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    Plan détaillé Texte intégral LA PAC, UN ENJEU MAJEUR DE LA CONSTRUCTION COMMUNAUTAIRE DES ANNÉES 1960 LA PAC, SYMBOLE DES RÉUSSITES ET DES DIFFICULTÉS DE L’EUROPE DES NEUF RÉFORMER LA PAC POUR RELANCER L’EUROPE Bibliographie Annexe Notes de bas de page Auteur

    Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011)

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Les enjeux de la Politique Agricole Commune, du traité de Rome au marché unique, 1957-19931

    Michel Catala

    p. 37-66

    Texte intégral Bibliographie BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE Annexe ANNEXES1 Documents sur la PAC (1964-1983) Archives du CHT, fonds FDSEA 44 Annexe 1.1. Conférence de presse de M. Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture, le 23 septembre 1964 au Palais d’Iéna La politique agricole commune L’unité de prix Débat Archives du CHT, fonds Association nationale des paysans-travailleurs Annexe 1.2. Le marché commun et l’agriculture. Livre blanc des organisations professionnelles agricoles, octobre 1965 Introduction Conclusion Le développement économique compromis Pour les agriculteurs, un avenir incertain Pas de négociations, pas de politique agricole commune Archives du CHT, fonds FDSEA 44 Annexe 1.3. Discours prononcé par M. Edgar Faure, ministre de l’Agriculture (Assemblée nationale le 18 octobre 1967), numéro spécial du Bulletin d’information du ministère de l’Agriculture. Faut-il continuer à nous placer dans la perspective européenne ? Les problèmes agricoles ne se situent plus dans le seul cadre national Quatre raisons de conserver notre option européenne Archives du CHT, fonds Association nationale des paysans-travailleurs Annexe 1.4. Les documents, Communauté européenne, n° 39, février 1967, La politique agricole commune II – Traité de Rome et agriculture III – Les grandes étapes de la mise en œuvre de la politique agricole commune Archives du CHT, fonds Fédération nationale des syndicats paysans Annexe 1.5. FNSP, La PAC et les paysans. Bilan, enjeux, perspectives, octobre 1981 (extrait) Il faut renégocier la PAC 1. La PAC coûte-t-elle trop cher ? 2. Faut-il modifier le traité de Rome ? 3. Adapter les principes de la PAC. Conclusion générale Archives du CHT, fonds Fédération nationale des syndicats paysans Annexe 1.6. Fédération nationale des syndicats paysans, Paris le 14 octobre 1983 Propositions de la FNSP exprimées à M. le ministre de l’Agriculture à l’occasion de la rencontre du 14 octobre 1983 sur la Politique Agricole Commune David2015-08-12T11:17:00DDavid2015-08-12T11:17:00DDavid2015-08-12T11:17:00D1. Finalités de la PAC 2. Principes fondamentaux dont le contenu doit être redéfini et réaffirmé 3. Mesures pour la prochaine campagne laitière Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1L’agriculture est certainement l’un des grands enjeux de la modernisation de l’économie européenne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’alimentation des populations reste problématique jusqu’au début des années 1950, comme le démontre le maintien des politiques de rationnement après la fin du conflit. Pourtant, l’Europe ne se bâtit pas dans un premier temps sur l’agriculture : pour l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OECE), créée en 1948 pour favoriser les échanges et la modernisation, l’agriculture n’est qu’un sujet parmi d’autres. En 1950, la construction d’une communauté à finalité politique doit résoudre le problème allemand dans le cadre de la construction d’une Europe occidentale forte face à la menace soviétique. L’industrie reste le symbole de la modernité des sociétés occidentales, et priorité est donnée au charbon et à l’acier, au cœur de la révolution industrielle et des industries d’armement. Jean Monnet, le grand penseur de cette construction, est un apôtre de la modernisation industrielle fondée sur la maîtrise de l’énergie. L’agriculture n’est pas encore perçue comme une priorité de la coopération franco-allemande.

    2Pourtant, l’organisation des marchés agricoles à l’échelle européenne est une idée très séduisante pour élargir les marchés nationaux souvent incapables de subvenir à leurs besoins, et pour chercher dans le développement de la production agricole européenne les ressources nécessaires à l’alimentation des Européens. L’Europe souffre en effet d’une production agricole insuffisante due à une faible modernisation des structures. Le revenu des agriculteurs reste largement insuffisant. Des projets de Pool vert voient le jour dès 1950 au sein de l’OECE et du Conseil de l’Europe. Sicco Mansholt, le ministre néerlandais socialiste de l’Agriculture, propose déjà une organisation européenne pour créer un marché européen agricole basé sur la fixation des prix par produits. Un premier projet présenté au Conseil de l’Europe en mars 1951 par Pierre Pfimlin au nom du gouvernement français échoue en 1953 devant les divergences des pays européens et le manque de préparation et d’originalité des projets.

    3L’échec de la Communauté Européenne de Défense (CED), le 30 août 1954, entraîne un bouleversement des priorités. Il facilite la relance du projet économique européen global entre 1955 et 1957 et permet d’intégrer l’agriculture dans la réflexion autour de la création d’un marché commun. La Politique Agricole Commune (PAC) deviendra le symbole de la construction européenne des années 1960 et reste depuis un enjeu majeur du fonctionnement de la Communauté Économique Européenne (CEE), le symbole de ses réussites et de ses échecs. Mais seule sa réforme en 1992 permet à l’Europe de s’engager dans une nouvelle étape de sa construction.

    LA PAC, UN ENJEU MAJEUR DE LA CONSTRUCTION COMMUNAUTAIRE DES ANNÉES 1960

    4La conférence de Messine de 1955, initiée par les pays du Benelux, repose sur deux grandes idées : un marché commun général et une communauté de l’énergie atomique. Très rapidement, les négociateurs français perçoivent le Marché commun comme une menace pour les intérêts industriels du pays. Laurent Warlouzet a fort bien montré les résistances de l’appareil ministériel français, seulement dépassé par la volonté politique du gouvernement Mollet en 19562. Mais la France est en position de force pour imposer des contreparties politiques et économiques à ses partenaires : une Europe plus favorable aux intérêts français, plus sociale, plus orientée vers l’outre-mer, et surtout plus agricole. L’intégration de l’agriculture dans le Marché commun est une exigence française pour ouvrir les négociations en 1956.

    5Mais deux conceptions du modèle économique européen s’affrontent : Français et Italiens souhaitent une Europe intégrée avec des politiques communes qui protègent de la concurrence extérieure leurs économies jugées plus fragiles, alors qu’Allemands et Néerlandais proposent un grand marché plus ouvert sur le monde. Finalement, Français et Allemands s’entendent sur un compromis sur le marché commun, avec une période transitoire d’adaptation de quatre ans et un tarif extérieur assez élevé. Le traité de Rome prévoit l’établissement d’une « organisation commune des marchés agricoles » pour accroître la production et assurer la sécurité des approvisionnements alimentaires des Six, tout en favorisant le rattrapage du niveau de vie des agriculteurs et des prix raisonnables pour les consommateurs. Il s’agit d’allier des exigences commerciales et des préoccupations sociales. Cependant, le contenu détaillé de la future politique agricole est renvoyé à la fin de la période transitoire, soit en 1962. La Commission européenne devra jouer un rôle de proposition sous l’œil attentif des États membres, et notamment de la première puissance agricole, la France, qui, à partir de 1958, juge la question prioritaire, la juste contrepartie de la mise en place du marché commun industriel. La conférence intergouvernementale de Stresa de juillet 1958 détaille les lignes directrices de la future PAC, sur la base des idées françaises. Une libéralisation des échanges dans une perspective mondiale est rejetée au profit du maintien d’une agriculture de type familial soutenue par les pouvoirs publics, grâce à une solidarité financière entre pays membres. Comme le souligne Gilbert Noël, il s’agit d’assurer « la garantie de revenu des producteurs par des garanties de prix, l’écoulement des produits selon le principe de la préférence communautaire et la transposition des systèmes nationaux d’organisation des marchés par l’instauration d’organisation commune de marché3 ».

    6La Commission de Bruxelles joue un rôle moteur dans la mise en place de la PAC, consciente de l’importance pour l’intégration communautaire d’une première politique commune, et se retrouve la meilleure alliée de la France sur ce dossier, même si son président, Walter Hallstein, est en désaccord avec de Gaulle sur tous les autres grands dossiers européens du moment. Le 30 juin 1960, sous l’impulsion du commissaire européen à l’Agriculture Sicco Mansholt, la Commission présente au Conseil un plan précis basé sur quatre principes majeurs :

    • la libre circulation des produits agricoles entre les Six ;

    • l’organisation des marchés par produit avec prix garantis et unifiés, supérieurs aux prix du marché mondial, pour stimuler la production tout en garantissant l’augmentation des revenus des producteurs ;

    • la préférence communautaire avec protection extérieure et solidarité financière ; des prélèvements aux frontières permettent de renchérir les importations, tout en assurant la protection du marché européen d’une concurrence trop inégale ;

    • ces prélèvements sont redistribués aux agriculteurs européens en soutien à l’exportation (pour compenser les baisses de prix sur le marché mondial) et en aides à la modernisation des structures.

    7Mais les Allemands et les Belges sont peu pressés d’aboutir avant la mise en place de l’Union douanière. La candidature britannique de 1961 complexifie davantage la problématique. En effet, les négociations avec Londres se heurtent à la question agricole : le tarif extérieur commun (TEC) remet en cause les liens privilégiés du Royaume-Uni avec le Commonwealth fondés sur les importations à bas prix de produits agricoles, et la PAC semble incompatible avec les larges subventions accordées aux agriculteurs d’outre-Manche. Le 14 janvier 1962, le ministre de l’Agriculture français, Edgar Pisani4, et son collègue néerlandais obtiennent de haute lutte de leurs partenaires la mise en place de la première étape : l’adoption des premiers règlements pour le marché des céréales, un calendrier pour mettre en place les marchés des produits laitiers, de la viande et du sucre, la création du Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA) et un règlement financier valable jusqu’au 30 juin 1965. Pourtant, rien n’est encore gagné. L’administration française est convaincue que les Britanniques veulent dénaturer le marché commun en le transformant en une vaste zone de libre-échange. Les milieux agricoles, les industriels et les syndicats, très anxieux devant la concurrence britannique, multiplient les pressions pour s’assurer de la fermeté de leur gouvernement. La question agricole est un élément essentiel du veto français à l’entrée du Royaume-Uni en 1963, de Gaulle l’expose clairement dans sa fameuse conférence de presse du 13 janvier. Elle justifie en partie une crise essentielle avec ses cinq partenaires, tous favorables à l’entrée des Britanniques.

    8Au demeurant, la France doit encore obtenir une version définitive de la PAC, dans une ambiance fortement dégradée par le veto gaullien. La mise en place du marché des céréales, très symbolique (la France produit la moitié des céréales des Six) se heurte à l’opposition allemande, désireuse de s’approvisionner à bas prix sur le marché mondial, alors que les États-Unis veulent obtenir l’accès au marché européen dans le cadre des négociations du GATT (Kennedy Round). Le libéral Ludwig Erhard, qui a succédé à la chancellerie à Adenauer, refuse de payer au prix fort les excédents français ! En octobre 1964, de Gaulle lance un véritable ultimatum : hors de question de rester dans une CEE sans PAC ! En décembre, les Six parviennent enfin à un accord sur le prix des céréales après un long « marathon » à Bruxelles, dans un climat extrêmement tendu.

    9En 1965, la PAC est au cœur de la crise de la chaise vide. Il faut en effet trouver les moyens financiers nécessaires à sa mise en place complète et définitive. Le 31 mars, Walter Hallstein propose un nouveau règlement financier pour la période 1966-1970. Il se saisit du problème budgétaire pour tenter d’obtenir une augmentation des pouvoirs de l’institution supranationale qu’il dirige, alors que de Gaulle s’oppose fermement à cette évolution prévue à Rome mais contraire à son idée d’une Europe formée d’États souverains. Le budget serait financé non plus par les contributions des États mais par des recettes directes provenant des prélèvements agricoles et des droits de douane du TEC. L’Assemblée pourrait proposer des amendements budgétaires avec l’accord de la Commission, que le Conseil ne pourrait rejeter que par un vote à la majorité. À cette tentative pour renforcer considérablement les pouvoirs de la Commission et de l’Assemblée au détriment des États, s’ajoutent deux réformes majeures du fonctionnement de la Communauté prévue par le traité de Rome : la fusion des exécutifs et le passage au vote à la majorité au Conseil. C’en est trop pour le président français, et la priorité agricole s’efface devant le problème institutionnel. La crise de la chaise vide, qui éclate le 30 juin 1965 à l’initiative du général de Gaulle et de son ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, retarde l’adoption du règlement financier nécessaire à l’achèvement de la PAC. Finalement, le compromis de Luxembourg du 30 janvier 1966, en permettant à la France de sauvegarder son droit de veto, lui laisse la capacité de s’opposer au Conseil à toute évolution non désirée de la PAC.

    10Cet arrangement permet d’accélérer sa mise en place. Le 11 mai 1966, les Six adoptent le règlement financier agricole jusqu’en 1970, assurant ainsi le financement du FEOGA. Deux mois plus tard, trois nouveaux secteurs essentiels sont ouverts : matières grasses, sucre et fruits et légumes. La libre circulation des produits agricoles est effective au 1er juillet 1968.

