Saint Louis chef de guerre
p. 159-180
Texte intégral
1« Jamais je ne vis un homme en armes aussi beau, car il se détachait, depuis la hauteur des épaules, au-dessus de tous ses gens, un heaume doré sur sa tête, une épée d’Allemagne à la main1. » C’est par ces mots que Joinville, à des années de distance, se souvient de la prestance de son ami le roi au cours de la campagne d’Égypte. Avant d’être cet homme prématurément vieilli, qu’on imagine émacié, épuisé par les jeûnes et les rigueurs de sa piété, Louis a été un chevalier, armé de pied en cap et apte au combat. Sans être occulté de façon délibérée, cet aspect de sa vie n’a pas été mis jusqu’ici en pleine lumière. La spiritualité du roi, les caractéristiques propres de son gouvernement du royaume, plus généralement la maturation du pouvoir royal sous son règne, ont retenu davantage l’attention2. Sans doute les historiens ont-ils été sensibles aux textes écrits dans le contexte de la procédure de canonisation : Geoffroi de Beaulieu, Guillaume de Chartres, Guillaume de Saint-Pathus ; tous, de fait, évoquent peu la dimension guerrière du roi3. Aucun de ces auteurs, néanmoins, n’a été aussi lu que Joinville. Or, dans sa fameuse Vie de Saint Louis, le sénéchal de Champagne insiste avec force sur l’aspect belliqueux de son héros, sans, pourtant, que les historiens ne l’aient suivi sur ce point4. Si la première partie du livre, prévient Joinville, est consacrée au gouvernement du royaume, « la seconde partie du livre si parle de ses granz chevaleries et de ses granz faiz d’armes », « de ses granz chevaleries et de ses granz hardemens5 ». Un chevalier et un homme de guerre : c’est bien ce qu’était Saint Louis aux yeux du témoin le plus disert sur son compte6.
Premières armes
2Les hagiographes évoquent la formation intellectuelle ou scolaire du jeune Louis, supervisée par sa mère ; mais ils ne disent rien de son apprentissage des armes7. Joinville, qui est pourtant un chevalier, n’en dit pas davantage. Lui-même, il est vrai, n’a fait la connaissance du roi qu’au cours de la croisade d’Égypte (1248-1254). Il faut croire que, parmi les souvenirs que le roi lui a livrés au fil de leur compagnonnage, ceux de son adoubement ou de sa formation de chevalier ne figuraient pas. Sans doute faut-il mettre cette omission sur le compte de l’évidence : comme tous les Capétiens avant et après lui, Louis est un homme de guerre8.
3En quoi la formation d’un chevalier peut-elle consister dans le premier quart du xiiie siècle ? On peut se faire une bonne idée de l’équipement du chevalier et, plus généralement, de l’homme d’armes, en admirant les illustrations de la fameuse « Bible de Maciejowski », composée vers 1250, sans doute pour Saint Louis9. Comme aux autres, il a fallu au jeune Louis apprendre à monter à cheval, à porter le haubert (ou cotte de mailles) et le heaume, à manier l’épée, la lance, peut-être d’autres armes. Pour tout cela, un entraînement fut nécessaire ; sans doute a-t-il été entamé assez tôt, sans qu’on sache dans quelles circonstances. Les comptes de l’Hôtel ont presque tous disparu. S’ils étaient encore disponibles, peut-être trouverait-on des paiements faits pour l’équipement du jeune roi, comme c’est le cas, quelques années plus tard, pour ses frères.
4Louis VIII meurt le 8 novembre 122610. Trois semaines plus tard, dans un contexte perturbé, son fils est sacré à Reims. Entretemps, apparemment à Soissons, le jeune roi, alors âgé de seulement 12 ans, est adoubé11. À la suite de Jean Richard, il faut noter la discrétion qui entoure l’événement dans nos sources, d’autant plus curieuse que le dossier relatif aux adoubements des princes capétiens, entre 1209 et 1313, est plutôt nourri12. On peut tout autant suivre Jean Richard quand il suppose que l’adoubement de Louis fut surtout un acte politique, répondant au contexte particulier du mois de novembre 1226 et conduisant à l’émancipation du nouveau roi, à « l’acquisition de sa pleine capacité juridique », apte à prendre par lui-même les décisions importantes à venir13. Peut-être plus encore que le sacre, l’adoubement valait passage à l’âge adulte, un signal clair envoyé aux barons qui s’agitaient.
5Même adoubé, le jeune roi n’est encore qu’un adolescent : l’entraînement physique doit probablement se poursuivre. Autant qu’on le sache, Louis ne s’intéresse guère aux tournois, ni à la chasse, pas plus qu’il ne compose de chansons. En somme, il ne partage guère les plaisirs du groupe chevaleresque, même si c’est après le retour de la Terre sainte, en 1254, que la cour capétienne se convertit à l’austérité14. Même alors, cependant, la dimension chevaleresque ne disparaît pas de l’hôtel royal. Deux des fils de Saint Louis, le futur Philippe III, et Robert, futur comte de Clermont, tous deux entichés de tournois, donneront libre cours à leur passion après 1270 ; eux-mêmes ont donc nécessairement reçu la formation qui convenait à leur statut, et l’adoubement du prince Philippe, à la Pentecôte 1267, semble paré de tout le faste chevaleresque requis15.
6Dans sa jeunesse, Louis a plusieurs occasions de paraître en armes. Entre 1227 et 1231, désireux de secouer le joug que leur ont imposé Philippe Auguste et Louis VIII, les barons entretiennent une agitation brouillonne, qui paraît manquer de la ligne directrice qui animait, de l’autre côté de la Manche et quelques années plus tôt, les seigneurs et les prélats anglais, quand ils imposaient la Grande Charte à Jean sans Terre (1215). Sur le plan militaire, les opérations semblent menées assez mollement, mais on peut imaginer que le jeune Louis peut alors apprendre à commander des groupes de chevaliers. Il peut surtout constater la force du charisme royal, s’il est vrai que, comme le raconte Joinville, les barons rebelles aient demandé en une occasion au roi d’évacuer le champ de bataille pour qu’ils n’aient pas à le combattre en personne ; Louis, évidemment, refuse, et il n’y a pas de combats ce jour-là16. Il faut l’imaginer au milieu de ses chevaliers, sans doute identifiable à la cotte ornée de ses armes qu’il porte par-dessus son haubert17. Cette première séquence se conclut en 1231 par une première expédition, dirigée contre Pierre Mauclerc, le comte de Bretagne18.
