Hégémonie et identités au sein de « l’Empire athénien » (ve siècle)
Hegemony and identities within the “Athenian Empire” (5th century)
p. 37-50
Résumés
Fondée en 478 afin d’organiser, sous hégémonie athénienne, la lutte commune des cités grecques engagées dans la résistance à l’Empire perse, la Ligue de Délos se transforma progressivement en un « Empire athénien », exerçant une domination de plus en plus contraignante sur les cités membres de cette coalition. Si les ennemis d’Athènes (l’Empire perse, les Péloponnésiens et leurs alliés…) étaient constitués de peuples hétérogènes, les Athéniens conçurent pour leur part leur alliance comme un regroupement de communautés de même origine, ce qu’illustre parfaitement la tragédie d’Euripide, Ion, représentée sans doute à la fin des années 410, qui associe l’autochtonie athénienne au mythe d’Ion et ce afin de légitimer la domination athénienne sur l’ensemble des communautés « ioniennes ». De même, l’archaiologia du peuplement de la Sicile, proposée par Thucydide dans son Histoire de la guerre du Péloponnèse (VI, 1-18), oppose clairement, dans la continuité des écrits d’Antiochos de Syracuse, cités « ioniennes » et « doriennes », donnant un fondement ethnique à l’expédition de Sicile (415-413). La construction d’un « Empire » athénien s’accompagna ainsi d’une redéfinition des identités grecques, à partir d’une double opposition, d’une part entre Grecs et Barbares, d’autre part entre Ioniens et Doriens.
Founded in 478 in order to organize, under Athenian hegemony, the common struggle of the Greek cities engaged in resistance to the Persian Empire, the Delian League gradually transformed into an “Athenian Empire”, exercising an increasingly restrictive domination on the member cities of this coalition. If the enemies of Athens (the Persian Empire, the Peloponnesians and their allies...) were made up of heterogeneous peoples, the Athenians for their part conceived their alliance as a grouping of communities of the same origin: this point is perfectly illustrated by the tragedy written by Euripides, Ion, probably represented at the end of the years 410, which associates Athenian autochthony with the myth of Ion and this in order to legitimize the Athenian domination on the whole of the “Ionian” communities. Likewise, the archaiology of the settlement of Sicily, proposed by Thucydides in his History of the Peloponnesian War (VI, 1-18), clearly opposes, in the continuity of the writings of Antiochos of Syracuse, “Ionian” and “Dorian” cities, giving an ethnic basis to the Sicilian expedition (415-413). The construction of an Athenian “Empire” was thus accompanied by a redefinition of Greek identities, from a double opposition, on the one hand between Greeks and Barbarians, on the other hand between Ionians and Dorians.
Texte intégral
1Inclure dans une réflexion sur l’ethno-géopolitique des empires ce qu’il est convenu d’appeler « l’Empire athénien » ne va pas de soi tant la domination exercée par Athènes, au ve siècle, sur un grand nombre de cités grecques (plus de deux cents cités dans les années 430), répond peu aux critères de définition habituels des Empires. S’il est en effet possible de définir un Empire comme un État composite, multi-ethnique et multiculturel, prétendant d’une manière ou d’une autre à une domination « universelle », l’alliance athénienne ne semble nullement animée par une telle ambition, mais plutôt par la volonté de construire un ensemble clairement délimité, homogène, sous domination athénienne, et ce afin de répondre aux menaces représentées par des puissances rivales1. Reste donc comme élément commun de définition la domination durable d’un État sur un grand nombre de communautés ethniques et de formations politiques subordonnées2.
2Si cet « Empire » a tant focalisé l’attention des historiens contemporains, c’est bien sûr du fait de la documentation dont nous disposons – littéraire, épigraphique, archéologique… –, relativement abondante, tout en étant pour l’essentiel datable de la seconde moitié du ve siècle et en provenance d’Athènes elle-même. La majeure partie des sources littéraires aujourd’hui disponibles provient en effet d’auteurs athéniens ou ayant vécu à Athènes, et c’est donc avant tout à partir de ce point de vue athénien que peuvent être étudiés aujourd’hui, de manière générale, les savoirs et imaginaires politiques et ethnographiques au sein du monde grec, alors même que ce point de vue ne saurait être considéré comme représentatif de la diversité des représentations grecques du même et de l’autre. C’est ainsi que la plupart de nos sources accordent à la puissance athénienne un rôle privilégié dans les évolutions géopolitiques du ve siècle et nous la présentent comme prenant la tête de la lutte contre les Perses, défendant la liberté des Grecs contre le despotisme barbare.
3Le développement de cette puissance ne fut pas cependant sans susciter des inquiétudes et des résistances au sein même du monde grec, occasionnant de multiples conflits dont Thucydide fut le principal historien. Dans ce contexte, l’espace égéen, bien plus que toute autre partie de l’Hellas, devient donc central dans notre perception du monde grec et de son histoire, dans la lecture des catégorisations, des oppositions, des hiérarchisations qui structurent les représentations « ethniques » grecques.
