Les naufrages sur la côte de la seigneurie de Talmont à la fin du Moyen Âge (xve siècle-début du xvie siècle)
p. 327-340
Texte intégral
1Événements malheureux voire dramatiques pour ceux qui les subissaient, les naufrages anciens sur les côtes constituent une inépuisable mine d’informations pour les historiens d’aujourd’hui. Ils éclairent en effet d’une lumière vive aussi bien la navigation et le commerce maritime que l’exercice des pouvoirs ou les comportements des populations littorales1. À partir de 1681, ils sont remarquablement documentés par les procès-verbaux des amirautés, dans le cadre d’une procédure clairement définie par l’Ordonnance de la Marine, dite « grande ordonnance » de Colbert2. Permettant à la fois de reconstituer les circonstances particulières d’un échouement et d’engager une approche statistique solidement étayée, ce riche corpus archivistique a fait l’objet de très belles études généralement centrées sur le xviiie siècle3.
2L’historien médiéviste ne dispose pas, loin de là, d’une documentation aussi riche. Il lui faut extraire, tant bien que mal, des données éparses de sources diverses4. Ici et là cependant, sa recherche peut être facilitée par l’existence de fonds spécifiques issus de classements effectués dans des chartriers seigneuriaux. Tel est le cas pour les archives de l’importante seigneurie-principauté de Talmont au sud-ouest du Poitou. Conservé, pour l’essentiel, aux Archives départementales de la Vendée, ce fonds comprend plusieurs liasses intitulées « L’amirauté de Talmont5 ». Y sont regroupées les pièces ressortissant à la juridiction seigneuriale sur le littoral du Talmondais et ses eaux bordières. En voie de constitution dès avant le xviie siècle mais fermement institué en fonds particulier lorsque les amirautés – après l’ordonnance de 1681 – enjoignent les seigneuries littorales, dont celle de Talmont, de produire leurs titres justificatifs des droits d’ancrage, de congés, de balise et de naufrage6, un tel ensemble était destiné à prouver les droits du seigneur à détenir une « amirauté patrimoniale ». Parmi tous les documents qui y sont conservés, figurent les actes relatifs aux naufrages survenus sur la côte de la seigneurie à partir du xve siècle7. Jusque vers 1490, leur nombre reste cependant limité. Cette rareté s’explique sans nul doute par les inévitables pertes et destructions de pièces au fil du temps. Mais elle tient surtout à l’organisation administrative de la seigneurie-principauté et aux pratiques comptables qui en découlent. Durant la majeure partie du xve siècle, il appartient en effet à un officier particulier, le « maître des côtes », de rendre compte des profits relevant des « naufrages et adventures de mer » ou des « naufrages et brix de mer8 ». Malheureusement, aucun document directement produit par ce « maître des côtes » n’a été conservé. Paradoxalement, c’est au moment où disparaît cet office que l’information gagne en densité9. À partir de la fin du xve siècle, les naufrages sont traités par l’administration seigneuriale dans son ensemble et donnent lieu à une production documentaire constitutive d’une véritable série10.
3En amical hommage à Martine Acerra, dont on sait l’intérêt soutenu qu’elle porte aux littoraux, espaces où se côtoient le monde de la mer et le monde de la terre, la présente contribution se propose d’analyser les plus anciens documents de ce fonds. Le cadre chronologique retenu correspond à la mise en place d’une procédure juridique appliquée aux échouements relevant du droit coutumier. Les premiers textes conservés éclairant des naufrages réellement survenus ne sont pas antérieurs aux années 1400. Un siècle plus tard, vers 1510, la procédure est fermement établie et ne change guère avant l’arrivée effective du pouvoir étatique au temps des amirautés. Après avoir présenté les sites et les circonstances des naufrages documentés, cette étude exposera les aspects de la vie maritime révélés par les échouements avant d’insister sur la procédure mise en œuvre par l’administration seigneuriale.
La côte de la seigneurie de Talmont : un secteur à risques
4Situé entre les rochers de Bourgenay à l’ouest et l’anse de l’Aiguillon à l’est, interrompu par la petite enclave des chanoines prémontrés de Lieu-Dieu-en-Jard11, le littoral sur lequel la seigneurie de Talmont proprement dite12 exerce sa juridiction n’est pas l’espace le plus accidentogène de la côte atlantique à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne. En nombre de naufrages, il se place à l’évidence loin de la Cornouaille armoricaine13. Il n’en présente pas moins des écueils redoutables non seulement pour les modestes pinasses bretonnes mais aussi pour des bâtiments plus conséquents comme les caravelles. Les dangers qu’il recèle font partie des risques encourus par la navigation dans l’espace maritime rochelais14. En l’état de la documentation disponible pour le xve siècle et le début du siècle suivant, établir une carte figurant le nombre de naufrages survenus par secteur n’aurait guère de sens. Il faut se borner à une simple énumération des lieux où se produisent les échouements suivis de bris.
5Globalement orientée nord-ouest-sud-est mais, en certaines parties, plein ouest, la côte est exposée aux vents dominants et soumise au déferlement de la houle. Poussés par le vent et de violents courants, des navires sont jetés sur l’estran sableux comme la barque bretonne s’échouant le 9 octobre 1505 au niveau du « village » de Grosbreuil15. Ils viennent également se fracasser sur les rochers de Bourgenay à l’ouest de l’embouchure du Payré ou sur ceux de Saint-Vincent-sur-Jard16. Parmi les pièges rocheux les plus dangereux figure la pointe du Grouin du Cou à La Tranche-sur-Mer. Face à la tout aussi redoutable pointe des Baleines au nord-ouest de l’île d’Ars (l’île la plus occidentale de l’île de Ré), elle marque l’entrée dans le Pertuis Breton. Au début du xviiie siècle, l’ingénieur du roi Claude Masse l’identifie comme un lieu particulièrement à risques17. Attestées dans les sources écrites sur la côte talmondaise depuis le xie siècle18, les écluses à poissons, ces murs de pierres en forme de fer à cheval, pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres, ont-elles constitué un facteur aggravant dans les zones d’estran rocheux19 ? Aucun document des xve et xvie siècles n’apporte la preuve tangible d’un naufrage directement provoqué par ces pêcheries mais l’information disponible n’atteint pas alors la précision des procès-verbaux rédigés plus tard par les greffiers des amirautés. Au début du xviiie siècle, ces « parcs de pierres » sont nombreux sur la côte talmondaise. En 1728, François Le Masson du Parc en répertorie trois à Saint-Hilaire-de-Talmont, quatre à Saint-Vincent-sur-Jard, treize à Jard, deux à Longeville et sept à La Tranche20. Sur les sept écluses tranchaises, trois sont situées à la pointe du Grouin du Cou. Avant la célèbre inspection du commissaire de la Marine, les archives des xvie et xviie siècles donnent l’impression d’un estran rocheux largement colonisé par ces constructions en perpétuel remaniement21. Zone où se conjoignent les lignes de cabotage issues des estuaires de la Sèvre et du Lay, voire du canal de Luçon22, et les routes du grand commerce maritime polarisées sur La Rochelle23, l’anse de l’Aiguillon présente des risques de navigation liés aux bancs de vase et de sable susceptibles d’évoluer d’une marée à l’autre24. Largement ouverte sur l’océan, elle offre une configuration différente de ce qu’elle est actuellement25. L’embouchure du Lay est alors à quelques kilomètres à l’ouest de l’actuelle26 et, du côté de la Sèvre, Marans est un port de mer. Les courants y sont violents et menacent aussi bien la grosse hourque nordique que la modeste embarcation indigène.
