Chapitre IV. Des territoires en danger. L’adaptation des ports aux évolutions de leur environnement
p. 283-352
Texte intégral
1L’histoire des territoires portuaires participe consubstantiellement de l’histoire environnementale1. Cette dernière était contenue en germe dans le projet des Annales, en particulier chez Fernand Braudel qui envisageait déjà d’intégrer la temporalité environnementale dans la périodisation de son sujet. Mais, en tant que champ scientifique à part entière, c’est aux États-Unis qu’on la voit véritablement éclore dans les années 19702. Depuis maintenant une bonne vingtaine d’années, elle connaît aussi un réel essor en France, en particulier chez les contemporanéistes. Le réseau « Le RUCHE », créé en 2008, qui fait la promotion des études en la matière, au moyen de séminaires, de journées d’études, de colloques, de publications collectives et de l’édition d’un Bulletin d’histoire environnementale, en constitue le centre de gravité3. Chez les médiévistes, il revient aux spécialistes d’histoire rurale la primauté des études sur la question4. Un congrès récent, tenu en 2023 par la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, a permis de faire le point sur leurs avancées5. Quant aux littoraux, toujours abordés d’une manière ou d’une autre dans les travaux d’histoire maritime, ils n’ont que rarement été éclairés sous le jour de cette approche spécifique6.
2L’originalité et l’un des principaux apports de l’histoire environnementale tiennent au repositionnement qu’elle opère sur l’histoire des sociétés humaines à des échelles qui la dépassent et qui déplacent les enjeux7. Il s’agit de se dégager du regard classique, « anthropocentré » et statique, porté sur le milieu naturel, ce dernier étant trop souvent perçu comme un héritage fait de constantes et de déterminants. Quant à l’espace et au temps, ils ne doivent pas être seulement conçus séparément, sur le principe d’emboîtements concentriques : le milieu, le territoire, le lieu des faits ; le temps de la Nature, le temps de la conjoncture, le temps de l’évènement. Ils sont aussi traversés conjointement par de véritables dynamiques observables à l’échelle de « géosystèmes » combinant, dans un périmètre défini, les éléments abiotiques, biotiques et anthropiques qui y interagissent8. Le milieu comporte des caractéristiques, des trajectoires et des évolutions qui lui sont propres, mais qui procèdent également des effets des entreprises humaines, elles-mêmes confrontées et actualisées à ses réalités. C’est ainsi que nous envisageons l’histoire portuaire, en interaction permanente avec celle de l’environnement littoral et maritime.
Les dynamiques environnementales du milieu portuaire
3Les médiévistes et les modernistes, s’inspirant des géographes, n’ont pas hésité à s’appuyer sur les tendances climatiques pour contextualiser et mieux comprendre les phénomènes économiques et sociaux qui se présentaient à eux, en particulier lorsqu’ils ont abordé la croissance puis la crise des campagnes. Le sujet est sensible parce que les séries de relevés qui permettent aujourd’hui d’observer le climat, ses particularités et ses variations, n’existent pas pour le Moyen Âge. Tout au mieux cherche-t-on à mettre en évidence, à partir de sources textuelles et d’informations non écrites (dendrochronologie, étude des pollens fossiles, étude des glaciers, etc.), des séquences assez longues, de plusieurs siècles, qui semblent correspondre à des améliorations ou à des dégradations météorologiques. C’est à cette tâche que s’est attelé Emmanuel Le Roy Ladurie. Comme il le rappelle lui-même dans un article récent, mû par les préoccupations marxistes et scientistes de l’après-guerre, par son goût marqué pour l’histoire rurale et par son intérêt pour la dendrochronologie, il se consacra à partir de 1955 à l’histoire du fait climatique, recherchant le Petit Âge Glaciaire et, en conséquence, certains facteurs majeurs des crises qui marquèrent le Moyen Âge9. Dans son sillage, Pierre Alexandre, Alain Foucault et Pascal Acot complétèrent ou précisèrent cette histoire du climat. Leurs travaux ont permis de mettre en évidence une embellie progressive à partir des ixe-xe siècles, puis un renversement de conjoncture à la charnière des xiiie-xive siècles10. Dès lors, l’Europe dut faire face à plusieurs phénomènes, dont la conjonction et la durée furent interprétées comme l’avènement du Petit Âge Glaciaire. Aux latitudes qui nous concernent, ces changements impliquèrent le passage marqué d’un optimum climatique à une période d’intempéries prononcées et récurrentes. Ils se sont traduits par la relative disparition des étés chauds et la succession d’hivers rudes, pluvieux et prolongés, notamment durant tout le xive siècle.
4Les textes rendent-ils compte concrètement des manifestations de cette dégradation prolongée le long du littoral ? Gelées, inondations pluviales, mois estivaux froids et humides sont des scénarios signalés à plusieurs reprises, en particulier dans le Centre-Ouest11. Il serait toutefois bien hasardeux d’en tirer des conclusions scientifiques. Quant aux tempêtes, il conviendrait de savoir si leur récurrence et leur puissance furent inhabituelles à cette époque. Il est parfois tentant de le croire. Dans un mémoire constitué vers 1451 par les délégués de la ville de Poitiers, dont l’objet était d’empêcher l’imposition de la gabelle en Poitou, en Aunis et en Saintonge, ces derniers dépeignirent la surexposition des « fallaises » (côtes) de ces provinces aux vicissitudes des éléments :
« Ladite fallaise est peuplée et habitée de huit et dix mille feufs, lesquex sont toute la garde et fortiffication de ladite fallaise […] contre la malice, fluctz et impétueusitéz de ladite mer, qui n’est pas mer morte comme en aucuns autres lieux mais va et vient et est souvent moult orgueilleuse. Et tellement qu’il est nécessité auxdits habitans en ladite fallaise pourveoir continuellement jour et nuyt et résister contre ladite mer12. »
5La preuve paraît faite. Toutefois, considérées les intentions des députés dont l’objet était de démontrer le caractère insoutenable d’une nouvelle taxe, il est fort à craindre qu’ils exagérèrent la réalité. Ou, tout du moins, omirent-ils de préciser le contexte de leur propos qu’ignoraient peut-être leurs interlocuteurs : ils faisaient référence à des zones salicoles, c’est-à-dire à des terres basses, gagnées sur l’océan, très vulnérables à la submersion et donc promises à de continuels travaux de protection.
6Compte tenu de la parcimonie des sources, il n’est pas possible d’être plus précis. Il y a désormais davantage à attendre de l’archéologie et des sciences de l’environnement que des documents écrits pour espérer faire progresser notre connaissance des réalités de l’époque. Aussi, pour le moment, c’est à partir de références contemporaines que les médiévistes complètent leur outillage scientifique et qu’ils tentent de saisir certaines caractéristiques climatiques relativement invariables, transposables aux périodes qu’ils étudient. Sur toutes leurs latitudes, les côtes françaises occidentales relèvent de la zone tempérée de l’hémisphère nord marquée par le climat océanique (fig. 56). Ce dernier pénètre assez loin dans le continent, en raison de la profondeur et de l’inclinaison des bassins-versants qui sont orientés vers les côtes atlantiques. Son action est deux types. Parce qu’il se réchauffe et qu’il se refroidit moins vite que la terre, l’océan propage une certaine douceur et induit un faible écart de la température entre l’hiver et l’été. Ce phénomène ne se retrouve nulle part ailleurs dans l’hémisphère nord, à l’exception des îles Britanniques. Cette tiédeur est renforcée au niveau de la pointe bretonne par la dérive des eaux chaudes atlantiques qui viennent la frôler. Par ailleurs, les perturbations en provenance de l’Atlantique produisent, sur l’essentiel de l’année, du vent de secteur ouest dont la force moyenne, soutenue en Manche, décline à mesure qu’on s’approche du fond du golfe de Gascogne. Elles apportent également des pluies assez régulières et rarement excessives. Ajoutons que la position du littoral français en fait un carrefour de centres de hautes et de basses pressions, permanents ou saisonniers, tels que l’anticyclone des Açores, le milieu dépressionnaire d’Islande, ou l’anticyclone de Sibérie. Ces caractéristiques communes sont bien entendu à nuancer selon la latitude et la configuration des littoraux, la fraîcheur et la pluviométrie moyenne étant plus importantes au nord de la Loire qu’au sud. Cependant, il n’est guère nécessaire d’aborder plus en détail ces circonstances météorologiques au risque de l’anachronisme. Il est en effet difficile de savoir, au-delà de ces considérations générales, si elles sont tout à fait similaires à celles qu’observaient les populations au cours des xiie-xve siècles.
Figure 56. – Le climat actuel des littoraux français rapporté aux limites médiévales du royaume de France.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
7Les incidences du climat océanique intéressent plusieurs aspects de la vie maritime et de l’environnement portuaire au Moyen Âge. Elles participent aux phénomènes hydrologiques qui interfèrent avec le littoral, elles déplacent les dunes et, lors d’épisodes exceptionnels, envahissent les terres d’eau ou de sable : nous allons évoquer ces manifestations plus loin. Elles forment par ailleurs les conditions générales de navigation. Ces dernières s’avèrent, somme toute, assez homogènes. Partout, le transport maritime est rendu difficile dès lors que s’enclenche le train des dépressions de l’hiver. Du sud de la mer du Nord au fond du golfe de Gascogne, les navires doivent faire face aux effets d’une houle souvent puissante. En Manche, bien que réfractée en traversant la mer Celtique et freinée par le plateau continental, la mer génère d’importants courants dans le sens ouest-est. Dans le golfe de Gascogne, la grande houle formée au cœur de l’Atlantique Nord peut atteindre six à huit mètres de haut à l’approche des côtes. De ce fait, la période de navigation était essentiellement cantonnée entre les mois de mars et de décembre au Moyen Âge13. Sauniers et paysans de la côte, marins ou simples passagers, redoutaient ces dépressions dont il leur était difficile de prévenir l’arrivée et la puissance. Aussi, la crainte de la fortune de mer habitait leur esprit, en particulier lorsqu’ils effectuaient un voyage maritime. Les manuscrits médiévaux s’en font abondamment l’écho, au travers de leur littérature comme de leur iconographie14.
8En voici, parmi tant d’autres, quelques exemples saisissants (fig. 57). Dans la chanson de geste Anseÿs de Mes, un chevalier pris dans une tempête en plein golfe de Gascogne et désespéré de ne pouvoir rejoindre son port de destination, se résigne au sort que lui réservent les éléments : « ces ondes volent par si rustre bondie, n’est hons vivans qui le vos deïst mie15 ». Dans Les miracles de Notre Dame de Rocamadour, texte rédigé au cours du xiie siècle, apparaît l’histoire d’un marchand de Caen qui avait chargé du vin à La Rochelle. Il fut surpris à son retour par une tempête dont le récit rend compte du sentiment de vulnérabilité vécu par les passagers : « Quand ils furent dans la haute mer, le vent devint contraire et, déchaînant la tempête, tantôt il les engouffrait dans l’abîme, tantôt il les élevait jusqu’au ciel, au sommet des vagues soulevées. Poussés dans toutes les directions, leurs ancres rompues, leurs rames brisées, partout ils voyaient la mort menaçante16. » À la même époque, le chroniqueur Richard le Poitevin racontait son effroi lors d’une traversée de la Manche17 :
« Le vaisseau gémissait sous les coups redoublés, et l’on eut dit que la coque entière allait se disloquer […]. Grand Dieu ! Quelle longue journée ! Combien la mort me paraissait proche et la terre lointaine ! […] Quand on a peur de l’eau, on désire la terre, quelle qu’elle soit, sans préférence pour aucun rivage. »
9Encore au xve siècle, un chroniqueur espagnol prévenait que « la costa de la Balançina, que es entre Burdeos et Bayona [es] una costa muy peligrosa18 ». En raison des assauts de la houle océanique, les risques de naufrage étaient élevés, ce qui donnait lieu à l’établissement de divers droits encadrant le secours et la détention des biens sauvés ou récupérés. Nous en avons déjà fait état.
Figure 57. – Représentation de naufrage.

BnF, NAF 24 920, fol. 5vo : naufrage d’Anténor.
10En dernier lieu, les études régionales d’histoire ou de géographie historique ont montré que, selon les latitudes considérées, les caractéristiques du climat océanique influençaient différemment les économies littorales19. Ainsi, le niveau d’ensoleillement, plus généreux au sud de la Loire, détermine en grande partie les capacités de développement des salines et des vignobles. Le sel et le vin, deux denrées essentielles du négoce international au Moyen Âge, n’étaient produits à l’échelle commerciale qu’au sud des marais situés de part et d’autre de l’estuaire ligérien. Depuis cette zone jusqu’à la Seudre, il n’est pas un bassin, une anse, une baie ouverte qui n’ait pas été employé pour la récolte de l’or blanc au cours du Moyen Âge. Plus au nord, et notamment le long des côtes de la Manche, les vases des embouchures pouvaient être gagnées, çà et là, par quelques aires saunières. Mais elles n’avaient rien de comparable à l’industrie qui avait envahi les marais de Guérande, de la Baie, d’Olonne, d’Aunis et de Saintonge. Quant aux vignobles, déjà bien médiocres en pays nantais, c’est autour de La Rochelle et de Bordeaux qu’ils avaient trouvé les conditions propices à leur essor20. La nécessité de trouver des points de transbordement pour acheminer les flux importants de ces denrées pondéreuses eut un effet déterminant sur le paysage portuaire de ces régions.
Les incidences de l’hydrologie marine et fluviale sur les littoraux
Les processus hydrologiques impliqués
11Et puis – ce n’est pas la moindre de ses influences – le climat océanique commande en grande partie les caractéristiques du régime hydrologique des fleuves et des mers bordières. Cela intéresse directement l’état des littoraux et donc l’installation et le fonctionnement des ports maritimes. Il provoque la houle qui, formée en pleine mer sous la poussée du vent, vient balayer les côtes selon des modalités et des incidences diverses. Il engendre les précipitations qui alimentent les bassins-versants des fleuves majeurs ou simplement côtiers et transportent toute une variété de matériaux alluviaux jusqu’aux embouchures. Combiné aux effets de la marée, il produit des courants aux caractéristiques complexes et parfois violents, colmatant ici une échancrure, détruisant là une pointe rocheuse, créant et déplaçant au gré des circonstances des cordons sableux.
12Cette question de l’hydrologie littorale est elle aussi assez épineuse et il n’est pas de notre ressort, mais de celui des géographes et des géophysiciens, d’en étudier et d’en expliquer les mécanismes. Tout au plus, au hasard de quelque trace documentaire, peut-on enrichir d’informations textuelles le dossier qu’ils ont pu constituer à partir d’observations stratigraphiques et d’analyses archéologiques, paléontologiques, palynologiques et isotopiques des dépôts sédimentaires. Quelles sont leurs principales conclusions ? Si l’on examine le trait des côtes d’aujourd’hui et qu’on compare leur morphologie avec celle dont on parvient à se faire une idée pour les derniers siècles médiévaux, les transformations que certaines d’entre elles ont subies apparaissent de façon saisissante. Ces observations sont à rapprocher de phénomènes désormais bien connus des spécialistes de la morphogenèse littorale. Le vent, de façon directe lorsqu’il soulève le sable ou de façon indirecte lorsqu’il pousse la surface de l’eau, est le moteur principal d’une grande partie des remaniements côtiers. Il génère la houle qui par ses déferlements répétés fragmente et sape les parois rocheuses, à une vitesse d’autant plus rapide que la falaise est formée de dépôts sédimentaires ; celles de constitution granitique étant plus résistantes. L’onde marine, de par les multiples courants qu’elle génère ou qui l’animent (courants orbitaux, courants de downwelling, courants d’arrachement, courants d’undertow, dérive littorale, jet de rive et nappe de retrait), transporte des quantités importantes d’alluvions, et en particulier de sable dont il est encore aujourd’hui impossible de modéliser convenablement les variations21. Ce sont elles qui engraissent et érodent les plages, qui font, recomposent et défont les flèches sableuses. Puis à partir de ces matériaux conduits par la mer, le vent prend le relais pour modeler les dunes au gré de sa force et de sa direction.
13Au rôle des flux éoliens dans l’hydrologie littorale, il faut ajouter celui des courants des marées et des fleuves qui peuvent être déterminants dans certains cas. Les courants alternatifs de la marée, bien que généralement faibles (inférieurs à deux nœuds en vives eaux), connaissent des variations importantes de force et de direction selon la configuration des astres et des lieux, et selon le moment de propagation de l’onde tidale. Ils sont d’autant plus vifs que la morphologie de l’espace qu’ils parcourent contraint leur progression, comme dans les estuaires, les chenaux et sur les hautfonds. Avec un marnage moyen d’équinoxe partout supérieur à quatre mètres, et parfois, comme à Brest, Saint-Malo ou Calais, supérieur à douze mètres, le flot et le jusant peuvent atteindre des vitesses assez élevées : plus de dix nœuds au niveau du raz de Sein et du Raz Blanchard ; plus de sept nœuds dans les passages étroits formés par l’estuaire de la Gironde, dans le golfe du Morbihan et dans le bassin d’Arcachon ; aux alentours de six nœuds dans plusieurs zones de la Manche. Lorsque le niveau de l’eau accompagnant l’arrivée du flot se relève subitement, il produit un mascaret, c’est-à-dire une vague déferlante suivie de plusieurs autres lames appelées éteules. Ce phénomène était encore très sensible avant que des travaux de dragage récents n’aient modifié la profondeur de certains estuaires. Empruntant la Gironde, il est particulièrement manifeste à Vayres sur la Dordogne, entre Langorian et Podensac sur la Garonne qu’il remonte jusqu’à Cadillac. En basse Seine, il était très violent à hauteur de Caudebec où il formait une « barre ». Ce phénomène est également reconnaissable dans la baie du Mont-Saint-Michel et à la pointe du Grouin. Ces courants, en dehors des dangers qu’ils font peser sur la navigation, peuvent transporter de grandes quantités de fines alluvions, surtout si la turbidité de l’eau est rendue importante par les tempêtes ou le débit des fleuves. Ce sont eux qui engraissent les anses, les bassins, les baies, les criques et les estuaires pour les transformer en marais maritimes. Pour résumer en quelques mots le rôle des courants de marée dans la morphogénèse littorale, disons qu’en contexte de faibles ou de lentes variations du niveau de la mer, ils condamnent la plupart des anfractuosités côtières à un inexorable colmatage22.
14Autrement dit, pour bien mesurer les conséquences de l’hydrologie sur la configuration des littoraux, il est nécessaire d’assortir la connaissance des facteurs climatiques et océaniques et celle des altitudes marines. Géographes et géologues s’y emploient depuis longtemps. En raison de la fusion des inlandsis à partir de 15 000 ans B.P., et depuis plus de 11 000 ans que l’Holocène a succédé à la dernière grande glaciation, le niveau de la mer progresse à un rythme annuel variable : de l’ordre de 40 mm au cours d’une première phase d’environ 6 000 ans, puis d’à peu près un millimètre, pour descendre à 0,1 mn depuis la fin du Néolithique. De sorte qu’il est admis maintenant que le niveau de la mer a été pratiquement constant au cours des derniers 4 200 ans (seconde moitié de l’Holocène jusqu’au xixe siècle23). En considération de ces données moyennes, les théories surannées reconnaissant dans certaines transgressions marines les témoignages d’une élévation du niveau marin durant le Moyen Âge doivent être abandonnées. En réalité, c’est au jeu combiné des manifestations climatiques et des marées que revient l’essentiel des transformations de la topographie côtière, et ce avec d’autant de plus de rapidité que s’exercent à proximité des activités humaines.
Les évolutions de la plaine maritime flamande
15Considérés l’ensemble de ces phénomènes, il faudrait les replacer dans le contexte des xiie-xve siècles pour tenter de comprendre la configuration et les dynamiques littorales dont dépendaient nécessairement les ports qu’on y a établis. Nous n’entendons pas pour cela reprendre un à un tous les secteurs côtiers mais plutôt, à partir de cas significatifs, repérer les principaux types d’évolution. Il va sans dire que les rivages bordés de roches granitiques ou schisteuses comme en Bretagne, ou de falaises très hautes comme en Normandie et en Artois, ont connu des variations trop faibles pour qu’on s’y intéresse. Il en est de même pour les bordures dunaires telles que celles de Guyenne, même si, nous le verrons, dans des circonstances climatiques exceptionnelles, leur déplacement a pu impacter sensiblement les installations humaines. Au contraire, les côtes basses et souvent marno-calcaires de Flandre, de Poitou, d’Aunis et de Saintonge ont été très exposées aux remaniements marins.
16La Flandre maritime, centre d’intérêt de nombreux historiens24, bénéficie aujourd’hui des travaux pluridisciplinaires menés par les archéologues et les spécialistes des paléoenvironnements25. Il s’agit d’une plaine qui occupe une sorte de bassin très ouvert, long de 130 km et large les 40 km au maximum. Elle est délimitée par une bordure continentale composite : la retombée assez raide du haut plateau crayeux de l’Artois la contient au sud-ouest ; la plaine flamande intérieure, argileuse, basse et peu pentue, la délimite jusqu’au nord-est où se poursuivent les rivages des Pays-Bas. Le trait de ce bassin, relativement découpé, a été dessiné par les mains de l’érosion : celle des petits fleuves côtiers qui ruissellent des collines avoisinantes, d’une part, celle de la mer par les derniers va-et-vient de son niveau au cours du quaternaire, d’autre part. La dernière phase de l’évolution de la plaine côtière a commencé vers 4000-3000 BP. L’altitude marine remontant progressivement, les eaux salées attinrent bientôt la hauteur de cette zone alors encore peuplée d’arbres (aunes et noisetiers), déposant le long de ses marges occidentales, au gré des marées, des courants et des tempêtes, des cordons de galets et de sables discontinus. Ces derniers commencèrent à former à la fois une barrière épaisse contre la houle mais aussi une retenue pour les eaux douces d’amont. Régulièrement ennoyé, le bassin finit par perdre sa couverture végétale et forestière qui disparut, non sans former des tourbières de surface, dont l’épaisseur varie de quelques centimètres à environ quatre mètres, bientôt recouvertes de sédiments26.
Figure 58. – La plaine maritime flamande au xiie siècle.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
17Dès l’âge du Fer, les potentialités de cette plaine, encore très humide, ont été exploitées. Elle procurait des gisements de tourbe dont des prélèvements intensifs sont attestés à certains endroits. Durant la période romaine, la zone littorale avait aussi permis le développement d’activités industrielles telles que la production de sel ou la fabrication de garum, en réponse à la forte demande des marchés intérieurs. Cette animation économique, visible encore dans les vestiges archéologiques, côtoyait très probablement des activités agricoles de subsistance, faites de cultures et d’élevage ovin, là où le sol suffisamment asséché le permettait. Avec l’effacement de la romanité devant les migrations barbares, et peut-être aussi sous les coups de la piraterie endémique, les sites productifs furent en grande partie abandonnés avant le ive siècle, et la récession ramena le travail des populations autochtones à des activités exclusivement vivrières. Le début de la période médiévale est donc marqué par un profond silence à l’égard de ces familles rurales, dont on ne trouve quasiment pas trace de leur quotidien. Simultanément, l’action tidale s’est poursuivie au moins jusqu’aux viie-viiie siècles, comblant de sédiments les cavités antérieurement creusées dans la tourbe, creusant dans cette dernière un réseau de canaux assez ramifié qui traversait des marais et des prés salés et joignait les marais d’eau douce formés sur la tourbe. Ce qu’affirment les chercheurs désormais, c’est que l’influence renouvelée de l’action des marées a été un processus progressif et non le fruit d’événements catastrophiques. Ils supposent par ailleurs que la formation de ce nouveau paysage amphibie fut en partie le résultat des exploitations romaines intensives qui, délaissées par la suite, ont réouvert la possibilité pour la mer de remodeler les terrains.
18Lorsque des sites d’habitation commencent à réapparaître, les activités dans la plaine côtière redeviennent archéologiquement identifiables. À la faveur des nouvelles terres ainsi formées, au cours de la période carolingienne, l’élevage de moutons d’abord, puis celui de gros bétail, y furent laborieusement répandus. Des transgressions modestes et localisées ont peut-être, de la fin du xe à la fin du xiie siècle, creusé plusieurs anses dans la partie occidentale de la Flandre maritime : celle de « Niewena » (Calais) avant 944, celles de « Greveninga » (Gravelines) et sans doute de « Gersta » (Dunkerque) avant 1014 (fig. 58). Elles affectèrent aussi sa partie orientale. Des ruptures de la ligne dunaire se produisirent aux environs de l’an 1000, en aval de Dixmude ainsi qu’au niveau du golfe du « Sincfal ». S’ensuivit la construction de divers ouvrages, d’abord pour contenir les incursions de la mer puis, au cours du siècle suivant, pour constituer des polders, c’est-à-dire gagner des terres sur la mer au moyen d’endiguements. Ces entreprises concoururent à la canalisation du cours inférieur de l’Yser, dont l’embouchure avait été gagnée par un poulier ainsi qu’une dune en cours de reformation (Nieuport). Par ailleurs, dans le second quart du xiie siècle, la mer excava dans le golfe du « Sincfal » un nouveau chenal, dénommé le Zwin27, qui s’enfonçait jusqu’aux abords du plateau (Bruges).
19Ces évènements, dont nous brossons la trame à grands traits, et que la science continue de corriger et de préciser28, mettent en évidence les interactions qui existaient entre les dynamiques littorales et les activités humaines, dans un contexte de remaniements permanents. D’une part, les vents et les courants accumulaient sans cesse à la lisière des côtes des amas de galets et de sable, protégeant ainsi de la houle l’espace interstitiel qui se comblait progressivement par l’apport de limons et d’argiles. Ce phénomène est observable en d’autres endroits, en particulier le long des littoraux de Ponthieu et du Boulonnais. D’autre part, la puissance de la mer entretenait, modifiait, colmatait ou perçait dans ce cordon des ouvertures par lesquelles s’engageaient les eaux salées et douces. Ces brèches, souvent instables, malgré l’ennoiement des terres agricoles qu’elles provoquaient, constituèrent de véritables opportunités puisque – nous l’avons vu – elles furent employées pour l’établissement de la plupart des ports de la Flandre maritime29. Dans une bulle du 3 juin 1266, confirmant les dîmes dont disposait l’abbaye de Saint-Valery à Cambron et à Quent, en aval d’Abbeville, sont rapportés les changements produits fréquemment par les inondations marines : « Non obstante quod in illis per maris inundationem soepe solet terre superficies immutari30. » Seulement, pour défendre leurs champs et leurs maisons durement acquis, les populations rurales et urbaines devaient désormais, sans relâche et tant bien que mal, au moyen de digues et de canaux, lutter contre la mer et son climat qui poursuivaient, régulièrement ou par à-coups, leurs intrusions d’eau et de sable.
