Les Espagnols dans les Caraïbes au xviie siècle
Spaniards in the Caribbean in the 17th century
p. 23-50
Résumés
Le xviie siècle est connu comme le siècle noir de l’Espagne à l’époque moderne, mais les pertes territoriales n’ont pas concerné les Indes de Castille. La Carrera de Indias, qui demeure un monopole sévillan, souffre des attaques des pirates et corsaires et des escadres ennemies. La monarchie y répond par un énorme programme de fortifications des principaux ports caribéens dont les défaillances sont restées marginales. Après l’apogée du début de siècle, la contraction du trafic est forte entre 1640 et 1680. La monarchie en a plus souffert que ses sujets, tant la fraude s’est insérée dans le système. Le commerce des esclaves africains a renforcé l’insertion dans le système atlantique. Dans le régime des asientos, la domination portugaise jusqu’en 1640 a été suivie par celle des Hollandais, avant de déboucher sur une intense compétition des puissances négrières. L’essor d’un commerce intra-américain, principalement transimpérial, mais de plus en plus pénétré par les circuits étrangers, le plus souvent de manière illégale, a compensé l’affaissement de la Carrera. Les Caraïbes, dominées par la présence espagnole, se sont muées en concentré de mondialisation.
The seventeenth century is known as the dark century for Spain in the Early Modern Era, but its territorial losses did not concern the Castilian Indies. The Carrera de Indias, which remained a Sevilian monopoly, suffered from attacks by pirates, privateers and enemy fleets. The monarchy answered with an enormous programme of fortification of the main Caribbean ports, whose weaknesses remained marginal. After the high point at the beginning of century, trade fell sharply between 1640 and 1680. The monarchy suffered more than its subjects did, as smuggling was introduced into the system. The African slave trade strengthened Spain’s insertion in the Atlantic system. Into the regime of asientos, the Portuguese dominated until 1640 and were then followed by the Dutch, before an intense competition among the slave powers. The rise of intra-American trade, principally trans-imperial but increasingly penetrated by foreign trading, usually illegal, compensated for the collapse of the Carrera. The Caribbean, dominated by Spain, transformed into a focal point for world trade.
Texte intégral
1Pour la monarchie espagnole de l’époque moderne, le xviie siècle est réputé être son siècle noir1 entre l’enchaînement de la fin de la Reconquête dans la péninsule Ibérique et la Conquête des grands empires amérindiens, suivie de l’exploitation maximale de leurs richesses matérielles et humaines au xvie siècle, et la politique réformatrice de rétablissement militaire et économique menée par la nouvelle dynastie des Bourbons au xviiie siècle. En resserrant la focale, des contrastes apparaissent entre les quatre premières décennies du siècle où se prolonge la dynamique antérieure malgré l’accumulation des adversités et l’effondrement militaro-économique des quarante années suivantes, mal compensé pour la fin du siècle par une amorce de redressement économique, recouvert par la grande crise intérieure et extérieure de la guerre de Succession, sanctionnée par les traités de 1713-1714. Dans le bilan final, la plus grande consolation fut assurément pour le nouveau royaume d’Espagne la conservation de ses Indes de Castille2.
2Suite à sa prétention au monopole colonial par droit de découverte et conquête, étendue à l’ensemble du monde dans l’union des Couronnes hispanique et portugaise de 1581 à 1640, l’Espagne dut affronter les contestations des autres puissances maritimes de l’Europe du Nord-Ouest. L’espace caraïbe en fut un théâtre privilégié en tant que porte d’entrée et de sortie de l’ensemble hispano-américain pour l’économie-monde atlantique3. En prolongement des pirateries et courses françaises et anglaises du xvie siècle, la longue guerre d’Indépendance des Provinces-Unies (1581-1648), la guerre de Sécession portugaise (1640-1668) aggravée par la protection anglaise, la pression irrégulière, mais croissante de l’Angleterre et le grand affrontement avec la France (1635-1697) formèrent les défis majeurs dont l’addition fut fatale à cette monarchie composite agrégative4.
3Malgré tout, l’empire américain résista, au moins dans sa dimension territoriale, demeurant de loin la première extension ultramarine mondiale. Une émigration espagnole relativement importante et la déportation croissante d’esclaves noirs compensant l’effondrement démographique amérindien se sont entremêlées pour produire une société en même temps totalement nouvelle et reflet de la domination castillane. Au sein de l’exclusif mercantiliste assignant aux Indes de Castille le rôle de fourniture de pierres et métaux précieux, de perles et de produits agricoles tropicaux, un marché de consommation d’une Amérique espagnole n’a pas cessé de se développer. Les convoitises des concurrents, aiguisées par l’incapacité croissante de l’économie péninsulaire à y répondre, a entraîné le gonflement d’un commerce illégal, par fraude ou contrebande, parallèlement au commerce réglé. La mer des Caraïbes en est vite devenue l’épicentre5.
4Afin de mieux saisir comment, dans cette « Méditerranée américaine6 » qui se convertit en concentré de mondialisation, la monarchie espagnole résiste tout en étant obligée de composer, cette étude a été organisée autour de trois axes d’analyse. Le premier examine l’évolution de la structuration de l’espace caraïbe dans l’organisation de la Carrera de Indias, liaison maritime et commerciale gérée en mode monopolistique par le couple Séville-Cadix, véritable colonne vertébrale d’une monarchie agrégative impériale malgré une déperdition croissante, plus en défaveur de l’État que de ses sujets. Le second souligne combien le commerce des esclaves a précipité l’espace caraïbe dans un système atlantique et une mondialisation. Le dernier s’attache à son importance dans la montée du commerce intra-américain, élément majeur dans le développement et les capacités de résistance des Indes de Castille dans un siècle de revers pour la monarchie des Habsbourg.
Apogée et entrée en crise du système de la Carrera de Indias
5Dans leur valorisation de l’espace maritime caribéen, les Espagnols ont dû composer avec les avantages et les contraintes de la géographie physique. Entre les rivages des parties nord et sud du continent américain reliées par sa partie centrale finissant par l’isthme de Panama, l’archipel des Grandes Antilles y tient une place majeure comme verrou du golfe du Mexique fermé par les deux presqu’îles de Floride et du Yucatan et comme plate-forme de distribution dans l’axe d’arrivée des flottes. Les Petites Antilles, appréciées comme escales de rafraîchissement après la rude traversée atlantique, n’ont qu’un rang secondaire. L’obligation de concentration des moyens en a fait des proies désignées pour l’installation des concurrents européens. Un circuit interlope a pu s’établir sur les côtes de Terre Ferme, le long du Venezuela et de la Nouvelle Grenade. Des Petites Antilles à l’isthme de Panama, sur plus de 2 200 kilomètres, les courants et vents alizés nord porteurs facilitaient l’entrée, mais le Mexique restait à 3 000 kilomètres. Hispaniola était l’île la plus centrale, à 1 200 kilomètres des Petites Antilles. Cuba a fondé sa suprématie en partie sur sa plus grande taille7, mais principalement sur son rôle de verrou et d’escale la mieux située pour récupérer les courants de Floride menant vers la dérive nord-atlantique mise à profit pour le voyage retour en bénéficiant des grands vents d’ouest8. À partir de l’isthme, il était plus facile d’y accéder en récupérant le courant méridien plus à l’est, ce qui imposa Carthagène des Indes.
Figure 1. Carte des circulations principales dans la mer Caraïbe.

Source : Le Bouëdec Gérard, Activités maritimes et sociétés littorales de l’Europe atlantique, Paris, A. Colin, 1997, p. 32.
6Le xviie siècle ne modifie pas l’organisation mercantiliste de la Carrera de Indias fixée dès le début du xvie siècle en laissant le monopole du transport maritime et de l’organisation commerciale à la Casa de Contractación et au consulat de Séville, la seule évolution venant de la montée progressive de Cadix comme principal port de départ et de retour au cours du demi-siècle qui s’achève avec les années 16709. Dans les Caraïbes, la géographie de la disposition des îles par rapport aux zones les plus densément peuplées du continent américain, en héritage des empires amérindiens, et à la localisation des richesses minières en or et principalement argent (Pérou et Mexique), de la circulation des vents et des courants marins en prolongement de ceux de l’océan Atlantique et des protections naturelles nautiques et défensives offertes par la nature et le dessin des côtes a fixé la hiérarchie des ports qui en garantissent le bon fonctionnement10. Ce n’est pas tant le voyage aller qui influe que celui du retour, surtout depuis l’organisation de convois militairement protégés depuis le début du règne de Philippe II. La tête en est La Havane, point de convergence de la flotte de galions portant l’argent du Potosi à travers les relais de Portobelo, qui efface Nombre de Dios dans l’isthme de Panama, et de Carthagène des Indes en Nouvelle Grenade, et de celle de la Nouvelle Espagne exportant l’argent de Zacatecas à partir du port de Veracruz. De 1561 à 1650, ce dernier assure 40-43 % de la Carrera et 36 % du mouvement global transatlantique, laissant le premier rang aux relais des richesses du Pérou11. Tous les autres ports s’inscrivent dans un troisième niveau, dans le système d’échange régional intra-impérial au service du triangle de tête. Les métaphores utilisées par les contemporains pour désigner ces derniers montrent la claire conscience de cette hiérarchie : ainsi pour La Havane qualifiée de « clé et rempart des Indes occidentales12 » ou de Veracruz présentée comme « gorge et passage13 » de la Nouvelle Espagne.
