3 Le terme « accommodation » se substitue à celui de « collaboration ». Il décrit de façon plus adéquate et plus exhaustive le type de relation instaurée en période coloniale entre le pouvoir français et les autorités religieuses sénégalaises. La paternité du terme « accommodation » revient à David Robinson, Paths of accommodations. Muslim societies and French colonial authorities. Senegal and Mauritania, 1880-1920, Ohio University Press, Athens, James Currey, 2000, Oxford. En 2004, cet ouvrage, traduit en français, a été édité chez Karthala.

4 Observer et comprendre le fragile équilibre instauré en période de « paix coloniale », entre les enjeux des uns (la mission civilisatrice, la domination…) et les enjeux des autres (la tranquillité religieuse, l’expansion de l’Islam…).

5 L’expression « Islam noir », notée entre guillemets, est ici envisagée dans le cadre d’une politique musulmane en contexte colonial. Que ce soit chez les administrateurs ou chez les historiens de la première moitié du XX^e siècle, l’expression véhicule des sous-entendus qui la font très souvent rimer avec : infériorité, simplicité et malléabilité. Après les indépendances, les historiens tels Monteil, Cruise O’Brian, Trimingham et autres, tentent de donner à l’expression une réalité débarrassée de toutes les scories de l’époque coloniale. Ainsi, la notion d’Islam noir recouvrirait un syncrétisme que l’on pourrait qualifier de positif : « africanisation de l’Islam, par réaction dialectique de la personnalité africaine » selon Vincent Monteil. L’expression ne contiendrait plus de considérations qualitatives purement subjectives, mais signifierait que les sociétés africaines auraient adapté l’Islam à leurs structures sociales, et conservé certaines formes de la religion traditionnelle, tout en maintenant intact ce que l’on appellera « l’Islam des principes ». Dans ce texte, nous utiliserons l’expression entre guillemets lorsque celle-ci sera attribuée à l’administration coloniale, sinon nous lui préférerons l’expression Islam au sud du Sahara.

6 Le Soufisme est, à l’origine, la volonté de créer, au sein de la communauté musulmane, des relations d’enseignement de maître à élève. Mais il se définit davantage par son objectif ; ainsi le soufi est semblable à « un voyageur sur la voie du retour à son créateur ». Dans l’Islam soufi, la confrérie offre aux initiés des liens de solidarité.

7 Au sein même de la colonie, seuls les habitants des quatre communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar) bénéficient de certains privilèges. Ainsi, ces derniers reçoivent, en 1871, le droit d’envoyer un député au Parlement français, puis celui d’élire leurs propres conseils municipaux. En 1879, le Sénégal est doté d’un conseil général. À partir de l’élection du premier député noir Blaise Diagne le 10 mai 1914, l’assimilation politique des Sénégalais prend une autre vitesse ; le 29 septembre 1916, la loi Diagne accorde officiellement la citoyenneté française à tous les originaires des quatre communes. Le reste de la population sénégalaise demeure cependant enclavé dans le statut de sujet, et donc, soumis à l’indigénat.

8 Paul Marty, Études sur l’Islam au Sénégal, Paris, Leroux E., 1917. Tome II : Les doctrines et les institutions, p. 108-109.

9 Malgré l’ambiguïté du terme « traditionnel », souvent utilisé comme un « fourre-tout » commode mais imprécis, nous utiliserons ici l’expression « élites musulmanes traditionnelles » pour désigner les chefs des confréries musulmanes, les distinguant ainsi des acteurs du courant réformiste musulman émergent, au Sénégal, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

10 Quellien A., La politique musulmane en Afrique occidentale française, Paris, Larose, 1910. Chapitre III : La politique musulmane de l’AOF, p. 189.

11 « Colonisation », article de Knock paru en page de couverture de l’hebdomadaire dakarois, Le Petit Sénégalais, le 16 mai 1914, n° 247. Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), Dakar, Sénégal.

