L’empire des coupeurs de bois. Sainte-Lucie et les expansions impériales française et anglaise dans la Caraïbe au xviie siècle
The Lumber Empire: St Lucia and French and English imperial expansion in the Caribbean in the 17th century
p. 81-96
Résumés
Située entre la Martinique et la Barbade, l’île de Sainte-Lucie fait l’objet d’âpres contestations entre la France et l’Angleterre tout au long du xviiie siècle. Cette rivalité repose sur l’ambiguïté du statut de l’île, comprise dans l’ensemble des îles dites neutres, dont le statut constituait à la fois un compromis et un facteur aggravant de la querelle entre les deux monarchies. Cet article étudie les origines de l’imposition de la neutralité à Sainte-Lucie au xviie siècle et l’invention de ce territoire au carrefour de deux empires. Sous domination amérindienne jusqu’à la fin du xviie siècle, l’île est déjà sujette à des processus d’appropriation concurrents, dont les motifs fluctuent au cours de la période, avant de faire l’objet, à partir des années 1660, d’un conflit entre la Martinique et la Barbade dont l’enjeu est le contrôle du marché du bois saint-lucien, indispensable aux plantations sucrières des deux îles rivales. La réinvention de cette querelle coloniale conduit à l’élaboration du statut de cette île du milieu, dans un équilibre fragile entre monarchies française et anglaise, la Martinique et la Barbade, ces deux îles et les autres colonies de la région, enfin entre Européens et Amérindiens caraïbes.
Located between Martinique and Barbados, the island of St Lucia was the subject of bitter disputes between France and England in the first half of the eighteenth century. This rivalry was based on the ambiguity of the island’s status as part of the so-called neutral islands, whose status was both a compromise and an aggravating factor in the quarrel between the two kingdoms. This article studies the origins of St. Lucia’s neutral status in the seventeenth century and the invention of a territory at the crossroads of two empires. Under native domination until the end of the seventeenth century, the island had already been subject to competing processes of appropriation, the motivations for which fluctuated during the period. From the 1660s, St. Lucia became the object of a new conflict between Martinique and Barbados over control of the St. Lucian timber market, which was essential to the sugar plantations on the two rival islands. The reinvention of this colonial quarrel led to the elaboration of the status of this island-in-the-middle, within a fragile balance between French and English monarchies, Martinique, and Barbados, and the other colonies of the region, finally between Europeans and Caribbean natives.
Texte intégral
1La signature de la paix d’Utrecht, le 11 avril 1713, acte la cession de la partie française de Saint-Christophe à l’Angleterre. L’abandon de la première des îles françaises, colonisée dès les années 1620 par Belain d’Esnambuc, constitue la principale concession territoriale faite par la France dans la Caraïbe à l’issue de la guerre de Succession d’Espagne. Le renoncement français à Saint-Christophe est jugé mineur par les contemporains, au regard des enjeux commerciaux qui ont sous-tendu la négociation : « J’ai ouï dire il y a longtemps, écrit le plénipotentiaire français Nicolas Mesnager, que le terrain en est usé1. » Selon l’historiographie, la perte de Saint-Christophe a néanmoins eu des conséquences géostratégiques dans la Caraïbe, faisant ressurgir un ancien contentieux entre la France et l’Angleterre qui allait agiter les relations entre les deux empires jusqu’à la fin de la guerre de Sept Ans (1756-1763). Déplacé vers le sud de l’archipel antillais, l’empire français dans la Caraïbe est désormais centré sur la Martinique, donnant une importance géostratégique nouvelle à Sainte-Lucie, île considérée comme neutre, qui fait l’objet de revendications contradictoires entre les Couronnes de France et d’Angleterre2.
2Les historiens qui ont étudié Sainte-Lucie et le contentieux franco-anglais sur l’île ont essentiellement concentré leur attention sur la première moitié du xviiie siècle. Ces travaux ont en particulier mis en évidence la nature ambiguë du statut d’île neutre, constituant à la fois un compromis « faute de mieux » et un facteur aggravant de la querelle. La neutralité est à l’origine d’une double tension, menaçant à plus d’un titre l’intégrité des empires. Dans une période d’accroissement des rivalités impériales, l’absence de souveraineté sur l’île et sa situation dans l’archipel antillais constitueraient une menace pour la sécurité des colonies voisines de la Martinique et de la Barbade, ses rades pouvant servir de bases à des corsaires ou des escadres ennemis en temps de guerre.
3Mais la neutralité ouvrait également une brèche dans la législation commerciale prohibitive des empires, participant de tensions impériales entre les territoires ultramarins et leurs métropoles : Sainte-Lucie apparaissait comme un territoire-sas propice aux échanges interlopes par-delà les frontières et les interdits impériaux, faisant office d’entrepôt pour la contrebande anglaise avec la Martinique3.
4La césure de 1713, envisagée comme point de départ ou comme accélérateur du contentieux franco-anglais sur Sainte-Lucie, est néanmoins problématique. Elle masque tout d’abord la nature hautement contentieuse de l’île au xviie siècle, période à laquelle Sainte-Lucie, demeurant essentiellement sous domination amérindienne, fait déjà l’objet de processus d’appropriation analogues et contradictoires. D’autre part, si la paix d’Utrecht constitue bien une nouvelle étape de la querelle, le traité ne permet pas d’expliquer les origines de la neutralité de l’île, que même les acteurs du contentieux ont bien des difficultés à établir au cours du xviiie siècle4. En effet, contrairement à d’autres îles neutres comme Saint-Vincent ou la Dominique, comprises dans le traité franco-anglais de 1660 (accordant ces deux îles « pour retraitte » aux Amérindiens caraïbes), la neutralité de Sainte-Lucie n’a jamais été sanctionnée par un acte diplomatique clair5.
5L’objet de cet article est donc d’étudier les origines du contentieux franco-anglais sur Sainte-Lucie et de l’imposition de la neutralité sur l’île qui, loin de constituer un accommodement par défaut entre les Couronnes, témoigne de la nature contingente et contestée des expansions impériales française et anglaise dans la Caraïbe au xviie siècle. Ce contentieux s’insère dans un double contexte, dont les phénomènes doivent être appréhendés comme parallèles et non successifs : d’une part, le renforcement du contrôle des États français et anglais dans leurs domaines ultramarins respectifs ; d’autre part, le développement différencié de la plantation sucrière esclavagiste, dont l’avènement, à partir de la fin des années 1640, participe de débats sur la direction et les fonctions de l’expansion impériale. Au sein d’un archipel antillais bouleversé par des projections impériales convergentes et concurrentes, le cas de Sainte-Lucie est une invitation à penser l’invention d’un territoire à l’intersection de deux empires.