    11La PAC devient alors le symbole du fonctionnement communautaire, de ses réussites et de ses limites. De véritables « marathons agricoles » réunissent périodiquement les ministres des Six pour parvenir à organiser les différents marchés, les modalités d’intervention du FEOGA, les prix unifiés et garantis, le financement global du système. Ces réunions deviennent le symbole de la construction européenne : de longues négociations interminables pour obtenir les sacrifices nécessaires à l’intérêt général, souvent proche de l’intérêt français… La pendule est souvent arrêtée à minuit pour respecter les délais de fin des négociations ! Pourtant, la PAC est un « puissant facteur d’intégration5 ». Et le résultat est à la hauteur des attentes : l’augmentation de la production agricole est spectaculaire, l’agriculture se modernise et s’industrialise en s’intégrant dans l’économie globale, la PAC assure la stabilité des marchés et l’augmentation du revenu des agriculteurs. Tout en restant le premier importateur de produits agroalimentaires, la CEE est proche de l’autosuffisance pour la plupart des produits et même excédentaire pour les céréales et les produits laitiers. Les échanges agricoles intracommunautaires ont été multipliés par 7 entre 1958 et 1970 ! Les agricultures des Six profitent toutes de ce développement, les agriculteurs français en particulier, qui bénéficient de l’accès à un marché élargi pour accroître leurs productions et leurs revenus.

    LA PAC, SYMBOLE DES RÉUSSITES ET DES DIFFICULTÉS DE L’EUROPE DES NEUF

    12Le départ du général de Gaulle et l’arrivée de nouvelles personnalités à la tête de la France comme de la RFA, Georges Pompidou et Willy Brandt, permettent de dépasser les antagonismes des années 1960. En décembre 1969, lors du sommet de La Haye, les Six décident de relancer la construction européenne sur la base du fameux « triptyque » achèvement - élargissement - approfondissement.

    13Achever le Marché commun, c’est aussi achever la PAC ! Un règlement financier durement négocié est adopté par le Conseil le 21 avril 1970. Le financement de la PAC, dont les derniers prix garantis sont fixés en décembre 1969 et qui est donc définitivement en place en 1970, est assuré grâce à l’octroi de ressources propres : les prélèvements agricoles, les recettes du TEC et un transfert de 1 % du montant des TVA nationales. Mais le contrôle des dépenses de la PAC, qui représente l’essentiel du budget communautaire, reste sous le contrôle des États membres, par l’intermédiaire du Conseil des ministres, le Parlement européen étant soigneusement tenu à l’écart.

    14L’entrée du Royaume-Uni fait désormais consensus, mais pas à n’importe quel prix : les candidats doivent accepter les traités et toutes les décisions prises depuis ! Pour la France, la PAC est intouchable mais le contexte n’aide pas les négociateurs français. Depuis 1970, le désordre monétaire la met en danger. Comment maintenir des prix communs et garantis avec des pays dont les monnaies sont désormais flottantes ? La mise en place des fameux Montants Compensatoires Monétaires (MCM) en mai 1971, d’abord provisoires, puis maintenus après 1972, permet de surmonter la difficulté mais démontre la fragilité de la PAC. Mais le traité d’adhésion du 22 janvier 1972 ne remet pas en cause les décisions de 1969 : les nouveaux membres, finalement au nombre de trois en janvier 1973 (Royaume-Uni, Irlande et Danemark), bénéficient d’une période transitoire de cinq ans pour intégrer la Communauté, mais acceptent d’appliquer dès leur entrée les règles de l’organisation des marchés agricoles et de la préférence communautaire. Le rapprochement des prix se fera en six étapes étalées jusqu’en décembre 1977. Des accords spéciaux sont signés pour le sucre du Commonwealth et pour le beurre néo-zélandais, produits pour lesquels les Six acceptent un régime dérogatoire.

    15La crise des années 1970 met en lumière les dérives de la PAC. Certes, son succès est reconnu mais elle reste extrêmement coûteuse pour le budget communautaire. Le système du soutien des prix, en encourageant la production, ne fait qu’accroître les excédents tout en coûtant de plus en plus cher. Malgré ses succès, elle déséquilibre le budget communautaire, qui a pourtant quadruplé entre 1973 et 1982. 70 % des dépenses lui sont consacrées en 1979, mais les prélèvements agricoles ne représentent plus que 15 % des recettes communautaires en 1979 ! La Commission a bien tenté de répondre au problème, bien connu depuis la fin des années 1960. Le plan Mansholt, dévoilé par la Commission en octobre 1968, préconisait de réorienter les dépenses vers des réformes structurelles, de manière à mettre en place des exploitations modernes capables de maîtriser la production et de réduire les prix tout en assurant de bons revenus à des agriculteurs beaucoup moins nombreux. Les Six décident pourtant de rejeter le plan en janvier 1969, s’opposant ainsi à la première vraie tentative de réforme de la PAC. Le conseil se contente d’adopter trois directives en avril 1972 pour encourager la modernisation des exploitations, la cessation d’activité et la qualification professionnelle des agriculteurs.

    16Ces « mesurettes » ne résolvent pas le problème principal des excédents structurels dans certains secteurs, le vin, le sucre et surtout les produits laitiers. Le soutien à la production les favorise et permet aux grandes exploitations de profiter largement du système des prix garantis. Mais comment différencier les prix sans pénaliser les petits exploitants ou ceux des régions les plus défavorisés ? Toutes les velléités de réforme se heurtent à ces problèmes. La France ne veut pas toucher à la PAC, pilier de sa politique de soutien au monde rural.

    17L’intégration du Royaume-Uni bouleverse le rapport de forces. La question du coût de la PAC reste particulièrement sensible en Grande-Bretagne. Lorsque Harold Wilson demande officiellement une renégociation du traité d’adhésion dès son arrivée au pouvoir le 1er avril 1974, des « changements majeurs » sont réclamés, notamment dans le domaine agricole. Mais le gouvernement de Jacques Chirac résiste, et finalement, Wilson doit se contenter de la prolongation des mesures dérogatoires sur le sucre et sur le beurre. Après trois courtes années d’apaisement, le nouveau Premier ministre conservateur élu en 1979, Margaret Thatcher, développe une politique intransigeante sur la question du « juste retour », en s’appuyant sur un large soutien de son opinion publique devenue très eurosceptique : seulement 25 % des Britanniques pensent que l’appartenance à la CEE est une bonne chose en 1981 ! En effet, le Royaume-Uni est l’un des deux pays « contributeurs nets », au même niveau que la RFA (- 1,5 milliard d’écus chacun en 1980), alors que la France ou les Pays-Bas, grâce à la PAC, sont largement bénéficiaires (+ 430 et 460 millions d’écus chacun en 1980). En juin 1980, Thatcher obtient une réduction des deux tiers de la contribution nette de son pays, mais pour deux ans seulement.

    18Devant ces difficultés budgétaires, la Commission doit trouver des solutions. La réduction des dépenses de la PAC s’impose. Son rapport présenté en juin 1981 est trop ambitieux. Il propose une relance globale de l’action communautaire avec une réforme de la PAC et du FEDER, et des perspectives d’augmentation budgétaire. Les états membres se déchirent sur la question : Margaret Thatcher insiste sur une baisse des dépenses de la PAC sans augmentation des prélèvements, tout comme le chancelier Schmidt qui souhaite également limiter les contributions nettes ; mais le nouveau président français, François Mitterrand, ne veut pas céder sur la PAC. La France doit faire face aux pressions de ses agriculteurs, dans un contexte rendu encore plus difficile par les perspectives de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, et d’une nouvelle concurrence sur des productions sensibles du sud de la France. Margaret Thatcher tente de faire pression sur le gouvernement français en bloquant la fixation des prix agricoles en 1982, mais ils finissent par être votés à la majorité au Conseil des ministres. La crise agrobudgétaire est à son sommet, et l’Europe est en panne en 1982, sur fond d’accroissements des divergences des politiques économiques nationales, entre le libéralisme britannique, le socialisme français et la rigueur allemande.

    RÉFORMER LA PAC POUR RELANCER L’EUROPE

    19En 1983, La relance de l’Europe devient une priorité de la politique mitterrandienne, alors que la France doit présider le Conseil au premier semestre 1984. La stratégie choisie est simple et se révèle très efficace : proposer des solutions techniques pour lever les obstacles et surmonter la défense des intérêts nationaux ; puis dans un second temps, afficher de grandes ambitions de relance, pour une sortie « par le haut ». Le tout dans une étroite concertation avec l’Allemagne, où Helmut Kohl est prêt à participer activement à la relance. Trouver une solution à la crise agrobudgétaire devient la priorité du gouvernement français. En mars 1984, lors du Conseil européen de Bruxelles, de nombreux problèmes sont déjà réglés, comme le principe de la maîtrise des dépenses agricoles ou le démantèlement partiel des MCM. Au Conseil européen de Fontainebleau des 25 et 26 juin 1984, les Dix adoptent toute une série de mesures techniques qui permettent de limiter les dépenses agricoles, d’augmenter les ressources du budget communautaire, et surtout de limiter la contribution britannique par l’instauration d’un « rabais ». La limitation des dépenses agricoles se concentre sur une politique de résorption des excédents, et notamment ceux de la filière laitière, les plus importants et les plus onéreux. La France accepte la mise en place de quotas de production, appelés quotas laitiers, dans le but d’imposer une réduction de 3,5 % de la production dès 1985 (elle excédait de 10 % la consommation en 1984). Pour la première fois, le gouvernement de Laurent Fabius et son ministre de l’Agriculture Michel Rocard acceptent une politique de réduction progressive des prix garantis. La résolution de la crise agrobudgétaire permet la relance de la construction européenne par l’Acte unique finalement signé en 1986, qui s’accompagne de l’entrée de l’Espagne et du Portugal. Même si les agriculteurs français obtiennent de larges périodes de transition pour l’entrée de l’Espagne dans la PAC, cette nouvelle concurrence de productions à bas coûts marque un nouveau recul français pour assurer le succès de l’intégration européenne.

    20Les mesures de 1984 restent conjoncturelles et ne peuvent faire illusion : une réforme profonde de la PAC est nécessaire. Le livre vert de la Commission de juin 1985 propose de réorienter une partie des dépenses sur le développement rural afin de pallier les conséquences sociales et territoriales de la baisse de l’emploi agricole et de l’usure du modèle productiviste. Cette révolution conceptuelle inquiète tout particulièrement les agriculteurs attachés désormais au modèle productiviste. Le « paquet Delors » adopté en février 1988 pour permettre à la Communauté de préparer la mise en place du marché unique prévoit de stabiliser les dépenses agricoles et de réformer le FEOGA (dans sa partie orientation) dans le cadre de la réforme des fonds structurels. Toutefois, les États résistent : le Conseil des ministres adopte bien en avril 1988 des mesures pour encadrer plus strictement l’augmentation des dépenses agricoles, avec la mise en place d’enveloppe annuelle de dépenses, et les premières mesures de gel des terres (les fameuses jachères) sur une base volontaire et contractuelle. Ces mesures acceptées par le gouvernement de Jacques Chirac, qui a placé à la tête du ministère de l’Agriculture l’ancien président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA), François Guillaume, sont un moindre mal pour les intérêts français. Les différents gouvernements français ont accepté des modifications substantielles de la PAC sans pour autant remettre en cause le cœur du système. En 1988, les dépenses agricoles représentent toujours 71 % du total des dépenses communautaires, finalement la même proportion qu’en 1979 !

    21Le bouleversement géopolitique initié en 1989 par la Chute du Mur de Berlin et la libération de l’Europe centrale impose une profonde transformation de l’Europe. Helmut Kohl choisit une réunification allemande rapide mais dans le cadre d’un approfondissement majeur de la construction européenne. C’est l’aboutissement de la relance de 1984 : les Douze décident à Dublin en juin 1990 de réformer les traités en convoquant simultanément deux conférences intergouvernementales, l’une sur l’Union économique et monétaire tant désirée par Jacques Delors depuis 1988, l’autre sur l’Union politique. L’Allemagne réunifiée dès octobre 1990 sera ainsi solidement ancrée dans la nouvelle Union européenne. Le traité de Maastricht, fruit d’un an de négociations difficiles, est signé en février 1992. Dans ce nouveau cadre, la PAC doit continuer sa « normalisation » pour permettre l’ouverture de nouvelles politiques à l’heure de la mise en place effective du Marché unique. Il faut augmenter le budget européen, notamment en renforçant à nouveau le poids des fonds structurels et de la politique régionale. La Commission propose un nouveau « paquet Delors » pour faire progresser globalement les dépenses de 1,2 % du PNB communautaire en 1992 à 1,73 % en 1997. Mais les États secoués par la crise veulent maîtriser les dépenses : ces efforts passent par une nouvelle réforme de la PAC. Les mesures de 1988 sont nettement insuffisantes pour maîtriser les coûts ! La PAC doit également subir la pression internationale : les négociateurs du GATT s’attaquent désormais aux marchés agricoles, et le marché européen est jugé bien trop protectionniste6. Les Douze décident une réforme radicale afin de briser l’augmentation sans fin des dépenses. Les gouvernements socialistes français l’acceptent au nom de l’intérêt européen. La PAC doit passer d’une logique productiviste fondée sur les prix garantis à un système d’aides directes qualitatives aux agriculteurs. La réforme est adoptée le 21 mai 1992 : elle prévoit une forte réduction des prix garantis pour se rapprocher des cours mondiaux (par exemple, - 29 % pour les céréales), la création de primes directes aux agriculteurs pour la mise en jachère des terres ou la réduction du cheptel, des aides pour la protection de l’environnement ou pour l’agriculture extensive ou biologique en cofinancement avec les États membres. Cette véritable révolution culturelle se heurte à une violente opposition des agriculteurs, notamment en France où le gouvernement d’Édith Cresson et son ministre de l’Agriculture, Louis Mermaz, doivent faire face à de multiples manifestations, dont l’une à échelle européenne à Strasbourg le 1er décembre 1992. Le nouveau gouvernement français d’Édouard Balladur, issu des élections législatives de 1993, ne reviendra pas sur ces réformes.