7Le reste de la décennie 1230 paraît assez calme. En 1242, le roi d’Angleterre Henri III entreprend de recouvrer les domaines perdus par son père, Jean sans Terre, et par lui-même. La reconquête espérée s’achève néanmoins dans la confusion et, lors d’une grosse escarmouche, l’armée anglaise est mise en échec, à Taillebourg, en juillet 124219. C’est la dernière fois que Saint Louis prend les armes dans un conflit entre chrétiens. Dans les Enseignements qu’il destine à son fils, le futur Philippe III, il invite d’ailleurs ce dernier à l’imiter20.
Louis impose son point de vue : les deux prises de croix (1244 et 1267)
8Un peu plus de deux ans plus tard, en décembre 1244, Louis tombe gravement malade ; il prend alors la croix. Rapporté par plusieurs sources, plus ou moins convergentes, l’épisode est bien connu. De notre point de vue, il suffit d’insister sur le fait que le roi a dû imposer une décision qui lui était déconseillée de tous côtés21. Sa mère, Blanche de Castille, montre une opposition complète ; les évêques présents sont prêts à le relever d’un vœu qui aurait été pris sous le coup de la maladie. De nouveau, en mars 1267, pour sa seconde prise de croix, le roi doit montrer la force de sa conviction : cette fois, ce sont les princes, les barons et les chevaliers qui sont visiblement réticents, et il faut que le roi attende l’adoubement de son fils, à l’occasion de la Pentecôte, pour obtenir le ralliement de sa chevalerie. Joinville, toutefois, refuse obstinément de se joindre à cette seconde expédition22.
9C’est ce premier point qu’il faut noter : si Louis est un chef de guerre, c’est d’abord parce qu’il est capable d’imposer ses choix. À cet égard, il est tentant de comparer ce qu’on sait de Louis et ce qu’on ignore de Philippe le Bel : pour les historiens qui étudient le gouvernement de celui-ci, une question classique a longtemps été de déterminer la part que le roi lui-même a prise dans les bouleversements opérés de son temps23. Pour Saint Louis, la question ne se pose guère : il est certain qu’il a pris par lui-même les grandes décisions qui ont émaillé son règne – les travaux récents à propos de Philippe le Bel vont dans le même sens.
Les préparatifs
10À l’issue de sa première prise de croix, le roi se jette à corps perdu dans la préparation d’un projet de très grande ampleur, très certainement la plus grande expédition militaire menée au xiiie siècle par un souverain occidental24. Autant qu’on peut le voir, Louis s’épanouit dans cette tâche qui l’occupe du début de l’année 1245 jusqu’à l’été 1248, soit trois ans et demi. Le travail ne manque pas. Il faut tout à la fois convaincre les chevaliers, recruter des hommes d’armes, superviser les travaux du port d’Aigues-Mortes, négocier avec les républiques maritimes italiennes la location d’une flotte, réunir l’argent nécessaire, et conduire une intense activité diplomatique avec la papauté, les royaumes d’Occident comme avec les États francs d’Orient. Ce dernier point est le moins bien connu, mais on imagine que les négociations avec les autorités du royaume de Jérusalem (le patriarche et les barons, à défaut de Frédéric II, roi titulaire de Jérusalem, accaparé par ses démêlés avec le pape Innocent IV), avec le duc d’Athènes et le prince de Morée, avec le roi de Chypre, avec les ordres militaires, ont dû être intenses. De tout cela, il faut reconnaître que nous ne savons pas grand-chose, sinon que l’empereur de Constantinople, Baudouin II de Courtenay, séjourne de façon prolongée en Occident, et notamment auprès du roi de France, pour obtenir des secours25. C’est sans doute le second point qu’il faut relever : Saint Louis prépare son départ avec un soin extrême, sur tous les plans. Ce qui est vrai avant 1248 l’est aussi après 126726.
Louis stratège : la définition des objectifs
11Dès qu’il a prononcé son vœu, Saint Louis est le chef naturel des deux croisades. Ni en 1244, ni en 1267, il ne semble qu’il ait été investi par le pape d’une autorité particulière. Innocent IV (1243-1254) et Clément IV (1265-1268) ne paraissent d’ailleurs pas très enthousiastes à l’idée de voir partir outremer leur principal appui27. Au xiiie siècle, il ne semble pas que l’habitude soit déjà prise pour le pape de désigner, sous un titre particulier, le chef d’une croisade, comme ce sera le cas au siècle suivant – Philippe de Valois est ainsi nommé capitaine général de la croisade28. En 1248 comme en 1270, Saint Louis n’a pas d’autre titre que celui de roi de France. Comme il se doit, toutefois, il est accompagné par un légat du plus haut rang : Eudes de Châteauroux, cardinal-évêque de Tusculum, puis Raoul Grosparmi, cardinal-évêque d’Albano29. Dans les deux cas, ce sont des proches du roi, peu susceptibles de mettre en cause son autorité ; il s’agit aussi d’éviter la répétition du fiasco provoqué, au cours de la Cinquième croisade, par la mésentente entre Jean de Brienne et le légat Pélage30.
12Comment les objectifs des deux expéditions ont-ils été définis ? Pour l’expédition de 1270, le rôle du roi semble primordial dans le choix de Tunis – un choix, il faut le rappeler, qui a étonné les contemporains, qui ont renoncé à l’expliquer. Pourquoi attaquer le débonnaire « roi de Tunis », qui se disait calife, si ouvert au commerce, si bienveillant envers les dominicains ? Le point qu’il faut mettre en valeur ici est surtout que Louis a gardé le plus longtemps possible le silence sur la destination de l’expédition : alors que la flotte quitte Aigues-Mortes le 1er juillet 1270, ce n’est que le 13, à l’étape de Cagliari, au sud de la Sardaigne, que le roi révèle son choix. Comme en 1248, ce sont les Génois qui ont loué leurs services à Saint Louis ; ils sont plutôt mécontents du choix de Tunis, où leurs positions commerciales sont très fortes. Incontestablement, ils n’ont pas été consultés, pas plus que Charles d’Anjou, le roi de Sicile, ou quiconque ; seul, peut-être, le légat est dans la confidence31.