4Pour notre propos, une œuvre est donc ici essentielle, L’histoire de la guerre du Péloponnèse, de Thucydide. Gauthier Liberman, dans un ouvrage récent3, rappelle que deux lectures de cette œuvre ont été privilégiées, la première insistant sur la rigueur du travail historique réalisé (Thucydide, en tant qu’historien modèle), la seconde privilégiant sa dimension politique (Thucydide, le penseur politique par excellence, et à ce titre l’historien de l’Empire, porte-parole des Athéniens ou du moins d’une partie d’entre eux). C’est cette seconde lecture qui aura ici ma préférence, et qui m’invitera ainsi à questionner la manière dont cet historien a pensé et utilisé, dans sa présentation des conflits qui lui étaient contemporains, les diversités linguistiques et socio-culturelles au sein du monde grec classique, en relation avec les alliances militaires et les rivalités politiques. Au-delà des positions de Thucydide, quelle fut l’importance accordée à l’« argument ethnique » dans la construction et la légitimation de l’Empire athénien ? Telle est la question qui organisera les réflexions proposées ici.
De la Ligue de Délos à une domination sans partage : « l’Empire athénien »
5Afin de présenter rapidement cet « Empire athénien », nous pouvons partir d’un premier passage de Thucydide, un extrait d’un discours attribué à Périclès, lors des débats qui décident de l’entrée en guerre contre les Lacédémoniens ; nous sommes donc au début du la Guerre du Péloponnèse (431 avant notre ère) :
« Les Péloponnésiens et leurs alliés sont en état de résister, en un seul combat, à tous les Grecs ; mais ils sont incapables de soutenir la guerre contre un peuple organisé différemment : ils n’ont pas un conseil unique pour agir sur-le-champ et rapidement, ce qui fait que chez eux d’ordinaire nulle entreprise n’est menée à sa fin. De plus comme ils ont tous les mêmes droits de suffrage (isopsêphoi), sans être d’un même peuple (homophuloi), chacun pense uniquement à son intérêt. Les uns en effet songent surtout à tirer vengeance d’autrui ; les autres à sauvegarder le plus possible leurs propriétés. En outre, lents à s’assembler, ils ne consacrent que peu de temps aux affaires communes ; ils en consacrent bien davantage à leurs affaires particulières. Nul ne pense que par sa propre négligence il fait tort aux intérêts communs ; tous attendent que le voisin avise à leur place. Et comme chacun a en particulier la même pensée, ils ne s’aperçoivent pas que tous ensemble ils sacrifient l’intérêt général4. »
6Thucydide souligne à certaines reprises dans son œuvre qu’Athéniens et Lacédémoniens sont allophuloi – i. e. appartiennent à des subdivisions différentes d’un ensemble plus large, le peuple grec –, et dans ce discours Périclès présente l’alliance péloponésienne comme un ensemble lui-même disparate – les Péloponnésiens et leurs alliés ne partageant pas la même origine et chaque membre privilégiant son propre intérêt – ; moins homogène, cette alliance ne peut être que moins bien organisée et solidaire que l’alliance athénienne5. La mise en place de cette dernière est bien connue. Suite au retrait spartiate de la précédente coalition des forces grecques, au cours de l’hiver 478/7 se forme une nouvelle alliance militaire (une summakhia) entre cités grecques, la Ligue dite de Délos, la direction des opérations militaires (l’hégémonie) étant confiée à la cité d’Athènes. Progressivement renforcée, cette coalition regroupe à son apogée, dans la seconde moitié du ve siècle plus de deux cents cités6, appartenant pour l’essentiel à l’espace égéen et représentant, selon les estimations de Ian Morris7, environ 15 % de la population totale grecque (soit environ un million d’habitants). Cette alliance militaire, à l’origine théoriquement respectueuse des droits de chacun de ses membres, se transforme en ce que les sources littéraires nomment une arkhè, un « commandement », une « domination », un pouvoir qui, dans les faits, est exercé sans limites par les Athéniens sur leurs alliés, ces derniers pouvant être qualifiés d’hupêkooi, de « sujets », de cités « soumises ».
7Dès sa fondation, la Ligue de Délos nous apparaît comme une alliance militaire bien plus structurée que les précédentes (et que sa rivale, l’alliance spartiate, la Ligue dite du Péloponnèse), avec la présence d’un conseil, d’un trésor et de magistrats communs, dont le nom, les Hellénotames8, suggère la dimension panhellénique initiale.
8Les contributions à l’effort de guerre demandées, militaires ou financières, et en ce dernier cas le prélèvement d’un phoros, d’un tribut, ne sont pas sans évoquer les modalités très concrètes d’organisation de l’Empire perse, et il est tout à fait possible de penser que les Athéniens n’ont pas été sans s’inspirer de ce modèle, qui leur était désormais bien connu, tout en l’adaptant à leurs propres besoins et aux spécificités de leurs forces, essentiellement maritimes.
9Au fil des ans, les Athéniens renforcent leur domination, assument l’ensemble des magistratures liées à l’administration de la Ligue, décident seuls des opérations militaires, installent des garnisons mais aussi prennent le contrôle de terres dans les territoires alliés, les lots de terre confisqués fournissant un revenu aux garnisaires athéniens dans le cadre de ces clérouquies (klêroukhia). Dans le même temps, ils refusent voire répriment violemment toute velléité de sortir de la Ligue, et renforcent l’homogénéité de leur alliance des points de vue :
politique en favorisant les régimes démocratiques ;
judiciaire, en accordant aux tribunaux athéniens des responsabilités sur l’ensemble des cités membres9 ;
administratif, en confiant les magistratures de l’alliance aux seuls Athéniens ;
économique, comme en témoigne notamment le décret de Cléarchos sur les monnaies, poids et mesures, destiné à faciliter les échanges économiques au sein de l’alliance10 ;
parental, en instituant la possibilité de mariages mixtes (epigamia) entre citoyens athéniens et membres de l’alliance (Eubéens, Lemniens, Platéens, Samiens…)11 ;
et enfin religieux, avec le transfert, en 454, du trésor de la Ligue à Athènes même, et l’obligation faite aux cités de l’Empire de participer aux grandes fêtes religieuses athéniennes par leurs contributions financières, par des offrandes et par l’envoi de délégations, les plaçant ainsi sous la protection des principales divinités athéniennes. De ce fait, les Grandes Panathénées (en l’honneur d’Athéna poliade) se transformèrent en une fête religieuse célébrant la puissance de l’Empire, et les cités alliées d’Athènes se retrouvèrent assimilées aux fondations coloniales athéniennes, elles-mêmes soumises à cette exigence religieuse d’envoyer des contributions – une vache, une panoplie… – aux fêtes religieuses les plus importantes12.
