La Caraïbe insulaire, une périphérie européenne (1957-2007) ?
p. 117-132
Texte intégral
1Lors des négociations autour du Traité de Rome, la France, soumise aux pressions de ses partenaires de la CECA, pose pour condition à l’acceptation d’un nouveau projet, la prise en compte dans le nouvel ensemble des espaces de l’outre-mer. Bien évidemment, en ces temps troublés où Guy Mollet préside le Conseil de la IVe République et où son ministre des Affaires étrangères Christian Pineau envoie l’essentiel des directives à ses négociateurs, les dirigeants français pensent bien sûr à intégrer au nouvel ensemble les départements d’Algérie. Les « espaces du lointain », comme les appelleront les terminologies de la géographie plus contemporaine, territoires du Pacifique, de l’océan Indien ou de l’Amérique, sont envisagés de manière marginale, même si les Pays-Bas disposent aussi de quelques terres, restes d’un Empire colonial dépouillé. Pour autant, la France obtient gain de cause et la CEE se développe bien sur les cinq continents. Un demi-siècle plus tard, l’Europe colonisatrice s’est totalement effondrée, mais, quelques pays ont conservé des micro-territoires, ou des espaces plus larges, notamment la France avec la Guyane et la Nouvelle-Calédonie.
2La Caraïbe insulaire offre cependant une caractéristique propre, celle d’un espace où trois pays européens restent présents1, le Royaume-Uni (Îles Vierges britanniques, Montserrat…), les Pays-Bas (Saint-Martin, Saint Kitts), et la France (Martinique, Guadeloupe et dépendances, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et la Guyane sur le sous-continent sud-américain). Si les Britanniques ont eu tendance à se détacher durablement de ces espaces dans le cadre du Commonwealth selon des processus d’indépendances qui se sont développés dans les années 1960-1970 ; si les Néerlandais n’accordent que peu de place à des territoires très autonomes ; bien au contraire, les Français affichent son attachement à ces régions monodépartementales, sur lesquelles le drapeau tricolore reste bien ancré2. Mieux même, Paris y mène sans discontinuer une politique « d’assimilation ».
3D’ailleurs, en ce début de xxie siècle, en 2002, comme en 2007, les principaux candidats à l’élection présidentielle française ont confirmé leur attachement au maintien des départements et territoires d’outre-mer dans l’ensemble national, notamment lors de chacun de leur déplacement insulaire3. Pour autant, les difficultés identitaires de ces espaces, le désarroi économique souvent constaté en terme de « mal développement », ou encore les troubles sociaux récurrents qui s’y développent4, comme les ont révélées à l’opinion métropolitaine les grèves du début de l’année 2009, ont poussé depuis plusieurs années la classe politique nationale à s’interroger sur des évolutions statutaires, pouvant tendre à concéder plus d’autonomie. En 2003, des consultations référendaires, consécutives aux projets de réformes institutionnelles initiés par le gouvernement Jospin deux ans plus tôt, ont eu lieu dans les trois Départements Français d’Amérique (DFA). Les populations ont toutes rejeté une évolution statutaire qui aurait pu conduire à assouplir les liens avec la « mère-patrie ». Dès lors, quelles que soient les transformations institutionnelles envisagées par les divers gouvernements, l’affirmation de la souveraineté française sur ces territoires est exprimée avec force lors des dernières campagnes électorales, et ce même si la Martinique est dirigée depuis une décennie par un parti politique indépendantiste, le Mouvement Indépendantiste Martiniquais (MIM). Dès lors, en vertu du traité de Rome, réaffirmé par ceux de Maastricht et d’Amsterdam, les DFA font bel et bien partis de l’Union européenne. Le langage technocratique bruxellois ne s’y est pas trompé : il s’agit de « régions ultra-périphériques », qui bénéficient de programmes européens propres, comme les îles portugaises et espagnoles de l’océan Atlantique. Le mot « périphérie » est employé dans le vocabulaire officiel, l’Europe n’hésite pas à afficher sa présence sur place : le logo du FEDER est omniprésent en Martinique par exemple sur chacune des infrastructures, récemment construites, aéroport du Lamentin, nouveau port de Fort-de-France, sans parler du moindre rond-point, censé améliorer des voies de circulation généralement saturées par un trafic automobile extrêmement dense.
4S’interroger sur le sens de cette « périphérie » dans un contexte où la « mondialisation » est si omniprésente, apparaît comme un objet à la frontière du territoire du géopoliticien et de l’historien. Pourquoi l’Europe s’arrime-t-elle, derrière Paris, à maintenir une présence dans ces terres du lointain, dont les bilans montrent qu’elles ont eu un coût pour la nation particulièrement lourd, avec des résultats très ambivalents5 ? L’article ne cherchera pas à donner des réponses qui nécessiteraient des recherches croisées qui sont l’objet d’autres travaux plus larges, mais s’interrogera davantage sur le sens donné à l’importance de cette périphérie par les dirigeants européens.
L’EUROPE DANS LA CARAÏBE : QUELS INTÉRÊTS ?
Les intérêts économiques
5Pourquoi les pays européens cherchent-ils à conserver leurs territoires du lointain ? La question s’est posée tout au long des années de l’après Seconde Guerre mondiale dans le contexte de décolonisation. En France, déjà, face à la guerre d’Algérie, les économistes montraient que l’intérêt national commandait de « lâcher » une terre riche en pétrole, plus que de maintenir une présence coûteuse et belliqueuse. Le « cartiérisme », avec sa très médiatique formule, « la Corrèze plutôt que la Zambèze », diffusait auprès de l’opinion un slogan critique contre la présence outre-mer. Si la plupart des territoires sont abandonnés dans les années 1960, notamment dans la Caraïbe anglaise, les questions sont toujours présentes pour les DOM-TOM français jusqu’à nos jours. Tout au long des années 1960, des mouvements indépendantistes se font entendre aux Antilles, mais Paris affirme son ancrage territorial sur place, au besoin par l’utilisation poussée de la force policière6. La décentralisation, issue des réformes des années 1982-1984, laisse plus de marge de manœuvre aux élus locaux, mais n’étouffe pas définitivement la question. En 1988, les incidents qui éclatent en Nouvelle-Calédonie la reposent. La répression menée entre les deux tours de l’élection présidentielle interroge sur le devenir de la présence française. Si la négociation qui s’ensuit conduit à un glissement vers plus d’autonomie, l’indépendance se profile à l’horizon, même si la France reste attentive à une terre riche en Nickel.