    22La PAC est le meilleur symbole de la réussite du Marché commun dans les années 1960, mais sur fond de crises successives et à un prix incroyablement élevé, grâce à un engagement français particulièrement important, et soutenu par la Commission européenne. La crise des années 1970 entraîne une remise en question lente et difficile, sous la pression des Britanniques. Finalement, la France se décide à lâcher du lest pour relancer l’Europe, une première fois en 1984, puis de manière beaucoup plus forte en 1992. La réforme de la PAC est le prix à payer pour relancer la construction européenne et pour assurer le succès du marché unique puis de l’Union européenne. En 1993, la PAC reste toujours la politique la plus importante et la plus originale de la Communauté, mais elle n’est plus qu’une politique parmi d’autres à l’intérieur de l’un des trois piliers de la nouvelle Union européenne. Les effets du « paquet Delors », l’augmentation significative des fonds structurels et la création de nouvelles politiques communautaires dans le cadre de l’Acte Unique font baisser significativement la proportion des dépenses agricoles dans le budget communautaire, qui ne représentent plus que 53 % du total en 1992. La réforme de 1992 obtient quelques résultats supplémentaires : les stocks régressent dans les années 1990, et le poids des dépenses agricoles se fait plus raisonnable à l’aube du XXIe siècle (43 % du budget communautaire en 2000). Français et Allemands s’entendront en 1999 pour garantir l’enveloppe financière de la PAC, alors que se profile l’entrée dans l’Union des pays d’Europe centrale et orientale. La question de l’avenir de la PAC reste d’actualité, vingt ans après sa première grande réforme, mais le sujet semble politiquement moins sensible à l’heure de la crise budgétaire et des menaces sur l’Euro, qui est désormais perçu comme le principal symbole de la construction européenne.

    Bibliographie

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    Gerbet, P. (2007). La construction de l’Europe (1–). Armand Colin. https://doi.org/10.3917/arco.gerbe.2007.01
    Warlouzet, L. (2011). Le choix de la CEE par la France (1–). Institut de la gestion publique et du développement économique. https://doi.org/10.4000/books.igpde.102
    Gerbet, Pierre. “La Construction De l’Europe”. []. Armand Colin, 2007. https://doi.org/10.3917/arco.gerbe.2007.01.
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    Gerbet, Pierre. La Construction De l’Europe. [], Armand Colin, 2007. Crossref, https://doi.org/10.3917/arco.gerbe.2007.01.
    Warlouzet, Laurent. Le Choix De La CEE Par La France. [], Institut de la gestion publique et du développement économique, 2011. Crossref, https://doi.org/10.4000/books.igpde.102.

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    BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

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    Annexe

    ANNEXES 1

    Documents sur la PAC (1964-1983)

    Les documents reproduits ici retranscrivent les débats français autour de la mise en œuvre de la Politique Agricole commune (PAC) dans les années 1960 et 1970. La conférence de presse d’Edgar Pisani est révélatrice de l’importance de la question des prix agricoles et des conditions dans lesquelles ils sont fixés. Il fait écho à l’article de G. Gavignaud-Fontaine. Cette interview donne aussi une belle idée de l’état d’esprit d’un homme qui a joué un rôle central dans la mise en œuvre de la PAC comme l’a souligné M. Catala. Le deuxième document porte sur les réactions favorables des syndicats agricoles à la mise en œuvre de la PAC au milieu des années 1960, à une époque où le chef de l’État affiche, lui, son scepticisme face au Marché commun. Ce texte est très révélateur des attentes du monde agricole. Cette défense de la PAC se retrouve chez le nouveau ministre de l’Agriculture, Edgar Faure (1967), qui affirme sa foi dans la construction européenne et la poursuite de la PAC. On pourra noter dans ce troisième document que, très tôt, se pose la question du devenir des petites exploitations familiales à l’intérieur de la construction de ce marché commun agricole. Le quatrième document est produit par la Commission européenne la même année. Il dresse un bilan de la politique européenne dix ans après la mise en œuvre du traité de Rome. Il prépare les grandes réformes des années 1970. Les deux derniers documents présentent les réactions des syndicats agricoles français au début des années 1980, vingt ans après la création de la PAC. On y trouve, notamment pour les travailleurs-paysans, un réel attachement à la PAC, considérée comme garante du maintien de l’agriculture en France. S’y exprime le mécontentement du monde paysan face à la position anglaise, ce qui vient ici illustrer les propos de M. Catala. Les documents ne sont cependant pas dénués de critiques face aux attitudes de la Commission européenne et des ministres de l’Agriculture. Les syndicats demandent une redéfinition de la PAC en direction des régions agricoles en difficultés, notamment dans le cadre du futur élargissement vers l’Europe du sud. Ils craignent et annoncent presque, de futurs mouvements sociaux. Le problème de la fixation des prix et du fonctionnement des marchés est bien au cœur de la réflexion du monde syndical. La question des quotas est jugée centrale. Au bilan, ces six documents, produits par la CEE, les responsables politiques français et les syndicats agricoles soulignent l’enjeu de la PAC pour le monde paysan. Ils révèlent que ce dernier lui est plutôt favorable, mais retranscrivent aussi un regard très critique sur son développement.

    Archives du CHT, fonds FDSEA 44

    Annexe 1.1. Conférence de presse de M. Edgar Pisani, ministre de l’Agriculture, le 23 septembre 1964 au Palais d’Iéna

    Mon propos, aujourd’hui est d’aborder le problème agricole dans son ensemble : voici en effet vingt mois que je n’ai eu l’occasion d’exposer de la sorte l’ensemble des questions soumises à mon attention quotidienne et permanente. J’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de brosser ce que tel ou tel d’entre vous appellerait une grande fresque.

    Constatons tout d’abord que les techniques de production évoluent sans cesse. Nous avions pu croire un instant que nous atteignions un palier, tel n’est pas le cas.

    Constatons encore que les volumes produits s’accroissent et menacent – ou promettent, suivant que l’on est optimiste ou pessimiste – de s’accroître de façon continue.

    Constatons qu’après un temps où la demande a excédé l’offre, et où il semblait acquis une fois pour toutes que l’offre excéderait la demande, nous nous trouvons actuellement sur le point d’équilibre, avec tous les déséquilibres positifs et négatifs que cela comporte.

    Constatons encore que l’équilibre du monde rural est brisé, et que, s’imposant à un monde jusqu’ici immobile, et très rapidement mis en mouvement, des évolutions de nature technique, économique, sociologique, politique, ont brisé sa quiétude.

    Constatons enfin que l’usine et la ville imposent leur loi, non seulement dans la mesure où elles acquièrent du sol là où elles s’implantent, mais aussi dans la mesure où tous les mécanismes, privés et publics, de financement et de formation des hommes, semblent orientés vers les problèmes de la ville et de l’usine, et détournés des problèmes de l’agriculture.

    La politique agricole commune

    Mais tout ce que nous avons pu faire dans ce domaine n’aurait pas la même signification dans le cas où l’Europe se construirait et dans le cas où elle ne se construirait pas. Une contribution essentielle a été incontestablement apportée au cours des derniers mois à l’évolution même de l’agriculture par la mise en œuvre de la Politique Agricole Commune et la définition de la position française à l’égard des marchés mondiaux.

    L’Europe a dans mon domaine divers aspects. C’est d’abord des rencontres de ministres, où l’on échange ses points de vue, plus souvent ses malheurs que ses bonheurs, car c’est un triste « syndicat » que celui des ministres de l’Agriculture, le plus accablé de tous, sans doute… Mais lorsque nous abordons nos problèmes, tout va bien. Nous sommes alors un syndicat d’amitié mutuelle, d’admiration mutuelle et de plainte mutuelle.

    Cela devient autre chose lorsque nous abordons l’organisation même des marchés. L’élaboration des règlements, je ne le rappellerai pas, fut une entreprise difficile. Mais, avec la volonté d’aboutir et un système de chicanes savamment élaboré, on arrive finalement à obtenir un règlement satisfaisant.

    Mais en revanche, lorsqu’on aborde la mise en place, la mise en route, la mise en mouvement réelle de l’économie agricole, l’Europe devient alors une entreprise beaucoup plus difficile. Devant l’œuvre accomplie, j’ai le sentiment que nous avons construit une mécanique que nous n’avons pas tout à fait mise en marche. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas encore abouti en matière d’unification des prix européens.

    La position française à l’égard du problème ainsi posé est des plus catégoriques et des plus claires. Parce que les membres du gouvernement ont été pendant quelques semaines silencieux sur ce point, le bruit a circulé avec quelque insistance que la France n’était plus aussi décidée qu’auparavant à poursuivre la construction européenne. Ce n’est pas parce que cette situation s’est trouvée créée psychologiquement qu’elle était réelle dans les faits. Nous n’avons cessé, nous ne cessons pas, et nous ne cesserons pas de demander que se réalise l’unité de marché, c’est-à-dire le rapprochement des prix. J’étais hier à Bruxelles, et j’ai pu sans équivoque le manifester. Sur trois points essentiels, j’ai pris position au nom du gouvernement français en demandant que le prix d’orientation pour la viande de bœuf, pour la campagne 1965-1966, ne soit pas une fourchette de prix mais un prix unique. J’ai, en outre, de nouveau indiqué que la France était favorable à l’adoption du plan Mansholt, et que si elle faisait, sur un certain nombre de points, qu’elle soulèvera en cours de discussion, des réserves de nature technique, ou plus fondamentales, elle était attachée à ce que ce plan aboutisse et à ce qu’il aboutisse dans les meilleures conditions.

    Enfin, j’ai indiqué sans équivoque que le mandat qui avait été confié à la commission, le 23 décembre 1963, pour la négociation dans le cadre du « Kennedy round » était un mandat que la France n’accepterait pas de modifier. Il y a entre ce mandat et l’unification des prix sur le marché européen un lien étroit, et ce lien permet de donner à la négociation mondiale et à la discussion sur les prix leur véritable dimension.

    Je ne cache pas pourtant que l’unité de prix pose à l’économie française, au gouvernement français, un certain nombre de problèmes difficiles. Et rapprocher les prix, si ce n’est pas rejoindre les plus élevés, c’est dans tous les cas se fixer à un niveau voisin de la moyenne. Le gouvernement français a accepté les conséquences de cette politique, en précisant bien que l’accroissement de revenus qui en résulterait pour l’agriculture française pourrait être l’occasion d’une révision d’un certain nombre d’institutions. Je pense, en particulier, que si nous parvenons à ce prix européen pour l’ensemble des denrées agricoles, il faudra s’interroger pour savoir si tous les transferts sociaux restent légitimes comme ils le sont aujourd’hui, ou si une répartition du profit de cette organisation européenne ne doit pas être assurée entre le revenu agricole et la charge de transfert.

    L’unité de prix

    Mais ceci n’est après tout qu’un problème d’ajustement et de mise en place. L’essentiel – et sur ce point je suis catégorique – est que le gouvernement français souhaite, désire, et veut faire aboutir la réalisation de ce marché unique européen, fondé sur l’unité de prix.

    Mais si nous acceptons cela, c’est que nous pensons qu’à l’équilibre difficile que nous avons réalisé à l’intérieur, sur nos marchés, se substituera un équilibre européen plus satisfaisant. Si les prix français sont les plus bas d’Europe, ce n’est pas l’effet de la volonté gouvernementale, mais c’est le résultat d’un certain déséquilibre des marchés. En effet, il est frappant de constater que les prix sont, chez nous, d’autant moins élevés que nous sommes plus excédentaires. Lorsque pour une certaine denrée, par exemple la viande, le marché se trouve moins excédentaire, les prix montent. Lorsqu’on se dégage de l’immédiat pour en souligner la philosophie, notre système apparaît davantage conçu pour éviter les effondrements de prix que pour en éviter les hausses.

    Débat

    Guy Thomas (Europe n° 1) : « Le lait destiné à la consommation en l’état est payé aux producteurs aux alentours de 35 centimes le litre (prix d’été). Le ministre français de l’Agriculture estimet-il ce prix suffisant pour couvrir les frais d’exploitation et la rémunération des producteurs ? […] Ce prix me vient de lettres qui m’ont été adressées par des agriculteurs, et en particulier par des producteurs laitiers de votre département ».

    E. Pisani : « Je crois qu’on ne peut pas fonder un raisonnement sur un exemple ponctuel. Je pourrais vous citer le prix de 52, 53, voire 60 centimes, réalisé ici ou là ! Je voudrais, pour vous répondre, aborder deux problèmes : le problème général des prix et le problème particulier du prix du lait de consommation.

    En ce qui concerne le problème général des prix, je cite des chiffres. Si je prends l’indice 100 en 1949 et que je compare la situation de 1953 et 1963, je constate que les prix agricoles à la production sont passés de 138,8 à 213,8, c’est-à-dire une augmentation de 65 %. Et croyez-moi, ce ne sont pas des chiffres incertains, ce sont des chiffres qui résultent de documents statistiques admis de tous. Les prix alimentaires sont passés de 125,3 à 189,9, et les prix des produits nécessaires à l’agriculture de 138,8 à 176,3, c’est-à-dire plus 36 %. Plus 65 % pour les prix des produits agricoles à la production, plus 55 % pour les prix alimentaires, plus 36 % pour les prix des produits industriels nécessaires à l’agriculture.

    Imaginons que l’indexation de 1957, celle dont on me parle si souvent, ait été appliquée. À la date d’aujourd’hui, elle aurait été favorable aux agriculteurs pour deux produits, neutre ou défavorable pour cinq ou six autres sur les huit que j’ai fait étudier. C’est-à-dire que l’indexation aurait été moins favorable que ne l’a été le système de tâtonnement que nous avons suivi. Dans tous les cas, pour le lait et pour la viande de bœuf, l’indexation n’aurait pas été favorable à l’agriculture.

    Mais essayons de mieux définir notre système de prix. Je n’ai pas caché mon jeu ! En 1961, j’ai dit que notre effort devait consister à éviter l’effondrement. Dans un marché excédentaire, c’est la tâche de l’État de tenter de pousser les prix vers le haut. Alors vouloir comparer les prix allemands aux prix français est anormal. Je ne recommencerai pas ici le raisonnement sur le prix de revient du sac de blé au consommateur allemand et au consommateur français. Mais si je mets à part quelques exceptions, ne peut-on pas dire que l’ensemble de nos mécanismes ont plus tendu à éviter la baisse qu’à interdire la hausse ? ».

