La Confédération Paysanne et l’Organisation Mondiale du Commerce
p. 109-124
Texte intégral
1Depuis les années 1960 la politique agricole est de plus en plus définie dans un cadre supranational. La Confédération Paysanne (CP) comme l’ensemble du syndicalisme agricole est confrontée à cette logique et tente de s’y adapter. Elle a dû analyser, critiquer, essayer de modifier les politiques agricoles de la Communauté Économique Européenne (CEE) puis de l’Union Européenne (UE) avec la Coordination Paysanne Européenne (CPE). Elle a développé, dans les années 1990, la critique des choix du General Agreement on Tariffs and Trade (GATT) puis de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), jugés déterminants dans les orientations des gouvernements français et de l’UE, et accusés de favoriser la concentration des exploitations, et les grandes entreprises agroalimentaires.
GATT, OMC : QUELLE INFLUENCE SUR LA POLITIQUE AGRICOLE DE L’UE ?
2Le GATT est un accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, signé à Genève au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1947). Le but affirmé est de favoriser les échanges internationaux afin d’éviter un retour au protectionnisme considéré comme une des causes du conflit mondial. Il est alors signé par vingt-trois États, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, qui entendent organiser le retour vers le libre-échange, développer les négociations afin de démanteler les barrières douanières et de supprimer les pratiques visant à fausser la concurrence (subventions aux exportations, dumping, restrictions quantitatives…) entre les pays membres. Le GATT est un accord entre « parties contractantes ». Au départ, les réunions étaient périodiques, puis le GATT se structure avec la création d’un organe permanent, le Conseil des représentants (1960), avec une direction, un secrétariat général… Des cycles de négociations se déroulent, d’abord bilatéraux (regroupant les principaux fournisseurs d’un produit) puis multilatéraux. À partir des années 1960, le développement de la CEE entraîne des tensions avec des pays membres du GATT, concernant en particulier la Politique Agricole Commune (PAC). Les produits agricoles, longtemps protégés par les pays producteurs, constituent avec les services, un des objectifs majeurs affirmés par l’Uruguay round (cycle de négociations, 1986-1994). Sont visés les subventions à l’exportation, les quotas d’importation, les réglementations et autres barrières non tarifaires qui, aux yeux des partisans du libre-échange, limitent le commerce mondial1. Ces négociations donnent lieu à des conflits entre pays européens et États-Unis mais aussi entre eux et un certain nombre de pays émergents (Chine, Brésil, Inde…). Les négociations du GATT débouchent sur la création d’une organisation plus formalisée, l’OMC (plus de 150 membres) en 1995.
3Depuis 1945, un des facteurs des difficultés entre les États-Unis et l’Europe est donc le problème agricole. La part des États-Unis dans les exportations agricoles a régressé alors que celle de la CEE (puis de l’UE) s’est accrue. Les deux ensembles sont bien en situation de concurrence sur le marché mondial. Chacun critique les subventions accordées par l’autre à ses producteurs, jugées contraires au libre-échange, et bataille pour définir ce qu’est une aide ou une subvention2. Les deux ensembles sont, par ailleurs, critiqués par nombre de pays émergents du fait de ces aides.
4Le GATT (puis l’OMC) a alors eu des conséquences importantes sur l’évolution de la PAC3. Dans un premier temps (années 1960 - milieu des années 1980), celle-ci peut être analysée comme « un protectionnisme modernisateur4 ». Elle visait à augmenter la production par l’accroissement de la productivité afin de combler le déficit alimentaire de la CEE. Pour y parvenir, les prix étaient garantis et les marchés protégés, à l’exception (afin de la faire accepter par le GATT) de celui du soja ouvert aux États-Unis, puis du corn gluten feed et du manioc (aliments du bétail). Dans les années 1980, cette politique est remise en cause car elle a atteint ses objectifs, et parce que le néolibéralisme devient un cadre d’analyse et d’action majeur pour nombre de dirigeants européens. Des critiques sont aussi portées sur son coût, ses conséquences environnementales ou sur la concurrence qu’elle exerce vis-à-vis d’autres pays sur le marché mondial. Des réformes (mai-juin 1992, mars 1999, juin 2003) la transforment et accompagnent un processus de libéralisation des échanges qui correspond aux objectifs du GATT et aux accords de Marrakech (15 avril 1994)5.
5« La libéralisation de la PAC vise à anticiper cette future négociation de manière à l’aborder dans de bonnes conditions », souligne Hélène Delorme en évoquant les négociations de l’OMC6. Les objectifs affirmés par la nouvelle PAC sont d’améliorer la compétitivité de l’agriculture européenne, mais aussi de développer le rôle des agriculteurs dans la gestion des ressources naturelles et la sauvegarde du paysage7. Pour cela, les interventions visant à soutenir les prix et les marchés sont réduites, alors que des aides directes compensatrices payées aux agriculteurs sont développées (aides « découplées », qui compensent les baisses de prix, céréales et viande bovine en 1992). Mais celles-ci sont appelées à décroître et sont mises en œuvre dans le cadre des États membres qui fixent leur forme, leur écoconditionnalité8… Par ailleurs, l’UE réduit ses subventions à l’exportation et ses protections à l’importation, ce qui permet l’accord agricole de Marrakech. La majeure partie des pays membres de l’UE veulent parvenir à un accord et éviter une crise avec les États-Unis, la politique choisie (qui reste complexe et peut être perçue de manière contradictoire par les agriculteurs) est en partie dictée par cette volonté et va dans le sens d’une libéralisation des échanges et d’une certaine renationalisation de la politique agricole9.