6Dans la Caraïbe, dès 1945, rien ne justifie d’un point de vue strictement financier, le maintien des terres françaises dans l’ensemble national. Sur les marchés parisiens, on achète de l’ananas africain, de la banane du Costa Rica, du café colombien, des mangues et papayes d’Indonésie, et plus tard des avocats israéliens. Le sucre de canne est plus coûteux que celui de betterave, et le rhum est vendu trois fois au prix de sa valeur…, celui d’Amérique centrale étant distribué à meilleur prix. Le traité de Rome essaie de porter un nouveau souffle notamment pour les produits agricoles. La Martinique et la Guadeloupe bénéficient de la Politique Agricole Commune (PAC), surtout pour quelques secteurs comme la banane à partir du milieu des années 1970 : soutiens aux prix, politiques de quotas, aides à la modernisation des exploitations7… Mais, malgré les aides européennes, les exploitations sont loin de proposer des productions rentables face aux concurrents venus d’Afrique ou de l’Amérique centrale. Le problème, structurel, rappelle les difficultés du secteur sucrier trente ans plus tôt. Or, en Martinique comme en Guadeloupe, les mentalités agricoles ne semblent pas prêtes à modifier les cadres d’une politique subventionnée autour de la grande plantation8. Les tentatives subventionnées d’introduction de nouveaux produits depuis les années 1970 se sont faites à reculons, et ont échoué. En termes agricoles, plus personne ne croit en l’avenir de ces terres.
7Le tourisme est un second pôle d’activité particulièrement appuyé par l’UE dans la Caraïbe. Première ressource des DFA en terme de revenus, qu’apportet-il réellement ? La politique européenne a surtout visé à améliorer les infrastructures locales par des aides ponctuelles dans le cadre du FEDER (aéroports, marinas, front de mer, routes, etc.). Pour autant, l’intérêt économique paraît ici bien ténu. La desserte aérienne des îles françaises se limite à des vols réguliers ou charters avec la métropole, plus ponctuellement avec l’Italie ou le Canada par des vols très irréguliers. Les États-Unis ne sont plus desservis que par de petits avions9. Le bilan est bien maigre et montre un relatif abandon du tourisme dans les Caraïbes françaises, un véritable isolement géopolitique10. Les compagnies européennes lorgnent davantage vers les pays indépendants : Cuba, Saint-Domingue, Bahamas, etc.
8Le seul intérêt économique réel de l’Europe dans la Caraïbe est la présence de la base de lancement de la fusée Ariane en Guyane. Outre qu’il a dopé l’économie guyanaise, le lanceur spatial de Kourou est devenu le premier du monde (en nombre de satellites lancés) et le plus rentable de la planète. La société Ariane Espace recouvre non seulement des intérêts déterminants pour la France, mais aussi pour l’ensemble des pays de l’UE qui participent au programme (Royaume-Uni, RFA, Espagne, Italie…). Les grands groupes du secteur aérospatial, mais aussi de l’électronique et de l’informatique y participent. C’est la partie la plus dynamique de l’industrie européenne qui est en jeu. On comprend donc l’attachement profond de la France à la Guyane, et le soin porté à cette région par les autorités françaises et européennes11. Les aides européennes y incluent tous les secteurs : agriculture, pêche, forêt, industrie, et depuis quelques années, le tourisme. L’image d’une Guyane terre de bagnards a cédé la place à celle d’une Guyane terre de la conquête spatiale en France métropolitaine12. Cette situation révèle l’attachement de la France à ces terres équatoriales. Pour autant, la Martinique et la Guadeloupe ne disposent d’aucun effet induit par la présence du lanceur spatial et de l’essor économique guyanais qui semble plus autocentré que s’intégrant à une dynamique en lien avec la Caraïbe insulaire.
9Au bilan, les Antilles ne sont plus des terres attractives pour les Européens en termes économiques. Les aides, nombreuses, permettent certes de mieux vivre ici que dans les îles voisines et de satisfaire partiellement aux discours politiques récurrents d’une égalisation des niveaux de vie « métropole/DOM », même si la dépendance y est chaque année plus forte.
Les intérêts diplomatiques et stratégiques de l’Europe dans la Caraïbe
10L’intérêt d’une présence européenne dans la Caraïbe relève-t-il d’un ordre géostratégique ? La France sert-elle ici de tête de pont à l’Union européenne, elle qui préserve une présence sur les cinq continents afin de jouer un rôle militaire et culturel actif depuis le début des années 1960. Cette stratégie, vieil héritage de la diplomatie moderne, dont l’origine peut remonter à Richelieu ou Louis XIV, n’a jamais été reniée depuis. Cet intérêt a été renforcé par la présence du lanceur spatial13. La Guyane accueille en outre un centre d’entraînement de l’élite de l’Armée française (la Légion étrangère), qui, parallèlement, surveille le centre spatial. Le maintien des îles françaises de la Caraïbe serait alors largement lié et justifié par la présence de Kourou ? La Martinique accueille ainsi des bases-relais satellites pour le lanceur. En cas de troubles sociaux14, la Martinique et la Guadeloupe offrent des bases arrières privilégiées pour l’évacuation des techniciens français et pour une intervention militaire. Les équipements aéroportuaires, et navals des îles françaises sont d’un intérêt stratégique certain : 8 000 militaires sont présents dans les DFA en 2008 encore.