10En somme, par ces mesures, Athènes se définit elle-même comme la « capitale » des cités réunies au sein de la Ligue de Délos, comme si les Athéniens avaient ambitionné d’inventer une nouvelle forme de communauté politique, supra-civique, leur accordant un rôle privilégié.
Imaginaire politique et empire
11À partir de 478 et tout au long du ve siècle, les Athéniens n’ont cessé d’essayer de renforcer l’unité et l’homogénéité de leur alliance, bien au-delà de la seule alliance militaire. Durant cette période, deux constructions mythiques (ainsi supposées renvoyer aux origines) jouent un rôle essentiel dans la perception que les Athéniens ont d’eux-mêmes ainsi que de leurs alliés. La première d’entre elles, l’autochtonie athénienne, est aujourd’hui bien connue en France grâce aux travaux de Nicole Loraux13. Pour la présenter rapidement, rappelons que les Athéniens se considéraient collectivement comme autochtones, c’est-à-dire originaires du sol (chthôn) même (autos) de leur patrie, et comme n’ayant jamais quitté depuis lors cette terre originelle. Cette origine et cette continuité font des Athéniens un peuple privilégié, partageant ainsi plus que tout autre la même origine, les mêmes intérêts, le même attachement à la terre, la même volonté de résister contre toute présence étrangère. En ce ve siècle, au fil de ses multiples réélaborations, ce mythe devint la « pièce maîtresse de l’idéologie de la démocratie athénienne » (Nicole Loraux), cette fraternité entre citoyens du fait de cette « belle naissance » (eugeneia) commune apparaissant comme l’un des socles de leur égalité politique.
12À ce mythe de l’autochtonie s’ajoute celui de l’origine athénienne du peuplement des pourtours égéens, des fondations dites « ioniennes » : leur ancêtre éponyme serait ainsi Ion, un Athénien, et cette généalogie permet donc bien à Athènes de s’affirmer comme la métropole des cités ioniennes14. Les sources grecques aujourd’hui disponibles15 nous livrent en fait plusieurs généalogies concurrentes des peuples grecs. Citons par exemple le Catalogue des femmes, un poème daté du vie siècle dressant la liste des mortelles dont l’union avec un dieu avait permis la naissance des héros, et qui mentionne ainsi Hellen comme ancêtre de tous les Grecs, et père de Doros, de Xouthos et d’Éole, Xouthos étant par ailleurs le père de Ion : les membres des trois grands « peuples » grecs (les Doriens, les Ioniens, les Éoliens) auraient donc même origine et seraient unis par ces liens de parenté16. La généalogie qui nous importe ici est celle proposée par Euripide dans sa tragédie Ion, représentée dans les années 41017. Dans cette pièce, Ion se découvre comme étant le fils d’Apollon et de Créuse, elle-même fille du roi né de la terre, Érechthée, et donc dépositaire de l’autochtonie athénienne ; à l’issue de l’intrigue (un dévoilement progressif de son origine, de son identité), Ion est donné en adoption à l’époux de Créuse, Xouthos, lui-même fils d’Éole et futur père de Doros et d’Akhaios, tous deux nés de son union avec Créuse. La tragédie réunit donc les deux mythes et souligne l’exceptionnalité des Ioniens qui, issus du dieu Apollon (patrôos) et partageant un lien privilégié à la terre attique, se distinguent des autres Hellènes que sont les Éoliens, les Doriens et les Achéens ; quant aux quatre fils à venir d’Ion, ils nous sont présentés comme les ancêtres fondateurs des quatre tribus athéniennes pré-clisthéniennes.
13À deux reprises, la tragédie souligne le fait qu’Ion est à l’origine de la communauté athénienne, mais aussi des Grecs d’Asie qui portent désormais son nom : c’est ce que nous apprend tout d’abord Hermès, au début de la pièce (v. 74-75), puis Athéna, à son terme, de manière beaucoup plus développée (v. 1571-1588 ; traduction par Marie Delcourt) :
« Avec ton fils, Créuse, va vers la terre de Cécrops18, fais-le asseoir au trône royal (thronous turannikous). Né du sang d’Érechthée, il règne de droit sur ma terre. Sa gloire en Grèce sera grande. Ses quatre fils, issus d’une racine unique, donneront leur nom au pays, aux tribus où sont groupés les gens qui habitent sur mon rocher. Le premier sera Téléon. Viendront ensuite les Hoplètes, les Argades, ceux enfin qui posséderont la tribu d’Égicore, désignée du nom de mon égide. Leurs enfants, à leur tour, les temps une fois accomplis, iront peupler les îles des Cyclades, les rivages d’Asie, et la puissance de ma ville (khthoni) en sera confirmée. Puis leurs colons iront aux rivages jumeaux des deux continents d’Europe et d’Asie. Et pour te faire honneur, Ion, ils seront glorieux sous le nom d’Ioniens (Iônes). »
14Un mythe communautaire, étiologique, athénien est ainsi présenté comme le récit fondateur de la communauté ionienne dans son ensemble, et c’est donc un lien généalogique qui unit les Athéniens à leurs alliés, donnant bien sûr aux Athéniens la prédominance : « l’Empire athénien » est un empire ionien19.
