Un fournisseur controversé de la marine de Louis XIV
Pierre Grandguillaume et les produits du Nivernais
p. 189-202
Texte intégral
1« Grandguillaume était de cette espèce d’intrigants qui s’annoncent dans le public pour avoir des secrets merveilleux, et dont l’application consiste pour l’ordinaire à chercher des dupes pour les tromper ; il se piquait de talents singuliers pour la fabrique des fers blancs et la conversion du fer en acier1. » : tel est l’acide jugement que porte le sieur de Jean Leclerc de Grandmaison, son ancien associé, qui « eut le malheur de le connaître et de donner dans ses visions. Ébloui par les promesses de Pierre Grandguillaume et les grands desseins qu’il feignait d’avoir, il le chargea de la recette de sa terre et l’y envoya avec des sommes considérables d’argent pour former les établissements et construire les choses nécessaires à ses opérations2 ».
2Grandguillaume incarne ici la figure du fournisseur peu scrupuleux qui sut, à la faveur des conflits du règne ludovicien, profiter des marchés créés par l’essor des marines de guerre de France et d’Europe, en répondant aux commandes des arsenaux du royaume et notamment de Rochefort3. Spécialisé dans les produits du Nivernais, l’homme, sans être un personnage de premier plan, a retenu l’attention de ses contemporains autant que des historiens4. De formation, il serait architecte des bâtiments du Roi, « employé par M. Louvois dans toutes les grandes entreprises de bâtiments5 ». Se partageant entre Paris et le château de Beaumont6, en Nivernais, il est marié à Louise Fernatte7, qui lui donne trois enfants avant de décéder à La Charité, en février 1689 ; il se remarie en octobre 1690 avec Madeleine Ferry, sa servante, et fait baptiser leur première fille, trois jours plus tard ; deux autres enfants naissent bientôt. Si les débuts du personnage sont difficiles à saisir, Grandguillaume devient rapidement un personnage essentiel de l’approvisionnement naval ; c’est l’homme clé du Nivernais, grâce à trois « aventures » industrielles : le fer-blanc de la manufacture de Beaumont ; la fabrication des ancres ; les produits métallurgiques.
Grandguillaume et la manufacture de fer-blanc de Beaumont-la-Ferrière
3Initialement, la manufacture de fer-blanc de Beaumont-la-Ferrière est fondée par l’architecte Louis Le Vau8, seigneur de Beaumont, en 1665, mais sa mort en 1670, alors même qu’il a à peine terminé l’installation définitive de l’établissement, entraîne des vicissitudes. Le roi fait racheter le tout par Samuel Daliès de La Tour. Le recours à des prête-noms rend complexe la reconstitution de cette période de l’histoire de Beaumont-la-Ferrière. On sait que se forme une petite compagnie d’intéressés, dans laquelle on trouve notamment Jean-Baptiste Boileau9. Selon Gaston Gauthier, Grandguillaume reprend l’affaire en 1670, comme prête-nom d’un riche financier, Jean Leclerc de Grandmaison10. Les actes que nous avons retrouvés laissent cependant penser que l’affaire fut plus tardive, et que c’est Grandguillaume lui-même qui initie la démarche en cherchant un bailleur de fonds. À partir de 1681, il emprunte à Grandmaison diverses sommes11, et en août 1687, il rédige un mémoire « sur les lieux dépendant de la terre de Beaumont, auparavant que M. de Grandmaison en fit l’acquisition », chiffrant les réparations et transformations à apporter pour pouvoir y travailler. Grandguillaume commence alors à travailler en Nivernais pour préparer l’acquisition, et il exploite notamment la forge de La Ronce pour le compte de Grandmaison. Ce dernier acquiert la terre de Beaumont à Samuel Daliès de La Tour en 1689, tandis qu’un acte de février 1689 entre Daliès et Grandguillaume stipule que les meubles et ustensiles du château et des forges appartiennent désormais au second, et qu’il sera fait une vente séparée de la forge basse et du privilège de la manufacture royale des fers blancs. Grandguillaume obtient, par arrêt du 4 avril 168912, ledit privilège, « sous le cautionnement des sieurs Cortinel et Daliès » ; il est chargé de la gestion de la forge, dans laquelle il fait faire des travaux importants, puisque les dépenses dépassent les 80 000 lt. entre 1689 et 169213.
4Quelles sont les productions de Beaumont14 ? Un « marché pour faire du fer en feuille à la forge de Beaumont » confirme qu’on y fabrique des feuilles de fer-blanc, tandis que le site produit aussi des limes « à la manière de France et d’Allemagne15 ». Dans ses lettres, Grandguillaume vante la qualité de sa production, estimant « que les limes qu’il fait faire sont meilleures que celles d’Allemagne », révélant qu’il « a trouvé un secret pour faire les limes qui épargnera 35 000 lt. pour construire les émouleries et 25 000 lt. par an pour l’entretien des émouleurs » ; mais tout cela demande des fonds, qu’il réclame régulièrement. Un récapitulatif des sommes versées fait état de 196 000 lt.16. Dès lors, des crispations apparaissent, en particulier à l’automne 1691. Grandguillaume n’est pas en mesure de rendre les comptes demandés. Grandmaison lui reproche en outre de « retenir par-devers lui les deniers qu’il touchait de la vente des fers blancs et noirs fabriqués pendant la régie, sans envoyer argent ni marchandises ». Grandguillaume n’est, semble-t-il, pas en reste, puisque, selon un document malheureusement non daté, l’homme entreprend des démarches pour reprendre à son compte la manufacture :
« Si M. de Grandmaison ne vienne à quitter la manufacture des fers blancs établie à Beaumont en Nivernais ou que le roi veuille pousser cette fabrique à 6 000 barils et plus par an, à quoi les entrepreneurs précédents s’étaient obligés, nous nous engageons d’en faire la première année jusqu’à 1 000 puis d’augmenter chaque année de 1 500 par an jusqu’à 6 000 et de le vendre au roi et aux particuliers à 75 lt. le baril, alors que Sa Majesté le paye actuellement 80 lt. le baril, puis de baisser à 70 lt. dans cinq ans, lorsque la manufacture produira 6 000 barils moyennant un privilège et l’interdiction aux étrangers d’en apporter dans le royaume, ou si Sa Majesté prend pour son compte tout le fer-blanc fabriqué ou le faire entreposer à Paris, Nantes et Lyon pour distribuer par ordre du roi aux marchands et ouvriers en fer-blanc, ou alors obliger les marchands à prendre chaque année une certaine quantité de barils par rapport au commerce qu’ils en font, et ce pendant vingt ans17. »