6Cependant, les objectifs, mais aussi les conséquences sociales et environnementales des choix de l’OMC, sont contestés par nombre de syndicats et d’organisations non gouvernementales. Comment la CP a-t-elle perçu les conséquences sur la politique agricole commune des négociations du GATT ?
CONFÉDÉRATION PAYSANNE, DE LA CRITIQUE DE LA PAC À CELLE DE L’OMC
Critique de la PAC
7Le rapport d’orientation du premier congrès de la CP, en 1987, évoque, dès la première page, la crise de la communauté européenne « où les dépenses augmentent au-delà des recettes que les États membres veulent bien accepter ». Pour elle, la modernisation de l’agriculture voulue par l’Europe a entraîné la réduction du nombre d’actifs agricoles afin de permettre à l’industrie et aux services de bénéficier de main-d’œuvre10. La CEE reste cependant déficitaire dans certaines productions malgré l’importance des excédents dans d’autres. Le texte critique l’inégalité des aides et n’évoque qu’en quelques lignes le GATT : « Les négociations du GATT vont être l’occasion d’une attaque en règle des subventions à l’agriculture. Or aucune agriculture au monde ne s’est développée sans protection, y compris les USA qui y consacrent 23 milliards de dollars par an11 ! » La menace d’une critique des subventions semble perçue, la réponse est que ces aides sont une nécessité et l’exemple des États-Unis est cité pour justifier celles de la CEE. Rien n’est dit sur les firmes agroalimentaires. Quant à la menace, elle n’est pas explicitement attribuée aux États-Unis.
8Le rapport d’orientation de l’AG de la CP à Yvetot (19-20 avril 1989) dénonce le productivisme et critique « la logique libérale et moderniste » qui asservit la politique agricole, en attribue la responsabilité aux banques et aux industries agroalimentaires. La CP remet en cause la politique agricole de la CEE, défend la nécessité de protéger les agricultures d’Europe ou des pays du Sud, mais rien n’est encore dit sur le GATT. Or, « l’identification d’un adversaire constitue un processus essentiel de la construction des mouvements sociaux12 » et permet de tisser des liens entre des protestataires divers face à celui-ci.
Le GATT, un nouvel adversaire… qui permet alliances et mise en cohérence
9C’est en 1990 que le rapport d’orientation du congrès de la CP (qui se tient une dizaine de jours après un contre-sommet à Bruxelles) est plus précis, alors que des négociations sont en cours (Uruguay round). Pour la CP, la menace est liée aux choix des États-Unis et du groupe de Cairns (Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, Brésil, Canada…) qui « réaffirment leur volonté de libre-échange total des produits et la CEE accepte peu à peu cette logique : accord du 6 novembre […] pour une baisse de 30 % des aides européennes13 ». Pour le syndicat, l’évolution de la PAC est liée aux négociations du GATT et au choix de la majeure partie des membres de la CEE de se préparer à ces négociations plus larges, avec des partenaires multiples, dans lesquelles l’agriculture n’est qu’un secteur parmi d’autres. Les évolutions de l’agriculture sur le plan mondial sont mises en cohérence par le syndicat et attribuées aux choix du GATT.
10Le syndicat présente les enjeux agricoles sur le plan mondial : concurrence de l’agriculture paysanne qui produit des biens alimentaires par une agriculture productrice de matières premières pour l’industrie, emploi agricole très mal rémunéré qui explique les mouvements des jeunes vers les villes, désorganisation du marché mondial. Les conséquences nocives sont nombreuses : dégradation de l’espace rural, pollutions, déforestation massive, appauvrissement génétique animal et végétal, déculturation de populations rurales. « Si la politique mondiale continue sur cette voie, c’est l’avenir de la planète qui est en jeu » : la CP utilise un langage proche de celui des écologistes, en dramatisant l’importance des enjeux. D’autres conséquences sont pointées : modification des habitudes alimentaires dans les pays du Sud, augmentation des cultures exportatrices dans ces pays au détriment des productions vivrières d’où une dépendance accrue14.
11La CP attribue la responsabilité de cette évolution aux « puissances financières multinationales » et aux « États aveuglés par le mirage de la croissance à tout prix !15 ». En 1991, elle est plus explicite : dans les « négociations du GATT, la CEE donne l’impression de céder aux États-Unis sur toute la ligne en abandonnant son système de prix intérieurs relativement élevés16 ». L’année 1994 voit la CP mettre en cause l’UE (qui a signé les accords du GATT) au même titre que les États-Unis dans les décisions concernant le volet agricole du GATT, accords qui vont dans le sens d’une libéralisation des échanges. Dans le même temps, elle critique la « pensée unique » qui présente celle-ci comme une nécessité17.
12Pour la CP, ces choix sont d’autant plus contestables que le GATT est une « institution non démocratique », aux pouvoirs trop importants, car il « dicte les politiques agricoles du monde », « au seul profit des rapports marchands » alors que seule une petite part de la production agricole est exportée18. En 1991, la CP développe cette critique du GATT où « des fonctionnaires internationaux, sans aucun contrôle, peuvent demander aux États souverains de modifier leur politique agricole » sans que les citoyens puissent s’y opposer19. Après l’échec de Seattle (1999), l’OMC a choisi Doha (Qatar) pour tenir une conférence ministérielle. Ce choix d’une « monarchie pétrolière qui ne reconnaît pas le droit de manifester… symbolise la volonté de l’OMC d’agir à l’abri de toute pression démocratique. Il incarne son refus du dialogue et sa détermination à appliquer coûte que coûte les politiques libérales menées et décidées en partenariat avec la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) et le G720 ».