7La structure des échanges entre l’Espagne et ses Indes n’est guère modifiée. L’essentiel reste toujours le retour en métaux précieux, essentiels pour le Trésor royal et pour payer les produits manufacturés de plus en plus importés du marché européen, composés principalement de textiles (toiles de lin, soieries, tissus de laine) qu’ils soient de production française, hollandaise, anglaise ou allemande ou de provenance asiatique sous forme de réexportation à partir de l’océan Indien (cotonnades et soieries14). La part espagnole des cargaisons aller se limite donc de plus en plus à des produits agricoles (vins et huile d’Andalousie ou céréales et farine de Castille). L’évolution la plus notable concerne les retours avec un léger essor des produits agricoles ou maritimes : cuirs, tabac, sucre, perles…
8Le fait majeur qui caractérise la Carrera de Indias au xviie siècle est son profil irrégulier dominé par son entrée en crise. L’évolution du trafic en donne une première mesure. Alors que dans la période 1590-1620, on compte en moyenne 60 navires à l’aller et 140 au retour, on n’en relève plus qu’environ 40 et 80 dès les années 1620. La dégradation est particulièrement grave entre 1640 et 1680. À la fin du siècle, le rythme est devenu bisannuel, voire trisannuel15. Vu des caisses royales de Veracruz, le trafic est très faible jusqu’en 1659, avant de connaître une éclaircie cassée par deux rechutes en 1665 et 1676, mais suivie par une relance à partir de 168016. Les exportations de produits agricoles de Nouvelle Espagne suivent la même pente, avec une contraction de valeur des deux tiers entre 1600 et 165017. La crise de la armada de Guardias faute de financement aggrave la situation en temps de guerre. Durant la guerre de Succession d’Espagne, les retours se sont limités à quatre flottes, dont trois en provenance de Nouvelle Espagne.
9Veracruz s’est développée sur une côte basse ouverte sur l’Atlantique, sans le bénéfice d’une baie naturellement protégée, dépendant donc des qualités défensives de la puissante forteresse plantée sur l’île de Ulúa. Un môle assez court dessine deux anses qui servent d’espaces portuaires sans grands équipements. La densité urbaine reste encore faible car la ville vient de migrer pour la troisième fois de son existence séculaire à l’extrême fin du xvie siècle. Porte d’entrée et de sortie de la Nouvelle Espagne pour l’Atlantique, ses activités restent sous le contrôle des grands marchands de Mexico et de Puebla qui préfèrent traiter leurs affaires dans les foires de Jalapa, sur la bordure du plateau, au climat beaucoup plus sain. Veracruz peine à se hisser au-dessus de son rôle de lieu de transbordement terre-mer. L’arrivée de la Flotte en provenance de Séville rappelle la fluctuation très forte de la population liée à son séjour.
Figure 2. Veracruz en 1623 : la flotte, la forteresse et la ville refondée sur son site définitif.

Source : García de León Antonio, op. cit., p. 493-494.
10L’ampleur et la persistance du débat historiographique sur la gravité et la nature de la crise des retours en métaux précieux illustrent la difficulté à bien cerner le phénomène18. Au-delà des divergences d’appréciation, deux faits semblent bien établis. Il ne s’agit pas d’une crise de production minière mais bien d’un problème d’effondrement de la réception par le Trésor royal qui relève de la conjonction de deux phénomènes : la saisie croissante dans les Caraïbes par les puissances commerciales européennes concurrentes, principalement hollandaise et anglaise, par la piraterie comme par la contre-bande, et la fraude envahissante au sein de l’administration maritime et commerciale espagnole dans les déclarations de cargaisons. Si la monarchie voit ses ressources se contracter dramatiquement, il n’en est pas de même de ses principaux agents et commerçants. Entre 1660 et 1700, la production moyenne annuelle d’argent s’établit autour de 10 millions de pesos (2,5 millions de livres sterling), soit dix fois plus que la production totale de sucre en 170019.
11L’espace caraïbe a constitué le front privilégié des attaques des puissances rivales dans le domaine américain, d’abord sous la forme de la flibuste et de la piraterie20, avant que des flottes plus importantes ne signalent la progression de la révolution militaire dans le champ du maritime et des questions coloniales dans les grands conflits européens. Exclus du partage du monde en 1494, les Français et les Anglais ont trouvé dans la course une première manière de réplique dans la seconde moitié du xvie siècle. Tous les Espagnols et spécialement ceux des Caraïbes ont encore en mémoire le raid ravageur de Francis Drake de 158621. Dans la première moitié du xviie siècle, ce sont toutefois les Néerlandais qui ont pris le relais, par le transfert de la guerre d’Indépendance dans cette zone stratégique22. Après la création de la WIC (du néerlandais Geoctroyeerde Westindische Compagnie) en 162123, les menaces se précisent très vite, sur San Juan de Puerto Rico saccagé malgré la résistance de son fort et La Havane inquiétée dès 1625, concrétisées par la saisie de la flotte du Mexique poussée à l’échouage dans la baie de Matanzas, sur la côte nord de Cuba, par Peter Heyn en 1628. La fuite des équipages a laissé un butin de 12 millions de florins, une manne inespérée pour étendre l’effort de guerre. Toutefois, la priorité donnée à la saisie du Brésil portugais réduit la pression sur les établissements caribéens, même si une flotte vient tester La Havane en 164024. La seconde catastrophe eut lieu pendant la guerre contre l’Angleterre de Cromwell lorsque l’amiral Blake s’empara de la flotte de Terre Ferme en 1656 et détruisit en bonne partie celle de Nouvelle Espagne à Tenerife en 1657.
12Les installations des Anglais et des Français depuis Saint-Christophe en 1625, la Martinique et la Guadeloupe pour les seconds en 1635, élargissent l’éventail des menaces qui replacent de nouveau la Caraïbe espagnole au cœur de tous les dangers, avec le repli néerlandais du Brésil en 1654 et la pénétration dans les Grandes Antilles, suite à la conquête anglaise de la Jamaïque en 165525 et le début de l’installation des flibustiers-boucaniers français sur la côte nord-ouest d’Hispaniola à partir de l’île de la Tortue. Les raids contre les ports afin de les soumettre au pillage rythment la seconde moitié du xviie siècle, principalement du fait des initiatives des pirates et corsaires, mais aussi des escadres des nouvelles marines de guerre. Les flibustiers anglais Myngs et Henry Morgan s’illustrent par leurs ravages, le premier à Santiago de Cuba (1662), le second à Puerto Principe et Portobelo (1668) et surtout Panama (1671). Le flibustier anglais Coxon surprend Portobelo en 1680, mais échoue devant Panama. La course française connaît aussi son apogée. François l’Olonnois ravage Maracaibo en 1666. Sous le commandement du Flamand Van Horn, Laurent de Graff, ancien officier de l’armada de Barlovento, et le flibustier Grammont mettent à sac Veracruz en 1683, saisie par un audacieux effet de surprise26. Les années 1680 marquent la fin de cet activisme de la piraterie sous la double influence d’un plus grand contrôle des gouvernements anglais et français et de la conversion de la Jamaïque et Saint-Domingue vers l’économie sucrière. C’est une escadre commandée par l’amiral Pointis, secondé par Du Casse, qui ravage Carthagène des Indes en 169727.
13La monarchie espagnole n’est pas demeurée inerte devant l’accumulation de ces périls. Dès 1526, le Conseil des Indes avait pointé la nécessité d’un programme de fortification des ports stratégiques, mais les priorités financières de Charles Quint en avait différé la mise en œuvre. Si le sac de La Havane par le huguenot Jacques de Sores en 1555 fut l’occasion d’un premier réveil, le véritable tournant date de l’humiliation ressentie après le raid de Drake de 1586. Au moment même du décollage rapide de la production des mines argentifères, la sécurisation de la route maritime des métaux précieux devient la priorité absolue. La monarchie s’adresse alors aux ingénieurs militaires italiens et flamands, les meilleurs spécialistes de la poliorcétique du moment, qu’elle employait déjà sur ses fronts européens. Les réalisations de la dynastie Antonelli ont particulièrement marqué l’élaboration de systèmes défensifs complexes associant des forts de différentes tailles, des bastions, des batteries, des tranchées et des murailles de ville, dans une emprise de plus en plus large autour de baies déjà naturellement protégées. Les investissements de la couronne, essentiellement fournis par la trésorerie de la Nouvelle Espagne (situados) révèlent parfaitement en effet miroir la hiérarchie stratégique des villes portuaires espagnoles des Caraïbes. Le triangle supérieur formé par La Havane28, Carthagène29 et Veracruz30 y dominent un ensemble de second rang comprenant Portobelo en étroite relation avec Panama, Puerto Caballos (Honduras), Santo Domingo, Santiago de Cuba, San Juan de Puerto Rico31.
14Vers 1600, la défense de Carthagène est assurée par le fort du Boquerón dans l’île de Manga et le fort Vargas à l’entrée de Bocagrande. En 1640, la ville et son extension de Getsemani sont entourées de remparts. On a complété le système par le château de Santa Cruz et le fort de San Juan de Manzanillo qui ferment l’anse la plus intérieure. L’échouage du navire amiral et de deux autres galions de la flotte portugaise entraîne l’obstruction rapide de Bocagrande, ce qui oblige à utiliser l’entrée de Bocachica, heureusement surcreusée par le changement de courants. On édifie alors le puissant château de San Felipe de Barajas, proche de la ville, et le château de San Luis à l’entrée de Bocachica.
15Cette multiplication d’ouvrages bien garnis d’artillerie a entraîné l’augmentation des garnisons chargées de leur valorisation. Celle de La Havane a doublé au cours du siècle, jusqu’à atteindre 900 hommes. La médiocre qualité des recrues obligeait à les doubler de compagnies de milice urbaine plus nombreuses (800 miliciens pour 450 soldats à La Havane en 1630). Alors que le recrutement des garnisons restait essentiellement péninsulaire (88 % à la fin du xviie siècle), principalement andalou et castillan, les milices étaient a contrario un bien meilleur reflet des communautés urbaines et de leur patriotisme. Au milieu du siècle, la milice havanaise regroupait six compagnies de Blancs et métis, principalement créoles, deux de pardos (mulâtres libres), deux de morenos (Noirs libres) et une d’Indiens32. Pour les libres de couleur, la participation à la défense représentait le principal moyen de promotion sociale en relayant l’enrichissement personnel, surtout pour les cadres qui trouvaient plus de lisibilité sociale dans l’exercice d’une charge publique. Reflétant en même temps la dialectique motrice de la construction sociale entre ségrégation et brassage, hiérarchie juridique et culturelle de castas et transgression des comportements individuels, le civisme militaire au service du loyalisme monarchique a fourni un utile contrepoids face à bien d’autres risques de désintégration à travers la fraude et le commerce interlope.