13En 1248, la décision d’attaquer l’Égypte paraît prise dans un contexte très différent. On aurait pu s’attendre à ce que Saint Louis débarque à Acre pour, de là, marcher sur Jérusalem. Néanmoins, comme l’ont noté depuis longtemps les historiens des croisades, le sultanat du Caire est alors la grande puissance du monde arabo-musulman, particulièrement depuis que la dynastie ayyoubide s’en est assuré le contrôle, avec Saladin, son frère et les descendants de celui-ci. Pour Saint Louis, il apparaît donc nécessaire de vaincre les Égyptiens pour obtenir la restitution de Jérusalem. C’est parce qu’il vise l’Égypte que Louis fait hiverner son armée à Chypre, où du ravitaillement a été accumulé en prévision d’un long séjour, et où des contingents venus des États francs se joignent aux Français : les barons de la Grèce franque, du royaume de Jérusalem, du royaume de Chypre, ainsi que le Temple et l’Hôpital. Chypre est un peu plus éloignée des côtes égyptiennes que ne l’est Acre, capitale de fait du royaume de Jérusalem32 ; mais, dans l’île prospère des Lusignan, l’entretien d’une armée pendant de longs mois a sans doute paru plus facile que dans une ville déjà très peuplée.
Tirer les leçons de l’échec de la cinquième croisade
14Un autre point doit être mis en évidence. On a depuis longtemps reconnu dans le plan de campagne de Saint Louis la répétition de celui de la Cinquième croisade, qui s’était déployée une trentaine d’années plus tôt. Au printemps 1218, le roi de Jérusalem Jean de Brienne avait mis le siège devant Damiette ; la ville tomba dix-huit mois plus tard, en novembre 1219. À l’été 1221, à l’instigation du légat Pélage, qui avait supplanté Jean de Brienne, les croisés décidèrent de longer le Nil en direction du fort de Mansourah. Les Égyptiens tirèrent profit de la crue du fleuve. La destruction des digues inonda les plaines et prit au piège les croisés, qui durent capituler et échanger Damiette contre leur libération : le 7 septembre 1221, ils quittaient l’Égypte33.
15Si, dans les grandes lignes, l’analogie est évidente, un constat peut être fait, directement en lien avec notre sujet. Pour les débuts de la campagne d’Égypte, on dispose d’un ensemble assez riche de lettres et de chroniques34. À plusieurs reprises, on y trouve des allusions à la Cinquième croisade. Voici, par exemple, ce que dit Joinville en conclusion du passage qu’il consacre à la prise de Damiette :
« Grant grace nous fist Notre Seigneur de Damiete que il nous delivra, la quele nous ne deussions pas avoir prise sanz affamer ; et ce poons nous veoir tout cler pour ce que par affamer la prist le roy Jehan au tens de nos peres35. »
16Un peu plus loin, Joinville fait dire à Jean de Vallery, un des chevaliers en vue dans l’entourage du roi, que le partage du butin doit obéir aux « bones coustumes de la sainte Terre », qu’il détaille en ajoutant : « et ceste coustume tint bien le roy Jehan quant il prit Damiete ; et ainsi, comme les anciens dient, les roys de Jerusalem qui furent devant le roy tindrent bien ceste coustume36 ». Se conserve également une lettre adressée par Jean Sarrazin, un des chambellans du roi, depuis Damiette. Le récit de la prise de la ville par Saint Louis qui s’y trouve s’achève par ces mots, qui tracent une ligne directe entre les deux opérations :
« Ce fut trente ans aprés que li crestien l’orent conquise par granz travaus et par granz labours encontre les Sarrazins et la reperdirent dedens l’an meismes, quant il alerent pour asseoir le Chaaire, et li fluns crust et s’espandi entour eulz que il ne porrent avant ne arriere. Pour cele chose, cuidons nous que li os ne se doist mouvoir de Damiete devant que li fluns sera descrus et revenuz arriere dedens ses chaneus37. »
17Guillaume de Nangis évoque également le précédent de Jean de Brienne, quand il faut déterminer le point de débarquement de l’armée croisée38, puis pour expliquer le long séjour du roi à Damiette39. De cette mention, comme des autres, il faut tirer l’idée que le déroulement de la Cinquième croisade était bien connu de Saint Louis et de ses compagnons, qui n’ignoraient rien du rôle qu’avait joué la crue du Nil dans la défaite de 1221. Rien d’étonnant à cela : le roi de Jérusalem, Jean de Brienne, était un grand seigneur champenois très lié à la cour capétienne, où il séjourna longuement sous le règne de Louis VIII (1223-1226) et au début de celui de Saint Louis40. Dans les années 1230, alors que Jean de Brienne était devenu empereur de Constantinople, ses trois fils, Alphonse, Jean et Louis, avaient été expédiés par ses soins auprès de Saint Louis et de Blanche de Castille, tante de leur mère, Bérengère41. Parmi les croisés d’un rang plus modeste que Jean de Brienne, on peut signaler que le père de Joinville, Simon, avait pris part à la Cinquième croisade ; s’il meurt en 1233, alors que son fils n’a que 8 ans, il est possible que, dans l’entourage familial, se soient maintenus des récits tirés de l’expérience de la croisade. On peut donc imaginer qu’au moment de dresser ses plans, Louis ait sollicité les souvenirs des uns et des autres, et que les décisions stratégiques et opérationnelles aient été préparées avec une grande attention : en somme, qu’ait été opéré ce qu’on appelle aujourd’hui un « retex », un « retour d’expérience ».