15Assurément, toutes les cités intégrées dans « l’Empire athénien » ne se considéraient pas elles-mêmes comme ioniennes ou d’origine athénienne, mais le partage de traits culturels et linguistiques d’une rive à l’autre de la mer Égée reçoit désormais une explication généalogique.
L’« argument ethnique »
16Quelle fut l’importance de cet « argument ethnique » dans la formation et la perception des ensembles géopolitiques grecs, des alliances militaires et des conflits qui les opposèrent ? Les hellénistes débattent de longue date de cette question, à partir essentiellement des œuvres d’Hérodote et de Thudydide. Ainsi, Édouard Will, dans un essai paru en 1956 et intitulé Doriens et Ioniens20, relativisait l’importance de cette opposition et, à propos de Thucydide, reprenait une formule de la thèse alors récente de Jacqueline de Romilly21 : « On voit donc que toutes les allusions à une hostilité ethnique, ou, au contraire, à la xuggeneia22 » que Thucydide met dans la bouche de ses orateurs ne sont que des « explications postiches de l’impérialisme… qu’il rappelle pour (les) réfuter. »
17D’autres travaux depuis ont cependant insisté sur le fait que les discours attribués par Thucydide aux principaux acteurs politiques, qu’ils soient Athéniens, Lacédémoniens, ou bien encore Syracusains…, en recourant fréquemment à cette opposition entre Doriens et Ioniens, démontraient bien qu’une telle argumentation n’était pas sans avoir exercé une influence sur les comportements des uns et des autres. John Alty en concluait dans une étude parue en 198223 que le sentiment d’appartenir à une fraction particulière du peuple hellène, porteuse d’une identité, de traditions propres, jouait un rôle important dans les relations internationales. Édouard Will avait en quelque sorte anticipé ces remarques en écrivant notamment :
« Le souvenir de la diversité primitive des ethnè grecs, entretenu par des faits cultuels, sociaux, généalogiques, à vrai dire assez superficiels, puisqu’ils n’ont jamais eu d’influence réelle sur l’orientation de l’histoire du peuple grec, ce souvenir vient s’insérer dans le conflit entre Athènes et Sparte, mais de façon assez peu populaire, semble-t-il, assez peu spontanée, et prend place dans l’arsenal rhétorique des hommes politiques comme argument persuasif, sinon démonstratif : c’est de ce phénomène que Thucydide est le témoin peu convaincu. »
18Et d’en conclure donc :
« Le ve siècle finissant voit sans doute apparaître l’idée d’une opposition entre Doriens et Ioniens, mais de façon en somme très superficielle et limitée aux arguments accessoires de la propagande politique […] les Grecs n’ont pas connu de véritable conscience ethnique24. »
19La manière dont Thucydide nous présente l’expédition de Sicile (415-413 av. J.-C.) constitue assurément un passage particulièrement éloquent d’un usage nuancé de l’argument ethnique :
« Voici d’ailleurs les peuples qui prirent parti soit contre la Sicile, soit pour elle ; les uns voulant contribuer à sa conquête, les autres à son salut et qui combattirent devant Syracuse. Ce n’était ni le droit ni le sentiment de leur commune origine qui les avaient jetés dans l’un ou l’autre camp ; chacun n’avait obéi qu’aux circonstances, à l’intérêt ou à la nécessité. Les Athéniens, Ioniens d’origine, marchaient spontanément contre les Doriens de Syracuse. Ils avaient à leurs côtés des peuples de même langue et soumis aux mêmes usages : ceux de Lemnos, d’Imbros, ceux qui habitaient alors Égine, et ceux d’Hestiée, colonie d’Athènes. Les autres étaient soit des sujets (hupêkooi), soit des alliés autonomes (apo xummakhias autonomoi), soit des mercenaires (misthophoroi). […] La plupart de ces peuples étaient Ioniens et tiraient leur origine d’Athènes, sauf les Karystiens, qui sont des Dryopes. Tout en étant sujets d’Athènes et contraints au service, c’étaient des Ioniens marchant contre des Doriens. […] Les Argiens, d’origine dorienne, en marchant contre les Doriens aux côtés des Ioniens d’Athènes, étaient poussés moins par leur qualité d’alliés que par leur haine pour Lacédémone et par des raisons d’intérêt immédiat et particulier ; Doriens, ils marchaient contre Doriens avec les Athéniens d’origine ionienne25. »
20Dans ce long paragraphe, dont je n’ai repris ci-dessus que quelques passages, Thucydide recourt à de multiples critères de catégorisation des partenaires des alliances militaires, en fonction certes de leur appartenance aux groupes ioniens et doriens, mais aussi selon
leur statut au sein de l’alliance athénienne (autonomes, sujets, mercenaires), ainsi que selon le caractère contraint ou volontaire de leur participation à l’expédition ;
leurs origines géographiques (insulaires, ioniens…), en utilisant alors des distinctions qui ne sont pas sans rappeler celles utilisées pour délimiter les districts de perception du tribut athénien (phoros)26 ainsi qu’en fonction de leur appartenance aux mondes grec ou barbare ;
les intérêts de chacun, qu’ils soient politiques ou économiques, motivés par la haine ou au contraire par l’amitié…
21Ces multiples critères de catégorisation des alliés d’Athènes27 témoignent de la grande variété des motifs de participation au conflit (généralisé à l’ensemble du monde grec), relativisant d’autant la seule opposition entre Ioniens et Doriens. Pourtant, il ne fait guère de doute que l’argument ethnique a bien été mobilisé par les acteurs du conflit, et de ce point de vue, un autre passage de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse nous paraît particulièrement éloquent : le récit proposé par Thucydide du peuplement de la Sicile ne peut être en effet dissocié du contexte politique des années 410, marqué précisément par le recours constant à cet argument ethnique, et c’est donc sans surprise que nous y retrouvons les imaginaires politiques précédemment évoqués, à savoir les thèmes de l’autochtonie et d’une distinction essentielle entre Ioniens et Doriens.