    René Tiquet-Rémond (Revue de l’élevage) : « L’absence d’une politique laitière a créé la pénurie de la viande. 65 % de la viande de bœuf proviennent de vaches laitières de réforme, et plus d’un veau sur deux va à la boucherie. En valorisant le prix du lait, on valorise du même coup le prix de la viande, et ainsi on accroît sa production. Comment comptez-vous encourager dans l’immédiat, c’est-à-dire avant que produisent leurs effets les groupements de producteurs et les contrats d’élevage, cette production de viande, laquelle est dépendante de la production laitière ? »

    E. Pisani : « Si vous connaissez un pays qui ait résolu le problème de la viande de façon satisfaisante, dites-le moi très vite, je prendrai un billet d’avion pour aller le voir ! Car il est facile lorsqu’on n’a pas de responsabilités, ou qu’on en est seulement demandeur, de dire : “Il n’y a qu’à… !” Mais ce n’est pas si simple. S’il est exact que la non-réalisation de certains objectifs du plan a pu jouer sur la quantité de viande produite, il est non moins certain que dans tous les pays du monde, le problème de la viande se pose. Est-ce que j’invente lorsque je dis qu’en Argentine la consommation de viande est rationnée ? Est-ce que j’invente lorsque je dis que les exportations de viande argentine ont diminué ? Est-ce que j’invente lorsque je constate que la Hollande qui était hier un pays gros exportateur, précisément à partir de vaches de réforme, n’est plus guère exportatrice cette année ? Alors, je voudrais que l’on nuance sur ce point la critique. Je ne vous vise pas personnellement, Monsieur, mais tous ceux qui m’accablent de leurs sarcasmes et de leurs critiques plus que de leurs suggestions. Je voudrais que l’on considère qu’il y a là un problème de fond.

    Quel est-il ? Il est incontestablement dans le fait que l’agriculteur moderne, se dégageant des habitudes ou des servitudes ancestrales, a de plus en plus envie de fabriquer des produits végétaux et de moins en moins envie de fabriquer des produits animaux. Parce que les produits végétaux ont « un temps » si je puis dire, tandis que les produits animaux n’en ont pas. Nous nous trouvons là en face d’un problème sociologique très profond, très grave. Pour arriver à le résoudre, il va falloir sans doute dépasser les limites de ce que nous considérons aujourd’hui comme raisonnable.

    Je veux dire, me tournant vers le consommateur, qu’il n’est en particulier pas raisonnable de n’accepter de consommer qu’un quart, ou un cinquième de la bête, et de ne pas accepter de payer ce quart ou ce cinquième beaucoup plus cher qu’il ne le paie. Car lorsqu’une part limitée de la bête est seulement consommée, c’est sur cette partie consommée que finalement la production est rémunérée.

    […] La conquête de l’équilibre en matière de viande sera une très longue et très cruelle patience, sûrement pour le producteur, sûrement pour le consommateur, sûrement pour le gouvernement, et je dirai plus sûrement encore pour certaines habitudes qui se sont invétérées dans ce pays et qui pèsent très lourdement sur son économie. Cela dit, je voudrais indiquer que le prix actuellement pratiqué sur le marché réel, concret, de la viande dépasse celui qu’avaient demandé les producteurs l’année dernière. »

    M. Lambert (France catholique) : « Quelles mesures compte prendre le gouvernement à moyen terme en matière de prix ? Le monde agricole traverse une crise parce qu’on lui avait promis le marché européen il y a 5 ou 6 ans. Cette promesse, vous vous êtes battu pour la tenir, malheureusement, elle n’a pas pu être tenue. Le monde agricole attend un plan […] N’avez-vous pas la possibilité de proposer à moyen terme, pour 1970 par exemple, une revalorisation presque chiffrée pour l’agriculture ? »

    E. Pisani : « Désormais il nous est interdit d’envisager une politique des prix purement nationale. Cette politique s’insère dans l’ensemble de celle des prix européens. Je répète que la France souhaite que se réalisent les prix européens communs et cela le plus tôt possible. Elle l’a fait pour la viande. Elle se bat pour les céréales. L’année 1965 sera l’occasion d’un nouvel effort en ce qui concerne le lait. Elle a, ce faisant, accepté, avec des plus ou moins, que se réalise au profit des agriculteurs français, le prix moyen européen. Pourquoi l’a-t-elle accepté ? D’abord parce que la construction de l’Europe lui apparaît positive ; ensuite parce que nous constatons que le prix européen est nécessairement, par le jeu même de l’équilibre de marché, supérieur au prix français, puisque la production européenne est mieux ajustable aux besoins européens que la production française n’est ajustable aux besoins français.

    En prenant des hypothèses presque statiques, c’est-à-dire en partant du calcul instantané des prix, on peut déterminer quel sera approximativement le prix des denrées agricoles en Europe en 1970. On peut aussi prévoir le volume de production en vertu de la courbe générale d’accroissement des quantités. La saute de 65 à 100 millions de quintaux de collecte de blé ne doit pas nous cacher que la courbe générale de production des céréales en France est en accroissement, et qu’à une moyenne triennale de l’ordre de 60 millions de quintaux il y a quelques années, correspond aujourd’hui une moyenne triennale de 80 millions de quintaux. On peut donc par déduction, et sans que cela puisse constituer de la part du gouvernement un engagement, déterminer quel est le niveau prévisible des revenus pour les environs de 1970. J’ajoute que si ce relèvement de revenu était suffisamment substantiel, il apparaîtrait alors sans doute nécessaire de réviser un certain nombre d’éléments qui relèvent du domaine des transferts, afin d’assurer au monde agricole un système social qui soit plus dépendant de lui qu’il ne l’est présentement. »

    M. Fégy (La Dépêche du Midi) : « Est-ce qu’il ne serait pas possible de hâter le dénouement de la grève [du lait] en reprenant certains projets du gouvernement, antérieurs à cette grève ? N’est-il pas possible d’envisager la demande de la FNSEA d’un emprunt de plusieurs milliards pour favoriser les investissements indispensables dans le secteur laitier ? »

    E. Pisani : « Le ministre de l’Agriculture, c’est aussi le ministre du ravitaillement. Dans ces conditions, certaines de ses obligations, atténuées en période d’abondance, reprennent de l’importance en période de pénurie, qu’elle qu’en soit la cause. J’ai le devoir d’approvisionner les villes. De surcroît, pour être ministre de l’Agriculture, on n’en entend pas moins d’être homme de gouverne- ment. Et je veux dire très nettement qu’il ne m’apparaît pas possible d’aborder, sous quelque forme que ce soit, le problème du prix et les problèmes d’avenir en période de grève. Personne ne le comprendrait, et chacun aurait le droit de nous le reprocher.

    Je veux dire enfin que si tous ces problèmes existent, nous sommes tous prêts à les aborder. Mais voyez-vous, ce qui est désespérant, c’est que quoi qu’on fasse, quels que soient les progrès qu’on accomplisse, quels que soient les efforts au gré desquels ces progrès sont accomplis, avant même que l’encre de la signature du décret ne soit sèche, une nouvelle revendication apparaisse. Jamais, à aucun moment, nulle part, nous n’avons eu le sentiment que le monde agricole concédait que depuis dix ans, un effort énorme avait été fait pour lui. Jamais, à aucun moment, nous n’avons eu le sentiment que ces hommes savaient gré à la nation toute entière de ce qu’elle avait fait pour eux.

    […] Ce système permanent de revendication finit par rendre la revendication elle-même dangereuse pour le revendiquant. Je me tourne, avec toute la force de ma conviction, m’étant battu pour ces gens comme je devais le faire, jusqu’à la limite de mes forces, pour leur dire : tout de même, à un moment donné, il faudra essayer de s’asseoir et de discuter pour revoir les choses et redéfinir ses objectifs. Mais ce système de feu roulant permanent, obsédant, n’est pas un système de revendication, et ne peut pas être un système de gouvernement. Je supplie chacun de comprendre qu’il ne s’agit pas là d’hostilité ni même de reproche ; il s’agit là vraiment d’une invite pressante, à l’égard de ceux dont nous avons la charge, pour leur dire : tout de même, prenons le temps parfois de nous arrêter pour réfléchir.

    […] Je vous demande de vous consacrer à la persuasion de chacun de ce que le problème est plus ample qu’il ne le paraît. L’homme qui vous parle a plus que quiconque conscience de ce que beaucoup de choses restent à faire, et il considère que ce qui reste à faire est au moins aussi passionnant que ce qui a été fait. Nous allons passer du domaine de la définition au domaine de l’exécution. Nous allons passer au niveau européen du domaine du règlement au domaine de la gestion. Nous allons donc nous rapprocher des problèmes humains. Quant à moi, je ne connais pas de tâche plus passionnante que celle de résoudre ces seuls problèmes car ils sont les seuls qui nous occupent. »

    Archives du CHT, fonds Association nationale des paysans-travailleurs

    Annexe 1.2. Le marché commun et l’agriculture. Livre blanc des organisations professionnelles agricoles, octobre 1965

    Introduction

    Établir une Communauté économique européenne, mettre en œuvre une politique agricole commune, telles étaient les perspectives ouvertes à l’économie et à l’agriculture françaises depuis la signature du traité de Rome.

    Depuis le 30 juin, le développement du Marché commun est compromis sans qu’apparaisse aucun indice précis de reprise.

    Devant cette situation inquiétante, les organisations professionnelles agricoles ont décidé d’entreprendre une campagne d’information destinée à faire connaître les graves conséquences qu’entraîne, pour l’agriculture et pour l’ensemble de l’économie française, l’arrêt de la construction européenne.

    Puisse le présent Livre blanc faire prendre conscience à tous les agriculteurs qu’ayant à jouer un rôle dans la construction européenne, ils ont une responsabilité à assumer pour qu’il soit mis fin à la crise actuelle.

    […]

    Conclusion

    Dans les pages qui précèdent, nous nous sommes essentiellement préoccupés des répercussions du Marché commun et des conséquences de son blocage pour l’agriculture. L’agriculture n’est pas seule en jeu.

    Le développement économique compromis

    L’économie française dans son ensemble est aujourd’hui liée à la réalisation de la Communauté Économique Européenne.

    C’est la France qui a le plus développé ses exportations vers les pays du Marché commun ; ses exportations industrielles se sont accrues de 195 % vers la CEE, alors qu’elles ne se sont accrues que de 40 % vers les pays tiers.

    De plus, le Marché commun provoque une réorganisation des structures de l’industrie française et exerce une pression bénéfique pour les consommateurs sur les prix de certains articles.

    La France serait particulièrement affectée par une interruption du Marché commun, étant moins bien préparée que certains de ses partenaires à une concurrence plus vaste, car il est évident que l’on ne reviendra pas sur la démobilisation douanière.

    D’autre part, tout ralentissement de l’activité de la Communauté ou, a fortiori, toute interruption, retarde les nombreuses décisions visant à instituer une véritable union économique par la mise en place de la politique commerciale commune, de la politique de l’énergie, de la politique des transports, et plus généralement, de la coordination des politiques économiques.

    Tous les secteurs d’activité ont donc partie liée dans la construction européenne.

    Après des années de protectionnisme, la France entreprenait un rajeunissement décisif de ses moyens de production parce que la CEE apparaissait comme une solution d’avenir. Si cet espoir devient incertain, les différentes conséquences sur chaque secteur d’activité retentiront de manière brutale sur toute l’économie et sur le niveau de vie de tous les citoyens français.

    Pour les agriculteurs, un avenir incertain

    Le Marché commun, et les promesses de politique agricole commune qu’il contenait, fut pour l’agriculture l’espoir de voir la politique agricole française sortir de sa léthargie, l’espoir de trouver des solutions nouvelles aux problèmes des agriculteurs qui subissent durement les effets d’une véritable révolution technique et économique.

    Quand le traité de Rome assignait pour but à la politique agricole commune « d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole » et quand la conférence de Stresa proclamait la nécessité d’une « politique d’aide aux régions et exploitations défavorisées », d’une rémunération du travail et du capital comparable à celle des autres secteurs, d’une sauvegarde du caractère familial des exploitations agricoles, il n’y avait pas encore de loi de parité ou d’orientation en France…

    Aussi bien, la loi d’orientation et la loi complémentaire se référaient-elles à la perspective du Marché commun. Et depuis, le Marché commun a sans cesse été présenté par le gouvernement comme l’objectif constant de sa politique, comme une option fondamentale du Ve Plan : « La politique agricole commune, c’est l’explication, la justification, le moteur d’un nécessaire renouveau » (déclaration du ministre de l’Agriculture).

    Il est indéniable que la perspective du Marché commun est un stimulant pour la politique agricole française sous tous ses aspects.

    Pas de négociations, pas de politique agricole commune

    Nous avons bien conscience que la politique agricole commune est encore incomplète. Mais la Communauté est une construction continue qui ne peut souffrir d’interruption : pas de négociations, pas de politique agricole commune. Ceci ne signifie pas que nous voulons une politique agricole commune à tout prix ; mais nous voulons que se poursuive le jeu normal des institutions communautaires dans le respect du traité de Rome.

    Laisser inoccupée la place de la France à la table des négociateurs n’est pas une attitude constructive. Persister dans cette voie reviendrait à remettre en cause le traité de Rome qui a été librement négocié, librement signé, librement ratifié par la France.

    Mandatées par les agriculteurs, les organisations professionnelles agricoles ont milité pour une Communauté européenne où les problèmes seraient mieux résolus par une politique agricole commune. Elles ont le devoir d’affirmer que tout prolongement de la crise de Bruxelles serait à la fois un drame pour l’agriculture et pour toute l’économie française.