Tableau 1. Principales fortifications des ports espagnols caribéens.
Ports | Systèmes de fortification |
La Havane | La Fuerza San Salvador de la Punta – Tres Santos Reyes del Morro La Chorrera – Cojimar (extérieurs) Muraille de ville 1674-1740 Cojimar – Santa Dorotea de la Chorrera |
Cartagena | San Felipe de Barajas San Sebastian de Pastelillo – Boqueron – Santa Cruz – Manzanillo Muraille de ville, y compris Getsemani |
Portobelo | San Felipe de Sotomayor – Santiago de la Gloria – San Jerónimo San Fernando – San Fernandito – Muraille de ville |
Veracruz | San Juan de Ulúa Muraille de ville |
San Juan de Puerto Rico | San Felipe del Morro |
Santo Domingo | La Fuerza vieja – Muraille de ville |
Santiago de Cuba | San Pedro de la Roca del Morro |

Source : Brewer Carias Allan R., op. cit., p. 288-442.
16La défense de la Carrera et de ses connexions caraïbes est aussi passée par la constitution de flottes d’intervention régionale ou locale. L’armada de Barlovento, véritablement instituée en 1635 après quasiment vingt ans de tâtonnements, incarne l’effort le plus global, financé sur les ressources fiscales de la Nouvelle Espagne33. De faible ampleur, toujours inférieure à dix navires, elle ne connut pourtant qu’une existence chaotique qui lui valut une accumulation de critiques. Normalement basée à Veracruz, elle subit plutôt le nomadisme avant de disparaître en 1749. Un de ses anciens officiers, Laurent de Graff, se servit de sa connaissance du site dans la surprise de Veracruz en 1683. Chaque port recourait donc à une flotte particulière, système dans lequel Carthagène fut pionnière et modèle34. Alors que les autorités de La Havane souhaitaient se doter d’une telle force de réplique, elles se sont heurtées à la méfiance du Conseil des Indes qui, sous la pression du consulat de Séville, y voyait le danger de l’extension de la contrebande et qui ne donna sa permission qu’en 1681. Ce blocage fut toutefois contourné par l’organisation d’une course locale malgré les mêmes suspicions, validée par des résultats probants contre la Jamaïque, les Bahamas (sac de New Providence en 1684), poussant même jusqu’à Charleston35.
Figure 3. Carte du système de fortifications de la baie de Carthagène des Indes au xviie siècle.

Source : Cabellos Barrreiro Enrique, op. cit., p. 86.
17Le croisement entre les fonctions dérivées du rôle de plate-forme commerciale et les retombées économiques du renforcement régulier du préside fortifié constituent les deux moteurs essentiels du développement des villes de la mer Caraïbe, points nodaux de structuration de ce sous-ensemble du monde atlantique36. Leur puissance maximale se mesure à La Havane qui atteint 27 000 habitants en 170037. Il en ressort une configuration sociale spécifique dominée par une élite où les commerçants enrichis viennent renouveler en permanence le niveau supérieur formé par les grands propriétaires, souvent héritiers des conquistadores encomenderos38 et des cadres militaires de l’administration étatique39. Ce modèle les différencie nettement des villes de l’intérieur40, capitales administratives et espaces urbains ouverts.
Le commerce des esclaves : l’introduction des Caraïbes dans la mondialisation
18Suite au partage du monde de 1494, le littoral d’Afrique noire se trouve dans le domaine portugais. Les ports espagnols n’ont donc que peu armé eux-mêmes pour la traite au xvie siècle, tout en participant largement par le financement aux expéditions portugaises. Pour le commerce des esclaves en direction de l’empire espagnol, le xviie siècle débute en 1595 avec le premier asiento général consenti par la monarchie au profit de Pedro Gomez Reynel, inaugurant la domination des rendeiros nouveaux chrétiens portugais, qui allait se prolonger jusqu’à la crise de 1640 aboutissant à la rupture de l’union des deux Couronnes41. Contre la cession du monopole pendant neuf ans, le fermier s’engage à introduire 4 250 esclaves par an en utilisant des navires indépendants de la Carrera conduits par des équipages portugais ou castillans. Le privilège est conditionné au paiement d’un droit annuel de 100 000 ducats et l’interdiction d’un autre type de commerce aux Indes de Castille42. Ce premier véritable asiento est le point d’aboutissement de toute une période d’adaptation depuis le milieu du xvie siècle, intimement liée à l’essor minier et aux difficultés financières de la Couronne43. Les judéoconvers n’ont pas attendu l’union des deux Couronnes pour s’infiltrer dans la traite négrière à destination des Indes de Castille. Une coopération sur la place sévillane avec les marchands du Consulat a favorisé cet entrisme, tout comme l’intérêt d’une diversification des affaires du côté de la Terre Ferme.
19Pedro Gómez Reynal, reconnu coupable d’irrégularités, fut obligé de se retirer de l’asiento en 1601, la fin du contrat étant gérée par le gouverneur portugais de l’Angola. Après un dernier essai du consulat de Séville de se réserver le monopole de la traite négrière entre 1611 et 1615, un nouvel asiento fut signé pour 1615-1621 avec le marchand sévillan Antonio Fernández Delvás, appuyé sur le réseau portugais Perez-Andrade-Antuñez basé à Séville et Lisbonne. En 1638, Melchor Gomez et Cristobal Menez Sousa engageaient des négociations pour une prorogation d’une durée de huit ans en offrant des conditions financières très alléchantes pour le Trésor royal : effacer une dette de 400 000 ducats tout en acquittant un droit annuel de 95 000 ducats44. La concurrence était sévère dans ce milieu des nouveaux chrétiens portugais. Quelques semaines avant la révolte autour du duc de Bragance en 1640, les deux frères Andres Rodriguez de Extremoz (Lisbonne) et Juan Rodriguez Mesa (Carthagène des Indes) étaient en pourparlers avec le Conseil des Indes pour s’introduire dans le futur asiento45.
20Le très riche marchand de Lima, Manuel Bautista Pérez, traitait avec des maisons de commerce de Nouvelle Espagne, de la Terre Ferme, d’Ibérie et d’Afrique. Son principal correspondant à Mexico était Simon Váez Sevilla, tête de réseau pour la Nouvelle Espagne et principalement Veracruz, Oaxaca (cochenille) et Guatemala (tabac et cacao), lui-même en liaison d’affaires avec des marchands de Manille46. La hiérarchisation des connexions de Bautista Pérez place logiquement au premier rang Carthagène des Indes et Séville, suivies de Lisbonne, Panama, Mexico et Luanda, et enfin de Madrid, Anvers et Rouen. Il n’offrait pas seulement des esclaves à ses clients, mais aussi des épices et des soieries asiatiques, des tissus européens, du cacao de Nouvelle Espagne, de l’ambre de Pologne, du bois de cèdre du Chili, des perles du Venezuela… Andres Rodríguez de Extremoz expédiait à son frère Juan Rodríguez Mesa, installé à Carthagène, des textiles des Pays-Bas, des épices de l’Inde et des soieries de Chine47. Les marchands portugais d’Amsterdam recevaient par ces mêmes réseaux de l’argent du Potosi, du cacao du Guatemala ou du Venezuela, de la cochenille de Nouvelle Espagne et des perles de l’île de Margarita48.
21L’emprise de la nation portugaise était caractérisée par son multilatéralisme et son haut degré de connexion, son implication à travers monopoles et fermes dans le commerce et les finances étatiques et sa logique d’intégration verticale49. Les deux frères Rodriguez étaient ainsi en liens avec 80 marchands répartis dans seize espaces complémentaires : Portugal, Castille, côte Africaine, Caraïbes, Nouvelle Espagne, Nouveau Royaume de Grenade et Pérou, au même niveau que la maison de commerce formée par Manuel Bautista Pérez, ses deux beaux-frères Pedro et Sebastián Duarte et ses deux oncles Diego Rodríguez de Lisbonne et Simon Diaz Pinto. L’addition de toutes les données disponibles à partir de ces réseaux atlantiques nouveaux chrétiens portugais dessine un système animé par le couple Séville Lisbonne coté européen et le triptyque Lima, Carthagène des Indes et Panama-Portobelo côté américain. Viennent comme relais importants mais secondaires Madrid et Mexico, et encore plus loin Amsterdam, Anvers, Oaxaca et Potosi. Parmi les ports caraïbes connectés, on trouve par ordre d’importance Veracruz, La Havane, Santa Marta, Margarita, Santo Domingo, Santiago de Guatemala et Campeche.
Figure 4. Carte du réseau commercial de Manuel Bautista Pérez.

Source : Studnicki-Gizbert Daviken, A Nation…, op. cit., p. 99.
Figure 5. Carte de quelques réseaux commerciaux de la Nation portugaise vers 1630.

Source : Studnicki-Gizbert Daviken, A Nation…, op. cit., p. 103.
22La révolte de 1640 conduite par le duc de Bragance devenu roi d’un Portugal de nouveau indépendant, suivie du rapprochement avec l’Angleterre et de la longue guerre avec l’Espagne jusqu’en 1668, a provoqué l’arrêt brutal de cette phase d’hégémonie sur le régime des asientos négriers. Elle a radicalisé la montée des tensions entre les marchands espagnols et portugais dans les ports caribéens, affrontement précédé de la relance de l’activité inquisitoriale à partir de 1635 suite aux énormes besoins financiers de la monarchie après l’ouverture de la guerre avec la France50. Les amendes exorbitantes, les expulsions et pour le pire les condamnations au bûcher eurent un effet ravageur dans l’organisation réticulaire portugaise. Le plus grand des auto da fe des Amériques fut célébré à Veracruz en 164951.