Fig. 1. – Localisation des naufrages.

Carte de la localisation des naufrages sur la côte de la seigneurie de Talmont à la fin du Moyen Âge .
Jean-Luc Sarrazin.
Tableau 1. – Les naufrages documentés survenus entre c. 1410 et c. 1510.
Date et lieu du naufrage | Navire | Marchandises récupérées | Référence archivistique |
1416, anse de l’Aiguillon | Hourque de Flandre | Vins | ADV, 1 E 1132, « extraict des comptes justificatifs des droits d’admirauté et noffrages… » |
19 juillet 1461, au droit de Saint-Martin-des-Chussons (sur la commune actuelle de Talmont-Saint-Hilaire) | Saint-Nicolas de La Rochelle (jauge 16 à 18 tonneaux de vin) | Cuirs de bœufs et de vaches, peaux de moutons et de chèvres, paquets de laine, plume, 5 pipes et 2 barriques de vin de Gascogne, 3 rouleaux de draps, peaux dorées à faire bourses, deux arcs d’arbalètes | ADV, 1 E 1131, Enquête sur le naufrage du Saint-Nicolas de La Rochelle (juillet-août 1461), rouleau de 5 membranes de parchemin |
1488, anse de l’Aiguillon | Petit navire | ADV, 1 E 1253, compte | |
1489, La Tranche-sur-Mer | Petit navire | Pipe de « vin salé » remplie aux deux tiers | ADV, 1 E 1132, certification du châtelain et du procureur (2 janvier 1490,n. st.), et « extraict… » |
1491, La Tranche-sur-Mer | « Barque » | 14 saumons d’étain, chaque saumon pesant environ 100 livres | ADV, 1 E 1254*, compte de la seigneurie de Talmont |
1493, La Tranche-sur-Mer | « navire breton » | Vins et « autres choses » | ADV, 1 E 1132, « extraict… » |
Mars 1501, La Tranche-sur-Mer, l’Aiguillon(?), Bourgenay (Cne de Talmont-Saint-Hilaire) | Naufrage d’un navire inconnu non loin de la côte tranchaise | Vins sont récupérées deux pipes et trois barriques | ADV, 1 E 1270*, compte des recettes accidentelles de la principauté de Talmont (1493-1529) |
1504, « Isle de l’Aiguillon », anse de l’Aiguillon | « Navire chargé de vin » | 6 pipes et ½ de vin | ADV, 1 E 1132 et 1 E 1270*, « extraict… », |
23 juin 1505, Bourgenay | « Carvelle et nef », la Anne de La Rochelle | Or, argent, 14 pièces d’artillerie avec 14 boîtes, une autre pièce d’artillerie en fonte, 3 arbalètes, 2 pipes et ½ d’huile, peaux de martres | ADV, 1 E 1130 |
9 octobre 1505, La Tranche-sur-Mer, au droit du « village » de Grosbreuil | « bateau de pescherie » | 4 rondelles de fèves, 50 ou 60 pièces de parerie | ADV, 1 E 1130 |
Matin du 11 octobre 1505, Saint-Vincent-sur-Jard | pinasse | 6 pipes, 11 rondelles et 2/4 de pipe de froment, une rondelle de farine, une pipe de fèves, une pipe de foin | ADV, 1 E 1130 |
1506, « près de la mothe du Broil » | Inconnu | Une rondelle de vin | ADV, 1 E 1132 et 1 E 1270* |
6Quant aux circonstances des naufrages côtiers, il faut se résoudre à n’en connaître que quelques données très générales. Les mauvaises conditions météorologiques apparaissent sans surprise comme le facteur non pas exclusif mais largement majoritaire. Reprises des formules latines telles que « per impetum maris », les expressions « l’impetuosité du temps » ou « l’impetuosité du vent » sont, par exemple, utilisées dans les deux procès-verbaux relatant la projection de deux barques bretonnes en octobre 1505 sur les rochers de Saint-Vincent-sur-Jard et les sables de La Tranche. Le 23 juin de la même année, c’est par la « fortune du temps » que la Anne de La Rochelle vient s’échouer sur la côte talmondaise vers Bourgenay27. Les phénomènes tempétueux ne sont pas seuls en cause. Le défaut de navigation est également parfois avancé. Tel est le cas pour la rocambolesque équipée du Saint-Nicolas de La Rochelle qui s’achève par la rupture du vaisseau et de sa cargaison au droit de Saint-Martin-des-Chussons28, le dimanche 19 juillet 146129. Après avoir chargé différentes marchandises à Bordeaux le 15 juillet, ce navire vient s’ancrer quelques jours plus tard30 au niveau des vases à l’extérieur des chaînes du port de La Rochelle afin de permettre au capitaine d’aller à sa demeure en ville et de vaquer à quelques affaires. Le dimanche 19 juillet, les deux marins bretons restés à bord « furtivement et au desceu dud. maître et par nuyt » lèvent l’ancre. À l’ouest de Talmont, « par faulte de gouverneur […] led. navire et lesd. marchandises […] rompit31 ». En d’autres termes, il s’est échoué sur les rochers par faute de pilotage (voir tableaux 1 et 232).
Tableau 2. – Les revenus des naufrages et bris de mer de la principauté de Talmont (y compris la seigneurie d’Olonne) entre 1473 et 1486.