13Le syndicat dénonce un GATT non démocratique, dominé par les firmes internationales, qui défend une libéralisation des marchés sans tenir compte des besoins des paysans et des populations. Il affirme ses priorités : « Permettre à chaque pays ou groupe de pays de rester autonome dans ses besoins alimentaires essentiels », supprimer les subventions « dumping » aux exportations qui sont effectuées à des prix inférieurs aux coûts de production. Il relie cette exigence à celle d’un arrêt du financement « du développement d’une agriculture industrialisée ». Il demande que le travail paysan soit payé « à travers les produits ». Il ne réclame pas la suppression du GATT mais la limitation de son champ d’intervention « à la seule réglementation du commerce des produits agricoles sans interférence avec les politiques agricoles des États ou groupes d’États ». En 1992, il évoque la nécessité de faire du GATT « une structure internationale démocratique dont la mission ne serait que de gérer les 5 % de production qui relèvent effectivement du marché mondial21 ».
Une contestation plus virulente
14À partir de 1995, le ton utilisé est plus véhément : « Nous rejetons des relations internationales fondées sur la guerre économique dont les premiers fantassins à mettre au rebut sont les paysans22. » La CP dénonce « le capitalisme sauvage » à l’œuvre dans les pays du Sud entraîne le non-respect des droits de l’homme et une malnutrition chronique dans des pays qui exportateurs de produits agricoles. Elle interpelle les États afin qu’ils « retrouvent leur rôle de garant de l’intérêt commun ». « Nous serions dans un cas d’abandon de souveraineté si, par lâcheté, notre gouvernement adhérait à l’AMI. Il y a abandon de souveraineté avec les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) par l’autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié de Novartis. » Et de dénoncer les firmes agrochimiques et le gouvernement (de Lionel Jospin) qui subit leur influence. « Face à cette situation, les citoyens ont un devoir de désobéissance pour obliger l’autorité publique à assumer ses vraies responsabilités23. » En 2000, l’OMC est jugée au service des multinationales. Mais plus que le capitalisme, c’est l’absence de contrôle et le cours libéral de la mondialisation qui sont dénoncés.
15Le syndicat précise cette critique à l’occasion de la conférence de Doha (novembre 2003). Les grandes firmes multinationales jouent « un rôle prépondérant, détournant et capturant de fait les négociations entre États à leur profit24 ». En effet, elles sont représentées dans les délégations,» disposent de groupes de pression puissants politiquement et financièrement » auprès des gouvernements, participent aux « réunions d’experts » pendant les délibérations à huis clos. Ainsi, des instances comme la Chambre du commerce international ont pesé sur les débats relatifs à la mise en place de normes sociales et environnementales25.
Quelles propositions ?
16Les réflexions de la CP quant aux solutions qu’elle préconise, évoluent. Le syndicat évoque en 1991, le droit de chaque État à assurer « sa propre sécurité alimentaire26 ». Selon la CP, « on ne peut laisser seule la loi du marché réguler le secteur agricole ». Des arguments sont mis en avant pour justifier ce choix : tous les pays développés protègent leur agriculture, pour garantir l’autosuffisance alimentaire, parce que l’agriculture produit, mais entretient aussi l’espace et les écosystèmes27. Le concept de souveraineté alimentaire apparaît dans le rapport d’orientation de 1997, quand le syndicat évoque le droit des pays au protectionnisme sur le plan agricole et souligne « la nécessité de l’exception agricole tout aussi justifiée que l’exception culturelle28 ». D’où le refus « d’une vocation exportatrice, destructrice socialement dans les pays en développement et souvent écologiquement dangereuse chez nous ». Les exportations aidées désorganisent les agricultures du Sud. La CP approuve, en 1998, la baisse des restitutions aux exportations qui permettaient à l’UE et aux États-Unis de vendre à bas prix sur le marché mondial et demande leur suppression29.
17Dans le cadre d’une modification de la PAC, la CP exige avec des « prix agricoles différenciés…, la limitation de l’intensification…, la suppression des restitutions aux exportations…, le maintien d’une politique de prélèvements sur les importations…, la taxation des produits de substitution aux céréales et aux protéagineux ». Les OGM sont dénoncés, car le syndicat veut « restaurer l’initiative du paysan dans l’exercice de son métier, conforter la diversité des modes de production paysans, retrouver la dignité de fournir des produits sains ».
18Dans le combat contre « la dictature des marchés » et la « dérive libre-échangiste et doctrinaire » de la Commission et du Conseil européen, elle s’appuie sur les inflexions de la politique des États-Unis qui sont intervenus, en 1998, pour soutenir les producteurs confrontés à une forte baisse des prix liée à la libéralisation du secteur30. Elle souligne les « impasses » de l’« Agenda 2 000 » qui défend « la vocation exportatrice » de l’UE (débouchés incertains et irréguliers, conséquences négatives pour les PECO [Pays de l’Europe de l’Est], échanges internationaux limités…, accroissement des coûts, condamnation de l’emploi paysan).