La formation des marais d’entre Loire et Gironde
20Des phénomènes de grande ampleur, consécutifs notamment à la remontée des eaux marines, touchèrent aussi les côtes d’entre Loire et Gironde. Auguste Pawlowski, avec les imperfections de son temps, avait produit dès les années 1900 de nombreux travaux mettant en lumière l’histoire des transformations de la morphologie littorale31. Mais c’est au géographe Louis Papy, il y a soixante-dix ans, qu’il revient d’avoir entrepris la reconstitution du paléoenvironnement de ces rivages, mettant en évidence les falaises et les îles fossiles, ainsi que la profondeur des indentations par lesquelles la mer parvenait dans le continent32. Dans la veine de son travail pionnier, Jean-Luc Sarrazin a poursuivi l’analyse au moyen de cartulaires, de la cartographie portulane des xive et xve siècles, ainsi que des plans modernes et des mémoires qui les accompagnent33. Il en ressort que le littoral poitevin connut des reconfigurations significatives au cours des xiie-xve siècles.
21Pourtant, ici, protégés des assauts de la mer par les îles de Noirmoutier, de Ré et d’Oléron (fig. 59 et 60), les rivages sont largement préservés de la formation de cordons dunaires. Seules certaines portions du littoral poitevin ainsi que l’embouchure girondine en souffrent réellement. Derrière ces barricades insulaires, les agressions du large et ses rejets de sable sont très atténués. Mais le calme relatif des plans d’eau formés par la baie de Bourgneuf, ainsi que par les pertuis Breton et d’Antioche, participe à un autre phénomène à l’œuvre, aujourd’hui très bien observé par les géographes et les géophysiciens34. Ces vastes baies sont toutes destinataires d’une série de fleuves côtiers plus ou moins nombreux et importants, et reçoivent de ce fait leurs eaux turbides. Or, par l’action de la marée d’une part, la houle, coupée par les îles, ne brassant pas suffisamment le rivage d’autre part, les limons qu’elles contiennent ne peuvent parfaitement s’échapper de leurs embouchures pour rejoindre l’océan. Les mouvements tidaux répétés, caractérisés par un courant de flot supérieur à celui de jusant et par une période d’étale de pleine mer, repoussent les sédiments les plus fins vers les schorres où ils se déposent et se fixent, colmatant ainsi, peu à peu, les échancrures reculées du littoral. En définitive, à niveau marin quasi stable, un estuaire est un espace sédimentaire éphémère, voué au comblement et à la mutation en delta.
22L’engraissement des bordures estuariennes, pour inéluctable qu’il soit, progresse à des vitesses variables selon quelques facteurs déterminants, d’origine naturelle et anthropique. L’essentiel des vases argileuses déposées sur les wadden provient du matériel détritique arraché aux sols par lessivage. La turbidité fluviale dépend donc de deux causes essentielles : la pluviométrie enregistrée sur le bassin-versant et la nature de sa couverture végétale. L’étude récente d’une carotte sédimentaire de 8,4 m de long, prélevée dans les pertuis charentais, a démontré une corrélation nette entre l’accélération de la sédimentation dans cette zone et les déforestations survenues durant l’Époque moderne35.
Figure 59. – Les littoraux de la mer des Pertuis aux xiie-xve siècles.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
Figure 60. – La Baie de Bourgneuf aux xiie-xve siècles.

D’après Sarrazin Jean-Luc, La campagne et la mer…, op. cit., p. 139 ; Verger Fernand, Marais et estuaires du littoral français, op. cit., p. 190 et 191. Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
23Voilà une conclusion de la plus haute importance, considérée la séquence historique qui nous occupe. Sans qu’il soit possible d’en connaître la chronologie ni l’étendue exacte, il est avéré depuis longtemps que des défrichements de grande ampleur furent conduits en Europe à partir du tournant de l’an mille. En Haut-Poitou, ils sont attestés dès 1059 dans la grande forêt d’Argenson ainsi que dans l’ouest de la province à partir du xie siècle. En Bas-Poitou, les forêts de La Garnache et d’Orbestier ainsi que le bois de La Garde ont été partiellement diminués. En Aunis et en Saintonge, les forêts d’Essouvert, de Boixe et de la Braconne, d’Authon-Annepont et de Baconais, ainsi que les landes méridionales, furent investies depuis la fin du xe siècle jusqu’au début du xiiie siècle, le pic d’activité se situant au cours du dernier quart du xiie siècle36. L’entreprise fut conduite méticuleusement par les autorités seigneuriales qui voyaient dans ces opérations le moyen de valoriser leurs domaines fonciers. Or, par concomitance, il paraît bien que les marais connurent une extension affirmée. En Aunis, la colonisation salicole avait débuté dès la fin du ixe siècle et elle était encore très vivace au xie siècle37. En Olonnais et dans la baie de Bourgneuf, elle s’amplifia au cours des xiie et xiiie siècles38. Durant la même période, la poldérisation du Marais poitevin battait son plein. Ici, le marais était devenu doux, les vases n’étant plus couvertes depuis longtemps que par les eaux pluviales des versants alentour39. Cependant, en aval, l’engraissement n’avait de cesse de gagner les petites îles littorales. Ce phénomène se poursuivit d’ailleurs durant toute l’Époque moderne40. En 1727, François Le Masson du Parc faisait état des conséquences de l’envasement, à la suite de sa visite du site de Saint-Michel-en-l’Herm :
« Il y avoit autrefois dans ce bourg qui est assés considérable par rapport à l’abbaye qui en porte le nom, plusieurs bateaux pescheurs. Les terres que la mer y raporte journellement en éloignant l’abord à la coste, les a fait abandonner. […] Les vases qui augmentent et élèvent tous les jours le terrain y ont fait abandonner la pesche avec bateau de mer. De mémoire d’homme, on y a encore vu jusqu’à quinze traversiers dans un port que les vases ont comblées, en sorte que les bateaux n’aiant point d’abri se sont perdus ou détruits par laps de tems41. »
24Le manque de terres cultivables, la pression démographique, les développements de l’économie maritime, les progrès techniques, sont autant de facteurs qui ont bien entendu stimulé ces conquêtes. Mais elles ont été rendues possibles aussi par le retrait accéléré de la mer dont les mouvements de marée avaient confiné dans les golfes des quantités considérables de vases. Du côté de la Seudre et de la presqu’île d’Arvert, ils apparurent dès la seconde moitié du xie siècle42. En Bas-Poitou, des shorres mûrs émergeaient, ce qui donna l’opportunité aux seigneurs littoraux de confier leur mise en valeur. Le pays de Monts, protégé lui par un cordon dunaire en cours de constitution, dans le prolongement de l’île de Noirmoutier, voyait s’étendre des lais de mer. Ces derniers sont plusieurs fois évoqués dans le secteur de l’embouchure de la Besse. Les mentions à leur sujet se concentrent à la fin du xiie et au xiiie siècle43. Au final la pression anthropique, qui s’est traduite par une conquête des sols et l’élaboration d’aménagements, contribua à une modification sensible de l’hydrologie et à l’accélération des processus sédimentaires le long des marges maritimes des provinces de l’Ouest ce qui, pour nombre de sites portuaires reculés dans les anfractuosités de la bordure continentale, s’avéra funeste. Ces conséquences seront envisagées plus loin.
Le comblement des estuaires
25Les processus d’ensablement et d’envasement, dont nous venons de rappeler, sommairement, toute l’ampleur sur les littoraux flamands et picto-charentais, touchèrent conjointement la plupart des fleuves de la façade occidentale. À des degrés divers bien entendu – beaucoup de ports bretons étant moins sujets à ces manifestations hydrologiques – ils subissaient l’invasion de bancs plus ou moins émergés selon le marnage qui venait obstruer leur entrée. Le travail de Pierre Garcie, à la fin du xve siècle, a consisté en grande partie à repérer ces amas de sable et de galets qui, invisibles bien souvent, constituaient autant de risques d’échouage pour les marins. Au surplus, la topographie des masses sédimentaires évoluait au gré des tempêtes, des mascarets et des crues. Leur inventaire exhaustif n’est pas nécessaire pour se convaincre des difficultés qu’ils posaient. Quelques exemples significatifs suffiront pour cela.
Figure 61. – L’estuaire de la Seine aux xie-xve siècles.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
26Commençons par la basse Seine dont le cours sinueux était ponctué par quelques-uns de ces bancs (fig. 61). Peut-être déjà émergée au début de notre ère, l’île de Belcinac était située entre Caudebec et le château de Vatteville. Elle fut donnée par Théodoric III à saint Condède en 673, puis ce dernier la céda au monastère de Saint-Wandrille deux ans plus tard. Elle mesurait alors quelque 2 400 m de long sur 1 200 m de large. En dépit de sa morphologie relativement imposante, elle disparut dans le fleuve avant 1024, date à laquelle les religieux, qui s’étaient vu rétablir toutes leurs possessions par le duc de Normandie, n’inventoriaient plus cet amoncellement de terre. Mais d’autres îles se constituèrent un peu plus en aval, entre Villequier et Aizier, sur lesquelles ils prétendirent également disposer de droits, ce qui donna lieu à une série de litiges plaidés devant l’Échiquier durant le xive siècle. Ces atterrissements furent submergés au xvie siècle puis réapparurent au siècle suivant. Toujours à hauteur d’Aizier, plusieurs îlots alluviaux, dont la physionomie changeait régulièrement, nécessitèrent la rédaction d’accords au début du xiie siècle, entre les seigneurs des rives alentour, afin de prévenir d’éventuels conflits qu’aurait pu susciter la variation de leur superficie et de leur localisation44. Entre Quillebeuf et Gravenchon – dont le toponyme exprime en lui-même la présence de hauts-fonds sableux et gravillonneux – la navigation était réputée très périlleuse45. Et puis, à l’embouchure même de la Seine, se trouvait le banc du Ratier auquel Pierre Garcie consacra deux pages : « et asseche ledit banc de basse mer tant qu’il semble estre une isle46 ». Au final, le colmatage inexorable du fleuve modifia sensiblement son cours dont la pente moyenne, entre l’époque médiévale et aujourd’hui, serait passée de 0,1 % à 0,001 %47. À la fin du xve siècle, il n’était déjà plus accessible qu’à des navires de faible tirant d’eau, n’excédant pas trois mètres48. Le routier est sans appel sur ce point : « Sache que tu n’entreroys pas en Saynne de basse mer si ce n’estoit ung bien petit navire49. »
27Pour en terminer avec la Seine, n’oublions pas non plus qu’à l’image des marais d’entre Loire et Gironde, le fleuve, plus turbide dès lors qu’avaient débuté les travaux de déforestation et que de grandes quantités de matériaux arrachés au sol se déversaient dans son lit par effet de lessivage, s’engraissait là où les courants étaient moins forts ou éloignés par quelque cordon de sable ou de galets. Dans ces endroits, la vase pouvait se déposer dans des proportions parfois considérables. Les rives séquaniennes semblent avoir connu une accélération sensible de ce phénomène à partir du xie siècle. Au niveau de la rive droite de l’embouchure, par exemple, entre le village de Leure (ou l’Heure) et l’ancienne pointe du Hoc, une chapelle fut édifiée entre 1294 et 1325, un seigneur local, Jean Quênel, ayant donné pour cela tous ses biens aux religieux de Graville. L’îlot sur lequel elle reposa, qui était désormais rattaché à la côte, s’en trouvait à l’origine éloigné d’environ un kilomètre (fig. 62). Quant à la pointe du Hoc, du xiie siècle à nos jours, elle se serait déplacée de quelque trois kilomètres50. En d’autres lieux, plus en amont, les sédiments s’avéraient très instables. Quelques chiffres le démontrent dans le cas des marais de Norville : en 1531, leur superficie couvrait huit acres, puis 1 130 en 1552, 714 en 1655, 1 600 en 1687, 1 800 en 1815, 509 en 1820 et 1 071 en 184751.
Figure 62. – La chapelle de Jean Quênel.

Duplessis Michel-Toussaint-Chrétien, Description géographique et historique de la Haute Normandie, divisée en deux parties, la première comprend le païs de Caux et la seconde le Vexin, t. I, Paris, Pierre-François Giffart, 1740, p. 206.
28La basse-Loire maritime est abordée avec plus de précisions encore par Pierre Garcie (fig. 63). Il prit le soin, en deux parties de son guide et sur quelque seize pages, de décrire par le menu l’ensemble des dangers qui l’obstruaient, depuis son embouchure jusqu’au chapelet d’îles qui marquaient la limite avec la basse-Loire fluviale52. Passée la pointe de Chemoulin et les deux îles Charpentier, les premiers bancs à se présenter devant le passage des navires étaient ceux de Raure – « et n’y a dessus de plainne mer d’ung mort d’eaue que brasse et demye » – et de la Verme, à proximité du rocher des Morées. Aux environs de l’île Saint-Nicolas, de Paimbœuf, de Cordemais, de la Martinière, de Couëron, se succédaient plusieurs autres « basses » (hauts-fonds) et îlots de sable. Ensuite, à l’approche de la confluence entre la Loire, l’Erdre et la Sèvre, une série de bancs moins, nombreux qu’aujourd’hui mais déjà très développés, découpait le lit du fleuve qui se ramifiait à leur contact en plusieurs bras de largeur variable. Au-delà commençait la section purement fluviale53.
Figure 63. – L’estuaire de la Loire aux xie-xve siècles.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
29La Gironde n’était pas moins jalonnée de ces atterrissements dont la description apparaît sur six pages dans le routier (fig. 64). Le banc des Ânes et la passe de la Coubre constituaient les premiers périls à franchir54. Puis à hauteur du goulet que forme la pointe du Verdon, près de la « terre nègre », se trouvait un autre banc – de Saint-Georges – suivi d’un long cordon « que l’on appelle les Marguerites ». Se resserrant progressivement, l’estuaire était encombré, à une trentaine de kilomètres en amont, par l’île d’Argenton, et depuis celle-ci « jusque au près du Bec d’Ambays ne sont que bancs par milieu de rivière ». L’embranchement de la Dordogne, aux environs de Bourg, connaissait un haut-fond sableux qui n’avait « de basse mer dessus que brasse d’eau ou moins et fault que aye marée pour passer », ainsi qu’un autre vers Cavernes avant d’atteindre l’île du Carney55.
Figure 64. – L’estuaire de la Gironde et la côte du pays de Buch aux xie-xve siècles.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
30Les caractéristiques de ces trois fleuves majeurs témoignent des processus d’ensablement qui affectaient, inexorablement, une large partie des cours débouchant sur la mer. Et l’encombrement de leur lit n’était pas la seule peine à supporter. Le sable envahissait aussi les bordures des estuaires dont il rectifiait insensiblement le tracé irrégulier. Il comblait de ce fait les indentations du rivage dont nous avons souligné tout l’intérêt pour l’établissement de ports au Moyen Âge. En amont de l’embouchure, les sédiments très fins s’accumulaient également. Ils constituaient des bouchons vaseux, empêchés de rejoindre l’océan par la force du flot. Le long des rives basses, la vase en suspension se concentrait alors sous la forme d’une crème extrêmement turbide qui se déposait graduellement sur les fonds transformés en slikkes puis bientôt en schorres56. Et encore, les grands fleuves étaient-ils favorisés par leur débit important, grâce auquel l’eau fluviale garantissait un effet de chasse et le creusement de bras navigables. Les fleuves de petite taille, alimentés par un bassin-versant peu étendu, encaissaient davantage l’impact de la sédimentation sableuse et vaseuse, contre laquelle ils n’avaient pas l’énergie hydraulique pour lutter.
L’érosion des côtes les plus fragiles
31Au nombre des phénomènes hydrologiques qui affectent les littoraux, il en est un dernier non moins agissant : l’érosion. Cette dernière relève de la puissance des courants côtiers, qu’ils soient produits par le vent et la houle, ou bien par la marée. Elle dépend aussi de la nature des roches soumises à l’action des eaux marines, les granits et les schistes armoricains étant bien entendu plus résistants que les craies du pays de Caux ou les calcaires marneux d’Aunis et de Saintonge. Quelques exemples saisissants méritent aussi d’être rappelés à ce sujet. Les flux de la Manche étaient très actifs en certains secteurs du littoral. Laissons de côté les falaises – dont on connaît aujourd’hui assez bien les processus d’érosion – parce qu’elles ne proposaient que quelques rares facilités portuaires57. Les vents dominants orientés à l’ouest créent une houle et un courant assez puissants qui impactent communément les estuaires normands et picards et redessinent en permanence leur tracé. Actuellement, l’Institut français de l’environnement (ifen) constate que 85 % du littoral naturel du Pas-de-Calais (plages et dunes) et 92 % de la Seine-Maritime (falaises crayeuses) reculent, la moyenne métropolitaine étant de 31 %. Au xviiie siècle, on observait déjà que la mer avait repris au chemin romain qui aboutissait à Sangatte « un quart de lieue environ ». Au niveau de Boulogne, « elle a miné la falaise où la tour d’Ordre était construite, au point qu’il ne reste presque plus de vestige de cet ancien monument romain58 ». Les secteurs naturels épargnés sont les vasières de l’estuaire de la Seine et des baies de la Canche, de l’Authie et de la Somme. Le long des côtes normandes, le courant mange la rive droite des estuaires, tandis qu’il engraisse leur rive gauche et obstrue de sable et de galet leur embouchure. Ce processus était par exemple sensible au débouché de L’Arques. Son estuaire, rendu assez large par un débit relativement puissant au regard des autres fleuves côtiers, était rongé au niveau de la côte du Pollet.
32Le nord de l’embouchure de la Seine subissait aussi le travail de sape de la Manche, au point qu’un village tout entier disparut. L’évènement survint, à une date incertaine située entre 1369 et 1373, au niveau du cap sur lequel reposait Chef-de-Caux (fig. 67). C’est probablement à l’occasion d’une tempête plus puissante qu’à l’habitude que l’éperon fragilisé se désagrégea, précipitant dans la mer l’église, le cimetière et les habitations des quelque 140 paroissiens inventoriés au milieu du xiiie siècle. En 1373-1374, le seigneur du lieu voulu immédiatement rétablir une église et un cimetière pour les rescapés, ce que consentit Charles V au travers un acte qui fait référence au funeste évènement :
« Charles, etc. savoir faisons à tous présens et à venir que nous, oye l’umble supplicacion des habitants de la ville de Quief de Caux sur la mer, contenant que par fortune et force de la mer, la terre sur laquelle seoit l’église parrochiale avec le cimetière de ladicte ville a été tellement gastée que ladicte église est chue en icelle mer et que la place là ou iceul cimetière et église souloient être regorge aucune fois l’eaue de ladicte mer. »
33L’érosion se poursuivit au cours des décennies suivantes, le courant, après s’être frayé un chemin au travers de l’éperon, achevant d’emporter ce qu’il en restait et rejetant dans le chenal les débris qui finirent par le combler en grande partie59.
34En Gironde, face à la pointe du Verdon, la rive droite du fleuve est séquencée par une série de promontoires sédimentaires qui ont connu par endroits un recul significatif au cours de ces derniers siècles. Les agglomérations de Talmont et de Royan, établies en partie sur des pointes saillantes, ont dû faire face, au cours de la fin du Moyen Âge et durant toute l’Époque moderne, à un processus incessant de sape qui a miné une partie de leurs murailles. Dans le cas de la première, selon un témoignage de 1539, le travail des eaux marines et fluviales avait fini par l’isoler partiellement du continent, la bourgade n’étant plus accessible à pieds au moment des malines60. Quant à la seconde, documentée par une enquête de 1551, voici ce qu’en disait Jean Poussard, petit seigneur local appelé à témoigner61 :
« et s’il n’y est mis ordre de brief, ladite ville et chateau [de Royan] que soit grande partie tomberont par terre, car de jour en jour, par l’impétuosité de la mer et vent on verra tomber le roc et le fondement des murailles et par tant d’inconvenients et d’incommodités que d’heure en heure lesdits habitants ont grande perte ».
35Pareilles destructions sont observables en Aunis. Ainsi la forteresse de Châtelaillon, au sud de La Rochelle. Dans sa chronique de la première moitié du xiie siècle, Richard le Poitevin évoquait ce château placé au-dessus de l’océan, fortifié de murailles et de tours, auquel Guillaume d’Aquitaine donna le siège en 1130-1131 pour mater un vassal récalcitrant62. Cet ensemble castral était aussi installé sur une épine rocheuse, et il fut progressivement démoli par l’assaut répété de la mer. Plusieurs documents démontrent la violence du processus d’érosion à cet endroit. Les ouvrages, qui avaient vraisemblablement été endommagés dès l’époque de la reddition de la place, l’étaient bien davantage encore au début du xviie siècle. Claude Chastillon en donne une bonne représentation en 160463. Puis, les témoignages écrits et iconographiques se succèdent et rendent compte d’un effondrement progressif des édifices médiévaux jusqu’au début du siècle suivant64. Dans un carré consacré à cette zone, la carte de Claude Masse, établie en 1703, mentionne : « En 1680, il y avoit encore cinq tours en partie ruinées65. » Dans un acte de 1694, la description est plus précise :
« Nous estant transportés dans une maison qui est proche du rocher sur lequel estoit construit l’ancien chasteau dudit lieu de Chastelaillon […] et ayant considéré le lieu où estoit autrefois construit le chasteau de la baronnie nous aurions remarqué que la mer dans son flux et reflux couvre et découvre le terrain et n’y aurions point apperçu d’autres marques et vestiges dudit chastel que quelques masses de maçonnerie liées ensemble par la chaux et le sable, lesquels nous jugeons avoir servi à faire les voultes souterraines et qui sont restées au bord de la mer, laquelle a aussi sappé de telle manière ledit rocher sur lequel estoit étably ledit chasteau que ledit rocher est presque entièrement abbatu et ruiné, aussy bien que les maisons qui estoient autour du chasteau, de telle sorte que ledit bourg n’est présentement composé que de quatre à cinq maisons66. »
36À son extrémité sud, au niveau de Maumusson, la mer des Pertuis était le siège de courants d’une très grande violence, qui eurent raison au cours du Moyen Âge du caractère encore quasi péninsulaire de l’île d’Oléron. Auguste Pawlowski s’était, au début du siècle dernier, intéressé à cet endroit, considérant qu’à la charnière de l’an mille les transformations morphologiques de la pointe d’Arvert, et en particulier le colmatage de l’espace interstitiel d’entre Seudre et Gironde, avaient fini par concentrer les flots vers ce qui n’était jusqu’alors qu’un simple étier entre l’île et le continent. Son travail reposa sur des sources avérées qui n’ont pas pu être réellement complétées depuis. Richard le Poitevin, déjà au xiie siècle, évoquait en substance, à propos de Maumusson, les « gorges d’un furieux Océan. Un courant marin y pénètre, venu des hauts fonds du large, et se précipite vers l’Orient en écumant et en répercutant aux oreilles des habitants de ces parages une sorte de continuel mugissement ». Dans une enquête de 1335, opposant le sire de Pons au roi Philippe VI, il serait fait mention d’une centaine de témoignages accréditant le fait que, dans leur enfance, ce bras de mer pouvait être enjambé avec un simple bâton. Toutefois, les courants étaient à l’œuvre et poursuivaient leur creusement, si bien qu’à la fin du xve siècle, Pierre Garcie conseillait aux navires hauturiers d’emprunter ce pertuis à marée montante. Au temps de Claude Masse, la population locale rapportait que l’île d’Oléron n’était séparée de la presqu’île d’Arvert que par un étroit chenal, encore facile à traverser ; mais cela n’était plus possible qu’à marée basse. D’ailleurs, un moulin à eau, qui avait été établi en ce lieu, fut laissé à l’abandon, tandis que le chenal poursuivait son élargissement et son approfondissement67.
Le déplacement des dunes
37Sujets aux incidences de l’hydrologie marine et fluviale, les littoraux étaient également exposés à l’action éolienne qui, par endroits, soulevant les arènes, reconfigurait en profondeur leur morphologie. Nous avons précédemment souligné combien, en Flandres en particulier, les mouvements dunaires avaient modelé les paysages et contribué, un temps du moins, à la formation de criques propres à accueillir des navires. Cependant, l’état de la côte ne connaissait pas de point d’équilibre. Et les mouvements de sable et de galets avaient tôt fait de dégrader ce qu’ils avaient créé conjointement avec la mer. Cette observation peut être généralisée pour l’ensemble des rivages composés de massifs sableux même si, malheureusement, nous ne disposons pas de toute la documentation utile pour en éclairer les particularités locales et médiévales68.
38Le phénomène touchait les littoraux du Boulonnais et de Ponthieu. On observait au xviiie siècle que les villages de Rombly, près d’Étaples, de Trépied et de Cacque entre la Canche et Saint-Josse, étaient « enterrés presque sous les sables69 ». Bien qu’assez négligeables à l’échelle de toute la péninsule armoricaine, les cordons littoraux de Bretagne faisaient aussi peser, par leur inconstance, de sérieux préjudices aux quelques populations qui les voisinaient. Les agglomérations établies le long des anciens rivages de la baie d’Audierne ont été impactées assez tôt par leurs déplacements. Dans le courant du xie siècle, un village nommé Saint-Urnel dut être délaissé par ses habitants en raison de l’avancée des sables70. Plus au sud, d’autres enfouissements ont été également repérés dans le village côtier de Pen-er-Malo, près de Guidel en Morbihan. Les fouilles archéologiques pratiquées laissent deviner l’abandon du site au cours du xiie siècle, suite à la formation d’un ensemble de dunes71. Dans la presqu’île de Quiberon, un cimetière et la forêt initiale avaient totalement succombé, durant la fin du Moyen Âge, à la constitution d’un vaste massif dunaire72. Et dans les environs de Plouguerneau (Finistère), l’ancienne paroisse de Tréménec’h eut aussi à souffrir des incursions sableuses pendant le xve siècle, le processus s’aggravant à la charnière des xviie et xviiie siècles73.
Figure 65. – Les marais de Guérande au xviiie siècle.

Carte de Cassini en couleur, issue de l’exemplaire dit de « Marie-Antoinette » du xviiie siècle. Sur le site [http://www.geoportail.gouv.fr].
39Les flèches dunaires du bassin de Guérande, protégeant ses marais à l’ouest et au sud, avaient permis l’édification de salines (fig. 65). Mais le rempart qu’elles proposaient à la houle marine était instable et mouvant. Irrésistiblement, il engloutissait çà et là, au gré des vents, les terres qu’il avait naguère protégées et offertes à l’exploitation humaine. Le cordon établi entre la Turballe et Pen-Bron a connu des mouvements significatifs dont les sources donnent quelques informations pour les xve et xvie siècles. Plusieurs salines et des garennes furent ainsi recouvertes par la migration des sables. D’après un document du 20 juillet 1505, le chenal qui servait de port à l’agglomération du Croisic était menacé par la « submersion du sable qui [le] comble ». Le phénomène se produisait jusqu’aux abords des zones habitées. Une enquête d’août 1561 précise qu’au Pouliguen, les quantités de sable accumulées avaient obtenu une telle importance qu’elles atteignaient « bien souvent à plus de la hauteur des premiers estages » des maisons. À Batz, une habitation est signalée « perdue et gaignee » par le sable en 1533. Plus à l’est, du côté d’Escoublac, en 1541, il s’agissait d’un ancien moulin à vent74. Ce village, établit à proximité d’un prieuré bénédictin fondé en 1050, dont la population dynamique comptait 122 feux en 1350 et 164 feux en 1426, succombait peu à peu au gonflement des arènes, au point qu’il fallut le déplacer au xviie siècle. À Saint-Nazaire, en mars 1458, sont signalés deux jardins « frosts et ensablez » situés dans la ville. Au sud de la Loire, ce phénomène touchait également les abords du bassin portuaire et salicole du pays d’Olonne, remaniant sans discontinuer la frange dunaire habitée par les Sablais. Claude Masse et l’armateur Collinet font état au xviiie siècle de vestiges manifestement médiévaux dégagés des sables par quelques tempêtes75.
