Pas de musée d’histoire du protestantisme en France sans galère !
p. 137-144
Texte intégral
« On peut affirmer que les huguenots du bagne furent en général l’élite morale et religieuse du protestantisme français. Ils représentaient bien les sept mille qui n’avaient pas fléchi les genoux devant Baal. Ils étaient le produit d’une sorte de sélection qui envoyait au bagne les éléments les plus résistants, parce qu’ils étaient les plus pieux du peuple huguenot1. »
1Il y a quelques années a été proposée au musée rochelais d’histoire protestante, une maquette de galère. Et pas n’importe quelle galère car elle porte le nom de La Réale, une des galères les plus représentées dans les collections de gravures possédées par les musées protestants en France. C’est le cas du musée rochelais2. Si tous les musées d’histoire du protestantisme français n’exposent pas une maquette, la gravure d’une galère est toujours proposée aux regards du visiteur. Marque d’une « justice d’exception », la condamnation perpétuelle aux galères représente une station essentielle dans le récit huguenot qui s’est construit dès la deuxième moitié du xvie siècle et qui constitue l’élément fondamental de l’identité huguenote :
« Cette mémoire historique ou cette histoire mémorielle a rempli une double fonction à travers deux contextes différents sinon opposés : dans la période de l’interdiction, elle était un instrument puissant de résistance, avec le retour à la normale, elle prémunissait « le petit troupeau » contre la tentation de se fondre dans la masse3. »
2Les recherches les plus récentes permettent, désormais, de mesurer, par des statistiques de plus en plus précises, l’ampleur du phénomène au plan judiciaire, de présenter des destinées particulières, d’inscrire cette tragédie dans l’ensemble de la répression menée par la monarchie et l’Église romaine contre ces « nouveaux convertis » qui s’obstinent à ne pas se soumettre à l’obligation religieuse catholique, corollaire imposé par leur abjuration, et pour assistance à des assemblées cultuelles clandestines qui se multiplient dès les premières interdictions d’exercice du culte souvent accompagnées de la destruction des temples. Il faut ajouter, pour les provinces atlantiques, ces marins faits prisonniers sur des navires anglais, néerlandais et scandinaves, et enchaînés pour infraction à la législation royale interdisant la sortie du royaume et l’établissement dans un pays étranger sans autorisation du roi. Cette législation a été initiée dès l’année 16694 et renouvelée en 1682 avec une différence essentielle : les protestants sont directement visés par la déclaration royale5. Elle est déclenchée par la fuite de milliers de protestants du Poitou vers La Rochelle et les ports du littoral saintongeais à la suite des dragonnades ordonnées contre eux en 1681 par l’intendant du Poitou, Marillac. Il s’agit de rejoindre des communautés réformées ne subissant pas les violences des dragons et la honte de se soumettre à l’abjuration de leur foi. Le danger s’approchant à l’instigation de l’intendant de la Marine Demuin, quelques centaines décident de s’embarquer pour se réfugier dans un pays protestant, plus particulièrement les Provinces-Unies et l’Angleterre6.
3Les épreuves de la chaîne, de la chiourme, et pour les plus « opiniastres » celles du cachot, constituent dans le martyrologe huguenot un creuset de conversion où se mêlent culpabilisation et mysticisme irrigués par la solitude du forçat mais dont quelques-uns reçoivent le soutien d’un pasteur dont la correspondance, comme celle de Jean Morin, peut les atteindre avec la complicité de quelques gardiens et une efficace organisation clandestine :
« Possédez, mes chers frères, vos âmes par la patience. Encore un peu de temps et le consolateur viendra. Et quand le Rémunérateur de vos œuvres apparaîtra, vous trouverez après le combat, la victoire et le triomphe. Après l’affliction viendra la consolation, après l’ignominie viendra la gloire. Après lui avoir été fidèles, il vous donnera la couronne de vie. Et je prie de tout mon cœur, qu’il vous en fasse la grâce. Adieu mon très cher frère, je vous embrasse mille fois en N. S. et j’embrasse de même tous vos braves confesseurs, mes très chers et honorés compagnons d’armes. La grâce et la paix de N. S. soit avec vous tous. Je suis de tout mon cœur, votre très humble et très obéissant serviteur et frère N. S.