Exercice comptable | Revenus des « naufrages et bris de mer » en livres et sous tournois |
2 mars 1473 (n. st.)-2 mars 1474 (n. st.) | 60 s. |
24 juin 1478-24 juin 1479 | 40 s. |
« Lad. feste » 1480-terme non indiqué | 72 l. |
24 juin 1480-24 juin 1481 | 53 l. 5 s. |
24 juin 1481-24 juin 1482 | 10 l. t. (3 pipes de vin d’un naufrage) |
24 juin 1482-24 juin 1483 | 100 s. |
Des révélateurs de la circulation maritime dans ses multiples dimensions
7Pour livrer des informations très concrètes sur les conditions réelles d’affrètement, sur les cargaisons véritables des navires, ou même la composition des équipages, les procès-verbaux et les enquêtes sur les naufrages mettent en lumière des aspects de la vie maritime que laissent dans l’ombre les sources sérielles dûment explorées et mises en statistiques dans les ouvrages et les articles traitant du commerce maritime.
8Le grand négoce atlantique n’est pas le mieux éclairé par les échouements sur la côte du Talmondais. La raison en est simple. Les navires de gros tonnage sont moins exposés à être propulsés sur les rochers ou les sables que les modestes barques bretonnes, bien représentées dans les « archives de l’amirauté » de la principauté de Talmont. Il n’en reste pas moins qu’ils font aussi naufrage. Chargée de barriques, la horque de Flandre qui s’est « aventurée » sur les vases de l’anse de l’Aiguillon en 1416 participe manifestement au grand courant d’exportation des vins rochelais vers les ports continentaux de la mer du Nord33. Naufragée le 23 juin 1505 près de Bourgenay, la Anne de La Rochelle, qualifiée de « carvelle et nef », appartenant aux « honnorables hommes Francoys de Nagères et Jehan Falayse, marchans et bourgeoys de la ville », est également engagée dans un commerce au long cours. De l’épave sont retirées, « entre aultres choses », 14 pièces d’artillerie « de fer » avec leurs boîtes, une autre « de fonte », trois arbalètes « d’asier », « certain nombre de peaulx de martres » ainsi que deux pipes et demie d’huile34. Ce sont néanmoins les activités de cabotage qui sont les mieux documentées. Diligentée par le sénéchal de la seigneurie, l’enquête concernant le Saint-Nicolas de La Rochelle, venu se briser sur les rochers au droit de Saint-Martin-des-Chussons au cœur de l’été 1461, est riche de données sur les échanges entre l’espace rochelais et l’espace bordelais35. Jaugeant entre 16 et 18 « tonneaux de vin », ce navire appartient à un certain Henry Quergueno, domicilié à La Rochelle, et a pour capitaine Jean Aubin. Il est d’abord affrété par Jean Naulin, marchand de Magné près de Niort pour transporter de Marans à Bordeaux de l’osier, mais surtout une grosse quantité d’avoine achetée à Niort et acheminée par la Sèvre jusqu’à l’embouchure du fleuve. En compagnie d’un jeune tanneur de Niort, Naulin convoie sa marchandise jusqu’à Bordeaux afin d’y acheter du vin. À Bordeaux, les opérations se déroulent dans une sorte d’hôtellerie-entrepôt, le « Choix de Belin ». Naulin fait embarquer cinq pipes et deux barriques de vins de Gascogne. Pour compléter le chargement, le capitaine Jean Aubin offre des conditions avantageuses à différents marchands. Sont ainsi embarquées des peaux, des cuirs, de la laine, des draps. La puanteur nauséabonde des peaux dissuade, au reste, les marchands de gagner La Rochelle sur le navire ; ils empruntent une pinasse de Talmont-sur-Gironde jusqu’à ce port puis font le trajet restant par voie de terre.
9Ce que révèlent surtout les procès-verbaux de naufrage, c’est la circulation de modestes barques principalement bretonnes le long de la côte. Les dossiers les plus circonstanciés concernent les deux échouages survenus durant le coup de tabac des 8 et 9 octobre 1505. Le premier se produit sur les rochers de Saint-Vincent-sur-Jard36. La pinasse mise « en pièces » comprend un équipage de quatre matelots, tous manifestement sains et saufs. Son propriétaire, le « marchant de mer », Jehan Duvergier, n’est pas à bord. Il suit le navire sur son cheval en longeant la côte. La cargaison est constituée par du froment, de la farine, une pipe de fève et une pipe contenant le foin destiné au cheval du marchand. Seule une partie a pu être sauvée, estimée à 15 lt. Ce petit navire s’inscrit dans le courant d’exportation de grains produits en Bretagne vers des zones déficitaires du littoral atlantique. Au lieu d’être jetée sur des rochers, la seconde barque, un « bateau de pescherie », s’échoue dans les mêmes circonstances sur les sables du « village » de Grosbreuil, immédiatement au sud de l’actuelle plage des Conches37. Les deux marchands, originaires de « Plemar38 », réussissent à sauver la cargaison constituée de quatre rondelles de fèves et de 50 ou 60 « pièces de parerie ». La destination, en l’occurrence l’île de Ré, est, cette fois, clairement indiquée sur le procès-verbal.
La procédure après naufrage : la seigneurie moderne propédeutique à l’État moderne
10À la fin du Moyen Âge, tel qu’il apparaît dans les archives de la principauté de Talmont, le droit de naufrage est clairement un droit seigneurial. Certes, l’État a manifesté, depuis le xiiie siècle, quelques velléités à se l’approprier mais sans grand succès39. En la matière, sa souveraineté n’est pas effective. Gérer les échouements revient encore à la seigneurie. Disposant d’un littoral important, la seigneurie de Talmont a institué un officier spécialement chargé des affaires de la côte. Comme déjà indiqué, ce maître des côtes est signalé dès le début du xve siècle mais l’existence de l’office est à l’évidence plus ancienne40. Lorsque survient un échouement, il appartient à cet officier d’encadrer les éventuelles opérations de sauvetage. L’exemple du Saint-Nicolas de La Rochelle se brisant en 1461 sur les rochers au droit de Saint-Martin-des-Chussons en apporte une preuve tangible. « Les apparailz duquel vaissel avecques lad. marchandise estans dedans ayent esté sauvez par Estienne Bricot, maistre et gouverneur de lad. coste pour mond. seigneur et autres ses officiers » indique l’enquête41. Pour une raison inconnue, l’office disparaît vers la fin du xve siècle. Les naufrages sont alors gérés par toute l’administration de la seigneurie. Dans la réalité, les choses sont complexes. Les premiers à intervenir sont les habitants, sujets de la seigneurie, témoins de l’échouage. La procédure commence lorsque le navire et la cargaison sont saisis au nom du seigneur de Talmont. Elle peut être enclenchée par un simple sergent de bailliage, comme ce Jehan Champelou à La Tranche venant s’emparer du « bateau de pescherie » échoué en 1505 sur la plage au droit de Grosbreuil. À partir de là, ce sont les principaux officiers, et d’abord le procureur, le châtelain ou le lieutenant général de la seigneurie qui prennent l’affaire en main. Le grand intérêt des dossiers de naufrage qui en résultent, notamment ceux de 1505, est précisément d’éclairer la manière dont le droit savant diffusé par l’université vient se greffer sur le droit coutumier. En Talmondais, le droit de naufrage recouvre le droit de bris et le droit d’épave. La coutume du Poitou différencie les deux42. Le premier réserve une part aux sauveteurs alors que le second attribue tout au seigneur. S’ils contribuent à récupérer la cargaison, les habitants reçoivent une quote-part de sa vente. En revanche, un navire échoué, devenu une épave, revient entièrement au seigneur. Contrairement au duc de Bretagne43 et au seigneur de La Garnache44, le prince de Talmont ne délivre pas de brefs de sauveté, cette sorte de police d’assurance qui permet, moyennant le paiement de ces quittances, aux propriétaires de navire et de cargaison de récupérer leurs biens échoués. En Talmondais, le marchand voulant recouvrer son navire et ses marchandises se soumet à une procédure de comparution devant la cour de la seigneurie.