Le peuplement de la Sicile selon Thucydide
22Ce long passage (VI, 2-5), particulièrement célèbre, de l’Histoire de la guerre du Péloponnèse constitue ce qu’il est convenu d’appeler une archaiologia, un récit raisonné sur le passé, les commencements. La très grande richesse des informations données en fait un texte majeur, toutes sources confondues, au fondement des chronologies du monde grec archaïque. Il s’agit pour Thucydide de décrire les origines du peuplement de la Sicile, afin d’expliquer les événements présents, et de fait cette archaiologia lui permet dès le début du livre VI d’expliquer l’échec des Athéniens, ceux-ci n’ayant pas pris la mesure de l’importance de la Sicile, par sa superficie comme par sa population28.
23La construction de ce passage est très claire, et repose sur la volonté de proposer une chronologie de l’arrivée des occupants successifs de la Sicile : Thucydide présente tout d’abord, depuis les temps les plus anciens, les peuples barbares qui ont occupé l’île (§ 2), mentionnant successivement les Cyclopes et les Lestrygons, les Sicanes, les Élymes, les Sikèles puis enfin les Phéniciens ; pour chacun de ces peuples, Thucydide indique, lorsque c’est possible, leurs origines et leur localisation actuelle. Sont présentées ensuite (§ 3-5) les différentes fondations grecques, situées chronologiquement les unes par rapport aux autres ; Thucydide indique quels ont été leur métropole et leur oikiste (leur fondateur), les conditions dans lesquelles se sont effectués ces établissements, les colonies que ces cités ont pu elles-mêmes fonder.
24Thucydide s’inspire sans aucun doute de l’historien Antiochos de Syracuse, qui peut être considéré comme le principal historien de Sicile et de Grande Grèce contemporain de Thucydide. Il a en effet sans doute vécu au milieu du ve siècle et a notamment écrit une Histoire de la Sicile en neuf livres, qui commençait aux temps mythiques et se terminait à la paix de Géla en 424. Il y avait donc lui-même décrit les origines du peuplement de la Sicile, par les barbares comme par les Grecs.
25Quels sont les éléments mis en valeur dans ce texte ? À ce que nous en rapporte Thucydide, la Sicile (et de manière plus générale la Méditerranée occidentale) possède une histoire grecque tout aussi ancienne que le monde égéen, et se retrouve en son temps dépourvue de populations autochtones29. Le peuplement barbare de la Sicile a consisté en une arrivée successive de populations méditerranéennes, en provenance d’Ibérie, d’Italie, de Phénicie, et bien sûr des régions grecques : c’est une île sur laquelle nul ne possède de droits, peuplée de gens venus de tous les horizons, sans attachement réel à la terre qu’ils occupent ; et de fait, c’est bien ainsi qu’Alcibiade présente la Sicile, toujours chez Thucydide bien sûr, pour justifier l’expédition :
« Les cités y ont une population nombreuse, mais ce n’est qu’un pêlemêle d’individus de toute provenance. Elles s’accommodent facilement de changer de constitution ou d’en recevoir du dehors. Aussi nul n’y connaît le sentiment patriotique ; nul n’y possède d’armes pour se défendre ; le pays ne dispose d’aucun matériel solide. Tous espèrent, soit par l’éloquence, soit par la sédition, s’enrichir aux dépens de l’État et sont prêts, en cas d’insuccès, à s’expatrier ; aussi courent-ils ce risque sans la moindre hésitation. Il est donc peu probable qu’une foule (homilon) de cette sorte se range à l’avis d’un chef et se décide à une entreprise commune30. »
26Nul peuple ne pouvant en Sicile se revendiquer une origine autochtone, et les populations ne partageant pas une origine commune, les résistances à en attendre, au dire d’Alcibiade, ne pourront être que fort ténues et désordonnées.
27Il est clair, à la lecture de Thucydide et des fragments conservés d’Antiochos, que ce dernier voulait présenter une Sicile divisée en blocs culturellement homogènes, les blocs dorien et ionien se distinguant chacun par l’origine unique de leurs colons et l’unité de leurs institutions (leurs nomima), issues de leurs métropoles. Le bloc dorien rassemblait les fondations de Corinthe, de Mégare, des Rhodiens et des Crétois, et s’opposait au bloc ionien, composé des fondations chalcidiennes (i. e., Naxos, Léontinoi, Catane).