23Suite à leur conquête du fort d’Elmina sur la Côte de l’Or en 1636 et surtout de Luanda en Angola en 1641, les Hollandais se substituaient aux fournisseurs traditionnels, même si le second site fut repris dès 1649 par une expédition brésilienne montée par les marchands de Rio de Janeiro. Leur expulsion du Brésil en 1654 les renvoya vers les Caraïbes, principalement vers la valorisation de l’île de Curaçao, enlevée aux Espagnols en 1634, en grand entrepôt de redistribution d’esclaves et de produits manufacturés européens en direction des territoires de l’empire espagnol, surtout lorsque la WIC, refondée après sa faillite de 1674, transforma Willemstad en port franc52. Le rétablissement très rapide de la colonie hollandaise à Cadix à partir de 1648 ouvrit aussi l’opportunité d’un fructueux croisement d’affaires avec les marchands locaux et donc d’une double infiltration de la Carrera et du commerce des esclaves dans une intense contrebande au sein des Caraïbes espagnoles53.
24Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la capacité des réseaux juifs portugais à s’adapter à la nouvelle donne, en particulier après la perte de Pernambouc. Certains optèrent pour l’intégration dans le nouvel empire atlantique portugais, dans une association avec la montée des intérêts anglais aboutissant au traité de Methuen de 1703. D’autres misèrent sur la plate-forme d’échanges caraïbe. La communauté juive de Willemstad à Curaçao devint la plus importante de toute l’Amérique, devant celles du Suriname, de la Jamaïque et des Barbades54. Le changement principal était que les réseaux n’étaient plus centrés sur Séville et Lisbonne mais sur Amsterdam et que leur influence devait se faire sentir à travers la WIC dans laquelle ils restaient minoritaires. Ils pouvaient cependant compter sur les nouveaux chrétiens qui, ayant échappé aux foudres de l’Inquisition dans les années 1640, avaient pris comme option de s’intégrer durablement aux sociétés des ports espagnols des Caraïbes, même si leur puissance d’action n’avait plus rien de comparable.
25Les vingt ans entre 1641 et 1661 sont l’une des phases les plus troubles de l’organisation de la traite négrière espagnole du point de vue de sa contractualisation. La monarchie récuse une offre des marchands anglais Burchett et Philips en 1642, simples intermédiaires avec la WIC, et ensuite celle d’agents de la Compagnie néerlandaise en 1649 malgré la fin de la guerre de Quatre-Vingts Ans l’année précédente. Il a pourtant été établi qu’au moins 3 800 esclaves ont été transférés à partir de l’île Curaçao entre 1648 et 165755. Des tensions au sujet de la présence de navires hollandais en 1652 à Santo Domingo (Hispaniola) ou encore en 1658 à Veracruz et Campeche (navire à pavillon hollandais appartenant à des marchands de Cadix) sont autant d’indices d’une activité masquée en développement très rapide. En 1657, le directeur de la WIC signalait à la chambre d’Amsterdam la venue d’un marchand espagnol désireux d’établir des liens réguliers avec le Venezuela. Un rapport de l’audience de Santo Domingo de 1661 alerta Madrid sur cette expansion de l’interlope négrier en dénonçant les trois procédés les plus courants : commerce direct par bateaux espagnols livrant argent, or, tabac… contre textiles, armes, munitions et esclaves ; utilisation d’hommes de paille espagnols par les firmes néerlandaises ; transformation de cargaisons d’origine étrangère en produits espagnols moyennant le paiement d’une compensation au Trésor royal. Cela aurait permis la livraison d’environ 100 000 captifs africains à partir de Curaçao de 1658 à 173056. La conquête anglaise de la Jamaïque en 1655 ajouta une seconde base pour l’amplification du système tout en introduisant une situation concurrentielle.
26La monarchie espagnole ne pouvait pas laisser perdurer cette pression étrangère sans essayer d’en tirer le profit maximal, surtout dans l’état catastrophique de ses finances. Le rétablissement du régime des asientos devint donc une priorité politique. Mais au profit de qui ? Le fournisseur portugais traditionnel, qui s’était rétabli partiellement en Afrique, n’était pas seulement le traître dont la sécession n’allait commencer à être digérée qu’à partir de la paix de 1668, mais un concurrent prioritairement engagé dans la valorisation du Brésil dans une redéfinition de son centre de gravité impérial. Du point de vue financier et technique, la solution néerlandaise s’imposait, mais le fait de traiter avec une puissance protestante restait un obstacle moral pour la monarchie catholique. C’est ce qui justifia de recourir en 1662 aux financiers génois représentés par Domingo Grillo et Ambrioso Lomelin, lesquels pour honorer leur engagement de livrer 3 500 esclaves par an, conclurent un accord avec la Company of Royal Adventurers Trading of Africa. Très affectée par la seconde guerre anglo-hollandaise (1665-1667), celle-ci ne put bientôt satisfaire aux exigences, ce qui obligea les agents génois à se retourner vers les services de la WIC à Curaçao qui fit passer une moyenne annuelle de 700 captifs de 1663 à 1667 en direction de Carthagène des Indes, Portobelo et Veracruz, avec un gonflement après la paix. La suprématie hollandaise fut consolidée par la translation de l’asiento général des Génois au profit du marchand portugais Antonio García qui s’appuya totalement sur la WIC57.
27La faillite de la Compagnie hollandaise en 1674 suivie de sa refondation provoqua une forte déstabilisation du système illustrée par deux échecs en 1675 : celui d’une prolongation d’Antonio García assisté de Sebastián Silíceo et celui d’un contrat pour la nouvelle WIC négocié à Amsterdam par Manuel Belmonte, représentant de la monarchie espagnole qui avait posé comme exigence l’interdiction de l’étape de Curaçao pour lutter contre la contrebande. Cette conjoncture fut saisie comme opportunité par le consulat de Séville pour récupérer le monopole de l’asiento moyennant le versement de 1 125 000 escudos, augmenté de 200 000 comme don volontaire. Ce n’était qu’une opération financière car la réalité de la traite fut partagée entre la WIC et la Royal African Company anglaise58 à partir de leurs bases de Curaçao, la Jamaïque et la Barbade. Le remplacement du consulat en 1682 par deux marchands de Cadix, Juan Barroso del Pozo et Nicolás Porcio, ne changea rien au mode opératoire car ceux-ci s’appuyèrent principalement sur le marchand banquier hollandais Balthazar Coymans qui profita de la mort de Barroso et de l’arrestation de Porcio à Carthagène pour reprendre directement l’asiento en son nom personnel malgré les dénonciations de son calvinisme par des marchands espagnols auprès du roi Charles II et du nonce papal à Madrid. Ceci eut néanmoins un impact puisque la négociation de 1692 tourna en faveur de la Compagnie royale portugaise d’Afrique représentée par Bernardo Marín de Guzmán, avec un prolongement en 1699 pour la Compagnie de Cacheu, sous le nom de Manuel Ferreira Carvalho. Une clause de ce dernier contrat autorisait le voyage annuel d’un navire de 300 tx des Canaries vers les Caraïbes (Trinidad, Cumaná, La Guaira (Caracas), Campeche et Veracruz), soit une anticipation du navire de permission concédé aux Anglais dans le traité d’Utrecht de 171359.
28L’attribution de la Couronne d’Espagne à Philippe V, petit-fils de Louis XIV, par testament de Charles II, renversa totalement la situation au profit des intérêts français incarnés par la Compagnie de Guinée réorganisée pour ce faire par Du Casse. Selon le décret royal du 27 août 1701, elle recevait la mission de transporter 4 800 esclaves par an à des conditions très favorables. Contre le paiement d’un droit de 33 escudos un tiers et le versement d’un don de 200 000 escudos, les navires pouvaient acquérir sans taxes les produits de l’empire espagnol dans les ports de débarquement des esclaves tout en apportant de la nourriture et des tissus, destinés en principe à couvrir les besoins des esclaves. Ses affaires furent cependant très perturbées par la guerre, un capital initial insuffisant, un manque de collaboration avec les autorités du Brésil et la concurrence de négriers privés français. Le 6 mars 1713, l’asiento passa au bénéfice de l’Angleterre pour une durée inédite de trente ans60. En 1701, le transfert de l’asiento à la France a été une cause essentielle de l’alliance militaire entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, enclenchant une escalade menant à la guerre de Succession d’Espagne en 1702. La perte du monopole néerlandais progressivement partagé avec les intérêts anglais, acceptable parce que contournable dans l’option portugaise, devenait insupportable en faveur du concurrent français.