19Il faut éviter, selon elle, un combat entre l’UE et les États-Unis, entre pays du Nord et du Sud. Le véritable ennemi est le productivisme et les agrimanagers qui profitent de la PAC. Il est nécessaire de « responsabiliser les surproducteurs », de « maîtriser et répartir les productions », de « répartir les aides et légitimer les soutiens publics à l’agriculture31 ». Pour cela, l’agriculture doit remplir trois fonctions : produire, participer à la lutte pour l’emploi, occuper le territoire ; auxquelles elle ajoutera bientôt, la production d’une alimentation saine et le respect de l’environnement. « Les aides directes seront, à terme, socialement acceptables, parce qu’elles rémunèrent les services rendus par l’agriculture à la société. »
Trouver des alliés
20Pour faire avancer ses revendications, la CP considère qu’il lui faut développer des analyses à la hauteur des enjeux internationaux, trouver des partenaires et mieux faire comprendre son projet d’agriculture paysanne. Le rapport d’orientation de 1997 nous permet de voir les emprunts de la CP aux mouvements critiques vis-à-vis de la mondialisation libérale (utilisations des expressions « pensée unique », « exception culturelle », « exception agricole »). Cela ne veut pas dire que la CP emprunte des idées mal assimilées mais souligne la proximité avec d’autres contestataires et la porosité du corpus idéologique (en formation) des uns et des autres. Le mouvement altermondialiste, dans lequel la CP (membre fondateur d’ATTAC en juin 1998) jouera un rôle significatif, émerge32. Cet apport et ces liens avec des intellectuels critiques vis-à-vis du cours jugé trop libéral de la mondialisation sont perceptibles dans plusieurs ouvrages. Jacques Berthelot, économiste rural, maître de conférences à l’École nationale supérieure agronomique de Toulouse, participent à la rédaction du livre de Via Campesina, Une alternative paysanne, à la mondialisation libérale, paru en 2002. José Bové avait préfacé l’ouvrage qui fournissait un argumentaire sur les négociations agricoles à l’OMC en 2001.
21Des outils (syndicats, mouvements, structures de coordination), des alliés (paysans du monde et non-paysans) et une mise en cohérence (idées, revendications, projet) autant d’appuis pour mieux défendre, selon la CP, les paysans et pour établir un rapport de forces pour faire avancer ses revendications.
L’ACTION INTERNATIONALE DE LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE
La construction d’une structure à l’échelle européenne
22Dès les années 1960, des militants avaient, sans refuser le renforcement des liens entre pays européens, critiqué tel ou tel aspect de la politique agricole de la CEE. Bernard Lambert et des militants de la Fédération Régionale des Syndicats d’Exploitants Agricoles de l’Ouest (FRSEAO) s’étaient rendus à Bruxelles pour tenter d’influer les décideurs et défendre les agriculteurs de l’Ouest, surtout les éleveurs. Un débat contradictoire avec Sicco Mansholt (Commissaire européen à l’agriculture, auteur d’un « mémorandum » sur la réforme de l’agriculture dans la CEE) avait été organisé à Nantes au cours duquel les choix de ce dernier avaient été vivement critiqués33.
23La CP, dans la continuité de ce type de confrontations, a participé à la création d’un regroupement d’organisations paysannes européennes. Plusieurs rencontres ont eu lieu dans les années 1980 entre syndicats. Elles sont facilitées par le fait que nombre de ces militants ont été formés par le christianisme social et par l’intérêt qu’y porte le Mouvement International de la Jeunesse Agricole et Rurale Catholique (MIJARC)34. La Coordination Paysanne Européenne (CPE), créée en 1986 à Madrid, regroupe des organisations aux statuts divers (syndicats, associations, groupements nationaux ou régionaux…), qui sont minoritaires dans leur champ de syndicalisation et qui espèrent mieux se faire entendre dans leurs pays respectifs, à Bruxelles, ou auprès du Parlement européen (avec le soutien de députés écologistes). La CPE installe son siège à Bruxelles en 1989. Elle est auditionnée à partir de 1987 par la Commission agricole du Parlement européen et sa représentativité est reconnue en 1998. Elle regroupe en 2003, dix-huit organisations de neuf pays (dont certains en dehors de l’UE). Elle refuse la concentration des exploitations et l’industrialisation de l’agriculture, défend le métier de « paysan », demande une politique plus favorable aux petites et moyennes exploitations, aux régions défavorisées avec des prix rémunérateurs. Pour elle, il est possible de produire une alimentation suffisante en quantité et de qualité. Elle veut mener de pair défense de l’environnement et défense des producteurs.
24L’année 2008 (26 et 27 juin à Madrid) voit un renforcement (et une transformation) de ce regroupement avec l’entrée de la COAG, de l’AIAB35, d’organisations paysannes plus modestes (du Danemark, de Grèce, de Malte, de Turquie), d’organisations de salariés agricoles, ainsi que du MIJARC-Europe. La CPE devient la Coordination Européenne Via Campesina (CEVC) et bénéficie de la reconnaissance de l’UE. Elle affirme regrouper vingt-trois organisations, aux forces et à l’influence diverses, venues de quatorze pays (il peut y avoir plusieurs organisations membres dans un même pays) et un peu plus de 100 000 membres36. Absente dans treize pays de l’UE, elle n’est pas implantée en Europe centrale et orientale, malgré l’importance des paysans dans ces pays et attribue cela au fait que les organisations agricoles y ont été créées par des organisations politiques, d’anciens ministres ou des hommes d’affaires, ainsi qu’aux conséquences de la collectivisation forcée. Par ailleurs, certaines des organisations qui la composent ont des forces très limitées. Elle affirme, malgré ces faiblesses, que sa cohérence pourrait en faire une force de propositions et d’action qui pourrait lui permettre de concurrencer le Comité des Organisations Professionnelles Agricoles (COPA), dont la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), est membre.