Les inconstances de la souveraineté : l’île des colonies imparfaites
6La possibilité d’un empire à Sainte-Lucie commence par la mention de l’île dans les lettres patentes et commissions délivrées dans les années 1620 et 1630 par les couronnes à des entrepreneurs coloniaux, leur octroyant privilèges commerciaux et pouvoir de prendre en charge le peuplement des premiers établissements de la Caraïbe. Sainte-Lucie est explicitement citée dans la lettre patente de 1627, dans laquelle Charles Ier octroie au comte de Carlisle la propriété des « îles Caraïbes6 ». À la même époque en France, les droits concédés à la première Compagnie de Saint-Christophe de Belain d’Esnambuc sont ensuite transmis à la Compagnie des îles d’Amérique, créée en 1635, dont la juridiction s’étend sur une vaste aire géographique, de Trinidad aux Grandes Antilles7. Ces prétentions analogues s’inscrivent dans un contexte d’intenses compétitions, non entre, mais au sein des empires. Sainte-Lucie n’en est que l’un des théâtres, et les tentatives éphémères de coloniser l’île des années 1630 aux années 1650 (l’établissement de Warner en 1638, celui de Du Parquet en 1650) sont représentatives de la nature de l’expansion impériale, faisant l’objet de contestations entre autorités coloniales concurrentes et entre ces autorités et les colons eux-mêmes.
7La fondation de la colonie anglaise de 1638 est contemporaine de la mort du premier comte de Carlisle et de la crise du tabac dans le monde atlantique anglais, qui fragilise le gouvernement des créanciers pendant la minorité du second comte. La crise sociale à Saint-Christophe dans les années 1630 favorise une importante émigration des petits planteurs et anciens engagés qui, frappés par la mévente du tabac en Europe, souhaitent tenter ailleurs une nouvelle fortune et échapper au gouvernement impopulaire des créanciers de Carlisle, en jouant de la variété des situations légales au sein de l’empire8. Par le biais de recruteurs, des autorités coloniales concurrentes, comme la Compagnie de l’île de Providence ou le comte de Warwick, propriétaire de l’île de Tobago, n’hésitent pas à solliciter ces candidats à l’émigration, afin de les attirer dans leurs propres établissements caribéens hors de la juridiction de Carlisle9. Du point de vue du propriétaire et de ses créanciers, cette compétition pour la ressource humaine entre les différentes colonies de la Caraïbe est un enjeu considérable à plus d’un titre : la perte de population affaiblit la manne fiscale que le propriétaire tire d’une colonie, diminue sa rentabilité économique, voire peut anéantir, à terme, un établissement trop vulnérable aux attaques des puissances étrangères ou des Caraïbes. Pour lutter contre la dispersion de leurs colonies, la création de l’établissement de Sainte-Lucie apparaît comme un moyen d’encadrer ces migrations et d’offrir de nouvelles terres aux colons tout en les maintenant sur un territoire compris dans la patente de 162710.
8La fondation de l’établissement français en 1650 procède de logiques similaires. Dans le contexte de l’effondrement de la Compagnie des îles d’Amérique, le gouverneur de la Martinique Jacques Dyel Du Parquet implante à Sainte-Lucie une garnison de 40 soldats, installée dans un fort situé dans la baie du Choc. Au même moment, des négociations sont en cours à Paris pour la vente des titres de la Compagnie sur les îles : par le biais de leurs représentants, l’ensemble des gouverneurs des îles françaises entendent faire valoir leurs droits sur ces territoires, qui font l’objet d’une intense compétition depuis la rébellion de Philippe de Longvilliers-Poincy à Saint-Christophe et les difficultés économiques et politiques de la Compagnie. L’initiative de Du Parquet apparaît dès lors comme un moyen de garantir ses droits sur l’île au détriment de ses rivaux11.
9En 1638 comme en 1650, le destin des deux colonies est étroitement lié aux relations entre les colons et les Caraïbes, lesquels limitent l’expansion impériale en même temps qu’ils donnent forme à la nature des établissements implantés. L’expérience anglaise est à ce titre plus malheureuse que la tentative française. Entre 1638 et 1640, l’effectif originel de colons anglais saint-christophiens est rejoint par des contingents de colons des Bermudes (peut-être plusieurs centaines12). Cette importante composante bermudienne, sans expérience des sociétés amérindiennes, et le modèle économique du nouvel établissement, fondé sur l’extension de la culture du tabac, ont pu contribuer à l’aggravation des tensions avec les Caraïbes. Confronté au manque de vivres, aux épidémies et à l’hostilité amérindienne, la poignée de survivants anglais déserte finalement Sainte-Lucie vers 1640.
10Peut-être marqué par le destin funeste de l’établissement anglais, fort également de l’ancienneté des échanges et des relations entre la Martinique et les sociétés caraïbes, Du Parquet s’est, lui, appuyé sur l’expérience des vieux habitants qui ont contracté des mariages avec des Amérindiennes. L’installation du fort est rendue possible par l’intercession de Louis Queringoin de Rousselan, nommé gouverneur de Sainte-Lucie, lequel est très apprécié des Caraïbes « à cause qu’il avoit épousé depuis long-temps une Sauvage, qui servit beaucoup à entretenir leur bonne intelligence & leur petit commerce13 ». Sous ses successeurs, les différentes tentatives d’étendre la colonisation agricole se soldent par des échecs répétés, en raison de l’hostilité des Caraïbes, qui perçoivent la mise en culture de la terre comme un empiètement et une volonté de s’installer durablement14. En dépit de ces périodes de tension, Du Parquet et ses successeurs ont maintenu le fort et sa garnison à Sainte-Lucie. Cette présence restreinte traduit une acceptation pragmatique de la limite du pouvoir de la Martinique sur Sainte-Lucie. Marqueur physique de la souveraineté française sur l’île, au même titre que les croix plantées sur la plage ou les armes du roi accrochées à de grands arbres à la lisière des forêts, le fort est aussi un point de contact avec la société caraïbe, faisant office de poste de traite, où les pirogues amérindiennes se rendent pour échanger tortues, armes et petits outils15. Son maintien permet surtout la sauvegarde des activités régulières des colons martiniquais sur Sainte-Lucie, qu’ils fréquentent depuis les années 1640 pour la chasse au cochon sauvage, la traite avec les Amérindiens, la pêche, et surtout la coupe du bois16.
11Si ces deux premières implantations sont mobilisées par la suite par les Couronnes de France et d’Angleterre pour défendre leurs droits respectifs (selon les principes du droit du premier découvreur ou du droit de l’occupant effectif), elles ne sont invoquées par les contemporains au xviie siècle que pour souligner les échecs des colonisateurs : non seulement la colonie anglaise, abandonnée en 1640, mais aussi la colonie française, où l’absence de colonisation agricole témoigne d’une appropriation du territoire imparfaite, selon une conception d’Ancien Régime de la propriété qui lie possession et droit d’usage de la terre17. Jusqu’à la fin des années 1650, Sainte-Lucie est présentée comme l’île des colonies manquées, demeurant certes dans l’aire d’influence de la Martinique, mais ne faisant l’objet d’aucune querelle entre les deux puissances.