29Il demeure très difficile d’aboutir à une approche quantitative satisfaisante du trafic négrier caribéen vu des ports espagnols de réception. Les écarts entre les données recueillies dans le Slave database et les travaux récents menés à partir des archives locales des places portuaires en donnent un éloquent témoignage. La Havane n’est documentée qu’à partir du milieu du xviie siècle alors que la présence d’esclaves en quantité significative est analysée à partir du milieu du xvie siècle, surtout à partir du lancement de la seconde phase du programme de fortifications à la fin des années 1580, pour atteindre environ 6 000 personnes vers 161561. Vers 1570 environ 500 Africains s’affairent à Veracruz dans les travaux du port, de la ville et du fort de San Juan de Ulúa, une majorité déjà libre, formant ainsi le premier prolétariat hispano-américain, avant même celui des mines62. Si les apports pour les ports continentaux sont repérés depuis 1526, l’imbrication des commerces légaux et illégaux ne peuvent que brouiller l’ampleur des entrées, surtout à partir de 1640. Le rôle de redistribution des entrepôts caribéens hollandais et anglais et dans une moindre mesure français et les évaluations effectuées à partir de ceux-ci justifient de multiplier au moins par deux les données établies à partir des ports européens d’armement des navires négriers, sans doute par trois en intégrant le rôle de la piraterie. Les données disponibles situent le premier quart du xviie siècle comme période d’apogée de la déportation d’esclaves africains (106 000 entrées), suivi d’une première contraction de moitié dans le second quart et d’une réduction encore plus sévère jusqu’en 1725 avec des oscillations entre 14 000 et 19 000 entrées en retenant la même unité du quart de siècle63. L’acquisition assez rapide de la liberté en une ou deux générations pour la majorité des esclaves dans les colonies espagnoles et le maintien de la production minière, principale origine de la demande à côté du secteur agricole (élevage et plantations) et des travaux urbains au xviie siècle, entrent en contradiction avec cette image statistique de décroissance du trafic négrier à destination de l’empire espagnol. Si ce marché était devenu si marginal, comment comprendre les rivalités intenses dans l’attribution de l’asiento entre 1660 et 1713, sans méconnaître le rôle de cheval de Troie de ce trafic pour le contournement de l’exclusif. L’Espagne de Charles II n’a pas souffert d’une crise de la production d’argent, mais d’un détournement de la distribution de celle-ci au profit des particuliers et des puissances maritimes concurrentes, tout spécialement les Provinces-Unies.
30Au-delà de ces incertitudes quantitatives, la hiérarchie des ports est beaucoup plus solidement établie. Carthagène des Indes n’a jamais cessé d’être le principal centre de réception, suivie de Veracruz dans la première moitié du xviie siècle64. C’est une conséquence directe de la supériorité des mines du Pérou sur celles du nord Mexique et de l’héritage des zones de haute densité de peuplement des centres de gravité des empires amérindiens. La seconde moitié du siècle renforce le déséquilibre avec la montée de Portobelo et le repli de Veracruz. Les débuts de la South Sea Company en 1714-1718 désignent Portobelo comme le meilleur site, pour le nombre d’esclaves vendus, l’extrême faiblesse des renvois et le meilleur prix obtenu65. Les ports des grandes Antilles ne soutiennent pas la comparaison, même si Santo Domingo se distingue légèrement à cause de l’économie sucrière développée sur Hispaniola. La Havane demeure longtemps dans un troisième niveau en compagnie de Puerto Rico, des ports du Venezuela (La Guaira, Maracaíbo, Cumaná et Margarita) ou de la Nouvelle Grenade comme Riohacha et Santa Marta, avant de progresser au début du xviiie siècle. Son décollage exceptionnel se réalise dans son troisième quart lorsque la ville change de rôle en basculant de base navale en tête commerciale et financière d’une économie sucrière de plantation de type esclavagiste.
31Le contrôle des asientos par les Portugais de 1595 à 1640 a favorisé l’entrée d’Africains en provenance de l’Afrique centrale de l’ouest (Angola et Congo) dans un basculement qui s’est opéré dès le début du xviie siècle si on généralise le profil de La Havane établi pour 1570-1610. Sur l’ensemble du siècle, cette même provenance a plutôt affermi sa prépondérance (69 %), très loin devant la Sénégambie (17 %), la baie du Bénin (8 %), la baie du Biafra (4 %) et la Côte de l’Or (2 %) si on se limite aux expéditions directes depuis le littoral africain jusqu’en Amérique espagnole. Ici, les chiffres rendent principalement compte de l’impact du monopole portugais. Leur remplacement par les négriers néerlandais, secondés par les Anglais, s’est traduit par un rééquilibrage en direction du littoral nord du golfe de Guinée. Entre 1670 et 1710, l’Afrique centrale de l’ouest ne représente plus que 41 % des points de départs des expéditions pour le Brésil et les Caraïbes, contre 30 % pour la baie du Bénin, 14 % pour la Côte de l’Or et 8 % pour la baie du Biafra, ce qui rehausse d’autant les trois dernières zones quand on sait la force des liaisons dans l’ensemble Angola-Congo-Brésil pour la traite portugaise. C’est surtout la traite anglaise qui réoriente. Pour l’ensemble du siècle, ses déportations vers l’Amérique anglaise sont concentrées sur trois grands secteurs : baie du Biafra (27 %), baie du Bénin (25 %) et Côte de l’Or (22 %66). L’addition de l’évolution des attributions des asientos et de l’importance croissante de la contrebande par fraude ou piraterie a entraîné une diversification ethnique croissante des populations noires livrées à l’empire espagnol, donc in fine une complexification du processus de brassage avec les Espagnols et les Amérindiens.
32Les conséquences pour les sociétés urbaines des Caraïbes en sont considérables. L’addition de la gravité de l’effondrement démographique indien, particulièrement dans les îles, et de la surmortalité des émigrants européens à cause d’un environnement plus dangereux que sur les hauts plateaux, a conféré une importance particulière à l’apport de populations africaines. Le brassage entre les apports espagnols, européens, africains, amérindiens, voire asiatiques, dans le cadre contraint de la domination castillane au xviie siècle, y prend donc une coloration particulière. Celle-ci est caractérisée par une tension motrice entre réflexes de ségrégation dans l’établissement des normes juridiques, les jugements de valeur dans la culture des castas imprégnée de l’héritage castillan de l’idéal de la pureté de sang, et la fréquence des comportements sociaux de transgression produisant de l’hybridité dans tous les secteurs.
Les Espagnols et l’essor du commerce intra-américain
33Dans les Caraïbes, le xviie siècle se distingue du précédent par la croissance des échanges entre les différentes parties de l’empire hispano-américain en réponse à une entrée en déliquescence de l’économie castillane qui voit ses grandes villes intérieures péricliter et par l’internationalisation progressive de ce sous-ensemble du système atlantique sous la pression militaire et économique des puissances maritimes de l’Europe du Nord-Ouest. La monarchie doit donc affronter un redoutable problème, celui du contrôle du glissement d’un système d’échanges impérial vers une multiplication des flux trans-impériaux au sein du mélange inextricable du légal et de l’illégal, dans la contradiction motrice entre le loyalisme de ses sujets et la défense de leurs intérêts particuliers les poussant vers toutes les formes de fraude et d’interlope, étant donné l’évolution économique négative de la partie ibérique de la monarchie composite.
34Cette poussée du marché intra-américain se nourrit des circulations commerciales commandées par la répartition des densités humaines à l’intérieur des Indes occidentales espagnoles, au sein desquelles la composante espagnole immigrée et progressivement créolisée joue le rôle de commandement dans la production comme dans la consommation. En 1763, pour une expansion largement acquise vers 1570, l’Espagne tirait avantage du plus grand empire ultramarin fort de 12,5 millions de km2 (50,8 % des possessions européennes), contre 35,1 % pour les colonies portugaises (essentiellement brésiliennes) et 13 % pour les colonies anglaises dans une extension plus tardive67. Ainsi, l’appréciation d’Olivier Pétré-Grenouilleau parlant d’« empire et d’hommes sans véritable puissance maritime » pour différencier la construction espagnole de ses homologues européennes68, s’applique-t-elle principalement au xviie siècle, perdant de sa pertinence au siècle suivant. Encore faut-il souligner l’apparente contradiction entre la déliquescence relative de la Carrera de Indias et le maintien de l’intégrité géographique des Indes de Castille.
35Jusqu’en 1640, le flux migratoire espagnol domine toutes les autres sorties européennes, tout en connaissant une érosion en valeur relative, passant de 60 % avant 1580 à presque 44 % de 1580 à 1640, devant l’émigration portugaise se réduisant de 40 à 25,6 % dans les mêmes dates. Même si cette prépondérance est perdue dans la période 1640-1700 au profit de l’Angleterre, l’Espagne demeure nettement le second pays d’émigration avec 30,7 % des sorties contre 48 %, loin devant les autres compétiteurs. Avec ses 327 000 émigrants de 1500 à 1640 à comparer aux 203 000 Portugais et aux 126 000 Anglais, l’Espagne a bénéficié d’un sérieux avantage dans une première phase, dont l’impact économique n’a été que légèrement érodé par la montée en puissance de l’émigration anglaise dans un second temps. Pour les migrants ibériques, il était certainement plus facile de partir s’installer dans les territoires ultramarins que d’affronter le marché saturé du travail de l’Europe du Nord-Ouest. Ces chiffres donnent à comprendre pourquoi les relations intra-impériales dans le monde hispanique et la concurrence européenne pour s’y insérer ont été si intenses à partir du xviie siècle. La montée en puissance d’une Amérique anglaise a d’ailleurs renforcé ce commerce intra-américain à travers les Caraïbes en élargissant simplement son échelle d’action, tout en incorporant toujours plus sa dimension légale au long du xviiie siècle.
Tableau 2. Comparaison du nombre de migrants européens, 1580-1700.
Pays | 1580-1640 | 1640-1700 | ||
Émigrants | % | Émigrants | % | |
Espagne | 188 000 | 43,7 | 158 000 | 30,7 |
Angleterre | 126 000 | 29,3 | 248 000 | 48,2 |
Portugal | 110 000 | 25,6 | 50 000 | 9,7 |
France | 4 000 | 0,9 | 45 000 | 8,8 |
Provinces-Unies | 2 000 | 0,5 | 13 000 | 2,5 |

Source : Pétré-Grenouilleau Olivier, art. cité, p. 348.
36Selon une autre estimation un plus généreuse, 243 000 personnes auraient quitté l’Espagne pour les Amériques au xvie siècle et 195 000 dans la première moitié du xviie siècle, faisant monter la moyenne annuelle d’environ 2 600 à 3 900 individus. Une modification essentielle des origines géographiques fait passer de la domination du sud-ouest de la Castille (Andalousie et Estrémadure) au xvie siècle à la montée en puissance de la périphérie cantabrique et méditerranéenne au xviiie siècle69.