40L’embouchure de la Gironde fut le siège de déplacements plus significatifs encore. Le géographe Strabon, au tout début de notre ère, écrivait déjà, en substance, que « en général, tout le long de l’Océan, le sol de l’Aquitaine est sablonneux et maigre76 ». En 1598, voici la description que faisait le médecin saintongeais, Nicolas Alain, des migrations dunaires77 :
« Le sable est si fin, si léger que le vent le soulève et le porte çà et là. Ainsi au sommet des arbres on voit des lièvres, des sangliers, des daims, des cerfs et d’autres animaux, fait que croiraient difficilement les étrangers. Ces sables, poussés par les courants de l’océan, ont formé une presqu’île qui s’appelle, dans la langue du pays, Arvert. »
Figure 66. – Le littoral d’Arvert à Royan au xviiie siècle.

Carte de Cassini en couleur, issue de l’exemplaire dit de « Marie-Antoinette » du xviiie siècle. Sur le site [http://www.geoportail.gouv.fr].
41À l’extrémité de la rive gauche, les paroisses de Soulac et du Verdon étaient notoirement exposées. Dès la fin du xve siècle, l’église de la première avait été gagnée par les arènes. Une documentation abondante permet de suivre ensuite les déboires de ces communautés aux prises avec l’incessant déplacement des dunes78. En face, sur la rive droite, les descriptions s’accordent jusqu’au xviiie siècle pour caractériser l’intensité et la permanence des ensablements entre l’île d’Oléron et Arvert (fig. 66). Dans une enquête menée en 1478, qui relate la situation constatée depuis une trentaine d’années, sont évoquées les « grousses montagnes de sables qui est une chouse mouvante e qui souventesfois par force de vent e de temps se meut e remue d’un lieu en autre », comblant notamment les étangs d’Aigeudoux et de Barbareu79. Claude Masse précisait en 1698 que « les dunes avançoient communement dix à douze toises par an dans les terres80 ». Il ajoute qu’en l’espace d’une semaine ou à peu près, « où était la montagne il se trouve une plaine et c’est de cette manière qu’ont été ensevelis nombre de bourgs ».
42Plusieurs villages et leurs églises furent ainsi affectés, voire engloutis, et notamment l’énigmatique agglomération d’Anchoine près de Royan dont les témoins d’une enquête de 1551 relatèrent la disparition sous les sables, et avec elle les terres, les édifices et les infrastructures qui la desservaient. Les habitants se lamentaient alors81 :
« Les pauvres suppliants sont sujets à plusieurs inconvenients […], et ordinairement de la mer vents et sables qui, de jour en jour, gagnent sur la terre ferme, en sorte [qu’ils] sont contraints d’abandonner tous leurs biens et domaines. »
Les « vimers » de mer et de sable
43Aux caractéristiques générales du climat et à ses répercussions les plus courantes, il faut ajouter les remaniements et les ravages que des épisodes météorologiques exceptionnels ont fait subir aux littoraux. Remarquons sur ce point – et la qualité de notre documentation n’est peut-être pas la seule responsable – que les sources deviennent réellement informatives sur le sujet à partir du xive siècle. Auparavant, les évènements météorologiques sévères, qui rompaient sporadiquement l’embellie climatique des xie-xiiie siècles, n’ont laissé qu’assez peu de traces textuelles. Même dans le cas de l’espace flamand, les transgressions marines n’ont été identifiées que par des recoupements géologiques et historiques, et non pas au moyen de mentions écrites descriptives et claires. Et puis, ces documents, lorsqu’ils deviennent explicites, se focalisent sur les conséquences particulièrement destructrices provoquées par les tempêtes, accordant peu d’importance à la représentation précise des événements naturels eux-mêmes. On se satisfait toutefois de constater que nos informations concernent la plupart des secteurs côtiers et, pour l’essentiel, ceux qui étaient le siège d’exploitations ou d’installations humaines singulièrement exposées.
44Des raz-de-marée, appelés aussi « vimer » en Bas-Poitou, jalonnent l’histoire des marges vulnérables des marais maritimes et des côtes sableuses82. Il est impossible d’en dresser une liste exhaustive, mais les quelques évocations exceptionnelles dont nous disposons suffisent pour se faire une idée de leur violence et du niveau de menace qu’ils représentaient pour les aménagements littoraux de l’époque. Trois zones côtières ont été particulièrement renseignées par les sources : la Flandre maritime, l’embouchure de la Seine et la frange comprise entre les estuaires de la Loire et de la Gironde. Au sein de la première, c’est à la faveur d’un raz-de-marée intervenu en 1134, qui envahit l’ancien golfe du « Sincfal » et qui agrandit le cours de la Scheure, qu’un nouveau bras de mer assez large, le Zwin, vit le jour au nord-est de Bruges. Quelque temps après, peut-être dès 1167, Philippe d’Alsace fit réaliser des travaux pour fixer cette embouchure et fonda la ville de Damme (1180). Et un canal fut creusé entre Damme et Bruges, communicant avec le Zwin par une écluse, ce qui fit de Damme l’avant-port de Bruges83. L’établissement d’exploitations agricoles puis de villes portuaires sur des éperons dunaires et à proximité de zones marécageuses avait nécessité, dès le xie siècle, la construction de digues pour contenir les eaux fluviales et marines d’une part, pour assécher et protéger les terres et les espaces habités d’autre part. Ces aménagements étaient fortement exposés aux transgressions de la mer du Nord. En 1389, le « mourmaître » général des Möeres, responsable des polders, fut expressément chargé de procéder aux réparations nécessaires pour parer au souvenir d’une submersion marine :
« Item, pour ce que aucune fois par inondations et fortunes de la mer les dikes et escluses moult empirent et des rompent que necessité est tant pour sauver le pays […], ledit mourmaistre est tennus sens delay ne plus attendre, soit par nuit ou par jour, de lui transporter quand besoing sera sur les digues et escluses pour résister les inconvéniens et de faire ouvrer et réparer les dites diques et escluses au plus grand prouffit que faire l’on pourra84. »
45Il faut dire qu’à cette époque les dispositifs hydrauliques s’étaient dégradés un peu partout. Les habitants s’alarmaient du mauvais état général des canaux et des écluses, notamment à Nieuport (1387) et entre Bergues et Dunkerque (1388). Quant aux bâtiments les plus proches des rivages de la mer du Nord, ils pouvaient craindre eux aussi qu’elle ne se soulève. À Bonnehem, à l’ouest de Gravelines, une abbaye que des cisterciennes avaient fondée en 1223 fut ainsi détruite par les flots en 123785. Dans la partie orientale de la plaine maritime flamande, les tempêtes répétées finissaient par avoir raison des hameaux et villages côtiers. Ce fut le cas lors des inondations d’octobre-novembre 1339 qui provoquèrent l’abandon de la chapelle de Scarphout, en face de Blankenberge. En conséquence, une nouvelle église fut construite plus à l’intérieur du pays86. Un village voisin, situé plus au milieu du cordon dunaire, disparut quant à lui lors d’une submersion intervenue au cours de la première moitié du xvie siècle87.
46Les tempêtes dans la Manche n’étaient pas moins violentes et, lors d’épisodes climatiques inhabituels, pouvaient engloutir des villages tout entier. C’est à ce genre de fin funeste qu’étaient particulièrement sujets les villages de Leure et de Grâce, au nord de l’embouchure de la Seine. Dans une charte de 1311 en faveur des habitants de ce dernier, donnée par Philippe le Bel, il est précisé que leur havre se situait près du rivage et pour cette raison, il était exposé aux « dangers que courent fréquemment, à ce qu’on dit, du fait des inondations de la mer et des flots ». Ce risque se concrétisa violemment un peu avant 1359. Cette année-là en effet, le fermier des droits qui pesaient sur les 80 à 100 salines alors en activité dans les marais alentour demanda une modération de sa redevance en raison de tempêtes qui les avaient dégradées. Une enquête s’ensuivit et confirma les dires du cueilleur. Agressés de surcroît par les Anglais qui avaient investi Honfleur, les membres de la petite communauté quittèrent bientôt les abords du bassin de Grâce qui, même si le port demeura lui fréquenté par les pêcheurs des environs, restèrent inhabités jusqu’au début du xvie siècle. À cette époque, une centaine d’habitants avaient fini par regagner les rivages du poulier abandonné cent cinquante ans plus tôt. Mais un autre ouragan survint entre le 15 et le 22 janvier 1525, noyant l’intégralité des nouveaux villageois. En 1532, Jehan de Marceilles décrivait ainsi les ruines encore visibles des habitations : « aucuns n’y hantaient ni fréquentaient, excepté qu’à l’endroit du vieil havre de Grâce qui était un autre lieu que le havre neuf et qui de présent n’est d’aucune valeur et en état de grève88 ».
Figure 67. – L’embouchure de la Seine au milieu du xive siècle.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
47Des évènements de même nature ont aussi bouleversé les marais du golfe de Gascogne. Le plus significatif est celui qui intervint vers le début de l’année 1352. Un « vimer de la mer en ondacion d’ayves » ravagea profondément les rivages compris entre la Baie et Les Sables d’Olonne. De nombreux marais salants furent anéantis et la plaine de Barbâtre, sur l’île de Noirmoutier, fut inondée au point de n’être dégagée des eaux qu’après une cinquantaine d’années89. Plus au sud, l’évènement détruisit aussi une partie des marais salants de la Chaume et d’Olonne90. La catastrophe marqua durablement les esprits. Des lettres d’exemption fiscale du 25 octobre 1392 délivrées aux Noirmoutrins y faisaient sans doute encore allusion, rappelant que « [l’]élévation de la mer qui naguères a tellement surmonté les terres et marois de lad. ysle que tant en sel et bestes comme autres choses lesd. habitans à présent demourans en icelle ysle ont presque tout perdu91 ». Le 3 juillet 1401 au matin, un orage s’abattu sur Nantes. Il emporta sur son passage les toits et les murs de plusieurs maisons et églises, écroula des créneaux de l’enceinte et coucha les arbres des forêts92. À proximité, le secteur de la Baie était très exposé aux perturbations d’ouest et de nord-ouest. Selon les termes d’un mémoire, un « vimer » eu lieu le premier dimanche de Carême 1408 dans la « baye du Collet », jetant contre la côte plusieurs hourques qui y mouillaient à l’ancre. Puis en 1469 et 1470, ce fut au tour de Prigny et de Bouin d’être affligés par des submersions93. Dans la région de Guérande, le village d’Escoublac paraît avoir été lui aussi lourdement touché. Avant d’être finalement déplacé au xviie siècle du fait des invasions de sable, il subit un violent raz-de-marée, vers 1450, qui conduisit ses habitants à l’abandonner pour s’implanter un peu plus à l’abri94. À La Rochelle, le 10 août 1518, « la mer se desborda aux costes de cette ville, [ce] qui causa une perte incroyable, gastant toutes les vignes et champs95 ». Et du côté de la Gironde, plusieurs évènements funestes ont également marqué les années extrêmes du xve siècle : en 1406-1407, en 1493 et en 1498-149996.
48Les surcotes n’étaient pas la seule conséquence dévastatrice des vents tempétueux. Ces derniers soulevaient aussi, avec la même violence, le matériel dunaire, dans des quantités parfois considérables. N’étant pas encore fixées par la végétation ou par des aménagements de retenue, les flèches sablonneuses, déjà très instables nous l’avons vu, pouvaient, lors de tempêtes particulièrement sévères, engloutir tout d’un coup quelques édifices des agglomérations littorales. En 1417-1418, un « vismaire de sable » survenu aux Sables-d’Olonne écroula le four d’un dénommé Perrot Guerri97. Et lors d’une autre tempête apparue en 1492, les arènes submergèrent plusieurs places, dont l’hébergement d’un certain Colin Miquelet98.
49Dans des circonstances plus inhabituelles encore, la formation et le déplacement des cordons littoraux pouvaient recomposer de façon significative le trait de côte et l’arrière-pays. En Saintonge, une enquête menée en 1478 fait référence au colmatage du chenal de Bréjat qui reliait la Gironde au bassin de Barbareu, consécutif à un raz-de-marée intervenu quelques décennies auparavant, vers 1440-1450 : « La mutacion et translation dudit cours qui a esté faicte par agitation, impetuosité et inondacion de la mer qui a geté ledit sable oudit ance e rival de Berjaz et empesche le cours ancien et naturel de ladite ayve. » Le phénomène fut si puissant qu’il produisit le comblement du chenal initial et son déplacement vers l’amont de la Gironde99. Du côté de la Flandre, un document de 1408 permet de se faire une idée des pertes subies lors de soulèvements massifs de sables, intervenus à la charnière des xive et xve siècles. Près de Knokke, un hameau aurait disparu. Un village de pêcheur voisin de Heist aurait connu le même sort, ainsi que les hameaux de « Panne » et de Harendycke. Sur le territoire de Vlissegem, Klemskerke et Bredene, environ 500 hectares furent recouverts par les arènes, tandis que quelque 300 ha de terrains connurent le même sort à l’ouest d’Ostende100.
50Lorsque les effets de l’hydrologie marine et fluviale se conjuguaient, il arrivait, à l’occasion d’une tempête et/ou d’une crue exceptionnelle, qu’ils transformassent la configuration des estuaires. Un épisode de la sorte se produisit au niveau de l’embouchure de l’Adour à la fin du Moyen Âge (fig. 68). Il est acquis aujourd’hui, après plusieurs décennies de débats, que ce fleuve longeait les massifs dunaires et empruntait primitivement le gouf de Capbreton pour rejoindre l’océan. Sur la requête de la municipalité de Bayonne, Charles VIII avait, en 1491, dépêché l’évêque Jean de La Barrière et Roger de Gramont, afin qu’ils réalisent une enquête sur la basse vallée de l’Adour. Embarquant à Bayonne le 8 décembre, ils constatèrent au niveau du gouf la fermeture quasi complète par les sables du boucau originel. Le fleuve avait fini par allonger son cours pour se frayer une autre embouchure plus au nord, à l’endroit désigné depuis comme le Vieux-Boucau. Le procès-verbal de l’enquête rapporte des témoignages attribuant ce déplacement à « la grant turmente de la mer » et aux « grans sables101 ». L’étude minutieuse de ce dossier, réalisée par Michel Bochaca, a mis en évidence l’accomplissement dans ce secteur d’un processus assez long, observable en partie dans d’autres lieux de la côte gasconne, mais qui a pris ici une tournure unique. Les courants marins qui longent le littoral dans le sens nord-sud amassent, au débouché des rares estuaires qui traversent les dunes, des flèches sableuses parallèles au rivage, ce qui a pour effet de contrarier l’évacuation des eaux douces venant d’amont. Dans le cas de l’Adour, son débit important, gêné par ce colmatage insensible, avait provoqué un point d’érosion au niveau du coude qu’il formait dans le massif dunaire, juste avant de gagner la mer. Probablement à l’occasion d’une tempête ou d’une crue, la pression hydraulique finit par avoir raison de cette rive fragilisée et la transperça. Poursuivant droit vers le nord son chemin à travers les dunes, le flux de l’Adour avaient dessiné un nouveau chenal d’évacuation. L’évènement lors duquel se produisit cette rupture peut être estimé au début des années 1310. Dès lors, pendant plusieurs décennies, l’Adour disposa de deux embouchures : la première au niveau de Capbreton acheva d’être comblée par des engraissements sableux au cours de la première moitié du xve siècle ; la seconde, soumise bientôt à la même problématique hydrologique, ne lassait pas de désoler les Bayonnais parce que la nouvelle portion fluviale s’avérait peut praticable et réduisait donc sensiblement la navigabilité du cours inférieur. L’enquête de 1491 permit la validation par le roi d’un projet de réouverture du gouf de Capbreton en 1494. Mais les résistances locales ne le permirent jamais et il fallut attendre 1578 pour qu’un nouveau boucau soit percé, plus au sud102.
Figure 68. – Le littoral gascon aux xiie-xve siècles.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2013.
51Pour finir sur ce point, notons que les berges et le lit des basses vallées fluviales étaient aussi exposés à la menace des éléments. Les annales de la ville de Nantes ont gardé en mémoire une inondation catastrophique qui survint en 1414. Elle coûta la vie à de nombreux habitants des faubourgs de la Fosse, de Richebourg et de la Saulzaie103. La Loire, aux abords de la cité, éprouvait souvent par son impétuosité la solidité de la ligne des sept ponts qui la franchissait. À cinq reprises au moins durant le xve siècle (1447, 1476, 1482 et 1496), puis au cours de la première moitié du xvie siècle (1504-1506, 1522), les crues et les glaces destructrices sont rapportées dans la documentation de la ville104 ; de sorte que ces infrastructures apparaissent en perpétuelle reconstruction. En 1482, le régime du fleuve fut si exceptionnel qu’il causa aussi en amont, depuis Angers jusqu’à Tours, d’immenses pertes humaines et matérielles ; les autorités royales accordant pour les soulager des affranchissements aux communautés touchées par la catastrophe105.
52Ce portrait des circonstances hydrologiques, qui exerçaient une pression constante sur la vie et le développement des ports au Moyen Âge, apparaîtra sans doute incomplet et impressionniste aux yeux des spécialistes de l’environnement maritime et littoral. Il reste en effet beaucoup à faire en la matière, en particulier du côté des géophysiciens et des archéologues dont les méthodes autorisent désormais, à grands frais de carottages et d’analyses des sols, la reconstitution morphologique des bordures anciennes, d’une part, la compréhension et éventuellement la datation des phénomènes naturels qui les ont remaniés, d’autre part. Les sources issues directement du Moyen Âge ne paraissent pas pouvoir, même si chacun espère toujours la chance de découvrir un dossier exceptionnel, éclairer plus précisément le problème. L’ingéniorat n’avait pas encore suffisamment gagné les esprits et les pratiques pour que soient dressés, comme le feront les agents du roi spécialistes des places fortes et des ponts et chaussées à partir du xviie siècle, des cartes et des mémoires destinés à décrire les phénomènes et les caractéristiques géographiques qu’ils observaient.
53À la lumière des principaux phénomènes que nous avons décrits, on retiendra que, quels que fussent le niveau de perméabilité des littoraux et les particularités topographiques des sites choisis initialement pour installer des ports, ces qualités restaient relatives, fragiles et instables. Elles avaient tôt fait de s’effacer dès lors que les actions combinées de la houle, du vent, de la marée et du débit fluvial reconfiguraient ou colmataient les espaces jusque-là propices à l’accueil des échanges. Et de surcroît, des facteurs sociétaux pouvaient aggraver l’obsolescence d’un havre, si par exemple les progrès de la technologie navale imposaient de nouvelles normes au gabarit des bassins et de leurs accès, ou si le commerce se trouvait bouleversé par une nouvelle conjoncture politique et économique. En considération de ces évènements aléatoires, il apparaît d’emblée que le port n’était pas un espace assimilable à la ville, dont l’établissement répondait à des critères de stabilité géographique. Selon l’évolution des conditions physiques et fonctionnelles qui déterminaient son existence, il pouvait être reconfiguré, déplacé voire supprimé. Il s’agissait, en principe, d’un territoire adaptable, selon la variabilité des évènements et des facteurs naturels et humains auxquels il était soumis.
Activités anthropiques et qualité des environnements portuaires
54Exposés aux dynamiques climatiques qui contraignent et remanient sans cesse le milieu, les territoires portuaires ont pu aussi être impactés par certaines activités des hommes eux-mêmes. Les causes anthropiques qui participèrent au comblement des estuaires – le lessivage des sols dû aux défrichements – en sont une première illustration. Il s’en trouve d’autres dont les effets altéraient les capacités initiales des sites, nuisaient à la qualité de leurs eaux et de leurs abords, ou perturbaient la navigation et le stationnement naval.
Le rejet des matériaux formant le ballast des navires
55Nous avons commencé à aborder de manière incidente, au travers la fiscalité et les droits portuaires, la question des rejets de ballast dont la gestion donnait lieu parfois à la perception d’une taxe spécifique. Il s’agit d’un problème général qui requérait l’intervention des instances de gouvernement des ports106. Tout navire de transport, à plus forte raison lorsqu’il est construit en bois, nécessite, pour tenir la mer, pour rester stable et pour ne pas chavirer, d’être correctement lesté, soit avec les marchandises qu’il transporte, soit avec des matières pondéreuses lorsqu’il navigue à vide. Ce dernier cas était assez courant, les armateurs ayant beaucoup de difficulté à optimiser le taux de remplissage en fret à l’aller et au retour. Les bâtiments qui arrivaient ainsi à lège dans un port se devaient de commencer par décharger tout ou partie de leur lest selon le poids des denrées qu’ils étaient censés ensuite embarquer. Les dépôts répétés des sables, graviers, galets et pierres qui composaient ce lest, avaient tôt fait d’encombrer l’entrée et les abords des havres. La documentation s’en fait l’écho à de nombreuses reprises.
56En Guyenne, plusieurs mentions démontrent que ce problème était généralisé. La ville de Bayonne, attentive à la qualité de la circulation sur l’Adour, s’était saisie de la question, nous le verrons plus loin. Le vieux port de La Teste-de-Buch, dans le bassin d’Arcachon, s’est longtemps appelé le « port du Calhau, » en raison du lest que les navires y laissaient107. En mai 1473, le roi dut intervenir pour répondre aux plaintes des Bordelais qui accusaient le prévôt de l’Ombrière de négligences et de ne pas correctement assurer la conservation du port108 :
« Et depuis, nous ont lesdicts maire et jurez faict remonstrer comment, pour ce que les maistres mariniers et autres qui viennent ès navires, par mer, au port et havre de nostredicte ville et cité de Bourdeaulx, gectent ou font gecter le last de leursdicts navires, soit de sablón ou de pierre, en la chenal d’icelle rivière, et que, de si longtemps, ont esté et sont coustumiers de ce faire, que, se brefvement n’est sur ce pourveu, la chenal de ladicte rivière, port et havre d’icelle, seront perduz et gastez, et n’y pourront nulz marchans venir par mer, qui seroit la totale destrucción de ladicte cité et ville, et du pays, et le très grant domaige inreparable de nous et de la chose publicque. »
57Les ports de Saintonge et d’Aunis se trouvaient aussi exposés à la problématique des décharges intempestives du ballast. Dans les dernières années du xve siècle, on s’inquiéta du devenir du jeune havre de Brouage dont l’entrée était menacée par les pratiques des maîtres des vaisseaux étrangers :
« Et sur tout pour preserver ledit port d’un dommage inreparable ou il est sur le point de tomber. C’est assavoir d’estre de bref comblé et de torner en ruyne et perdiction et par consequant les marais et pays d’environ, à cause des pierres et sables que ceulx desdits navires estrangés qui en rien ne vous recougnoissent sont coustumers gecter dedans toutes les foys qu’ilz y chargent. Lesquelz ilz seront contraintz par lesdits gardes au moyen de la crainte desdites tours de porter doresnavant à terre comme ilz doyvent, et se en auroit du prouffit pour les maisons qui là se feront109. »
58Il y a d’ailleurs tout lieu de penser que ce fut en partie sur un dépôt de lest médiéval que la ville de Brouage fut réellement fondée au milieu du xvie siècle, à l’entrée du chenal d’accès aux aires saunières110. En 1341, réclamant une enquête auprès du roi à propos du Gué-Charreau, les bourgeois de La Rochelle et de Saint-Jean-d’Angély s’inquiétèrent du largage de pierres que le trafic de ce nouveau port pouvait occasionner dans la Charente111. Et le long des rivages calcaires, depuis la rive droite de la Gironde jusqu’à Esnandes, comme sur le pourtour des îles de Ré et d’Oléron, il est encore possible de discerner les zones d’épandage de morceaux de granit laissés là par les bâtiments étrangers, qui tranchent avec le blanc des galets indigènes.
59À La Rochelle, le lest qu’on avait pris l’habitude de déposer le long des murailles littorales pour les protéger des agressions des flots, s’accumulait et prenait au xve siècle des proportions inquiétantes. Aux alentours de 1405, Pierre Guerard fut accusé par le prévôt d’avoir « mis certaine quantité de pierres dedans lesditz cais et vazes [de la Petite Rive] sans congé112 ». En 1452, « il s’estoit remarqué que le caillou [le lest] qui est hors du havre de cette ville estoit souvent porté dans l’ouverture du havre et entre les deux tours d’yceluy, en quoy les marchands de la ville, les forains et estrangiers recepvoient une notable perte pour la difficulté qu’il y avoit de faire entrer les vaisseaulx, et la crainte qu’on avoit de la perte d’yceulx113 ». Mais le problème perdura encore puisque vers 1530, on rapportait que « ledit havre comble en maniere que d’une basse marré tel nombre de gens de pied qu’on vouldra peult passer soubz ladite chayne et entrer dedans ledit havre sans monter ne descendre et prandre ladite ville114 ».
60Quant aux étiers desservant les marais de la Baie, ils étaient particulièrement sujets, eux aussi, à l’encombrement du lest, ce dernier étant transbordé en grande quantité par les flottes nordiques qui arrivaient à lège pour emplir ensuite leurs cales du précieux sel. En 1468, l’accès conduisant au port de Bourgneuf était obstrué, non seulement en raison des sédiments qui s’y accumulaient, mais de surcroît du fait des relargages sauvages, composés de « chailluz, de pierre, de sable ». En effet, plusieurs marins étrangers avaient « descendu et fait descendre et descharger et getter au havre de nuyt, céleement, occultement et autrement lesdits lestz de leursdits navires115 ».
61On ne trouve plus, pour les ports situés au nord de l’estuaire de la Loire, de mentions textuelles de ce type. C’est que le commerce pratiqué dans ces derniers était plus équilibré. L’usage du ballast est la traduction matérielle d’une forte asymétrie dans les échanges. Lorsque les flottes anglaises, flamandes et hanséatiques se déplaçaient vers les zones salicoles et viticoles du golfe de Gascogne, elles ne pouvaient espérer apporter et vendre autant de marchandises lors de leur voyage aller qu’elles n’en retiraient lors du trajet de retour. Aussi, se déplaçaient-elles sur lest, avec toutes les conséquences néfastes que les relargages pouvaient occasionner là où elles stationnaient.
62Nuançons toutefois cette observation en signalant la découverte récente, près du site portuaire de Hoeke, d’un groupe remarquable de pierres arrondies, de couleurs vives et d’origines exotiques. Leur étude géologique a permis de démontrer qu’il s’agit de pierres de lest provenant de la mer Baltique ainsi que des côtes nord-est de l’Angleterre. Hoeke fut un port de prédilection pour les Hanséates qui y détenaient notamment un droit de stockage de la morue séchée. La présence à cet endroit de résidus de ballast indique qu’en Flandre aussi les échanges pouvaient être asymétriques et que, dans ce cas, il fallut traiter la problématique de la gestion de ces matériaux encombrants116.
