la Guyane néerlandaise occidentale (les colonies de Demerara, Essequibo et Berbice, réunies en British Guiana à partir de 1796), des marins néerlandais découvrent les salines naturelles d’excellente qualité, inexploitées, de la région de Punta de Araya, sur les côtes du Venezuela. À partir de la fondation de la WIC en 1621, à l’expiration de la trêve de Douze Ans avec le roi d’Espagne, les Néerlandais reprennent des actions offensives qui les conduisent à développer Nieuw Amsterdam (future

25New York) sur la côte nord-américaine. Et après la grande victoire de Piet Heyn de 1628, ils cherchent à établir des points d’appui militaires pour ravitailler leurs navires en même temps qu’ils recherchent leurs salines13.

26En 1630, l’île de Saint-Martin est occupée pour la première fois et devant la menace espagnole (ils reprennent provisoirement l’île en 1633), les marins néerlandais apprennent à faire leur bois, leur eau et récolter du sel dans les îles de Curaçao, Aruba et Bonaire, au large des côtes vénézuéliennes (Bonaire est la plus riche en sel et Aruba la plus fournie en végétation et bois). En 1634, tandis que la WIC a commencé l’occupation du Nordeste du Brésil, une flotte aux ordres de Johannes van Waalbeeck, occupe Curaçao avec instructions progressives de fortifier ce point d’appui, à mi-chemin entre le Recife au Brésil et Nieuw Amsterdam en Amérique du Nord. Durant la décennie qui va suivre, Curaçao devient la base d’attaques nombreuses et de raids néerlandais sur toutes les possessions espagnoles du bassin Caraïbe en même temps que l’île devient un centre d’échange des esclaves tant pour les colonies néerlandaises qu’espagnoles, en particulier durant la période de gouvernement de Pieter Stuyvesant entre 1642 et 1646. Les États-Généraux rattacheront d’ailleurs le gouvernement de Curaçao à celui de Nieuw Amsterdam confié à Pieter Stuyvesant à partir de 1646 jusqu’à la perte de la cité d’Amérique du Nord qui sera conquise par le frère du roi Charles II d’Angleterre en 1664, Jacques Stuart, duc d’York et lui-même roi d’Angleterre sous le nom de règne de Jacques II (de 1685 à 1689). Ce dernier laissera ainsi son nom à la ville qui est connue aujourd’hui sous celui de New York14. Et la relation sociologique entre Curaçao et le Brésil sera très forte, puisqu’en 1651, quand les affaires de la WIC seront fortement dégradées au Brésil, la Compagnie donnera une charte de colonisation aux juifs séfarades du Brésil qui quitteront la colonie redevenue portugaise (dont en particulier Joseph Nunez da Fonseca, connu dans l’univers néerlandais sous le nom de David Nassy15).

27Cette population amène à la fois des capitaux et la maîtrise de processus technologiques permettant de développer rapidement des cultures coloniales de très haute qualité et rendements. Ainsi le sucre commence à être produit dans des quantités suffisamment importantes à Curaçao pour être mentionné à partir de 1670, puis arrivent d’abord le tabac, ensuite le coton, celui-ci étant présent dans l’île jusqu’au XIX^e siècle avec le gouverneur Van Erpecum. Mais, à dix ans d’intervalle, 1654 et 1664, les colonies d’Amérique du Sud et du Nord auront été définitivement perdues par les Provinces-Unies qui s’appuieront sur leurs îles de la mer des Caraïbes jusqu’au XX^e siècle.

CONCLUSION

28Les implantations néerlandaises du début du XVII^e siècle en Amérique seront donc conduites à des destins très contrastés, les possessions d’Amérique du

29Nord et du Sud étant reperdues entre une dizaine et une trentaine d’années plus tard : en effet, à la fin des années 1660, les Pays-Bas ne conserveront des colonies américaines qu’en Guyane et dans les îles antillaises à sucre. Ces colonies demeureront ensuite, pour la plupart, dans le giron néerlandais jusqu’au XX^e siècle. Les Néerlandais ne conserveront un statut de grande puissance coloniale qu’essentiellement à travers leur domaine colonial en Asie, dans l’Insulinde, domaine qui demeurera lui aussi quasiment intact jusqu’à la Seconde Guerre mondiale au XX^e siècle. Mais, assurément, pour les contemporains, il faut retenir que la république des Provinces-Unies aura été le phénomène d’expansion le plus incroyable et de loin le plus dominant de leur temps, portée par la dynamique de la foi des protestants et huguenots et en réaction aux persécutions odieuses du catholicisme dominant de l’époque : on a même vu dans la « piraterie » et les flibustiers – le mot vient d’ailleurs du néerlandais « vrijbuiters » ou « libre profiteurs de butin »– dans la mer des Caraïbes du

30XVII^e siècle une manifestation de réaction aux excès des conformismes catholiques, l’historien du XXI^e siècle ne sachant plus toujours très bien où étaient vraiment les « justes ».