37Les complémentarités impériales nourrissent un incessant trafic de cabotage à courte et moyenne distance. L’approvisionnement des grandes places portuaires de la Carrera de Indias afin de garantir son bon fonctionnement et la sécurité des flottes une priorité stratégique. Dès le tout début du siècle, La Havane en donne un exemple parlant.
Tableau 3. Mouvement des navires à La Havane (1571-1610).
Période | Navires entrants | Navires sortants | ||||||
Atlantique | Inter-colonial | Cuba | Total | Atlantique | Inter-colonial | Cuba | Total | |
1571-1610 | 494 | 1 005 | 38 | 1 537 | 510 | 145 | 22 | 677 |

Source : La Fuente Alejandro de, Havana…, op. cit., p. 13.
Tableau 4. Valeurs des importations et des exportations (en reales) par zones géographiques (1578-1610).
Régions | Importations | Exportations |
Transatlantique | 5 563 328 | 7 063 699 |
Inter-colonial | 5 745 570 | 1 873 130 |
Mexique | 3 217 844 | 665 592 |
(Veracruz) | 2 035 229 | 330 587 |
Floride | 862 518 | 744 003 |
Honduras | 593 455 | 37 983 |
Colombie | 433 282 | 172 356 |
Hispaniola | 150 996 | 103 951 |
Puerto Rico | 176 530 | 67 025 |
Panama | 164 841 | 2 892 |
Pérou | 42 106 | 56 450 |
Jamaïque | 40 282 | 11 461 |
Margarita | 31 624 | 5 274 |
Guatemala | 18 815 | 1 800 |
Cuba | 831 216 | 1 197 929 |

Source : La Fuente Alejandro de, Havana…, op. cit., p. 15.
38Le mouvement portuaire est ainsi animé par deux types de trafics équilibrés en nombre de navires, même si la prise en compte des tonnages rétablit naturellement la supériorité de la Carrera sur le cabotage caribéen. Le tableau des valeurs commerciales soutient la même conclusion. Le rôle prépondérant du trafic transatlantique est bien affiché avec 12,63 millions de réaux (63 %) contre 7,62 millions (37 %) pour le cabotage caribéen. En décomposant ce dernier espace d’échanges, on voit combien les relations sont privilégiées avec le Mexique, tout spécialement avec le port de Veracruz70, et plus globalement avec la vice-royauté de la Nouvelle Espagne et comment les liens avec les autres îles des Grandes Antilles s’équilibrent avec ceux de la Terre Ferme ouvrant vers la vice-royauté du Pérou. La supériorité quasi systématique – à l’exception du lointain Pérou –, des importations sur les exportations souligne l’importance des besoins d’approvisionnement de la plus grande ville portuaire des Caraïbes et de cette tête stratégique du système des flottes transatlantiques. La hauteur des valeurs ainsi que leur relatif équilibre soulignent bien l’importance de la Floride et ses périphéries dans l’hinterland havanais. La même constatation à propos d’Hispaniola renvoie à l’héritage de son rôle de première base de la phase de la Conquista dans la première moitié du xvie siècle et à l’importance relative de sa capitale Santo Domingo doublement appuyée sur l’économie sucrière et la présence d’une audience ayant autorité sur les Grandes Antilles et la Terre Ferme71. Mais vers 1650, plus du quart des vecinos (citoyens de plein droit) de son ressort vivent à La Havane. Le cabotage insulaire est orienté vers Puerto Príncipe, mais surtout Bayamo appelé à devenir le plus grand site interlope de l’île au xviie siècle. Au milieu du siècle, ce trafic intra-caribéen assure 60 % du mouvement portuaire de La Havane72.
Tableau 5. Commerce inter-colonial de La Havane (1578-1610). Valeurs des divers types de produits commerciaux (hiérarchie en %).
Produits commerciaux | Importations | Exportations |
Métaux précieux, espèces | 53,4 | 30,7 |
Alimentation | 15,9 | 22,9 |
Esclaves | 8,3 | 6,3 |
Textiles, vêtements | 3,8 | 8,6 |
Vin | 0,2 | 8,6 |
Armes | - | 8,3 |
Colorants | 7,6 | - |
Navires | 1,0 | 4,7 |
Total des huit premières rubriques | 90,2 | 90,1 |

Source : La Fuente Alejandro de, Havana…, op. cit., p. 18.
39Le tableau souligne la spécificité de La Havane dans la structure de ses échanges avec les autres ports espagnols caribéens. Le classement met en avant la complexité des circuits des métaux précieux à travers l’importance de leur réorientation à travers les Caraïbes, alors qu’ils constituent 64,2 % des exportations en direction de Séville pour la période, très loin devant les cuirs (9,8 %), les colorants (8,3 %) et les bateaux (6,5 %). Les produits alimentaires, second poste commercial, sont bien plus des échanges intra-coloniaux qu’une redistribution de produits européens qui se concentrent sur les vins (26,4 %), les textiles (25,1 %) et les esclaves (13,6 %) en dépit de leur provenance d’Afrique noire. L’importation de colorants et les exportations d’armes et de navires signalent l’impact manufacturier précoce qui complexifie l’économie et la société urbaines. La construction navale agit comme acteur démultiplicateur73.
40Pour la Caraïbe espagnole, les principaux échanges concernaient les céréales et les farines du Mexique, principalement de la région de Puebla, et du bassin de Maracaibo, le cacao et le tabac du Venezuela ou du Guatemala, le tabac et le sucre de Cuba, le sucre d’Hispaniola, les perles de la Terre Ferme depuis Santa Marta jusqu’à l’île de Margarita, la cochenille de Oaxaca, l’indigo du Nicaragua et de Riochacha, les faïences et la vaisselle de Mexico, les objets d’art en argent réalisés par les artisans du Mexique et du Pérou74. La valorisation de l’élevage à travers les viandes boucanés et les cuirs était présente un peu partout, ce qui n’interdisait pas les circulations entre zones de production. La demande en biscuits et farines favorisa les exploitations américaines dans la mesure où les céréales reculaient en Castille face à l’expansion de l’élevage des moutons sous le contrôle de la Mesta. Même Cuba s’y intéressa, vu l’importance de ses besoins, sans pouvoir soutenir la concurrence à la fin du xviie siècle qui vit l’essor des estancias de tabac75 en compétition avec les traditionnels hatos ou corrales d’élevage76.
41Le commerce intra-américain impérial fait ainsi circuler en priorité des produits de l’agriculture. Même si la redistribution de produits textiles concerne en priorité les productions européennes et asiatiques – surtout chinoises grâce à la connexion par la route pacifique via les Philippines –, elle intègre une part de la production américaine. Au début du xviie siècle, La Havane reçoit des soieries de Nouvelle Espagne à côté de celles de Castille et de Chine, des draperies légères de laine de la même origine à côté de celles de Castille et d’Angleterre, ou encore des toiles taffetas à côté de celles de Castille, d’Italie et de Chine. Il faut en plus rappeler la très grande importance de la circulation de l’argent sous formes de bénéfices pris par les particuliers dans la vente de tous ces produits ou de distributions financières (situados) des caisses royales des vice-royautés en direction de tous les présides, particulièrement celle de la Nouvelle Espagne pour l’espace caribéen comme signalé plus haut.
***
42La monarchie espagnole ne put empêcher l’internationalisation des Caraïbes au xviie siècle, la conquête militaire des îles prolongeant les incursions des pirates et des corsaires tout en transformant certaines en plateformes commerciales de premier ordre pour animer un commerce interlope tous azimuts. Cette poussée se fit au sein d’une intense concurrence entre Anglais, Hollandais et Français et secondairement Danois et Suédois. Le processus s’enclencha avec le partage de Saint-Christophe entre Anglais et Français en 1625, la saisie des îles Leward et de la Barbade par les Anglais dans les mêmes temps, la prise de possessions de six petites îles des Petites Antilles par les Hollandais, dont les plus importantes furent Saint-Eustache et surtout Curaçao en 163477. Les Français retinrent la Martinique et la Guadeloupe en 1635. Cela sembla d’abord périphérique aux Espagnols qui qualifiaient la plupart de ces prises d’îles inutiles, d’autant plus que la pression néerlandaise, principal danger du moment, s’était détournée sur le Brésil portugais. La situation bascula au milieu du siècle lorsque les Hollandais se replièrent dans les Caraïbes après avoir été chassés du Brésil en 1654, les Anglais s’emparèrent de la Jamaïque en 165578 et les Français commencèrent à s’installer sur le littoral nord-ouest d’Hispaniola à partir de l’île de la Tortue. L’insertion ennemie touchait les Grandes Antilles, c’est-à-dire s’approchait dangereusement du cœur du système d’échanges hispano-américain.
43L’analyse du commerce des esclaves a déjà fourni l’opportunité d’expliquer la redoutable collusion entre ce dernier et l’explosion quantitative de la fraude et de la contrebande avec comme conséquences l’introduction croissante de produits manufacturés européens, principalement textiles, et la captation en conséquence d’un flux toujours plus grand des sorties de métaux précieux79. Par exemple, les registres de Portobelo de 1646 indiquent l’entrée de douze navires (2 728 tx) déclarant pout 22 400 pesos de marchandises contre 203 500 pesos en 1606 pour quatorze navires (5 630 tx80). Le trucage est manifeste, nécessitant l’entente entre les commerçants et les administrateurs de la Carrera. Comment expliquer cette dérive que la monarchie des Habsbourg fut incapable d’enrayer et dont elle prit le parti d’en récupérer une partie dans sa politique répressive mais plus sûrement dans les négociations financières de l’attribution de ses monopoles, entretenant ainsi un véritable cercle vicieux ? La fraude et la corruption qui ont rongé de l’intérieur la défense des intérêts impériaux sont-ils les conséquences de la puissance d’une mentalité coloniale chez les cadres de la monarchie composite pressés de s’enrichir au plus vite tout en demeurant le moins longtemps possible hors de la péninsule Ibérique ? Faut-il plutôt mettre en avant le décalage structurel croissant entre un marché en expansion, quantitativement et qualitativement, et une économie métropolitaine en régression ? L’interlope caribéen ne serait ainsi que l’autre face de l’infiltration de la Carrera à Séville et à Cadix. Est-ce tout simplement un effet du goulot d’étranglement produit par le choix d’un système monopolistique rigide quand on sait toutes les difficultés que ce type de Compagnies à privilèges a rencontré dans son fonctionnement dans l’Atlantique, justifiant rapidement l’association du secteur marchand privé extérieur moyennant l’acquittement de taxes compensatoires ? Faut-il y lire aussi une contradiction fondamentale de l’impérialisme espagnol au sein duquel l’abondance des métaux précieux a détourné une partie trop importante des élites des investissements commerciaux et manufacturés au profit d’un idéal rentier nourri de références aristocratiques traditionnelles81 ?