La nouvelle frontière sucrière contre l’empire des coupeurs de bois
12Le début des années 1660 est marqué par un double mouvement de conquête de nouvelles prérogatives politiques et impériales par les couronnes de France et d’Angleterre. À la Restauration, Charles II déclare colonies royales l’ensemble des îles ayant appartenu au comte de Carlisle. En France, la nouvelle Compagnie des Indes occidentales, sous le contrôle étroit de Colbert, rachète les titres des seigneurs-propriétaires. Les nouvelles autorités impériales héritent de la géographie des droits et privilèges concédés dans la Caraïbe depuis le début du xviie siècle. Pour autant, Sainte-Lucie ne fait pas l’objet de nouveaux projets de colonisation de la part des monarchies ou de la Compagnie, qui promeuvent d’autres stratégies d’expansion impériale. Les débuts de la querelle dans les années 1660 sont d’abord caractérisés par un conflit ultramarin, lorsque, le 23 juin 1664, une colonie de 1 200 à 1 500 Anglais de la Barbade débarque à Sainte-Lucie, sous les ordres du colonel Christopher Carew, et expulse la petite garnison française de l’île qui se replie à la Martinique18.
13Ce conflit sur Sainte-Lucie entre la Barbade et la Martinique témoigne d’une nouvelle réalité de la géopolitique caribéenne, marquant la prééminence politique et économique des îles à sucre. Sous l’impulsion d’une nouvelle élite politique et sociale de grands planteurs sucriers, la Barbade a réalisé sa formidable transition sucrière à partir de la fin des années 1640, transformant profondément l’écosystème économique, politique, social et environnemental de l’île19. Au début des années 1660, les projets barbadiens de nouvelles colonies (le Surinam dès les années 1650, Sainte-Lucie, la Caroline) répondent à une forte demande dans l’île, à laquelle le nouveau gouverneur général Francis Willoughby entend bien répondre, tout en favorisant les projets de sa propre clientèle politique20. Aux yeux d’une partie de la nouvelle élite des planteurs, les îles voisines « inoccupées » apparaissent comme de nouveaux territoires propices à l’expansion de la canne, dans un contexte de très forte pression foncière à la Barbade, où l’accaparement des terres par les grands planteurs a favorisé l’appauvrissement d’une masse de petits propriétaires et d’anciens engagés sans terre. D’autre part, la recherche de nouvelles colonies est étroitement liée à la prise de conscience des conséquences environnementales de l’économie sucrière, aggravant l’appauvrissement des sols, la déforestation (quasiment achevée) de l’île et le manque de terres dévolues à la culture des vivres21. Soutenue financièrement et politiquement par Willoughby, l’expédition de 1664 répond à ce désir d’expansion, concevant Sainte-Lucie à la fois comme un satellite pourvoyeur de ressources pour la Barbade et une nouvelle frontière sucrière qui pourra soulager le corps social de sa colonie-mère, en offrant de nouvelles terres aux catégories sociales inférieures22.
14Ces projets barbadiens entrent toutefois directement en opposition avec les activités pratiquées par les colons martiniquais à Sainte-Lucie. Si les précédentes tentatives d’étendre la colonisation agricole ont échoué, la présence d’une population de coupeurs de bois, de pêcheurs et de chasseurs a fait de Sainte-Lucie un véritable arrière-pays de la Martinique au sein de l’archipel antillais. Population flottante essentiellement masculine, caractérisée par sa mobilité, les Français se rendant à Sainte-Lucie sont pour la plupart de profil modeste23. Leurs activités n’en restent pas moins défendues par les élites sociales et politiques de l’île, en particulier par la nouvelle élite de planteurs sucriers à la Martinique dont l’émergence, certes moins spectaculaire qu’à la Barbade, crée une nouvelle demande en bois dans l’île, indispensable au fonctionnement des sucreries dans la période de la coupe de la canne. Les coupeurs de bois de Sainte-Lucie, profession la mieux représentée, participent d’une économie martiniquaise diversifiée, s’insérant à la fois dans la construction navale ou de bâtiments, la plantation sucrière, ou plus tard les chantiers du roi. Certains grands planteurs envoient leurs propres équipages, la plupart du temps composés d’un commandeur blanc et d’une dizaine d’engagés ou d’esclaves, pour couper et charger le bois nécessaire, tandis que d’autres ont recours aux services d’indépendants, propriétaires de magasins de charpente à Saint-Pierre. La défense de ces activités locales, menacée par l’expédition barbadienne de 1664, est ainsi au cœur des protestations, adressées au gouverneur de la Barbade, du Conseil supérieur de la Martinique et du nouveau gouverneur général Alexandre Prouville de Tracy24.
15C’est dans ces moments fragiles, où un contentieux local peut se transformer en affaire diplomatique d’envergure internationale, que deviennent visibles les mécanismes de la décision politique, qui conduit un monarque à défendre ses droits sur un territoire ultramarin contesté… ou à ne pas le faire ! L’engagement royal dans la conquête ou la colonisation d’un territoire ultramarin est proportionnel à la valeur symbolique ou réelle que l’on accorde à ce territoire, permettant d’évaluer tout à la fois son utilité et la gloire que le monarque prétend en tirer. Mais défendre l’expansion à Sainte-Lucie constitue l’un des possibles parmi une large gamme de choix politiques à opérer en matière d’expansion impériale : les arbitrages des Couronnes sont commandés à la fois par la diplomatie européenne, par les informations dont elles disposent sur les territoires ultramarins, enfin par l’action de groupes aux intérêts contradictoires, en métropole ou dans la Caraïbe. Là résident le rôle primordial des « têtes de pont de l’empire25 » (gouverneurs, mais aussi grands planteurs, coupeurs de bois, etc.) et leur faculté à promouvoir l’expansion, sollicitant leurs couronnes respectives pour les inciter à défendre des prétentions contestées. Vu d’Angleterre, la Couronne, qui défend une politique de peuplement et de développement de la Jamaïque, n’aurait pas envisagé d’elle-même la colonisation de Sainte-Lucie. La monarchie reconnaît malgré tout l’entreprise de Willoughby en octroyant la propriété de l’île à un courtisan26. Le crédit de Willoughby, alliant réputation et puissance, est déterminant dans le soutien de la Couronne à l’établissement anglais. Gouverneur général des îles Caraïbes au nom du roi, propriétaire du Surinam, disposant de la faveur royale pour son engagement royaliste pendant la guerre civile, il peut financer d’ambitieuses expéditions coloniales et obtenir a posteriori le soutien de la Couronne malgré les risques de rupture avec la monarchie française27.