Vers une internationale paysanne ?
25Au-delà de l’Europe, les années 1980 ont vu se dérouler des rencontres internationales entre organisations paysannes, à Mexico, en 1984, dans le Minnesota en 1988, et à l’occasion du sommet des pays industrialisés à Toronto. À Bruxelles, le 3 décembre 1990, dans le cadre du contre-sommet du GATT (Alert for Action GATTastrophe). En avril 1992, à Managua, lors du congrès de l’UNAG37, huit organisations paysannes décident de renforcer leurs liens et de développer ceux-ci avec d’autres groupes. Via Campesina (VC) est créée en mai 1993 à Mons (Belgique) en présence de quarante-six dirigeants paysans de plusieurs continents. La volonté de ne pas être satellisé par des ONG et de faire en sorte que ce soit des paysans qui s’expriment est présente dès l’origine. Dans un premier temps, des ONG, des organismes de développement, des réseaux constitués à l’occasion de luttes, telle celle du Larzac, ont favorisé les liens entre les organisations paysannes. La Fondation pour le progrès de l’homme, animée pour le secteur paysan par un ancien animateur des « comités Larzac » qui connaît bien José Bové, a financé des déplacements de militants en Amérique latine. Après la médiatisation internationale de José Bové et de l’action de VC à Seattle en 1999, les organisations paysannes ont eu moins besoin de ces associations pour développer leurs liens.
26VC se construit au fil de rencontres internationales : en avril 1996, à Tlaxcala (Mexique), une conférence réunit des organisations de trente-sept pays. Le mouvement veut se renforcer en Asie et en Afrique. Des syndicats indiens, indonésiens, de Corée du Sud, forts actifs la rejoignent. En octobre 2000, des représentants d’une soixantaine de pays sont présents à Bangalore (Inde), en juin 2004, des paysans de soixante-seize pays sont représentés à Itaici (Sao Paulo, Brésil). Les efforts du mouvement se portent en direction de l’Afrique avec la tenue d’un forum mondial sur la souveraineté alimentaire au Mali, en février 2007. La cinquième conférence à Maputo (Mozambique), en octobre 2008, regroupe 550 personnes de cinquante-sept pays. Lors de celle-ci, de nouvelles organisations rejoignent le mouvement et, en parallèle, se déroulent la troisième assemblée de femmes, ainsi qu’une assemblée de jeunes.
27Le mouvement international se veut autonome, pluraliste et indépendant de toute obédience politique. Il est constitué d’organisations rassemblant des paysans petits et moyens, mais aussi des ouvriers agricoles, des paysans sans terre, des femmes du monde rural. VC rejette les politiques agricoles dites « néolibérales » qui marginalisent, selon elle, les paysans et veut faire entendre la voix de ceux-ci lors des négociations internationales portant sur l’agriculture et l’alimentation. La CP présente VC comme l’authentique défenseur du monde paysan, critiquant, le regroupement où est active la FNSEA qui défendrait les intérêts des agrimanagers.
28Il ne faut pas voir dans VC un mouvement centralisé avec une direction reconnue, ni une internationale qui pourrait impulser des combats dans plusieurs régions du monde au même moment. Il s’agit plutôt d’une structure de coordination regroupant des mouvements ou des syndicats, aux forces et à l’influence très différenciées, qui tente de confronter débats et pratiques, essaie parfois de mener des actions conjointes, recherche des positions communes et veut faire pression sur les gouvernements et l’OMC. Ce mouvement est encore en phase de construction en 2009, et si certains de ces syndicats ont une influence non négligeable (en France, au Brésil, en Inde), d’autres ont des forces très limitées. Il a tenté de faire du 17 avril une journée internationale des droits paysans, mais l’écho de cette journée est inégal. Josie Riffaud, paysanne en Gironde, rend compte en 2008 d’une réunion à laquelle participaient des responsables d’organisations membres de VC. « Beaucoup d’actions sont menées à travers le monde, nos compagnons de lutte coréens, africains, sud-américains attendent beaucoup de nous, Européens. Mais l’Europe, disent-ils, est à la traîne, elle ne semble pas avoir bien mesuré les enjeux38. » Le relatif affaiblissement du mouvement altermondialiste en Europe, à ce moment-là, ainsi que le moindre écho médiatique de la CP, expliquent peut-être ce sentiment.
Quelles sont les idées majeures de cette « internationale paysanne » ?
29Les manifestes de VC partent souvent de l’affirmation de droits humains, jugés élémentaires ou vitaux, pour défendre des revendications et un projet de société. Le droit à la souveraineté alimentaire est affirmé et précisé peu à peu. Selon la CP, c’est en novembre 1996, lors d’une conférence de chefs d’État et de gouvernements réunis à Rome (sommet mondial de l’alimentation organisé par la FAO), qu’une paysanne mexicaine de VC a pour la première fois lancé cette expression jugée différente du concept de sécurité alimentaire39. Pour le mouvement,» l’agriculture est d’abord et avant tout une source d’aliments et seulement secondairement un objet de commerce. Les États et les populations doivent pouvoir déterminer leur propre politique agricole et alimentaire mais sans léser les pays tiers » et il est possible et légitime, selon le mouvement, qu’un pays se protège des importations à trop bas prix, à condition qu’il n’exporte pas en dessous des coûts de production. Priorité devrait être donnée aux productions vivrières destinées aux marchés locaux, l’importance de la diversité agricole étant réaffirmée. C’est au nom de celle-ci que les OGM sont dénoncés, que les semences paysannes traditionnelles sont valorisées, que les firmes agrochimiques sont critiquées, que des réformes agraires sont demandées et que des pratiques vertueuses sur le plan environnemental sont louées40.