44Sans méconnaître la complexité de la question, il semble néanmoins pertinent de rappeler que toute contrebande de grande ampleur ne peut prospérer qu’au sein du divorce entre une dynamique sociale de consommation et sa non-satisfaction par le marché réglementé. Pour bien comprendre la nature de ces échanges intra-caribéens dans lesquels interviennent les mêmes acteurs et les mêmes filières dans une porosité intégrale entre le légal et l’illégal, il faut se souvenir que ces transgressions des normes commerciales n’ont aucunement érodé le loyalisme des sujets qui continuent à défendre vaillamment et le plus souvent efficacement leur ville portuaire fortifiée.
Notes de bas de page
1Lynch John, The Hispanic World in Crisis and Change, 1598-1700, Oxford, Blackwell, 1992 ; Parker Geoffrey (dir.), La crisis de la Monarquía de Felipe IV, Barcelona, Crítica/Instituto Universitario de Simancas, 2006.
2Romano Ruggiero, Coyunturas opuestas. La crisis del siglo xvii en Europa e Hispanoamérica, Mexico, Fondo de cultua económica, 1993.
3Leonard Adrian B. et Pretel David (dir.), The Caribbean and the Atlantic World Economy, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2015, introduction, p. 1-14. Cartes schématiques très suggestives de David Ormrod, p. 19 ; Daniels Christine et Kennedy Michael V. (dir.), Negociated Empires. Centers and Peripheries in the Americas, 1500-1820, New York, Routledge, 2002, Introduction, p. 1-14.
4Butel Paul et Lavallé Bernard (dir.), L’espace caraïbe. Théâtre et enjeux des luttes impériales, xvie et xviie siècles, Bordeaux, 1996 ; Bernal Ponce Juan, Ciudades del Caribe y Centroamérica del siglo xv al siglo xix, Cartago, Editorial technologica de Costa Rica, 1993.
5Elliot John H., Empires of the Atlantic World. Britain and Spain in America 1492-1830, New Haven/Londres, Yale University Press, 2006.
6Expression popularisée par Pierre Chaunu, très pertinente pour la forme géographique et surtout la dimension d’internationalisation. L’espace maritime caraïbe est toutefois beaucoup plus grand : 4,6 millions de km2 contre à peine 3 millions.
7Cuba, 114 500 km2 ; Hispaniola, 76 500 ; la Jamaïque, 11 000 ; Puerto Rico, 8 900.
8Buchet Christian, La lutte pour l’espace caraïbe et la façade atlantique de l’Amérique centrale et du sud (1672-1763), Paris, Librairie de l’Inde, 1991, p. 81. Le grand flux de circulation est-ouest enchaîne les courants de Guyane, des Caraïbes et de Floride. Les navires doivent s’adapter aux tourbillons texan et panaméen, au mouvement inverse de celui des aiguilles d’une montre.
9García-Baquero González Antonio, Cádiz y el Atlántico, 1717-1778. El comercio español bajo el monopolio gaditano, Séville, Escuela de Estudios Hispanoamericanos, 1988 (1976), p. 94-102, 145-150, 183-194, 540-550 ; Id., La Carrera de Indias : Suma de la contratación y océano de negocios, Séville, 1992, p. 23-39, 120-127, 317-319 ; Id., La Carrera de Indias. Histoire du commerce hispano-américain, Paris, Desjonquères, 1997, p. 17-32, 46-53, 89-93, 223-230.
10Elias Caro Jorge Enrique et Vidal Ortega Antonino (dir.), Ciudades portuarias en la Gran Cuenca del Caribe, Baranquilla, Ediciones Uninorte, Colombie, 2010.
11García de León Antonio, Tierra adentro, mar en fuera. El puerto de Veracruz y su litoral a Sotavento, 1519-1821, Veracruz, Universidad Veracruzana, 2014 (2011), p. 475-482.
12Vincenot Emmanuel, Histoire de La Havane, Paris, Fayard, 2016, p. 68-75.
13García de León Antonio, Tierra adentro…, op. cit., p. 17-18.
14Ibid., p. 631-635. Structure du commerce hispano-américain pour les importations en 1686. Valeur en millions de livres : France 17 043 (toiles de lin 10 004, draps de laine 2 740, vêtements 2 740, soieries 1 440) ; Gênes 7 301 (soieries 5 316) ; Angleterre 6 280 (draps de laine 3 700, cire 1 332, vêtements 868) ; Hollande 5 176 (draps de laine 2 120, soieries 1 000).
15García-Baquero González Antonio, La Carrera de Indias, Histoire …, op. cit., p. 223-228 ; Vincenot Emmanuel, op. cit., p. 123-124.
16García de León Antonio, Tierra adentro…, op. cit., p. 475-476, 635-640.
17Macias Isabelo, Cuba en la primera mitad del siglo xvii, Séville, Escuela de Estudios hispano-americanos, 1978, figure 4.
18Morineau Michel, Incroyables gazettes et fabuleux métaux. Les retours des trésors américains d’après les gazettes hollandaises (xviie-xviiie siècle), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 1985. Pour un bilan très complet et une récusation de la crise, voir en priorité Oliva Melgar José María, « La metropolí sin territorio. Crisis del comercio de Indias en el siglo xvii o pérdida del control del monopolio ? », in Carlos Martinez Shaw et José María Oliva Melgar (dir.), El sistema atlántico español (siglos xvii-xix), Madrid, Marcial Pons, 2005, p. 19-73 (tab. p. 22, 26-27). Réflexion précisée dans Oliva Melgar José María, « Los insondables galeones del tesoro y las informaciones diplomáticas toscanas sobre las remesas de plata americana en la segunda mitad del siglo xvii », in Isabel Lobato Franco et José María Oliva Melgar (ed.), El Sistema Comercial Español en la Economia Mundial (siglos xvii-xviii), Huelva, Universidad de Huelva Publicaciones, 2013, p. 129-155. Pour une vision récente légèrement décalée : Díaz Blanco José Manuel, Así trocaste tu gloria. Guerra y comercio colonial en la España del siglo xvii, Madrid, Marcial Pons, 2012, p. 19-32, 283-291.
19Stein Stanley J. et Stein Barbara H., Silver, trade and war : Spain and America in the making of early modern Europe, Baltimore, John Hopkins Press, 2000, p. 20-25.
20garcía de León Antonio, Contra viento y marea. Los piratas del golfo de México, Mexico, Plaza Janéz, 2004.
21Butel Paul, Les Caraïbes au temps des flibustiers, Paris, Aubier Montaigne, 1982, p. 54-61.
22Ibid., p. 62-66 ; Klooster Willem, « Dutch America beetwen Metropolitan Control and Divergence, 1600-1795 », in Christine Daniels et Michael V. Kennedy (dir.), op. cit., p. 171-191.
23Heijer Henk den, « The Dutch West India Company, 1621-1791 », in Johannes Postma et Victor Enthoven (dir.), Riches from Atlantic Commerce. Dutch Transatlantic Trade and Shipping, 1585-1817, Leiden-Boston, Brill, 2003, p. 77-113.
24Marrero Leví, Cuba : economía y sociedad, Madrid, Playor, 1975, vol. III, p. 95-96.
25Zahedieh Nuala, «“A frugal, prudential and hopeful trade”: privateering in Jamaica, 1655-1689 », Journal of Imperial and Colonial History, vol. 18, 1990, p. 145-168.
26Marrero Leví, op. cit., p. 125-158.
27Buchet Christian, op. cit, p. 177-203.
28Ramos Zúñiga Antonio, La ciudad de los castillos. Fortificaciones y arte defensivo en La Habana de los siglos xvi al xix, Victoria, Colombie britannique, Trafford, 2006 ; Castillo Meléndez Francisco, La defensa de la isla de Cuba en la segunda mitad del siglo xvii, Séville, Diputación provincial de Sevilla, 1986.
29Cabellos Barreiro Enrique, Cartagena de Yndias. Mágica Acrópolis de América, Madrid, Colegio de Ingenieros de Caminos, Canales y Puertos, 1991, p. 43-87.
30Montero Pablo (coord.), San Juan de Ulúa. Puerta de la Historia, vol. 1, Mexico, INAH, 1996 ; Ulúa. Puente intercontinental en sel siglo xvii, vol. 2, 1997 ; Ulúa. Fortaleza y presidio, vol. 3, 1998.
31Brewer Carias Allan R., La ciudad ordenada, Caracas, Criteria Editorial, 2006, p. 281-442.
32Vincenot Emmanuel, op. cit., p. 152-153.
33Torres B., La Armada de Barlovento, Séville, Escuela de estudios hispano-americanos, 1981, p. 35, 191.
34Vidal Ortega Antonino, Cartagena de Indias y la región histórica del Caribe, 1580-1640, Séville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos, 2002, p. 87-93.
35García del Pino César, El corso en Cuba, siglo xvii. Causas y consecuencias, La Havane, Editorial de Ciencias Sociales, 2001, p. 216-220.