5La situation dégénère dans le courant de 1691. Outre le fait que Grandmaison ne cesse d’avancer des sommes et attend en vain les profits, il apprend que Grandguillaume est en affaire avec la Marine depuis avril, pour la fabrication des ancres mais aussi pour des outils et des fers blancs. Le risque d’une confusion des comptes est donc grand. La rupture est consommée en décembre 1691 lorsque Grandmaison chasse Grandguillaume de Beaumont-la-Ferrière et tâche de récupérer le privilège initialement accordé à son partenaire18. Il le poursuit de sa vindicte en janvier 1692, et entreprend de faire saisir une maison que Grandguillaume vient d’acheter à Beaumont19. En réponse, ce dernier lance une procédure pour paiement des réparations, constructions et fabriques d’ustensiles. Or, l’affaire intéresse la Marine car elle vient de verser à Grandguillaume 20 000 lt. d’avances pour le travail des ancres ; une saisie entraînerait la perte de la somme et l’impossibilité pour Grandguillaume d’accomplir le travail auquel il s’est engagé. Cette querelle qui n’en finit pas constitue la toile de fonds des relations de travail que Grandguillaume entretient avec la Marine et les empoisonne constamment. Les risques sont multiples, à commencer par le fait que Grandguillaume soit accaparé par ces problèmes qui le détourneraient de son travail. Surtout, on craint que ses biens ne soient saisis, ce qui mettrait en péril l’exécution des contrats et les avances consenties par le roi. Pour éviter le procès, un arbitre est nommé et pas moins de dix sentences arbitrales interviennent entre septembre 1692 et avril 1698. Entre-temps, Grandmaison essaie de vendre Beaumont20. Le 12 mai 1696, la propriété est adjugée par bail judiciaire à un certain Zelon, qui donne procuration à Grandguillaume, lequel se réinstalle à Beaumont ! En juin 1696, si l’on en croit Grandmaison, Grandguillaume pille le château : « il vint avec vingt charrettes et nombre d’hommes et fit pendant plusieurs jours transporter presque tout ce qui était sur la terre de Beaumont21 ». Il est donc expulsé le 17 juillet et la manufacture vendue à Michel des Canaux, en octobre 1696, pour 50 000 lt., ce qui suscite aussitôt des oppositions22. L’affaire ne s’arrête pas là, et par sentence du 2 avril 1698, l’arbitre des deux hommes, M. de Turmenyes, établit que c’est Grandmaison qui doit à Grandguillaume 152 671 lt.23. Grandmaison conteste violemment la décision, accusant son adversaire autant que l’arbitre ; Turmenyes aurait « changé de camp », en raison d’une brouille avec Grandmaison à propos de l’achat d’une charge de trésorier général des guerres et d’une maison rue du Grand chantier à Paris, tandis que « Grandguillaume passa au service du sieur de Turmenyes qui l’employa dans la construction d’un château qu’il faisait faire24 ». L’affaire ne devait être tranchée que bien des années plus tard, entre les héritiers des deux hommes. La manufacture de Beaumont n’est cependant que l’un des volets de l’activité du personnage, qui, prompt à saisir les opportunités, se lance dans la fabrication des ancres de marine.
Grandguillaume et le défi des ancres de marine
6C’est bien dans le domaine de la fabrication des ancres que Grandguillaume s’illustre et joue un rôle clé dans l’approvisionnement naval. Sa trajectoire est à replacer dans le contexte de l’époque. En septembre 1690, la marine française est aux prises avec un problème crucial : le manque d’ancres, en particulier de gros gabarits, indispensables pour que les unités nouvellement construites puissent prendre la mer25. Or les capacités des arsenaux sont très insuffisantes, d’où une prospection pour trouver des sites de fabrication. On mandate plusieurs commissaires26 pour faire un état des lieux du Nivernais ; on y repère de nombreuses forges, qu’on réquisitionne, mais la plupart sont trop petites pour y fabriquer les plus grosses pièces ; surtout, on ne dispose dans la région que de deux maîtres ancriers. Se met alors en place une division du travail, avec des forges pour les petites ancres et les pièces, et d’autres pour l’assemblage, ces dernières pouvant être sur place, mais plus volontiers dans les arsenaux. Selon la tournée d’inspection du maître ancrier de Brest, Jean Gomain27, en octobre 1692, 14 forges travaillent aux ancres de la Marine. La division du travail apparaît nettement : certaines fabriquent les verges, d’autres les bras ou les pattes, d’autres encore les organeaux ou même les « mises », un produit semi-fini que l’on transforme ensuite en pièces d’ancres. Quant à l’assemblage, selon l’intendant Pierre Arnoul, il ne peut se faire qu’à Imphy ou à Cosne. C’est dans ce cadre qu’intervient Grandguillaume. Le mémoire remis à Bégon de Mauclère28 évoque des traités déjà conclus, et le fait qu’« il y a dans ce pays [le Nivernais] un autre maître de forges nommé Grandguillaume, qui a offert de faire aussi des ancres ». Plusieurs options sont proposées : 1) si Grandguillaume dispose d’un maître ancrier et peut fournir pour la fin mars, il faut l’embaucher et le faire travailler sans causer préjudice aux autres maîtres de forges ; 2) si ces derniers font des difficultés ou ne sont pas en état d’honorer les commandes, il faut leur retirer leur maître ancrier, pour le faire travailler avec Grandguillaume ; 3) enfin, on peut encore tâcher de traiter en sous-main avec lui afin qu’il fasse mettre ses forges en état, « préparer son monde » sans détourner les autres, « et lorsqu’il serait en état de travailler, lui donner le maître ancrier de celui des deux autres qui ferait moins bien son devoir ». Par ailleurs, prenant acte du fait que l’on manque de temps pour assembler les ancres à Rochefort, on tâche de procéder à l’assemblage sur place et, là encore, Grandguillaume est sollicité pour y travailler, soit dans sa forge, soit dans celle de Cosne. Ainsi, alors qu’il est à peine connu de la Marine, Grandguillaume apparaît presque comme un homme providentiel, capable de répondre à une demande urgente et stratégique, détenteur d’un savoir-faire extrêmement rare, et quand bien même on engage Mauclerc à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, on voit bien que l’on compte d’ores et déjà sur Grandguillaume à bien des niveaux. En juillet 1691, il signe un contrat de quatre ans par lequel il doit fournir jusqu’à 100 ancres entières et les pièces pour en fabriquer cent de plus, durant les quinze premiers mois de son contrat, des ordres devant ensuite préciser le nombre de pièces commandées29. « Pour donner moyen à l’entrepreneur de faire lesdits ouvrages avec facilité », on lui permet de prendre les fourneaux et forges dont il aura besoin, moyennant les conditions habituelles de dédommagement, « au moyen de quoi tous les marchés faits avec lesdits entrepreneurs en la province de Nivernais seront annulés, pour être le susdit entrepreneur seul en la fabrique des ancres entières et de toutes autres pièces d’ancre ». Grandguillaume obtient ainsi le monopole de la fourniture des ancres en Nivernais. Il peut prendre par préférence les mines autant que le bois. On lui fournit voitures, chevaux, charrettes, mulets et ouvriers « à son indication […] dans quelques lieux qu’ils puissent être ». Ce traité des ancres est favorablement accueilli par les différentes instances de la Marine, notamment par l’intendant du Havre, Louvigny d’Orgemont : « Rien ne pouvait être plus avantageux que le traité des ancres que vous avez fait avec Grandguillaume […] Il m’a servi à rabattre au sieur Le Blanc le prix des mises et organeaux30. » Le fournisseur propose en effet de diminuer ses prix pour se conformer au marché Grandguillaume, mais Louvigny considérant que le fer du Nivernais est meilleur que celui de Champagne, envisage en fait de se fournir lui aussi auprès de Grandguillaume.