16À l’inverse, les protestations martiniquaises n’ont qu’un écho limité en France. Aux yeux des directeurs de la Compagnie des Indes occidentales, la Martinique et sa dépendance saint-lucienne sont tout simplement moins attractives que leurs autres possessions de la Caraïbe, comme Cayenne, refondée en mai 1664, ou Saint-Christophe, dont la production sucrière domine à cette période28. En 1665, les directeurs de la Compagnie sont bien plus préoccupés par le rachat de la partie française de Saint-Christophe à l’Ordre de Malte ou par l’aggravation des tensions entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, qui pourrait entraîner une déclaration de guerre à laquelle Louis XIV allait devoir prendre part contre Charles II, en vertu d’un traité d’alliance avec la Hollande : cherchant à empêcher l’extension du conflit à l’espace américain, les directeurs de la Compagnie pressent leurs agents aux îles de sonder les intentions de Willoughby au sujet d’un traité de neutralité, suspendant à cette négociation la controverse autour de Sainte-Lucie29. Ces impératifs diplomatiques placent au second plan les intérêts martiniquais à Sainte-Lucie, par ailleurs perçue comme une île malsaine et sauvage, au potentiel économique faible30. La Compagnie ne renonce pas pour autant à ses droits, qui peuvent servir à de plus larges desseins impériaux. Entretenant la fiction d’une souveraineté française sur l’île, les titres de propriété concédés par la Couronne fondent la valeur de Sainte-Lucie, qui peut faire l’objet d’un échange contre un territoire jugé plus conforme aux intérêts de la Compagnie et de la monarchie française. C’est ce que sous-entend, en juin 1665, le commandeur de Sales, gouverneur de la partie française de Saint-Christophe, écrivant à Colbert que les intérêts barbadiens à Sainte-Lucie « pourroi[en]t porter [les Anglais] à quelque eschange advantaieux au roy [de France] comme seroit ce qu’ils possèdent en celle issy [Saint-Christophe] en hy laissant les peuples dans leurs biens31 ».
17Au début des années 1660, si la Martinique perd sa bataille auprès des directeurs de la Compagnie pour la défense de Sainte-Lucie, elle peut néanmoins compter sur ses relations avec les Caraïbes pour rétablir l’ordre ancien. En effet, en dépit de la diplomatie amérindienne volontaire de Francis Willoughby32, la cohabitation entre la colonie anglaise et les Amérindiens caraïbes de Sainte-Lucie est très rapidement marquée par des tensions : l’arrivée massive de colons, l’extension de la colonisation agricole rognant sur le territoire autochtone, le recours possible à l’esclavage amérindien ou encore la perturbation par le nouvel établissement des circulations économiques, familiales ou rituelles entre les îles indiennes33 ont pu être autant de facteurs de dissensions. En quinze mois, les effets conjugués des épidémies, du manque de vivres et de l’hostilité amérindienne réduisent la colonie anglaise à 80 individus. Les derniers survivants désertent Sainte-Lucie en janvier 1666, après avoir négocié une reddition auprès des autorités de la Martinique34.
L’invention d’un territoire à l’intersection de deux empires
18Jusqu’à la fin du xviie siècle, Sainte-Lucie ne fait plus l’objet de nouveau projet européen de colonisation. La querelle franco-anglaise sur la propriété de l’île n’en reste pas moins vive. En août 1686, sur ordre d’Edwyn Stede, gouverneur de la Barbade, la frégate de guerre Mary Rose est envoyée à Sainte-Lucie, où le capitaine John Temple fait expulser les coupeurs de bois français qu’il rencontre. En même temps qu’elle manifeste la violence du contentieux, cette crise, qui se répète en 1699 et 1715, témoigne également d’une réinvention politique de la querelle de Sainte-Lucie. Suite à ce coup de main, un ambassadeur français est envoyé à la Barbade pour protester contre l’action du gouverneur : il obtient de ce dernier la garantie d’un rétablissement de la neutralité de l’île, où « les François et Anglois pou[rront] retourner […], comme ils avoient fait cy devant, jusques à ce qu’il pleut aux deux couronnes d’en ordonner comme elles le souhaitteroient35 ».
19Pour la première fois mentionné en 1686, le statut d’île neutre est invoqué pour traduire une réalité coutumière qui s’est instaurée depuis la fin des années 1660. À la manière des Français de la Martinique, les fréquentations régulières d’Anglais de la Barbade, venus à Sainte-Lucie « faire du bois, » sont attestées régulièrement dans les sources jusqu’à la fin du xviie siècle36. Sans doute moins importante que la présence française, ces traces n’en révèlent pas moins un usage commun de l’île, qui tranche profondément avec la politique d’expansion barbadienne menée au début des années 1660. Les premières mentions de ces fréquentations sont contemporaines de la cession du Surinam aux Provinces-Unies, décidée par Charles II au traité de Breda (1667)37. À la Barbade, la nouvelle du traité acte la perte de sa principale colonie-satellite, grande pourvoyeuse de bois de l’île. Si la Barbade continue à acheter du bois sur la côte des Guyanes ou en Nouvelle-Angleterre, la cession du Surinam a très probablement entraîné la réorientation d’une partie des réseaux barbadiens du bois vers les îles voisines comme Sainte-Lucie, qui constitue une source d’approvisionnement plus proche et moins chère38. Ces fréquentations sont reconnues lors du redécoupage du gouvernement de la Barbade en 1672, après la création d’un gouvernement autonome des Leeward Islands l’année précédente. À la demande du gouverneur William Willoughby, sont incorporées à la nouvelle juridiction du gouvernement de la Barbade les îles de Sainte-Lucie, Saint-Vincent et la Dominique, traduisant une reconnaissance de cette aire d’influence barbadienne39.
20Jusqu’à la fin du xviie siècle, les élites martiniquaises et barbadiennes défendent ces circulations locales, dans un équilibre fragile entre empire français et empire anglais, la Martinique et la Barbade, ces deux îles et les autres colonies françaises et anglaises de la Caraïbe, enfin entre Européens et Amérindiens. Du point de vue des grands planteurs, la dépendance des plantations aux ressources sylvicoles de Sainte-Lucie conditionne des géopolitiques locales différenciées dans l’espace caraïbe, opposant parfois les intérêts de colonies appartenant à un même ensemble impérial. Dans les îles anglaises, les multiples raids caraïbes contre les Leeward Islands dans les années 1670 et 1680 n’entraînent aucune réaction de la Barbade, malgré les sollicitations du gouverneur général de ces îles, William Stapleton, qui réclame à plusieurs reprises un soutien militaire et naval de son homologue barbadien. Les expéditions punitives de Stapleton, selon le gouverneur Atkins, « mettront fin à une sorte d’accord qui protège les peuples de cette île, quand ils vont [dans les îles indiennes] chercher du bois ou d’autres commodités pour cet endroit40 ». Le traitement de ces circulations par les gouverneurs de la Martinique et de la Barbade est étroitement lié à l’appréciation des intérêts de l’élite sociale des deux colonies. Lors du coup de main anglais d’août 1686, le comte de Blénac, gouverneur général des îles françaises, tarde à envoyer ses protestations à la Barbade et refuse d’y voir un acte officiel, assimilant ces pillages à des actes de piraterie relevant de la justice : « Tout autant que j’ay servy à la mer, écrit plus tard cet officier de la Marine royale, j’ay connu les vaisseaux du roy d’Angleterre de grands pillars, et depuis que je suis dans les Isles, les maistres de barques de grands menteurs41. » Désignant les coupeurs de bois se rendant à Sainte-Lucie à bord de modestes embarcations, ce jugement social traduit aussi la distinction réalisée entre les intérêts économiques dispensables des modestes coupeurs de bois indépendants et ceux des grands planteurs, considérés comme les intérêts stratégiques réels de la colonie. En revanche, lorsque la nouvelle du pillage d’une barque employée par le puissant planteur Jean Roy, officier du Conseil supérieur de la Martinique, atteint l’île en octobre, les protestations immédiates de Blénac et l’envoi d’un ambassadeur à la Barbade pour obtenir des réparations, donnent à l’affaire une dimension diplomatique et internationale42.
