Avant-propos
p. 9-10
Texte intégral
1La relation amicale étroite entre la Pologne et la France est ancienne. La collaboration scientifique et intellectuelle qui lie les deux pays l’est aussi. Nantes, depuis la première moitié du xixe siècle, s’est illustrée dans l’accueil de combattants de la liberté chassés de Pologne qui ont trouvé, entre Erdre et Loire, un capital de sympathie issu de la fraternité d’armes des guerres de l’Empire : ses habitants, aujourd’hui, ont oublié Napoléon-Antoine Walski, Jean Byzsinski, Ferdinand Eisemberg ou Alexandre Maluski, mais certains se souviennent que le fils de l’un de ces réfugiés, Louis Mékarski, une fois réalisés les premiers essais d’application de l’air comprimé à la traction, a obtenu en 1876 d’exploiter dans la ville une première ligne de tramway, finalement inaugurée trois ans plus tard1. Les études médiévales, à l’époque, en étaient à leurs premières gambades. En un siècle et demi, elle se sont développées de manière spectaculaire, stimulées depuis le troisième quart du xxe siècle par la pensée et par l’œuvre de Jacques Le Goff et par cette relation tout à la fois singulière et féconde entre la Pologne et la France à laquelle il a inlassablement travaillé.
2À l’échelle du médiévisme, les Assises franco-polonaises d’histoire sont donc dotées d’une importance et d’une légitimité particulières. Comme l’a rappelé Jean-Claude Schmitt, dans l’introduction du présent volume, les premières, rassemblées en 2014 par Jerzy Pysiak, de l’Institut d’Histoire de l’université de Varsovie, ne sont pas sorties de rien. Elles ont bien plutôt marqué un nouveau départ, une volonté de renouer avec l’entreprise dont Jacques Le Goff, aux années 1950-1960, avait donné l’exemple. Le colloque célébré à Paris les 23 et 24 juin 2014, organisé en commun par l’Institut d’Histoire de l’université de Varsovie et le Centre scientifique de l’Académie polonaise des sciences à Paris, avait pour objectif de dialoguer autour de Jacques Le Goff et de son œuvre sur un thème qu’il a souvent fait sien, la rencontre de l’Autre au Moyen Âge. Dix médiévistes ont ainsi échangé et débattu, cinq pour la France et autant pour la Pologne, à savoir – par ordre d’intervention – Jean-Claude Schmitt, Dominique Iogna-Prat, Éric Palazzo, Philippe Josserand et Patrick Boucheron, d’un côté, Henryk Samsonowicz, Roman Michałowski, Jerzy Pysiak, Mateusz Wilk et Michał Tymowki, de l’autre. Le décès de Jacques Le Goff, le 1er avril 2014, a empêché qu’il puisse être présent et la rencontre s’est transformée en un hommage auquel s’est notamment associé S. E. Tomasz Orłowski, médiéviste dans son jeune temps et alors ambassadeur de la République de Pologne en France.
3Dans la continuité de la manifestation de juin 2014, ce volume, dédié à la mémoire de Jacques Le Goff, espère témoigner de la puissance d’une œuvre qui, au cours du dernier demi-siècle, a bouleversé et renouvelé les études médiévales. Toutes les contributions présentées à Paris n’ont pu, hélas, y être insérées, mais, en migrant vers Nantes pour prendre place dans un numéro de la collection Enquêtes et documents, l’ouvrage s’est nourri des apports de la plupart de mes collègues médiévistes, qui, engagés dans l’axe 3 du CRHIA consacré à la dynamique des altérités, ont répondu avec enthousiasme à mes sollicitations. Que chacun d’entre eux, Annick Peters-Custot, co-responsable de l’axe 3, John Tolan, Nicolas Drocourt et Christine Mazzoli-Guintard, trouvent ici l’expression de ma gratitude. Que les équipes du CRHIA, sous l’égide de leur directeur, Éric Schnakenbourg, soient également remerciées et que le soient de manière toute particulière chacun des acteurs polonais, à l’Institut d’Histoire de l’université de Varsovie, au Centre scientifique de l’Académie polonaise des sciences et à l’ambassade de Pologne en France, qui ont œuvré au colloque de juin 2014 et, en premier lieu, Jerzy Pysiak, sans lequel rien n’aurait eu lieu.