7Ce dernier met donc tout en œuvre pour lancer sa nouvelle entreprise. En septembre, il reprend les manufactures de Cosne31, un ensemble alors composé de six forges, plus trois autres donnant sur la Loire, un magasin, une halle et un martinet. L’équipement consiste en 8 enclumes, 13 marteaux, dont 6 à frapper et 6 à main, 18 paires de tenailles, 16 tisonniers, 9 soufflets, 34 étals et la roue qui équipe la machine, mais le tout, ou presque, est hors d’état de servir. Il en va de même lorsqu’il prend possession de la forge de Lévesque, près de Cosne : il n’y a ni soufflet, ni marteau, ni enclumes et autres ustensiles, tandis que le moulin n’a ni roue, ni rouet, et aucune chose servant au moulage, si ce n’est deux meules ; pire, il faut abattre et refaire à neuf les trois chaufferies32. Grandguillaume doit donc faire toute une série de travaux, dont on retrouve la trace chez notaire. Il fait rétablir les deux pignons de la forge du martinet et ceux des moulins à blé, ainsi que la roue du marteau, remplace le torillon, le briquetage de la forge, la charpente du comble, refait la couverture là où c’est nécessaire, change plusieurs planchers ainsi que des pales du moulin33. Il dépense 150 lt. en 1691 pour la forge aux ancres et celle des martinets, sans compter 200 lt. pour acheter le bois nécessaire aux réparations et encore 450 lt. en 169134. Son activité prenant de l’ampleur, il reprend aussi la forge de Minjeux et les bois dépendants en août 169235. Par la suite, un entretien régulier est nécessaire, comme en témoignent les 3 560 lt. en 1694, les 672 lt. en 1695 pour refaire à neuf la grosse forge, soit plus de 5 000 lt., et il ne s’agit encore que des actes retrouvés36.
8Mais la vraie force de Grandguillaume réside dans sa capacité à développer un savoir-faire technique. Son parcours démontre une appétence pour les questions techniques et industrielles. On rappellera que de formation, l’homme est architecte du Roi. De plus, alors qu’il envisage de reprendre la manufacture de fer-blanc, on sait qu’il fit, pour se former, un voyage en Allemagne ; il aurait pour cela obtenu de Louvois, et par l’entremise de Grandmaison, un passeport, en septembre 1688. Le 12 octobre, il part pour l’Allemagne, et se rend en Styrie, pour ne rentrer que vers décembre 1688. Grandguillaume va de plus développer un savoir dans le domaine des ancres et une série de mémoires techniques permet de prendre la mesure de ses capacités37. Il invente certaines méthodes, comme un procédé d’« encollage », qu’il propose en 1693. Il fait progresser les techniques de fabrication en utilisant, dans la forge d’Uxeloup, des mises ressuées pour la fabrication des bras d’ancres et l’on dispose notamment du mémoire rédigé à cette occasion, très instructif quant à la méthode d’exposition de Grandguillaume38. La première partie du document consiste en un chiffrage précis des différents frais et de tous les éléments entrant dans la composition, chacun étant pesé et mesuré en présence du commis à la régie et de plusieurs ouvriers. Une fois ce compte effectué, Grandguillaume décrit chaque étape de la fabrication, là encore réalisée sous le regard de plusieurs experts, et il conclut sa présentation sur la qualité supérieure de sa technique. Il termine son propos par le détail de la dépense faite pour un bras d’ancre selon la méthode de Lefebvre, et selon la sienne. Enfin, en 1698, alors que le conflit se termine et qu’il est temps de synthétiser les réflexions et les progrès accomplis durant les dix années écoulées, Grandguillaume livre un mémoire assorti de schémas, visant à démontrer la répartition des efforts sur les parties de l’ancre, pour en tirer les proportions à respecter. Ce savoir-faire est reconnu et à plusieurs reprises, Grandguillaume est convoqué en tant qu’expert. En juin 1691, il participe à un conseil de construction présidé à Brest par Tourville, à l’occasion duquel il propose de substituer aux ancres de barres des ancres de loupes ressuées. En 1692, le commissaire Talon, qui surveille les productions du Nivernais, discute avec lui des différences de proportion entre les ancres demandées par Brest et Rochefort. Surtout, ses innovations ne restent pas que des croquis sur papier. La reconnaissance de son talent se concrétise par un nouveau contrat signé en janvier 1694, qui lui accorde pour six ans la fourniture de 300 « ancres de la nouvelle fabrique avec des mises ressuées et refoulées », précisant que Grandguillaume « fournira seul toutes les ancres nécessaires pour le Ponant », tandis que les mises, autrement dit le produit semi-fini que Grandguillaume doit transformer en ancres, sont à fournir par de Chartres, Vaillant et Chapus, autrement dit les autres maîtres de forges du Nivernais, qui travaillent donc désormais pour Grandguillaume, lequel, pour sa part, s’installe à Imphy. Il n’en quitte pas pour autant Cosne, où il fait faire par le maître-charpentier Claude Béguin, deux campagnes de travaux en 1694 et 1695, qui remettent l’établissement quasiment à neuf39. Pour autant, si Grandguillaume est incontestablement à l’origine d’un certain nombre d’innovations de procédé, il essuie chemin faisant de nombreux revers, et son travail est régulièrement soumis à de sévères critiques. Un premier volet de griefs porte sur sa gestion des affaires, et il faut voir là la marque de ses problèmes avec Grandmaison. La Marine, inquiétée par ses démêlés judiciaires, prend des précautions pour la préservation de ses intérêts40, ce qui la conduit notamment à faire saisir outils, fers d’ouvrage et autres munitions achetés des deniers du Roi, ou à payer elle-même les ouvriers employés par Grandguillaume car toute la difficulté est de lui permettre de continuer sa fourniture sans risquer de perdre les avances consenties. Encore en 1694, alors que commence son nouveau contrat, on retient toutes les sommes possibles, car Grandguillaume doit encore beaucoup au Roi41. Mais on critique aussi fortement la qualité des ancres. Un rapport du port de Brest, daté de 1694, relève de graves manquements et l’on fait réaliser en conséquence un bilan ancre par ancre, stipulant le poids, la marque, les réparations à faire et le temps que cela pourrait prendre, ainsi que le coût.