30Dix ans plus tard, alors que cette expression s’est répandue, la CP entend mieux la définir. Le droit à la souveraineté alimentaire devrait être à la base de nouvelles règles régissant le commerce international de produits agricoles. Celles-ci devraient interdire le dumping, redonner aux États (ou aux groupes d’États) leur capacité de décision, ce qui revient à demander que l’agriculture soit placée en dehors des négociations de l’OMC, favoriser les politiques agricoles alternatives et donner plus d’autonomie aux acteurs (paysans, consommateurs). Les subventions sont jugées légitimes si elles ont des objectifs sociaux, territoriaux ou environnementaux. Le syndicat considère que ce n’est pas du protectionnisme dans la mesure où les exportations ne sont pas subventionnées pour permettre des ventes en dessous des coûts41. Pour le syndicat, le concept de sécurité alimentaire permet, au contraire, de justifier les exportations à bas prix de produits agricoles qui accroissent la dépendance agricole des pays, ce qui « soumet les peuples à la pénurie alimentaire », ruine les paysans et uniformise l’alimentation42.
31Un dirigeant malien d’une organisation paysanne explique la nécessité de cette souveraineté alimentaire.
« La souveraineté alimentaire est l’unique alternative à la logique marchande… Le marché national est inondé par l’importation de produits alimentaires subventionnés […] qui casse l’agriculture malienne. Publicité mensongère et faible pouvoir d’achat incitent les urbains à consommer ces aliments importés et modifier leurs comportements alimentaires. Par ailleurs, l’importance accordée à l’agriculture d’exportation […] détourne l’essentiel des ressources (terre, eau, main-d’œuvre) de l’agriculture vivrière, au profit des multinationales […] notre agriculture a pourtant les capacités pour faire vivre décemment ses paysans et nourrir les populations urbaines. Il faut pour cela protéger notre production nationale par des barrières douanières43. »
32La lutte contre les OGM est vue comme fondamentale. Ceux-ci, affirme le syndicat, ne sont pas utiles pour résoudre le problème de la faim. Ils détruisent la diversité animale et végétale, renforcent la dépendance des paysans envers les industries, risquent d’entraîner la brevetabilité du vivant et ruinent les paysans.
33Une autre question apparaît et fait débat dans le mouvement, celle de l’égalité hommes-femmes, posée à l’intérieur du mouvement. Entre 1996 et 2000, une seule femme (Nettie Webb, paysanne canadienne) était présente au sein de la Commission de coordination internationale, organe de décision du mouvement44, alors que, lors de la création de VC, sur quarante-six dirigeants paysans les femmes représentaient un quart de l’assemblée45. Le témoignage de cette militante montre bien les difficultés à faire participer les femmes à la direction d’un mouvement syndical, associatif ou politique. Il démontre aussi le volontarisme, rare, du mouvement.
« La première fois, en 1993 […], nous n’avions pas porté d’attention particulière à la présence ou non de femmes […] Résultat aucune femme n’avait été mandatée par les organisations alors que les paysannes jouent un rôle majeur dans l’histoire du développement agricole […] Leur absence était une contradiction inacceptable. À Tlaxcala […] en 1996, je fus la seule candidate. À partir de là, nous avons décidé qu’une dynamique paritaire devait être impulsée. »
34La parité est inscrite dans les statuts du mouvement, à Bangalore (Inde), en octobre 2000. Chaque région du monde doit envoyer deux délégués (un homme et une femme) aux conférences et la parité doit s’imposer dans la structure internationale de coordination. Le bilan tiré par une déléguée de la CP (Josie Riffaud) est mitigé. Des avancées sont reconnues mais elles sont jugées encore insuffisantes et des pistes pour les combats à venir, à l’intérieur comme à l’extérieur du mouvement, sont tracées. Des commissions et des assemblées femmes sont créées afin de « gagner en estime de soi », d’« apprendre à être aussi en avant », de « construire une autre façon de porter les responsabilités46 ».
35Un autre défi est celui du renouvellement de VC. Le rajeunissement des militants a été impulsé par le comité de coordination après avoir constaté le vieillissement des équipes. Pour la conférence de Maputo, les délégations devaient être composées d’un homme/une femme/un jeune (ce qui n’enchante pas vraiment la CP). Des structures jeunes des syndicats sont créées en Amérique latine. En Europe, la coordination essaie d’impulser un tel mouvement à travers la présence de jeunes proches des syndicats agricoles dans des campements altermondialistes (Rostock, Malmö), avec l’organisation de débats lors de ceux-ci et la mise en relation de jeunes : paysans et militants écologistes. Fin 2008 - début 2009, un processus est lancé qui regroupe des jeunes d’origine diverse : paysans membres des syndicats, en cours d’installation ou intéressés par la question de la souveraineté alimentaire. Un mouvement européen Reclaim the fields est initié. Proche de VC, il revendique son autonomie (ce qui ne va pas sans créer des problèmes avec la structure mère) et se veut ouvert aux non paysans. Un campement se tient à Minerve dans l’Aude (France), fin septembre - début octobre 2009, et rassemble plus de trois cents jeunes dans une ambiance très altermondialiste. Le processus paraît prometteur. Est-il durable ?