21Sans constituer un modus vivendi colonial, la « neutralité et possession en commun43 » de Sainte-Lucie, invoquée en 1686 par les autorités martiniquaises et reconnue à demi-mot par le gouverneur de la Barbade, redéfinit les termes de la querelle, qui est aussi caractérisée par un engagement beaucoup plus marqué des monarchies à partir des années 1680. C’est Jacques II qui donne lui-même l’ordre de faire expulser les Français de Sainte-Lucie en mars 168644. L’année suivante, Louis XIV ordonne au comte de Blénac et à l’intendant Dumaitz de Goimpy d’envoyer un navire de guerre à Sainte-Lucie « pour en chasser les vaisseaux anglois45 ». Ces interventions monarchiques, qui se répètent en 1699, témoignent des nouveaux consensus impériaux autour de Sainte-Lucie dans le dernier quart du xviie siècle, où les objectifs des autorités impériales en matière d’expansion dans la Caraïbe épousent désormais les velléités martiniquaises ou barbadiennes. Comme dans les années 1660, les grands planteurs français ou anglais condamnent les incursions étrangères à Sainte-Lucie qui sont perçues comme la remise en cause d’un ordre social coutumier fondé sur la pratique des métiers du bois. Mais les plaintes des élites martiniquaises et barbadiennes, par le truchement des administrateurs coloniaux ou de leurs agents en métropole, sont aussi destinées à leurs monarchies respectives, afin de s’assurer que le pouvoir royal ne renonce pas à ses titres46. En Angleterre, l’ordre de Jacques II de mars 1686, dans un contexte d’alliance étroite avec Louis XIV, tend à remettre en cause les interprétations du traité de neutralité américaine, négocié à la même période à Londres pour régler les contentieux coloniaux entre les deux puissances. Si le traité manifeste bien le souci de Jacques II que des tensions coloniales, notamment en Amérique du Nord, ne viennent ternir l’union avec la France, l’intervention à Sainte-Lucie, qui compromet la signature du traité, montre que le roi d’Angleterre n’était pas prêt à toutes les compromissions impériales, en particulier sur le terrain caribéen47.
22Dans l’empire français, le choix de Louis XIV de soutenir ses prétentions sur Sainte-Lucie témoigne d’une inflexion de la stratégie impériale française dans la Caraïbe, arrivée en 1686 à une sorte de carrefour. Envoyé à Londres en décembre 1685, Usson de Bonrepaus, artisan du traité de neutralité américaine, a aussi reçu pour instruction, en parallèle de sa mission, d’amener la monarchie anglaise, par échange ou par rachat, à renoncer à ses droits sur la partie anglaise de Saint-Christophe48. Cet objectif de la politique louisquatorzienne témoigne de la prééminence, tant politique qu’économique, de Saint-Christophe dans l’esprit des artisans de la politique impériale de la France depuis Colbert. Première des îles françaises de l’Amérique, Saint-Christophe a concentré les initiatives militaires et diplomatiques de la monarchie dans les années 1660 : la conquête de la partie anglaise de l’île en 1666 a fait l’objet d’une importante propagande royale, tandis que la rétrocession de l’établissement à l’Angleterre est retardée jusqu’en 1671 par des négociations diplomatiques parallèles, pour amener Charles II à céder ses droits sur l’île49. Malgré le refus de Charles II de renoncer à Saint-Christophe, la monarchie française va poursuivre le projet d’annexer la partie anglaise de l’île et de s’étendre vers le nord-ouest de l’archipel antillais, comme en témoigne les ordres de Louis XIV à Blénac lors de la campagne de 1678 ou l’ambassade d’Usson de Bonrepaus en 168650. Mais une autre option de la politique coloniale française est désormais envisagée au détriment de la défense d’une stratégie saint-christophienne. Dès 1669, l’échec des négociations pour la cession de la partie anglaise de Saint-Christophe conditionne le choix de Louis XIV et de Colbert de placer le siège du nouveau gouvernement général des îles françaises à la Martinique, moins exposée à la proximité des nations étrangères. À cette date, la monarchie commence à regarder l’établissement des îles indiennes comme souhaitable51. Au cours des années 1670, la prépondérance politique et économique de la Martinique s’affirme au détriment des autres îles françaises, dont les économies souffrent de la guerre de Hollande (1672-1678) et de la montée en puissance du port de Saint-Pierre52. Cette nouvelle donnée de la géopolitique antillaise donne une importance inédite à Sainte-Lucie, qui est désormais perçue, sous la plume du comte de Blénac en 1686, comme une base navale stratégique, qu’il faut à tout prix acquérir pour la protection de la Martinique53 : en mai 1687, Usson de Bonrepaus est renvoyé à Londres avec pour mission de défendre les droits de la France sur Sainte-Lucie, « rien n’étant plus important pour la Martinique54 ».
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23À Utrecht, les coupeurs de bois de Sainte-Lucie ont gagné. Le traité de 1713 a mis fin à une incertitude de la politique impériale de la France dans la Caraïbe. La cession de Saint-Christophe, après les guerres de la deuxième moitié du règne de Louis XIV, entérinait aussi l’abandon d’une option politique, défendue par la monarchie depuis la création de la Compagnie des Indes occidentales. Soutenir Sainte-Lucie contre Saint-Christophe, ce n’était pas seulement abandonner la colonie-mère des autres établissements français ; il s’agissait aussi de défendre la plantation sucrière de la Martinique, alors la colonie la plus rentable des îles françaises, et ses ramifications économiques régionales au sein de l’archipel antillais. Les guerres de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) et de la Succession d’Espagne (1702-1713/1714), où Saint-Christophe fut le théâtre de multiples invasions, renforcèrent la décision de céder à l’Angleterre la première des îles françaises et de défendre désormais une stratégie d’expansion impériale à Sainte-Lucie, préconisée de longue date à la Martinique.