11Mais la situation guyanaise est-elle durable15 ? À l’échelle départementale, la Guyane est traversée depuis une dizaine d’années par de nombreuses violences et émeutes, qui concernent surtout la jeunesse d’origine créole. Les écarts sociaux, l’endettement y sont plus forts qu’ailleurs. Le niveau de vie des « métropolitains » de Kourou est trois fois supérieur de celui du reste de la population. Les menaces sociales sont très lourdes, d’autant plus que la présence d’une forte communauté étrangère (30 % de la population) renforce les tensions16. De même, la pérennité du lanceur spatial est discutée. Les États-Unis développent un projet de construction de base maritime, plate-forme artificielle placée au niveau de l’équateur, qui serait plus rentable que la base française. En réaction, l’UE élabore un projet comparable17. Si on y ajoute la difficile gestion de l’environnement en plein cœur du bassin amazonien et l’insécurité grandissante sur les marges territoriales, notamment dans les zones aurifères (les dérives mafieuses sont souvent évoquées, la gendarmerie impuissante)18, l’avenir de la Guyane est fragile.
12Si l’intérêt stratégique ne se défend que par le biais de la présence de Kourou, qu’en est-il des intérêts diplomatiques ? Présente dans la Caraïbe, L’Europe, via ses différents États, aspire depuis une vingtaine d’années à une immersion dans les organisations de la Caraïbe, afin de limiter l’influence nord-américaine19. Le fait est notamment vrai pour le soutien au développement du grand marché économique dans la Caraïbe (CARICOM)20, pour laquelle la France a organisé un sommet au printemps 2000, en Guadeloupe. Derrière la France, c’est bien l’UE qui est présente, phénomène renforcé par la présence des possessions hollandaises et britanniques dans la zone. Ces initiatives diplomatiques sont encouragées par les élites politiques martiniquaises et guadeloupéennes, qui voient à travers ces institutions supranationales un moyen de favoriser leur insertion régionale21. Dans le contexte de mondialisation, l’UE, par ses possessions, cherche à pénétrer de nouveaux marchés.
Les limites
13Ces intérêts sont cependant limités par les difficultés propres à la Caraïbe : blanchiment de l’argent sale par le biais des paradis fiscaux insulaires voisins22, plaque tournante du trafic de drogue, développement du sida, violence sociale endémique. Aujourd’hui, alors que l’ouverture est à peine entamée, les fléaux modernes sont déjà présents aux Antilles françaises et néerlandaises. Le trafic de drogue s’est répandu dans les principales villes, notamment à Fort-de-France depuis le milieu des années 1980, avec une consommation importante du « crack », cocaïne du pauvre. Le développement de ce trafic de drogue, mal maîtrisé par les autorités, est un obstacle à l’ouverture vers le monde caraïbe. Dans le même temps, la crainte de voir se développer le sida par le biais migratoire, comme en Guyane, hante les autorités sanitaires et sociales. Le bassin Caraïbe, après l’Afrique, est la seconde zone la plus atteinte au monde. Là aussi, une ouverture des frontières fait craindre un risque de propagation accélérée vers l’Europe par le jeu migratoire. De même, l’ouverture des frontières économiques signifierait dans la logique libérale, la « libre circulation des hommes ». Or, les DFA sont actuellement toujours entourés d’États très pauvres. En Guyane ou en Guadeloupe, les tensions sociales liées à une forte présence étrangère créent des violences, notamment contre les Haïtiens23. Le risque migratoire bloque la coopération économique vers la Caraïbe, que certains jugent socialement risquée. Enfin, l’ouverture économique signifierait que l’investissement des grands groupes français (banques ou même tourisme), ne se ferait plus vers les îles françaises, mais plutôt vers des lieux plus rentables et mieux desservis depuis Paris (Cuba, Saint-Domingue par exemple). Certains responsables politiques locaux souhaitent donc éviter une ouverture trop brutale, qui pourrait nuire à l’économie intérieure des DFA. De plus, le système bancaire serait fragilisé. Les placements financiers des entrepreneurs locaux partiraient rapidement vers les paradis fiscaux voisins (Antigua notamment), affaiblissant davantage l’investissement24. Au bilan, si la France a intérêt à regarder, via les DFA, vers de nouveaux horizons, pour les DFA en eux-mêmes, l’ouverture est très risquée. On comprend ainsi les craintes insulaires d’une ouverture vers la Caraïbe. L’Europe est ici soumise à une profonde contradiction…
TERRES D’EUROPE OU D’AMÉRIQUE ?
14Sortir de la contradiction est-il possible ? Le géographe Maurice Burac a affirmé pour relancer un débat figé25 : « La Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, c’est l’Amérique ». Une telle affirmation repose sur un double raisonnement : tout d’abord celui présentant une société qui s’apparente davantage dans sa réalité socioculturelle plus aux terres de la Caraïbe qu’à l’Europe ; et ensuite, une réalité économique qui montrerait que si l’investissement des acteurs privés n’est pas rentable à l’intérieur des frontières des DFA, il peut l’être à l’extérieur, dans les îles voisines, faisant ainsi des Antilles françaises, plus riches que les autres États, la tête de l’impulsion économique régionale, un centre décisionnel, financier et culturel.
Une géopolitique caraïbe complexe
15La Caraïbe est une zone qui se dissocie en divers ensembles. Plusieurs types de distinctions peuvent paraître opératoires26 : une opposition Caraïbe insulaire et Caraïbe continentale ; une opposition nord/sud, qui se calquerait sur les niveaux de richesses ; une opposition est-ouest, valable à l’époque des guérillas communistes et qui n’est plus opératoire que pour Cuba ; des oppositions culturelles, reposant sur les origines coloniales des diverses terres (Caraïbes anglophone, hispanophone, francophone, néerlandophone)…
16Un premier constat s’impose : la Caraïbe, qu’elle soit continentale ou insulaire est sous dépendance nord-américaine, tant d’un point de vue militaire qu’économique27. Le seul exemple militaire des années 1980 rappelle les interventions directes des GI’s à Grenade, en Haïti, au Panama, au Nicaragua, au Salvador… Il paraît inutile de rappeler la forte présence des entreprises américaines dans le bassin, notamment dans les îles anglophones. Enfin, cette domination est bien évidemment présente dans les flux migratoires, officiels et surtout clandestins, qui tous s’orientent vers les États-Unis. Le second constat révèle l’existence d’au moins quatre grandes zones géopolitiques : au nord les États-Unis et le Canada, puissances riches, omniprésentes dans la zone ; à l’ouest, l’Amérique centrale, tournée largement vers sa côte Pacifique et qui ne connaît que ses interlocuteurs du nord (on tourne le dos à la Caraïbe) ; au sud, les États sud-américains ont une attitude à peine plus ouverte (le Venezuela28, la Colombie, la Guyane) ; enfin au centre, la Caraïbe insulaire semble isolée, fragmentée29, et tournée elle aussi vers le nord, les États-Unis pour la majorité des États. Dans cet ensemble, les territoires appartenant aux Européens sont isolés. Si l’on peut donc souscrire à l’idée que ces territoires appartiennent tous à l’Amérique, les héritages sont complexes et la construction d’un espace structuré apte à sortir la majorité de ces pays d’un retard de développement reconnu par tous, paraît illusoire.