18Une fois ce point établi, on comprend mieux, de fait, le déroulement de la campagne d’Égypte. Certes, rien ne se passe comme prévu. D’un côté, le voyage entre Chypre et l’Égypte se révèle beaucoup plus long que ce qui était attendu (trois semaines, alors que quelques jours auraient dû suffire) ; de l’autre, dès le 6 juin 1249, les croisés prennent sans difficulté Damiette, abandonnée par ses défenseurs, et alors que Louis anticipait probablement un siège de même nature que celui qui avait été conduit trente ans plus tôt. Globalement, le premier temps de la campagne est donc une victoire étonnante, d’ailleurs présentée par les contemporains comme miraculeuse.
19En réalité, plus qu’un miracle, c’est sans doute la qualité de la préparation qui explique le succès. Le 5 juin 1249, par exemple, pour rejoindre les côtes, il faut que les croisés descendent des gros bateaux qui ont assuré leur transport depuis Chypre pour prendre place dans des barques ou des barges, de faible tirant d’eau. Ce sont non seulement des hommes, mais aussi des chevaux, qui doivent opérer cette manœuvre, qui n’a rien de simple. Or, d’après ce que nous en disent les sources, tout se passe très simplement. Il faut donc que la portion de littoral visée ait été reconnue auparavant, soit d’après les souvenirs des croisés de 1219, soit d’après des témoignages plus récents, ceux de marins ou de marchands, par exemple, habitués à fréquenter Damiette et ses environs. Il faut également que le nombre de barques ait été anticipé, et même que la manœuvre ait été répétée – elle ne s’improvise pas ; en 1066, Guillaume le Conquérant, par exemple, avait d’ailleurs préparé minutieusement ses guerriers à embarquer et débarquer dans le laps de temps permis par la marée42. Pour le débarquement à Damiette, le maître d’œuvre de l’opération est facile à identifier : c’est Jean de Beaumont, chambrier de France, régulièrement présenté comme ce qui aurait été, à partir du xixe siècle, un chef d’état-major43.
20Pendant plusieurs mois après ce succès initial, toutefois, l’armée croisée ne bouge pas. Le roi a-t-il commis une erreur ? N’aurait-il pas dû exploiter le succès initial et marcher droit sur Alexandrie ou sur Le Caire ? C’est possible : le sultan As-Salih, très malade, n’aurait peut-être pas été en mesure de s’opposer à une offensive déterminée44. Néanmoins, il est très probable que Saint Louis ait choisi délibérément de temporiser, pour deux raisons : d’une part, il attendait les renforts que devait conduire son frère Alphonse ; d’autre part, et surtout, il s’agissait pour lui de ne pas entamer la campagne terrestre au moment de la crue du Nil, c’est-à-dire pendant l’été, de manière, comme on l’a dit, à ne pas répéter l’erreur qui avait entraîné l’armée croisée, en 1221, vers la catastrophe. Le choix de l’objectif, le long hivernage à Chypre, l’adaptation du plan aux circonstances : tout montre que Louis a réfléchi avec une très grande attention à la campagne à venir.
Le commandement opérationnel
21L’autorité dont jouit Saint Louis comme commandant opérationnel est bien attestée. Même si nos sources ne nous donnent à voir que des bribes, tout paraît remonter à lui. Il choisit ceux qui l’entourent, ainsi, comme connétable de France, un seigneur hennuyer, Gilles le Brun, « qui n’estoit pas du royaume de France, pour ce qu’il estoit de grant renommée de croire Dieu et amer » (« et je croy vraiement que tel fu il », ajoute Joinville)45. Il en va de même pour Jean de Beaumont, déjà nommé, que le même Joinville n’aime guère, mais qui a visiblement la confiance du roi. C’est aussi, surtout, le roi qui donne les ordres, comme par exemple celui de reprendre la mer, au terme de l’hiver passé à Chypre :
« Maintenant que mars entra, par le commandement le roy, le roy et les barons et les autres pelerins commanderent que les nez refeussent chargéees de vins et de viandes, pour mouvoir quant le roy le commanderoit46. »
22À trois reprises, revient le verbe commander, toujours en lien avec le roi. Un peu plus loin, Joinville ajoute : « dist le roy a ses barons que il alassent après li en leur nez (en leurs navires) droit vers Egypte47 ».
23Le roi consulte quand il s’agit de prendre les grandes décisions, ainsi avant le débarquement sur les côtes égyptiennes, au début du mois de juin 1249 : « le roy manda ses barons pour avoir conseil que il feroit48 ». Les exemples sont nombreux au cours de la campagne d’Égypte : quand il faut faire une reconnaissance du côté de Damiette49, quand il faut célébrer une messe d’action de grâces pour la prise de la ville50 ; au cours des combats de février 125051 ; et, avant cela, sans doute l’exemple le plus connu, quand il s’agit de décider de l’objectif de la campagne à venir, Alexandrie ou Le Caire – le comte d’Artois, comme le raconte Joinville, joue un rôle décisif dans le choix du Caire52. Pour autant, il paraît certain qu’au total, si le roi consulte volontiers et fréquemment ses barons, c’est bien lui qui, en dernier ressort, prend les décisions.
24Saint Louis dispose, avec ses huit fameux « bons chevaliers » d’un conseil restreint, utile dans la conduite des opérations53. À plusieurs reprises, le roi les sollicite. Dans un moment délicat, Joinville note explicitement : « Le roy commanda a ses serjans que il i alassent querre ses bons chevaliers que il avoit entour li de son conseil, et les nomma touz par leur non54. » L’un d’entre eux, Jean de Vallery, critique une décision du roi. Celui-ci se rallie à la position que défend Jean, et donne alors l’ordre « au gonfanon de Saint-Denis et à ses bannières » de changer de direction. Un peu plus tard, toutefois, Alphonse de Poitiers fait dire à son frère que le mouvement a aggravé sa propre situation ; le roi fait de nouveau chercher ses conseillers ; comme Jean de Vallery met plus de temps à venir, ils recommandent au roi d’attendre son arrivée ; finalement, c’est de nouveau son avis qui l’emporte55. Si précieux, le témoignage de Joinville sur ces « bons chevaliers » ne peut malheureusement être corroboré par d’autres sources.