24Ce sont aussi ces deux guerres qui ont favorisé la construction des représentations de Sainte-Lucie dans l’imaginaire géo-stratégique des empires français et anglais au xviiie siècle. Dès la guerre de la Ligue d’Augsbourg, Sainte-Lucie devient un enjeu considérable de la guerre de course entre les îles françaises et anglaises. L’île sert de base aux corsaires français « en croisière » dans le canal entre Saint-Vincent et Sainte-Lucie. En 1693, l’intendant Dumaitz présente un véritable projet de blocus de la Barbade, où les frégates de guerre françaises s’appuieraient sur Sainte-Lucie et Tobago pour empêcher le ravitaillement de la colonie anglaise55. Après la paix de Ryswick, l’équilibre local autour de la pratique des métiers du bois est rétabli, malgré la crise de 1699, où le gouverneur de la Barbade écrit à son homologue martiniquais qu’il a ordre de son roi d’expulser les coupeurs de bois français, ou celle de 1715. Au tournant du siècle, le père Jean-Baptiste Labat, de retour de la Barbade, rend compte de son séjour à Sainte-Lucie : point de Caraïbes dans sa description, lesquels semblent avoir quitté l’île, mais Labat visite les ateliers des coupeurs de bois français et mentionne la présence de soldats et de matelots déserteurs, qui ont fui la Martinique pendant la guerre56. À la même période, l’intendant Robert désigne pour la première fois Sainte-Lucie comme l’un des centres de la contrebande entre la Martinique et la Barbade pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg et depuis la paix57. C’est à la fois cette nouvelle réalité des guerres impériales de la fin du xviie siècle et le maintien d’un ordre social coutumier fondé sur la pratique des métiers du bois qui ont transformé la nature de cette île de l’entre-deux.
Notes de bas de page
1Cité dans Bély Lucien, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard, 1990, p. 589. Sur les enjeux impériaux de la paix d’Utrecht : Miquelon Dale, « Envisioning the French Empire : Utrecht, 1711-1713 », French Historical Studies, vol. 24, no 4, 2001, p. 653-677.
2Schnakenbourg Éric, « Le contentieux franco-anglais des îles neutres antillaises dans la première moitié du xviiie siècle », Outre-mers. Revue d’histoire, vol. 101, no 380-381, 2013, p. 206-231.
3Pares Richard, War and Trade in the West Indies, 1739-1763, Oxford, Clarendon Press, 1936, p. 195-216 ; Dull Jonathan R., The French Navy and the Seven Year’s War, Lincoln/Londres, University of Nebraska Press, 2005 ; Ternat François, Partager le monde. Rivalités impériales franco-anglaise, 1748-1756, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2015 ; Schnakenbourg Éric, art. cité.
4En 1748, l’instruction délivrée au comte de Saint-Séverin, plénipotentiaire français au congrès d’Aix-la-Chapelle, mentionne Sainte-Lucie comme une île « en quelque sorte neutre », traduisant toute l’incertitude entourant son statut : instruction au comte de Saint-Séverin d’Aragon, Versailles, 29 février 1748, dans Recueil des instructions données aux Ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française, vol. 28, Hollande, t. 3, 1730-1788, Léon André et Émile Bourgeois (éd.), Paris, E. de Boccard, 1924, p. 131.
5Le texte du traité est reproduit dans Du Tertre Jean-Baptiste, Histoire générale des Antilles habitées par les François, Paris, chez Thomas Jolly, 1667-1671, t. 1, p. 577-578.
6Calendar of State Papers. Colonial : America and West Indies, vol. 1 : 1574-1660, W. Noel Sainsbury (éd.), Londres, Stationery office, 1860, p. 85, Lettre patente à James, comte de Carlisle, 2 juillet (AS) 1627.
7Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 46-50.
8L’opposition au gouvernement des créanciers de Carlisle est en particulier liée aux mesures restrictives sur la plantation et le commerce du tabac, imposées dans le but de rétablir la valeur de la denrée : Bennet John H., « The English Caribbees in the Period of the Civil War, 1642-1646 », The William and Mary Quarterly, vol. 24, no 3, 1967, p. 359-377.
9Gragg Larry D., Englishmen Transplanted. The English Colonization of Barbados, 1627-1660, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 147 ; Kupperman Karen O., Providence Island, 1630-1641. The Other Puritan Colony, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 161.
10Dans la même optique, les créanciers de Carlisle obtiennent en 1639 une déclaration du roi interdisant « les tentatives de divertir les habitants hors de ces îles », Calendar of State Papers. Colonial : America and West Indies, vol. 1 : 1574-1660, p. 291, Charles Ier aux gouverneurs, conseils, planteurs et habitants des îles Caraïbes, ou province de Carlisle, Westminster, 16 mars (AS) 1639.
11Sur l’établissement de la garnison : Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 435. Sur les négociations et la vente de la Martinique, Sainte-Lucie, Grenade et Grenadines à Du Parquet : Petitjean-Roget Jacques, La société d’habitation à la Martinique. Un demi-siècle de formation, 1635-1685, Lille, Atelier de reproduction des thèses, Librairie Honoré Champion, 1980, t. 2, p. 872-873. Sur la Compagnie des îles d’Amérique : Roulet Éric, La compagnie des îles de l’Amérique 1635-1651. Une entreprise coloniale au xviie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.
12Jarvis Michael J., In the Eye of all Trade. Bermuda, Bermudians and the Maritime Atlantic World, 1680-1783, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2010, p. 44-47, 50-57.
13Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 435.
14En janvier 1654, le sieur La Rivière, successeur de Rousselan, est assassiné et sa famille enlevée par un groupe de Caraïbes, pour avoir implanté une habitation « en un tres-bel endroit éloigné du Fort » : Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 436.
15Sur la traite entre Français et Caraïbes : Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 436. Pour une analyse similaire du rôle du fort dans l’organisation territoriale de l’empire français en Nouvelle-France : Havard Gilles, Empire et métissage. Indiens et Français dans le Pays d’en Haut, 1660-1715, Sillery/Paris, Septentrion/Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2003, p. 294-303.
16Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 321 et t. 4, p. 176 ; I. C. S. D. V., Relation de ce qvi s’est passe dans les Isles & Terre Ferme de l’Amerique, pendant la derniere Guerre avec l’Angleterre, & depuis en execution du Traitté de Breda, Paris, chez Gervais Clovzier, 1671, t. 1, « Description sommaire des establissemens des Isles Antilles, & de leur grandeur & position », n. p. ; Breton Raymond, Relations de l’île de la Guadeloupe, Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1978, t. 1, p. 123.
17Sur la colonie anglaise : Memoirs of Prince Rupert, and the Cavaliers, Including their Private Correspondence, Eliot Warburton (éd.), Londres, Richard Bentley, 1849, t. 3, p. 371 ; The Narrative of General Venables, with an appendix of papers relating to the expedition to the West Indies and the conquest of Jamaica, 1654-1655, C. H. Firth (éd.), Londres/New York/Bombay, Longmans, Green, and Co., 1900, p. 147. À propos de la colonie de Du Parquet, Du Tertre parle de la Grenade et de Sainte-Lucie comme « les deux sangsuës qui ont épuisé le plus clair de son [Du Parquet] bien » : Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 1, p. 433.
18Ibid., t. 3, p. 86-87.