28Cette perception de l’histoire de la Sicile s’inscrit pleinement dans l’actualité, ainsi que l’évoque Thucydide en rappelant (VI, 4-5) que Gélon, tyran de Géla en 491, puis de Syracuse à partir de 485, détruisit Kamarina dans les années 480 et transféra sa population à Syracuse, de même qu’il y transféra une partie des habitants de Géla ; s’emparant également de Mégara Hyblaea, il y massacra et asservit les plus pauvres, tandis qu’il accordait la citoyenneté syracusaine aux élites. Dans le cadre de ces opérations, Syracuse augmentait ainsi sa population civique et étendait son emprise sur l’ensemble du bloc dorien.
29Nous savons par ailleurs que cette politique syracusaine se déploya également à l’encontre des cités chalcidiennes, puisqu’en 476, Hiéron, frère de Gélon et nouveau tyran de Syracuse, déplaça les populations de Naxos et de Catane à Léontinoi, et installa de nouveaux colons dans ces deux cités ; les anciens citoyens de Naxos et de Catane ne purent rentrer dans leur cité d’origine qu’après la mort de Hiéron, en 466.
30Le découpage proposé, au milieu du ve siècle, par l’historien syracusain Antiochos, d’un peuplement de la Sicile en deux blocs clairement différe niés et homogènes, dorien et ionien, légitimait ainsi les politiques des deux tyrans syracusains, rassemblant les populations « doriennes » pour mieux lutter contre les populations « ioniennes ». L’« argument ethnique » en constituait donc le fondement idéologique.
31Nullement contestée par Thucydide, cette opposition entre Ioniens et Doriens peut être dès lors mobilisée par l’historien athénien pour légitimer à son tour l’intervention athénienne. De fait, si nous reprenons la construction de son archaiologia, l’absence de populations autochtones démontre que la présence grecque en Sicile n’est en rien illégitime, tandis qu’en tant que plus ancienne fondation grecque, Naxos, cité ionienne alliée d’Athènes, accorde aux Ioniens un droit supérieur aux Doriens sur le contrôle de la Sicile.
32Il ne nous est plus possible aujourd’hui de reconstituer intégralement la manière dont Antiochos avait reconstruit l’histoire de l’île, mais il est probable que Thucydide s’en écartait en présentant ainsi Naxos comme plus ancienne cité grecque ; de même, son omission du rôle certain joué par Érétrie dans les premières fondations prend sens dans le contexte du ve siècle, Chalcis restant alors pour Athènes un allié bien plus fidèle que ne l’était la cité eubéenne d’Erétrie31.
33Mais si l’archaiologia thucydidéenne nous livre une vision du passé sicilien favorable aux Athéniens et à leurs alliés, par la richesse des informations apportées, elle fait également le constat du développement de la puissance syracusaine, forte de sa population et de son expansion territoriale, aux dépens des Sicules puis des autres cités doriennes et enfin, désormais, aux dépens des Ioniens. Dès lors, l’échec de l’expédition de Sicile était annoncé. Quoi qu’il en soit, c’est bien l’opposition entre Ioniens et Doriens qui structure ce passage et explique les choix réalisés par Thucydide pour rendre compte du peuplement de la Sicile et des forces en présence.
Conclusion
34Au milieu du vie siècle avant notre ère, la formation de l’« Empire-monde » perse (Pierre Briant) ne fut pas sans conséquence sur l’ensemble de ses périphéries : l’espace méditerranéen entra alors dans une période de radicalisation des conflits (avec notamment la simultanéité, au début du ve siècle, des guerres médiques et des conflits entre Grecs et Carthaginois) et de cristallisation des identités ethniques sous une forme oppositionnelle32, les discours athéniens opposant Grecs et Barbares, mais aussi Ioniens et Doriens.
35Ce fut dans les années 410 que l’« argument ethnique » d’une opposition radicale et irréductible entre Ioniens et Doriens fut particulièrement mobilisé par les Athéniens. Alors que l’intensité des conflits dans lesquels ils étaient engagés était croissante, cet argument leur permettait de légitimer leur prétention à dominer l’espace égéen et à unir ses populations dans une même lutte pour la liberté, que l’ennemi affiché soient les Perses ou les Doriens. Dans ce processus de construction identitaire, le point sans doute essentiel est la prégnance du modèle civique – une appartenance exclusive et statutaire, fondée sur une identité commune – pour penser une formation politique supracivique, la Ligue de Délos. Au cosmopolitanisme impérial perse33, les Athéniens opposèrent ainsi l’homogénéité des populations soumises à leur propre domination (arkhê), populations dont la loyauté se devait ainsi d’être fondée non pas sur la contrainte et des relations d’allégeance, mais sur une origine supposément commune et une adhésion sans réserve aux valeurs et traditions défendues par les Athéniens. Si les citoyens athéniens conservaient au sein de cet ensemble ionien une position privilégiée, cette construction d’un imaginaire politique et la mise en place progressive d’institutions communes empruntant là encore aux modèles civiques (les accords d’epigamia – rendant possibles les mariages entre citoyens de différentes cités de la Ligue – constituant un exemple particulièrement frappant de la définition parentale donnée à l’alliance militaire, dans la continuité de l’affirmation d’une ascendance commune ionienne) témoignent de la volonté athénienne d’élaborer une nouvelle forme d’organisation politique, dépassant le seul cadre civique habituel pour mieux répondre aux enjeux militaires de ce ve siècle. Dans cette perspective, Ian Morris souligne avec raison que c’est bien un État ionien que les Athéniens tentèrent de construire, avec un territoire étendu à l’ensemble des terres soumises à leur autorité dans le cadre de la Ligue de Délos34.