J. Morin, pasteur
Ma femme et mes enfants vous saluent et saluent aussi M. Le Fèvre et M. Bridon, et prient avec moi pour vous. M. Michel Mousnier, votre cousin, vous baise les mains et prend part à vos souffrances. Adieu7. »
4Une résistance spirituelle où les hommes aux galères rejoignent les femmes condamnées à la prison. Les enfants sont enlevés à leur famille et confiés, aux frais des parents, à des congrégations religieuses8.
La condamnation à vie aux galères : la marque d’une « justice d’exception » à l’encontre des protestants sous le règne de Louis XIV ?
5Pendant les guerres de Religion, des prisonniers lors de combats navals sont mis à la chaîne. C’est le cas en 1577 à l’issue d’un affrontement au large de Brouage. Une clause de l’édit de Nantes ordonne l’élargissement des prisonniers faits « à l’occasion de la religion […] mêmes aux galères ». Dans la série des édits et ordonnances qui ont pour finalité d’interdire aux protestants de sortir du royaume et de s’établir en pays étrangers dans les années 1660-1680, la peine de galères est une peine systématique. L’édit de Fontainebleau réitère la sentence pour les « fugitifs » et ceux qui sont pris en situation de désobéissance religieuse. Cette menace est renouvelée régulièrement après 1685 et l’édit de 1724 aggrave les peines contre les Nouveaux Convertis qui sont arrêtés pour assistance à une assemblée clandestine. Il faut ajouter une peine de substitution proposée dès 1685 par Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay : « Envoyer aux îles d’Amérique un nombre de forçats invalides condamnés aux galères. » Le secrétaire d’État de la Marine relaie un mémoire adressé par Michel Bégon, intendant à Marseille qui, face au flux croissant des condamnés aux galères, émet l’idée de désengorger le bagne de Marseille « en transportant aux Amériques certains forçats condamnés aux galères, notamment les plus invalides ». Des navires sont armés à Marseille. Une déportation connue par un certain nombre de Relations, dont celle des frères Serres, originaires de Montauban, et qui concentre toutes les étapes d’une pérégrination atlantique dans des conditions de vie effroyables diffusées au sein du Refuge par le pasteur Jurieu, établi à Rotterdam, dans une de ses Lettres pastorales9.
6La question du nombre de galériens pour cause de religion est posée par les contemporains qui, surtout dans les pays du Refuge, sont informés de l’ampleur du phénomène à partir de l’automne 1685. Les chiffres qui circulent viennent de Marseille. Une décision royale stipule en 1685 que tous les condamnés aux galères perpétuelles doivent être transférés dans cette ville. Les premiers travaux de recherche proposent une fourchette allant de 2 000 à 5 000. Mais rapidement, la question du nombre des condamnations et de celui du nombre des peines réellement effectuées est soulevée. Il faut attendre les trois volumes de Gaston Tournier pour qu’une étude systématique soit publiée10. Dans sa thèse consacrée aux galériens sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV (1680-1748), André Zysberg avance le nombre de 1550 « forçats pour la foi » soit 4 % des quelques 38 000 galériens enregistrés entre 1680 et 174811. Une étude plus récente menée par Pierre Roland rétablit le nombre de 2 000 mais sur une période plus longue intégrant les dernières sentences prononcées entre 1749 et 1762 et prenant en compte une petite centaine de catholiques, anciens ou convertis, punis pour l’aide apportée à des protestants. Ce qui renforce, dans les motifs de condamnation, l’assistance portée à un ou plusieurs protestants et diminue celui de la présence à un culte au Désert12. Ce point modifie le tableau établi par André Zysberg qui met plus en relief ces deux motivations de condamnations : 52,6 % pour avoir participé à une assemblée au Désert, 22 % pour être sorti du royaume sans autorisation, auquel, il faut ajouter la complicité de sortie, ce qui porte à près de 30 % cette dernière rubrique13. Dans les divers motifs relevés, la détention d’armes et de poudre compte pour 11,2 %.