25L’autorité du roi est si reconnue qu’elle peut être invoquée à mauvais escient. En avril 1250, ainsi, le traître qui appelle les chevaliers à se rendre affirme transmettre un ordre du roi :
« Dedans ce avint un si grant mescheance a nostre gent que un traitres serjant, qui avoit a non Marcel, commença a crier a nostre gent : “Seigneurs chevaliers, rendés vous, que li roys le vous mande : et ne faites pas occirre le roy !” Touz cuiderent que le ro leur eust mandé, et rendirent leur espées aus Sarrazins56. »
Le roi et la discipline
26Chef de l’armée, Louis est donc obéi, même quand il n’est pas présent. Ce n’est pas très étonnant, tant le roi fait régner une discipline de fer. Voici ce que note, par exemple, l’auteur de la « Continuation Rothelin », une des chroniques qui prennent la suite de Guillaume de Tyr :
« Entor la mi aoust avint que li Tur vindrent leur batailles rangiées et ordenées pour combatre cele part ou li Crestien estoient logié. Li roiz si fist crier par l’ost et deffandre que nes.I. ne fust tant hardis que il issist des lices ; par cui nus de noz Crestiens ne s’osoit pou ne tant ne quant mouvoir57. »
27Le roi fait donc « crier » dans le camp : à quel rythme ces proclamations sont-elles faites ? Sans doute plus souvent que ne le disent les sources, car la vie d’une armée est nécessairement rythmée par des décisions prises par le chef et communiquées par ses soins58. Il n’est toutefois pas anodin que le cri mentionné par la chronique concerne le maintien de la discipline, qui paraît avoir été une obsession pour Saint Louis. Il en va de même, quelques mois plus tard, au début des combats difficiles du 8 février 1250 :
« Quant li roiz et li autre, qui monté estoient pour passer le flun, furent as chanz forz de l’ost, li rois coumanda a très touz communement, et aus haulz et aus bas, que nuz ne fust tant hardiz que il se desroutast, ainz se tenist chascunz en sa bataille, et que les batailles se tenissent les unes prez des autrez, et alassent tout le petit pas ordeneement ; et que, quant li premier seroient passé le flun, que il atendissent seur la rive les autrez tant que li roiz et tuit li autre fussent outre passé59. »
28On pourrait objecter, bien sûr, que, ce même jour, Robert d’Artois, son frère, outrepasse les ordres reçus, provoquant ainsi la destruction de l’avant-garde à Mansourah. Mais les sources, faut-il noter, insistent sur le fait que la désobéissance du comte d’Artois a été individuelle. Dans le récit de Joinville, les Templiers, qui forment l’avant-garde avec le comte d’Artois, invoquent explicitement auprès de celui-ci les ordres du roi, en lui demandant de s’y conformer, « et qu’il les lessast aller devant, aussi comme il avoit esté acordé par le roy60 ». Le comte d’Artois recherche certainement sa gloire personnelle, comme le font traditionnellement les chevaliers ; mais les libertés qu’il prend avec les ordres tiennent avant tout à sa qualité de frère du roi, personnage influent lors des conseils de guerre. Tout en condamnant le résultat funeste, la « Continuation Rothelin », par ailleurs, laisse ouverte la possibilité que le comte d’Artois ait voulu exploiter une opportunité tactique, celle d’achever de mettre en déroute l’armée égyptienne61. Selon la même source, pour rétablir la situation mise en péril par la destruction de l’avant-garde, Saint Louis renouvelle ses ordres :
« Quant li roiz vi ce, bien se pansa que cil, qui devant estoient alé, avoient mise la crestienté en mauvais point, il coumanda touz ceux, qui ovec lui estoient, que il se tenissent ensamble et tuit serré. Mout leur amonestoit et disoit que il ne devoient pas douter cele grant plenté de mescreanz, qui venoient encontr’elx, car Nostre Sirez Jhesu Criz, pour cui il estoient la alé, estoit plus forz et plus poissanz que touz li mondes62. »
29Au demeurant, si l’on en croit le moine anglais Matthieu Paris, Robert d’Artois avait été, quelques mois plus tôt, un fervent partisan de la discipline. Dans l’armée croisée, à la tête d’un petit contingent anglais, se trouvait Guillaume (dit « Longuépée »), comte de Salisbury. Son père, prénommé également Guillaume, était un fils naturel d’Henri II Plantagenêt ; marié à l’héritière du comté de Salisbury, ce premier Guillaume donne naissance, vers 1212, à celui qui nous intéresse. Avec un petit contingent anglais, il se joint à l’armée croisée, sans doute après la prise de Damiette. À un moment, au cours des semaines qui suivent, Guillaume attaque et pille une caravane égyptienne. Selon Matthieu Paris, les Français lui auraient vivement reproché cette attaque, qui contrevenait aux ordres explicites du roi ; le comte d’Artois aurait été un des plus critiques, invoquant l’indiscipline de Salisbury mais jalousant en fait ses succès (dit Matthieu Paris, qui déteste Robert d’Artois). Saisi de l’affaire, le roi aurait donné tort à Salisbury qui, de colère, aurait quitté l’armée pendant un temps, avant d’y revenir – il est tué à la bataille de Mansourah, où il a essayé de contrer l’attitude téméraire du comte d’Artois63.
30De manière générale, en réalité, la discipline paraît plutôt bien tenue dans l’armée croisée. Saint Louis semble avoir eu une nette conscience du risque que le traditionnel individualisme chevaleresque représentait. S’il ne peut en empêcher toute manifestation, le roi a néanmoins cherché à le tenir en bride autant qu’il l’a pu. C’est ce que montre le commentaire très sec que, selon Joinville, il laisse tomber après la mort de Gautier d’Autrèches. Ce noble chevalier, apparenté aux Châtillon, trouve la mort en chargeant en dépit des ordres reçus : « Quant en le dit au roy, il respondi que il n’en vourroit mie avoir tiex mil, puis que il ne vousissent ouvrer de son commandement aussi comme il avoit fait64. » Gardons-nous, en conséquence, de trop nous appesantir sur les exemples d’indiscipline : ils sont plutôt l’exception que la règle, et la règle paraît bien être le respect des ordres du roi.