19Sur le débat autour de la notion de révolution/transition sucrière : McCusker John J. et Menard Russel R., « The Sugar Industry in the Seventeenth Century. A New Perspective on the Barbadian “Sugar Revolution” », in Stuart B. Schwartz (dir.), Tropical Babylons. Sugar and the Making of the Atlantic World, 1450-1680, Chapell Hill/Londres, University of North Carolina Press, 2011. À partir des travaux de Richard Dunn, l’histoire sociale a remis l’accent sur les choix des acteurs (et non plus sur le sucre), insistant sur le rôle de la « nouvelle classe de planteurs » dans le développement de la société de plantation esclavagiste : Dunn Richard S., Sugar and Slaves. The Rise of the Planter Class in the English West Indies, 1624-1713, Chapell Hill/Londres, University of North Carolina Press, 2000 [1972].
20L’expédition de 1664 est à l’origine un projet d’une Compagnie de planteurs barbadiens, menés par le quaker Lewis Morris. À son arrivée à la Barbade en juillet 1663, Willoughby soutient l’entreprise de la Compagnie, au détriment par exemple de la Compagnie des Aventuriers de la Barbade et de son projet d’établissement en Caroline. L’ascension politique des membres de la Compagnie de Sainte-Lucie témoigne de leur inscription dans les réseaux politiques de la famille Willoughby. Sur la compagnie de Lewis Morris : Jesse C., « Barbadians Buy St. Lucia from the Caribs. The Sale of St. Lucia by Indian Warner and Other Caribs to the Barbadians in A. D. 1663 », Journal of Barbados Museum and Historical Society, vol. 22, no 4, 1968, p. 180-186. Sur les autres colonies de la Barbade : Roberts Justin et Beamish Ian, « Venturing Out. The Barbadian Diaspora and the Carolina Colony, 1650-1685 », in Michelle LeMaster et Brad J. Wood (dir.), Creating and Contesting Carolina. Propriety Era Histories, Columbia, University of South Carolina Press, 2013, p. 49-72 ; Roberts J., « Surrendering Surinam. The Barbadian Diaspora and the Expansion of the English Sugar Frontier, 1650-75 », The William and Mary Quarterly, vol. 73, no 2, 2016, p. 225-256.
21Watts David, The West Indies. Patterns of Development, Culture, and Environmental Change since 1492, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 382-447 ; Gragg L. D., op. cit., p. 19, 79.
22The National Archives, Colonial Office, 1/17, no 89, Willoughby à Charles II, Barbade, 4 novembre (AS) 1663.
23Leur nombre est difficile à établir. En 1686, le comte de Blénac écrit avoir distribué cent autorisations d’aller à Sainte-Lucie, mais c’est sans compter les équipages d’employés et d’esclaves qui accompagnent les détenteurs de passeports. De plus, leur nombre a peut-être sensiblement augmenté dans les années 1680 en raison des travaux de fortification entrepris au Fort Royal de la Martinique : ANOM, C8A 4, fo 147, Blénac à Dumaitz, Fort Royal de la Martinique, 5 décembre 1686.
24Tracy à Willoughby, Guadeloupe, [28 septembre 1664], dans Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 3, p. 90. Pour le récit des délibérations au Conseil supérieur de la Martinique : Dessalles Pierre-François-Régis, Les Annales du conseil souverain de la Martinique, Bernard Vonglis (éd.), Paris, L’Harmattan, 1995, t. 1, p. 44-45.
25L’expression est de Darwin John, « Imperialism and the Victorians : The Dynamics of Territorial Expansion », The English Historical Review, vol. 112, no 447, 1997, p. 614-642.
26The National Archives, Colonial Office, 1/17, no 96, Brevet du roi au procureur général pour préparer une concession à Edmund Waller junior, Whitehall, novembre 1663.
27Sur Willoughby : Barber Sarah, « Power in the English Caribbean. The Proprietorship of Lord Willoughby of Parham », in Lou H. Roper et Bertrand Van Ruymbeke (dir.), Constructing early modern empires. Proprietary ventures in the Atlantic world, 1500-1750, Leiden, Brill, 2007, p. 189-212. Le jeu du crédit est déterminant dans le soutien monarchique à une nouvelle entreprise coloniale. En 1670, Nicholas Blake, planteur « moyen » de la Barbade, propose à nouveau un projet bien renseigné d’établissement à Sainte-Lucie, fournissant des descriptions détaillées de l’île, des cartes et des estimations précises de la rentabilité de la future colonie. Manifestant une profonde expertise locale, cet entrepreneur colonial ne trouve toutefois jamais l’appui recherché de la monarchie, ne disposant pas des appuis politiques nécessaires en Angleterre : The National Archives, Colonial Office, 1/25, no 77, Nicholas Blake à Charles II, plantation Bilbao, Barbade, 20 octobre (AS) 1670 ; 1/26, no 4, Nicolas Blake à Charles II, plantation Bilbao, Barbade, 5 janvier (AS) 1671.
28Boucher Philip P., France and the American tropics to 1700. Tropics of discontent ?, Baltimore, John Hopkins University Press, 2008, p. 230-232.
29Du Tertre Jean-Baptiste, op. cit., t. 3, p. 282. Sur les initiatives diplomatiques de la France pour empêcher la guerre entre l’Angleterre et les Provinces-Unies : Levillain Charles-Édouard, Vaincre Louis XIV. Angleterre, Hollande, France : histoire d’une relation triangulaire, 1665-1688, Seyssel, Champ Vallon, 2010, p. 88-93.
30En 1665, l’agent général de la Compagnie des Indes occidentales, Anne de Chambré, déclare par exemple que Sainte-Lucie est « malsayne et plaine de serpents, de scorpions et d’araignées dont les morceures sont mortelles » et que la Compagnie ferait mieux de concentrer ses investissements sur les îles de la Martinique et de la Guadeloupe, « qui ne le sont pas [peuplées] à la dixiesme partie » : ANOM, C8B 1, no 17, Chambré à Clodoré, Guadeloupe, 11 août 1665.
31ANOM, C10C 1, de Sales à Colbert, Saint-Christophe, 25 juin 1665.
32Sur la diplomatie amérindienne de Willoughby : Boucher Philip P., Cannibal Encounters. Europeans and Island Caribs, 1492-1763, Baltimore, John Hopkins University Press, 1992, p. 66-69.
33Moreau Jean-Pierre, « Les Caraïbes insulaires et la mer aux xvie et xviie siècles d’après les sources ethnohistoriques », Journal de la Société des Américanistes, vol. 77, no 1, 1991, p. 63-75.
34ANOM, C10C 1, Acte par lequel les Anglais qui avaient usurpé sur les Français l’île de Sainte-Lucie la restituent entre les mains de Messieurs de Clodoré et de Chambré, 20 octobre 1665.