7Les rythmes d’arrivée à Marseille confirment le mouvement des condamnations : le pic des années 1680 causé par les arrestations de milliers de protestants refusant de se soumettre à l’édit de Fontainebleau ; celui de la fin des années 1690, après le creux correspondant à la guerre de la ligue d’Augsbourg, prolongé par le transfert des camisards condamnés. La période 1710-1748 est marquée par une baisse globale des condamnations et des arrivées qui ne se concentrent que sur quelques années au cours desquelles les condamnations reprennent, les autorités s’engageant dans la chasse aux assemblées clandestines puisque celles-ci se multiplient dans toutes les provinces où vivent des « nouveaux convertis », grâce à l’action de pasteurs qui arrivent du séminaire de Lausanne où ils sont formés pour reconstruire les Églises réformées dans le royaume de France14. Cette chronologie met aussi en évidence les différents promoteurs de cette sentence. En premier lieu les intendants qui engagent l’application à la rigueur des édits et ordonnances, dont les effets font très vite long feu, et le souci pour certains de devoir répondre aux évêques de leur province les accusant de mollesse. Auxquels il faut ajouter, d’après André Zysberg, gouverneurs et lieutenants généraux aux armées. Il s’agit bien d’une justice d’exception15.
8Si un certain nombre de « forçats pour la foi » ont été libérés, 44 % mourront à Marseille, 71 % des décès intervenant au cours des trois premières années. En ce qui concerne les 56 % de survivants, près de 40 % le furent sans doute au prix d’une abjuration, les autres à la suite de démarches d’États protestants, surtout l’Angleterre et les Provinces-Unies, au cours des négociations de paix défendant des réfugiés qu’ils considèrent comme des habitants désormais légalement établis dans leur pays ou leurs colonies. Les durées des peines sont variables : près de 40 % passeront entre dix et trente ans au bagne16. Les derniers bagnards seront libérés en 1775 ! Marc Vigié avance l’idée que l’administration aurait oublié ces deux vieillards, originaires du Dauphiné, convenablement traités et qui furent tentés de refuser une liberté intervenant bien tard, les plaçant dans une situation finalement plus fragile17. S’ils sont assignés à une des quarante galères dont dispose Louis XIV, les condamnés ne navigueront guère. Les milliers de faux-sauniers et de déserteurs enchaînés suffisaient pour les entreprises menées par le roi de France en Méditerranée. Quelques galères opèrent dans la Manche ou l’Atlantique à partir de Marseille et de Saint-Malo… avec une efficacité toute relative !
9La grande majorité des galériens (80 %) est originaire du cône huguenot rhodanien (Hérault, Gard, Lozère, Ardèche, Drôme), de la bordure sud-ouest du Massif central (Tarn et départements limitrophes) et des Hautes-Alpes aux frontières piémontaise et helvétique. Les 20 % restants se répartissant de manière égale entre le Poitou, l’Aunis, la Saintonge et l’Angoumois et le nord du royaume (Normandie, Boulonnais-Calaisis, confins orientaux du Bassin Parisien18) : une géographie déformée de la localisation du protestantisme en France avant la révocation, le bloc poitevin et charentais représentant environ un tiers des effectifs des Églises réformées dans les années 1670. Différence de résistance, départs au Refuge ou résistance intérieure ? Différence dans l’ampleur de la répression ? Différence dans les décisions judiciaires ? Marque de la guerre contre les Camisards en Cévennes ? Les communautés du royaume n’ont pas été touchées de manière égale par les sentences aux galères. Un élément qui engagea un différentiel de mémoire dans les lieux, les sites et les musées d’histoire du protestantisme français ?