12 Phrase de conclusion de l’article « Colonisation » (op. cit.).

13 Caricature intitulée « Illusion noire », illustrant l’article « Colonisation » (op. cit.).

14 Delavignette R., Service africain, Paris, Gallimard, 1946, p. 235.

15 On retrouve ce point de vue chez les principaux observateurs du monde musulman africain au cours de l’époque coloniale. On peut citer entre autres : Alphonse Gouilly, Alain Quellien, Paul Marty, Fernand Quesnot, Georges Hardy, Pierre Rondot.

16 Louis Faidherbe (1818-1889) est gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861, puis de 1863 à 1865.

17 Seydou Nourou Tall est grand marabout de la Tidjanîyya. Il est le petit-fils d’El Hadj Omar Tall. Sa personnalité controversée fait de lui un obligé de l’administration coloniale, ainsi que la personnalité la plus en vue de l’AOF.

18 Traduction d’un manuscrit de Seydou Nourou Tall adressé aux nommés Abdallahi à Palimé au Togo (Dakar le 20 septembre 1938). Tentative pour régler un problème de succession d’un khalifat. Archives nationales du Sénégal (ANS), fonds AOF, archives privées, 1Z95 (13).

19 Extrait d’une lettre de notables indigènes adressée au gouverneur Marcel de Coppet en 1938, à l’occasion de la pose de la première pierre de la grande mosquée de Dakar. Centre des Archives diplomatiques de Nantes (CADN), fonds AOF, « Dakar », n° 358.

20 « Message de Mamadou Moustapha M’Backé à tous les musulmans » cité dans le télégramme n° 1660 APA/2, Saint-Louis, le 18 septembre 1941, à l’intention de l’administrateur de Diourbel, au sujet du réconfort moral des tirailleurs à Djibouti. ANS, fonds du Sénégal colonial, 11D1/0049, cercle de Diourbel, Affaires politiques et religieuses : mouridisme et tidjanisme (1937-1959).

21 Extrait d’un entretien réalisé avec Saliou Kandji (né en 1924), le 7 mai 2003 à Dakar. Saliou Kandji est moqqadem de la Tidjanîyya. En 1953, Il est l’un des fondateurs de l’Union Culturelle Musulmane (UCM).

22 Extrait d’un entretien avec le professeur Ciré Ly (né en 1929), le 18 mai 2003 à Dakar. Ciré Ly est le fondateur de l’Association musulmane des étudiants Africains (AMEA) en 1953.

23 La résistance musulmane à la pénétration française est incarnée pendant la seconde moitié du XIX^e siècle par des personnages comme El Hadj Omar du Fouta Toro, Lat Dior, Damel du Cayor, Alboury N’Diaye, roi du Djoloff, et surtout par le fondateur de la Mouridîyya, Cheikh Amadou Bamba qui connut successivement trois exils.

24 Cheikh Tidiane Sy est un des fils de Babacar Sy, khalife général des Tidjanes de 1929 à 1957.

25 Cheikh Tidiane Sy, La confrérie sénégalaise des Mourides, un essai sur l’Islam au Sénégal, Présence Africaine, 1969, p. 208.

26 Delavignette R., Service africain, Gallimard, Paris, 1946, p. 30.

27 Rapport sur l’Islam en Afrique noire de l’inspecteur Massa pour le ministère de la FOM : « Les influences diffuses », 1958. CADN, fonds ambassade de France à Dakar, n° 361.

28 « L’Islam dans les colonies françaises et les territoires sous mandat », partie V : « Politique à suivre à l’égard des populations musulmanes », session du Haut Comité Méditerranéen et de l’Afrique du Nord, mars 1938. CADN, fonds Ambassade de France à Dakar, n° 361.

29 « Politique à suivre en AOF », après enquêtes auprès des gouverneurs de la fédération ouest-africaine. Extrait du rapport commandé par la session de mars 1938 du Haut Comité Méditerranéen : « L’Islam dans les colonies françaises et les territoires sous mandat », op. cit.

30 Document confidentiel adressé au gouverneur du Sénégal par G. Capela, le chef des Affaires politiques et administratives, le 10 avril 1947. CADN, ambassade de France au Sénégal, n° 367.