36L’échec de l’expédition de Sicile (415-413) et l’affaiblissement inéluctable des forces athéniennes qui en fut la conséquence, jusqu’à la défaite finale contre la Ligue du Péloponnèse (404), ne permit pas la réussite de ce projet politique assurément novateur mais reposant cependant sur des bases fragiles, tant les imaginaires historiques étaient diversifiés au sein de cet espace égéen. Cette expérience constitue cependant un témoignage particulièrement éloquent des redéfinitions continues des identités grecques, les identités collectives ne cessant d’être reconfigurées en fonction des évolutions géopolitiques. En ce sens, la menace constante représentée par la puissance impériale perse ainsi que les luttes incessantes pour s’assurer l’hégémonie au sein du monde grec permirent l’affirmation d’identités supraciviques – dont nos sources se font non seulement l’écho, mais auxquelles aussi elles contribuèrent –, fondées sur une parenté et des traditions communes, ainsi que sur des valeurs de résistance et de liberté35.
Notes de bas de page
1Il s’agit en somme de construire une domination contre d’autres dominations, une arkhê face à d’autres arkhai (voir Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, VI, 11).
2Voir la définition retenue par Moses Finley dans « L’Empire athénien : un bilan », in Économie et société en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1984, p. 60 : « L’exercice durable, par un État, d’une autorité, ou d’un pouvoir, ou d’un contrôle, sur un ou plusieurs États ou communautés ou peuples. »
3Liberman Gauthier, Les préliminaires de la guerre. Prolégomènes à la lecture du premier livre de Thucydide, Bordeaux, Ausonius, 2017.
4Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 141 (trad. par Jean Voilquin).
5De ce point de vue, il n’est pas anodin de constater que la « guerre du Péloponnèse » est la guerre d’une cité contre un ensemble régional, des Athéniens contre les Péloponnésiens, comme l’indique l’incipit de l’ouvrage de Thucydide : « Thucydide l’Athénien a raconté les différentes péripéties de la guerre des Péloponnésiens et des Athéniens » (I, 1 ; trad. par Jean Voilquin).
6Deux cent quatorze en 454, deux cent trente-huit en 431. Sur la Ligue de Délos et l’Empire athénien, voir notamment Meiggs Russell, The Athenian Empire, Oxford, Clarendon Press, 1972 ; Raaflaub Kurt Arnold, « Learning from the Enemy : Athenian and Persian “Instruments of Empire” », in John Ma, Nikolaos Papazarkadas et Robert Parker (dir.), Interpreting the Athenian Empire, Londres, Duckworth, 2009, p. 89-124 ; Pébarthe Christophe, « L’empire athénien est-il toujours un empire comme les autres ? », Dialogues d’Histoire ancienne Supplément, n° 5, 2011, p. 57-88.
7Morris Ian, « The Greater Athenian State », in Ian Morris et Walter Scheidel (dir.), The Dynamics of Ancient Empires. State Power from Assyria to Byzantium, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 99 sq.
8Dix « Trésoriers des Grecs », dès le départ tous Athéniens.
9Les tribunaux athéniens prirent en charge les procès entre membres de la Ligue, mais purent aussi constituer des tribunaux d’appel pour les affaires les plus graves au sein de la Ligue, ainsi que le montre par exemple le décret relatif à Chalcis (446/4 avant notre ère) : « Que les poursuites entre Chalcidiens se déroulent à Chalcis, comme ceux entre Athéniens se déroulent à Athènes, sauf pour les peines d’exil, de mort et de privation des droits civiques. Pour tous ceux-là, qu’il y ait appel à Athènes devant le tribunal des thesmothètes selon le décret du peuple » (voir Brun Patrice, Impérialisme et démocratie à Athènes. Inscriptions de l’époque classique, Paris, Armand Colin, 2005, n° 12, p. 40-43, avec indications bibliographiques).
10Brun Patrice, op. cit., n° 18, p. 53-55.
11Voir Ogden Daniel, Greek Bastardy in the Classical and Hellenistic Periods, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 70-71.
12Voir IG I3, 46 (colonie de Bréa, c. 446-c. 438 av. J.-C.) ; IG I3, 71 (décret de Thoudippos, 425/4 av. J.-C.) ; scholies à Aristophane, Nuées, 386. Voir notamment Parker Robert, Athenian Religion : a History, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 142-145.
13Loraux Nicole, L’invention d’Athènes. Histoire de l’oraison funèbre dans la cité classique, Paris, Payot, 1993 (1981) ; Loraux Nicole, Les enfants d’Athéna. Idées athéniennes sur la citoyenneté et la division des sexes, Paris, Seuil, 1990.
14Sur les identités ioniennes dans la première moitié du premier millénaire avant notre ère, voir le point de vue synthétique de Crielaard Jan Paul, « The Ionians in the Archaic Period : Shifting Identities in a Changing World », in Ton Derks et Nico Roymans (dir.), Ethnic Constructs in Antiquity. The Role of Power and Tradition, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2009, p. 37-84, ainsi que les travaux de Naoise Mac Sweeney, notamment Foundation Myths and Politics in Ancient Ionia, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2013.