Galères et galériens dans les musées protestants en France : une station muséographique dans la construction mémorielle de l’identité huguenote
10En 1852, Charles Read fonde la Société de l’histoire du protestantisme français, une société savante qui a pour finalité de rechercher, recueillir, étudier et publier des documents sur le protestantisme français. Il s’agit pour les fondateurs « de produire une histoire “scientifique” (pour répondre sur ce terrain à l’antiprotestantisme catholique) afin d’intéresser non plus seulement les érudits, mais les Églises et les familles19 ». La même année paraît le premier numéro du Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF). La bibliothèque reçoit livres et archives de toute la France. L’activité généalogique débute rapidement et va permettre la publication de La France Protestante, un dictionnaire patronymique qui fera l’objet d’une seconde édition révisée qui ne sera jamais terminée20. L’ouvrage comporte la liste de galériens établie par Henri Bordier à partir des recherches du pasteur Fontbrune-Berbinau21. Un projet de musée n’aboutira pas à la fin du xixe siècle à Paris, rue des Saints-Pères où s’est installée la bibliothèque de la SHPF.
11Le premier musée de l’histoire du protestantisme en France voit le jour en Cévennes à Mialet. Le 15 novembre 1910, le comité de la SHPF approuve la proposition de son président Franck Puaux d’installer « une sorte de musée du Désert » dans la maison du chef camisard Roland, propriété de la société depuis 1880. Il est inauguré le 24 septembre 1911. Dès 1912 Franck Puaux et Edmond Hugues veulent ajouter aux quatre salles un « mémorial des temps sous la Croix ». En 1922, le mémorial comporte quatre salles où sont fixées de grandes plaques murales qui doivent porter les noms des prédicants exécutés, des prisonnières, des « exilés », et des galériens. L’esthétique et la forme renvoient à celles des monuments aux morts de la Première Guerre mondiale. Le musée du Désert, ancré dans l’histoire cévenole, mais voulant représenter tous les « Déserts » de France, ne fait pas l’unanimité, notamment parmi les pasteurs : « Glorifier les héros de la liberté de conscience ! Pourquoi pas les canoniser ? Vous voulez faire des saints protestants !22 » Dans l’introduction à son ouvrage, Gaston Tournier rend hommage au musée du Désert « qui glorifie depuis vingt ans nos forçats soit par sa bibliothèque qui facilite bien des recherches, soit par sa captivante « Salle des Forçats » qui groupe souvenirs, documents, estampes et portraits, et présente sur une des parois une liste récemment établie de tous les galériens connus23 ». Le premier volume propose une histoire des galères et des galériens protestants, le second et le troisième volume présentent une série de précieuses notices personnelles et la publication de documents.
12Aujourd’hui, la France compte 17 musées du protestantisme auxquels il faut ajouter le musée virtuel du protestantisme français. Après le musée du Désert, la SHPF ouvre un musée dans la maison natale de Jean Calvin à Noyon (1930) et le musée de La Rochelle est fondé par le pasteur Samuel Eynard qui a déjà recueilli des documents, livres et objets. Sur le modèle des Amis des musées de La Rochelle il crée la Société des amis du musée protestant de La Rochelle (1931)24. Ce « désir de musée25 » reprend après la Seconde Guerre mondiale et accompagne souvent le goût pour l’histoire locale et le mouvement des musées d’arts et traditions populaires et des écomusées. Ces créations participent à l’émergence de « pays protestants ». Le défi pour ces musées, et lieux de mémoire, est à la fois de faire le récit de territoires possédant leurs particularismes économiques, sociaux, culturels et de s’inscrire dans l’histoire du protestantisme français. Ces musées ont aussi en commun un « désir d’histoire26 » animé d’abord par la volonté de ne pas disparaître du récit national. Ce souci est exprimé sans ambiguïté par le pasteur Samuel Eynard quand il mobilise les protestants de La Rochelle en 193027.