36Reste un problème posé au syndicat, comment les sympathisants, les adhérents et les militants de base s’approprient-ils l’appartenance à VC ? Il n’est pas sûr que l’action internationale, la présence dans VC comme la participation au mouvement altermondialiste irriguent l’ensemble du syndicat (passé un court moment d’enthousiasme). Il est fort probable que ces liens, cet intérêt, soient le fait de quelques militants spécialisés, d’une commission, de la direction nationale ou d’une partie d’entre elle. Les réunions départementales portent essentiellement sur les problèmes de la profession sur le plan local ou national, sur les problèmes de fonctionnement ou sur les tâches jugées urgentes. Enfin, VC a des difficultés à mener des actions internationales cordonnées, elle a tenté de faire du 17 avril une journée internationale des luttes paysannes mais rapidement son écho en France en a été limité, d’autant plus que les luttes paysannes d’autres pays sont peu relayées par les médias.
Les alliances sociales… une nécessité ?
37Quand la tendance paysans-travailleurs s’affirme, elle fait du refus du corporatisme un des axes majeurs de son identité. Dans les années 1970, les alliés vertueux espérés sont les ouvriers. Dans les années 1980, l’alliance avec les ouvriers a déçu, c’est aux consommateurs et à leurs associations que le mouvement s’adresse alors tout en continuant à tisser des liens avec le courant dit tiers-mondiste. Au-delà, nombre de luttes ont vu des alliances souples et multidimensionnelles être mises en œuvre et des liens s’affirmer avec des militants d’associations, de groupes politiques, de mouvements ainsi qu’avec des intellectuels.
38Dans les années 1990, des organisations anciennes sont revitalisées, des militants chenus s’investissent dans de nouvelles. ATTAC s’affirme à partir de 1997, la CP y est présente en tant que telle. Les paysans y côtoient des responsables d’autres syndicats, des mouvements associatifs, mais aussi des intellectuels (Monde Diplomatique…). Ces relations accroissent la visibilité de la CP dans les milieux militants et au-delà parmi les journalistes, fournissent des mots-clefs (« la pensée unique », « l’exception agricole ou culturelle »), des idées quant au répertoire d’actions et aux cibles, des arguments critiques et favorisent le travail de mise en cohérence idéologique. La lutte contre les OGM permet de tisser des liens avec des mouvements d’autres régions du monde et de resserrer ceux qui existaient avec des acteurs de la galaxie environnementaliste.
39Cette ouverture aux autres catégories sociales et cette capacité à poser les problèmes de l’agriculture et des agriculteurs comme des problèmes de société ont largement contribué à la médiatisation de l’affaire du restaurant MacDonald’s de Millau, en 1999, et permis que de larges secteurs de la population se reconnaissent dans ce combat. Enfin, semblaient constater les journaux, voici des paysans ouverts, qui se posent la question de la finalité de leur production. Et ce, alors que l’action contre le « MacDo » est, au départ, une action professionnelle, en défense des producteurs de lait de brebis contre une mesure de taxation des États-Unis47.
Pourquoi ces alliances ?
40Des raisons structurelles renforcent cette nécessité pour ce syndicat de militer à l’international et de chercher des alliances sociales. La CP est un syndicat minoritaire dans le monde agricole, un syndicat qui a dû mener de durs combats pour faire reconnaître sa représentativité, il défend une catégorie sociale peu nombreuse et en recul, dominée sur le plan culturel et qui ne dispose pas de l’arme de la grève. L’international est donc un moyen pour lui de se faire connaître, d’affirmer sa légitimité et sa représentativité. L’obtention de celle-ci à Bruxelles est, en retour, soulignée en France.
41Le choix d’alliances sociales en dehors du monde agricole s’explique aussi par la volonté d’ancrer sa légitimité à défendre les agriculteurs. S’allier avec d’autres forces permet de faire reconnaître son existence. Les minoritaires dans leur champ de syndicalisation, ceux qui sont parfois jugés illégitimes dans le champ politique (intellectuels, journaux), certains de ceux qui veulent représenter les exclus (organisations militantes des « Sans ») ont intérêt à agir ensemble et à valoriser leur cause pour être reconnus par les médias afin d’atteindre l’opinion publique et ceux qu’ils affirment vouloir défendre. La dépendance vis-à-vis des médias peut néanmoins se révéler contre-productive en donnant une image partielle du syndicat48.
42Le choix de s’ouvrir à l’international renvoie à une volonté et à une tradition. Depuis les années 1970, cette sensibilité s’inscrit dans un courant de pensée qui recherche des alliances internationales et refuse le nationalisme étroit. La solidarité est affirmée comme une valeur centrale, elle entend se déployer au-delà des frontières. La CP se veut solidaire des paysans du monde entier et d’abord de ceux des pays en développement. Des liens ont été tissés, des échanges ont eu lieu, des voyages d’études ont été entrepris…
43Ces choix renvoient aussi au fait que les dirigeants professionnels se différencient de la base qu’ils affirment représenter. Les militants de la CP sont des paysans, mais ils ont souvent fait des études plus longues, ont des frères ou des sœurs plus longtemps scolarisés, ont des goûts qui les distinguent. Par ailleurs, la présence de néoruraux est significative dans plusieurs départements, même si cette catégorie demande à être réinterrogée49.