11Exemplaires, les trois naufrages de 1505 présentent différents cas de figure. Le plus complexe est celui de la Anne de La Rochelle, échouée le 23 juin devant Bourgenay45. Le 3 juillet, un certain Jean le Feuvre, procureur de François de Nagères et Jean Falaise, marchands de La Rochelle et propriétaires de la caravelle, comparaît devant Jacques Bouhier, lieutenant de la principauté, assisté du capitaine, du châtelain, du procureur et du receveur de la seigneurie. L’acte de comparution dresse un inventaire assez exhaustif des marchandises et des gréements récupérés. Il établit que ces biens ont été sauvés par des « hommes et subgetz » de la seigneurie sous le commandement du procureur et fixe les conditions du règlement. La cargaison est estimée à 60 lt. Dans la mesure où elle a été sauvée par des hommes de la seigneurie, le tiers doit être payé par les marchands à ladite seigneurie, pour moitié au seigneur par l’intermédiaire du receveur et moitié aux sauveteurs, auxquels les 10 It. seront distribuées par le capitaine. De douze pièces d’artillerie « réservées », quatre sont confiées à la garde du capitaine. En outre, demeure à la part des « saulveurs », une somme de 18 sous 6 deniers trouvés dans une bourse remise au capitaine par celui qui l’a récupérée. Par ailleurs, deux « boutz de cablez » de cinq à six brasses chacun doivent être mis aux moulins de la seigneurie. En plus simple, le naufrage de la pinasse bretonne venue se briser sur les rochers de Saint-Vincent-sur-Jard au matin du 11 octobre de la même année, offre un exemple assez similaire d’une intervention de « saulveurs46 ». Ici, l’aide collective des habitants du bourg a été sollicitée par les quatre marins incapables de sauver par eux-mêmes la cargaison. Les hommes qui ont contribué à sortir, non sans difficulté, les fûts hors de la mer en furie sont nommément désignés dans le procès-verbal de comparution du « marchand de mer » Jean Duvergier. Le tiers de la valeur des produits transportés revient donc à la seigneurie. Le marchand acquitte à la cour de Talmont la somme de 105 sous, dont 52 sous 6 deniers – c’est-à-dire la moitié – sont versés aux sauveteurs. Lors de la même tempête, l’échouage d’un bateau de pêche au droit de Grosbreuil présente des modalités différentes dans l’opération de sauvetage47. Certes le sergent du bailliage de La Tranche opère une saisie des marchandises. Mais il s’avère que les deux marins ont tiré eux-mêmes sur la grève les quatre petits tonneaux de fèves et les 50 à 60 « pièces de parerie » qu’ils transportaient. Le procès-verbal énonce la sentence que le droit de naufrage ne s’applique pas aux marchandises mais seulement au navire vendu 16 mois plus tard au profit du seigneur48. Dans tous les cas, une enquête est menée afin de bien déterminer les circonstances du naufrage et surtout s’il y a eu intervention de sauveteurs habitant la seigneurie, auquel cas s’exerce le droit de naufrage. Ensuite s’ouvre un débat contradictoire entre le marchand et le procureur de la seigneurie. Le premier présente sa requête, le second fait état des conclusions auxquelles aboutit l’information diligentée. Enfin, la cour statue en se fondant sur la coutume de la côte et de la seigneurie. La mise en œuvre d’une telle procédure est le fait d’officiers gradués de l’université. En 1505, le lieutenant général de la principauté, Jacques Bouhier, est « licencié en loix », comme le châtelain Louis Marchant ou le procureur, Jean Bouchart (Bochard). Ces juristes mettent le droit romain qu’ils ont appris au service de la seigneurie que ce soit dans une procédure consécutive à un naufrage qu’en toute autre matière.
⁂
12Les plus anciens procès-verbaux de naufrage conservés dans le fonds de l’amirauté de Talmont apportent donc une multitude de données ressortissant à différentes thématiques. Ils éclairent d’abord le paysage vécu par les marins victimes des échouages, celui des lieux où se produisent les accidents, les secteurs rocheux avérés ou sous-jacents, les sables et les vases. Ils donnent à voir tant bien que mal des épisodes de vie. Par-delà le discours juridique, se profilent les silhouettes des deux marchands-marins bretons tirant à grand-peine, de nuit, sur la plage des rondelles de fèves et des « pièces de parerie », ou encore celles de quatre matelots appelant à l’aide, dans le vent et les embruns, les habitants de Saint-Vincent-sur-Jard. Voici encore, la même année, une scène de récupération, peut-être à la limite du pillage, sur l’épave de la Anne de La Rochelle, littéralement vidée de tout ce qu’elle transportait. À travers les circonstances des accidents, les actes soulignent ensuite la vulnérabilité des voiliers, notamment les plus modestes, face aux coups de vent et aux tempêtes. Ce faisant, ils témoignent des limites techniques de la construction navale du temps. Ils dégagent, sans surprise, l’« impétuosité du vent » comme facteur principal des accidents. L’incompétence des marins n’est clairement avérée que dans un seul cas, en l’occurrence l’échouement en 1461 du Saint-Nicolas de La Rochelle à Saint-Martin-des-Chussons, mais l’affaire confine à une forme de piraterie. Toutes ces données se retrouvent peu ou prou à l’époque des amirautés. Il en est de même pour les apports relevant du commerce maritime et du cabotage. Que les fûts de vin apparaissent comme la principale marchandise récupérée – et cela continue aux xvie et xviie siècles – rappelle que de La Rochelle part l’une des grandes routes de ce produit attendu par les consommateurs des Pays-Bas. Plus précieuses, au fond, sont les informations relatives au cabotage. Les embarcations et autres « petits navires », notamment bretons, circulant le long du littoral talmondais sortent de la pénombre documentaire lorsqu’ils s’échouent.