13Dans la majorité de ces musées, c’est une histoire victimaire qui s’affiche. Les parcours muséographiques mettent l’accent sur l’exclusion et la répression de la minorité protestante. Les temps plus paisibles du xviie siècle, sous le régime de l’édit de Nantes, ou le xixe siècle dans le cadre des articles organiques, puis le xxe siècle à partir de la loi de séparation des Églises et de l’État dans un contexte de sécularisation de la société française, sont moins représentés. Les premiers musées initient la mise en mémoire des martyrs. Toutefois, à partir des années 1960, cette mission initiale a tendance à s’effacer au profit d’un récit plus sociologique et culturel, notamment par l’exposition d’archives et de nombreux livres des xvie-xviiie siècles qui attestent de l’importance de la lecture et de l’imprimé dans la réception et la diffusion de la Réforme tout en mettant en lumière les circuits assurant la transmission de la foi réformée dans les familles et les églises. Mais les stations combinant gravures, imprimés de la législation royale, archives familiales évoquant les effets quotidiens de la répression et tableaux du xixe siècle montrant des scènes des temps héroïques, sont des passages obligés et restent dans les différents parcours muséographiques.
14Dans sa thèse, Patrick Cabanel a démontré que ce récit prolongeait ce que l’Histoire des Martyrs de Jean Crespin avait initié dès sa publication en 1554 – et surtout par ses 15 éditions (la dernière en 1619 compte 1 760 pages) – dans la construction de l’identité huguenote28. Première œuvre destinée à sauvegarder la mémoire des morts. Sous une autre forme, l’Histoire de l’Édit de Nantes publiée à Delft de 1693 à 1695 par Élie Benoist renoue avec l’ouvrage fondateur de Crespin : « Le grand livre d’histoire de l’édit de Nantes et de sa révocation est à nouveau un martyrologe29. » Première liste de noms de galériens présentée avec des précautions méthodologiques arguant bien du souci de l’auteur de publier une information vérifiée et si possible croisée avec d’autres listes, comme celles des « persécutés » ou des « déportés dans les colonies françaises30 » ! Le « forçat de la foi » s’impose comme l’incarnation du résistant, la galère comme l’instrument de torture des consciences. Mais elle est aussi l’outil de régénération de la foi de quelques-uns, qualifiés de « Confesseurs de Jésus-Christ ». Cette aristocratie de la résistance spirituelle, dont Élie Benoist refuse de faire la liste31, passe par les cachots de la citadelle de Marseille et du Château d’If. Ce « Panthéon » se construit par la rumeur, par les récits oraux et imprimés qui circulent dans les communautés du royaume et du Refuge, et par la publication de livres comme celui publié à Rotterdam en 1701 par le pasteur Jean Morin sur un de ses catéchumènes de l’Église de Moëze en Saintonge maritime, Élie Neau32. En publiant sa correspondance et les « cantiques sacrés » composés par ce Saintongeais depuis « le Camp du Seigneur » – le château d’If –, Jean Morin a construit un des « confesseurs de Jésus-Christ » les plus célèbres tant par son attitude à Marseille que par son destin particulier. En effet, Élie Neau est libéré le 3 juillet 1698 sur l’intervention de l’ambassadeur d’Angleterre avant de rejoindre sa famille à New York. Les galères La Vieille Madame et La Magnamine, puis les cachots du château d’If, s’avèrent pour Élie Neau et quelques dizaines de compagnons un lieu de rédemption, un temps de renaissance spirituelle, un temps de conversion. Cet état de born again, il le revendique clairement dans une de ses lettres.
⁂
15Cette geste des galériens s’impose dans une histoire qui renvoie à la résistance des femmes emprisonnées et dont l’inscription « résister » de la Tour de Constance à Aigues-Mortes est devenue un symbole du protestantisme français33. Au bagne pour les uns, dans les prisons pour les autres, dans les établissements des congrégations religieuses pour les plus jeunes, s’exprime une résistance pacifique et spirituelle, ciment de la constance d’une minorité française. C’est aussi l’histoire d’un échec d’État34.
Fig. 1. – Une galère (musée Jeanne d’Albret, Orthez).

Maquette d’une galère au musée Jeanne d’Albret (Orthez), photographie de Didier Poton.
Notes de bas de page
1Lelièvre Matthieu, De la Révocation à la Révolution, Paris, Fischbacher, 1911, p. 368.