    Ce qui est en cause dans la crise actuelle, ce n’est pas seulement l’Europe économique, c’est aussi l’avenir de l’Europe politique. La réalisation du Marché commun appelle la création ultérieure d’une Europe politique unie qui demeure l’aspiration des peuples européens. La France a apposé sa signature au traité de Rome, elle ne peut pas la renier ; certes, elle a le droit de discuter des modalités d’une construction qui doit se réaliser dans un esprit communautaire ; mais pour discuter, il faut reprendre le dialogue sans préalable contraire au traité de Rome.

    Les agriculteurs le demandent avec insistance.

    Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles/Centre national des jeunes agriculteurs/Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles/Confédération générale des coopératives agricoles/Fédération nationale de mutualité agricole/Fédération nationale de la coopération agricole/Fédération nationale du Crédit agricole.

    Archives du CHT, fonds FDSEA 44

    Annexe 1.3. Discours prononcé par M. Edgar Faure, ministre de l’Agriculture (Assemblée nationale le 18 octobre 1967), numéro spécial du Bulletin d’information du ministère de l’Agriculture.

    Faut-il continuer à nous placer dans la perspective européenne ?

    L’Europe en soi n’est pas une solution ou un ensemble de solutions : elle est le cadre dans lequel doivent être recherchées les solutions des problèmes agricoles.

    Il nous faut continuer l’Europe :

    – parce que nous l’avons commencée,

    – parce qu’elle est déjà bénéficiaire pour notre balance extérieure,

    – parce que, se trouvant dans les mêmes structures d’exploitations familiales et de revenu, les mêmes disparités, les « Six » se heurtent, à égalité, aux mêmes problèmes et ont les mêmes objectifs,

    – parce que, ensemble, nous pouvons mieux nous défendre qu’un pays isolé, contre les prix de braderie que sont les cours dits mondiaux.

    Les problèmes agricoles ne se situent plus dans le seul cadre national

    Il est un principe qu’il convient d’avoir toujours présent à l’esprit quand on traite les problèmes agricoles, c’est que ces problèmes ne se situent plus dans le seul cadre national, mais s’inscrivent désormais dans un cadre plus large, celui de la Communauté européenne. Est-ce un bien ? Faut-il continuer à nous placer dans cette perspective ? On peut se le demander.

    Il y a quelques années, quand l’Europe existait à peine, on nous pressait, en général, de la constituer plus rapidement et on n’y trouvait que des avantages. Maintenant qu’elle parvient à s’accomplir – non sans de graves difficultés aisément concevables pour une entreprise de cette envergure et de cette nouveauté –, on nous reprocherait plutôt de la faire trop vite ou de ne pas la faire comme il faudrait, ou même de la faire tout court. Et ce sont souvent les mêmes qui nous reprochaient autrefois de ne pas être assez Européens qui nous reprochent aujourd’hui de l’être trop !

    Je précise que le gouvernement demeure fidèle à son option et que personnellement, je demeure fidèle à la mienne, c’est-à-dire que je persiste à penser que l’Europe est nécessaire, que nous ne pouvons pas revenir en arrière.

    J’ajoute pourtant, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire à l’Assemblée nationale l’année dernière, que l’Europe en soi n’est pas une solution ou un ensemble de solutions, qu’elle est le cadre dans lequel doivent être recherchées les solutions des problèmes que nous avons à traiter.

    Quatre raisons de conserver notre option européenne

    J’estime que ce cadre européen doit être conservé et qu’il n’y a pas lieu de revenir en arrière. Pourquoi faut-il garder l’option européenne ?

    En premier lieu et très simplement parce qu’elle a déjà été prise. Ce raisonnement peut paraître sommaire, mais il est bon. Il y a toujours beaucoup d’inconvénients à changer de voie, à revenir en arrière sur un parcours, à détruire une construction avant d’en reconstruire une autre, surtout quand on ne sait pas laquelle on construira. Ce n’est pas, là, une vue de politicien pragmatique puisqu’un des plus grands philosophes de l’époque a dit que la difficulté de l’action c’était de continuer et d’abord de commencer : les gens qui ne veulent pas continuer ou qui commencent toujours quelque chose de nouveau ne réussissent rien.

    La seconde raison c’est que l’Europe agricole, qui existe déjà, mais seulement en partie – et s’il ne faut pas juger sur une partie ce que donnera le tout, on peut déjà se faire une opinion d’ensemble –, est déjà bénéficiaire, malgré des déconvenues qui peuvent entraîner, non pas ici bien sûr, mais dans d’autres enceintes, ou d’autres réunions, des jugements précipités dus au mécontentement, et de légitimes déceptions.

    Malgré la tentation du jugement téméraire, prenons quelques chiffres : pourquoi l’Europe est-elle avantageuse ? Parce que l’Europe agricole nous apporte déjà un excédent positif et progressif de notre balance des échanges. Voilà un fait qui peut être appuyé sur des chiffres. Nos échanges intra-européens se sont améliorés et augmentés, c’est-à-dire qu’ils ont crû en volume (importations et exportations) et se sont améliorés en solde (excédent des exportations sur les importations), ce qui est un gain pour notre production nationale.

    Mais, direz-vous, ce phénomène n’est peut-être pas spécifiquement européen ? Ne s’agit-il pas d’un fait général et tous les échanges ne suivent-ils pas la même progression ?

    Je réponds : non, ce phénomène est européen, et c’est sur les échanges européens que nous enregistrons la progression la plus importante.

    Voici quelques chiffres. Quelle part de nos exportations nos partenaires du Marché commun absorbent-ils ? La moitié environ : 49 %. Quelle part de leur production (ces importations contre lesquelles nous nous insurgeons souvent) nous demandent-ils d’absorber ? 20 %.

    Ils prennent donc la moitié de ce que nous avons à vendre et nous ne leur prenons que le cinquième de ce que nous avons à leur acheter.

    Comparons, si vous le permettez, bien que ce soit aride – mais nous sommes là pour traiter de choses concrètes avec les précisions nécessaires –, notre commerce communautaire avec notre commerce national et voyons ce qu’on appelle le taux de couverture (ces mots savants sont plaisants) c’est-à-dire l’excédent, le bénéfice.

    Quel est notre taux de couverture agricole ? Je ne parle bien entendu que des échanges agricoles avec l’Europe. Il est de 250 % à notre avantage. Quel est-il dans le monde entier ? De 89 %.

    Encore le déficit global de nos échanges agricoles a-t-il une explication qui quelquefois nous échappe et qui réside dans nos rapports avec les pays d’outre-mer, dans nos liens du temps de l’Empire et dans l’achat de produits exotiques.

    Si nous soustrayons du taux de couverture tous les éléments un peu spécifiques de nos échanges africains et d’outre-mer, nous aboutissons à une proportion très simple : pour tous les autres pays, tout compris – zone franc exceptée – notre taux de couverture est de 125. Or j’ai dit que pour ce qui est des échanges intracommunautaires, il était de 250, c’est-à-dire le double. Il vous reste à penser quelle serait notre situation si nous n’avions pas cet excédent européen !

    L’augmentation régulière de nos importations depuis 1960 se chiffre à environ 20 % par an en valeur. Il s’agit donc d’un mouvement permanent, et qui se confirme. Enfin, dernier chiffre, mais essentiel : combien tout cela fait-il ? Peu ou beaucoup suivant les appréciations ; en tout cas cela représente un excédent positif européen de 200 milliards d’anciens francs, soit 4 % de notre production agricole.

    Cela pourrait être davantage mais le niveau de 4 % mérite d’être pris en considération car pour toute activité économique, c’est entre 3 et 5 %, donc autour de 4 %, que se marque la différence entre le progrès et le recul. Par conséquent si nous n’exportions pas chez nos partenaires européens, au-delà de ce qu’ils nous vendent, pour une valeur de 200 milliards d’anciens francs, que deviendraient ces 200 milliards de production ? Ils constitueraient un excédent invendable, ou vendable seulement aux prix mondiaux, qui pèserait marginalement de la façon la plus lourde sur notre balance commerciale et sur notre agriculture.

    Une troisième raison du choix européen est moins apparente, moins souvent invoquée mais ce point est très important. Les six États membres du Marché commun présentent une typologie identique, c’est-à-dire que leurs agricultures ont à peu près les mêmes structures socio-économiques.

    C’est d’un intérêt considérable, car l’expérience serait plus difficile à tenter et beaucoup plus dangereuse si nous avions affaire à des associés dont l’agriculture ne serait ni comparable à la nôtre, ni parente de la nôtre. Tous les pays européens connaissent le type d’exploitation que l’on est convenu d’appeler « l’exploitation familiale » et que, pour ma part, je préfère qualifier « d’exploitation à l’échelle humaine ». À cet égard, je suis reconnaissant à M. Rigout d’avoir bien voulu nous en donner une excellente définition. Je ne crois pas qu’il l’ait prise nécessairement dans les pays où la doctrine qu’il professe a connu ses plus grands succès – ne voyez aucune ironie désagréable dans ce propos –, mais je la tiens pour parfaitement fondée : autour du chef d’exploitation, des aides familiaux et un ou deux salariés.

    On dit quelquefois que nous sommes des ennemis de l’exploitation familiale ou que, si nous ne sommes peut-être pas contre, nos partenaires nous obligeront à la détruire ; il est donc important de savoir qu’eux aussi ont ce type d’exploitation.

    En écoutant tel propos ou en lisant tel texte, on pourrait croire que l’exploitation familiale est une sorte de maladie spécifique à la France, une tare dont nous devrions nous délivrer. Or, cette tare est commune à tous les pays européens. Nous sommes donc à égalité en présence du grave problème agricole, de la grande mutation agricole et rurale du monde contemporain.

    J’apporterai quelques précisions sur la dimension de l’exploitation, en me basant sur des chiffres un peu anciens puisqu’ils datent de 1965, mais le mouvement est conforme : on s’aperçoit que la France est en tête pour la dimension moyenne et qu’il n’y a donc pas lieu de nourrir un complexe d’infériorité sous le prétexte que nous n’aurions pas de petites fermes. En effet, la moyenne, en France, est de 17,5 hectares, et même un peu plus actuellement, et c’est la plus forte puisque les chiffres sont de 16,6 pour la Belgique, de 10,3 pour l’Allemagne, de 6,8 pour l’Italie, de 10,7 pour les Pays-Bas.

    Mais la surface n’est pas l’élément essentiel de l’économie agricole et l’on en exagère parfois l’importance, bien qu’elle joue un rôle.

    La notion de structure dépasse de beaucoup celle de surface. Il est donc important de connaître les règles de l’économie agricole dans les six pays.

    Si les conditions sont à peu près les mêmes, elles sont identiques sur le point essentiel : le revenu agricole dans tous ces pays, sauf un, est faible par rapport au revenu moyen et on voudrait l’augmenter pour atteindre cette parité qui est inscrite dans nos lois.

    La situation est semblable dans les trois pays les plus importants territorialement (France, Allemagne, Italie) qui connaissent un revenu agricole7, représentant approximativement per capita la moitié du revenu des autres catégories. Ils ont donc le même problème à résoudre.

    En revanche, et très exceptionnellement, les Pays-Bas sont arrivés à la parité. C’est un des rares pays qui soit dans ce cas, avec l’Angleterre, placée d’ailleurs dans des conditions particulières puisque les agriculteurs ne représentent que 4 % de sa population active. Aussi l’Angleterre pratique-t-elle un système de deficiency payment qui constitue une demi-fonctionnarisation de l’agriculture et qui aboutit à la parité dans des conditions tout à fait étrangères au mécanisme européen.

    Les Pays-Bas y parviennent différemment ; quant à la Belgique, intermédiaire entre les trois grands pays, le revenu de ses paysans se trouve au coefficient 0,60. Que faut-il en conclure ?

    Le revenu supérieur des deux plus petits pays s’explique, pour une grande part, par le fait même que leur territoire est moins étendu et moins accidenté que celui de pays qui, comme l’Allemagne, la France, l’Italie, ont des zones très diverses et connaissent l’importance des disparités régionales.

    Ce fait peut avoir une valeur stimulatrice. Il n’en reste donc pas moins que nous avons les mêmes problèmes de structures et qu’il est très utile de pouvoir nous placer dans un cadre d’ensemble pour trouver une solution commune afin que chaque pays renforce son effort avec celui des autres au sein de l’action communautaire.

    En d’autres termes, si nous trouvions une France avec des exploitations infimes, une Allemagne et une Italie avec d’énormes fermes et une concentration dont certains font l’éloge peut-être d’une façon téméraire, alors nous pourrions écouter ceux qui disent « Attention, nos partenaires n’ont qu’une idée, c’est de détruire les petites exploitations ».

    Comme ils en comptent également – bien que nous ayons une population agricole plus nombreuse qu’eux, à l’exception de l’Italie, le rapport de la population agricole à la population totale est parallèle au rapport du revenu agricole au revenu national total – nous sommes, je le répète, dans les mêmes conditions ; nous nous heurtons aux mêmes problèmes et, soucieux d’atteindre le même objectif, nous pouvons donc nous entraider, nous épauler.

    Enfin, la quatrième raison du choix européen est celle du commerce international. En effet, quelles que soient les perspectives avantageuses que puissent nous ouvrir les échanges intra-européens, nous ne pourrons pas résoudre notre problème agricole sans tenter de déboucher sur le plan mondial.

    En tout cas, il nous faudra prendre cet élément en considération car c’est de l’ensemble du monde extérieur à l’Europe des Six, c’est-à-dire de ce que l’on appelle les pays tiers, que peuvent venir les dangers. Je pense, par exemple, au Kennedy Round, à l’affaire de l’Argentine, évoqués par plusieurs orateurs.