Tableau 1. – Expertise des ancres fabriquées par Berne et Grandguillaume, réalisée au port de Brest en 1694.
Fabricant | Nombre d’ancres | Poids total (en livres) | Poids moyen (en livres) |
Guillaume Berne | 37 | 174 350 | 4 712,16 |
Ancres bonnes | 23 | 111 600 | 4 852,17 |
Ancres avec défauts | 14 | 62 750 | 4 482,14 |
Pierre Grandguillaume | 62 | 194 971 | 3 144,69 |
Ancres bonnes | 48 | 153 583 | 3 199,64 |
Ancres avec défauts | 14 | 41 388 | 2 956,28 |
Total général | 99 | 369 321 | 3 730,51 |
9La comparaison avec un autre fabricant ne laisse guère apparaître de fortes différences : 37 % des ancres de Guillaume Berne sont à réparer, contre seulement 29 % de celles de Grandguillaume. On s’attendrait à ce que les ancres les plus lourdes, et donc les plus difficiles à fabriquer, soient les plus défectueuses. Or seules deux ancres de plus de 5 000 livres sur les 24 fabriquées présentent des défauts. En revanche, 19 des 42 ancres pesant de 3 000 à 4 999 livres sont à reprendre, contre seulement 7 des 33 ancres de moins de 3 000 livres. En définitive, le test réalisé ne permet pas d’incriminer le travail de Grandguillaume, même si, comme il est rappelé dans le mémoire,
« on ne peut pas juger s’il n’y a pas beaucoup d’autres défauts dans l’intérieur des ancres, qu’on estime de service, parce qu’elles sont si bien parées qu’il est impossible d’en juger, à moins de les mettre au feu pour voir si les assemblages des loupes et des bras avec la verge sont bien, sur quoi il est à remarquer que presque toutes celles qui ont été raccommodées dans les forges aux ancres de cet arsenal se sont ouvertes et ont coûté presque autant qu’à en faire de neuves42 ».
10Par ailleurs, la réponse adressée au mémoire conduit à pondérer les critiques dont Grandguillaume a pu faire l’objet. Ainsi, les défauts de proportion viennent moins des fabricants que de consignes parfois erratiques, d’autant que Brest et Rochefort ne s’accordent pas sur les proportions à établir ; « chacun juge de ces défauts à sa fantaisie, celles qui se font dans le port ont les leurs comme les autres », et sur ce point, un examen du poids des ancres montre qu’on est encore bien loin d’une standardisation, même relative, car il n’y a pas deux ancres du même gabarit. Dès lors, même si les choses sont loin d’être en leur perfection, la Marine se trouve globalement satisfaite du travail de Grandguillaume, qui s’investit aussi dans un troisième secteur d’activité : la production métallurgique plus commune.