Le rejet des produits de la vie et des activités urbaines
63Beaucoup d’autres rejets venaient également altérer la qualité des eaux des ports ainsi que de leurs fonds et de leurs abords. En dépit de nos maigres informations en la matière, il semble que nous puissions dire que la pollution constitua un problème récurrent pour ces territoires, quelle que fût l’importance de leur trafic.
64À Bordeaux, le maire et les jurats de la ville se préoccupèrent dès le milieu du xiiie siècle, puis à plusieurs reprises durant les deux siècles suivants, de certaines pratiques perpétrées par des usagers du port, peu scrupuleux117. Ils avaient fait des berges (les « padouens »), des « esteys » et des fossés de véritables décharges publiques, où ils jetaient, pêle-mêle, toutes sortes de choses (« aucuna causa »), comme de la terre, de la paille ou des ordures (« terra, palha ni ordura »). Plus en aval, à Talmont, sur l’embouchure sur la Gironde, le connétable de Bordeaux fut averti en 1329 des dégradations qui affectaient le chenal et les fossés à proximité de ce port. En effet, ces derniers étaient encombrés de plusieurs barriques laissées là par des navires de passage118.
65Le havre de La Rochelle souffrait de maux similaires. Aux débris naturels apportés par la mer venaient s’ajouter les déchets produits par l’activité économique des rives et de l’espace urbain. En mai 1483 par exemple, une rémission fut concédée à Jehan Jeudy, boucher de la ville, qui avait percé dans la muraille, sur le chenal Maubec, « ung couex ou pertuys par ou l’on gecte les inmondicitez de la boucherie119 ». On imagine la puanteur qui devait régner dans le port en été, odeur mêlée à celle des autres détritus déversés par les riverains et les marins. Les mêmes inconvénients s’observaient à Dieppe à la fin du Moyen Âge. C’est « une ville assez belle, installée sur le littoral, mais l’air y est très malsain à cause de la putréfaction du poisson, car on y vend de nombreux poissons de mer et de grands tas y sont jetés et s’y décomposent ». Voilà en substance ce que relatait en 1464 un ambassadeur de Bohême venu rencontrer Louis XI dans cette ville120. Pour des motifs analogues d’hygiène et de santé publique, Marc Ryckaert remarque qu’il était interdit de jeter des détritus dans certains ports flamands121.
La difficile cohabitation avec les autres infrastructures littorales
66La qualité des sites portuaires était enfin contrainte par les éventuelles infrastructures construites en son sein ou à ses abords, dont l’utilité ne relevait pas de ses propres fonctions. Dans beaucoup d’endroits, les ponts limitaient ainsi la navigation, empêchant à beaucoup de navires, en particulier à ceux munis d’un mat non amovible, de progresser vers l’amont avec le flot. Il n’y a pas lieu d’en dresser la liste. Dans ces circonstances, soit les bateaux étaient suffisamment petits pour passer sous les arches, soit les bâtiments de mer s’arrêtaient devant l’obstacle et des allèges prenaient alors le relai pour conduire leurs marchandises jusqu’au quai. Exceptionnellement, comme à Rieux sur la Vilaine par exemple, un pont en bois mobile avait été préféré à une construction fixe. Son tablier était « guindé » au passage des embarcations, ce qui permettait à ces dernières de remonter jusqu’à Redon. Selon un procès 1289, ce point de franchissement était par ailleurs équipé d’écluses et donnait lieu à la perception d’un droit de « mastage122 ».
67Les meuniers installés le long des berges fluviales étaient susceptibles de perturber la navigation avec les barrages, les bassins, les dérivations et les écluses, nécessaires pour actionner leurs moulins. Plusieurs de leurs installations s’égrenaient sur l’Adour et sur la Nive, dans les environs de Bayonne, à la fin du Moyen Âge : les moulins de « la Musale », « d’Esbouc », de « Saint-Bernard », du « Cap de l’Estei », de « Mateglos », de « Podelis » et de « Dorrea123 ». Les meuniers bordelais obtinrent en 1253-1254 la garantie que, si la commune venait à détourner le cours du Peugue pour faire exécuter des travaux publics, ils pourraient retenir les eaux dont ils ont besoin sur les « padouens » de la ville124. Des problèmes de circulation occasionnés par des moulins se font jour sur la Dordogne, aux alentours de Libourne125, comme sur la Garonne, près de Bordeaux, durant le xvie siècle, invitant à penser que des faits similaires avaient dû survenir au cours de la période précédente. Ainsi cette gabarre qui, au début des années 1540, se perdit « sur les paulx du molyn126 ». À La Rochelle, le chenal de la Moulinette comportait huit moulins qui faisaient mauvais ménage avec le trafic vinaire127. À Nantes, la rangée de ponts de pierre et de bois traversant la Loire comportait aussi des écluses, des moulins et des pêcheries, autant de constructions qui interdisaient aux bâtiments de mer de progresser davantage vers l’amont128. Et sur la Seine, les moulins hydrauliques étaient très répandus. On en relève à Harfleur, à Pennedepie, à Honfleur, à Fiquefleur, à Tancarville, au Mesnil-sous-Lillebonne, à Caudebec, à Duclair. La seule abbaye de Saint-Wandrille était propriétaire, à la fin du Moyen Âge, de quatorze moulins répartis sur les deux rives129. Il y en avait par ailleurs sur la Somme, à hauteur d’Abbeville, qui empêchaient les bateaux de mer venant de l’embouchure de poursuivre leur navigation vers Amiens130.
68Mais ce sont probablement les pêcheurs équipés d’engins fixes, partageant avec les acteurs portuaires l’usage des eaux fluviales, qui occasionnaient les perturbations les plus importantes. Les pêcheries – dites aussi « nasses » – de l’Adour et de la Nive ont été minutieusement étudiées par Eugène Goyheneche. Elles avaient pullulé le long des berges et dans le cours du fleuve durant le Moyen Âge, beaucoup d’entre elles ayant été établies sans autorisation. Certaines servaient exclusivement à la capture du poisson ; d’autres étaient associées au dispositif hydraulique d’un moulin. Elles étaient formées d’une double structure de pieux de bois, renforcés de pierres à leur base, formant ainsi un barrage dans le lit du fleuve. De ce fait, elles présentaient de nombreux inconvénients : l’écoulement de l’eau en était ralenti ce qui générait parfois des inondations ; tandis que la navigation, empruntant un passage rendu plus étroit et sinueux par le dédale de nasses, se trouvait considérablement gênée. En 1353, il fut ordonné de détruire toute « pescherie ou pal » qui encombrait le trafic maritime, à l’exception des pêcheries « anciennes et deues ». Mais la mesure ne suffit pas. Une enquête conduite en 1584 permet d’éclairer l’abondance de ces pêcheries et leur caractère néfaste. Suite au percement du boucau du Trossoat en 1578, et en vertu des lettres patentes d’Henri III du 29 septembre 1582, Charles du Sault, conseiller et avocat général du Parlement, vint à Bayonne au début du mois d’octobre pour visiter les ouvrages du Boucau et du Havre-Neuf ainsi que pour s’assurer de la libre circulation des navires, en faisant démolir le cas échéant tout ce qui venait entraver la navigation. Or, l’enquête montra que des particuliers y avaient construit des nasses pour améliorer le rendement des moulins et pour pêcher le poisson, au grand préjudice des vaisseaux qui subissaient par leur faute des accidents, des naufrages et des retards considérables. Il était même nécessaire, dans certains cas, de décharger les bateaux à l’approche des pêcheries, ou de jeter dans le fleuve les pipes de vin et de cidre pour pouvoir passer. Aussi, toutes les nasses à poissons, parmi lesquelles beaucoup étaient d’origine médiévale, furent détruites et seules ne subsistèrent que les nasses à moulins, situées en général plus en amont131.
69La présence des pêcheries pesait aussi sur le trafic empruntant la Gironde et la Garonne, surtout en amont de Bordeaux. Aux abords de la cité, des installations de ce type existaient au moins depuis 1378. En 1473, Louis XI autorisa même certains pêcheurs à installer leurs engins fixes sur la rive droite, en face du port, et à planter les pieux nécessaires pour attacher leurs filets et leurs nasses. On peut toutefois supposer que cette liberté avait reçu l’assentiment préalable des acteurs locaux, en raison des faibles nuisances produites en cet endroit peu profond par ces installations132. En revanche, en aval, les difficultés s’avérèrent parfois plus sensibles. La « chenau », donnant accès au port de Macau, était encombrée, comme les ruisseaux voisins, par les pêcheries à saumons que l’abbé de Sainte-Croix, seigneur du lieu, concédait aux riverains133. En 1317, il bailla à fief à divers habitants de Macau « un loc [de] mar a tener compnas e metre maugas, liquau son en la chanau de Maubrac ». Et en 1456, il en fit de même pour un « pas per plantar compnes per pescar peys en la chanau de Maquau ». De sorte qu’à la fin du xve siècle, même les gabariers n’y passaient plus que de pleine mer134. Un acte de 1540 continue de déplorer le rôle des « pescheries, moulins ou autres empeschemens qui empeschent la navigation des couraulx135 ». En raison des préjudices que ces pêcheries faisaient peser sur la navigation, beaucoup d’entre elles furent détruites, sur la demande du Parlement, dans la première moitié du xvie siècle136.
70La basse vallée de la Seine, dont nous avons déjà rapporté l’importance des activités de pêche, présentait les mêmes obstacles et dangers, mais dans des proportions sans doute plus importantes encore. Des pieux, destinés à attacher les différents engins – des « étalières » en général – parsemaient le lit du fleuve, de sorte que les navires ne devaient pas s’écarter de sa partie centrale, la plus profonde, au risque de se briser sur l’un d’eux. Certaines installations comportaient plusieurs dizaines de ces poteaux de fixation. Ainsi, dans une affaire traitée en 1492, on signale « une estalliere assise en travers de Berville là où il avoit 32 pieulx à guidel non balises ». Selon une sentence de 1490, il est même question d’une « estaliere non balisee où il avoit environ 40 pieulx137 ». Car en effet, les exploitants étaient tenus de signaler correctement la présence desdits piquets afin d’alerter les marins de leur présence et de protéger la navigation138.
71Les milieux au sein desquels les territoires portuaires furent implantés et étendus durant la seconde moitié du Moyen Âge, connurent donc leurs propres dynamiques et leurs propres trajectoires, imposant sans cesse aux populations riveraines de nouvelles conditions environnementales. Dans la plupart des secteurs côtiers, les configurations topographiques ont beaucoup changé au cours de cette période, excepté le long des falaises rocheuses situées au contact de la Manche et en bordure des massifs pyrénéens et armoricains. La qualité initiale des espaces choisis pour accueillir des navires en fut souvent modifiée, sinon bouleversée. Ces transformations tenaient en partie à l’anthropisation, grandissante à partir des xe-xie siècles, sur les marges littorales comme au sein du bassin-versant de l’arrière-pays. Surtout, elles relevaient d’évènements hydrologiques et météorologiques marqués d’une telle puissance, se produisant à des échelles spatiotemporelles si amples, qu’elles questionnaient la pérennité des sites originels.
72C’est ce qui fait des ports des territoires de fortune. Ils étaient certes des lieux depuis lesquels on pouvait espérer gagner sa vie, voire saisir des opportunités économiques. Mais ils étaient aussi des abris bien fragiles, livrés aux évolutions et aux aléas des éléments naturels. La Providence n’était jamais très loin pour expliquer les manifestations impétueuses des flots et des vents, qui dépassaient les conceptions et les cadres de compréhension étroits propres aux sociétés riveraines d’alors139. Et pourtant, ayant épousé les rivages pour le meilleur et pour le pire, avec leurs chances et leurs contraintes changeantes, les populations maritaines ne renonçaient pas, si nécessaire, à les modeler selon les évolutions de leurs propres besoins. En choisissant un lieu pour y établir un port, elles s’engageaient pour longtemps à maintenir en usage les eaux et les terrains nécessaires à leurs activités maritimes. De sorte que les espaces affectés aux fonctions portuaires devinrent des enjeux de première importance qui donnèrent lieu, parfois, à l’intervention des autorités publiques et au lancement de travaux considérables pour l’époque. Ce sont ces réactions et ces entreprises que nous souhaitons au final éclairer.
Les abandons et déplacements portuaires
73Très tôt, les gestionnaires des ports se sont souciés d’accorder la qualité des sites et les nécessités du trafic par voie de mer, afin que ces dernières puissent être satisfaites de la façon la plus optimale. Dans bien des cas, d’un côté, l’alluvionnement rétrécissait voire comblait les indentations du littoral ; d’un autre, la circulation navale augmentait, comme la taille et le tonnage des bateaux. En ces circonstances, il était nécessaire de réagir pour continuer à tirer parti des développements de l’économie maritime. Durant la seconde moitié du xve siècle, le commerce saunier de la Baie paraît menacé du fait de la grande dégradation des chenaux permettant d’accéder aux lieux de chargement. Les lourdes hourques hanséatiques ne parvenaient plus à emprunter un étier du marais parce qu’il était « tellement rempli et comblé de boe et des terres que aujourd’huy ne se peut y conduire ny mener en bateau ne autre navire tant petit soit-il aucunes denrées ne marchandise140 ». Ils sont nombreux ces témoignages qui, dès le xiie siècle, alertèrent les autorités publiques et les invitèrent à réagir, pour parer la détérioration des accès aux ports ou pour restaurer des bassins trop délabrés pour réceptionner correctement les navires.
74Parfois, lorsque la topographie le permettait, le choix le plus simple et le moins coûteux consista à délaisser l’espace portuaire originel, ou tout du moins à déplacer son centre de gravité, pour lui substituer un nouveau lieu d’accueil des embarcations, mieux adapté. Plusieurs exemples permettent très bien d’en rendre compte. Commençons par l’évolution du port de Bordeaux. Hérité de l’Antiquité, son dispositif primitif paraît avoir perduré jusqu’au xiie siècle. Il était toujours centré sur le petit bassin intérieur de la Devèze, enserré dans les fortifications urbaines, et complété par les cours adjacents du Peugue, de Pédouillet et de l’Ayga-Borda. L’envasement inlassable de ces « esteys » ainsi que la croissance rapide du trafic vinaire invitèrent les Bordelais à recourir davantage aux rives de la Garonne pour réaliser leurs opérations de transbordement. Si bien que, sans remplacer tout de suite les premiers sites au sein desquels subsista plus ou moins une forme d’activité portuaire, le nouveau havre se trouva positionné le long des berges fluviales à partir du xiiie siècle141 (fig. 43). Dans le cas de La Rochelle, c’est sur la rive gauche du Lafond, le long des premiers remparts, que fut établie la zone portuaire initiale. À bien des égards, ce petit cours ressemblait aux « esteys » bordelais, si bien que rapidement il fut lui aussi confronté aux progrès du commerce maritime du vin. Son gabarit inadapté à la venue de bâtiments toujours plus nombreux et imposants incita les bourgeois à porter leur préférence sur un bassin plus ample et dégagé qui constitua le nouveau port à partir du début du xiiie siècle142 (fig. 45). Quant au port de Vannes, également d’origine romaine, il avait initialement trouvé sa place au nord-est de la ville, à proximité de la porte Saint-Patern et du quartier Saint-Nicolas. L’insensible envasement, combiné aux développements de l’emprise urbaine, avaient conduit ses usagers, probablement durant le xiie siècle, à le faire migrer en aval du Meucon pour rejoindre la vallée de la Marle, là où furent édifiés les nouveaux quartiers143 (fig. 37). Enfin, dans un contexte très différent, on retiendra l’initiative prise par l’évêque de Bayeux, Louis d’Harcourt, qui en 1475 engagea de grands travaux pour créer un nouveau bassin de 200 toises de long et 40 toises de large, afin qu’augmenter les capacités d’accueil du site voisin de Port-en-Bessin144.
75Dans des circonstances topographiques plus difficiles, il fallut reporter, à distance du site d’origine, la création d’un nouvel espace naval, donnant naissance parfois à l’agencement de véritables avant-ports. Talmont, en Bas-Poitou, dont le havre, encore au xiie siècle, se trouvait situé aux pieds des murailles du château, dut renoncer à accueillir à cet endroit les navires de mer d’un certain tonnage en raison de ses capacités insuffisantes145. Plus proches de l’embouchure du Payré et plus commodes, ceux de la Guittière et de la Vinière lui servirent bientôt de relais146. En Normandie, l’Orne, méandreux, parsemé de hauts-fonds, s’envasait lui aussi progressivement. Située en retrait sur son cours, la ville de Caen conserva auprès d’elle un complexe portuaire relativement actif. Cependant, ce dernier s’avéra très vite d’un accès compliqué, voire impossible, pour les plus gros vaisseaux, obligeant la mise en place d’une rotation d’allèges depuis l’embouchure du fleuve. C’est là que fut fondé le port d’Ouistreham, qu’un témoignage de 1492 décrit comme pouvant recevoir jusqu’à 80 navires147. Dans la vallée de la Bresle, les conditions environnementales étaient devenues très tôt assez difficiles, du fait d’une puissante sédimentation. Aussi, dès le xie siècle, les comtes d’Eu avaient établi, proche de son embouchure, le site du Tréport, à partir duquel leur ville principale était désormais mieux connectée à la mer148. Gravelines, dont le développement fut intimement lié aux intérêts marchands de Saint-Omer, constitua un relais aux ports audomarois d’amont, lorsque fut entreprise la canalisation de l’Aa dans les années 1160-1170149. Et puis, bien sûr, avec la formation du Zwin dans la seconde moitié du xiie siècle, Bruges, dont l’accès par la Reie s’engorgeait déjà de manière préoccupante, put entrevoir une nouvelle solution portuaire avec la création d’un canal puis d’une écluse jusqu’à Damme150 (fig. 69).
Figure 69. – Bruges et les ports du Zwin au xve siècle.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2017.
76Enfin, dans les conjonctures les plus extrêmes, il semble que, parfois, il fallut abandonner purement et simplement le site originel. Les créations des petits ports des zones salicoles de Brouage, de la Baie et de Guérande sont la traduction la plus évidente de cette réalité : au gré de l’extension des salines, des ports apparaissaient au contact des zones de mouillage tandis que les plus anciens, enfoncés dans les terres, finissaient par disparaître. À certains égards, l’émergence du port des Sables-d’Olonne procède de l’abandon progressif de la zone portuaire initialement positionnée au contact de l’agglomération d’Olonne151 (fig. 70).
Figure 70. – Le déplacement du complexe portuaire olonnais aux xie-xiiie siècles.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2017.
77Parfois même, il ne fut pas possible de déplacer le port sans que le foyer de peuplement qui le jouxtait ne migre lui aussi. Le cas le plus saisissant de ce phénomène est peut-être celui du fameux vicus de Quentovic. Établi sur la rive gauche de la basse vallée de la Canche, au niveau de l’actuel village de Visemarest, son fonctionnement est attesté, sans discontinuer, depuis 630 environ jusqu’à la fin du ixe siècle. Ce haut lieu du commerce maritime franc périclita ensuite, en raison notamment de l’ensablement et de l’envasement de l’estuaire. C’est probablement ce qui permit à deux nouveaux ports, ceux d’Étaples et de Montreuil, de prendre sa succession et de s’affirmer en des endroits plus accessibles du fleuve au cours de la seconde partie du Moyen Âge152. Pensons également à l’exemple de Roscoff. La baie de Laber, que les pêcheurs avaient dans un premier temps élue pour déposer leurs embarcations, à proximité de leur lieu de vie, asséchait à marée basse et souffrait d’un continuel ensablement. Aussi, à la suite des attaques et destructions perpétrées successivement en 1374 et 1387, on déplaça plus à l’est le port et son village, entre le Vil et la pointe de Bloscon153. Et puis, il y a Saint-Malo. Le port et l’agglomération trouvèrent leur position définitive par nécessité d’être adaptés aux évolutions du milieu naturel. La rive droite de l’estuaire ennoyé de la Rance fut profondément remaniée durant le premier millénaire. Alet, tournée primitivement sur l’anse Solidor, qui formait alors un port d’échouage très bien protégé au pied des remparts de la cité, fut progressivement abandonnée au cours des xie-xiie siècles. Les pillages répétés, subis durant la période précédente, l’avaient déjà considérablement affaiblie. Mais à cela s’ajouta l’inexorable rehaussement du niveau de la mer qui détériora les qualités naturelles de Solidor, d’une part, et créa plus au nord un bassin assez grand et mieux abrité, capable de recevoir toutes sortes de bateaux. Le rocher de Saint-Malo qui le surplombe devint le lieu d’habitat de marins et de commerçants, qu’une grande partie de la population d’Alet ne tarda pas à rejoindre154. Pour terminer sur ce point, l’agglomération d’Ostende, ainsi que son port, durent être déplacés au début du xve siècle derrière une digue protectrice, en raison des assauts destructeurs et répétés de la mer155.
Gestions et règlementations relatives aux déchets et au lest
78Les commentaires de René-Josué Valin relatifs à plusieurs articles consacrés à « la police des ports, côtes, rades et rivages », contenus dans l’ordonnance de la marine de 1681, permettent de se représenter assez clairement avec quelle acuité la problématique des déchets mobilisa les autorités portuaires depuis la seconde moitié du Moyen Âge :
« [Titre premier, article premier]
La police des ports & havres est un objet extrêmement important, c’est pourquoi notre Ordonnance y a fait dans son titre & en plusieurs autres une sérieuse attention. Mais comme il est des ports qui, par leur disposition exigent plus de précautions & de vigilance encore que d’autres ; il y a été fait des Réglemens particuliers, qui, antérieurs ou postérieurs à l’Ordonnance, n’en doivent pas moins être exécutés, l’Ordonnance n’ayant nullement entendu déroger aux premiers, mais seulement suppléer ce qui pouvoit y avoir été omis, ni empêcher qu’il fût pris dans la suite d’autres précautions que celles qu’elle avoit indiquées.
Un des premiers soins que l’on doit donner à la conservation d’un port, est de l’entretenir dans sa profondeur & netteté ; sans quoi il se combleroit peu à peu, & deviendroit inutile.
C’est bien assez d’avoir à se garantir des vases & du limon que la marée y apporte continuellement, & qu’elle y dépose d’une manière assez sensible, sans qu’on soit surchargé de la dépense d’en enlever les immondices qui pourroient y être jettées par les particuliers, ou entraînées par les égoûts de la ville.
[…] Et parce que si l’on souffroit près du quai des tas d’ordures, de décombres ou de bourriers, ce seroit une occasion pour les jetter furtivement dans le havre la nuit, indépendamment des incidens qui pourroient en procurer la chûte, soit par le passage des voitures, soit par les pluies abondantes.
[…] C’est aussi par le même motif que le Règlement de l’Amirauté de Dunkerque du 23 décembre 1690, enjoint, art. 13, au maître de quai « de ne pas souffrir qu’on décharge sur les quais aucunes pierres ou autres choses qui puissent tomber dans le port, plus près du bord que des dix pieds ».
« [Titre IV] Du lestage et délestage
On sent de quelle conséquence il est que le lest soit jetté dans les endroits où il ne puisse encombrer les rades, les ports & les entrées des rivieres.
C’est pour cela que dans tous les temps il y a eu des endroits marqués pour y déposer le lest ; mais aussi dans tous les temps les capitaines où maîtres de navires, pour épargner la dépense que cause la décharge du lest, ont conservé la criminelle habitude de jetter leur lest, en tout ou partie, en arrivant dans les ports et rades156. »
79Compte-tenu des risques que faisaient peser sur la qualité des sites portuaires les dépôts sauvages et répétés du lest employé pour stabiliser les navires, les autorités en prise avec ce problème se sont souciées d’en prévenir le danger, en désignant les endroits précis retenus pour déposer le ballast, et en confiant à des agents le soin de superviser le respect de la réglementation en la matière. Ses émoluments et les infrastructures affectées à ces opérations étaient généralement financés par une taxe idoine : un droit de « délestage » imposé aux maîtres déchargeant leur lest, et un droit de « lestage » pour tous ceux qui réemployaient ledit lest, soit pour la navigation, soit pour la construction.
80La ville de Bayonne possédait ce droit de « lestage ». Il est évoqué en 1533 comme lui appartenant « de tout temps et ancienneté157 ». À Bordeaux, comme à La Rochelle, la gestion du ballast a longtemps incombé aux agents du roi. Le 20 juin 1336, ordre fut donné au sénéchal de Gascogne d’obtenir des informations complètes à propos d’une affaire de saisie de lest. En effet, des marchands et marins de Bristol en avaient apporté à Bordeaux et ailleurs dans le duché de Guyenne, sous forme de grandes pierres employables pour la construction, dans l’intention de les vendre. Manifestement, il s’agissait là d’une pratique courante, qui permettait à l’armateur de mieux valoriser son trajet d’aller lorsqu’il voyageait sans fret. Le connétable de Bordeaux, le prévôt de l’Ombrière ou d’autres agents royaux, avaient fait saisir les matériaux en raison leur responsabilité du délestage. Or dans ce cas, il leur était interdit de le faire, ces pierres étant considérées comme des biens marchands comme les autres. La seule obligation pour les propriétaires était, dans l’éventualité où les services du roi en avaient besoin pour leurs propres travaux, de leur en réserver la vente158. On délestait les gros vaisseaux stationnés dans le fleuve à l’aide de gabares159. Selon l’ordonnance des commissaires de Charles VII sur la réformation de la justice en Guyenne, les navires qui voulaient transborder leur lest devaient en demander la permission au prévôt. Ce dernier leur faisait indiquer l’endroit convenable par un sergent, auquel les maîtres payaient douze deniers. Et si les sables et les pierres étaient déversés dans le port, il en coûtait 48 sous d’amende160. Les étrangers étaient même, dans ce cas, passibles de confiscation de leurs navires161.
81Nous avons déjà mentionné que le roi fut saisi, en mai 1473, de plaintes produites par les Bordelais à l’encontre du prévôt de l’Ombrière, dont ils critiquaient le manque d’application à faire respecter la réglementation162. En réponse à leurs sollicitations, ayant déjà accordé aux maire et jurats la juridiction sur le fleuve, il ajouta la police sur les navires qui entraient dans le havre, en précisant qu’il leur revenait désormais de veiller à ce que les vaisseaux ne jettent plus leur lest qu’aux lieux qui leur seront indiqués par l’autorité municipale :
« C’est assavoir que, à chascune flote de navires qui viendra et arrivera audict Bourdeaulx, sera faicte inhibition et deffense de par nous, en nostredicte ville et cité de Bordeaulx, et par lez maire et jurez de ladicte ville, ou leurs commis ou depputez, à son de trompe et cry publicque, se mestier est, que nul ne soit si osé ne hardy de mectre ne gecter last en la rivière de Gironde, depuis le tret d’icelle jusqu’à Bourdeaulx, sus peine de confiscation et de perdition de leurs navires.