2Musée rochelais d’histoire protestante, Dessein [sic] d’une galère à la rame nommée La Réale, Gravure, xviiie siècle, D 16 ; Tournier Gaston, Les galères de France et les galériens protestants des xviie et xviiie siècles, Mialet, Publications du musée du Désert en Cévennes, 1943, vol. 1, planche XXIV.
3Joutard Philippe, « Identité huguenote, mémoire et histoire, une articulation de longue durée », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, t. 157, octobre-novembre-décembre 2011, p. 628.
4Édit du Roy pour empescher les sujets de sa Majesté d’habituer dans les Païs étrangers & faire retourner en France ceux qui s’y sont établis, À Paris, M. DC. LXIX, Médiathèque Michel Crépeau de l’Agglomération de La Rochelle, 1867 C.
5Déclaration du Roy, Portant défense aux gens de Mer et de Métier de la R.P.R. d’aller s’établir dans les Païs Etrangers, Registrée en Parlement le 3 juin 1682, Médiathèque Michel Crépeau de l’Agglomération de La Rochelle, 2315 C.
6Morin Jean, Histoire de mes prisons, Delft, Bulletin de la commission de l’histoire des Églises Wallonnes, 1947, p. 6-7. Jean Morin est pasteur de l’église de Moëze située entre Soubise, village fortifié de la rive gauche de l’estuaire de la Charente, et les marais de Brouage. Il est arrêté en 1684. En octobre 1685, il obtient du roi l’autorisation de sortir du royaume avec sa femme et ses deux enfants. Il se réfugie à Rotterdam puis est nommé pasteur à Bergen-of-Zoom où il assure son ministère jusqu’à sa mort le 13 février 1702. Forlacroix Élizabeth et Saint-Afrique Olga, Les pasteurs d’Aunis et de Saintonge et Angoumois devant la Révocation, Paris, Les Indes Savantes, 2010, p. 104-105.
7Lettre de Jean Morin citée dans Boismorand Pierre, Bossy Freddy et Vatinel Denis, Protestants d’Aunis, Saintonge et Angoumois, Saintes, Le Croît vif, 1998, p. 146.
8Joblin Alain, Dieu, le juge et l’enfant. L’enlèvement des enfants protestants en France (xviie-xviiie siècles), Arras, Artois Presses université, 2010.
9Jurieu Pierre, « Extrait d’une lettre du Fort Saint Pierre de la Martinique du jeudi 22 janvier 1688 », Lettres pastorales adressées aux Fidèles de France qui gémissent sous la captivité de Babylone, Rotterdam, Chez Abraham Acher, 1688, vol. 2, p. 548-550 ; « Noms de quelques personnes transportées dans les Colonies Françoises de l’Amérique, ou conduites sur les ports pour leur en faire peur », in Benoist Élie, Histoire de l’édit de Nantes, t. 3, Delft, chez Adrien Beman, 1695, annexe n. p. : l’auteur classe les noms en différentes catégories soit par origines géographiques soit par la nature du décès au cours du trajet : « morts en mer », « noyés par naufrage ». Il ajoute deux précisions : « d’un vaisseau parti de Nantes en 1687 chargé de 160 personnes, il en mourut quarante-deux en mer et dont on ne sait pas les noms. De deux autres partis de Marseille l’année suivante avec environ 180 personnes, il en mourut quarante en chemin dont on ignore les noms » ; Poton Didier, « Condamnés à l’Amérique », in Mickaël Augeron, Bertrand Van Ruymbeke et Didier Poton (dir.), Les huguenots et l’Atlantique. Pour Dieu, la Cause ou les Affaires, (vol. 1), Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne/Les Indes savantes, 2009, p. 325-329.
10Tournier Gaston, op. cit.
11Zysberg André, Les galériens. Vie et destins de 60 000 forçats sur les galères de France, 1680-1748, Paris, Seuil, coll. « Points-Histoire », 1991, p. 111 sqq.