4Depuis le décès de Jacques Le Goff, plusieurs hommages ont été organisés pour saluer sa mémoire. Le premier, dans l’année qui suivit sa mort, s’est réuni à la Bibliothèque nationale de France le 27 janvier 2015 et ses actes, sous la direction de Jacques Revel et de Jean-Claude Schmitt, sont aujourd’hui publiés2. D’autres lui ont succédé, en France et à l’étranger. À leur tour, les Assises franco-polonaises d’histoire reprennent le flambeau. Elles le font en espérant ancrer à nouveau dans la durée la collaboration entre médiévistes des deux pays et, au moment de finaliser ce volume, la réunion d’une seconde session, célébrée à Lyon les 13 et 14 octobre 2016, à l’initiative de Jerzy Pysiak et de Jean-Louis Gaulin, a été un puissant stimulus et une source de joie. Une troisième, vers la fin de la décennie, pourrait être rassemblée sur les bords de l’Erdre, à l’université de Nantes. Puisse ce volume contribuer à en donner l’envie et le goût à chacun. Puisse-t-il aussi permettre de mieux saisir la figure de l’« Autre », en développant des perspectives temporelles, thématiques, géographiques et culturelles variées qui interrogent ce qui distingue et ce qui unit, ce qui fait que le « nous », parfois, est un « autre », aujourd’hui comme hier, et que l’« autre » résonne en « nous », participant de nos appartenances et servant de façon décisive à les forger.
Notes de bas de page
1Croix A. (dir.), Nantais venus d’ailleurs. Histoire des étrangers à Nantes des origines à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes – Association Nantes Histoire, 2007, p. 146-148.
2Revel J. et Schmitt J.-C. (dir), Une autre histoire. Jacques Le Goff (1924-2014), Paris, Éditions de l’EHESS, 2015.
Auteur
Ancien élève de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, est maître de conférences en histoire médiévale à l’université de Nantes. Agrégé d’histoire en 1992 et docteur depuis 2000, il a été pendant trois ans, de 1997 à 2000, membre de la section scientifique de la Casa de Velázquez, à Madrid. En poste à l’université de Nantes depuis 2000, il est spécialiste de la croisade et des ordres militaires, auxquels il a consacré la plupart de ses travaux, d’abord à partir du cas hispanique, puis à l’échelle de l’ensemble du monde médiéval. Il a écrit Église et pouvoir dans la péninsule Ibérique. Les ordres militaires dans le royaume de Castille (1252-1369), Madrid, Casa de Velázquez, 2004, Les Templiers en France, Paris, Jean-Paul Gisserot, 2013, et une soixantaine d’articles sur ses sujets de recherche. En plus des huit rencontres scientifiques qu’il a co-dirigées, publiées entre 2001 et 2017 – les plus récemment parues étant Élites et ordres militaires au Moyen Âge. Rencontre autour d’Alain Demurger, Madrid, Casa de Velázquez, 2015, et The Templars and their Sources, Londres/New York, Routledge, 2017 –, il a coordonné, avec Nicole Bériou, Prier et combattre. Dictionnaire européen des ordres militaires au Moyen Âge, Paris, Fayard, 2009, devenu une référence dans un champ historiographique où il participe à plusieurs comités éditoriaux de revues, à des commissions d’organisation de colloques internationaux (Encontros internacionais sobre ordens militares, à Palmela, au Portugal) et au conseil de rédaction de la collection « The Military Orders : History, Sources, and Memory », lancée par Routledge en 2015.

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