Item, et quant aucun navire sera conduit et arrivé au devant de ladicte ville, le maistre d’icelluy sera tenu de venir demander congié de delaster ausdicts maire et jurez, ou à leurs commis ; et sera tenu mectre le last Ià, où, par lesdicts maire et jurez, ou leursdicts commis, leur sera ordonné, de plaine mer ; et ne seront lesdicts maire et jurez tenuz donner ledict congié que, premièrement, n’ayent faict voir et visiter lesdicts navires pour sçavoir s’ils auroient esté delastez, ou non ; et, quant lesdicts maistres et mariniers deschargeront ou feront descharger ledict last en leur bateau, pour le mener là où leur sera ordonné, seront tenus de le gecter de jour, et du costé de devers nostredicte ville de Bourdeaulx, et mectre le tref au bort de leur navire, affin que, en gectant ledict last, icelluy last ne tombe en ladicte rivière ; et, auparavant que ledict congié leur soit donné, seront tenuz lesdicts maistres et mariniers de faire serement sur les saínctes évangiles de Dieu, qu’ilz n’ont gecté ne faict gecter ledict last en ladicte rivière, et ne savent qui en y faict gecter ; et, s’il en y a aucuns qui soient de ce trouvez chargez et coulpables, seront pugniz, par l’ordonnance desdicts maire et jurez, de la peine devantdicte, à la rigueur, ainsi que dessus est dict et declairé. »
82En d’autres termes, la réglementation instituée par ce texte prescrivait que les flottes étrangères soient prévenues à leur arrivée de leurs obligations en matière de délestage. Cette opération devait se faire de jour, au moment de la pleine mer, à un endroit approprié sur la rive gauche du fleuve, voiles carguées pour éviter de gêner la manutention. Et puis les maîtres de navires avaient obligation d’obtenir un congé de la municipalité une fois l’opération réalisée et les cales dûment vérifiées. Les contrevenants risquaient de se voir confisquer leur vaisseau. Par arrêt de 22 mars de l’année suivante, il fut précisé que la commune ne pouvait délivrer lesdits droits à ferme ni à cens, pour les abus et inconvénients qui pourraient en résulter163.
83À Libourne, on déposait le lest près de la grosse tour nord, dans un lieu appelé « le Fourat164 ». En 1331, puis le 22 juin 1341, les jurats obtinrent le droit d’employer les pierres et le sable jetés par les navires arrivant en Dordogne et atterrissant entre Bourg et Libourne, pour la réparation des murailles de la ville165.
84Entre le Gua jusqu’au Chapus, il revenait à la prévôté de la seigneurie purement maritime nommée « la Rivière de Seudre », appartenant au prieuré de Saint-Gemme, d’assurer l’entretien de cette zone estuarienne et de la protéger des rejets intempestifs. Il levait pour cela un droit de « délestage166 ». À La Rochelle, un officier de la prévôté fut chargé, dès le xiiie siècle, d’indiquer aux navires venant à lège l’endroit désigné pour le dépôt de lest. Les modalités exactes de cette fonction furent précisées en 1408167. Mais régulièrement, la commune avait eu à déplorer les mauvais services rendus par ce sergent qui percevait le droit de « délestage » sans indiquer aux marins le lieu légal des dépôts de lest. Les plaintes se succédèrent en 1408 et 1460168. L’échevinage, continuant de dénoncer « non sans arrière-pensée » le comportement des officiers du roi, finit par obtenir gain de cause. Peut-être dès 1461, et de façon certaine le 25 octobre 1465, il reçut de Louis XI, parce que « l’entretien et conservation du havre et encrages d’iceluy » était capital pour la ville, les droits de « lestage » et de « délestage », sans avoir à en rendre compte à l’administration royale. La décision fut confirmée en 1474, 1475 et 1487169. Cependant, les octrois royaux, maintes fois entérinés, continuèrent de subir les contestations des procureurs zélés. En 1499, l’un d’eux dénonçait toujours l’usurpation faite par la commune des droits de « balizaige » et de « lestage » qu’elle avait vendus, il y a quatre ans, à Etienne Chasteignier, pour la somme de 300 livres170. Le 21 janvier de cette même année, leur ferme commune, estimée à 200 livres annuelles, avait été attribuée à la femme et aux enfants d’Etienne Châteignier171. Toujours en Aunis, au nord de La Rochelle, un nouveau port fut installé dans la conche de Queue-de-Vache à partir de 1436. Selon sa charte de fondation, son propriétaire était en mesure de prélever un droit de « délestage » sur les navires accostant à son quai172. D’ailleurs, l’épandage qui en suivi est encore reconnaissable sur le site actuel. Dans un acte notarial de 1565, sont mentionnés « les grisons et pierre estant au pied des caix de pierre de taille dudit havre173 ».
85Dans le petit port de Saint-Benoît, établi sur le Lay, un fleuve côtier débouchant sur l’actuelle baie de l’Aiguillon, les opérations sur le lest des bateaux donnaient lieu au paiement d’un droit particulier174. Et dans la Baie, en 1468, parce que l’étier qui permettait d’accéder au port de Bourgneuf se trouvait comblé par les différents matériaux relargués, le duc François II prit des dispositions pour financer la remise en état du bras d’eau et interdire le « délestage » à cet endroit175.
86Les autres secteurs littoraux sont beaucoup plus pauvres en informations de cette nature. Nous n’avons repéré, ni chez les ports bretons, ni chez les ports normands, la nécessité de traiter des problèmes semblables. Seuls les abords de Nantes et de Rouen, destinations importantes du commerce maritime international, devaient faire l’objet d’attentions particulières sur ce point. En dehors des avaries archivistiques, cela tient à deux raisons essentielles. Beaucoup de ces ports n’accueillaient finalement qu’assez peu de navires étrangers, l’essentiel de leur mouvement étant le fait de leurs propres bateaux. Et puis, la balance commerciale de leur trafic devait être relativement équilibrée. Cela implique que les bâtiments qui les fréquentaient ne se déplaçaient, en toute hypothèse, que rarement sur lest. Quant aux ports picards, nos sources ne sont guère plus prolixes sur la question. Une charte de privilège accordée par Guillaume XII, comte de Boulogne, le 2 février 1331, met en lumière des dispositions réglementaires relatives aux pêcheurs de harengs, ceux-ci étant autorisés à lester leurs embarcations à condition de ne pas « empirier havene176 ». Voilà tout.
87En Flandre maritime, Calais s’illustre par ses importations de lest en provenance d’Angleterre, qui lui permirent de fabriquer et de consolider ses jetées177. Marc Ryckaert – sans nous communiquer ses sources malheureusement – affirme qu’en Flandre le « délestage » devait se faire en mer, à l’approche des ports. Parfois des capitaines pressés ou peu scrupuleux relarguaient dans le havre même, ce qui déclenchait des mesures visant à empêcher ces pratiques clandestines178. Le 4 octobre 1408, un accord fut spécialement conclu avec les marchands de la Hanse au sujet des droits pratiqués dans le Zwin pesant sur l’usage de ballast. Puis en 1435, les quatre membres de Flandre rappelèrent que les Hanséates avaient « le privilège de ballaster eux-mêmes leurs vaisseaux ». Ces droits figurent également dans la charte de privilèges accordée le 1er octobre 1414 aux négociants de Gênes résidant à Bruges179 :
« [18] Item, que lesdiz de Gennes pourront doresenavant mesmes ballaster leurs vaisseaulx et franchement prenre le ballast aux places accoustumees, en paiant de chascun batel nostre droit de seignourage avec le quatre deniers parisis seulement ; mais seront tenuz de premierement ce signifier au fermier ou celui qui recevra nostre droit dudit balast. »
88Complétons ces éléments avec un article consacré à ce sujet, dans les privilèges accordés au Portugais en 1411 et reproduit dans ceux octroyés au Génois en 1414180 :
« [42] Item, que les maistres et maronniers de ladicte seignourie puissent mesmes laster leurs nefz, en paiant quatre deniers parisis monnoie de Flandres pour chascun batel de terre de lastage ; et se mestiers avoient de lasteurs, quils les puissent avoir pour tel pris quils accorderont ensemble avec les lasteurs ; ou silz nestoient daccord, au dit de la loy de la Mue pour raisonable pris ; ne ne soient mis en calenge pour terre qui cherroit entre le batel qui donne le lastaige et la neif, par ainsi quilz y mettent ung bon grant drap entre la nef et le batel qui delivre ledit lastaige en payant le droit a nous appartenant, et sans dommaige faire a autruy. »
89Il ressort de ces documents que la réglementation n’avait pas uniquement pour but de contrôler les dépôts de lest ; elle touchait aussi les rechargements en pierres, sable et autres matériaux, opérations nécessaires pour des bâtiments qui, arrivant pleins de produits, repartaient les cales vides. Dans l’ordonnance sur la navigation du 6 décembre 1403, arrêtée par la diète de Lübeck pour les marchands de la Hanse à Bruges, sont mentionnés les bâtiments repartant de Flandre sur ballast181 : ils n’étaient pas autorisés à mettre les voiles après le saint Martin (11 novembre). Sous Philippe le Hardi (1363-1404), des taxes perçues à L’Écluse au titre du « congé du lest » et du « droit de lest » figuraient parmi les ressources du domaine comtal182. Elles furent encaissées jusqu’au 9 février 1479, date à laquelle les Brugeois obtinrent de Maximilien Ier, moyennant finance, l’abolition de divers prélèvements dans ce port, désignés sous le titre général de petit octroi, et parmi lesquels se trouvaient le recht van den Ballaste183. Les recettes finançaient l’emploi des « meneurs de ballast » dont le travail était réglementé. En 1498, ayant repris en main la ville de L’Écluse et son administration, l’archiduc exigea d’eux qu’ils n’usent plus « de leurs biens, privilèges ou coustumes, tant et jusques à ce que nouvelle ordonnance leur soit par nous sur ce faicte184 ». Leur travail n’était pas irréprochable. C’est que laisse entendre un passage du catalogue de plaintes émises le 30 décembre 1434 par les marchands de la Hanse, dans lequel il leur est demandé de faire preuve de plus de régularité185. Et selon les privilèges de la ville de Bruges, renouvelés en 1477 par Marguerite de Bourgogne, les exactions de ceux qui fournissent le lest aux navires devaient être à l’avenir sévèrement punies186.
90Quant aux divers déchets qui pouvaient être déposés sur les berges ou déversés dans les eaux du port, des solutions étaient aussi envisagées à leur égard. Dans l’urgence, il s’agissait d’abord de débarrasser le site des éléments polluants identifiés. En 1329, le connétable de Bordeaux fit ainsi curer le chenal et les fossés à proximité du port de Talmont-sur-Gironde187. Ensuite, des dispositions règlementaires pouvaient être prises, comme pour les « padouens » bordelais. Dès 1253-1254, il fut décidé « que neguns, en aquera place, no face aucun embarc, et, si aucuns i pausava aucuna causa, dedintz très dias l’agos ostada ; ni aucuna naus, de ci evant, no sedi ni estace en tota la vasa davant lodit paduent, en neguna maneira ». Autrement dit, on défendit de laisser à l’abandon quoi que ce soit sur la place de l’Ombrière, les contrevenants ayant trois jours pour retirer ce qu’ils y avaient déposé. La même décision fut appliquée au port Saint-Pierre188. En 1336, la commune précisa ses sanctions dans deux articles :
« [art. 3] Item, de las medissas partz, deffendem que nulhs hom ni fempna no gita terra, pallia ni ordura eus grantz fossatz, dedens, ni près losy portaus de la Vila, ni en la Divicia, ni en l’estey de Pont-Sent-Johan, ni en la plassa Sent-Pey, ni sobre la mar, ni [en la plassa Sent-Progeyt, ny] sobre nulh autre paduent, sobre lodeit gatge.
[art. 4] Item, de las medissas [partz], mandam a tôt home o fempna qui aya mes enbargament sobre lo paduent que, d’aqui ad uyt, lo aya ostat, ni plus non y meta sens licencia deu mager e deus juratz, outra la manera acostumada, sobre lodit guatge, e de perdre la causa qui enbarguere lodeit paduent. »
91Ainsi, le fait de jeter quoi que ce soit dans les fossés, dans la Devèze, dans le Peugue, dans la Garonne et sur les « padouens », était désormais passible d’une amende de 65 sous189. Cependant, rien n’y faisait, et des personnes indélicates continuaient de se débarrasser sur l’espace portuaire de leurs déchets et de leurs biens inutiles. En 1406, la jurade les sanctionna à nouveau de la manière suivante : « et asso sotz la pena deu gatge que dessus per cascun tombareu, et per cascuna saumada : XX. soutz, applicadors et lebadors cum dessus » ; disposition qu’elle reprit et renforça en 1420 : « et asso, en la pena de LXV. soudz de gatge, per tantas causas cum se trobera que hom tenga lospadoentz enpachatz190 ». Nous ne savons pas dans quelle mesure ces injonctions produisirent les effets escomptés.
Les aménagements hydrauliques de curage
92La réglementation avait ses limites, non seulement parce qu’elle n’était pas correctement respectée, mais surtout parce que le danger de comblement qui menaçait beaucoup de ports ne provenait pas directement de causes anthropiques. Nous l’avons vu, il émanait de processus propres à l’environnement naturel lui-même. C’est en contexte d’estuaire, de marais et de plaine maritime, c’est-à-dire là où les phénomènes sédimentaires furent les plus manifestes, que le déploiement de l’ingénierie humaine s’avéra particulièrement nécessaire. Cependant, dans ces circonstances, les efforts consentis pour creuser et entretenir les ports ne connurent pas partout la même importance. Dans les espaces salicoles d’entre Loire et Gironde, les installations portuaires profitaient des aménagements hydrauliques déployés par les paludiers et venaient s’y greffer, sans être le motif principal des travaux engagés. L’alimentation en eau de mer des aires saunières d’une part, l’évacuation des eaux douces des plateaux alentour d’autre part, nécessitaient le développement de canaux le long desquels il suffisait de venir fixer quelques cales et pieux pour charger et décharger le sel. Au contraire, derrière les cordons littoraux de Normandie, de Picardie, d’Artois et de Flandre, la conservation des conditions naturelles initialement favorables à l’implantation de havres, ces derniers ayant permis l’émergence d’agglomérations prospères, constitua un enjeu permanent pour les populations urbaines et leurs autorités de tutelle. Dans ces régions, l’ampleur des entreprises consacrées au déblayement des dépôts sédimentaires mobilisa des moyens considérables.
93Compte tenu des capacités techniques d’alors, il n’était pas question, comme aujourd’hui, d’aspirer les dépôts alluviaux. Aussi, diverses méthodes, plus archaïques, étaient employées afin de dégager les pouliers, les sables et les fanges. Aux Sables-d’Olonne, encore à l’Époque moderne, dans le but de désengorger l’entrée du chenal, on pratiquait régulièrement, au niveau de la Barre, ce qu’on appelait « l’enfermurre ». Lors de grandes marées, des fagots étaient fixés sur un câble tiré de part et d’autre de la passe et, mus par le courant, ils balayaient les sables. Ensuite, des balises étaient fixées pour matérialiser le nouveau parcours à emprunter. Afin d’entretenir ce dispositif, chaque navire devait payer un droit d’entrée de cinq sous191. La Reie, qui participait à l’accès de Bruges à la mer, fut draguée à plusieurs reprises entre la fin du xiiie siècle et le xve siècle. En 1470, la ville obtint du roi de Sicile un nouveau modèle de drague rendant plus efficace le déblaiement des sédiments192.
94À Harfleur, on attendait les plus basses marées pour assécher la partie intérieure du complexe portuaire au moyen de ses écluses et de batardeaux. Ensuite, on confiait à des terrassiers le soin d’évacuer les sédiments indésirables. Voici une description d’une de ces opérations, menée en 1473 :
« Ledit temps semblablement pione et manœuvre au curage et vuidange dudit havre, de l’autre partie d’icellui au bout du planchié du sault de la grant bare, pour porter hors les gravois et vases estans illec, affin de abesser le fons dudit havre en telle maniere que la place dudit planchié peust demourer à sec pendant pioner et planchoier illec endroit ainsi que anciennement il souloit estre193. »
95Ce travail de « curage, vidange et vuidement des vases » était effectué à la pelle, à la pioche et au râteau, par les populations locales elles-mêmes194. Puis, les matériaux rassemblés étaient évacués au moyen de chariots, « d’hotes » et de dizaines de « civieres à main faites à la façon des cofres de brouetes195 ». En avril 1473, afin de faciliter le trajet des ouvriers affectés au nettoyage du Clos aux Galées, on entreprit même de fabriquer à titre provisoire « un pont de claes » en bois196. Il est probable que dans beaucoup d’endroits où les sédiments se trouvaient accessibles à l’air libre, un entretien manuel des berges et des fonds du port était ainsi réalisé. Sa récurrence et son ampleur dépendaient de l’importance des phénomènes d’alluvionnement, d’une part, des moyens financiers et humains affectés par les autorités de tutelle, d’autre part.
96De tels travaux s’avéraient relativement coûteux et, surtout, leur efficacité demeurait ponctuelle. Aussi, lorsque cela était possible, on complétait ou remplaçait le nettoyage manuel par une une solution hydraulique. Elle consistait à déblayer les sédiments qui s’accumulaient dans le fond des bassins portuaires au moyen d’un courant d’eau artificiel, obtenu par un système de portes ou d’écluses. L’intérêt de ce dispositif était triple. Il permettait d’utiliser la puissante force motrice de la marée ou du débit fluvial, que ni les hommes ni leurs animaux n’auraient pu fournir. Son effet de chasse était reproductible autant de fois que cela était souhaité. Et il pouvait maintenir un niveau d’eau suffisant dans le port afin d’assurer le stationnement et les manœuvres des plus gros navires.
97On retrouve l’emploi de cette méthode au sein de nombreux sites. Lors de la formation du port de Gué-Charreau dans les années 1330, ou de celui de Queue-de-Vache au xve siècle, de telles écluses furent édifiées197. On en remarque aussi à Harfleur. Appelées « les barres », elles étaient positionnées aux extrémités de la portion de la Lézarde qui traversait la ville et accueillait le port de commerce. Les écluses d’amont étaient associées à deux moulins. Ces dernières furent construites en 1391-1398 moyennant le déblocage de quelque 6 000 francs d’or. Plusieurs pièces comptables précisent les différents aspects de leur construction, puis de leur entretien198. Fermées à marée haute, elles retenaient le cours de la rivière et formaient ainsi une grande retenue d’eau qui envahissait les terres alentour. Ensuite, les portes étaient ouvertes, produisant un flux qui chassait le limon et entrainait simultanément le mécanisme du « petit moulin […] qu’il ne peut marcher que quand le cours de cette riviere est interrompu par la barre ; la roue étant trop élevée, il faut une hauteur d’eau extraordinaire pour operer une chute capable de la faire tourner199 ». Un document du 24 décembre 1475 relate l’usage qui était fait de ces écluses :
« Item, lesd. deux moulins ont vacqué par quatre marées qui sont deux jours, c’est assavoir le xxe, xxie, xxiie et xxiiie jours de Nov. pour tenir les eaues tout le long de la marée, afin que plus aisement l’on besongnast à oster ung grant gravois nommé poullier, estant près la fosse de Leure, lequel estoit dedens led. hable, en maniere que les navires ne povoient entrer ne yssir dedans icellui200 […]. »
98En aval, au niveau du « pont aux chaînes », furent établies les secondes écluses qui complétaient le dispositif de maintien à flot et de nettoyage du bassin de commerce. Elles étaient constituées de différentes pièces de bois dont les principales étaient les portes – dites aussi les « manteaux » –, le seuil et les « estorqs ». Leur réfection apparaît dans plusieurs quittances des années 1470. Selon l’une d’elle, il s’agissait d’une « escluse à auge et à pilon estant en la maconnerie prouchaine de la muraille qui soustient le pont aux chenes, devers le clos aux galees. Laquelle maconnerie il a convenu de maconner et refaire tout à neuf entour la dicte escluse pour ce que l’eaue de la mer entroit parmy la dicte muraille201 ». L’ensemble du système d’écluses fonctionnait de concert. Entre août 1475 et janvier 1476, on fit ouvrir 24 fois le « cours des deux bares d’icelle ville, […] pour curer et nectoïer le havre de lad. ville et pour l’entretenement d’icellui202 ». Enfin, deux autres mécanismes de fermeture, de régulation et de curage du cours de la Lézarde venaient parfaire ce dispositif principal. L’un se trouvait dans le fossé du Clos aux Galées203 ; l’autre fut construit lors des travaux de 1474-1477, pour équiper les tranchées creusées afin de désengorger la crique d’Espagne et la fosse de Leure204.
99Le port principal d’Honfleur, appelé l’Enclos, était lui aussi régulièrement nettoyé au moyen trois écluses205. Celui de Fécamp en fut équipé vers 1200206. La plupart des espaces portuaires de Flandre maritime, sans cesse menacés par les incursions des sables, en étaient également dotés : Calais Saint-Omer, Dunkerque, Nieuport, Ostende et Damme207. Ces écluses, construites pour certaines dès le xiie siècle, permettaient de surcroît de maintenir à niveau les voies navigables et d’éviter que la mer ne pénètre trop violemment dans l’espace agricole, toujours menacé de submersion.
100Ces aménagements mécaniques, centraux dans la gestion hydraulique des bassins portuaires, s’inséraient en général dans un ensemble d’autres équipements, positionnés en amont et/ou en aval, et qui facilitaient et accéléraient le débit de l’eau. Toujours à Harfleur, les fonds des sections réservées au commerce et au Clos aux Galées, desservies par les deux « barres », avaient été couverts d’un plancher. Par ce moyen exceptionnel, les sédiments déposés par la mer pouvaient être refoulés plus facilement lorsque la chasse des écluses était activée. Il est probable que ce revêtement fut établi lors de la phase des grands travaux de 1391-1398208. Ensuite, on le rénova dans les années 1470-1480, en faisant « paver et plancher de bois le fond dudit havre, tant dedans ladite ville que dedans le Clos aux Galées209 ». Un plancher de la sorte a été également découvert sur le site de Pennedepie, à l’embouchure du ruisseau de Saint-Georges210.
101Et puis, il y avait la somme de canaux creusés et édifiés pour rectifier le cours des fleuves côtiers ou pour rassembler et contenir les eaux douces ou saumâtres des marais. Ces dernières étant ainsi concentrées et conduites de façon rectiligne, leur débit en était augmenté, améliorant d’autant l’effet de chasse des écluses. Il ne saurait être question ici d’évoquer tous ces aménagements. Nous avons décrit la plupart d’entre eux dans le Tableau géohistorique. Les plus remarquables furent constitués entre la Charente et Gué-Charreau, sur la Moulinette près de La Rochelle, sur l’Erdre et le long des berges ligériennes de Nantes, sur la Touques depuis la mer jusqu’à Lisieux, entre Harfleur, la crique d’Espagne et la fosse de Leure, à Saint-Valery-en-Caux, sur la Bresle depuis Le Tréport, sur la Maye à proximité de Rue, entre Saint-Omer et Calais, autour de Gravelines, de Mardyck et d’Ostende, entre Bergues et Dunkerque, sur l’Yser jusqu’à Nieuport, ainsi qu’entre Damme et les ports de Bruges, Gand et L’Écluse211. En dehors du rôle important qu’ils jouaient dans l’évacuation des sédiments accumulés dans les ports et leurs accès, ils reliaient par voies d’eau les agglomérations voisines, et contribuaient à l’assèchement comme à l’irrigation des prairies et des terres emblavées alentour. En définitive, ils ajoutaient entre l’hinterland et le territoire portuaire un lien fonctionnel d’interdépendance qui nécessita, nous le verrons plus loin, l’établissement de partenariats forts entre les communautés humaines concernées.
Les structures de protection
102Les règlementations étaient destinées à éviter les dépôts sauvages de produits divers ; les aménagements hydrauliques permettaient de nettoyer les fonds et les accès portuaires ; il restait à contenir les invasions des sables et des pouliers qui menaçaient les entrées de certains ports. Hier comme aujourd’hui, on s’employait pour ce faire à construire des jetées qui barraient les courants dominants porteurs des matériaux indésirables.
103La construction d’un ouvrage de ce type paraît avoir été lancée à la toute fin du xve siècle à Roscoff, lors de l’exécution de travaux importants. Mais le projet fut avorté après la réalisation des premiers mètres de maçonnerie212. Un brise-lames du même type a pu aussi équiper le port de Saint-Malo213. Notons toutefois que dans les deux cas, ces structures étaient davantage destinées à abriter les eaux portuaires de la houle qu’à les protéger de quelconques sédiments. Afin de contenir les limons qui pénétraient la passe conduisant au complexe portuaire d’Harfleur, on fit réaliser un môle au niveau de la Petite Leure214. À Honfleur, le « havre du dehors », situé au nord de la ville, était bordé de deux jetées mentionnées à partir de 1430. Elles stoppaient l’alluvionnement qui engraissait la rive gauche de la Seine, et protégeaient par la même occasion l’entrée du « havre de l’Enclos ». D’abord fabriquées en bois, ce qui les rendait fragiles au contact des forts courants qui sévissent à cet endroit, elles furent restaurées puis bâties de pierres à partir 1493, sur les ordres successifs de Charles VIII puis de Louis XII215 (fig. 71).
Figure 71. – Les jetées d’Honfleur au xve siècle.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2017.
Figure 72. – L’état de la jetée de Fécamp en 1702.

BnF, GE SH 18, Pf. 36, DIV 5, P 4 : détail du « Plan du port de Fécamp », par Nicolas Magin, 1702.
Figure 73. – Les jetées de Saint-Valery-en-Caux au xviiie siècle.

BnF, GE SH 18, Pf. 36, DIV 4, P 3D : détail de la « Carte de Saint Valery en Caux et du paisage de ses environs », xviiie siècle.
104En pays de Caux, l’usage de ce genre d’infrastructure semble avoir été plus répandu. À Fécamp, à l’orée du xiiie siècle, en même temps qu’on entreprenait la construction d’écluses, des jetées furent également conçues pour fixer le chenal d’entrée du port. Certains de ces éléments sont encore représentés dans la cartographie du début du xviiie siècle (fig. 72). Les comptes de Regnault Cappelain, « clerc et gouverneur du hable » de Saint-Valery, réalisés entre 1420 et 1422, signalent l’existence de deux « espys » (fig. 73). Ils permettaient de contenir les courants marins ainsi que de diriger le débit vers l’aval, au jusant, pour repousser les amas de galets formés à l’embouchure. Fragilisés par les éléments, ils nécessitèrent d’être repris, renforcés et allongés. On installa pour cela 4 000 fagots de bois, fichés dans les estacades ou maintenus à l’aide de pierres. Cependant, la force des flots eut rapidement raison de ces nouvelles installations216. Peut-être que les jetées du Tréport entretenues au xviie siècle par les moines de Jumièges existaient déjà au Moyen Âge217. Les murs d’un épi sont en revanche attestés à Dieppe dès le xive siècle (fig. 74). En 1362, l’ouvrage n’était pas achevé que les Dieppois s’alarmaient de son état de délabrement en raison des assauts de la mer. Il fallut attendre 1439 peut-être, les années 1457-1459 certainement, pour que le roi autorise la réparation et le prolongement de ladite jetée. En 1463, on constatait que « la jettée, qui est un grand édifice de bois, construit et assis dedans la mer, pour tenir ouvert l’entree du habie dudit lieu, car autrement il seroit estoupé, et n’y pourroient les navires entrer ny issir », nécessitait des coûts d’entretien très importants218. C’est entre 1458 et 1464 que fut réellement lancée sa réfection. Pas moins de 26 navires, chargés chacun de 20 à 30 tonneaux de bois, alimentèrent le chantier de la jetée. On en profita peut-être même pour en maçonner une partie219.