13Mais c’est dans la procédure suivant la « salvacion » que réside l’intérêt majeur des dossiers portant sur le tournant des xve et xvie siècles. Se trouve éclairée la manière dont le pouvoir seigneurial gère les naufrages. Un fait doit être mis en exergue : les marchandises récupérées, ou le 1/6e de leur valeur, ne procurent pas, sauf exception, de bons revenus à la seigneurie même si rien n’est négligé, comme la vente aux enchères des barriques de « vin salé ». L’échouement de la Anne de La Rochelle en 1505 ne rapporte que 10 lt., quatre pièces d’artillerie et deux bouts de câble mis à des moulins. Administrer les naufrages est, avant tout, une question de pouvoir sur le littoral et les populations qui y résident. Entre les habitants, qui interviennent sur le navire échoué, et l’administration seigneuriale existe, au demeurant, une véritable complicité qui n’exclut pas les dissimulations. La seigneurie est encore l’autorité publique de proximité mais elle est entrée dans une phase de modernisation. Son fonctionnement est désormais assuré par des officiers issus, pour une partie d’entre eux, de l’université. Ce sont des juristes imposant une stricte rigueur administrative à la procédure d’après naufrage. Au temps des amirautés, « la pénétration du juridique » est présentée, à juste titre, comme « un instrument du contrôle étatique49 ». Depuis la fin du Moyen Âge, elle est un ressort majeur du pouvoir seigneurial dans l’exercice de ses prérogatives sur le littoral.
Annexe
Procès-verbal de comparution devant la cour de Talmont du marchand de mer breton, Jehan Duvergier, dont le navire s’est échoué sur la côte talmondaise, à Saint-Vincent-sur-Jard 1505, 12 octobre
Naufrage sur les rochers de Saint-Vincent-sur-Jard d’une pinasse bretonne. La cargaison est sauvée par l’équipage avec l’aide de quelques habitants du lieu. Totalement brisée, la pinasse n’a plus aucune valeur. Endommagée, la marchandise est évaluée à environ 15 livres tournois. Suivant la coutume de la côte et de la seigneurie de Talmont, le tiers – négocié à 105 sous – et payé comptant par le marchand, revient pour moitié (52 sous 6 deniers) au seigneur et pour l’autre moitié aux sauveteurs.
A. Original papier, ADV, 1 E 1130, amirauté de Talmont
« Par devers nous, Loys Marchant, licencié en loix, chastellain de Thalemond, est venu Jehan Duvergier, marchant de mer, natif du pays de Bretaigne, lequel nous a dit et decleré en presence de maistre Jehan Boschart, procureur dud. lieu de Thalemond, que hyer matin, l’impetuosité du vent avoit gicté ung petit navire ou pinace a luy appartenant qu’il avoit sur mer a la coste d’icelle pres le bourg de Saint Vincent sur Jard, en la seigneurie et principaulté dud. lieu de Thalemond. En laquelle pinace estoient quatre compaignons ou mathelotz to [sic] tous ses serviteurs qui s’estoient saulvez avecques six pippes, unze rondelles ou busses et deux quars de pippes plains de froment dudit pays de Bretaigne, une autre rondelle pleine de farine, une autre pippe pleine de febves et encores une autre pippe plaine de feyn en cordons et grosses lyaces pour le cheval dudit marchant quant ils seroient a port qui s’en estoit venu par terre. Toutes lesquelles pippes, rondelles et quarts estoient aussi saulvez sauf que la plus [mot manquant : grande] partie et presque le tout dud. blé s’estoit moillé et esffondrez d’eulx en le saulvant et en oultre s’estoit desfonsé et s’en estoit aller a l’eau une aultre rondelle qu’on avoit peu saulver qui estoit oultre ledit nombre et ladite pinace s’estoit toute rompue, brisée et mise en pieces contre les rochers estans en ladite mer par lad. impetuosité. Disans led. marchant de mer susdit que led. procureur de lad. court avoit arresté et mis quoyque part, fait arrester et mectre en la main d’icelle lesd. froment, farine, febves et feyn, requerans en avoir la delivrance ou recreance d’iceux ou a tout le moins les deux tiers ou tierces parties, selon que verrons estre a faire par raison. Ouyt laquelle requeste et apres ce que led. procureur de lad. court nous a faict apparoir par informacion sur ce par luy faicte et par les dires et deppositions de Innocent Cornet, Raymond Pineau et messire Maturin Baron, prebstre, tous [rayé], Jacques Germain et messire Jehan Cornet, tous examinez en icelle, lad. marchandie avoir esté saulvée par l’aide d’eulx et d’autres gens dud. bourg de Sainct Vincent sur Jard pour ce assemblez et requis a secour par lesdits compaignons ou mathelotz estans en lad. pinace et y avoit le nombre de pippes, rondelles ou busses et quars de pippes de blé, farine et febves et feyn dessus desclerés dont partie toute noyés dud. blé s’estoit enveni et eufondré de au pres les vaisseaux et fusts susd. qui s’estoient [vo] la pluspart entreouvrées, laschez et esbarrez contre lesd. rochers en iceulx saulvant par eulx et que encores s’estoit du tout desfoncée lad. rondelle qui s’en estoit aller a l’eau. Et estoit seulement demouré le nombre susd. qui povoit et puet a present valoir la somme de quinze livres tornois ou environ. Et au regard de ladite pinace estoit toute rompue, brisée et en pieces a lad. coste, toute inutile et de nul prouffit et valour. Disans led. procureur que, veu que ladite saulvacion de marchandie avoit esté faicte par le moien de l’ayde des dessus nommez a la requeste desd. Bretons, ne devryons faire aucune delivrance d’icelle aud. Duvergier, marchant susd., a tout le moins que deux pars entre ces parties seulement et que le tiers ou tierces parties d’icelle par la coustume et usement notoirement sur ce gardé en appartenoit a ladite court et esdits saulveurs.