31 Extrait du rapport politique du cercle de Thiès par le commandant Lami. Rapport adressé à l’officier des Affaires musulmanes, le lieutenant Nekkach, en 1953. P 13/14. CADN, fonds AOF, « Dakar », n° 198.

32 Extrait du discours d’ouverture du 1^er congrès de l’Association musulmane des étudiants africains par Seydou Nourou N’Diaye, en avril 1956. Cité dans le journal de l’association Vers l’Islam, n° 11, avril 1956. IFAN, Dakar.

33 Nous pouvons citer l’Association des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), l’Association musulmane des étudiants d’Afrique noire (AMEAN), l’Union culturelle musulmane (UCM) ou encore l’Association générale des étudiants d’Afrique de l’Ouest (UGEAO).

34 Le Réveil islamique, août 1954. IFAN, Dakar.

35 Propos de Seydou Nourou N’Diaye lors du congrès de l’AMEAN en 1956. CADN, fonds AOF « Dakar », n° 115.

36 La mise en place de la Loi-cadre de 1956 réduit considérablement les moyens d’action d’une politique musulmane qui veut malgré tout se maintenir. En effet, par l’arrêté du 24 mai 1957, le chef de territoire, président du Conseil du gouvernement de l’AOF délègue au ministre de l’Intérieur du Sénégal la gestion d’un certain nombre de services publics (Intérieur et Enseignement) parmi lesquels le bureau des Affaires politiques et administratives.

37 Extrait du rapport politique trimestriel du cercle de Thiès, 1956. CADN, fonds AOF « Dakar », n° 198.

38 Expression du commandant Corbel du bureau de synthèse des Affaires militaires et musulmanes en 1960 dans une note intitulée « Note sur l’orientation pro-islamique et proarabe au Sénégal ». CADN, fonds Ambassade de France à Dakar, n° 364.

39 La Ligue islamique du Mali, créée au début de l’année 1960, se consacre à la diffusion de l’enseignement coranique et au maintien de l’Islam dans sa forme originale. Elle rassemble, sous couvert de l’Islam, les partis et les organisations de tendances diverses de la Fédération du Mali.

40 La Ligue islamique mondiale est créée en 1962 ; elle a son siège à La Mecque et est dirigée par un conseil international de soixante docteurs de l’Islam. Dans les années soixante-dix, des conseils nationaux et régionaux ont été mis en place : ainsi est créé un conseil de coordination islamique pour l’Afrique noire.

41 Dans les premières années de la décennie soixante, l’ambassade a élaboré un rapport de quinze pages sur « La pénétration nassérienne en Afrique noire ». Celui-ci conclut à la volonté farouche du leader égyptien de faire pénétrer en Afrique subsaharienne le socialisme arabe et le réformisme. En 1963, un comité secret pour l’islamisation de l’Afrique aurait même été mis en place, coiffé par quelques dirigeants politiques et religieux de différentes régions d’Afrique. CADN, fonds Ambassade de France à Dakar, n° 286.

42 La France demeure fortement attachée à ses anciennes colonies, et plus particulièrement au Sénégal. Ce territoire ouest-africain a été un des tout premiers lieux de rencontre entre colonisés et colonisateurs ; l’assimilation politique et culturelle y a également été appliquée avec plus de force qu’ailleurs.

43 Extrait du rapport sur la doctrine et le programme du Parti de la Fédération Africaine (par Léopold Sédar Senghor), au cours du congrès constitutif du parti en juillet 1959. CADN, fonds Ambassade de France à Dakar, n° 343.

44 Rapport de fin de mission de l’ambassadeur de France au Sénégal de 1964 à 1969, Jean Vyau de Lagarde, le 21 février 1969 et adressé au ministre des Affaires étrangères Michel Debré. CADN, fonds Ambassade de France à Dakar, n° 177.

45 Déclaration du ministre Doudou Thiam au journal La Nation en 1964. CADN, Fonds ambassade de France à Dakar, n° 277.

46 Cet « autre » étant Africain, musulman, ou Africain musulman.