L’omniprésence américaine
17Face aux États-Unis et au Canada, l’UE a une marge de manœuvre bien restreinte. Si dans les années 1960, après la malheureuse expérience cubaine, les Américains ont eu l’occasion d’intervenir militairement pour préserver leurs intérêts (notamment à Saint-Domingue en 1965), depuis les années 1980, les initiatives de Washington tentent de concilier le maintien d’une domination militaire et diplomatique et le soutien au développement économique. En 1983, Ronald Reagan crée le CBI (Initiative pour le Bassin de la Caraïbe), dont l’objectif est de faciliter par des aides financières et des incitations fiscales et douanières l’implantation d’entreprises américaines dans 23 États de la Caraïbe insulaire et continentale, mais ils incluent aussi les Antilles néerlandaises et deux îles anglaises (Montserrat et Îles Vierges anglaises). Seuls les DFA sont exclus, ainsi que les pays communistes, notamment Cuba. Washington joue la division européenne avec succès.
18En 1990, Georges Bush accélère le processus d’aide au développement de la zone en initiant le programme de l’EAI (l’Entreprise pour l’Initiative en Amérique Latine et dans la Caraïbe) : annulation de la dette des pays les plus pauvres, ouverture des fonds spéciaux pour soutenir les investissements ; et surtout aide à la mise en œuvre d’une zone de libre-échange entre le maximum d’États de la Caraïbe et de l’Amérique Latine, afin de préparer leur entrée dans l’ALENA. L’objectif est clair : il s’agit de placer la Caraïbe sous le parapluie du « marché américain ». Bien sûr, dans cet ensemble, les DFA, terres françaises, sont encore exclus, les îles anglaises et hollandaises bénéficient de partenariats commerciaux avantageux. Ce programme est maintenu par Bill Clinton, qui y ajoute des aides supplémentaires, avec pour carotte, la mise en place de régimes démocratiques. La Caraïbe et l’Amérique centrale vivent alors des transitions démocratiques plus ou moins rapides. Ceux qui refusent cette voie sont exclus : en 2001 avec l’arrivée au pouvoir d’Aristide, Haïti en fait les frais. Incontestablement, le projet américain pour la Caraïbe insulaire se fait plus percutant, cherchant à stimuler un projet économique cohérent. Les États-Unis n’ont pas le choix, très exposés aux maux régionaux : drogues, trafic d’armes et surtout migrations sud-nord. Face à ces initiatives américaines, L’Europe est spectatrice… La volonté américaine de limiter la présence européenne est visible. L’une des questions qui se pose depuis le début du siècle pour les espaces sous souveraineté européenne est bien celle de l’intégration à ces initiatives américaines : partenariats ? participation pleine et entière ? Les questions restent en suspens30…
Soutenir les initiatives unitaires caraïbes
19L’UE n’est pas pour autant passive. Elle agit pour aider les États de la Caraïbe à se structurer en espace autonome, afin qu’ils mènent un développement autocentré moins soumis à l’influence nord-américaine. Les projets découlent d’ailleurs à l’origine d’initiatives anglo-saxonnes. La Fédération des Îles au Vent et de la Barbade (1833-1885), la Commission des Caraïbes (1946-1959), l’Organisation des Caraïbes (1959-1971), La Fédération des Indes Occidentales (1949-1962), La Fédération des Petites Antilles (1962-1965) sont autant d’organisations qui ont permis de nouer des dialogues entre États insulaires, dans un volontarisme qui doit se comprendre dans les processus d’indépendance voulus par la couronne britannique. Le phénomène s’est renforcé depuis la fin des années 1960.
20En 1968, l’Association Caraïbe de libre-échange (CARIFTA) et le Marché Commun de la Caraïbe de l’Est voient le jour. En 1969, la Banque de Développement de la Caraïbe est créée (CBD). Le chemin est renforcé quand la CARIFTA est remplacée par la CARICOM (Marché commun de la Caraïbe) en 197331. L’ONU soutient l’initiative en créant le Comité de Développement et de Coopération Caraïbe (CDCC) en 1975. Dès lors, la CARICOM crée des organismes parallèles : l’Organisation Caribéenne du tourisme (CTO), l’Association Caribéenne du Commerce et de l’Industrie (CAIC). Enfin, en 1981, le Marché Commun de la Caraïbe de l’Est se transforme en Organisation des États de la Caraïbe de l’Est (OECS), cherchant à se structurer politiquement. La libre circulation des personnes y est possible dès 200332.
21Bruxelles soutient ces projets via les fonds du FED, puis via les accords de Lomé. La France essaie alors de négocier la présence des DFA à ces institutions caraïbes dont ils sont exclus. Les textes de principe qui participent à la création de la CARICOM refusent tout territoire placé sous dépendance extérieure : « Son objectif affirmé est de pousser à l’harmonisation des législations douanières, fiscales et financières, voire de coordonner les interventions publiques et privées dans l’optique d’une stratégie d’industrialisation et de développement autocentré à l’échelle d’une Caraïbe intégrée33. » La politique de l’assimilation législative française menée dans les DOM est contradictoire avec l’objectif d’harmonisation des États indépendants. L’ONU, en 1975, lors de la création du CDCC, place la France face à de telles contradictions, et considère les DOM comme des « territoires assimilés et non décolonisables ». Or, l’objectif du CDCC est clair : « Le CDCC est chargé d’une part de préserver la conscience de l’intégrité de la région Caraïbe, et d’autre part de l’incorporer à l’Amérique latine34. » Dès lors, l’Europe a-t-elle ici son rôle à jouer ?