Grandguillaume, marchand fabricant de fer œuvré
11Si la fabrication des ancres représente la partie la plus technique de son travail, Grandguillaume approvisionne en outre les arsenaux en fer œuvré, et on constate en la matière une montée en puissance de son activité. En juin 1691, au moment même où il se lance dans la fabrication des ancres, Grandguillaume obtient une fourniture des ouvrages de fer pour les ports, en particulier clouterie, taillanderie, chaînes, grappins et verges43, outre des productions ponctuelles plus atypiques. Un nouveau marché s’y ajoute en juillet 1694, pour « la fourniture de fers œuvrés pour les constructions et radoubs des vaisseaux du Roi au port de Brest », pour six ans, jusqu’à concurrence de deux millions pesant si besoin. Grandguillaume se propose en effet de fournir toutes les chevilles et autres ouvrages de fer et n’hésite pas à négocier pied à pied. Lorsqu’on lui répond que le fer du Nivernais n’est pas bon pour cet usage, il s’engage à prendre celui du Berry. Mais c’est bien en 1696 que Grandguillaume réussit un coup de maître. À cette période, la Marine, peu à peu séduite par la perspective de contrats généraux inspirés du modèle toulonnais44, expérimente la formule pour l’approvisionnement en fers forgés destinés aux arsenaux du Ponant. Un contrat est signé le 12 mars 1696 en faveur du nommé Potier45. Si le personnage est jusqu’alors inconnu, on retrouve, du côté des cautions, de grands noms de la finance, comme Paul-Jacques de Guymont, ou Jacques Boyer de la Boissière46, ou encore Dehem, un financier introduit par Michel Bégon le jeune, alors premier commis de la Marine à Versailles. Si ces hommes ont des capacités organisationnelles, il manque à l’équipe le fournisseur effectif, qui n’est autre que Grandguillaume, comme on le comprend par le sous-traité du 17 mars 169647, par lequel il s’oblige à faire faire en Nivernais tout le fer œuvré nécessaire, moyennant une avance de 40 000 lt. Grandguillaume est donc à la tête de l’approvisionnement en fer de Rochefort, Brest et Port-Louis, puisque le contrat stipule que Potier doit fournir, durant six ans, tous les fers forgés faits en Nivernais ou ailleurs, selon des états communiqués quelques mois à l’avance. En outre, il doit tenir dans chacun des trois ports un stock provisionnel constant, d’une valeur à 60 000 lt. pour Brest, autant pour Rochefort, et 30 000 lt. pour Port-Louis. Les quantités à livrer sont considérables. En janvier 1697, une estimation fait état de 852 532 livres de fonte et 226 200 livres de fers en verge. En mai, Grandguillaume a satisfait une partie de la commande et il lui reste à expédier 234 000 sur 694 000 livres pour les gros ouvrages, et 171 000 livres sur les 242 000 nécessaires pour la clouterie. Le problème est qu’une telle commande menace de submerger les capacités de Grandguillaume. Certes, il prétend avoir trente forges établies à Cosne, mais les débuts sont difficiles. Sur les 40 000 lt. d’avances promises, Grandguillaume se plaint de n’en avoir reçu que 26 000, ce qui l’empêche de travailler, d’autant qu’il est poursuivi par ses créanciers. Par ailleurs, Boyer et ses associés laissent entendre à Arnoul que Grandguillaume ne serait pas capable de faire fabriquer tout ce à quoi il s’est engagé ; on le somme donc de rendre des comptes. Grandguillaume a beau s’estimer très heureux et considérer qu’il a réussi malgré ceux qui « se sont efforcés de détruire son entreprise », force est de constater que la production ne semble pas donner toute satisfaction. Dans les ports, les chevilles fabriquées en Nivernais sont rebutées et l’on retrouve dès lors cette ambiguïté qui s’attache toujours au personnage, avec d’un côté une capacité à sinon réaliser, du moins entreprendre de grandes choses, et de l’autre des critiques virulentes, dont on peine à comprendre sur quoi elles se fondent. C’est alors du côté des relations de Grandguillaume avec ses interlocuteurs qu’il nous faut chercher des réponses.
Mille ennemis et quelques puissants soutiens : Grandguillaume, un fournisseur controversé
12On aura été frappé, à la lecture de ces différents éléments, de la difficulté qu’il y a à se faire une opinion sur Grandguillaume. En réalité, la chose tient au fait que l’homme a de puissants soutiens autant que de redoutables adversaires, qui sont bien placés dans les sphères du pouvoir et font entendre leur opinion, au point de faire douter les décideurs. Du côté des ennemis, il faut d’abord compter Leclerc de Grandmaison. Le procès entre les deux hommes pour la manufacture de Beaumont-la-Ferrière constitue une toile de fond et revient régulièrement empoisonner les relations de Grandguillaume avec la Marine. Le Mémoire cité en introduction de cette contribution dit bien le mépris de Grandmaison pour son adversaire ; mépris que l’on retrouve dans un autre document qui développe la même argumentation dans cet inimitable style des factums judiciaires du xviie siècle : Grandguillaume est un homme de rien, un homme sans le sou, beau parleur qui se targue de maîtriser de précieux secrets de fabrication :
« La nature l’avait fait naître artificieux, grand parleur, et avec un certain brillant d’esprit qui en imposait d’abord et dont on ne se désabusait que dans la suite. Ces sortes de caractères ont de l’ambition, ils veulent s’élever au-dessus de leur basse naissance et faire fortune. Il n’avait pas assez de probité et de mérite pour remplir son ambition et s’acquérir des richesses par des voies légitimes, il crut qu’il pouvait mettre en usage les mauvais talents avec lesquels il avait vu le jour. Pour cet effet, il fit courir dans le public qu’il entendait l’architecture, qu’il connaissait la nature des métaux, et surtout qu’il avait le secret de convertir le fer en acier. Ces grandes idées, ces promesses si chatouilleuses, l’air hardi avec lequel Grandguillaume les débitait, firent donner le sieur de Grandmaison dans le piège qu’on lui tendait48. »