*
44Dans les années 1980, la CP conteste la PAC car elle estime qu’elle a atteint nombre de ses objectifs et qu’elle doit être réorientée. L’infléchissement de la politique européenne sous l’influence du GATT puis de l’OMC, dans les années 1990, est refusée car, selon le syndicat, la libéralisation du marché mondial accroît les inégalités, favorise la disparition des paysanneries du Sud et va à l’encontre de son projet d’agriculture paysanne en Europe et dans le reste du monde. Face à l’OMC, des alliances sont esquissées. La participation de la CP à un mouvement international s’appuie sur ses traditions contestataires, sur sa capacité à analyser les évolutions en cours ainsi que sur la construction d’un projet alternatif. Reste à obtenir des victoires, fussent-elles partielles.
Notes de bas de page
1 Nehme Cl., Le GATT et les grands accords commerciaux mondiaux, Paris, Les Éditions d’Organisation, 1993.
2 Berthelot J., L’agriculture, talon d’Achille de la mondialisation. Clés pour un accord agricole solidaire à l’OMC, Paris, L’Harmattan, 2001.
3 Delorme H. (dir.), La politique agricole commune. Anatomie d’une transformation, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.
4 Ibid., p. 14.
5 Voir infra l’article d’Élise Roullaud.
6 Ibid., p. 335.
7 Ibid., p. 19.
8 Ibid., p. 21.
9 Le gouvernement des États-Unis a accru les aides à ses agriculteurs à partir de 1997. Voir Delorme H., op. cit., p. 129.
10 CP, Rapport d’orientation, 1987, p. 1-3. Archives non classées.
11 Ibid., p. 7.
12 Agrikoliansky É., Fillieule O. et Mayer N., L’altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Paris, Flammarion, 2005, p. 39.
13 CP, Rapport d’orientation, congrès, 12 et 13 décembre 1990, p. 7.
14 CP, Rapport d’orientation, 1994, p. 10.
15 Ibid., p. 8.
16 CP, Rapport d’orientation, 1991, p. 16.
17 CP, Rapport d’orientation, congrès des 9 et 10 avril 1997, p. 3.
18 CP, Rapport d’orientation, 1990, p. 8.
19 CP, Rapport d’orientation, 1991, p. 26.
20 CP, Soumettre l’OMC aux droits fondamentaux de l’homme, texte sans indication de date mais écrit peu avant la rencontre de Doha (novembre 2003), avec le soutien de diverses ONG.
21 CP, Rapport d’orientation, 1992, p. 4. (AG de décembre 1992).
22 CP, Rapport d’orientation, 1998, p. 5.
23 C’est la première fois, nous semble-t-il, qu’est affirmé si nettement un tel « devoir ».
24 CP, Soumettre l’OMC…, p. 15.
25 Ibid., p. 16.
26 CP, Rapport d’orientation, Paris, le 8 décembre 1991, p. 26.
27 Ibid., p. 27.
28 CP, Rapport d’orientation, 1997, p. 10.
29 CP, Rapport d’orientation, Assemblée générale des 22 et 23 avril 1998, Bagnolet, p. 5.
30 CP, Rapport d’orientation, 1999, p. 6 et 7.
31 CP, Rapport d’orientation, 1999, p. 12, 13, 16.
32 François Dufour, responsable national, en est un des vice-présidents.
33 Martin J.-Ph., Histoire de la nouvelle gauche paysanne. Des contestations des années 1960 à la Confédération Paysanne, Paris, La Découverte, 2005. Voir aussi infra la communication de René Bourrigaud.
34 Martin J.-Ph., « Du Larzac à la Confédération Paysanne de José Bové », in Agrikoliansky É., Fillieule O. et Mayer N., L’altermondialisme en France…, op. cit., p. 107-142.
35 La COAG (Coordinadora de Organizaciones de Agricultores y Ganaderos, Espagne) avait mené des actions avec la CPE mais n’en faisait pas partie. Elle regroupe près de 50 000 adhérents et apparaît comme la principale organisation paysanne du pays. L’AIAB (Associazone Italiana per l’Agricoltura Biologica, Italie) revendique 26 000 membres.
36 CS, n° 232, septembre 2008 et n° 236, janvier 2009.
37 Union Nacional de Agricultores y Ganaderos.
38 CS, n° 228, avril 2008, p. VIII.
39 CS, n° 214, janvier 2007, p. III.
40 Ibid., p. IV.
41 Ibid.
42 CS, n° 228, avril 2008, p. VIII.
43 Ibrahim Coulibaly, de la Coordination nationale des organisations paysannes, CS, n° 214, janvier 2007, p. VI. D’où l’appui à la loi d’orientation agricole élaborée par le gouvernement malien qui repose sur ce principe.
44 CS, n° 235, décembre 2008, p. IV.
45 Ibid. et Via Campesina…, op. cit., p. 77.
46 Ibid.
47 Martin J.-Ph., « La Confédération Paysanne et José Bové, des actions médiatiques au service d’un projet ? », Ruralia, n° 6, 2 000, p. 151-180.
48 Martin J.-Ph., « Les médias, une ressource indispensable et décisive pour un syndicat minoritaire comme la Confédération Paysanne », colloque du CURAPP, Cent ans après la « charte d’Amiens », l’indépendance syndicale face à la transformation des pouvoirs, octobre 2006.
49 Maresca S., Les dirigeants paysans, Paris, Éditions de Minuit, 1983 ; Martin J.-Ph., « Pour un portrait des directions des nouvelles gauches paysannes », Paris, Éditions de l’ARF, 2003, p. 79-97 ; Bruneau I., « Quand des paysans deviennent soixante-huitards », in Damamme D., Gobille B., Matonti Fr. et Pudal B. (dir.), Mai-juin 68, Paris, Éditions de L’Atelier, 2008, p. 344-356.
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