22Un changement est intervenu dans les années 1980. Il provient d’une double volonté. Bruxelles suggère à Paris des modifications statutaires pour les DOM, visant à mieux impliquer ces territoires dans l’économie du bassin caraïbe. Paris obtient en 1982, que les DOM entrent dans l’Association Caribéénne du Commerce et de l’Industrie. En 1984, la France accède à la CBD (14 ans après le Canada), précédant l’Italie (1988) et la RFA (1989). Les lois de décentralisation poussent les collectivités locales à promouvoir une politique de coopération régionale. Dans les années 1990, le processus va s’accélérer brutalement. Il est vrai que la CARICOM marque le pas et qu’il faut le dynamiser. En 1993, après 20 ans de fonctionnement, il compte 13 États membres, plus l’île anglaise de Montserrat (qui accède à l’autonomie), soit un espace réduit de 5,7 millions d’habitants et 271 750 km 2. Ses principales réalisations sont la création de l’université des West Indies ; d’une compagnie aérienne, la LIAT, chargée de relier les îles entre elles. Mais, à cette date, le tarif douanier commun n’existe pas et le volume des échanges inter CARICOM chute : de 587 millions de dollars en 1981, il est passé à 360 millions de dollars en 1988. Aussi, la volonté d’ouverture gagne désormais les partenaires des deux côtés de la chaîne : les pays de la Caraïbe s’ouvrent à leur tour aux DFA.
Le cas des îles françaises : une insertion difficile dans la Caraïbe
23Les initiatives françaises se multiplient donc : un rapport du ministère de la Coopération, daté de 199135 définit un double objectif pour l’essor des relations France-Caraïbe : participer au développement des Petites Antilles par la mise en place de projets de développement, et faciliter la coopération régionale à partir des DOM. En 1991, la France crée le Fonds Interministériel de Coopération et qui s’implante à Sainte-Lucie. Parallèlement, le bureau de la coopération en Haïti reçoit des moyens comparables pour la zone de la Caraïbe occidentale, observant avec intérêt les évolutions à Cuba. L’intégration est progressive. En 1994, la création de l’Association des États de la Caraïbe (AEC) permet à la France de devenir « membre associé » de l’institution via les DFA36. Cependant, en 1995, les DFA sont toujours exclus de la CARICOM, de l’OECS, du CARIBCAN et du CBI.
24Depuis cette date, une accélération de la construction de la CARICOM s’est effectuée, soutenue par le regain de la croissance économique dans les pays occidentaux. En 1997, la France se rapproche de la CARICOM37. En 2000, le président Chirac préside donc un sommet France/CARICOM avec la participation active des deux présidents des Conseil régionaux de Guadeloupe et Martinique. Des élus des DFA participent enfin pour la première fois à un programme international Caraïbe. La législation française progresse aussi : suivant les recommandations actives du rapport Lise-Tamaya, la loi d’orientation pour l’outre-mer de 2000 élargit le droit des collectivités locales des DOM de participer à des programmes de coopération internationale. Est-ce un nouveau pas vers une intégration à la Caraïbe ? Est-ce, pour la France et l’UE, un moyen de s’immiscer pleinement dans le développement de cette région du monde, en concurrence avec les États-Unis ? La diplomatie européenne pousse vers cette intégration caraïbe derrière Paris38. Les élus locaux participent à cette volonté, la présence des deux présidents des Conseils régionaux au sommet de Trinidad (2002) de l’AEC en fût symptomatique. Cependant, si la volonté existe, il reste encore à convaincre une opinion tournée vers les sociétés industrialisées et la France, et des acteurs économiques, peu enclins à produire un investissement en dehors des structures traditionnelles, même si les plus dynamiques s’orientent vers ces territoires, notamment dans le secteur de la distribution : ainsi le groupe Hayot, le plus puissant de Martinique, s’implante à Saint-Domingue.
25Au bilan, l’intégration dans l’ensemble géopolitique de la Caraïbe, tant souhaité par les élites intellectuelles sur le plan culturel39 pour d’autres objectifs que ceux de la diplomatie française, soulève plusieurs questions. Tout d’abord, qui est réellement le maître d’œuvre de cette initiative : l’Europe, la France métropolitaine ou les pouvoirs locaux ? D’où vient le volontarisme ? Du centre, ou de la périphérie ? Existe-t-il une réelle volonté d’implication des responsables économiques et politiques des DFA dans les affaires de la Caraïbe ? Ou, est-ce une adhésion par défaut ? Longtemps, de par leur statut original et leurs héritages historiques, les îles françaises se sont contentées d’un échange avec une métropole qui permettait d’assurer un niveau de développement minimal sans heurts majeurs, et d’éviter les difficultés des voisins. La dépendance politique restait alors la contrepartie de ce choix. Aujourd’hui, et depuis vingt ans presque, l’initiative vient de Paris qui utilise les DFA dans une optique diplomatique plus large, une simple tête de pont pour l’insertion dans une zone économique. Bruxelles, qui y voit un marché potentiel, abonde dans le même sens via les possessions britanniques.
UNE ULTRA-PÉRIPHÉRIE EN DEVENIR ?
Quelle place pour la CEE et les DFA ?