13Or si, en s’engageant en affaires avec Jean-Baptiste Leclerc de Grandmaison, Grandguillaume s’était assuré un solide soutien financier, il s’exposait de fait à de graves déconvenues en s’en faisant un ennemi. Leclerc de Grandmaison est en effet trésorier général de l’Extraordinaire des guerres49. On le suppose donc capable de faire entendre ses plaintes jusqu’au plus haut niveau de l’État. Par ailleurs, Grandguillaume doit affronter l’acrimonie d’un puissant concurrent : René-Rose Landouillette de Logivière50. Les deux hommes se connaissent de longue date, puisque Landouillette père fut un temps fondeur à Beaumont-la-Ferrière, vers 167051. Or en 1696, son opposition à Grandguillaume se manifeste à plusieurs reprises52. En août, il le qualifie d’« esprit difficile, à ménager, et qui n’entend pas son fait dans cette affaire. Outre cela, il n’a pas de bien pour répondre des fautes qu’il fera […] Vous pouvez compter que tous les ouvrages que ce Grandguillaume fera faire en Nivernais seront la plupart rebutés dans les ports ». Encore en mars 1697, dans une lettre à Arnoul, il ajoute que « le sieur Grandguillaume a grand tort d’avoir sous-traité s’il n’est pas en état d’exécuter ce qu’il a entrepris, car il me lie les mains, et m’empêche de faire ce que je ferais si l’on n’avait pas sous-traité avec lui » et quelques mois plus tard, c’est Landouillette qui se fait une joie d’avertir Arnoul que les chevilles fabriquées par Grandguillaume sont rebutées dans les ports, se plaisant à rappeler que le Roi risque ainsi de perdre les avances consenties, tout en accusant son adversaire d’avoir mis « à l’écart » 15 000 ou 20 000 lt. Les raisons pour lesquelles Landouillette est hostile à Grandguillaume sont assez compréhensibles. Il voit en lui un concurrent à écarter, car l’un des projets de Grandguillaume, qui n’aboutit cependant pas, serait de relancer la production de canons en Nivernais, ce qui fait écho à l’échec de la compagnie du Nivernais, à laquelle Landouillette père participa dans les années 167053. Enfin, Grandguillaume affronte l’hostilité des propriétaires du Nivernais dessaisis de leurs biens au nom du service du Roi. Ainsi, lorsque Grandguillaume reprend la forge d’Imphy pour des ancres, il doit faire face à la brigue des marquises d’Époisses et de Béthune, fille du cardinal d’Arquien, propriétaire de ladite forge. Dans le mémoire remis au nom du cardinal, on dénonce « un particulier, nommé le Grand Guillaume, homme étranger dans la province et sans bien [qui] à l’insu et sans la participation de Son Éminence, veut malgré elle et au préjudice de ses fermiers, s’emparer de la jouissance de ses forges, sous prétexte (à ce qu’il dit) qu’il travaille pour Sa Majesté54 ». Si certaines récriminations sont justifiées, comme le fait que le travail des ancres oblige à modifier la structure de la forge, tandis que la violence du travail use prématurément le bâtiment, d’autres témoignent seulement d’une hostile méfiance à l’égard de Grandguillaume qui est « un étranger, sans bien dans la province, qui n’a pas de quoi payer et qui a ruiné entièrement les forges de Beaumont et de Cosne55 ». Or, les critiques ici émises reprennent celles faites quelques années auparavant, au moment de la remise de la forge du Gué de Lyon à Grandguillaume. Dans une lettre à Arnoul, le commissaire Jonquet, chargé de surveiller la bonne marche des affaires du Nivernais, évoquait déjà les difficultés qui s’annonçaient :
« Je prévois qu’on aura de la peine d’avoir la forge du Gué de Lyon par la résistance qu’y apportera Madame la Marquise d’Époisses, qui en est propriétaire et qui l’a affermée au sieur Vaillant à Nevers. C’est une femme de qualité qui a l’honneur d’être tante de la reine de Pologne et alliée de Monseigneur le Prince. Il ne faut douter qu’elle ne se pourvoie par-devant M. l’Intendant et qu’elle n’aime mieux avoir pour fermier un bon marchand, comme le sieur Vaillant, que d’avoir affaire à des gens qui n’ont rien au monde56. »
14Ce sont là des idées développées aussi dans les factums de Grandmaison. Pourtant, malgré de si puissants adversaires, Grandguillaume travaille durablement pour la Marine, ce qui n’aurait pu être possible sans de solides soutiens. Le premier d’entre eux fut certainement Louvois, ainsi que se plaît à le rappeler la fille et héritière de Grandguillaume, dans un mémoire rédigé en réponse aux accusations de Grandmaison. Grandguillaume est architecte du Roi et « employé par M. Louvois dans toutes les grandes entreprises de bâtiments57 ». C’est d’ailleurs Louvois qui lui fait accorder le passeport pour l’Allemagne, et la mort du ministre en juillet 1691 fut incontestablement une perte pour l’entrepreneur. Il pouvait cependant compter sur le soutien d’hommes au rôle clé, comme Arnoul. Mandaté pour inspecter le travail des forges du Nivernais, l’intendant Arnoul estime qu’il n’y a dans la région que deux entrepreneurs d’ancres, La Provostière à Imphy, et Grandguillaume à Cosne. Si l’ouvrage du premier est de meilleure qualité selon Arnoul, les échantillons du second sont satisfaisants, même si l’assemblage « n’est point si beau, ni si régulier que celui qui se fait à Imphy58 ». Quelques années plus tard, c’est Arnoul qui tâche de calmer l’hostilité de Landouillette à l’égard de Grandguillaume. En revanche, le fils de Phélypeaux de Pontchartrain fait preuve pour sa part d’un grand enthousiasme concernant Grandguillaume, qui semble l’avoir séduit :
« Ce fournisseur étant homme d’esprit et savant dans les mécaniques et forces mouvantes, les ouvrages de la marine pourront se perfectionner car il en pourra connaître les défauts et les faire corriger ce qui sera d’un très grand avantage, car de tous les marchands et autres gens qui fournissent ordinairement, il n’y en a aucun d’assez éclairé pour que l’on puisse le consulter sûrement sur la moindre chose. […] Le rabais que fait Grandguillaume est d’un neuvième sur presque tous les menus ouvrages, lequel rabais joint au déchet qui se trouve ordinairement de 10 % sur le fer que l’on convertit aux rognures qui restent presque inutiles et au charbon qui s’y emploie, on peut considérer ce rabais comme de plus d’un cinquième […] Je ne crois pas qu’on puisse trouver personne qui fournisse ces ouvrages à meilleur marché dans cette saison et lorsque la paix sera faite, ce marché ne laissera pas d’être avantageux à Sa Majesté59. »
15Évoquant les irrégularités dans la fabrication des ancres, Phélypeaux estime que le problème vient de ce qu’on y a employé différents fabricants, « au lieu que dorénavant, le seul Grandguillaume, qui est homme intelligent, conduira tout60 ». Quant au défaut de qualité, il venait de la mauvaise purification de la matière, un problème que Phélypeaux estime résolu grâce à la nouvelle manière de faire de Grandguillaume. Des malfaçons lui ont-elles été reprochées ? Certes, mais Grandguillaume a travaillé avec de la matière qu’on lui a fournie. Quant aux problèmes d’assemblage, on les retrouve aussi chez d’autres, et notamment dans les arsenaux. Mais tout cela ne compte guère selon Phélypeaux fils puisque, désormais, « ce qui doit faire croire que le travail de celui-ci vaudra mieux que celui des autres, c’est qu’il a plus d’étendue, de génie, qu’il est plus laborieux et qu’il a de gros marteaux à l’eau pour assembler61 […] ».