La mise en scène de la guerre
31Saint Louis définit donc les objectifs stratégiques ; il exerce le commandement opérationnel, en prenant conseil, mais en assumant pleinement ses choix ; ses ordres sont obéis. Son rôle de chef présente encore une autre facette : Louis montre un très grand talent pour la mise en scène de la guerre. L’ouverture de la campagne d’Égypte en fournit un bon exemple. Le 5 juin 1249, le jour où l’armée croisée débarque, tout est mis en œuvre pour exalter le courage des croisés. Alors qu’hommes et bêtes descendent dans les barges, le roi prend soin de faire disposer dans l’une d’entre elles, l’oriflamme (« l’enseigne de saint Denis »), l’étendard qu’il est allé chercher à l’abbaye Saint-Denis, en avril 1248, avant de prendre la route pour Aigues-Mortes. On ignore les dimensions de l’oriflamme, mais sa couleur, rouge, la fait reconnaître de loin65. C’est la barge portant l’oriflamme qui guide l’attaque en direction du littoral égyptien. Ce n’est pas tout. Dans un premier temps, le roi reste à l’arrière de la première vague qui débarque. Sur sa barge, il est à côté du légat, Eudes de Châteauroux, qui adresse d’abord aux croisés de grands signes de croix, avant de porter à bout de bras un reliquaire contenant un morceau de la Vraie Croix. Sans doute faut-il imaginer une pièce d’orfèvrerie, en or, avec des pierres précieuses, reflétant le soleil du matin. L’oriflamme devant, la Vraie croix derrière, le roi dans sa tunique fleurdelisée et le légat bien en vue… Tout est délibérément conçu pour enflammer la détermination des croisés66.
32En 1270, alors que la flotte est en vue de Tunis, il en va de même. Un détachement, chargé d’assurer la reconnaissance, est débarqué ; comme aucune résistance ne se fait jour, proposition est faite de constituer une véritable tête de pont. Le roi, toutefois, refuse, ordonne de rembarquer les hommes : c’est un débarquement en bonne et due forme qu’il s’agit de lancer. L’effet de surprise doit laisser la place à la manifestation de la puissance de l’armée croisée. Comme l’écrit Pierre de Condé, un clerc du roi, dans une des lettres dans lesquelles il raconte la croisade : « Et au nom de Dieu ils s’élancèrent, la galère du seigneur du roi un peu en tête, et ils touchèrent terre par la grâce de Dieu67. » Une fois sur le sol tunisien, Saint Louis fait proclamer un « ban », c’est-à-dire une annonce solennelle, dont le texte, malheureusement, n’est pas parvenu jusqu’à nous, mais qui aurait, selon un des hagiographes du roi, fait forte impression sur les croisés68.
Le roi au combat
33Le 5 juin 1249, Louis ne se contente pas de superviser la manœuvre. D’après nos sources, il entend bien participer lui-même aux combats. Ce jour-là, toutefois, il n’est pas certain que ce soit le cas, en dépit de ce que dit Joinville. Selon ce dernier, le roi aurait en effet reçu l’avis de rester dans sa nef le temps que la situation s’éclaircisse, dans un sens ou dans un autre. S’il était tué avec ses chevaliers, tout serait perdu, lui fait-on valoir ; au contraire, s’il demeurait dans son navire, il pourrait toujours préparer une nouvelle expédition. Rien de tout cela, dit Joinville, ne peut convaincre Louis : « il ne voult nullui croire, ains sailli en la mer tout armé, l’escu au col, le glaive ou poing, et fu des premiers a terre69 ».
34Toutefois, quand il raconte de façon plus détaillée le débarquement, Joinville précise son propos. C’est désormais une fois que les croisés ont pris pied sur les côtes égyptiennes que le roi souhaite débarquer à son tour :
« Quant le roy oÿ dire que l’enseigne saint Denis estoit a terre, il en ala grant pas parmi son vessel, ne onques pour le legat qui estoit avec li ne le voult lessier, et sailli en la mer, dont il fu en yaue jusques aus esseles, et ala l’escu au col et le heaume en la teste et le glaive en la main jusques a sa gent, qui estoient sur la rive de la mer. Quant il vint a terre et il choisi les Sarrazins, il demanda quel gent s’estoient, et en li dit que c’estoient Sarrazins. Et il mist le glaive desous s’esselle et l’escu devant li, et eust couru aus Sarrazins se ses preudeshomes qui estoient avec li li eussent souffert70. »
35La lettre de Jean Sarrazin va dans le même sens :
« Quant li roys vit les autres saillir et descendre en la mer, il voult descendre avec euls. Mais on ne li vouloit laissier et toutesvoies descendi il outre leur gré, et entra en la mer jusqu’a la chainture, et nous touz avec lui. Et, puis que li roys fu descendus en la mer, dura la bataille grant piece. Quant la bataille ot duré par mer et par terre des la matinée jusques a midi, lors se traisent li Turc arrieres et s’en alerent et entrerent dedenz la cité de Damiete. Li roys demoura seur la rive a tout l’ost de la crestienté71. »
36Il est donc probable que le roi ne fit pas partie de la première vague ; Guillaume de Nangis, par exemple, ne mentionne pas la participation du roi aux combats72. Mais il était important qu’aux yeux du monde il combatte en personne. Philippe Auguste, à Bouvines, plus tard Philippe le Bel, à Mons-en-Pevèle, sont eux aussi mis en scène au combat, au milieu de leurs ennemis et menacés par eux ; et de fait, il est tout à fait possible qu’ils aient effectivement combattu73.