Figure 74. – La jetée de Dieppe au xve siècle.

Conception et réalisation : Mathias Tranchant, 2017.
105Selon les pièces d’un procès survenu dans la première moitié des années 1420, il existait à cette époque, à Étaples, une jetée entretenue par la communauté urbaine220. C’était aussi le cas à Boulogne. Les comptes de cette ville, pour l’année 1415-1416, enregistrent des dépenses consacrées à la réparation des épis de protection de son port221 (fig. 75).
Figure 75. – Les jetées de Boulogne au xviie siècle.

BnF, GE SH 18, Pf. 35, DIV 5, P 9 : détail du « Plan de Boulogne », xviie siècle.
106L’histoire des jetées de Calais est la mieux connue de toutes. Elles existaient depuis au moins le xiiie siècle, encadrant le chenal qui conduisait au havre. On les nommait le westbeken et le ostbeken (fig. 76). Battues sans cesse par la mer, il fallait régulièrement les reprendre, ce que, par manque d’argent, les autorités rechignaient à faire. Trop longtemps délaissées, en 1398, leur état de dégradation devenait alarmant, si bien que les Calaisiens sollicitèrent une aide auprès de Richard II. Le pouvoir anglais prit très au sérieux leur requête, le port de Calais constituant une base stratégique essentielle pour relier le continent. Si bien que le 20 juin de cette même année, le roi accéda à leur demande. Une disposition particulièrement originale fut prise à cette occasion. Désormais, tous les vaisseaux en provenance d’Angleterre, à l’exception des bateaux de pêche, devaient prendre pour lest des pierres, afin qu’elles puissent être employées aux travaux de consolidation des jetées. Les contrevenants s’exposaient à une amende de deux deniers par tonneau. Il était en outre interdit d’arrimer les bâtiments aux éléments constitutifs de ces épis. La houle n’avait cure de ces ouvrages et continuait de produire des dégâts qui n’étaient pas immédiatement repris par les instances locales. Une tempête d’équinoxe d’une extrême violence survint en 1439. Elle emporta dans son impétuosité les jetées déjà affaiblies et abima les autres infrastructures portuaires. Les dommages furent considérables. Parant au plus pressé, les Calaisiens s’occupèrent d’abord de colmater les brèches creusées dans les digues et de réparer les écluses. En 1441, on concentra ensuite les efforts sur les structures encadrant le chenal d’accès. Des jetées préfabriquées en Angleterre furent transportées jusqu’à Calais pour y être ensuite assemblées et fixées avec du lest, en provenance lui aussi des rivages britanniques222.
Figure 76. – Les jetées de Calais vers 1544.

D’après l’original déposé au muséum britannique de Londres. Demotier Charles, Annales de Calais, depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Calais, Demotier, 1856, p. 112 et 113.
107L’entrée du port de Dunkerque nécessita elle aussi d’être garnie de structures de protection (fig. 77). Entre 1236 et 1238, Godefroy de Condé y fit construire deux estacades. Destinées à contenir les sédiments et à faciliter l’accès au port, elles étaient formées de poutrelles de bois entrecroisées. En 1377, en dépit des efforts financiers consentis par Yolande de Flandre pour l’entretien du port, l’état des jetées restait préoccupant et il fallait, parmi les « dépenses innombrables », en réserver une part à leur réfection. Il faut attendre ensuite 1402 pour voir les Dunkerquois obtenir de Robert de Bar des recettes fiscales destinées à les aider à reconstruire leurs estacades223.
Figure 77. – Les jetées de Dunkerque (fin xvie-début xviie siècle).

BnF, GE SH 18, Pf. 224, DIV 1, P 5D : Détail des vues de Dunkerque de Georg Braun (1541-1622).
108Terminons notre inventaire de ces équipements de protection en évoquant ceux de L’Écluse. Le port demeurait exposé aux inondations et à la violence des courants de marée qui circulaient dans la partie aval du Zwin. Pour cette raison, en 1402, on se résolu à bâtir en direction de la mer une structure de bois, de pierre et de terre, capable de « brisier les ondes et deffendre laditte dicque contre les flots des eaues de laditte mer ». L’ouvrage, très sollicité par les vagues, dut être repris et renforcé après seulement une dizaine d’années de service224.
109Au total, il apparaît que ce type de structures n’était pas encore très répandu le long des côtes françaises. Rien de la sorte n’émane des sources se rapportant aux ports du golfe de Gascogne ou de la Normandie occidentale. Et pourtant, beaucoup de sites, dont l’entrée était exposée aux vagues et aux mouvements de sables, en auraient eu grand besoin. C’est depuis l’estuaire de la Seine jusqu’en Flandre maritime que ces installations se concentrent. Cela pourrait suggérer que, dans ces régions, on maîtrisa mieux qu’ailleurs l’ingénierie nécessaire à la construction de tels dispositifs, et que les politiques d’aménagement portuaire étaient les plus suivies et les plus abouties.
En conclusion : actions épisodiques ou véritables politiques ?
110De prime abord, les sources hétérogènes que nous avons employées, pour identifier les réactions des populations face aux problématiques environnementales qui affectaient leurs territoires portuaires, suggèrent une grande vulnérabilité face aux éléments naturels. En définitive, la plupart du temps et dans la majorité des endroits, là où les littoraux s’engraissaient ou bien, plus rarement, lorsqu’ils s’érodaient, on se contenta d’ajuster les cales et les quais aux variations du milieu. En contexte salicole, les ports migraient même avec les aires saunières au gré des conquêtes de l’estran. Il semble que les comportements humains relevaient alors d’une grande plasticité devant des phénomènes qu’il paraissait vain de vouloir contrôler, et à plus forte raison de contrer. Lorsque la topographie du rivage restait relativement immuable, comme à La Rochelle par exemple, on était capable de déployer des infrastructures portuaires imposantes, établies sur des sols fermes. Mais s’il s’agissait de lutter contre des processus sédimentaires dynamiques et pluriséculaires, on préféra généralement s’adapter aux nouvelles conditions du moment, quitte à déplacer le centre de gravité portuaire ou à établir un nouveau havre un peu plus loin, en s’assurant toutefois de maîtriser son trafic. Ce constat s’applique, avec des nuances bien sûr, à l’ensemble des côtes comprises entre la Bidassoa et l’embouchure de la Seine.
111Car en effet, il est remarquable de constater que l’estuaire séquanien constitue une limite au-delà de laquelle, jusqu’au Zwin, les sociétés maritaines s’enhardirent à vouloir résister aux transformations littorales. C’est dans ce secteur que se concentrent, nous l’avons vu, les mentions de jetées, d’épis et d’estacades. C’est aussi dans cette zone qu’on eut le plus recours aux endiguements et aux écluses pour fixer et nettoyer les bassins de stationnement naval. C’est là que l’ingénierie, ainsi que les moyens humains et financiers, furent le plus concentrés et le mieux employés pour maintenir l’état initial des territoires portuaires. Revenons donc sur chacun de ces aspects pour tenter d’évaluer les politiques publiques en la matière.
Les ingénieries mises en œuvre
112Si la dessiccation a gagné très tôt, dès le xie siècle, la plupart des grands marais de la France atlantique, pour former un art dont les Flamands et les Cisterciens étaient réputés les meilleurs spécialistes, l’ingénierie portuaire ne paraît pas reposer sur un bagage technique aussi bien établi et partagé. Il faut dire que dans un cas, il s’agissait d’exfiltrer l’eau de la terre à grande échelle, au moyen de réseaux de digues et de canaux, dans un contexte environnemental aux variations modérées. S’agissant du milieu littoral, la puissance et l’inconstance des facteurs climatiques et hydrologiques mettaient en cause à tout moment les dispositifs et les matériels implantés par les hommes, ce qui rendait les solutions plus provisoires et moins reproductibles. Au reste, beaucoup des méthodes employées par les uns et les autres étaient communes225. On avait recours à la construction de digues pour canaliser les eaux et contrôler leur débit. Cela exigeait la mise en œuvre de lourdes opérations de terrassement, renforcées le cas échéant par l’implantation de pieux de bois et de végétation. Exceptionnellement, comme à Bruges depuis le xiie siècle, ces aménagements avaient été développés au sein même de l’espace urbain. Tout un réseau de canaux, tenus en eau par des écluses et des réservoirs – le Minnewater au sud et le Damse vaart au nord – desservait la ville et offrait autant de voies de communication internes226. Les caractéristiques des écluses ne paraissent pas non plus différentes. Finalement, seuls les quais et les jetées constituent des spécificités propres aux ports.
113Nous ne connaissons aucun maître en la matière dont le nom, l’œuvre ou les écrits auraient marqué les esprits et traversé l’histoire. Les responsables des travaux entrepris pour construire, développer, restaurer ou protéger des infrastructures portuaires, quelle que fût leur importance, demeurent pour la plupart anonymes. Il y a bien eu des enquêteurs qui, inspectant le littoral, ont proposé des solutions pour améliorer la navigabilité de certains endroits. Pensons au cas de l’Adour par exemple. Par mandement du 22 juin 1491, le roi Charles VIII avait diligenté une enquête, sur la demande de la municipalité bayonnaise, afin de rendre compte du comblement et du déplacement de l’embouchure du fleuve, ainsi que d’étudier la faisabilité et le coût de l’éventuelle restauration du boucau au gouf de Capbreton. Ce travail de recueil de témoignages et d’observation de terrain avait été confié à Jean de La Barrière, évêque de Bayonne, et Roger de Gramont ; lesquels s’entourèrent de commissaires royaux lors de leurs différentes visites du site, qui se déroulèrent entre les 8 et 9 décembre de cette même année. Parmi ces spécialistes, notons la participation de Blaise de Dalmatie, franciscain natif de Hongrie. Cet expert, par le passé, « avoit remué et retourné plusieurs rivieres et fleuves ». Il avait notamment participé à la déviation du Rhin près de Neubourg227.
114Notre attention s’est aussi portée sur un certain Guillaume Maynard, pair de La Rochelle. En effet, ce dernier paraît avoir été une sorte d’entrepreneur en travaux publics, spécialisé dans les ouvrages portuaires. En 1436, il obtint d’abord la réalisation du nouveau port de Queue-de-Vache228. Puis, en 1452, il proposa et conclut un contrat avec le corps de ville par lequel, contre la somme de 500 livres et la jouissance de la garde de la capitainerie de la tour de la Chaîne, il s’engageait à faire construire « une paulée [structure à base de pieux] picquée dedans la grave, pour retenir ledit cailloux229 », c’est-à-dire une structure destinée à contenir le ballast qui était déposé à l’entrée du havre. Malgré son coût, cette réalisation s’était avérée rapidement insuffisante. En 1474, le projet fut repris avec des pieux de dix à douze pieds de longueur et, en 1499, ce furent 2 500 de ces pieux qu’on assembla pour empêcher le lest et les galets de se déverser dans le fond du port230.
115Quelques autres experts en construction portuaire se distinguent, çà et là. Le Clos des Galées fut aménagé d’après les plans de l’ingénieur génois, de Marchese, entre 1284 et 1294. Un document de 1353 fait référence à Jean Vleughen de Delft, qui proposa une solution pour désensabler le Zwin231. En 1396, Robin de Grosmesnil se vit confier la responsabilité de la rénovation du port et havre d’Harfleur232. Cinquante ans plus tard, la supervision des travaux d’élargissement et de canalisation de la Touques, depuis la mer jusqu’à Lisieux, fut attribuée à un certain Étienne Joly233. À Calais, le 15 juin 1454, c’est le nommé Henry de Bourgchier qui fut mandaté pour étudier ce qu’il convenait de faire afin de protéger davantage le port234. Et dans un document du 19 novembre 1502, est évoqué « maistre Anthoine Pieterssen, maistre des ouvraiges du nouveau port de Lescluse235 ». Cependant, ces personnages n’étaient pas encore les ingénieurs hydrographes, versés dans la chose portuaire, tels ceux qui officièrent au service de la royauté française durant l’Époque moderne.
116Habituellement, la maîtrise d’ouvrage des travaux de construction et d’entretien des ports ressortait aux maires, aux capitaines, aux prévôts, aux baillis, aux sénéchaux, etc., selon l’organisation politique et administrative des places concernées. Ainsi, à Harfleur comme à Honfleur, les capitaines de ces deux villes, représentants du roi, paraissent avoir joué un rôle important dans la conduite des opérations entreprises. À Leure, il s’agissait du prévôt ; à Saint-Valery-en-Caux du « gouverneur du hable », à Dieppe, du sénéchal pour le compte de l’archevêque de Rouen. À Bordeaux, à La Rochelle ou à Bruges, ce sont les communautés urbaines qui étaient à la manœuvre. Les projets qu’elles entendaient conduire relevaient soit de leur propre initiative, soit de la demande formulée par les usagers au moyen d’une plainte ou d’une requête, soit de l’ordre d’une autorité supérieure sur le fondement d’une information ou d’une enquête publique préalable.
117Prenons le cas de Saint-Valery-en-Caux. En 1420, constatant que le havre était tout « estoupé », on réunit en conseil « le viconte et des gens de l’église, marineaux [marins] et autres » pour statuer sur les mesures à prendre afin de le dégager de ses sables236. Encore au début xve siècle, le port d’Ostende n’en finissait pas de subir les assauts de la mer. Le duc de Bourgogne fit réaliser une enquête pour diagnostiquer la situation et connaître les mesures réparatrices qu’il conviendrait de prendre. En 1445, il accepta la proposition suggérée par ses officiers de réaliser :
« un braz de mer sy avant en ladite mer, qu’il leur sembloit estre convenable, en descendant et tirant vers ladicte ville dOostende parmi ladite dike et jusques en icelle ville et eschevinaige en la place qui fu lors advisee au mieulx et plus probablement que ilz ont peu au bien d’icelle ville et du pays d’environ, moyennant municion et deffence de dikes, escluses et aultrement pour la garde du pays alencontre des eaues237 ».
118Quant au Zwin, nous avons montré l’ampleur, le nombre et la succession des opérations qu’on y mena entre les xiiie et xve siècles. Pour la seule période comprise entre 1420 et 1470, nous dénombrons quatorze projets de défense du chenal et de ses ports, établis par différentes commissions d’enquêtes. Devant la gravité de la situation, le duc accepta en 1421 de contribuer au financement d’un plan global d’amélioration consistant à « parfondre et mettre en bon estat le courant de l’eaue entre la ville de Dam et le Zwin devant la ville de l’Escluse ». L’opération se solda encore une fois par un échec. En 1460, le prince consulta de nouveau ses spécialistes « pour trouver manière de faire nettoyer ledit havre [de L’Écluse] et y faire ung autre cours d’eaue afin de faire en aller le sablon qui est en icellui ». Puis une autre commission fut constituée en 1470, sur la demande de Charles le Hardi qui, soucieux de la situation, souhaitait que des solutions pérennes soient trouvées. Les experts expliquèrent le processus d’ensablement en invoquant les causes suivantes :
« Ilz ont trouvé vray semblement ledit empirement estre advenu à l’occasion de ce que plusieurs poldres et scors gisans au long de la mer, tant en nostre isle de Casant comme ailleiurs entre nostre dite ville de Lescluse et noz villes de Oostbourg et de Biervliet, et aussi entre icelle nostre ville de Lescluse et nostre ville de Dam, avoient esté dicquiez et gaignez sur la mer. Par le moyen et occasion desquelz dicquaiges le cours de l’eaue a esté diverty de son anchien cours, telement que celle qui souloit entrer et ysir par ledit port a prins ailleurs son cours et sa retraicte238. »
119Sur la base de leurs travaux, quatre projets furent identifiés pour désengorger l’accès de L’Écluse. On retint celui qui consistait à rétablir un ancien chenal au travers du polder voisin du Zwartegat, afin d’augmenter le courant de jusant dans le Zwin et de mieux déblayer ainsi les sables déposés. Une fois réalisée, cette opération s’avéra non seulement inefficace, mais aggrava de surcroît la situation, si bien que l’archiduc Maximilien fit fermer à grands frais ce canal. Résolus à ne pas se décourager, les Brugeois entreprirent de réaliser une autre des quatre propositions de la commission de 1470. Le combat contre les sables fut poursuivi jusqu’au dernier quart du xvie siècle. Mais, trop inégal, les arènes finirent par étouffer la ville et ses avant-ports239.
Les moyens humains mis en œuvre
120Déjà tenues de participer au guet de la mer, les populations maritaines étaient de surcroît sollicitées afin d’assurer l’entretien courant des ports qu’elles voisinaient. Exceptionnellement, comme à La Rochelle, ce sont les propriétaires des quais et des cales qui avaient pour obligation de nettoyer et de curer les fonds attenant à leur emplacement240. Mais dans la grande majorité des cas, on exigeait ce service des communautés alentour.
121Les villages proches de la fosse de Leure, de la crique d’Espagne et de la crique de Graville étaient régulièrement mis à contribution pour débarrasser les havres de leurs sédiments. D’après une ordonnance de Charles V, datée de mars 1371, les habitants des paroisses :
« de Saint-Eustace de la Forest et de Saint-Jehan de la Neuville […] sont tenuz, toutes les fois que il en est nécessité et que le cas s’y offre, de vuidier le hable d’entre la ville de Harfleur et de Leure, pour plus aisiement et mieux venir les marchandises qui viennent par la mer, et arrivent aux pors des dis lieux, au prouffit et bien publique de nous et de tout nostre royaume241 ».
122À Harfleur, lors de la campagne de réfection du port intérieur, on fit appel au « peuple de la ville besoignant à la vuidange dudit havre242 ». Ces individus étaient encadrés par un pionnier professionnel, rétribué à cet effet. Leur travail s’étalait sur une durée fluctuant entre 5 et 49 jours, avec une récurrence de plus en plus rapprochée à mesure que, dans le xve siècle, l’alluvionnement s’accélérait243. L’ensablement du Tréport menaçant gravement le site, on demanda au roi Charles VIII, en 1484, sur la base d’un mémoire spécialement conçu à cet effet, de faire « contraindre les manans et habitans, demourant a quatre lieues à la ronde du Tresport, soit par vacquation de journées ou en paiant argent, ainsi que verront estre affère pour le mieulx, pour reffere et vuider le hable dudit Tresport, qui est fort ruyneux et s’est remply deppuis ung an en çà244 ». Quant à Mardyck, ce sont ses habitants qui furent tenus de lutter avec opiniâtreté pour tenter de dégager, en vain, leur port des invasions sableuses245.
123Pour des travaux plus exceptionnels, consistant à bâtir ou reprendre des structures portuaires, ou bien à curer rapidement un endroit spécifique, on avait recours aux corps de métier courants du domaine de la construction : des maçons, des charpentiers, des pionniers et des terrassiers. Précisons qu’en dehors de la fabrication des écluses et des jetées, les tâches à effectuer relevaient le plus souvent de basses œuvres ; aussi faisait-on appel à des ouvriers non qualifiés pour cela. Les quelques mentions qui s’y rapportent ne concernent elles-aussi que des sites situés au nord de la Seine. Pour Harfleur, un grand nombre de quittances viennent attester l’exécution d’opérations réalisées par toutes sortent de manœuvres, sans que nous puissions toujours en connaître la teneur246. Par exemple, en 1473, on rémunéra des terrassiers « pour vidange de vases qui ferment tellement que le navire ne pouvait entrer dedans ladite ville247 ». À Honfleur, un certificat délivré le 4 avril 1431 par Jehan Cherwyn, gouverneur de la ville, reconnait la bonne exécution de travaux sur une des jetées du havre par un pionnier, Pierre Lalis, et un charpentier, Jehan Patin248. Entre 1453 et 1457, l’entretien du dispositif portuaire honfleurais fut attribué par enchères publiques. En 1456, l’adjudication des travaux de terrassement, de nettoyage et de vidange du port fut délivrée, sur la base d’un devis détaillé, à un certain Roger Vanier, pionnier, pour la somme de 150 livres. L’année suivante, on renouvela l’opération en précisant qu’il fallait retirer la vase, les branches, les pierres et les autres détritus déposés dans le havre afin de le nettoyer et de l’approfondir. Pour ce faire, les pionniers devaient se munir de cordes pour tirer les charriots. Ils étaient de surcroît autorisés à prendre du bois dans la forêt de Touques, au lieudit « le mont Saint-Jean » à Barneville, pour confectionner les outils ainsi que les engins nécessaires à leur travail249.
124À Fécamp, d’après les comptes de l’abbaye, on fournissait de la cervoise aux ouvriers qui dans les années 1420 avaient été « employés à la percée du havre250 ». La même année, à Saint-Valery-en-Caux, plusieurs de leurs confrères furent employés à « bouter à la barre ». Du 17 octobre au 2 décembre, ils s’évertuèrent sans relâche à « perchier le bout de la cauchie, dépéchier la cauchie de parmi le hable, esperrer et bouter à la barre ». Les terrassiers volontaires étant en nombre insuffisant, le capitaine du château de Neville en vint même à réquisitionner des gens d’Ingouville, de Plaineseuve et de Neville « pour destouper le hable ». Et, entre le 25 octobre au 18 novembre, des terrassiers « boutèrent à la barre, fouirent au bout du hable pour le eslargir, ostèrent grosses pierres et esrachèrent pieux également au bout du hable, esperrèrent, et firent un rnel [canal] parmi le hable ». Toujours à Saint-Valery, la recette du port permettait de payer les salaires de deux « esperrieux » spécialement chargés d’évacuer les galets s’accumulant à son entrée251. L’unique compte de la ville de Boulogne, qui couvre l’année 1415-1416, enregistre des mises extraordinaires destinées aux défenses urbaines, et notamment pour payer les matériaux et les ouvriers nécessaires à la réparation des jetées. À Calais, en 1454, on constitua une équipe de vingt charpentiers et de quinze maçons pour réaliser un certain nombre d’aménagements et de réparations portuaires importants252. Et puis, en mars 1413, des ouvriers travaillèrent à « la reparacion et ouvrage d’une kaye et d’une dicque ou port de l’Escluse […], laquelle dicque contenoit en longueur le nombre de LXIX verges et demi […] et ladite kaye contenoit semblablement LXIX verges et demi253 ».
Les moyens financiers mis en œuvre
125Si le faible bagage de connaissances et de capacités technologiques limitait la pertinence et l’efficacité des mesures ébauchées, l’autre difficulté épineuse à laquelle étaient confrontés les gestionnaires pour assurer la préservation de leurs ports, tenait aux moyens financiers considérables qu’il fallait mobiliser pour les mettre en œuvre. Cette problématique pose la question de la soutenabilité dans le temps des entreprises engagées, ainsi que du volontarisme politique dont firent preuve les pouvoirs compétents pour maintenir les efforts requis et contrer efficacement les incursions alluviales.
126L’entretien courant des ports incombait habituellement aux instances locales. Ainsi, par exemple, selon l’accord passé en 1436 avec Charles VII, la ville de La Rochelle était tenue de faire creuser son bassin portuaire et d’élargir ses abords254. Les frais occasionnés étaient communément couverts grâce au produit des taxes qu’elle percevait à cet effet. Nous avons déjà donné un aperçu de ces revenus fiscaux. Ils comprenaient les devoirs relevant de services portuaires, des douanes et des péages. D’autres détails les concernant figurent dans le Tableau géohistorique, à propos des ports de la Seudre, de Champdolent, du Gué-Charreau, de Queue-de-Vache, de Marans, de la Baie, de Rieux, de Fécamp, de Saint-Omer, etc. Ce mode de financement inciterait, de prime abord, à penser que les autorités ont été relativement prévoyantes en la matière. L’instauration de contributions sur l’activité des ports apparaît comme un bon moyen de couvrir, durablement, les dépenses inhérentes à leur entretien ; considéré de surcroît que le rendement de ces impôts était proportionnel à leur trafic et donc, en partie, à leur besoin de financement. La réalité vient nuancer cette conception des choses. En effet, les recettes fiscales émanant de ces devoirs particuliers constituaient bien souvent une ressource importante pour les villes auxquelles ces ports étaient attachés. Leurs gestionnaires les employaient, dans une large mesure, pour d’autres dépenses que celles attachées au strict entretien des rives, des fonds et des accès. Aussi, les réfections étaient-elles minimisées et différées, de sorte qu’au moment d’intervenir il était trop tard, et il fallait reprendre à zéro, à grands frais, la construction de certaines installations.
127Pour des opérations ponctuelles ou dont l’envergure exceptionnelle nécessitait des moyens inhabituels, il fallait fournir des solutions budgétaires complémentaires. Les souverains et leurs grands feudataires, lorsqu’ils consentaient à aider, dans une certaine urgence, les populations qui les sollicitaient, le faisaient selon cinq manières possibles : soit ils confiaient la conduite des travaux à leur propre administration et acquittaient donc directement les frais occasionnés ; soit ils attribuaient aux habitants, pour un temps donné, une recette fiscale supplémentaire ; soit ils leur faisaient verser, ponctuellement, un don précis en numéraire ; soit ils leur remboursaient, sous une forme ou une autre, les frais qu’ils avaient avancés ; soit ils les exonéraient du paiement de certains impôts. Cependant, par manque de liquidités, les autorités royales ou princières mises à contribution ont souvent privilégié l’octroi de nouveaux revenus fiscaux pour soutenir les projets retenus. Par ce moyen, on peut penser d’ailleurs qu’il était plus aisé d’ajuster les financements, dans un temps donné, aux besoins pluriannuels de la maîtrise d’œuvre. Toutefois, dans plusieurs cas, ces concessions apparaissent davantage relever de politiques désordonnées et impréparées. Quelle que soit la disposition retenue pour apporter l’appui sollicité, elle semble rarement procéder d’une réelle anticipation des besoins, qui aurait été fondée sur la planification rationnelle des interventions à accomplir. Au contraire, beaucoup de réponses paraissent contraintes et forcées, eu égard à l’état d’urgence manifesté par la population locale demandeuse. Plusieurs exemples illustrent cette réalité.
128Le chenal de la Moulinette, qui traversait les marais et débouchait sur le havre de La Rochelle, avait été canalisé en 1325, permettant aux gabarres porteuses de tonneaux de joindre les terres viticoles. Il desservait plusieurs ports dont celui de Périgny. Afin de couvrir les frais nécessaires à la réparation et à l’entretien des dispositifs hydrauliques qui, tout à la fois, desservaient les roues de huit moulins et curaient le canal de navigation, Philippe VI accorda aux religieux de Saint-Jean-de-Jérusalem, en octobre 1342 et en juin 1343, la perception d’un droit sur le vin et sur les bateaux passant à cet endroit255. À Lannion, en 1486, on repère le prélèvement d’une contribution exceptionnelle dans le but de financer la réparation et l’agrandissement de ses quais256.