16Aussi, s’ils sont contrastés, les jugements ne sont pas si contradictoires et contribuent à dresser le portrait d’un aventurier de l’industrie, et l’on reprendra ici le portrait tout en nuances fait par Guy Thuillier :
« Pour ses ennemis, c’est un procédurier, un rêveur, un esprit chimérique, un homme dangereux qui ruine ses associés, mais il apparaît bien, d’après ses écrits et mémoires, qu’il avait un grand esprit d’entreprise et des talents d’organisateur, qu’il savait calculer, projeter, détecter les bons marchés, régler les prix, mais il n’avait pas de fortune, devait vivre d’habiletés financières […] Il avait réussi à avoir une charbonnière, de nombreuses forges à sa disposition, à faire travailler plusieurs centaines d’ouvriers : c’est un bel exemple d’entrepreneur sans capitaux propres, vivant sur des marchés d’État, et de 1691 à 1700, il a réussi à être un des principaux fournisseurs de la Marine62. »
17L’aventure est belle, mais elle finit sordidement. Grandguillaume a certes obtenu gain de cause dans l’affaire de Beaumont-la-Ferrière, tandis que son adversaire décédait quelques semaines plus tard. Mais la procédure est aussitôt relancée par son frère et héritier. De son côté, Grandguillaume doit faire face aux insatisfactions grandissantes de la Marine, comme en témoigne sa convocation à un conseil de construction en septembre 1698. Croulant sous des dettes qu’il ne peut acquitter, l’homme est emprisonné au Châtelet, où on le retrouve en septembre 1699. La Marine, prenant acte de « la déroute des affaires de Grandguillaume », lui retire alors son soutien et le remplace par François Trésaguet. Selon le registre d’écrou du Châtelet, Grandguillaume, « en voulant s’évader de la prison de céans, se serait précipité et tué, et par ordonnance de M. le lieutenant civil, a été inhumé en l’église Saint-Séverin le 2e janvier 170163 ».
Notes de bas de page
1Bibliothèque nationale de France, Fonds des manuscrits (désormais BnF, Fm) 9246, Mémoire pour Jean-Baptiste Leclerc […] contre Louis Grandguillaume, s. d., (1722 ?).
2Ibid.
3Acerra Martine et Zysberg André, L’Essor des marines de guerre européennes, 1680-1790, Paris, SEDES, 1997 ; Acerra Martine, Rochefort et la construction navale française, 1661-1815, Paris, Librairie de l’Inde, 1993.
4Thuillier Guy, « Un entrepreneur des fournitures de la Marine sous Louis XIV : Pierre Grandguillaume (1689-1700) », Le Marteau Pilon, Nevers, t. III, 1991 ; id., « Pierre Grandguillaume à la forge d’Imphy 1697-1698 », Le Marteau Pilon, t. III, 1991 ; id., « Pierre Grandguillaume et Leclerc de Grandmaison à Beaumont-la-Ferrière, nouvelles recherches », Le Marteau Pilon, t. IV, 1992, p. 53 sqq. ; id., « Mémoires techniques de Grandguillaume (1691-1697) », Le Marteau Pilon, t. V, 1993, p. 29-37 ; id., « À propos de Grandguillaume à Beaumont-la-Ferrière », Le Marteau Pilon, t. IX, 1997 ; voir aussi de Lespinasse René, « Dépêches et mémoires du ministère de la Marine sur les forges et charbons en Nivernais… », Bulletin de la Société nivernaise, 1896, p. 275-352 ; Gay Jacques, Six millénaires d’histoire des ancres, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, p. 122, 123, 125, 131, 133, 134, 144, 145, 147 et 179. Nous avons complété ces informations par les minutes notariées du Nivernais, de Paris et de Versailles, et par le fonds Arnoul de la Bibliothèque nationale de France.
5Factum servant d’avertissement et de contredits pour Damoiselle Louise Grandguillaume […], s. d. (1730 ?), transcrit par Guy Thuillier.
6Gauthier Gaston, « Monographie de Beaumont-la-Ferrière », Bulletin de la Société nivernaise des lettres, sciences et arts, 1891, p. 261-496.
7Archives départementales de la Nièvre (désormais AD 58), 3E 2/1, inventaire après décès de Louise Fernatte, 26 octobre 1690.
8Thuillier Guy, « Les spéculations malheureuses de Louis Le Vau, 1665-1670 », et « État de la fabrique de Beaumont », Aspects de l’économie nivernaise, Paris, Armand Colin, 1967, p. 207-219 et 373-376 ; Gille Bertrand, « Colbert et l’introduction de la fabrication du fer-blanc en France », Revue d’histoire de la sidérurgie, 1961, p. 7-32 ; Gauthier Gaston, art. cité.
9AD 58, 3E 2/1, n. f., 17 décembre 1688.
10Voir Archives nationales (désormais AN), 254 AP, en particulier les cotes 1 à 14.
11Thuillier Guy, « Pierre de Grandguillaume Nouvelles recherches », art. cité.
12Factum servant d’avertissement et de contredits pour Damoiselle Louise Grandguillaume […], s. d. (1730 ?) : Thuillier Guy, art. cité, à rapprocher de BnF, Nouvelles acquisitions françaises (désormais Naf), 21 386, fo 331, s. d. Si le document n’est pas daté, l’allusion à « feu M. Colbert » indique qu’il est postérieur à septembre 1683.
13C’est le chiffre avancé dans Mémoire pour Jean-Baptiste Leclerc […], op. cit. ; Nous avons ainsi retrouvé chez le notaire une partie des contrats : AD 58, 3E 2/1.
14Voir Gauthier Gaston, op. cit., p. 268.
15AD 58, 3E 2/1.
16Thuillier Guy, « À propos de Grandguillaume à Beaumont-la-Ferrière en 1688-1692 », art. cité.
17BnF, Naf, 21 386, fo 323, s. d.
18BnF, Fm, 9 246, Mémoire pour Jean-Baptiste Leclerc […], dont une partie est transcrite (Thuillier Guy, art. cité) ; BnF, Naf, 21 336, fo 193, s. d.
19AN, Marine, B2 83, fo 5, 1692.
20AD 58, 3E 2/1, 1er avril 1695.
21Factum pour les sieur et dam. Le Clerc…, transcrit par Thuillier Guy, art. cité, p. 3.
22Cette trame peut être reconstituée à partir du Factum servant d’avertissement et de contredits pour Damoiselle Louise Grandguillaume […], s. d. (1730 ?).
23BnF, Fm, 9 246, Mémoire pour Jean-Baptiste Leclerc […].