37Dans le cas de Saint Louis, en dehors du 5 juin, il paraît assuré qu’il eût, lors de la funeste marche sur Le Caire, à se défendre par lui-même, si l’on suit Joinville, d’après le récit qu’on lui en fit :
« Et dit l’en que nous estions trestout perdus des celle journée ce le cors le roy ne feust. Car le sire de Courtenay et mon seigneur Jehan de Saillenay me conterent que VI. Turs estoient venus au frain le roy et l’emmenoient pris, et il tout seul s’en delivra aus grans cops que il leur donna de l’espée. Et quant sa gent virent que le roy metoit deffense en li, il pristrent cuer et lesserent le passage du flum et se trestrent vers le roy pour li aidier74. »
38Bien que Joinville ne donne guère de détails, le passage est instructif. Cette fois, en effet, le récit ne vient pas du roi, ou de Joinville lui-même, mais de deux témoins, deux grands seigneurs, le seigneur de Courtenay et le seigneur de Seignelay, qui ont raconté ce qui s’était passé à Joinville. On peut considérer comme plausible que, dans la confusion des combats, le roi ait eu à se libérer par lui-même. Au fond, il se serait trouvé dans la même situation que son grand-père à Bouvines et son petit-fils à Mons-en-Pevèle, les « Turcs » remplaçant ici les Flamands : ne peut-on voir ici une récurrence délibérément mise en scène ?
39Au demeurant, à partir d’un fond commun, la « Continuation Rothelin » est beaucoup plus élogieuse que Joinville.
« Assez i ot des noz, qui furent en cele bataille, qui puis distrent et afermerent certainnement que se li roiz ne se fust maintenuz si hardiement et si viguereusement, que il eussent esté tuit morz et tuit priz. Onques li roiz ne retorna son visaige en cele bataille, ne n’eschiva son cors des Turz. Il confortoit et amonestoit nostre gent de bien faire si que il en estoient et souffroient cele grant planté de Sarrazins75.
Bien distrent aucunz de la crestienté qui en l’ost estoient que, onques en cele bataille et ne en toutes les autrez qui devant avoient esté ne qui furent aprez, ne virent le roi faire nul mauvaiz semblant ne couart ne esbahi, et qu’il sembloit bien a sa chiere que il n’eust paour ne doutance ne esmai76. »
40Dans la suite de la campagne égyptienne, Louis n’a sans doute plus l’occasion de combattre. Au début du mois d’avril 1250, alors que l’armée croisée se disloque, il est lui-même si affaibli par la maladie qu’il ne peut plus porter les armes. Guillaume de Nangis, quand il en arrive à la capture du roi, dit même que celui-ci préféra demander son bréviaire à son chapelain plutôt que de chercher à s’échapper77.
41En 1270, il en va de même : le débarquement de l’armée croisée sur les côtes tunisiennes se déroule sans résistance de la part de l’ennemi, et l’établissement du camp près de Carthage est suivi d’une longue période sans combats78.
La responsabilité du chef de guerre
42De façon un peu routinière, c’est souvent à l’indiscipline et l’inconséquence des chevaliers, tout particulièrement du comte d’Artois, que la défaite de l’armée croisée est attribuée. En réalité, la destruction de l’avant-garde, le 8 février 1250, est suivie immédiatement par la prise du camp égyptien, au cours duquel le commandant de l’armée, Fakhr al-Dîn, aussi expérimenté que redouté, est tué : le succès aurait pu être décisif. C’est plutôt, dans les semaines qui suivent, la maladie qui ravage l’armée et la supériorité numérique des Égyptiens qui renversent la situation, un retournement que le manque de clairvoyance du roi rend irrémédiable. Si la retraite avait été ordonnée plus tôt, l’armée aurait peut-être pu rejoindre Damiette. C’est bien à Saint Louis, chef incontesté de l’armée, que revient la responsabilité du désastre qui conduit à la mort de la plupart des croisés.
43C’est bien ainsi, d’ailleurs, que le roi lui-même voit les choses. À son retour en France, en 1254, le grand élan d’austérité qui le caractérise alors et qui place le royaume tout entier en pénitence, est bien la réponse à ce sentiment de culpabilité. Au cours de ses deux expéditions, Louis manifeste déjà, et à de nombreuses reprises, le devoir qu’il se sent à l’égard de celles et ceux qui l’ont suivi outremer. Joinville le note d’ailleurs, dès le début de son ouvrage :
« Le secont livre vous parlera de ses granz chevaleries et de ses granz hardemens, les quiex sont tiex que je li vi quatre foiz mettre son cors en aventure de mort, aussi comme vous orrez ci aprés, pour espargnier le doumage de son peuple79. »
44Les quatre occasions sont détaillées ensuite. Premier épisode : le jour de l’attaque de Damiette, le roi veut débarquer lui-même avec ses chevaliers, ce qu’il fait, malgré les conseils de prudence. Deuxième épisode : au printemps 1250, alors que l’armée croisée est encerclée, on suggère à Louis de regagner Damiette par bateau, le Nil étant encore sûr : « il ne voult onques nullui croire, ainçois dist que son peuple ne lairoit il jà, mez feroit il tele fin comme il feroient ». Troisième épisode : en Terre sainte, lors de son séjour à Acre, il est accompagné de fort peu d’hommes ; « son cors mis il en avanture pour le peuple de la terre garantir, qui eust esté perdu des lors se il ne se feust lors remez ». Quatrième épisode : lors de la traversée de la Méditerranée, en 1254, le roi refuse d’abandonner son navire endommagé, pour ne pas effrayer les 800 personnes qui s’y trouvaient avec lui80.
45En réalité, les quatre épisodes ne se valent pas. Lors de la prise de Damiette, il est probable, comme on l’a vu, que le roi reste en arrière, de façon d’ailleurs judicieuse. Sa présence à Acre est certes valeureuse, de même que les quelques expéditions qu’il mène par la suite dans le royaume de Jérusalem, et il n’est pas douteux que la survie des établissements croisés en a été prolongée ; mais le roi ne s’est guère exposé en ces circonstances. Enfin, l’épisode du bateau est lui aussi un peu forcé : après tout, Louis ne veut pas laisser derrière lui, à Chypre, les autres passagers, alors que lui-même prendrait place sur un navire plus sûr ; à tout prendre, sans doute n’est-il pas absurde d’attendre quelques semaines ou quelques mois un prochain départ pour la France, plutôt que de risquer la vie de plusieurs centaines de personnes sur une embarcation peu fiable…
46On ne peut donc retenir en fait qu’un seul des quatre exemples mis en avant par Joinville : en avril 1250, en refusant de regagner seul Damiette tant qu’il en était encore temps, Louis a de fait voulu partager le sort de l’armée. Sur le fond, la décision peut être contestée, car la capture du roi a été un rude coup porté à l’expédition elle-même, et sans doute, au-delà, au mouvement même des croisades ; mais elle correspond bien à ce que nous savons de l’idée que se faisait Saint Louis de son rôle81. Dans la déposition qu’il livre en 1282, dans le cadre de la procédure de canonisation de son frère, Charles d’Anjou raconte qu’il pressa celui-ci, très malade, de monter dans un bateau pour que la marche de l’armée s’en trouve accélérée : « “Comte d’Anjou, comte d’Anjou”, aurait répondu le roi, “si je vous suis à charge, débarrassez-vous de moi, mais je ne me débarrasserai jamais de mon peuple”82. » La « Continuation Rothelin » rapporte un épisode similaire, mais, cette fois, ce sont le roi et ses frères qui refusent d’être évacués vers Damiette en abandonnant le reste de l’armée83.