15Bien évidemment très lacunaires, pensons par exemple à la disparition du poème épique de Panyassis, les Ionika, écrit dans la première moitié du ve siècle, et qui relatait l’histoire des fondations ioniennes ; voir Matthews Victor J., Panyassis of Halikarnassos. Text and Commentary, Leyde, Brill, n° 33, 1974.
16Voir West Martin L., The Hesiodic Catalogue of Women. Its nature, structure and origins, Oxford, Oxford University Press, 1985.
17Sans que nous puissions préciser davantage cette date ; voir récemment Martin Gunther, Euripides, “Ion”. Edition and commentary, Berlin/Boston, De Gruyter, 2018.
18C’est-à-dire Athènes ; la tragédie est censée se dérouler à Delphes.
19Voir Zacharia Katerina, Converging Truths. Euripide’s Ion and the Athenian Quest for self-definition, Leyde/Boston, Brill, 2003 ; Lape Susan, Race and Citizen Identity in the Classical Athenian Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2010, p. 95-136. On verra aussi Connor Walter Robert, « The Ionian Era of Athenian Civic Identity », Proceedings of the American Philosophical Society, no 137-2, 1993, p. 194-206 ; Bremmer Jan Nicolaas, « Myth as Propaganda : Athens and Sparta », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, n° 117, 1997, p. 9-17.
20Will Édouard, Doriens et Ioniens. Essai sur la valeur du critère ethnique appliqué à l’étude de l’histoire et de la civilisation grecques, Strasbourg, Publication de la Faculté des Lettres de l’université de Strasbourg, 1956.
21Romilly Jacqueline de, Thucydide et l’impérialisme athénien, Paris, Les Belles Lettres, 1947.
22i. e. la parenté.
23Alty John, « Dorians and Ionians », The Journal of Hellenic Studies, n° 102, 1982, p. 1-14.
24Will Édouard, Doriens et Ioniens, op. cit., p. 72-73.
25Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse, VII, 57 (trad. par Jean Voilquin).
26Voir les listes athéniennes de perception du tribut, pouvant distinguer les cités cariennes, ioniennes, insulaires, de Thrace et de l’Hellespont (The Athenian Tribute Lists, Princeton, Princeton University Press, 1939-1953).
27La suite du texte, § 58, décrit de même les alliés de Syracuse.
28Voir Dover Kenneth J., « La colonizzazione della Sicilia in Tucidide », Maia, n° 6, 1953, p. 1-20 ; Zahrnt Michael, « Sicily and Southern Italy in Thucydides », in Antonios Rengakos et Antonios Tsakmakis (dir.), Brill’s Companion to Thucydides, Leyde/Boston, 2006, p. 629-655 ; Hall Jonathan M., « Foundation stories », in Gocha R. Tsetskhladze (dir.), Greek Colonisation : an Account of Greek Colonies and other Settlements overseas, t. 2, Leyde, Brill, 2008, p. 383-426 ; Morakis Andreas, « Thucydides and the Character of Greek Colonisation in Sicily », Classical Quarterly, n° 61/2, 2011, p. 460-492.
29Thucydide, § 3, rejette la prétention des Sicanes à être autochtones, à la différence d’autres historiens, ainsi Timée de Tauromenium (Diodore de Sicile, V, 6, 1) ; voir Pelling Christopher, « Bringing Autochthony Up to Date : Herodotus and Thucydides », The Classical World, n° 102/1, 2009, p. 471-483.
30Thucydide, VI, 17 ; trad. par Jean Voilquin.
31Voir les remarques éclairantes développées dans Mercuri Laurence, Les Eubéens en Calabre à l’époque archaïque. Formes de contacts et d’implantation, Rome, École française de Rome, 2004, p. 208 sq. Sur l’opposition entre Doriens et Ioniens dans l’œuvre de Thucydide, voir également les analyses de Price Jonathan J., Thucydides and internal war, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, notamment p. 127 sq.
32Et non plus seulement agrégative. Voir sur ce point Hall Jonathan M., Ethnic Identity in Greek Antiquity, Cambridge, Cambridge University Press, 1997 ; Hall Jonathan M., Hellenicity : between Ethnicity and Culture, Chicago/Londres, The University of Chicago Press, 2002, notamment p. 56 sq.
33Voir dernièrement Lavan Myles, Payne Richard E. et Weisweiler John (dir.), Cosmopolitanism and Empire. Universal Rulers, Local Elites and Cultural Integration in the Ancient Near East and Mediterranean, Oxford, Oxford University Press, 2016.
34Voir Morris Ian, « The Greater Athenian State », art. cité.
35Tous mes remerciements les plus vifs sont adressés à Alain Messaoudi et Dominique Lenfant, pour leur relecture de cet article et leurs suggestions.
Auteur
Maître de conférences en histoire ancienne à l’université de Nantes-CRHIA, Jérôme Wilgaux consacre ses recherches à l’étude de la société et de la culture grecques antiques, ses publications portant notamment sur les questions de parenté ainsi que les représentations du corps. Il a ainsi collaboré à la publication de nombreux ouvrages collectifs, dont Parenté et société dans le monde grec de l’Antiquité à l’âge moderne, (Bordeaux, 2006), L’argument de la filiation. Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes (Paris, 2011), Famille et société dans le monde grec et en Italie du ve siècle av. J.-C. au iie siècle av. J.-C. (Rennes, 2017).

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