24Les propos sont à prendre avec circonspection puisqu’ils émanent des plaignants, mais l’ensemble relate bien la détérioration des relations entre les personnages. Voir Factum pour les sieur et dam Leclerc, transcrit par Thuillier Guy, art. cité, p. 5.
25AN, Marine, B2 74, fo 209, septembre 1690.
26AN, Marine, B3 61, fo 181, 23 septembre 1690 ; B2 72, fo 224 et D3 31, fo 68 et fo 70, année 1690.
27AN, Marine, D3 31, fo 72, année 1690.
28AN, Marine B2 72, fo 224, 1690.
29AN, minutier centrale des notaires, MC/ET/XCVI/156, 1er juillet 1691.
30AN, Marine, B3 63, fo 237, 29 août 1691.
31AD 58, 3E 2/1, 4 septembre 1691 ; AD 58, 3E 2/1, 26 septembre 1691.
32Ibid., 17 avril 1692.
33Ibid., 4 septembre 1691.
34Ibid., 3 septembre 1691, 4 septembre 1691, 12 septembre 1691.
35Ibid., 14 août 1692.
36Voir AD 58, 3E 2/1, 13 septembre 1690, 12 septembre 1691, 3 septembre 1691, 4 septembre 1691, 24 mai 1694 et 19 février 1695.
37Thuillier Guy, « Mémoires techniques de Grandguillaume (1691-1697) », art. cité. Voir aussi les mémoires et dessins qu’il réalise (AN, Marine, B3 102, 107) analysés notamment par Jacques Gay, op. cit., p. 133-134.
38Mémoire sur la fabrique, construction et proportions des ancres propres pour servir sur les vaisseaux du Roi, cité dans Thuillier Guy, « Mémoires techniques de Grandguillaume (1691-1697) », art. cité, p. 31.
39AD 58, 3E 2/1, 24 mai 1694.
40AN, Marine, B2 83, fo 5, 128, 279, 304, 443 ; B2 82, fo 51 et B3 84, fo 71.
41AN, Marine, B2 97, fo 139, 27 janvier 1694.
42Ibid.
43BnF, Naf, 21 384 fo 11-15, Mémoire des ouvrages de fer que l’on est convenu avec le sieur Grandguillaume dont on doit lui donner des modèles, 13 juin 1691 ; fo 17-20, état des fournitures dans les ports en 1690 et 1691, 1691 ; fo 34-36, contrat du 10 juillet 1694 ; AN, Marine B2 83, fo 206, 30 janvier 1692.
44Sur cette question, voir Le Mao Caroline, « Fourniture à l’économie, fournisseur général ou fournisseurs particuliers : quelles solutions pour approvisionner la marine de guerre ? », Bartolotti Fabien, Buti Gilbert, Daumalin Xavier, Raveux Olivier (dir.), Les Outils de l’activité portuaire en Europe méditerranéenne et atlantique, xviie-xxe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, Confluent des sciences, 2021, p. 21-34.
45Archives départementales des Yvelines, 3E 47 26, 12 mars 1696.
46BnF, Naf, 21 384 fo 66, 13 septembre 1693.
47BnF, Naf, 21 384 fo 68 et fo 76 à 79, 1696.
48Ibid.
49On a peu de renseignements sur le personnage. Daniel Dessert ne lui dédie pas de notices, et n’évoque que son frère et héritier, Nicolas. Marié à Louise-Henriette Gruyn, elle-même issue d’une famille de financiers, qui lui apporta en dot 150 000 lt. Il est en 1654 copropriétaire de l’hôtel de Rothelin avec son probable beau-père Pierre Gruyn de Valgrand : Dessert Daniel, Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984, p. 596-598. Voir aussi AN, 254 AP/5.
50Peter Jean, Maîtres de forges et maîtres fondeurs de la marine sous Louis XIV : Samuel Daliès de La Tour et les frères René et Pierre Landouillette de Logivière, Paris, Economica, 1996, et Thuillier Guy, « À propos de Landouillette, fondeurs de canons (1668-1710) », Fonderie et Marine, Guérigny, Association des amis des forges de Guérigny, 1996, p. 69-80.
51Thuillier Guy, Aspects de l’économie nivernaise, op. cit., p. 212 sqq. et Mémain René, Le Matériel de la Marine de Guerre sous Louis XIV, Rochefort, arsenal modèle de Colbert (1666-1690), Paris, Hachette, 1936, p. 826.
52BnF, Naf, 21 338 fo 109-111, 18 août 1696, 21 août 1696 ; fo 128, s. d.
53Mémain René, op. cit., p. 832 sqq.
54AN, Marine, D3 31, fo 118, Mémoire pour Monsieur le cardinal d’Arquien, s. d. et Thuillier Guy, « Pierre Grandguillaume à la forge d’Imphy 1697-1698 », art. cité.
55Ibid.
56BnF, Naf, 21 428 fo 6-13, s. d.
57Factum servant d’avertissement et de contredits pour Damoiselle Louise Grandguillaume […], s. d. (1730 ?).
58AN, Marine, B3 61, fo 181, 23 septembre 1690.
59AN, Marine, B3 85, fo 129, 19 juillet 1694. Cette lettre-rapport, dont on retrouve une copie dans les papiers Arnoul, fut attribuée à tort à ce dernier par Guy Thuillier dans le cadre de son étude, car la copie faite n’est pas signée.
60Ibid.
61Ibid.
62Thuillier Guy, « Un entrepreneur des fournitures de la Marine sous Louis XIV : Pierre Grandguillaume (1689-1700) », art. cité.
63Ibid.
Auteur
-
Caroline Le Mao
Université Bordeaux Montaigne.
Caroline Le Mao est professeur d’histoire moderne à l’université Bordeaux Montaigne. Elle est l’auteur d’une habilitation à diriger des recherches portant sur les fournisseurs de la marine de guerre française au temps de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) (Fournisseurs de Marine, La Crèche, Presses de Nouvelle Aquitaine-Geste, 2021). Plus largement, elle a développé une spécialité en histoire maritime, en publiant plusieurs ouvrages sur le sujet, en particulier une synthèse intitulée Les villes portuaires maritimes dans la France moderne, xvie-xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 2015. Elle a aussi dirigé un ouvrage tiré d’un colloque international consacré aux arsenaux de Marine (Les Arsenaux de la Marine du xvie à nos jours, Paris, Sorbonne Université Presses, 2021).

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