    Mais là également peuvent s’ouvrir pour nous des perspectives. Pour jouer valablement une carte sur ce plan mondial, pour obtenir une certaine organisation des marchés mondiaux, pour tenter d’éviter l’anarchie des prix et surtout les prix de braderie que l’on appelle prix mondiaux, il est certain qu’un pays isolé ne serait pas assez fort.

    Installés dans une communauté plus vaste, dans la construction européenne, nous pouvons mieux nous défendre ; nous l’avons montré dans le Kennedy Round. Nous avons évité les pires dangers et, inversement, nous avons pu déjà obtenir – ce n’est pas tout ce que nous cherchions mais c’est un début – une légère augmentation du prix mondial des céréales, prix de dumping, et nous avons pu prendre une décision importante qui concerne l’aide alimentaire.

    Nous aurons ainsi un relais dans l’avenir si nous nous habituons à exporter une partie de nos excédents vers des pays qui ne disposent pas de moyens de paiement mais dont les besoins constituent ce qu’on appelle la « demande biologique ».

    Prenons un exemple. M. Cointat, je crois, a parlé des excédents de blé. Il y a des excédents de blé en France, mais à l’échelle européenne, pas tellement : la bonne récolte de cette année fait que les excédents atteignent cinquante millions de quintaux, mais nous sommes déjà assurés d’en livrer dix au titre de l’aide alimentaire. Sans doute cette opération sera-t-elle sans profit. Mais c’est une œuvre de solidarité à laquelle concourent tous les pays civilisés.

    Ces quatre points essentiels nous permettent, je crois, de confirmer notre choix : il faut continuer la construction de l’Europe parce que nous l’avons commencée, parce que, déjà, elle est favorable à notre balance extérieure, parce que nous pourrons aborder ainsi le problème de la mutation agricole dans un ensemble plus important, enfin parce que nous aurons tous réuni plus d’autorité sur le plan international pour sortir de l’anarchie agricole, pour lutter et pour vaincre ce paradoxe de pays préoccupés de leurs excédents en face de pays préoccupés d’une façon plus grave encore par leurs déficits, leur pénurie.

    Archives du CHT, fonds Association nationale des paysans-travailleurs

    Annexe 1.4. Les documents, Communauté européenne, n° 39, février 1967, La politique agricole commune

    II – Traité de Rome et agriculture

    De six à une…

    Les différents pays européens, comme la plupart des États industriels modernes, ont donc développé des politiques agricoles dotées de systèmes de protection et d’intervention fort différents, voire opposés, et incompatibles avec les notions de liberté des échanges et de la concurrence. Aussi, l’application à l’agriculture des principes d’intégration des ensembles économiques poset-elle des problèmes particuliers.

    En effet, d’autres organisations internationales, telles que l’OECE et l’AELE, ne s’appliquent pas à l’agriculture ni aux échanges de produits agricoles, mais les ont laissés aux accords bilatéraux entre États membres. Or, plus qu’à une simple union douanière, le traité de Rome vise à la création d’une Communauté économique, et les raisons suivantes ont imposé l’application du Marché commun à l’agriculture :

    1. Dans la pratique, il est difficile de délimiter clairement les produits agricoles et les produits d’origine industrielle (pâtes alimentaires, produits sucrés, etc.).

    2. Il serait impossible d’exclure les marchés agricoles pour lesquels les États s’accordent réciproquement des préférences tarifaires ; d’autant que, pour certains pays, l’exportation des produits agricoles présente un intérêt vital : Pays-Bas : 33 %, Italie : 22 %, France : 15 %, Danemark : 65 %, Portugal : 30 % de l’ensemble des exportations.

    3. Près d’un quart de la population active de la Communauté travaille dans l’agriculture, et même un tiers si l’on tient compte des activités étroitement liées au secteur agricole (commerce, artisanat et services divers) ; proportion importante que l’on ne saurait exclure de l’intégration.

    4. Les niveaux et les fluctuations des prix alimentaires sont déterminés essentiellement par la politique des marchés et des prix agricoles ; aussi, pour établir des conditions de concurrence identiques, convient-il de fixer des niveaux de prix qui soient communs.

    5. Il y a une interdépendance étroite entre l’expansion économique générale et le développement de l’agriculture ; celle-ci constitue non seulement une clientèle considérable (tracteurs, engrais, etc.) mais aussi un réservoir de main-d’œuvre important, et souvent excédentaire, qui nécessite la création, par une politique économique et agricole harmonieuse, de conditions permettant le départ de travailleurs sans grosses difficultés sociales.

    Parmi les dispositions du traité qui se rapportent au processus d’intégration économique, on peut faire une distinction entre :

    – celles qui traitent de la réalisation de l’union douanière, comportant un calendrier précis pour l’élimination des droits de douane et l’établissement d’un tarif douanier commun,

    – et celles qui concernent l’union économique, se présentant sous forme de lois-cadres, à partir desquelles une législation communautaire doit être élaborée.

    Et pour trois domaines particuliers de la politique économique (agriculture, transports, relations commerciales avec les pays tiers), il est prévu l’instauration d’une politique commune. Ainsi, le titre Il (art. 38 à 47) consacré à l’agriculture contient les principes généraux de la politique agricole commune, la procédure à suivre et les mesures à prendre pour sa mise en place.

    Principes, buts et moyens de la politique agricole commune

    Les principes généraux de la politique agricole commune que les États membres doivent mettre en œuvre apparaissent comme un remarquable effort pour concilier :

    – d’une part, les exigences du marché, c’est-à-dire la libération des échanges par la suppression des restrictions quantitatives et le « dépassement » des divergences nationales,

    – d’autre part, les exigences de la justice sociale qui imposent la protection, ou du moins l’adaptation structurelle, d’un secteur économique particulièrement vulnérable.

    De même, le développement des échanges intracommunautaires devra s’accorder avec le maintien des relations commerciales avec les pays tiers.

    Ainsi, la politique agricole commune peut-elle se ramener à trois principes essentiels :

    – établissement progressif de la libre circulation des produits agricoles sur le territoire de la Communauté aux mêmes conditions que dans un marché national,

    – établissement d’un régime communautaire des échanges commerciaux de produits agricoles entre la Communauté et les pays tiers, notamment par la fixation d’un tarif douanier commun,

    – financement communautaire des charges entraînées par cette politique : régularisation du marché intérieur, exportation des excédents et amélioration des structures agricoles.

    Des buts précis ont été assignés à cette politique commune :

    – accroître la productivité,

    – assurer un niveau de vie équitable à la population agricole,

    – stabiliser les marchés,

    – garantir la sécurité des approvisionnements,

    – assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

    Et dans son élaboration il est prévu de tenir compte notamment du caractère particulier de l’activité agricole découlant des structures sociales et des disparités naturelles, secteur intimement lié au reste de l’économie mais pour lequel les ajustements devront s’effectuer graduellement.

    En vue d’atteindre ces objectifs, le principal instrument préconisé est l’établissement d’une organisation commune des marchés agricoles qui, selon les produits, pourra prendre l’une des trois formes suivantes :

    – des règles communes en matière de concurrence,

    – une coordination obligatoire des diverses organisations nationales de marché,

    – une organisation européenne du marché.

    C’est du reste cette dernière qui a été retenue et se trouve le plus couramment appliquée. Aussi, l’application à l’agriculture des principes généraux du Marché commun est-elle dominée par une préoccupation organisatrice qui conduit à distinguer quatre composantes dans cette politique :

    1. Une politique des marchés et des prix des produits agricoles,

    2. Une politique commerciale vis-à-vis de l’extérieur,

    3. Une politique des structures, pour l’amélioration des conditions de production et de commercialisation,

    4. Une politique sociale.

    III – Les grandes étapes de la mise en œuvre de la politique agricole commune

    L’histoire de la politique agricole commune est un peu celle de toute la Communauté, et les dates « agricoles » font partie des plus importantes du Marché Commun. En effet, près de 90 % des quelque 1 000 règlements arrêtés jusqu’à présent par le Conseil et la Commission se rapportent à l’agriculture ; et c’est donc surtout en matière de politique agricole que le droit communautaire s’est développé.

    Signé le 25 mars 1957 sur le mont Capitole à Rome, le traité instituant la CEE est entré en application le 1er janvier 1958. Du 3 au 12 juillet 1958, à Stresa (Italie), la Commission a convoqué, ainsi que prévu à l’article 43 du traité, une conférence intergouvernementale « afin de dégager les lignes directrices d’une politique agricole commune, et de procéder à la confrontation des politiques agricoles nationales en établissant notamment le bilan de leurs ressources et de leurs besoins ».

    Cette confrontation des politiques nationales a permis à chaque délégation de dresser un tableau de ses préoccupations agricoles, et a révélé les oppositions : d’une part les Allemands, Italiens et Néerlandais, craignant à des degrés divers l’autarcie et plaidant pour le maintien des importations des pays tiers ; d’autre part les Belges, Luxembourgeois et Français se souciant principalement du développement de leurs productions et de la défense économique et sociale des agriculteurs.

    Le ministre néerlandais veut que « le consommateur soit roi », rappelle qu’une production ne se justifie que si elle est demandée, et qu’il ne peut non plus y avoir de courant d’exportation sans un courant d’importation correspondant.

    Le ministre français parle d’équilibre social, de permanence de l’exploitation familiale, de revenu équitable, et de préférence communautaire dans les échanges de produits agricoles.

    Un certain nombre d’idées, dont la Commission allait devoir tenir compte pour l’élaboration de la réglementation agricole, sont consignées dans une résolution finale, qui constitue en quelque sorte la « charte » d’une politique agricole européenne.

    Dès décembre 1959 la Commission a soumis au Conseil un projet de propositions de politique agricole commune qui a été largement étudié au sein du Comité économique et social, de divers comités d’experts, et par les organisations professionnelles. Le 30 juin 1960 la Commission a déposé ses « propositions concernant l’élaboration et la mise en œuvre de la politique agricole commune » qui comprenaient notamment un énoncé des principes de base dans les domaines de la politique des marchés, des structures, commerciale et sociale, ainsi que les modalités d’application de ces principes pour certains produits importants. Ces propositions ont été examinées par le Parlement européen et le Comité Spécial de l’Agriculture. Le 20 décembre 1960, le Conseil prenait une importante décision en faveur de la création d’un système de « prélèvements » aux frontières.

    Le 14 janvier 1962, après de langues négociations, appelées « le premier marathon agricole », les premiers règlements d’organisation commune de marché sont arrêtés pour : les céréales, la viande de porc, les œufs et la volaille ; les fruits et légumes, et le vin ; enfin, et surtout, était créé l’instrument essentiel de la politique agricole commune : le Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEOGA).

    Le 23 décembre 1963 est adoptée une autre série de règlements d’organisation commune de marché pour : le lait et les produits laitiers, la viande bovine, le riz, ainsi qu’un complément au règlement financier concernant le FEOGA.

    À cette même date, la Commission reçoit du Conseil de ministres le mandat d’entamer, au nom des six gouvernements, les négociations sur les échanges de produits industriels et agricoles dans le cadre des négociations Kennedy à la conférence du GATT, à Genève.

    Le 15 décembre 1964, le Conseil décide d’appliquer un niveau de prix communs pour les céréales dès le 1er juillet 1967, c’est-à-dire de réaliser à cette date avancée le stade définitif de l’organisation commune du marché des céréales et de leurs dérivés (viande porcine, œufs et volaille).

    Cette décision très importante a été prise sur la proposition de la Commission appelée « plan Mansholt » du 5 novembre 1963 qui estimait nécessaire l’accélération de la mise en place de la politique agricole commune pour deux raisons essentielles :

    – il est moins coûteux d’obtenir l’unification en une seule fois des prix céréaliers vers un niveau moyen, que de devoir négocier chaque année un abaissement des prix les plus élevés, quitte à octroyer des compensations à certains pays pendant quelques temps.

    – la Communauté devait se présenter comme une entité disposant d’une politique commune en matière de prix pour pouvoir négocier dans le cadre du GATT.

    Au cours de ce « troisième marathon » a été pris l’engagement d’élargir aussi rapidement que possible la réglementation communautaire aux autres produits en attente, notamment le sucre et les matières grasses végétales, et de compléter le règlement fruits et légumes. Mais les conséquences de celle décision vont encore plus loin dans le sens de l’intégration européenne, ne serait-ce que la fixation des prix en une unité commune8, qui stimule la coordination des politiques monétaires nationales.

    Le 11 mai 1966, un accord a été réalisé au sein du Conseil sur deux questions essentielles.

    1. La libre circulation de tous les produits agricoles et industriels au plus tard à partir du 1er juillet 1968, c’est-à-dire avec dix-huit mois d’avance sur l’échéance prévue par le traité ; pour les produits agricoles, cette libre circulation sera échelonnée, selon les campagnes propres à chaque produit :

    – 1er novembre 1966 pour l’huile d’olive,

    – 1er janvier 1967 pour les fruits et légumes, 1er juillet 1967 pour les céréales (comme convenu dans l’accord du 15 décembre 1964) et produits transformés : viande de porc, œufs et volaille,

    – 1er septembre 1967 pour le riz,

    – 1er avril 1968 pour le lait, les produits laitiers et la viande bovine,

    – et enfin 1er juillet 1968 pour le sucre et tous les autres produits,

    2. Le fonctionnement du FEOGA jusqu’à la fin de la période transitoire (maintenue au 1er janvier 1970), de telle sorte que dès le 1er juillet 1967 la responsabilité financière de la Communauté soit, pleinement assumée en ce qui concerne sa politique agricole.

    Le 24 juillet 1966, après de très longues et âpres discussions sur les nouvelles propositions de la Commission (mars 1966) visant à compléter le Marché commun agricole, le Conseil a pris un certain nombre de décisions relatives : aux organisations communes de marché du sucre, des matières grasses, des fruits et légumes ; à la fixation de niveaux communs des prix pour le lait et les produits laitiers, la viande bovine, le riz, le sucre, les graines oléagineuses et l’huile d’olive ; à l’établissement d’une politique commune d’aides en agriculture.