Nous, veu et ouy le dire desd. parties et ce que dit est et en ensuyvant l’usement notoirement sur ce gardé en toute la couste de lad. mer et en lad. court et seigneurie dud. Thalemond, avons delivré et delivrons par ces presentes aud. Duvergier, marchant susd., les deux pars ou tierces parties de lad. marchandie dessus declairée, promys et promectons icelles avoir, prandre et emmener et en fere et disposer ce que bon luy semblera sans sur ce luy estre mis par led. procureur ne autre aucun destourbe ne empeschement. Et au regard de l’autre tiers ou tierce partie d’icelle marchandie, l’avons declairé et declarons appartenir a lad. court et esd. saulveurs tant dessus nommez que autres ayans assisté a lad. saulvacion et le departir par moitié entre icelledicte court et eulx. Pour lequel tiers ou tierce partie empres tout ce fait, led. Duvergier a finé et composé et icelluy rachapté a la somme de cent cincq sols tornois a laquelle composicion, par l’advis et oppinion desd. saulveurs et autres assistans par devant nous ayans veu et visité ladite marchandie, laquelle ilz nous ont affirmé ne valoir en tout d’icelle que lad. somme de quinze livres au plus et aussi veu les dires et deppositions des dessusdits examinez en lad. [ro] informacion telz que dessus, nous avons receu led. Duvergier, marchant, et lui avons o faict delivré et delivrons led. tiers comme le parsus susdit de sa marchandie, le quel a baillé et payé contant lad. somme de cent cincq sols tornois pour lad. composicion au receveur de lad. court qui sera tenu en bailler et paier la moitié d’icelle qui est la somme de cincquante deux sols VI deniers ausd. saulveurs et de l’autre moitié montans a pareille somme, en tenir compte a monseigneur comme le parsus et autre faict de sad. recepte a ses prouchains comptes.
Donné et fait par nous chastellain susdit en expedicion faicte sur sepmaine, le xiie jour d’octobre l’an mil cincq cens cincq.
[Signé] Marchant, Garner, pour regestre ».
Notes de bas de page
1Voir pour les perspectives d’ensemble Buchet Christian et Thomasset Claude (dir.), Le Naufrage. Actes du colloque tenu à l’Institut catholique de Paris (28-30 janvier 1998), Paris, Honoré Champion, 1999, notamment l’introduction des deux directeurs de la publication (p. 7-11) et les conclusions livrées par Michel Vergé-Franceschi (p. 423-433).
2Ordonnance de la Marine de 1681, commentée et conférée sur les anciennes ordonnances, le droit romain et les nouveaux règlements, Paris, Charles Osmont, 1714, livre IX, titre IX : des naufrages, bris et échouements. Il est notamment enjoint aux officiers des amirautés d’établir les causes des échouements en procédant à des interrogatoires des capitaines et des matelots. Cette ordonnance constitue une étape importante dans l’affirmation du contrôle exercé par le pouvoir étatique sur les côtes.
3Cabantous Alain, Les Côtes barbares. Pilleurs d’épaves et sociétés littorales en France, 1680-1830, Paris, Fayard, 1993 ; Boucard Jacques, « Naufrages et pillages d’épaves » (île de Ré), Cahiers de la Mémoire, no 45, 1991 ; Péret Jacques, Naufrages et pilleurs d’épaves sur les côtes charentaises aux xviie et xviiie siècles, La Crèche, Geste éditions, 2004 ; Coindet Sylvain, « Le temps du naufrage : une triple vision de l’événement dans l’amirauté de Cornouaille (1720-1790 ) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, vol. 117, no 3, 2010, p. 73-94 ; id., « Naufrages et accidents maritimes dans l’amirauté de Cornouaille au xviiie siècle », Revue d’histoire maritime, no 19, 2014/2, p. 233-258. Sur le rôle et les activités des amirautés, voir précisément le no 19 de la Revue d’histoire maritime consacré aux « amirautés en France et Outre-mer du Moyen Âge au début du xixe siècle », et en particulier l’introduction de Gérard Le Bouëdec et Sylviane Llinares (p. 11-20).
4L’information est à rechercher principalement dans les comptes seigneuriaux et les procès mus aux plaids ou assises de telle ou telle seigneurie. Un bon exemple des ressources documentaires disponibles permettant d’étudier les naufrages au xve siècle et au premier xvie siècle est offert par l’île de Noirmoutier, Bouhier Claude, « Les naufrages sur les côtes de Noirmoutier », Lettre aux amis de Noirmoutier, 1970, no 1, p. 11-15 et no 2, p. 3-11.
5Archives départementales de la Vendée (désormais ADV), 1 E 1130-1132. Différents documents de ce fonds ont été publiés et étudiés par Robert Favreau dans son article classique, Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », Bulletin philologique et historique, 1962, p. 13-61. Quelques informations peuvent être glanées dans l’étude vieillie de Mourain de Sourdeval Charles, « L’amirauté patrimoniale de Talmont », Annuaire de la Société d’Émulation de la Vendée, 1874, 2e série, vol. IV, p. 49-69.
6Gouron Marcel, L’Amirauté de Guienne depuis le premier amiral anglais en Guienne jusqu’à la Révolution, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1938, p. 298 ; Cabantous Alain, op. cit., p. 128.
7Archives nationales (désormais AN), 1 AP 2141, fo 688-689. L’inventaire des titres de la principauté de Talmont (début xviiie siècle) conservé dans le chartrier de Thouars précise qu’il s’agit de la troisième liasse : « La 3e est une liasse de 32 pièces qui sont proces verbaux faits par les officiers de Talmond de naufrages arrivés aux côtes de La Tranche, Lautumière, Brandois et autres endroits dependant de la principauté de Talmond et de vente des marchandises naufragées par les officiers de Talmond et du Brandois avec un décret de prise de corps decerné par le juge de l’amirauté de La Rochelle à la requeste du procureur du roy contre quelques particuliers de la Tranche pour raison de marchandises naufragées dont on disoit qu’ils s’estoient emparez. »
8La mention « neant » figurant à l’article « naufrages et bris de mer » des comptes annuels ne signifie pas qu’il ne se soit pas produit un naufrage durant l’année comptable mais qu’il revient à l’officier chargé de la côte d’en rendre compte, par exemple en 1453 : « De naufrages et bris de mer. Il y a maistre des costes qui en doit répondre et pour ce néant » (ADV, 1 E 1132, Extraict des comptes justificatifs des droits d’admirauté et noffrages et possession d’iceux en la principauté de Tallemond). Le nom de cet officier est parfois indiqué ; ainsi en 1469 : « De naufrages et bris de mer. Monseigneur a pouzé et ordonné Estienne Bricot au profit d’eux qui est tenu repondre et pour ce neant » (ADV, 1 E 1250, fo 25, compte 25 décembre 1468-25 décembre 1469).