12Roland Pierre, « Les galériens protestants (et condamnés pour aide aux protestants) », Bulletin de la SHPF, 2012, janvier-février-mars, p. 45-92. En 1748, le bagne est transféré de Marseille à Toulon ; Vigié Marc, Les galériens protestants, Paris, Fayard, 1985, p. 123-124 ; Vergé-Franceschi Michel, « Bagne » et « Galères », in Michel Vergé-Franceschi (dir.), Dictionnaire d’histoire maritime, Paris, Robert Laffont, Bouquins, vol. 1, p. 154 et p. 655-656.
13Zysberg André, op. cit., p. 115.
14Ibid., p. 112.
15Ibid., p. 120-121.
16Ibid., p. 113-114.
17Vigié Marc, Les galériens du roi, Paris, Fayard, 1985, p. 299.
18Rolland Pierre, op. cit., carte p. 83 ; Cabanel Patrick, Histoire des protestants en France, xvie-xxie siècle, Paris, Fayard, 2012, p. 885.
19Carbonnier-Burkard Marianne, « Le musée du Désert : un centenaire », Bulletin de la SHPF, t. 157, 2011, p. 524.
20Haag Émile et Eugène, La France protestante ou la Vie des protestants français qui se sont faits un nom dans l’histoire depuis les premiers temps de la Reformation jusqu’à la reconnaissance du principe de la liberté de cultes à l’assemblée nationale, Paris, Sandoz et Firscbacher, 1846-1859 ; Bordier Henri (dir.), La France protestante, Paris, Sandoz et Firscbacher, 6 vol., 1877-1886.
21Tournier Gaston, op. cit., vol. I, p. 3.
22Carbonnier-Burkard Marianne, art. cit., p. 530-541.
23Tournier Gaston, op. cit., vol. I, p. 4.
24Poton de Xaintrailles Didier, « La société des Amis du musée protestant de La Rochelle (1930-1931) », in Delmas-Vieljeux. L’Histoire d’une compagnie maritime rochelaise, La Crêche, Geste éditions, 2016, p. 28-30.
25Cabanel Patrick, « Les protestants français et le “désir de musée” », Bulletin de la SHPF, t. 157, 2011, p. 481 sqq.
26Ibid.
27Poton de Xaintrailles Didier, op. cit., p. 28.
28Cabanel Patrick, Le protestantisme français. La belle histoire. xvie-xxe siècle, Nîmes, Alcide, 2017, p. 38-39.
29Cabanel Patrick, Histoire des protestants français, op. cit., p. 646-647.
30Benoist Élie, Histoire de l’édit de Nantes, op. cit.
31Ibid.
32An account of the sufferings of the French Protestants slaves on board the French kings galleys, Londres, Richard Parker, 1699 ; Histoire abrégée des souffrances du sieur Élie Néau sur les galères et dans les cachots de Marseille, Rotterdam, Abraham Acher, 1701 ; Poton de Xaintrailles Didier et Van Ruymbeke Bertrand (édition et présentation), Histoire des souffrances du sieur Élie Néau, sur les galères, et dans les cachots de Marseille, Paris/Saintes, Les Indes Savantes/Rivage des Xantons, 2014.
33Cabanel Patrick, Le protestantisme français, op. cit., p. 96-97.
34Joutard Philippe, La révocation de l’édit de Nantes ou les faiblesses d’un État, Paris, Gallimard, coll. « Folio-Histoire », 2018, p. 439 sqq.
Auteur
-
Didier Poton de Xaintrailles
Université de La Rochelle.
Didier Poton est professeur émérite d’histoire moderne à l’université de La Rochelle et chercheur au Centre de recherche en histoire internationale et atlantiques (CRHIA, UR 1163). Ses travaux sont consacrés à l’histoire du protestantisme à l’époque moderne, notamment en contexte atlantique. Il a notamment publié avec Mickaël Augeron et Bertrand van Ruymbeke Les Huguenots et l’Atlantique, Paris, Les Indes savantes, Rivages des Xantons, 2 vol., 2009-2012 et Huguenots d’Aunis et de Saintonge, xvie-xviiie siècle, Paris, Les Indes savantes, coll. « Aquitaine », 2017 (avec Louis-Gilles Pairault et Muriel Hoareau).

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