129Les habitants d’Harfleur n’eurent de cesse de supplier les rois de France, réclamant leur secours afin qu’ils puissent mener à bien les opérations jugées nécessaires, surtout durant la période des grands chantiers entrepris entre 1450 et 1491. Les premiers travaux d’importance datent des années 1391-1398. Charles VI passa alors un accord avec les Harfleurais dans le but de restaurer et d’accroître leur havre. Pour cela, il fut convenu de réaliser un ambitieux projet dont le coût estimé montait à 52 000 francs. La somme de 6 000 francs d’or fut ainsi débloquée par le roi pour l’édification des écluses de la Tour-du-Moulin. Et, par mandement du 20 juin 1391, il ordonna à ses généraux des aides de verser, sur trois ans, 50 000 francs d’or. Cependant, cet effort significatif resta ponctuel et ne fut pas accompagné d’un plan de financement pour permettre l’entretien régulier des nouvelles installations. Aussi, les campagnes de rénovation furent-elles réalisées par à-coups, au gré de solutions budgétaires variables. En voici deux illustrations parmi d’autres. En 1452, Charles VII fit don de 500 livres tournois, à prendre chaque année durant six ans sur les deniers des finances de Normandie. Par ce moyen, il entendait rembourser les marchands harfleurais qui avaient avancé les fonds nécessaires à la restauration du port257. Et par lettres du 23 mars 1474, Louis XI consentit aux habitants d’Harfleur la perception d’une taxe sur le vin et les cervoises déchargés ou vendus dans la ville, afin de financer le creusement et l’aménagement d’une tranchée située devant leur havre258.
130Afin de subvenir à la sauvegarde de leur port, dès 1376, Charles V octroya pendant un an aux bourgeois et habitants d’Honfleur le sixième de l’imposition de douze deniers par livre, ainsi que le droit de prendre pendant le même temps « sur chascun tonnel de vin vendu à détail en la dicte ville deux frans d’or, et sur chascun tonnel de vin vendu en gros deux escuz d’or, sur chascun tonnel de cidre vendu à détail cinq solz, et en gros un quart d’escu ». Puis, en 1409, ils furent exemptés des tailles et autres impositions pour dix ans afin de rénover « la paouvre ville, avecques ce qu’elle a perdu son port et havre qui estoit […] comblé et envasé259 ».
131Pour protéger et restaurer le port de Fécamp et subvenir aux dépenses engagées à cette fin, plusieurs mesures fiscales furent prises au cours des xive et xve siècles. Une première est attribuée à Charles IV le Bel en 1326. Une seconde intervint en 1378, au travers la création d’un subside destiné à réparer le « hable de Fescamp ». Puis, suite aux destructions perpétrées par les Anglais vers 1405, on autorisa la perception d’une nouvelle taxe sur les bières, les cervoises et les vins consommés, pour subvenir aux réparations et compléter le produit de l’harengaison, parfois intégralement absorbé par les travaux d’entretien du port260. Afin « que tous les dits cays et couvers seront fait de nouvel, reparez et tenus doresenavant sans deffault », plusieurs mesures fiscales furent aussi instituées à Dieppe au xive siècle. En plus de la création d’un droit de « cayage », on établit une taxe foncière « sur chacun pié de fache et de nature de maison habitable et ediffiée ou qui pour le temps avenir seront habitables ou ediffieez sur lesdis cays et hable ». De surcroît, Louis XI, par lettres du 26 septembre 1463, autorisa la ville de Dieppe à lever des aides à son profit pour subvenir aux frais de réparation de la ville et du port261.
132Au Crotoy, en 1368-1369, Édouard III décida que l’imposition de dix gros de Flandre par tonneau déchargé en ce lieu ou à Abbeville devait être convertie aux réparations du havre262. Bertrand V, comte de Boulogne, accorda aux habitants d’Étaples le droit de percevoir une taxe sur la circulation des marchandises, dans le but de financer la réparation des dommages causés par les Anglais, notamment sur le port. Cette faculté fut renouvelée par son fils en juillet 1467 puis ratifiée par le duc de Bourgogne en 1470263. Et à Boulogne même, le compte urbain de l’année 1415-1416 évoque des dépenses exceptionnelles auxquelles le roi contribua à hauteur de 1 200 livres. Ces dépenses servirent en particulier à payer la réparation des jetées264.
133Calais reçu un traitement similaire, quelle que fût l’autorité sollicitée. La ville obtint de la comtesse, en 1305, l’autorisation de lever des taxes sur les navires et les marchandises pour abonder les moyens qu’elle avait déjà débloqués pour la conservation et le perfectionnement de ses installations portuaires. Mais les jetées et les deux bassins de Paradis, insuffisamment entretenus, se trouvaient en très mauvais état en 1398. Si bien que les Calaisiens, incapables de subvenir aux frais de leur restauration, réclamèrent à Richard II l’argent nécessaire, ce qu’il leur accorda le 20 juin de cette même année. Pour cela, il établit une nouvelle taxe qui, contestée, fut rapidement abandonnée. Quarante ans plus tard, en 1439, une violente tempête d’équinoxe emporta ce qu’il restait de la jetée et une partie du « Risban », et endommagea les quais. Le coût des réparations furent évalués à la somme considérable de 30 000 livres265.
134Les comtes de Flandres, qui ne rechignaient pas à utiliser la fiscalité pour couvrir certaines dépenses, eurent toutefois davantage recours à l’octroi direct des sommes nécessaires aux travaux envisagés. À Dunkerque, l’entretien des jetées avait été en partie financé au moyen de 2 000 livres attribuées par Yolande de Flandre dans les années 1370266. S’agissant des grands chantiers engagés dans le Zwin, le duc accepta en 1421 de participer au financement d’un plan d’amélioration consistant à « parfondre et mettre en bon estat le courant de l’eaue entre la ville de Dam et le Zwin devant la ville de l’Escluse ». Puis, constatant l’inefficacité du percement du Zwartegat dans les années 1480, Maximilien dut se résoudre à fermer l’ouvrage, ce qui lui coûta quelque 2 500 livres. Quant aux nouveaux projets prévus en 1502, auxquels il faut ajouter des interventions dans le Zwin, sur le canal entre Damme et L’Écluse, le duc débloqua pour leur financement une aide triennale de 100 000 couronnes267.
⁂
135L’historiographie montre que le port a traditionnellement été considéré sous le seul angle des flux de marchandises qui le traversaient, des navires dont il était le point d’attache ou des marchands qui le fréquentaient. De sorte qu’il se présente alors comme un espace statique, aux caractéristiques sensiblement constantes, qu’on aménagea selon les moyens techniques disponibles, au gré des besoins et des développements de l’économie maritime ; comme un paysage passif parcouru par les activités des gens de mer. Cette approche est profondément partielle, et donc erronée. Les littoraux possèdent leur propre dynamique et leur propre déroulement évènementiel qui influent directement sur l’histoire des populations qui les occupent, lui imposent une lecture sur le temps long et la questionnent sur des enjeux environnementaux essentiels. La trajectoire historique d’un port, quel qu’il soit, se caractérise par la recherche incessante du meilleur équilibre entre les nécessités fluctuantes des activités maritimes, d’une part, et l’évolution des qualités physiques du secteur littoral dans lequel il s’insère, d’autre part. Elle procède donc fondamentalement d’interactions entre l’homme et son milieu et ne peut être appréhendée sans les placer au cœur de la problématique.
136Assigner des fonctions à un port est une chose. S’assurer qu’il est en mesure de pouvoir continûment les remplir en est une autre. Pour ce faire, les solutions apportées par les usagers et leurs autorités de tutelle ont pris diverses formes : déplacer voire abandonner leur site, organiser la gestion des déchets, construire des aménagements hydrauliques et des structures de protection. Ces réponses sont le résultat de combinaisons plus ou moins complexes de contraintes et d’aspirations, ainsi que de stratégies variables selon qu’il s’agit de conformer le milieu aux besoins humains ou, au contraire, d’adapter ces derniers à la réalité de l’environnement. Il est donc aussi question de résilience dans cette affaire. Les sociétés dont le port était menacé ont-elles eu, oui ou non, la volonté et la capacité de rétablir une situation d’équilibre entre leurs nécessités et les évènements naturels auxquels elles étaient confrontées ? Dans les circonstances où l’alluvionnement était le plus aigu, en dépit des moyens technologiques, humains et financiers mis en œuvre, le retour à l’état initial s’avéra illusoire ; ce d’autant que les politiques publiques manquaient de continuité. Ces dernières tentaient d’intervenir au moment des crises, sans suffisamment se préoccuper de les prévenir par un entretien régulier.
137Il est enfin un dernier point qu’il faut souligner à ce stade de la réflexion. En contexte de marais ou de plaine maritime, le port, installé à l’issue d’un réseau hydrographique complexe, relevait en général d’un espace de production très vaste, dont il n’était qu’une composante parmi les terrains dévolus à d’autres activités économiques. Lorsqu’il desservait des salines, il répondait bien entendu aux exigences des sauniers, de sorte qu’une étroite interdépendance existait entre le territoire portuaire et le territoire salicole, la conservation de leurs aménagements hydrauliques interdépendants étant alors mutualisée et synchronisée. En revanche, en contexte agricole, lorsque le port était au service de pêcheurs et de transporteurs, les nécessités de ces derniers ne convergeaient pas toujours avec les besoins des communautés rurales alentour. Cette divergence d’intérêts pouvait impacter de façon significative l’attention portée à l’entretien des infrastructures portuaires, aux moyens mobilisés pour assurer leur défense et leur curage, et à la temporalité de leur mise en oeuvre.
138Nous avons montré, dans le cas de la fondation du port éphémère de Gué-Charreau, qui exigea le creusement d’un canal d’une vingtaine de kilomètres et l’édification de plusieurs ponts, que l’ensemble des seigneurs laïcs et ecclésiastiques, avec leurs populations villageoises, dont les terres se trouvaient traversées mais aussi desservies par ces ouvrages, acceptèrent d’assumer l’intégralité des charges liées aux aménagements et à leur entretien268. De cette communauté de vues et de moyens dépendait l’existence de ce port. Antérieurement, les assèchements du Marais poitevin avaient déjà fait la démonstration du succès d’un tel mode d’association. Mais, dans d’autres circonstances, nous avons pointé aussi le fait que les intérêts des meuniers et des pêcheurs fluviaux n’étaient pas ceux des usagers des ports, les activités des premiers pouvant nuire au bon fonctionnement des installations des seconds. Tim Soens a récemment souligné qu’à la fin du xiiie siècle, un système efficace de gestion de l’eau avait été mis en place dans la plaine maritime flamande, au moyen de canaux, de barrages et d’écluses. De grandes digues défensives protégeaient la campagne et favorisaient la poldérisation de nouveaux terrains, en particulier aux abords du Zwin et de Nieuport, tandis que ces aménagements contribuaient aussi au bon fonctionnement des ports qu’ils desservaient. La coopération entre populations maritaines et populations paysannes, d’une part, entre les différents responsables locaux et le pouvoir comtal, d’autre part, avait donc joué à plein. Des intérêts convergents les avaient invités à travailler de pair et à coordonner leurs initiatives. Toutefois, au cours des trois siècles qui ont suivi, une succession de fortes tempêtes inonda des milliers d’hectares, n’épargnant pas non plus les ports dont les équipements furent endommagés et les fonds ensablés. En dehors des causes climatiques auxquelles ces destructions sont imputables, l’auteur soutient que les transformations de l’économie rurale, la dépossession paysanne à grande échelle et la prédominance croissante de fermes plus vastes, contribuèrent à la fragilisation du système de défense côtière, ce qui impacta du même coup les installations portuaires269.
139En d’autres termes, la naissance, le développement, l’entretien et la protection d’un port procédaient souvent d’une coopération qui dépassait le territoire portuaire lui-même. Toutes les populations et les autorités politiques, liées à la gestion des eaux traversant les installations d’accueil des navires, devaient s’entendre afin de faire converger leurs efforts de sauvegarde, et pour éviter que les activités des uns ne viennent perturber, voire affaiblir, les activités des autres. Pour être efficaces, les réponses aux évènements environnementaux devaient donc s’inscrire dans une action globale, à l’échelle d’un vaste ensemble littoral, ce que la multiplicité des intérêts particuliers, comme le morcellement des pouvoirs et des prérogatives publiques, empêchaient le plus souvent.
Notes de bas de page
1Tranchant Mathias, « Les ports médiévaux : artéfacts des transformations littorales de la France atlantique », in Environnement et sociétés au Moyen Âge, LIVe congrès de la SHMESP (Poitiers, 11-14 mai 2023), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2024, p. 87-100 ; Tranchant Mathias, « Ports et environnement de la France atlantique (xie-xve siècle) », Journal for the History of Environment and Society, vol. 6, 2021, p. 63-96 ; Llinares Sylviane, Tranchant Mathias et Sauzeau Thierry, « Ports et environnement, une histoire exemplaire à écrire dans la longue durée », in Stéphane Frioux et Renaud Bécot (dir.), Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle (sources, méthodes, pratiques), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, p. 63-75 ; Bochaca Michel et al., « Chapitre I : Géographie portuaire de la Galice à la Bretagne méridionale à l’Aube des Temps modernes », in Alexandre Fernandez et Bruno Marnot (dir.), Les ports du golfe de Gascogne. De Concarneau à la Corogne (xve-xxie siècle), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2013, p. 19-32.
2Quenet Grégory, Qu’est-ce que l’histoire environnementale ? Seyssel, Champ Vallon, 2014, p. 102-112 et 132-139 ; Frioux Stéphane et Bécot Renaud (dir.), Écrire l’histoire environnementale au xxie siècle (sources, méthodes, pratiques), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.
4Burnouf Joëlle et al., « Société, milieux, ressources : un nouveau paradigme pour les médiévistes », in Être historien du Moyen Âge au xxie siècle, XXXVIIIe congrès de la SHMESP (Île-de-France, 2007), Paris, Publications de la Sorbonne, 2008, p. 95-132.
5Environnement et sociétés au Moyen Âge, op. cit.
6Bochaca Michel et Sarrazin Jean-Luc (dir.), Ports et littoraux de l’Europe atlantique…, op. cit. ; Martin Jean-Marie (dir.), Zones côtières littorales dans le monde méditerranéen au Moyen Âge : défense, peuplement, mise en valeur, Rome et Madrid, École française de Rome et Casa de Velázquez, 2001.
7Barrué-Pastor Monique et Bertrand Georges (dir.), Les temps de l’environnement, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2000.
8Bertrand Claude et Bertrand Georges, Une géographie traversière : l’environnement à travers territoires et temporalités, Paris, Éditions Arguments, 2002 ; Bertrand Claude et Bertrand Georges, « Le géosystème : un espace-temps anthropisé. Esquisse d’une temporalité environnementale », in Monique Barrué-Pastor et Georges Bertrand (dir.), Les temps de l’environnement, op. cit., p. 65-76.
9Le Roy Ladurie Emmanuel, Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion, 1967 ; nouvelle éd., Paris, Flammarion, 1983, 2 vol. ; Le Roy Ladurie Emmanuel, Histoire humaine et comparée du climat. I. Canicules et glaciers, xiiie-xviiie siècle, Paris, Fayard, 2005.
10Alexandre Pierre, Le Climat en Europe au Moyen Âge : contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000 à 1425, d’après les sources narratives, Paris, EHESS, 1987 ; Foucault Alain, Climat : histoire et avenir du milieu terrestre, Paris, Fayard, 1993 ; Acot Pascal, Histoire du climat, du big bang aux catastrophes climatiques, Paris, Perrin, 2004.
11Sarrazin Jean-Luc, La campagne et la mer…, op. cit., p. 99 et 100 ; Tranchant Mathias, Le commerce maritime de La Rochelle à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 96 ; Périsse Sébastien, Les campagnes littorales saintongeaises…, op. cit., p. 48-52.
12« Mémoires présentés au roi Charles VII par les délégués de la ville de Poitiers pour le détourner d’établir la gabelle en Poitou et en Saintonge », éd. Bélisaire Ledain, Archives historiques du Poitou, t. II, 1873, p. 259. Ce passage a été récemment mis en lumière par : Sarrazin Jean-Luc, « Vimers de mer et sociétés littorales entre Loire et Gironde (xive-xvie siècle) », Norois, no 222, 2012, p. 91 et 92.
13Bochaca Michel et Tranchant Mathias, « Du golfe de Gascogne à la Picardie et à la Flandre maritime : le déplacement par mer des hommes et des marchandises à la fin du xve siècle », in Se déplacer du Moyen Âge à nos jours, actes du 6e colloque européen de Calais (2006-2007), Calais, 2009, p. 135-146, p. 141 et 142.
14Voir à ce sujet les analyses intéressantes de : Rideau Sophie, La naissance du paysage maritime : mer et navigation dans la peinture des manuscrits français (xiiie-xve siècles), mémoire de master 1, dir. Pierre Prétou, université de La Rochelle, 2008.
15Anseÿs de Mes according to Ms. N (Bibliothèque de l’Arsenal 3143), éd. Herman J. Green, Paris, Les Presses modernes, 1939, v. 10 924-10 949.
16Les miracles de Notre Dame de Rocamadour au XIIe siècle, texte et traduction d’après les manuscrits de la Bibliothèque Nationale, éd. Edmond Albe et Jean Rocacher, Toulouse, Le Pérégrinateur, 1996, article 27, p. 136 et 137.
17Berger Élie, Notice sur divers manuscrits de la Bibliothèque Vaticane. Richard le Poitevin, moine de Cluny, historien et poète, Paris, Ernest Thorin, 1879 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, fasc. 6), p. 50.
18El Victorial, crónica de D. Pedro Niño, conde de Buelna, éd. Juan de Mata Carriazo, Madrid, Espasa Calpe, 1940, p. 287.
19En particulier : Hocquet Jean-Claude et Sarrazin Jean-Luc, Le sel de la Baie…, op. cit. ; Sarrazin Jean-Luc, La campagne et la mer…, op. cit., p. 99 et 100.
20En particulier : Dion Roger, Histoire de la vigne et du vin en France des origines au xixe siècle, op. cit. ; Trocmé Étienne et Delafosse Marcel, Le commerce rochelais…, op. cit. ; Tranchant Mathias, Le commerce maritime de La Rochelle à la fin du Moyen Âge, op. cit. ; Porcher Kévin, De la vigne au chai…, op. cit.
21Héquette Arnaud, « Courants et transports sédimentaires dans la zone littorale : le rôle de courants orbitaux et de downwelling », Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol. 7, no 1, janviers-mars, 2011, p. 5-16.
22Miossec Alain, Les littoraux, entre nature et aménagement, op. cit., p. 26-37 ; Verger Fernand, Marais et estuaires du littoral français, op. cit., p. 10-26.
23Bard Édouard, « Évolution du climat et de l’océan », Annuaire du Collège de France, no 121, 2024, p. 153-163 ; Stephan Pierre et Goslin Jérôme, « Évolution du niveau marin relatif à l’Holocène le long des côtes françaises de l’Atlantique et de la Manche : réactualisation des données par la méthode des “sea-level index points” », Quaternaire, vol. 25, no 4, 2014, p. 295-312 ; et Paskoff Roland, Les littoraux. Impact des aménagements sur leur évolution, Paris, Armand Colin, 2010, p. 3-14.
24Verhulst Adriaan, Histoire du paysage rural en Flandre de l’époque romaine au xviiie siècle, Bruxelles, La renaissance du livre, 1966, p. 15-73 ; Verhulst Adriaan, « L’évolution géographique de la plaine maritime flamande au Moyen Âge », Revue de l’université de Bruxelles, t. 15, 1962-1963, p. 89-106 ; Derville Alain, « Le marais de Saint-Omer », art. cité, p. 73-93 ; Derville Alain, « La maîtrise de l’eau dans les Pays-Bas français avant Louis XIV », Pays-Bas français/De Franse Nederlanden, 1988, p. 105-124 ; Curveiller Stéphane, « Ports et avants-ports de la Flandre maritime à la fin du Moyen Âge : transformations naturelles et aménagements humains », in Michel Bochaca et Jean-Luc Sarrazin (dir.), Ports et littoraux de l’Europe atlantique…, op. cit., p. 191-202 ; et Fockema Andreae Sybrandus Johannes, « L’eau et les hommes de la Flandre maritime », Tijdschrift voor Rechtsgeschiedenis/Revue d’histoire du droit, t. XXVIII, 1960, p. 181-196.
25Je remercie infiniment Mathieu Lançon, archéologue de l’INRAP, pour ses précieux conseils bibliographiques et ses éclairages scientifiques, qui m’ont permis de mettre à jour mes connaissance sur la question. Lançon Mathieu et Boulen Muriel, « Les occupations humaines de la plaine maritime flamande à l’Holocène supérieur. Un changement de paradigme ? », Quaternaire, vol. 30, no 4, 2019, p. 311-334 ; Ervynck Anton et al., « Human occupation because of a regression, or the cause of a transgression? A critical review of the interaction between geological events and human occupation in the Belgian coastal plain during the first millenium AD », Probleme der Küstenforschung im südlichen Nordseegebiet, no 26, 1999, p. 97-121 ; Baeteman Cecile, « Modifications du paysage et possibilité d’activités humaines pendant l’Holocène dans la plaine maritime belge », in Inès Leroy et Laurent Verslype (dir.), Cadres et modes de vie dans l’espace maritime Manche-mer du Nord du iiie au xe s., Revue du Nord, hors-série, no 24, 2016, p. 15-28.
26Parmi les résultats les plus actuels sur le sujet, citons : Baeteman Cecile, De Holocene geologie van de Belgische kustvlakte, Bruxelles, Geological Survey of Belgium, 2008 (Professional Paper, no 304) ; Hillewaert Bieke, « De vroege Middeleeuwen in noordwestelijk Vlaanderen. Dynamiek en opnieuw evenwicht in de kusterosie », in Bieke Hillewaert et al. (dir.), Op het raakvlak van twee landschappen. De vroegste geschiedenis van Brugge, Bruges, Van de Wiele, 2011, p. 79 ; Baeteman Cecile, « History of research and state of the art of the Holocene depositional history of the belgian coastal plane », in Erik Thoen et al. (dir.), Landscapes or sea-scapes? The history of the coastal environment in the North Sea area reconsidered, Turnhout, Brepols, 2013, p. 11-29.
27Il faut consulter à ce sujet l’analyse historiographique et les derniers travaux contenus dans : Trachet Jan et al., « Turning Back the Tide: The Zwin debate in perspective. A historiographical review of the medieval port system northeast of Bruges », Revue du Nord, no 413, 2015, p. 305-321.
28L’historiographie des transgressions, dites flandriennes ou dunkerquiennes, montre que cette notion est largement rejetée aujourd’hui. Tout du moins, elle est revisitée par des spécialistes de l’histoire de l’environnement, notamment belges et néerlandais, qui nuancent et rectifient les processus et la chronologie des évènements. SOENS Tim, « Resilient Societies, Vulnerable People: Coping with North Sea Floods before 1800 », Past & Present, vol. 241, no 1, 2018, p. 143-177 ; Thoen Erik et al. (dir.), Landscapes or sea-scapes?…, op. cit. ; Mosley Stephen, « Coastal Cities and Environmental Change », Environment and History, vol. 20, no 4, 2014, p. 517-533.
29Verhulst Adriaan, « Initiative comtale… », art. cité, p. 227-240 ; Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 193-226.
30Grenier Pierre-Nicolas, Introduction à l’histoire générale de la province de Picardie, éd. C. Dufour et J. Garnier, Amiens, Duval et Herment, 1856, p. 60-62. « Bien que, dans ces régions, la surface de la terre soit souvent modifiée par les inondations marines. »
31Pawlowski Auguste, Géographie historique des côtes charentaises (ainsi que Médoc et Bas-Poitou), Daniel Jacques (éd.), Saintes, Le Croît vif, 1998.
32Papy Louis, La côte atlantique de la Loire à la Gironde, op. cit.
33Sarrazin Jean-Luc, La campagne et la mer…, op. cit., p. 64-76.
34Voir en particulier : Regrain Raymond, Géographie physique et télédétection des marais charentais, Amiens, édité par l’auteur, 1980 ; Verger Fernand, Marais et estuaires du littoral français, op. cit., p. 10-43 ; Miossec Alain, Les estuaires. La gestion intégrée des zones côtières, Paris, Association de géographes français, 1999 ; Auger Christian et Verrel Jean-Louis (dir.), Les estuaires français : évolution naturelle et artificielle. Quel avenir pour leurs zones d’intérêt biologique, actes du séminaire national de travail (Paris, 26-27 novembre 1997), Plouzané, IFREMER, 1998 ; Réault-Mille Sarah, Les marais charentais…, op. cit.
35Poirier Clément, Chaumillon Éric et Arnaud Fabien, « Siltation of river-influenced coastal environnements: respective impact of late Holocene land use and high-frequency climate changes », Marine Geology, no 290, 2011, p. 51-62.
36Sanfaçon Roland, Défrichements, peuplement et institutions seigneuriales en Haut-Poitou du xe au xiiie siècle, Laval (Québec), Presses de l’université de Laval, 1967 ; Favreau Robert, « La forêt de Chizé au Moyen Âge », Bulletin philologique et historique, année 1963, p. 129-223 ; Debord André, La société laïque dans les pays de la Charente, xe-xiie siècles, Paris, Picard, 1984 ; Combes Jean (dir.), Histoire du Poitou et des pays charentais (Deux-Sèvres, Vienne, Charente, Charente-Maritime), Clermont-Ferrand, Éditions Gérard Tisserand, 2001, p. 165.
37Tranchant Mathias, « La place du sel dans l’économie rochelaise de la fin du Moyen Âge », art. cité, p. 223-233.
38Sarrazin Jean-Luc, « Le littoral poitevin (xie-xiiie siècle)… », art. cité.
39Clouzot Étienne, Les marais de la Sèvre Niortaise…, op. cit. ; Sarrazin Jean-Luc, « Gestion et conflits de l’eau dans les marais de la façade atlantique du royaume de France au Moyen Âge », in Patrick Fournier et Sandrine Lavaud (dir.), Eaux et conflits dans l’Europe médiévale et moderne, actes des XXXIIe journées internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran (2010), Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2012, p. 35-57.
40Du Marais poitevin à l’Aunis, La Rochelle et l’île de Ré vers 1700. Cartes, plans et mémoires de Claude Masse, ingénieur du roi, éd. Yannis Suire, La Roche-sur-Yon, Éditions du CVRH, 2022.
41Le Masson du Parc François, Pêches et pêcheurs du domaine maritime et des îles adjacentes de Saintonge, op. cit., p. 156 et 157.
42Pawlowski Auguste, « Les transformations du littoral français. Les pays d’Arvert et de Vaux d’après la géologie, la cartographie et l’histoire », Bulletin de géographie historique et descriptive, année 1902, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 350-402, p. 367-373.