    Par ces décisions d’une très grande importance pour l’avenir de la Communauté, le Marché commun agricole aura pratiquement atteint son stade définitif le 1er juillet 1968.

    Néanmoins, pour que l’on puisse réellement parler de « politique agricole commune », il faudrait que les différentes « composantes » de cette politique aient été mises en place. Si la libre circulation des produits agricoles est bientôt réalisée pour plus de 95 % des produits – bien que pour quelques-uns subsistent encore certaines limitations ou mesures transitoires –, restent à définir d’autres éléments de la politique économique qui concernent largement l’agriculture : politique sociale, de structures, régionale, fiscale, de concurrence, commerciale, monétaire, de recherche, etc. Il n’aura pas fallu moins de six années de négociation et de quatre marathons pour concevoir la politique agricole…

    Archives du CHT, fonds Fédération nationale des syndicats paysans

    Annexe 1.5. FNSP, La PAC et les paysans. Bilan, enjeux, perspectives, octobre 1981 (extrait)

    Il faut renégocier la PAC

    Les difficultés individuelles de chaque pays, les insuffisances et les erreurs de la PAC entraînent des conflits entre les partenaires, renvoient chacun à son individualisme. La PAC en 20 ans n’a pas atteint son but proclamé, elle est critiquée, remise en cause. Il y a un choix politique fondamental à faire : ou bien la PAC peut être modifiée pour poursuivre des objectifs nouveaux, avec des méthodes nouvelles ; ou bien il faut renationaliser les aspects de la PAC qui vont à l’encontre de ces objectifs.

    Mais cette modification de la PAC n’a de chance d’être efficace que si, par ailleurs, existe une véritable volonté politique de créer un renforcement des politiques communes, dans les domaines autres que l’agriculture. La préférence communautaire ne sera acceptable que si elle est autre chose que le panier percé actuel.

    Le débat sur le soutien des marchés n’a de chance d’aboutir que s’il est posé en fonction des objectifs qu’on lui assigne, et pas seulement en termes d’abaissement, de réduction, de retrait. Aussi, notre ambition n’est pas de vouloir en premier « sauver la PAC » ou « l’agriculture secteur économique », mais plutôt de faire des propositions qui visent à obtenir, rapidement, la meilleure utilisation possible et une réelle promotion des potentialités humaines de l’Europe agricole par la sauvegarde d’équilibres sociaux, régionaux et économiques.

    1. La PAC coûte-t-elle trop cher ?

    C’est par le biais de son coût budgétaire, le plus souvent, que la nécessité est apparue de réformer la PAC. Coûte-t-elle effectivement trop cher ?

    Il est anormal d’accuser le coût de la PAC quand on y inclut l’aide alimentaire au Tiers-Monde, le coût de la réexportation du sucre importé en vertu des accords de Lomé, le coût de la réexportation du beurre de Nouvelle-Zélande, etc. soit un total de 1 880 millions d’écus sur un budget du FEOGA-Garanti de 11 500 millions d’écus en 1980.

    Le développement de la production agricole a permis la sécurité et l’indépendance alimentaire de toute l’Europe. Cette sécurité et cette indépendance sont financées par le seul budget de la PAC. Mais combien cela coûterait-il au budget européen, aux budgets nationaux, au budget privé de chaque consommateur, si l’Europe était dépendante des autres pays ou du marché mondial pour l’approvisionnement en aliments ? Le budget du FEOGA-Garanti représente moins de 0,6 % du PIB.

    Le seul exemple du coût de notre indépendance en énergie, nous autorise à répondre que le budget de la PAC n’est pas trop élevé. Mais son utilisation doit être revue et une véritable planification de la répartition des productions et des aides publiques, au niveau des travailleurs, doit être instaurée. En effet, pour la France, les charges de soutien des marchés représentent 18,5 % de la valeur de la production céréalière, 14,7 % pour le lait, et seulement 1,1 % pour la viande9. Les écarts sont encore accentués si l’on répartit ces aides en fonction du nombre de producteurs.

    Réformer l’utilisation du budget européen ? Certainement. Mettre au point un système plus équitable de calcul de la contribution des États ? Probablement. Mais critiquer le coût global de la PAC ? Sûrement pas.

    Le match de grippe-sous et d’avares que nous proposent les divers gouvernements européens, mérite d’être dénoncé sans pour autant ignorer les conséquences de ces coûts relatifs… bien que ceux-ci, ramenés à l’exploitation, sont à peine équivalents à l’aide fédérale reçue par les exploitations des USA. D’autre part, comme nous l’avons déjà dit, ces coûts ont d’autres justifications : sécurité et indépendance alimentaire des consommateurs à un niveau convenable ; maintien d’un tissu économique et social, et donc économies sur le coût social du chômage, etc.

    Limiter la réforme de la PAC à un marchandage budgétaire serait la pire des politiques.

    2. Faut-il modifier le traité de Rome ?

    Le traité de Rome, et son article 39 qui fixent les objectifs de la politique agricole commune, ont été écrits il y a 25 ans, dans un contexte politique et économique qui a beaucoup changé. Le traité de Rome peut-il apporter des réponses aux problèmes nouveaux qui se posent aujourd’hui, ou bien faut-il renationaliser certaines politiques pour y faire face ?

    Des priorités nouvelles apparaissent :

    2.1. Créer des emplois en agriculture et améliorer les conditions de vie des travailleurs agricoles. Dans le contexte européen que nous connaissons où le chômage croissant détruit les conditions d’épanouissement des hommes et des femmes, et pose des problèmes sociaux mal assumés par notre société, il est politiquement incohérent et socialement dramatique, de laisser se développer l’exode rural et agricole. De même que l’agriculture a, dans la période précédente, contribué au développement économique, elle peut aujourd’hui contribuer à résoudre le problème de l’emploi. Il faut par ailleurs se souvenir que l’une des justifications de la politique de modernisation de l’agriculture a été le besoin en main-d’œuvre de l’industrie qui connaissait alors des taux de croissance de 4, 6 ou 8 % par an. Il n’en est plus de même aujourd’hui, et la double mission donnée à l’agriculture (améliorer sa productivité, dégager de la main-d’œuvre pour d’autres secteurs) ne peut être maintenue.

    Une telle orientation doit conduire à ces choix politiques clairs : une politique des structures visant à répartir les moyens de production ; garantir un revenu disponible pour un volume de travail donné, qui assure une parité avec les autres travailleurs ; améliorer les conditions de travail et de vie des paysans par la création de services de remplacement ; modifier du même coup les systèmes de production, pour les rendre moins dépendants des produits importés et donc moins concurrents des agriculteurs du Tiers-Monde.

    Il ne s’agit pas d’un choix utopique, et qualifié souvent d’antiéconomique, mais au contraire d’une orientation qui tend, en améliorant la situation des paysans, à donner au secteur agricole une plus grande efficacité pour la société globale. Ainsi, la définition et l’amélioration de la production agricole doivent intégrer des éléments nouveaux, tels que la situation de l’emploi, l’augmentation du coût de l’énergie, l’étroitesse de certains marchés internationaux.

    2.2. Rétablir les équilibres régionaux.

    Comme nous l’avons vu, l’intervention sur les marchés avec les mécanismes différents suivant les produits, appliquée quels que soient les volumes de production, aboutit à la concentration des productions dans les régions et les exploitations qui sont, dès le départ, les plus favorisées. Loin de réduire les écarts, la PAC les accentue, allant ainsi à l’inverse de l’objectif de rapprochement des économies, préalablement à tout renforcement des politiques communautaires. La PAC, et donc la construction européenne, ne seront viables que si elles incluent dans leurs objectifs, la réduction des disparités entre les régions.

    Cela nécessite : un financement sélectif du développement des exploitations, suivant les régions ; l’extension des garanties réelles de prix à un plus grand nombre de produits, mais une limitation de ces garanties à un volume défini de la production, pour éviter les rentes de situation coûteuse et source de déplacement des productions ; le financement des équipements nécessaires dans les régions déshéritées ; des aides directes pour compenser les handicaps naturels de certaines régions.

    Cette politique est particulièrement importante au moment où il est question de l’élargissement de la CEE aux pays méditerranéens, dont certains produits seraient en concurrence avec les produits provenant des régions les moins développées de l’actuelle CEE. Il serait insupportable que cet élargissement, quels qu’en soient les fondements politiques, se traduise par des difficultés économiques supplémentaires pour le sud de la France et pour l’Italie.

    Un tel objectif oblige à redéfinir les relations existantes entre la CEE, les États et les Régions. En effet, au-delà de nécessaires modifications des mécanismes généraux, il y a nécessité d’aboutir à des négociations régionales de programmes de développement, dont la portée peut et doit dépasser le cadre de l’agriculture.

    3. Adapter les principes de la PAC.

    À objectifs nouveaux doivent correspondre des moyens nouveaux. La négociation nécessaire de la PAC nous conduit à réexaminer les principes de départ

    3.1. La libre circulation des biens et l’unicité des prix sont un marché de dupes.

    3.1.1. L’unicité des prix est souvent présentée comme le fondement intangible de la PAC. Dans les faits, les perturbations monétaires ont complètement dénaturé ce principe. L’existence des montants compensatoires monétaires (MCM) et les écarts importants de taux d’inflation entre les différents pays, font que, traduit en monnaies nationales, les prix ne sont plus communs. De plus, jusqu’à 1980, la résorption des MCM a permis, tant bien que mal, de fixer des prix communs et de les adapter aux différents taux d’inflation, par suppression d’une partie des MCM. Aujourd’hui, les MCM négatifs ont presque complètement disparu et la fixation des prix communs devient pratiquement impossible, quand il y a 10 points d’écart entre les inflations des différents pays. Par ailleurs ces différences économiques ou monétaires, introduisent des écarts importants dans les coûts des facteurs de production. La notion de prix unique est sérieusement remise en cause. Ou bien les moyens sont pris pour que la convergence des politiques économiques réduise ces écarts, mais on n’en prend pas le chemin, ou bien il est nécessaire de modeler la notion de prix unique, au profit de prix pondérés, en fonction du prix des facteurs de production.

    Une telle correction est indispensable au rétablissement d’un certain équilibre entre les agriculteurs des différents pays.

    3.1.2. L’organisation des marchés.

    Outre le rôle de régulation des fluctuations des prix à court terme, l’organisation des marchés a pour objectif d’orienter les productions. Ainsi, les types de soutien seront-ils différents pour telle production fortement déficitaire, et telle autre que l’on est conduit à brader sur le marché international ou au nom d’une trop vertueuse aide au Tiers-Monde. Mais il doit être clair que l’orientation des productions ne peut se réaliser par une baisse uniforme des prix qui conduit, en définitive, à la concurrence sauvage et à l’exode rural. L’organisation du marché que nous voulons est juste- ment celle qui ne soumet pas les producteurs à la loi aveugle du marché. Ainsi, nous attendons d’une telle organisation qu’elle assure aux producteurs un revenu correct pour une quantité de produits, et donc une quantité de travail donné.

    S’il est inconcevable de supprimer le soutien des marchés, il est inconcevable aussi de le conserver sans limite de volume car cela revient à distribuer, en priorité aux gros producteurs, les finances des contribuables.

    Les formes à donner à un soutien des marchés poursuivant ce triple objectif de régulation des fluctuations, d’orientation de production et de garantie de revenu aux producteurs méritent d’être étudiées plus à fond. Mais quelques voies sont déjà tracées. Une politique de quota par pays, déterminés en fonction de la production antérieure de chacun, est inconcevable. Par contre, une planification de la production, visant à répartir l’activité agricole sur l’ensemble du territoire, doit être mise en œuvre. Ainsi, les aides de soutien des marchés doivent être modulées et distribuées de façon à développer certaines productions dans certaines régions.

    On peut envisager la superposition de deux formes de quantum : d’abord un quantum en volume de production, pour les produits excédentaires ou à marcher limité ; ensuite, un quantum financier d’aide au soutien des marchés, par travailleur, c’est-à-dire que chaque producteur ne pourrait pas dépasser une somme donnée d’aide publique au titre de soutien des marchés, quelles que soient les productions.

    Ces dispositions peuvent permettre une assez grande souplesse pour une adaptation régionale. Mais elles doivent s’accompagner d’autres mesures complémentaires, parce que la garantie de prix, seule, ne peut corriger les autres causes de disparités entre producteurs et régions.

    3.2. Appliquer, enfin, la préférence communautaire.

    Cette règle ne saurait être bafouée pour des intérêts politiques ou ceux de firmes multinationales. C’est le cas pour le beurre de Nouvelle-Zélande, la viande des pays de l’Est ou d’Argentine, des matières grasses végétales. Il est injustifiable de critiquer les désordres des marchés des produits agricoles, et la difficulté d’un soutien efficace si, dans le même temps, on laisse entrer des produits concurrentiels. Il doit être bien clair que cette protection communautaire doit s’appliquer aux produits identiques, mais également aux produits de substitution, tels que le manioc pour les céréales, les matières grasses végétales pour le beurre et l’huile d’olive, et même le soja qui empêche le développement des protéagineux en Europe. Cependant, cette politique de préférence communautaire ne doit pas interdire des accords possibles d’échanges et de coopération avec les pays du Tiers-Monde.

    3.3. La solidarité financière.

    « On ne peut à la fois vouloir un marché commun pour vendre ses produits industriels ou profiter de la liberté de circulation des capitaux et des services, et refuser l’outil indispensable à la libre circulation des produits agricoles10 ». On ne saurait mieux exprimer le choix qui s’impose en matière financière. En effet, sans financement commun, il n’y a plus de prix commun possible, ni de marché commun.

    Peut-être est-il nécessaire de revoir les bases de la participation financière à retenir, mais il ne saurait être question que certains États, telle la Grande-Bretagne, installent à leur profit une dérogation permanente à la règle commune. Ainsi, l’idée du « juste retour » en matière financière ne peut être retenue que si on intègre dans le calcul les avantages non agricoles de chacun des États de la Communauté.