26Depuis le Traité de Rome, l’Europe considère que les DOM appartiennent à l’ensemble européen : l’article 227-1 du traité place les DOM comme des régions « ultra-périphériques », et Bruxelles perçoit les DFA comme des zones en mal-développement. Elles bénéficient rapidement des programmes européens réservés aux pays du Sud, notamment les Fonds Européens de Développement (FED). Les DOM disposent aussi de l’aide de l’Europe pour certains programmes spécifiques, tout particulièrement dans les domaines agricoles pour le développement de nouvelles productions (ananas), ou encore la structuration de certaines filières (banane au début des années 1960)40. Cependant, la création de marchés spécifiques, notamment celui du sucre, est souvent perçue de façon répulsive et contraignante à cette époque. Pourtant, qu’il s’agisse de la banane, ou du sucre, la Martinique et la Guadeloupe ne parviendront que rarement à livrer leurs quotas de production. La principale difficulté consiste à distinguer les DFA des pays ACP (Amérique, Caraïbe, Pacifique). En effet, les élus locaux, mais aussi Paris, exercent des pressions sur Bruxelles pour faire accepter l’idée que les Antilles et la Guyane doivent bénéficier de programmes distincts de ceux des pays souverains. Les gouvernements établissent au cœur des années 1970 plusieurs mémorandums visant à mieux intégrer les DOM dans la construction européenne.
27Bruxelles prendra progressivement en compte ce phénomène. En 1977, un arrêt de la Cour de Justice de la Communauté européenne souligne leur caractère spécifique par rapport au reste de la Caraïbe (arrêt Hansen, 148/77, article 95)41. Désormais, si les pays ACP continuent de s’intégrer dans les programmes du FED dans le cadre des accords de Lomé, l’arrêt permet aux DFA de bénéficier des programmes émanant des fonds structurels : le FEDER (1975), le FEOGA (1976) et le FSE (1977)42. De plus, les DOM bénéficient de programmes particuliers, notamment STAR (Services Avancés de Télécommunications pour les régions défavorisées), VALOREN (Valorisation et Développement de Potentiel Énergétique Endogène). Désormais, les distinctions sont franches : d’un côté la CEE va financer la CARICOM (financement direct de la création et du développement de l’Université de West Indies, financement de la LIAT, aide à la production agricole des pays de la Caraïbe, à travers notamment les Protocoles « sucre », « rhum » et « banane »…) ; et d’un autre côté, elle facilite le développement intérieur des DOM, considérés comme des régions européennes, ultrapériphériques. Ces deux volets de la politique européenne placent dans une situation ambivalente les DFA, qui se trouvent à la fois soutenus, et concurrencés par les aides européennes dans la Caraïbe. La vision de la diplomatie française s’est cependant imposée à l’Europe communautaire.
28La contradiction sera dénoncée par Bruxelles : en 1985, le rapport Dicale commandé par le Parlement européen, vilipende les « saupoudrages » de la politique menée par la CEE dans les DOM, et recommande l’intégration des DFA dans l’ensemble régional caraïbe. Est-ce un retour en arrière ? La signature de l’acte unique européen en 1986 bouleverse à nouveau la donne. Elle fait prendre conscience aux Antillais de l’enjeu européen43. Une crainte de l’ouverture des marchés est largement dénoncée par certains acteurs du politique, notamment en Martinique par les communistes44 et les autonomistes du PPM d’Aimé Césaire45. Les élus locaux antillais dans une déclaration commune (22 décembre 1987) réclament d’ailleurs des mesures d’urgence pour l’économie insulaire : ils craignent que les pays de la CEE importent de la marchandise des pays ACP, produits qui se déverseraient à bas prix sur le marché français avec l’ouverture définitive des frontières. Les privilèges domiens vont-ils disparaître ?
Intégrer les DFA à l’UE (1989-2001)
29Aussi, à partir de 1989, suite à plusieurs pressions conjointes, venant de Paris46 et des responsables politiques dans les différentes îles européennes47, Bruxelles décide dans un premier temps de développer deux types de mesures visant à faciliter l’intégration des DOM au Grand Marché de 1993, afin de les protéger de leur environnement concurrentiel.
30Les Cadres Communautaires d’Appui (CCA) ont pour objectifs de « combler les retards structurels de développement » à partir des fonds du FEDER, du FSE, et du FEOGA. Ils sont négociés en partenariat avec l’État et la Région et doivent correspondre aux Plans de Développement Régionaux. Ils ont une durée de trois ans (1990-1993) et concernent six axes : le désenclavement, l’industrie et le service aux entreprises, le tourisme, la valorisation des ressources agricoles et le développement rural, les infrastructures du support aux activités économiques, et la valorisation des ressources humaines.
31Un programme spécifique est adopté le 22 décembre 1989 par le Conseil des ministres de l’UE, pour les DOM, baptisé POSEIDOM48. La décision part d’un premier constat : « Un retard structurel important […], dont la constance et le cumul portent lourdement préjudice à leur développement économique et social. » Dès lors, tout en prenant en compte la spécificité régionale, le Conseil se fixe trois objectifs majeurs : proposer des actions pour pallier la situation intérieure des DOM ; harmoniser les réglementations par rapport à celle de l’Europe49 dans la volonté d’intégrer les DOM au grand marché de 1993 ; inciter à la coopération régionale. Bruxelles accorde alors de lourds moyens supplémentaires : le montant des fonds structurels est multiplié par deux entre 1989 et 1993.
32Bruxelles appuie les demandes de Paris et calque ses orientations sur les principes de la politique menée outre-mer depuis le début des années 196050 : soutenir la politique de développement dans les DOM par la mise en place d’infrastructures ; le soutien aux principales productions agricoles, qui maintiennent le système traditionnel de la plantation ; et imposer la législation européenne. Derrière cette politique de soutien, Bruxelles souhaite faire des DOM la tête de pont de l’insertion de l’Europe dans la Caraïbe. Les DFA deviendraient ainsi le moteur du développement de l’ensemble de l’espace insulaire qui l’entoure.
33Malgré ces mesures, en 1994, une fois le marché européen en œuvre, Bruxelles par sa politique régionale doit se résoudre à classer la Martinique dans les régions dites de « l’objectif 1 » (régions les plus défavorisées), ce qui sera réaffirmé en 2000 et qui permet de maintenir la même politique. Cela vient confirmer la volonté de poursuivre l’intégration des DFA dans l’UE. Suite à l’élargissement de l’Union à 27 pays membres, la situation des DOM s’est pourtant compliquée en 2006. Plus riches en terme de PIB par habitant que certaines régions périphériques de l’Europe orientale, les DOM sortent théoriquement de « l’objectif 1 ». Il aura fallu de lourdes interventions de la diplomatie française à Bruxelles pour sauvegarder de façon provisoire, d’abord jusqu’en 2009, puis en 2012, un statut « dérogatoire » pour l’ultra-périphérie.