35ANOM, C8A 4, fo 186, Déclaration de Jean Roy sur le voyage qu’il a fait à la Barbade sur ordre du comte de Blénac, 23 novembre 1686. Voir également fo 151, Compte rendu de l’assemblée sur l’affaire de Sainte-Lucie, Fort Saint-Pierre de la Martinique, 21 décembre 1686 ; fo 251, Extraits des lettres de Blénac et Dumaitz, entre le 15 août 1686 et le 6 mai 1687.
36En 1670, Nicholas Blake mentionne la pratique régulière des gens de mer, qui mettent à profit les longues escales dans la Caraïbe pour charger du bois à Sainte-Lucie et le revendre à la Barbade, le temps que les navires soient chargés avant le départ vers l’Europe : The National Archives, Colonial Office, 1/25, no 77, Nicholas Blake au roi, plantation Bilbao, Barbade, 20 octobre (AS) 1670. Voir également : 1/48, no 1, Richard Dutton aux Lords of Trade and Plantations, Barbade, 3 janvier (AS) 1682 ; 28/3, no 36, Mémoire des agents de la Barbade au Conseil du commerce et des plantations, 10 juillet (AS) 1697.
37La cession du Surinam constitue, selon Roberts, « a significant and meaningful act of post-Restoration state intervention in colonial expansion », marquant résolument le soutien de la monarchie au développement de la Jamaïque : Roberts Justin, art. cité, p. 227.
38Sur le commerce entre la Barbade et le Surinam néerlandais : Fatah-Black Karwan, White Lies and Black Markets. Evading Metropolitan Authority in Colonial Suriname, 1650-1800, Leyde, Brill, 2015, p. 42-51.
39The National Archives, Colonial Office, 1/28, no 58, Ordre du Conseil des Plantations, 17 mai (AS) 1672 ; SP 38, Commission à William Willoughby de Parham, [29] juin (AS) 1672.
40« It hath taken away a kind of outworke wch secured the People of this Island, when they went for wood or other necessarys for this place », The National Archives, Colonial Office, 1/37, no 56, Jonathan Atkins aux Lords of Trade, Barbade, 25 septembre (AS) 1676. Voir également Handler Jerome S., « The Amerindian Slave Population of Barbados in the Seventeenth and Early Eighteenth Centuries », Caribbean Studies, vol. 8, no 4, 1969, p. 38-64.
41ANOM, C8A 4, fo 146, Blénac à Dumaitz, Fort Royal de la Martinique, 5 décembre 1686.
42The National Archives, Colonial Office, 1/61, no 3 iii, Extrait du registre du conseil souverain de la Martinique, 13 octobre 1686 ; no 3 iv, Blénac à Stede, 24 octobre 1686 ; ANOM, C8A 4, fo 175, Dumaitz à Blénac, 27 octobre 1686 ; fo 187, Mémoire de Jean Roy au gouverneur de la Barbade, Barbade, 4 novembre 1686.
43L’expression est employée par le gouverneur Blénac et l’intendant Dumaitz de Goimpy en 1686 : ANOM, C8A 4, fo 251, Extraits des lettres de Blénac et Dumaitz, entre le 15 août 1686 et le 6 mai 1687.
44The National Archives, Colonial Office, 29/3, p. 363, Jacques II à Edwyn Stede, Whitehall, 19 mars (AS) 1686.
45ANOM, B13, fo 59, Mémoire de Louis XIV à Blénac et Dumaitz, 25 août 1687. Arrivée aux îles en mars 1688, la flotte du marquis d’Amblimont est finalement destinée à Tobago, où des rumeurs font état des intentions néerlandaises de coloniser l’île.
46Par exemple : The National Archives, Colonial Office, 28/3, no 36, Mémoire des agents de la Barbade au Conseil du Commerce et des Plantations, 10 juillet (AS) 1697 ; ANOM, C10C 1, Mémoire concernant l’île de Sainte-Lucie, 1698.
47Sur le traité de neutralité comme manifestation de l’alliance entre Louis XIV et Jacques II : Saunders Webb Stephen, Lord Churchill’s Coup. The Anglo-American Empire and the Glorious Revolution Reconsidered, New York, Alfred A. Knopf, 1995, p. 114-123 ; Pincus Steven, 1688 : The First Modern Revolution, New Haven/Londres, Yale University Press, 2009, p. 320-321. Pour un récit des négociations : Durand René, « Louis XIV et Jacques II à la veille de la Révolution de 1688. Les trois missions de Bonrepaus en Angleterre (1686-1687-1688) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 10, no 1-3, 1908, p. 28-44, 111-126, 192-294.
48Instruction à Bonrepaus, 20 décembre 1685, dans Recueil des instructions données aux Ambassadeurs et ministres de France depuis les traités de Westphalie jusqu’à la Révolution française, vol. 25, Angleterre, t. 2, 1666-1690, J. J. Jusserand (éd.), Paris, E. de Boccard, 1929, p. 326-336.
49Voir mon article « Sortir de la guerre dans la Caraïbe coloniale : l’application du traité de Breda à Saint-Christophe (1667-1678) », Revue d’histoire diplomatique, 2015, no 3, p. 197-224.
50ANOM, B7, fo 143-145, Louis XIV à Blénac, Saint-Germain-en-Laye, 27 décembre 1677.
51ANOM, C10C 1, Louis XIV à Baas, 27 juin 1670.
52Boucher Philip, France and the American tropics, op. cit., p. 233 ; Schnakenbourg Christian, « Notes sur les origines de l’industrie sucrière en Guadeloupe au xviie siècle (1640-1670) », Revue française d’histoire d’outre-mer, vol. 55, no 200, 1968, p. 267-315.
53ANOM, C8A 4, fo 251, Extraits des lettres de Blénac et Dumaitz, entre le 15 août 1686 et le 6 mai 1687.
54Cité dans Durand René, art. cité, p. 112.
55ANOM, C8A 7, fo 304, Dumaitz de Goimpy à Pontchartrain, Martinique, 27 février 1693. La même préoccupation militaire sur les bonnes rades de Sainte-Lucie, pouvant abriter des flottes ennemies, est exprimée à la Barbade quelques années plus tard : The National Archives, Colonial Office, 28/3, no 36, Mémoire des agents de la Barbade au Conseil du commerce et des plantations, 10 juillet (AS) 1697.
56Labat Jean-Baptiste, Nouveau voyage aux isles de l’Amérique, Paris, chez Théodore Le Gras, 1722, t. 4, p. 450-463.
57ANOM, C8B 2, no 26, Mémoire de l’état du gouvernement des îles françaises de l’Amérique, 1695 ; C8A 14, fo 130, Robert à Pontchartrain, Martinique, 30 juin 1702.
Auteur
-
David Chaunu
Agrégé d’histoire, doctorant en histoire moderne à Sorbonne université au Centre Roland Mousnier (CRM-UMR 8596) et au département de la recherche et de l’enseignement du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Sa thèse, préparée sous la direction de Lucien Bély, porte sur Empires en archipel. Les relations interimpériales dans la mer Caraïbe : perspectives anglaise, espagnole et française (1655-1713).

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