36Cehopu, La Ciudad Hispanoamericana. El Sueño de un Orden, Madrid, CEHOPU-MOPU, 1989, p. 103-127, 147-163.
37Marrero Leví, op. cit., p. 53-56 ; Sorhegui d’mares Arturo, « Las tres primeras Habanas : contraposicion de intereses civiles y militares en la conformacion de una imagen propia de la ciudad », in Arturo Sorhegui d’mares, La Habana en el Mediterráneo americano, La Havane, Imagen contemporánea, 2007, p. 18-24 ; Sorhegui d’mares Arturo et La Fuente Alejandro de, La organización de la sociedad criolla en La Habana, La Havane, Editorial Política, 1994, 130-175.
38Les conquistadors sont les hommes de la Conquête et leurs héritiers. La encomienda est le régime juridique dominant au xvie siècle donnant droit de contrôle sur le travail des Indiens à condition de les maintenir dans le loyalisme et de s’occuper de leur évangélisation. Au xviie siècle, les élites terriennes préfèrent obtenir la transformation de leurs domaines en propriété privée.
39Sorhegui d’mares Arturo, « Elite, oligarquia o aristocracia en La Habana de los siglos xvi y xvii », in Arturo Sorhegui d’mares (dir.), La Habana…, op. cit., p. 132-148.
40Saupin Guy, « Las ciudades portuarias españolas del Caribe en la época moderna : que especificidad ? », Actes du colloque de Cadix Estudios portuarios y Logística, septembre 2017, à paraître.
41Almeida Mendes Antonio de, « The Foundation of the System : a Reassessment of the Slave Trade to the Spanish Americas in the Sixteenth and Seventeenth Centuries », in David Eltis et David Richardson (dir.), Extending the Frontiers : Essays on the New Transatlantic Slave Database, New Haven et Londres, 2008, p. 54-84 ; Id., « Les réseaux de la traite ibérique dans l’Atlantique nord. Aux origines de la traite atlantique (1440-1640) », Annales, Histoire, Sciences sociales, no 4, 2008, p. 739-768 (742) ; Id., Esclavages et traites modernes : le temps des empires ibériques, entre Moyen Âge et Modernité, entre Méditerranée et Atlantique (xve-xviie siècle). Une histoire globale, thèse d’histoire, dactyl., dir. Bernard Vincent, Paris, EHESS, 2007.
42Studnicki-Gizbert Daviken, A Nation upon the Ocean Sea. Portugal’s Atlantic Diaspora and the Crisis of the Spanish Empire, 1492-1640, Oxford, 2007, p. 37-66.
43Delgado Ribas Josep María, « The Slave Trade in the Spanish Empire (1501-1808). The Shift from Periphery to Center », in Josep M. Fradera et Christopher Schmidt-nowara (dir.), Slavery and Antislavery in Spain’s Atlantic Empire, New York/Oxford, Berghahn, 2013, p. 13-42.
44Studnicki-Gizbert Daviken, op. cit, p. 77-91.
45Delgado Ribas Josep María, op. cit., p. 19-20.
46García de León Antonio, op. cit., p. 501-535
47Vidal Ortega A., op. cit., p. 122-148. L’auteur dresse le portrait de Jorge Fernández Gramajo comme modèle de puissant commerçant d’esclaves, p. 135-144.
48Blom H. I., The Economic Activities of the Jews of Amsterdam in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Williamsport, Bayard Press, 1973, p. 30-45.
49Studnicki-Gizbert Daviken, op. cit., p. 91-106.
50Studnicki-Gizbert Daviken, « Revisiting 1640 ; or How the Party of Commercial Expansion Lost to the Party of Political Conservation in Spain’s Atlantic Empire, 1620-1650 », in Peter A. Coclanis (dir.), The Atlantic Economy during the Seventeenth and Eighteenth Centuries. Organization, Operation, Practice, and Personnel, Columbia, University of South Carolina Press, 2005, p. 152-185.
51García de León Antonio, op. cit., p. 512-519.
52Rupert Linda M., Creolization and Contraband. Curaçao in the Early Modern Atlantic World, University of Georgia Press, 2012, p. 18-42, 68-84.
53Crespo Solana Ana, Mercaderes atlánticos. Redes del comercio flamenco y holandés entre Europa y el Caribe, Córdoba, 2009, p. 109-113.
54Rupert Linda M., op. cit., p. 44-55, 135-146.
55Klooster Willem, Illicit Riches. Dutch Trade in the Caribbean, 1648-1795, Leyde, 1988, p. 98-102.
56Emmer Pieter C., The Dutch in the Atlantic Economy, 1580-1880 : Trade, Slavery and Emancipation, Aldershot, Ashgate, 1998 ; Jordaan Han, « The Curacao Slave Market. From Asiento Trade to Free Trade », in Johannes Postma et Victor Enthoven (dir.), Riches from Atlantic…, op. cit., p. 219-232.
57Postma Johannes, The Dutch in the Atlantic Slave Trade, 1600-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 26-42. Introduction d’au moins 4 200 esclaves par an de 1668 à 1674.
58Davies K. G., The Royal African Company, Londres, Longmans, Green and Co., 1957, p. 14-23.
59Delgado Ribas Josep María, op. cit., p. 23-25.
60Zahedieh Nuala, « Commerce and Conflict : Jamaica and the War of the Spanish Sucession », in Adrian B. Leonard et David Pretel (dir.), The Caribbean …, op. cit., p. 68-83.
61La Fuente Alejandro de, Havana…, op. cit., p. 10, 147-185.
62García de León Antonio, op. cit., p. 86-87.
63Eltis David et Richardson David (dir.), Atlas of the Transatlantic Slave Trade, New Haven, Yale University Press, 2010, tableau 6, p. 202.
64Ibid., carte 148, p. 224.
65Zahedieh Nuala, The Caribbean…, op. cit., p. 78. Portobelo (3 671 ventes à 242 pesos de moyenne par tête), Carthagène (1 295 à 190 pesos), La Havane (1 246 à 207 pesos) et Veracruz (389 à 199 pesos).
66O’Malley Gregory, Final Passages. The Intercolonial Slave Trade of British America, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2014, p. 109-110, 152.
67Etemad Bouda, La Possession du monde. Poids et mesures de la colonisation, Bruxelles, Complexe, 2000, p. 5-40, 188.
68Pétré-Grenouilleau Olivier, « Puissances maritimes, puissances coloniales : le rôle des migrations de population (vers 1492-1792) », in Christian Buchet, Jean Meyer et Jean-Pierre Poussou (dir.), La puissance maritime, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2004, p. 351-356.
69Sánchez Albornoz Nicolás, « The first transatlantic transfer : Spanish migration to the New World, 1493-1810 », in Nicholas Canny (ed.), Europeans on the Move. Studies on European Migration, 1500-1800, Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 26-36.
70García Díaz Bernardo et Guerra Vilaboy Sergio (coord.), La Habana/Veracruz, Veracruz/La Habana. Las dos orillas, Mexico, Universidad Veracruzana/Universidad de La Habana, 2002.
71Brewer Carias Allan R., op. cit., p. 281-288.
72La Fuente Alejandro de, « Población y crecimiento en Cuba (siglos xvi y xvii) : un estudio regional », European Review of Latin American and Caribbean Studies, no 55, déc. 1993, p. 82.
73Ortega Pereyra Ovidio, El Real Arsenal de la Habana. La construcción naval en La Habana bajo la dominación española, La Havane, Letras cubanas, 1998, p. 27-36 ; Marrero Leví, op. cit., vol. IV, p. 78-83.
74Vidal Ortega Antonino, op. cit., p. 169-208.
75Náter Laura, « The Spanish Empire and Cuban Tobacco during the Seventeenth and Eighteenth Centuries », in Peter A. Coclanis, op. cit., p. 252-276.
76Sorhegui d’mares Arturo, « El puerto de la Habana : de principal enclave del comercio indiano a cabecera de una economia de plantacion », in Jorge Enrique Elias Caro et Antonino Vidal Ortega (dir.), Ciudades portuarias en la Gran Cuenca del Caribe. Vision historica, Baranquilla, Colombie, Ediciones Uninorte, 2010, p. 74-80.
77Rupert Linda M., op. cit., p. 68-84, 165-174, 188-213 ; Cwik Christian, « Curazao y Riohacha en marco del contrabando judío (1650-1750) », in Jorge Enrique Elias Caro et Antonino Vidal Ortega (dir.), op. cit., p. 302-327 ; Klooster Willem, « Curaçao and the Caribbean Transit Trade », in Johannes Postma et Victor Enthoven (dir.), Riches from Atlantic…, op. cit., p. 203-218.
78Zahedieh Nuala, « The merchants of Port Royal, Jamaica, and the Spanish contraband trade, 1655-1692 », William and Mary Quartely, vol. 63, 1986, p. 570-593.
79Klooster Willem, Illicit Riches. The Dutch Trade in the Caribbean, 1648-1795, Leyde, 1995.
80Vila Vilar Enriqueta, « Las ferias de Portobelo. Apariencia y realidad del comercio con Indias », Anuario de estudios americanos, no 39, 1982, p. 290-292.
81Oliva Melgar José María, « La metropoli sin territorio… », art. cité, p. 37-66 ; Alloza Aparicio Ángel, Europa en el mercado español. Mercaderes, represalias y contrabando en el siglo xvii, Valladolid, 2006.
Auteur
-
Guy Saupin
Professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Nantes, membre du Centre de recherches en histoire internationale et atlantique (CRHIA-EA 1163). Il est spécialiste des villes atlantiques en Europe à l’époque moderne. Il a notamment dirigé les ouvrages La péninsule Ibérique et le monde, 1470-1640 et Africains et Européens dans le Monde atlantique, xve-xixe siècle, publiés aux Presses universitaires de Rennes (2013-2014).

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