34Les DFA s’intègrent donc bien à une logique de construction européenne qui les place comme une ultra-périphérie. La volonté d’intégration à l’UE est régulièrement réaffirmée depuis 1957, derrière une volonté ouvertement française. Les intérêts européens sont d’ordres divers : présence du lanceur spatial européen en Guyane ; pénétration du marché caraïbe via la CARICOM ; et enfin, possibilité de venir concurrencer le géant américain sur un terrain qu’il considère depuis son indépendance comme un domaine privilégié. En ce sens, l’Europe s’intéresse à cet espace et considère bien les terres qui sont sous la souveraineté de ses États comme des périphéries intégrées, ou en voie de l’être. Depuis une vingtaine d’années, ce volontarisme se renforce, après trois décennies de relatif embarras.
35La chute du communisme et la fin de l’affrontement bloc à bloc ont certainement contribué à modifier la teneur des relations entre pays de l’Ouest. En outre, le poids sans cesse plus croissant d’un ordre mondialisé libéral renforce la concurrence entre les pôles et l’Europe n’hésite plus à se positionner vers les marchés américains avec plus de vigueur, venant « chasser » sur des territoires longtemps négligés. Enfin, la recrudescence des contestations de l’ordre de l’oncle Sam en Amérique latine (Cuba, Venezuela, Brésil, Bolivie, Nicaragua…) permet de ressouder des liens entre les États du sous-continent et la vieille Europe. La Caraïbe apparaît-elle alors comme une tête de pont intéressante pour réaffirmer l’influence européenne vers ces espaces ? Aussi, depuis les années 1990, l’UE renforce sa présence dans la Caraïbe, dans laquelle elle essaie de valoriser des « espaces périphériques » intégrés au processus communautaire, mais aussi capables de s’insérer dans l’espace géopolitique environnant. Cette diplomatie conquérante, voulue depuis le centre, théoriquement séduisante, devra séduire à la fois les décideurs politiques locaux, les entrepreneurs, mais aussi les populations insulaires, des données qui ont peu transparu des derniers mouvements sociaux du début de l’année 2009…
Notes de bas de page
1 On trouve 16 États indépendants dans la Caraïbe insulaire.
2 Sur ces points voir Laurent Jalabert, La colonisation sans nom, la France et la Martinique de 1960 à nos jours, Paris, Les Indes Savantes, 2007.
3 Yvan Combeau (dir.), Le vote outre-mer, présidentielle et législatives 2007, Paris, Les Quatre chemins, 2007.
4 Sur ce malaise global, voir la remarquable synthèse dirigée par Thierry Michalon, Entre assimilation et émancipation, l’outre-mer français dans l’impasse ?, Rennes, Les Perséides, 2006.
5 Voir Michel Desse, Acteurs et dynamiques spatiales insulaires depuis la départementalisation en Guadeloupe, Martinique, Réunion, Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion, 1995, et L. Jalabert, La colonisation sans nom, op. cit.
6 Voir la thèse de Marie-Céline Whannou, Le maintien de l’ordre dans les DOM sous la Ve République (1958-1974), sous la direction de D. Domergue, université de Montpellier III, 2009.
7 Laurent Jalabert, « La politique économique et sociale dans les DOM depuis 1945 : l’histoire d’un mal développement », dans T. Michalon, Entre assimilation et émancipation, op. cit., p. 367-390.
8 Les revendications des récents mouvements sociaux du secteur bananier, qu’ils soient issus des planteurs, ou des salariés, s’enferrent dans les mêmes demandes : hausse des subventions, des salaires, etc.
9 Une ligne Air France vers Miami qui transite par Haïti, et une ligne d’Américan Eagle vers Porto-Rico.
10 Voir sur ce point, notre bilan historique, dans « Le malaise antillais », Cahiers d’histoire immédiate, Toulouse, n° 23, printemps 2003. Parmi les études récentes, voir Olivier Dehoorne et alii, Le tourisme dans les îles et littoraux tropicaux et subtropicaux. Usages des lieux et enjeux de développement, Paris, EPU, 2008. Seule l’île de Saint-Martin semble tirer son épingle du jeu, avec des règles de défiscalisation uniques en Europe, et un rapport à la loi très souple entre les deux parties de l’île (française et néerlandaise), notamment en terme de législation sur les jeux et les stupéfiants.
11 Xavier Lemaire, La France en Guyane ou le pouvoir ultra-périphérique, sociologie de l’action administrative et institution imaginaire de la différence culturelle dans un département français d’Amérique, thèse de doctorat, sous la direction de Michel Wievorka, EHESS, 2000.
12 Voir plus bas.
13 . Sur l’installation du lanceur spatial, voir la thèse de géographie de Pierre-Marie Decoudras, Kourou ville spatiale, caractère, problèmes et bilans du lanceur spatial, Bordeaux III, sous la direction de Guy Lasserre, 1975 ; David Redon, Le Centre Spatial Guyanais : intégration économique et changement social. 1962-années 90, Toulouse II 2003, DEA d’histoire, sous la direction de Michel Bertrand ; et Létizia Delorme, Kourou, de la base spatiale à la nouvelle ville, maîtrise de géographie, université Toulouse II, 1997, sous la direction de Guy Jalabert. Pour une approche plus large, Serge Mam Lam Fouck, Les mutations économiques, sociales et politiques de la Guyane française de 1940 à 1982, Paris X, 1991, sous la direction de Jean-Jacques Becker.
14 Rarement traités par les médias nationaux, mais de plus en nombreux notamment dans les régions aurifères, ou dans les zones de fortes migrations, de plus en plus autour de Cayenne.
15 Sabine Mievilly, Des enjeux géopolitiques aux mutations institutionnelles de l’outre-mer français : le cas de la Guyane, thèse de droit, université des Antilles et de la Guyane 2000, sous la direction de Michel Martin.