    3.4. Développer d’autres politiques communes.

    Les facteurs de déséquilibres entre pays et régions de la communauté sont nombreux. Aussi, seuls les mécanismes du marché, même aménagés par des interventions de soutien, ne peuvent permettre d’atteindre nos objectifs. D’autres politiques complémentaires sont nécessaires : une politique structurelle sélective au profit des régions et des agriculteurs défavorisés ; pour le foncier, une harmonisation des réglementations et des prix qui puissent moraliser le marché foncier et mettre fin aux surenchères étrangères sur les terrains agricoles, ceci ne devant être qu’une étape dans la recherche de nouveaux modes de propriété du sol ; une harmonisation des méthodes de financement qui permettra des conditions comparables d’installation et de développement ; une harmonisation des bases de l’imposition et des cotisations sociales prenant en compte le revenu disponible.

    Conclusion générale

    Nous attendons de la PAC qu’elle poursuive de tels objectifs et qu’elle mette en œuvre ces moyens. Nous demandons des dispositions nationales qui garantissent des orientations si le PAC ne peut le faire. Enfin, nous demandons le démantèlement de la PAC si elle poursuit des objectifs contraires ou si elle rend impossible des réformes de la politique agricole qui seraient possibles en France.

    La mise en route d’une telle PAC nécessite des choix politiques et syndicaux déterminés qui développent une agriculture de type familial. Une telle agriculture est seule capable : d’occuper l’espace ; d’utiliser au mieux les ressources disponibles ; d’assurer une production à bon marché (sans gaspillage budgétaire) qui ne soit pas de luxe, mais dont les produits doivent être payés à leur valeur (il est anormal qu’un litre d’eau coûte plus cher qu’un litre de lait) ; de redonner aux travailleurs de la terre, un statut et une dignité paysanne. Cette dignité ne s’enracine pas dans un retour mélo ou néo ruraliste, mais prend corps dans une vie moderne qui donne accès à la communication, à la culture, à la connaissance, sans être pour autant « gadgétisée » et robotisée comme la vie urbaine.

    Ainsi, une nouvelle PAC doit-elle dépasser les limites purement mercantiles ou budgétaires, pour répondre aux aspirations fondamentales des paysans quant au mode et à la qualité de leur existence.

    Là résident les raisons profondes qui peuvent justifier et nourrir une adhésion.

    Archives du CHT, fonds Fédération nationale des syndicats paysans

    Annexe 1.6. Fédération nationale des syndicats paysans, Paris le 14 octobre 1983 Propositions de la FNSP exprimées à M. le ministre de l’Agriculture à l’occasion de la rencontre du 14 octobre 1983 sur la Politique Agricole Commune

    Cette intervention ne cherche pas à être exhaustive. Nous voulons simplement dire, ce qui pour nous est l’essentiel, en abordant schématiquement les trois points suivants : finalités de la PAC ; principes fondamentaux dont le contenu doit être redéfini et réaffirmé ; mesures pour la prochaine campagne laitière.

    Nous jugerons la prochaine négociation d’Athènes, et en particulier la démarche du gouvernement français, en fonction des réponses qu’elle donnera aux questions que nous soulevons ici. Ce qui importe pour nous dans la PAC, c’est sa compatibilité avec le modèle de paysannerie que nous défendons et les garanties qu’elle apporte aux travailleurs de cette paysannerie.

    David2015-08-12T11:17:00DDavid2015-08-12T11:17:00DDavid2015-08-12T11:17:00D1. Finalités de la PAC

    D’abord, la PAC doit assurer l’indépendance alimentaire de l’Europe lui permettant non seulement la couverture de ses besoins mais également une capacité d’intervention au plan mondial en matière agricole et alimentaire. Par ailleurs, la PAC doit rechercher et favoriser les conditions d’une production agricole plus autonome par rapport aux fournitures de consommations intermédiaires en provenance des pays tiers. Enfin et surtout, la PAC doit maintenant arrêter la tendance à la concentration de la production sur un nombre très réduit d’exploitations et sur les régions les plus favorables. Elle doit avoir une attitude très volontariste pour soutenir très activement l’emploi agricole sur l’ensemble des territoires de la communauté.

    Actuellement, dans le déséquilibre général entre forces de travail disponibles et emplois disponibles, le secteur agricole, l’économie et la vie rurale constituent un ensemble où des marges de manœuvre restent plus ouvertes qu’ailleurs. La PAC doit les saisir par une action socio structurelle dont la logique propre devra prendre le pas sur d’autres logiques, notamment celle de l’agroalimentaire.

    2. Principes fondamentaux dont le contenu doit être redéfini et réaffirmé

    a. Unité de marché.

    Cela veut dire que les pratiques agri monétaires actuelles doivent cesser. Il faut mettre en place une règle de démantèlement automatique des MCM dans un délai maximum de six mois après chaque réajustement monétaire. Elle doit être obligatoire pour tous les États membres. Par contre l’unité de marché n’a pas été invoquée pour s’opposer au principe des prix garantis différentiels suivant les quantités livrées, car ce serait antinomique avec les finalités de la PAC indiquées plus haut. Dans cet ordre d’idée, il faut voir aussi que la notion de marché pour les produits agricoles qui font l’objet de soutiens publics est une notion « particulière ».

    b. Préférence communautaire.

    Tous les partenaires commerciaux de la CEE, et singulièrement les USA, dénoncent le protectionnisme de la PAC. Il faut donc l’appliquer sans laxisme en abolissant les pratiques préférentielles sur tous les produits agricoles en provenance des pays tiers y compris le soja. Entre autres choses, cela peut permettre de réorienter une partie du potentiel agricole européen vers une plus grande production des aliments du bétail.

    c. Solidarité financière et système d’intervention.

    La solidarité financière des États membres doit être réaffirmée, mais cela n’aura de sens que dans la mesure où le système d’interventions aura fait l’objet d’une définition précise sur laquelle il y aura un accord général, sinon spontané, du moins accepté. Cette règle du jeu communautaire pourrait prendre la forme d’un contrat à durée déterminée renégociable à expiration.

    Pour nous, le système d’interventions doit établir une cohérence entre quatre paramètres essentiels : la garantie des prix ; la régulation de la production et des marchés ; l’orientation du modèle de production et des productions ; l’action socio structurelle de développement régional.

    Dans cette optique, nous pensons que la PAC doit : introduire le principe des prix garantis différentiels suivant les quantités livrées ; appliquer rigoureusement la méthode objective pour la fixation des prix ; prendre honnêtement les mesures d’accompagnement nécessaires pour rendre effectives les décisions de prix au niveau des producteurs ; avoir la possibilité de faire appel à titre provisoire à des mesures directes de maîtrise des volumes de production pour redresser une situation d’excédents structurels qui s’avère intraitable par d’autres moyens.

    3. Mesures pour la prochaine campagne laitière

    Le lait se trouve effectivement dans une situation d’excédents structurels devant laquelle les mécanismes mis en œuvre jusqu’à présent pour y pallier n’ont donné aucun résultat. Il est envisagé maintenant : soit une baisse radicale de la garantie de prix, soit des quotas par entreprise.

    En l’absence d’indications détaillées sur ces démarches, il est difficile de porter un jugement précis. Nous tenons toutefois à exprimer deux réserves de principe. D’abord notre opposition dans l’état actuel des choses à une régulation de la production laitière en jouant uniquement sur la garantie de prix. Même avec modulation, ce serait catastrophique pour trop de revenus agricoles déjà assez bas. Cela ne réglerait pas non plus le problème des excédents. À la limite, cela détruirait le principe même de la garantie de prix. Notre opposition aussi aux quotas par entreprise dans la mesure où celle-ci aurait la liberté de répercuter à leur guise, à leurs producteurs, les conséquences de cette réglementation.

    Notre proposition est d’un autre ordre. Elle veut combiner deux séries de mesures.

    a. Mesures communautaires générales d’assainissement

    En principe, ces mesures pourraient être relativement pérennes : prix garantis différentiels suivant les quantités livrées ; prélèvement à l’importation sur les oléagineux et les protéagineux ; aide à l’alimentation des veaux par le lait naturel et pour la suppression du soja dans l’aliment veau.

    b. Mesures directes de maîtrise des volumes de production

    Ces mesures seraient exceptionnelles et provisoires (deux campagnes par exemple). Sur leur contenu, nous ferons des propositions précises dans les semaines à venir. D’ores et déjà, nous demandons qu’elles aient les contreparties suivantes : démantèlement automatique des MCM ; application des mesures communautaires générales d’assainissement ; renforcement de la garantie de prix par l’utilisation de la « méthode objective » pour le calcul de son évolution.

    Image 100000000000055F00000277A690AF69.jpg

    Des paysans bloquent une route de Loire-Atlantique. Sur la pancarte, ce slogan : « Automobilistes ! Industriels ! Aidez les paysans à exiger la revalorisation de leur pouvoir d’achat » (1962), archives CHT, coll. FDSEA 44.

    Image 1000000000000448000002F0035AC09E.jpg

    Bernard Lambert interpelle Sicco Mansholt (au centre) lors de son séjour à Nantes à l’invitation de la FRSEAO (1969), archives CHT, coll. FDSEA 44.

    Notes de bas de page

    1 Cette communication devait être réalisée par notre regretté collègue Gilbert Noël, malheureusement décédé quelques mois avant la journée d’études. J’ai accepté de le remplacer, mais je me suis fortement inspiré de ces travaux pour la réalisation de cet article de synthèse, qui lui est dédié.

    2 Warlouzet L., Le choix de la CEE par la France. L’Europe économique en débat, de Mendès-France à De Gaulle, 1955-1969, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière, 2011.

    3 Noël G., Du Pool vert à la Politique Agricole Commune, les tentatives de communauté agricole européenne entre 1945 et 1955, Paris, Economica, 1988.

    4 Edgar Pisani est ministre de l’Agriculture de 1961 à 1966 dans les gouvernements Debré et Pompidou. Gaulliste de gauche, il joue un rôle majeur dans la définition de la PAC.

    5 Gerbet P., La construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, 1999.

    6 Voir sur ce point l’article infra de Geneviève Gavignaud-Fontaine.

    7 Il s’agit là seulement du revenu « économique » tiré de l’agriculture, à l’évolution des transferts sociaux et des revenus tirés d’activités non agricoles.

    8 Unité de compte (U. C.) = 1 dollar = 4,937 francs français.

    9 Source : ministère de l’Agriculture, projet de loi de Finances 1980.

    10 Commission des Communautés Européennes, « L’Europe verte », notes rapides, décembre 1980.

    Auteur

    • Michel Catala
      Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Nantes, CRHIA
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    1 Cette communication devait être réalisée par notre regretté collègue Gilbert Noël, malheureusement décédé quelques mois avant la journée d’études. J’ai accepté de le remplacer, mais je me suis fortement inspiré de ces travaux pour la réalisation de cet article de synthèse, qui lui est dédié.

    2 Warlouzet L., Le choix de la CEE par la France. L’Europe économique en débat, de Mendès-France à De Gaulle, 1955-1969, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière, 2011.

    3 Noël G., Du Pool vert à la Politique Agricole Commune, les tentatives de communauté agricole européenne entre 1945 et 1955, Paris, Economica, 1988.

    4 Edgar Pisani est ministre de l’Agriculture de 1961 à 1966 dans les gouvernements Debré et Pompidou. Gaulliste de gauche, il joue un rôle majeur dans la définition de la PAC.

    5 Gerbet P., La construction de l’Europe, Paris, Imprimerie nationale, 1999.

    6 Voir sur ce point l’article infra de Geneviève Gavignaud-Fontaine.

    7 Il s’agit là seulement du revenu « économique » tiré de l’agriculture, à l’évolution des transferts sociaux et des revenus tirés d’activités non agricoles.

    8 Unité de compte (U. C.) = 1 dollar = 4,937 francs français.

    9 Source : ministère de l’Agriculture, projet de loi de Finances 1980.

    10 Commission des Communautés Européennes, « L’Europe verte », notes rapides, décembre 1980.

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    Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011)

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    • (2021) Violences politiques en France. DOI: 10.3917/scpo.sommi.2021.01.0377
    • (2016) L'Histoire des paysans français. DOI: 10.3917/perri.alary.2016.01.0365
    • (2013) Questions agricoles. Cahiers Jaurès, N° 210. DOI: 10.3917/cj.210.0193
    • Martin, Jean-Philippe. (2021) À la Confédération paysanne, des paysans écologistes… mais pas végans. Histoire & Sociétés Rurales, Vol. 55. DOI: 10.3917/hsr.055.0155

    Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011)

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    Catala, M. (2013). Les enjeux de la Politique Agricole Commune, du traité de Rome au marché unique, 1957-1993. In L. Jalabert & C. Patillon (éds.), Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011) (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.26112
    Catala, Michel. « Les enjeux de la Politique Agricole Commune, du traité de Rome au marché unique, 1957-1993 ». In Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011), édité par Laurent Jalabert et Christophe Patillon. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2013. https://doi.org/10.4000/books.pur.26112.
    Catala, Michel. « Les enjeux de la Politique Agricole Commune, du traité de Rome au marché unique, 1957-1993 ». Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011), édité par Laurent Jalabert et Christophe Patillon, Presses universitaires de Rennes, 2013, https://doi.org/10.4000/books.pur.26112.

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    Format

    Jalabert, L., & Patillon, C. (éds.). (2013). Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011) (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.26107
    Jalabert, Laurent, et Christophe Patillon, éd. Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011). Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2013. https://doi.org/10.4000/books.pur.26107.
    Jalabert, Laurent, et Christophe Patillon, éditeurs. Mouvements paysans face à la politique agricole commune et à la mondialisation (1957-2011). Presses universitaires de Rennes, 2013, https://doi.org/10.4000/books.pur.26107.
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