43Sarrazin Jean-Luc « Le littoral poitevin (xie-xiie siècle)… », op. cit., p. 18 et 19.
44Fréville Ernest de, Mémoire sur le commerce maritime de Rouen depuis les temps les plus reculés jusqu’à la fin du xvie siècle, t. II, Rouen, Le Brument, 1857, p. 68-79.
45Mollat Michel, Le commerce maritime normand à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 362.
46Garcie Pierre, Le grant routtier et pyllotage et encrage de la mer…, op. cit., p. 163 et 164.
47Mouchard Jimmy, Les sites portuaires gallo-romains et médiévaux de l’estuaire de la Seine, op. cit., vol. I, p. 28.
48Mollat Michel, Le commerce maritime normand à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 364.
49Garcie Pierre, Le grant routtier et pyllotage et encrage de la mer…, op. cit., p. 164.
50Voir la reconstitution des évolutions de la baie d’Harfleur dressée par : Hérubel Marcel-Adolphe, Les origines des ports de la Seine Maritime, op. cit., p. 120 et 121.
51Ibid., p. 95.
52Garcie Pierre, Le grant routtier et pyllotage et encrage de la mer…, op. cit., p. 89-91 et 125-137.
53Jeulin Paul, L’évolution du port de Nantes, organisation et trafic depuis ses origines, op. cit., p. 14-16, 48 et 49.
54Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 36-43.
55Garcie Pierre, Le grant routtier et pyllotage et encrage de la mer…, op. cit., p. 29-35.
56Verger Fernand, Marais et estuaires du littoral français, op. cit., p. 123 et 124.
57Voir sur ce sujet : Plesis Emmanuelle, Costa Stéphane et al., « Le recul des falaises crayeuses du Pays de Caux : détermination des processus d’érosion et quantification des rythmes d’évolution », Géomorphologie : relief, processus, environnement, vol. 8, no 8-2, année 2002, p. 107-118.
58Grenier Pierre-Nicolas, Introduction à l’histoire générale de la province de Picardie, op. cit., p. 64.
59Martin Alphonse, Histoire de Chef-de-Caux et de Sainte-Adresse, op. cit., p. 77-80.
60Périsse Sébastien, « Les transformations de la côte saintongeaise et leurs répercussions sur les activités maritimes et portuaires aux xve et xvie siècles », in Michel Bochaca et Jean-Luc Sarrazin (dir.), Ports et littoraux de l’Europe atlantique…, op. cit., p. 81-95, p. 90-93.
61« Enquête relative à la création d’un port à Royan », art. cité, p. 45.
62Berger Élie, Notice sur divers manuscrits de la Bibliothèque Vaticane…, op. cit., p. 110.
63Châteaux, villes et villages de l’Angoumois, Aunis, Saintonge et Poitou au temps de Claude Chastillon (1560-1616), ingénieur du roi, éd. Bruno Sépulcre, Jarnac, 1992.
64Voir à ce sujet l’excellente synthèse récemment publiée par Denis Briand (« Notes et schéma synoptique pour tenter de servir à la localisation du Castrum Allionis », in Denis Briand, Angoulins-Châtelaillon. Traces et vestiges du passé, Angoulins, Expression hist, 2006, p. 60-71), dans laquelle il décrit la forteresse médiévale de Châtelaillon, rend compte des éléments constituant le castrum et son environnement proche, et revient sur ses voies d’accès.
65SHD, J 10, C 1293, fol. 10, no 21e. Carte de Claude Masse, 1703.
66AD 17, 1 J 570. « Estimation de la baronnie de Chastelaillon », 1694.
67Pawlowski Auguste, « Les transformations du littoral français. Les pays d’Arvert et de Vaux », art. cité, p. 349-402.
68Joana Gaspar de Freitas dirige depuis 2018, dans le cadre d’un financement européen ERC, un projet portant sur l’histoire environnementale des dunes (« Sea, Sand and People. An Environmental History of Coastal Dunes », [http://www.centrodehistoria-flul.com/projectos-europeus/sea-sand-and-people-an-environmental-history-of-coastal-dunes].
69Grenier Pierre-Nicolas, Introduction à l’histoire générale de la province de Picardie, op. cit., p. 64.
70Giot Pierre-Rolland et Monnier Jean-Laurent, « Les oratoires des anciens Bretons de Saint-Urnel ou Saint-Saturnin à Plomeur (Finistère) », Archéologie médiévale, t. VIII, 1978, p. 55-93.
71Bertrand Roger et Lucas M., « Un village côtier du xiie siècle : Pen-er-Malo en Guidel (Morbihan) », Archéologie médiévale, t. V, 1975, p. 73-101.
72Gueriff Fernand, « Historique des dunes d’Escoublac », Pen ar Bed, no 57, juin 1969, p. 75-80 ; Tonnerre Noël-Yves, Naissance de la Bretagne. Géographie historique et structures sociales de la Bretagne méridionale (Nantais et Vannetais) de la fin du viiie à la fin du xiie siècle, Angers, Presses de l’université d’Angers, 1994, p. 24 et 25 ; Bertrand Raymond et Lucas M., « Un village côtier du xiie siècle », op. cit., p. 76, n. 11.
73Cassard Jean-Christophe, Les Bretons et la mer au Moyen Âge, op. cit., p. 142 et 143.
74Gallicé Alain, « Les ports du pays guérandais : ligne de rivage et aménagements portuaires réalisés à la fin du Moyen Âge », in Michel Bochaca et Jean-Luc Sarrazin (dir.), Ports et littoraux de l’Europe atlantique…, op. cit., p. 15-32, p. 18-20.
75Tranchant Mathias, Les origines des Sables-d’Olonne…, op. cit., p. 124 ; La côte et les marais du Bas-Poitou vers 1700. Cartes et mémoires de Claude Masse, ingénieur du Roi, éd. Yannis Suire, La Roche-sur-Yon, Éditions du CVRH, 2011, p. 154-157. En 1758 et 1763, on y fit construire un éperon de bois pour lutter contre la montée des sables (Les Sables au temps de la grande pêche. Manuscrits de Collinet [1739-1782], éd. Alain Gérard, La Roche-sur-Yon, Éditions du CVRH, 2002, p. 96 et 123).
76Géographie de Strabon, éd. Amédée Tardieu, Paris, Librairie de L. Hachette & Cie, 1867, livre 4, chap. ii, §. 1.
77Alain Nicolas, De santonum regione et illustrioribus familiis, Saintes, Francis Audebert, 1598, p. 13.
78La thèse de Pierre Caillosse est spécialement consacrée à cette question : La paroisse de Soulac de la fin du xvie au milieu du xixe siècle. Les transformations d’un territoire littoral entre la Gironde et l’Atlantique, thèse de doctorat, codir. Michel Bochaca et Mathias Tranchant, université de La Rochelle, 2015, dactyl.
79AN, 1 AP 2073, fol. 3 vo-4. Document étudié récemment par deux auteurs : Péret Jacques, « Les “montagnes de sable” du pays d’Arvert (xve-xixe siècle). Paysages, usages et représentations », in Alain Cabantous, Jean-Luc Chappey, Renaud Morieux, Nathalie Richard et François Walter (dir.), Mer et montagne dans la culture européenne (xvie-xixe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 205-219 ; Périsse Sébastien, « Les transformations de la côte saintongeaise… », art. cité, p. 82-84 ; Périsse Sébastien, Les campagnes littorales saintongeaises…, op. cit., p. 39 et 40.
80Médiathèque de La Rochelle, ms. 31, p. 238 et 239.
81« Enquête relative à la création d’un port à Royan », art. cité, p. 40-47 et 104-111.
82Athimon Emmanuelle, Tempêtes et submersions marines dans les territoires de la côte atlantique (xive-xviiie siècles), Paris, Les Indes savantes, 2021 ; Athimon Emmanuelle et al., « Vulnérabilité et adaptation des sociétés littorales aux aléas météo-marins entre Guérande et l’île de Ré, France (xive-xviiie siècle) », [VertigO] La revue électronique en sciences de l’environnement, vol. 16, no 3, décembre 2016, [https://id.erudit.org/iderudit/1039983ar] ; Sarrazin Jean-Luc et Athimon Emmanuelle, « Étudier les plus anciennes tempêtes à submersion identifiées sur la côte atlantique française (xive-xvie siècles) : l’approche historique », Norois, no 251, 2019/2, p. 27-42.
83Ryckaert Marc, « La gestion des ports flamands au Moyen Âge », art. cité, p. 355.
84AD 59, B 906, no 11871. Édité par : Curveiller Stéphane, Dunkerque : ville et port de Flandre…, op. cit., p. 26.
85Derville Alain, Saint-Omer : des origines au début du xive siècle, op. cit., p. 64.
86Verhulst Adriaan, Histoire du paysage rural en Flandre…, op. cit., p. 72.
87Coutumes des pays et comté de Flandre…, t. VI, Winendale, Ysendike, éd. Louis Gilliodts van Severen, Bruxelles, F. Gobbaerts, 1893, p. 622 et 623.
88Martin Alphonse, « Le havre de Grâce au Moyen Âge », Recueil des publications de la société havraise d’études diverses, 90e année, 1923, p. 115-132.
89Sarrazin Jean-Luc, « La côte du Bas-Poitou au xiiie siècle », art. cité, p. 53.
90Cartulaire de l’abbaye d’Orbestier, op. cit., p. 233.
91Recueil de documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la Chancellerie de France, 1390-1403, éd. Paul Guérin, Poitiers, Société française d’imprimerie et de librairie, 1919 (Archives historiques du Poitou, t. XXIV), no DCCLXXIII ; Sarrazin Jean-Luc, « Laboureurs en bord de mer. Vivre sur la côte poitevine à la fin du Moyen Âge d’après les lettres de la Chancellerie royale », in Yves Coativy et al. (dir.), Sainteté, pouvoirs, cultures et aventures océanes en Bretagne(s) [ve-xxe siècle]. Mélanges en l’honneur de Jean-Christophe Cassard, Morlaix, Éditions Skol Vreizh, 2014, p. 375-386, p. 378.
92Mellinet Camille, La commune et la milice de Nantes, op. cit., p. 51.
93Sarrazin Jean-Luc, « Vimers de mer… », op. cit., p. 95.
94Gueriff Fernand, « Historique des dunes d’Escoublac », op. cit., p. 75.
95Barbot Amos, Histoire de La Rochelle, op. cit., p. 484.
96Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 400 et 401.
97AD 85, 1 E 1246.
98AN, 1 AP 1981. Ces évènements naturels étaient récurents. Collinet en consigna six au cours d’une quarantaine d’année (1743, 1746, 1750, 1763, 1770, 1780) : Les Sables au temps de la grande pêche…, op. cit., p. 55, 58, 65, 96, 121 et 136.
99AN, 1 AP 2073, fol. 5, annexe 2. Cité par : Périsse Sébastien, Les campagnes littorales saintongeaises…, op. cit., p. 37-38.
100Verhulst Adriaan, Histoire du paysage rural en Flandre…, op. cit., p. 72.
101Archives communales de Bayonne, DD 1 (2).
102Bochaca Michel, « Bayonne et le déplacement de l’embouchure de l’Adour », art. cité, p. 97-117. L’auteur a également produit dans cet article la transcription de l’enquête de 1491.
103Le Mené Michel, « La construction à Nantes au xve siècle », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, t. 68, no 3, 1961, p. 361-402, p. 381.
104Archives municipales de Nantes, CC 239, CC 255, CC 271, CC 273, CC 279, DD 87, DD 139.
105AN, JJ 207, fol. 156-156v, no 336 ; JJ 209, fol. 121-121v, no 222, fol. 124, no 227, fol. 124v, no 228.
106Revue d’histoire maritime, no 29, « Le ballast : pratiques et conséquences », Tranchant Mathias (dir.), Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2021.
107Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 72.
108Livre des Privilèges, op. cit., p. 256-260.
109AD 44, E 129/28, fol. 3.
110Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 35-39.
111Barbot Amos, Histoire de La Rochelle…, op. cit., p. 147 ; Les journaux du trésor de Philippe VI de Valois, suivis de l’ordinarium thesauri de 1338-1339, éd. Jules Viard, Paris, Imprimerie nationale, 1899, no 241 ; Registres de l’échevinage de Saint-Jean-d’Angély, 1332-1496, éd. Denys d’Aussy, Paris/Saintes, A. Picard/Z. Mortreuil, 1895 (Archives historiques de la Saintonge et de l’Aunis, t. XXIV), no XVII, p. 116-130.
112BnF, ms. fr. 16906, fol. 134 vo.
113Barbot Amos, Histoire de La Rochelle…, op. cit., p. 318.
114BnF, Coll. Clair. 963, no 19.
115AD 44, B 6, fol. 70vo-71vo. Sarrazin Jean-Luc « Les ports de la Baie à la fin du Moyen Âge… », art. cité, p. 47 et 48.
116De Clercq Wim et al., « Ballasting the Hanse: baltoscandian erratic cobbles in the later medieval port landscape of Bruges », European Journal of Archaeology, 2017, p. 710-736.
117Livre des Coutumes…, op. cit., no XIX, art. 77, p. 304, art. 79, p. 305, no XX, art. 3, p. 312 ; Registres de la Jurade. Délibérations de 1406 à 1409, op. cit., p. 8 ; Registres de la Jurade. Délibérations de 1414 à 1416 et de 1420 à 1422, op. cit., p. 454 ; Bochaca Michel, La Banlieue de Bordeaux…, op. cit., p. 139 et 140.
118Périsse Sébastien, Les campagnes littorales saintongeaises…, op. cit., p. 333-336 ; Périsse Sébastien, « Les transformations de la côte saintongeaise… », art. cité, p. 90-95.
119Recueil de documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la Chancellerie de France, 1475-1483, éd. Paul Guérin et Léonce Celier, Poitiers, Société française d’imprimerie et de librairie, 1919 (Archives historiques du Poitou, t. XLI), p. 607-610.
120Lardin Philippe, « Le poisson de Dieppe au Moyen Âge », art. cité, p. 7.
121Ryckaert Marc, « La gestion des ports flamands au Moyen Âge », art. cité, p. 366 et 367.
122Trévédy Julien, « Le port de Redon. Prospérité et décadence », Bulletin archéologique de l’association bretonne, 1902, p. 113-138, p. 117 et 133.
123Goyheneche Eugène, Bayonne et la région bayonnaise du xiie au xve siècle…, op. cit., p. 206-209.
124Livre des Coutumes…, op. cit., no XIX, art. 76, p. 303 et 304.
125Bochaca Michel, « Les accès fluviomaritimes des ports gascons… », art. cité, p. 140 et 141.
126AD 33, 3 E 9818 (5 mars 1540/1) ; cité par : Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 145, n. 102.
127Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 47.
128Sarrazin Jean-Luc, « Nantes et son espace économique à la fin du Moyen Âge », in Alain Croix (dir.), Nantes dans l’histoire de la France, Nantes, Ouest Éditions, 1991, p. 41-53, p. 49 ; Le Mené Michel, « La construction à Nantes au xve siècle », art. cité p. 382 et 383.
129Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., vol. 3, p. 1196.
130Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 173.
131Archives municipales de Bayonne, FF 404, 40 : « Procès-verbal sur le fait des nasses, fait par Charles du Sault conseiller du roi et avocat général du Parlement de Bordeaux » ; Goyheneche Eugène, Bayonne et la région bayonnaise du xiie au xve siècle…, op. cit., p. 201-204.
132Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 85 et 195.
133Inventaire sommaire des archives départementales antérieures à 1790. Gironde. Série H, tome premier (art. 1 à 1335), éd. Jean-Auguste Brutails, Bordeaux, Imprimerie Gounouilhou, 1914, p. 158.
134Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 114 et 195.
135AD 33, 3 E 9818 (5 mars 1540/1 et 3 novembre 1540).
136Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 147.
137AD 76, 1 ER 97.
138Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., vol. 3, p. 1092.
139Tranchant Mathias, « La “culture” du risque chez les populations usagères des mers et littoraux du Ponant (xie-xvie siècles) : première approche d’une histoire à construire », Revue d’histoire maritime, no 9, déjà cité, p. 9-45.
140AD 44, B 6, fol. 70. Touchard Henri, Le commerce maritime breton à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 216.
141Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 26-31.
142Ibid., p. 53-58.
143Ibid., p. 89-91.
144Ibid., p. 123-125.
145La fouille préventive du port originel de Talmont a été menée en 2021 sous la responsabilité scientifique de Stéphane Augry (Inrap). Son rapport, très attendu, est en cours de rédaction. Les premiers éléments d’analyse indiqueraient une fondation remontant au début du xie siècle.
146Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 61 et 62.
147Ibid., p. 127.
148Ibid., p. 162 et 163.
149Ibid., p. 199-204.
150Ibid., p. 213-226.
151Ibid., p. 63-67.
152Ibid., p. 182 et 183.
153Ibid., p. 103 et 104.
154Ibid., p. 108-110.
155Ibid., p. 211-213.
156Valin René-Josué, Nouveau commentaire sur l’odonnance de la marine…, op. cit., t. II, p. 447, 448 et 509.
157Goyheneche Eugène, Bayonne et la région bayonnaise du xiie au xve siècle…, op. cit., p. 179.
158National Archives, Public Record Office, C 61/48, 43.
159Bernard Jacques, Navires et gens de mer à Bordeaux (vers 1400-vers 1550), op. cit., p. 81, 86, 87, 156 et 158.
160Livre des Coutumes…, op. cit., p. 663 et 666. La rédaction du congé autorisant la décharge du lest était payée 4 deniers au clerc qui s’en chargeait. Bochaca Michel, « El control del puerto de Burdeos… », art. cité, p. 102 et 103.
161Michel Francisque, Histoire du commerce et de la navigation à Bordeaux, op. cit., p. 385.
162Livre des Privilèges, op. cit., p. 256-260.
163Michel Francisque, Histoire du commerce et de la navigation à Bordeaux, op. cit., p. 388.
164Souffrain Jean-Baptiste-Alexandre, Essais, variétés historiques et notices sur la ville de Libourne et ses environs, t. I, Bordeaux, A. Brossier, 1806, p. 80.
165National Archives, Public Record Office, C 61/53, 146. Guinodie Raymond, Histoire de Libourne et des autres villes et bourgs de son arrondissement, op. cit., t. I, p. 44 et 47.
166AN, V7 73, amirauté de Marennes, sans numéro.
167BnF, ms. fr. 16906, fol. 122vo.
168BnF, ms. fr. 16906, fol. 105, 122vo-123 ; ms. fr. 18970, fol. 57.
169Barbot Amos, Histoire de La Rochelle…, op. cit., p. 356, 388, 389, 420, 421 et 441 ; La Rochelle au fil des ans avec Nicolas Baudouin, op. cit., t. II, p. 80, 90, 91, 101, 140 et 142.
170AD 44, E 19 (2 Mi 785 R5), no 11. BnF, ms. fr. 23915, fol. 204vo.
171BnF, ms. fr. 23915, fol. 206-206vo.
172AN, P 1341, no 514.
173AD 17, 3 E 144, fol. 744-745. Tranchant Mathias, « Un port à vin à la fin du Moyen Âge… », art. cité, p. 309.
174AD 85, 1 E 1250. Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité, p. 26.
175AD 44, B 6, fol. 70vo-71vo.
176Kapferer Anne-Dominique, « Chapitre : III : Boulogne devient une ville », op. cit., p. 81 ; Vivenot Henri-Hippolyte, Notice sur le port de Boulogne, op. cit., p. 8.
177Daumet Georges, Calais sous la domination anglaise, op. cit., p. 110-112.
178Ryckaert Marc, « La gestion des ports flamands au Moyen Âge », art. cité, p. 366 ; voir aussi : Coutumes des pays et comté de Flandre…, t. II, op. cit., p. 309 et 310.
179Cartulaire de l’Ancienne estaple de Bruges…, op. cit., t. I, no 564, p. 467, no 610, p. 508, no 741, p. 605.
180Ibid., no 589, p. 482-491, no 610, p. 503-510, no 734, p. 588-590.
181Ibid., no 515, p. 431. Traduction que je dois au concours de mon ami Louis Sicking de l’université de Leiden.
182Soens Tim, « Évolution et gestion du domaine comtal en Flandre sous Louis de Male et Philippe le Hardi (1346-1404) », Revue du Nord, t. 83, no 339, janvier-mars 2001, p. 25-63, p. 44, 51 et 61.
183Coutumes des pays et comté de Flandre…, t. IV, op. cit., p. 477 ; Cartulaire de l’ancienne estaple de Bruges…, op. cit., t. II, no 1197, p. 233.
184Ibid., p. 586.
185Cartulaire de l’ancienne estaple de Bruges…, op. cit., t. I, no 740, p. 598.
186Ibid., t. II, no 1185, p. 225-227.
187Périsse Sébastien, Les campagnes littorales saintongeaises…, op. cit., p. 333-336 ; Périsse Sébastien, « Les transformations de la côte saintongeaise… », art. cité, p. 90-95.
188Livre des Coutumes…, op. cit., no XIX, art. 77, p. 304, art. 79, p. 305.
189Ibid., no XX, art. 3, p. 312.
190Registres de la Jurade. Délibérations de 1406 à 1409, op. cit., p. 8 ; Registres de la Jurade. Délibérations de 1414 à 1416 et de 1420 à 1422, op. cit., p. 454 ; Bochaca Michel, La Banlieue de Bordeaux…, op. cit., p. 139 et 140.
191Tranchant Mathias, Les origines des Sables d’Olonne…, op. cit., p. 57.
192Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 221.
193AD 76, 3 E 6/118, 32 (1er avril 1473). Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., p. 1095.
194Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 148.
195AD 76, 3 E 6/118, 76 (22 mai 1473).
196AD 76, 3 E 6/118, 32 (1er avril 1473).
197Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 48-52.
198AD 76, 3 E 6/119, 17 (6 octobre 1475). Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 137 ; Fréville Ernest de, Mémoire sur le commerce maritime de Rouen…, op. cit., t. II, p. 379.
199AD 76, 3 E 6/227.
200Fréville Ernest de, Mémoire sur le commerce maritime de Rouen…, op. cit., t. II, p. 376.
201AD 76, 3 E 6/117, 2 (6 octobre 1470) ; 3 E 6/118, 34 (mai 1473), 46 (16 septembre 1473), 48 (20 septembre 1473), 65 (9 avril 1473) ; 3 E 6/120, 89 (9 décembre 1476). Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., p. 830.
202Fréville Ernest de, Mémoire sur le commerce maritime de Rouen…, op. cit., t. II, p. 372.
2033 E 6/118, 65 (9 avril 1473).
204Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 135-146.
205Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., p. 881 ; Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 147.
206Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 156.
207Ibid., p. 165, 168, 173, 176, 177, 179, 182 et 183.
208Ibid., p. 119 et 120.
209Anthiaume Albert, Le navire : sa construction en France et principalement chez les Normands, Paris, E. Dumont, 1922, p. 35.
210Mouchard Jimmy, Les sites portuaires gallo-romains et médiévaux de l’estuaire de la Seine, op. cit., p. 288.
211Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit.
212Ibid., p. 103 et 104.
213Ibid., p. 108-110.
214Ibid., p. 140.
215Ibid., p. 146-149.
216Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 157, 160 et 161.
217Ibid., p. 162.
218Ordonnances des rois de France de la troisième race, op. cit., p. 205 et 206.
219Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 168 et 169.
220Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 184 et 185.
221Ibid., p. 189.
222Ibid., p. 197 et 198.
223Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 205-207.
224Ibid., p. 221.
225Sarrazin Jean-Luc, « Digues, bots et chaussées. Les levées de défense face à la mer dans les zones littorales basses de l’Europe du Nord-Ouest (xie-xvie siècle) », in Frédérique Laget et Alexis Vrignon (dir.), S’adapter à la mer. L’homme, la mer et le littoral du Moyen Âge à nos jours, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Enquêtes & documents », no 47, 2014, p. 47-70.
226Murray James M., Bruges, Cradle of Capitalism, 1280-1390, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 24-28.
227Bochaca Michel, « Bayonne et le déplacement de l’embouchure de l’Adour d’après l’enquête de 1491 », art. cité, p. 108 et 109.
228Tranchant Mathias, « Un port à vin à la fin du Moyen Âge… », art. cité, p. 308.
229Barbot Amos, Histoire de La Rochelle, op. cit., p. 318.
230Musset Georges, La Rochelle et ses ports, op. cit., p. 37.
231Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 222.
232Ibid., p. 142.
233Ibid., p. 130.
234Ibid., p. 199.
235Ibid., p. 221 ; Coutumes des pays et comté de Flandre…, t. II, op. cit., p. 485.
236Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 161.
237Coutumes des pays et comté de Flandre…, t. IV, op. cit., no 12, p. 54-57.
238Gilliodts van Severen Louis, Bruges, port de mer…, op. cit., p. 43 et 44.
239Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 223-225.
240Ibid., p. 58.
241Ibid., p. 143. Ordonnances des rois de France de la troisième race, op. cit., t. V, p. 467-469 ; Martin Alphonse, Les origines du Havre…, op. cit., p. 113 et 114.
242Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 143 ; AD 76, 3 E 6/118, 32 ; Le Cain Bérengère, Le port de Harfleur au Moyen Âge : xive-xve siècles. Les aspects d’un port militaire médiéval, mémoire de maitrise sous la dir. de C. Mabire-La Caille, soutenu en 1993 à l’université de Pari I, dactyl., p. 82.
243Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., vol. 3, p. 835.
244Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 163 ; BnF, ms. fr. 2901, fol. 33v.
245Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 204.
246AD 76, 3 E 6/117-119.
247AD 76, 3 E 6/118, no 34 ; Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 144 et 145.
248Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 147.
249AD 14, A 208. Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., vol. 3, p. 883-886.
250Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 159.
251Ibid., p. 160.
252Daumet Georges, Calais sous la domination anglaise, op. cit., p. 110-112.
253Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 221.
254BnF, ms. fr. 23915, fol. 201-205.
255Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 47.
256Ibid., p. 105.
257AD 76, 3 E 6/65, 2 (14 janvier 1452) ; Blanchet François, Harfleur du début de la guerre de Cent Ans à la fondation du Havre, t. III, no XX, thèse de l’École des Chartes, 1929, dactyl. ; Leroux Nicolas, L’anthropisation médiévale des rives de la Seine…, op. cit., vol. 3, p. 861.
258AD 76, 3 E 6/65. Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 158 et 159.
259Tranchant Mathias, Les ports maritimes de la France atlantique (xie-xve siècles), op. cit., p. 148.
260Ibid., p. 157 et 158.
261Ibid., p. 169 et 170.
262Ibid., p. 177.
263Ibid., p. 184.
264Ibid., p. 189.
265Ibid., p. 197 et 198.
266Ibid., p. 205.
267Ibid., p. 223-225.
268Ibid., p. 48.
269Soens Tim, « Explaining deficiencies of water management in the late medieval Flemish coastal plain, 13th-16th centuries », Jaarboek voor Ecologische Geschiedenis, 2005-2006, p. 35-61 ; Soens Tim, « Floods and money: funding drainage and flood control in coastal Flanders from the thirteenth to the sixteenth centuries », Continuity and Change, no 3, vol. 26, 2011, p. 333-365.

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