16 La maîtrise des migrations y est très difficile compte tenu de l’environnement naturel.
17 Certains pays européens pensent aussi qu’il serait plus rentable de s’installer sur un mode locatif dans des pays du tiers-monde, africains ou sud-américains. Enfin, certains pays émergents (Inde notamment) se présentent comme de nouveaux concurrents.
18 Voir le site Internet du ministère de l’Outre-mer, www. outre-mer.gouv.fr, qui ne cesse de revenir sur les opérations de sécurisation menées sur place et sur sa politique migratoire qui essaie de contenir les flux.
19 Sur ces points voir François Taglioni, « Le bassin Caraïbe : un espace organisé en flux et réseaux atlantiques », Historiens et Géographes, n° 363, août 1998 et l’ouvrage du même auteur, Géopolitique des petites Antilles. Influences européennes et nord-américaines, Paris, Karthala, 1995.
20 Voir plus bas.
21 Voir l’ouvrage collectif, François Taglioni et Jean-Marie Théodat (dir.), Coopération et intégration. Perspectives panaméricaines, Paris, L’Harmattan, 2007, notamment Michel Desse et Laurent Jalabert, « Les DFA : assimilation, dépendance et crise identitaire de 1945 à nos jours », p. 165-184.
22 Les dissensions intervenues à la fin de l’année 2008 parmi les dirigeants de l’UE autour de la politique à mener vis-à-vis des paradis fiscaux en est symptomatique.
23 Voir Bruno Ollivier, « Les DFA : unité et diversité », Hermès, n° 32-33, 2002, p. 207-211. Des manifestations contre la présence haïtienne ont eu lieu notamment en 2002 et 2005.
24 Bien des entreprises dont l’activité principale est en Martinique ou en Guadeloupe ont leur siège social à Saint-Martin, ou les législations fiscales sont plus avantageuses, et devraient l’être encore davantage grâce à l’évolution statutaire de l’île dans le cadre de l’article 74 de la constitution.
25 Maurice Burac (dir.), Guadeloupe, Martinique, Guyane dans le monde américain, Paris, Karthala, 1991.
26 Voir F. Taglioni, Géopolitique des petites Antilles, op. cit.
27 Ibid.
28 Hugo Chavez multiplie les liens Caracas/La Havane, mais dans un objet plus antiaméricain que dans une volonté réelle de créer des liens multiples avec l’ensemble de la Caraïbe insulaire.
29 Géographiquement dissociée entre petites Antilles et grandes îles (Cuba, Saint-Domingue, Haïti, Porto Rico, Jamaïque), elle est fragmentée par les souverainetés qui s’y exercent : seize États indépendants, quatre puissances extérieures (France, États-Unis, Royaume-Uni et Pays-Bas)
30 La question est la même avec le programme canadien, « Caribcan ».
31 Sur tous ces points et les suivants, cf. www. caricom. org. L’organisation compte aujourd’hui 12 États membres, 5 États associés, et 7 États observateurs.
32 L’OECS se compose de Sainte-Lucie, Grenade, la Dominique, Saint-Vincent et les Grenadines, Saint-Kitts et Névis, Antigua et Barbade et Montserrat. L’organisation dispose d’une monnaie unique (Dollar Caribéen), donc d’une banque centrale, d’une Haute-Cour de justice commune, France-Antilles, 13 mars 2003.
33 www. caricom. org.
34 Rapport de l’OCDE, L’Amérique latine, la région Caraïbe et l’OCDE, OCDE, 1986.
35 Rapport du ministère français des Affaires étrangères, La coopération française face aux petites Antilles, Castries, 1991.
36 L’AEC est un organisme qui regroupe 25 États membres, dont ceux de la CARICOM ou Cuba. Depuis 1996, une convention détermine les conditions de cette association. La loi d’orientation 2000 autorise les présidents des collectivités locales à représenter la France lors des réunions de l’organisme, dont le poids reste très relatif dans le jeu géopolitique.
37 Un ambassadeur français est accrédité auprès de cette communauté depuis 2006.
38 Un programme spécifique de coopération universitaire pour la Caraïbe est même développé par le ministère des Affaires étrangères depuis 2003.
39 Nous renvoyons ici aux revendications autour de « la créolité », mouvement impulsé par les romanciers Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant notamment.
40 L. Jalabert, La colonisation sans nom, op. cit.
41 Cet article précise : « Les dispositions du Traité (de Rome) et du droit dérivé doivent s’appliquer de plein droit aux DOM, étant entendu qu’il resterait toujours possible de prévoir ultérieurement des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires ».
42 Avec la restriction connue de la nécessité de ne disposer d’un PIB ne dépassant pas 75 % de la moyenne des régions européennes. En 2003, la Martinique atteint 74,5 %.
43 Fred Constant et Justin Daniel, « Les attitudes socio-politiques antillo-guyanaises face à 1993 », dans Emmanuel JOS (dir.), L’Outre-mer et l’Europe, Économica, 1994, p. 123-148.
44 Parti communiste martiniquais, Faire face à 1992, l’année de tous les dangers, Brochure, Fort-de-France, 1987.
45 F. Constant et J. Daniel, « Les attitudes socio-politiques antillo-guyanaises face à 1993 », art. cité. Voir aussi une lettre d’Aimé Césaire à Jacques Delors, relayée par France-Antilles du 30 juillet 1987.
46 Notamment le mémorandum français d’avril 1987 et les journées DOM de juin 1987 à Bruxelles.
47 Voir le rôle de la conférence des Régions Périphériques Maritimes instituée depuis 1980 à l’intérieur de l’UE.
48 JO des CEE, 31 décembre 1989. Les DOM ne sont pas une exception, un programme POSEICAN existe pour les Canaries et POSEIMA pour Madères (1991).
49 Ce qui est un problème majeur dans le sens où Bruxelles est moins tolérante que Paris dans l’irrespect des lois.
50 Voir L. Jalabert, La colonisation sans nom, op. cit., et T. Michalon (dir.), Entre assimilation et émancipation, op. cit.
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