9Deux indices attestent la suppression de cet office avant la fin du xve siècle. Aucun « maître des côtes » n’est plus mentionné dans les sources conservées. Par ailleurs, les revenus provenant de différents naufrages apparaissent dans les comptes généraux soumis à audition. Lorsque le receveur ou le châtelain vend des morceaux d’épaves, quelques pièces de gréement, ou a reçu le montant de la composition versée par le marchand pour récupérer les deux tiers de sa marchandise, la somme figure dans les recettes, par exemple en 1491 (ADV, 1 E 1254*, extrait publié dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité, p. 47). La disparition de cet office a-t-elle un lien avec la donation de la principauté de Talmont à Philippe de Commynes par Louis XI pour prix de son ralliement le 8 août 1472 ? Force est d’observer qu’elle intervient durant l’interminable et complexe procédure entre Commynes et les La Trémoïlle (1473-1491) auxquels les seigneuries constitutives de ladite principauté sont définitivement restituées en 1491.
10ADV, 1 E 1130 à 1132. Cette série couvre les xvie et xviie siècles.
11Cette enclave s’étend « dès le bois aus diz religieus jusques à la Goule de Jart », autrement dit de la forêt de l’abbaye jusqu’à l’embouchure de l’achenau de Jard. Elle a donné lieu à différents contentieux entre les officiers de la seigneurie de Talmont et les Prémontrés. Voir en particulier la ratification, en date de février 1333 (n. st.), d’une charte du 8 mai 1288 portant règlement d’une contestation entre Guy, vicomte de Thouars et seigneur de Talmont, et l’abbaye sur « les breisiez ou peceiz des nez » et la ratification du 18 février 1333 (n. st.) d’une autre charte donnée le 23 mars 1311 (n. st.) par laquelle Jean, vicomte de Thouars, reconnait à l’abbaye ce droit, selon le Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la Chancellerie de France, t. I (1302-1333), Éditions Paul Guérin, Archives historiques du Poitou, Poitiers, t. XI, 1881, no CLXXVIII et no CLXXVI.
12La seigneurie d’Olonne appartenant à la principauté de Talmont n’est pas comprise dans cette étude. La première mention de « naufrages et bris de mer » survenus sur la côte olonnaise se trouve dans le compte allant du 8 septembre 1491 au 8 mars 1492 (AN, 1 AP 1980). D’autres mentions figurent dans les comptes de 1492 – 1er janvier au 31 décembre – (AN, 1 AP 1981), 1496 (AN, 1 AP 1985), 1497 (AN, 1 AP 1986), 1498 (AN, 1 AP 1990), 1499 (AN, 1 AP 1987), 1500 (AN, 1 AP 1988), 1507 (AN, 1 AP 1989).
13Coindet Sylvain, « Le temps du naufrage : une triple vision de l’événement dans l’amirauté de Cornouaille (1720-1790) », art. cité, p. 233 et carte p. 235.
14Tranchant Mathias, « La sécurisation du port de La Rochelle et de son accès : actions épisodiques ou véritable politique ? », Revue d’histoire maritime, no 9, 2008, p. 67-86, notamment p. 69-72.
15Ce « village » (hameau) disparu (envahi par les sables ?) se situait au sud des Conches « en la rivière de La Tranche », aux confins des dunes et du marais, selon AN, 1 AP 2141, fo 424, acte du 1er juillet 1589. La localisation est possible sur le cadastre napoléonien de Longeville dressé en 1829 : ADV, 3 P_127_CE_013, section E 1 des Conches (disponible en archives numérisées).
16Dans son Mémoire ou description sur la carte généralle qui contient […] partie du Bas Poictou […], l’ingénieur-cartographe de Louis XIV, Claude Masse présente la côte de ce secteur en ces termes : « elle est presque toute en falaises ou petits rochers escarpés, en quelques endroits assez hauts, jusqu’à l’embouchure du petit havre ou port de Jard où tombent deux petites rivières qui forment un port où il y entre des barques », cité par Suire Yannis, La côte et les marais du Bas-Poitou vers 1700. Cartes et mémoires de Claude Masse, ingénieur du roi, La Roche-sur-Yon, Centre de recherches historiques de la Vendée, 2011, p. 172.
17« Il part de la pointe du Cou un rocher plat qui avance fort avant en mer, qui ne découvre qu’à marée basse, est très dangereux, sur lequel se perdit un vaisseau du roi au commencement de 1712, commandé par M. de Gabaret », ibid., p. 171. Voir également les admirables cartes de l’ingénieur, en particulier la « Carte du Pertuis Breton et de la partie nord de l’île de Ré et la carte du 8e carré de la généralité des costes du Bas Poitou depuis l’embouchure du Perray jusqu’à La Tranche », ibid., p. 176 et 178.
18Cartulaire de Sainte-Croix-de-Talmont, édition par Louis de La Boutetière, Mém. S. A. O., t. 36, Poitiers 1873, no VI, LXXXVI, CCCLIV.
19En l’île de Ré, en 1740, l’amirauté ordonne la destruction d’une écluse située à la pointe de Chauveau comme « ayant causé des naufrages », selon Boucard Jacques, Les écluses à poissons dans l’île de Ré, La Rochelle, Éditions Rupella, 1984, p. 249.
20Le Masson du Parc François, Pêches et pêcheurs du domaine maritime et des îles adjacentes de Saintonge, d’Aunis et du Poitou au xviiie siècle. Procès-verbaux des visites faites concernant la pesche dans le ressort des amirautés de Marennes, de La Rochelle et des Sables-d’Olonne en 1727 et 1728, édition critique avec introduction, notes et index par Denis Lieppe, éditions de l’Entre-deux-Mers, Rochefort-sur-Mer, t. II, 2009, p. 167-169 et 212.
21AN, 1 AP 2141, fo 420, fo 421, fo 422, fo 423 vo, fo 426 vo, fo 443 ro, fo 449 ro. À la pointe du Grouin, d’après la déclaration d’un certain Nicolas Écharpaud du 19 août 1543, il y a au moins trois écluses, l’Écharpaude, Groin et Gazeille, selon AN, 1 AP 2141, fo 422. En 1670 et 1683, l’Écharpaude et Groin n’en font plus qu’une, selon AN, 1 AP, 2141, fo 443 et 449.
22Datée du 2 août 1463, une quittance de Jean de Montespedon, chambellan du roi et capitaine de Fontenay-le-Comte, pour une somme de 500 lt. prises sur le revenu de la traite des blés, vins et autres marchandises chargés sur la côte poitevine donne une liste des ports têtes de ces lignes de cabotage : il s’agit de Luçon, Chanais, Saint-Benoît, Moric, La Tranche, Saint-Michel-en-l’Herm, Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité, p. 42-43.
23Tranchant Mathias, Le commerce maritime de La Rochelle à la fin du Moyen Âge, Rennes, PUR, 2003, en particulier, cartes hors texte 3, 4, 6 et 11 ; p. 17-20 et 33-39.
24Voir la présentation de la morphogenèse : Verger Fernand, Marais et estuaires du littoral français, Paris, Belin, 2005, p. 170-187.
25Ibid., cartes p. 170, 171 et 178. Parmi les cartes de l’ingénieur Masse au début du xviiie siècle, la carte de partie du Bas Poitou… et une pièce sans titre sur les environs de l’Aiguillon reproduites dans Suire Yannis, La côte et les marais du Bas-Poitou vers 1700. Cartes et mémoires de Claude Masse, ingénieur du roi, op. cit., p. 205, 237, 238 et 239. Les photographies satellitaires réalisées après le passage de la tempête Xynthia (28 février 2010) et figurant la submersion marine donnent une idée assez précise de la baie de l’Aiguillon à la fin du Moyen Âge.
26Elle se trouve au lieu-dit La Belle Henriette, commune de la Tranche-sur-Mer, cartes de Masse, ibid., p. 237.
27La localisation de ce naufrage ne figure pas sur le procès-verbal du 22 septembre 1505 (ADV, 1 E 1130) mais sur une certification établie par Louis Marchant, châtelain de Talmont, et Jean Bochart, procureur, en date du 15 janvier 1506 (n. st.) [ADV, 1 E 1132].
28Situé à deux kilomètres à l’ouest de Bourgenay, selon la carte de Cassini.
29Enquête d’août 1461, ADV, 1 E 1131, publiée dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité.
30Vraisemblablement le samedi 18 juillet.
31ADV, 1 E 1131, enquête publiée dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité.
32Le tableau 2 est établi d’après la copie de l’« extraict des comptes de Jehan Goland, receveur de Talmond, pour noble homme messire Philippes de Commynes, chevalier, seigneur d’Argenton, fait par nous Jehan Pellieu, conseiller du roy nostre seigneur en sa court de Parlement […] » (1473-1486) dans le cadre du procès devant le Parlement de Paris entre les La Trémoïlle et Commynes, à la suite de la donation au second de la principauté de Talmont par Louis XI au détriment des premiers (ADV, 1 E 1252). Ne sont pas couverts les exercices 24 juin 1475-24 juin 1478 et 24 juin 1479-24 juin (?) 1480. Les item relatifs aux « naufrages et brix de mer » se limitent au total annuel des revenus procurés par ces accidents. En outre, le fo XVIII vo comporte une grosse lacune sur l’année concernée « en l’année commencant a lad. feste [sic sans autre indication] l’an mil IIIIC IIIIXX » ; le terme de l’exercice n’est pas non plus mentionné.
33Craeybeckx Jan, Un grand commerce d’importation : les vins de France aux anciens Pays-Bas (xiiie-xvie siècle), Paris, SEVPEN, 1958, passim voir La Rochelle à l’index des noms de lieux et de personnes, p. 305 ; Mathias Tranchant, Le commerce maritime de La Rochelle à la fin du Moyen Âge, op. cit., p. 308-325.
34Procès-verbal de comparution de Jean le Feuvre, procureur des marchands de La Rochelle, ADV, 1 E 1130.
35Étude détaillée dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité, p. 34-35.
36ADV, 1 E 1130, procès-verbal publié ci-dessous en annexe.
37ADV, 1 E 1130, procès-verbal publié dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité.
38Identifié comme Ploemeur à l’ouest de Lorient, Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité.
39La première mention d’une tentative d’appropriation du droit de naufrage par l’État royal remonte à la fin des années 1230 ou au début des années 1240. Un serviens domini regis in Talemont, Barthélemy Giroire, saisit la cargaison d’un navire de Bayonne, Lenglesche, échoué près de La Tranche. L’affaire est révélée quelques années plus tard par l’enquête ordonnée par saint Louis pour remédier aux abus de son administration, dans Enquête ordonnée par le roi saint Louis en 1247 en Poitou et en Saintonge, Poitiers, édition Bélisaire Ledain, Archives historiques du Poitou, tome XXV, 1895, p. 306.
40Un certain Jean Boscher, « maistre des costerez esdictez chastellenies » (Talmont et Olonne) est cité en 1406 dans une enquête relative aux droits qu’a le curé de Notre-Dame d’Olonne de prendre son bois de chauffage dans la forêt d’Orbestier aux endroits délimités par les officiers du seigneur de Talmont (ADV, 120 G 1). L’existence de ce « maître des côtes » ne signifie pas qu’une amirauté patrimoniale ait été instituée dès le début du xve siècle comme l’affirmait Charles Mourain de Sourdeval en s’appuyant sur une copie médiocre d’un arrêt du Parlement de Paris. Voir à ce sujet Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité, p. 36. La concurrence de juridiction n’éclate qu’aux années 1480-1490 quand Louis de La Trémoille prétend avoir « droit d’admiral », ibid., p. 36-37.
41ADV, 1 E 1131, publié dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité.
42Cabantous Alain, op. cit., p. 122.
43Touchard Henri, « Les brefs de Bretagne », Revue d’histoire économique et sociale, 1956, p. 117-140 ; Kerhervé Jean, L’État breton aux 14e et 15e siècles. Les ducs, l’argent et les hommes, Paris, Maloine, 1987, p. 673-681.
44Compte du rachat de la seigneurie de la Garnache (23 avril 1407-22 avril 1408), AN, 1 AP 1170, fo 42 ro.
45ADV, 1 E 1130.
46ADV, 1 E 1130, procès-verbal ci-dessous en annexe.
47ADV, 1 E 1130, publié dans Favreau Robert, « Les ports de la côte poitevine au xve siècle », art. cité.
48ADV, 1 E 1130, certification, en date du 6 février 1507 (n. st.), de cette vente faite aux enchères par le receveur François Golland.
49Cabantous Alain, op. cit., p. 203.
Auteur
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Jean-Luc Sarrazin
Nantes Université.
Jean-Luc Sarrazin est professeur émérite d’histoire médiévale à Nantes Université et membre du Centre de recherches en histoire internationale et atlantique (CRHIA, UR 1163). Ses recherches portent essentiellement sur le monachisme cistercien et les campagnes maritimes de Bretagne méridionale, Poitou et Aunis, notamment dans leurs activités salicoles. Il a récemment dirigé avec Thierry Sauzeau les 39e Journées internationales de Flaran Le paysan et la mer. Ruralités littorales et maritimes en Europe au Moyen Âge et à l’Époque moderne dont les actes ont été publiés en 2020 aux PUM.

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