47De nombreux autres exemples indiquent une forte conscience de sa responsabilité à l’égard de « son peuple », comme le disent nos textes. Ce souci est constant : en août 1270, à l’agonie, sur son lit de cendres, Saint Louis l’exprime encore, quand il répète « Sois, Seigneur, le sanctificateur et le gardien de ton peuple84 ». À plusieurs reprises, pendant la campagne d’Égypte, le roi se montre préoccupé pour ses hommes :
« Toutes les foiz que notre saint roy ooit que il nous getoient le feu grejois, il s’en estoit en son lit et tendoit ses mains vers Notre Seigneur et disoit en plourant : “Biau sire Diex, gardez moy ma gent !” Et je croi vraiement que ses prieres nous orent bien mestier au besoing85. »
48C’est surtout alors que se profile le désastre, puis quand il est consommé, que Louis sent peser sur ses épaules le poids du commandement. Il refuse, Joinville le dit, d’évacuer quand il en est encore temps. Mieux, alors qu’il est gravement malade, il se place dans l’arrière-garde, pour couvrir la débâcle de son armée ; c’est à ce moment qu’il est fait prisonnier. Selon la « Continuation Rothelin », Louis peut encore donner du courage aux croisés en retraite vers Damiette : « Li rois les reconfortoit et amonestoit adés de bien faire, si que il en estoient adés plus entalanté et encouragiés d’elx deffandre86. »
49Son état, tel que le décrit Joinville, témoin direct, est-il compatible avec les encouragements qu’il aurait ainsi prodigués ? Ce n’est pas sûr. De toute façon, le sacrifice du roi ne permet pas de sauver les autres croisés, massacrés sur le champ ou soumis à une alternative cruelle, l’apostasie ou la mort. Pour les barons et les autres qui sont épargnés, Louis entend conserver la main sur les négociations. C’est encore Charles d’Anjou, dans sa déposition de 1282, qui le dit. Apprenant que certains croisés prisonniers cherchaient à obtenir par eux-mêmes leur libération, le roi les convoque et leur tient ce discours, reproduit ici dans la traduction qu’en donne le comte Riant :
« J’ai appris que certains d’entre vous traitent en sous main de leur rachat et de celui de leurs compagnons : je ne veux de cela en aucune façon. Je veux que tous mes sujets sachent que quiconque fera cela sera par moi, si Dieu me tire d’ici, dépouillé de tout ce qu’il tient de moi ou sous moi ; et je défends à tous mes sujets d’oser faire pareille chose, sous peine de leur corps et de tout ce qu’ils tiennent de moi. Car, si je laissais agir ainsi, grands seraient le mal et le scandale ; seuls, les riches qui peuvent payer rançon seraient délivrés, et les pauvres resteraient captifs pour toujours. Que tous s’en remettent à moi de l’affaire commune et me laissent négocier la délivrance générale des prisonniers. Je ne veux que personne ne contribue en rien à sa propre délivrance, et je veux être seul chargé de payer le prix de la rançon de tous87. »
50Même dans la défaite, Louis demeure donc le chef de l’armée, de même qu’il demeure le roi. Encore à ce moment, tout, dans son esprit, est question de sacrifice : au terme des négociations, les Sarrasins proposent au roi de partir seul, en laissant ses frères et les barons prisonniers, le temps qu’il rassemble la somme due pour la rançon ; ou, au contraire, de rester seul, en faisant partir tous les autres. C’est évidemment la seconde solution que choisit le roi88.
Le sens d’un échec
51Au printemps 1250, Louis ne s’est pas seulement préoccupé du sort de son armée. Après sa libération, il a également cherché à donner une interprétation cohérente de l’échec catastrophique d’une expédition si bien préparée, et qui avait commencé de manière si brillante. Ici aussi, il s’agit d’un souci constant, celui de fournir un « narratif », comme on dit aujourd’hui : un récit construit et orienté, destiné à convaincre un auditoire. En reprenant les éléments que donne Salimbene de Adam, on verrait que celui-ci répercute visiblement des informations qu’il a reçues, comme beaucoup d’autres, en provenance de lettres résumant l’évolution de la situation. Si la prise de croix, en décembre 1244, est connue par plusieurs sources, globalement convergentes, c’est sans doute parce que l’épisode a été diffusé ; de même, quand le roi quitte Paris et passe par Saint-Denis avant de rejoindre Aigues-Mortes : même si sa piété personnelle ne fait pas de doute, les différentes cérémonies auxquelles il prend part sont également destinées à ce qu’on pourra nommer de façon vague comme l’« opinion ».
52Même chose à Damiette, pour célébrer la prise étonnamment facile de la ville : nus pieds, en procession, le roi de France, le roi de Chypre, le légat, le patriarche de Jérusalem, plusieurs archevêques et évêques, font leur entrée dans la ville. Dans la grande mosquée, convertie en église dédiée à la Vierge Marie, un Te Deum est chanté, puis une messe en l’honneur de la Vierge89. Pendant l’expédition, des lettres arrivent en France et informent Blanche de Castille et quelques autres destinataires du déroulement de l’expédition. La prise de Damiette est ainsi racontée par Jean Sarrazin, qui donne pour consigne à son correspondant de diffuser les nouvelles contenues dans la lettre.
53De façon caractéristique, un peu plus d’un an plus tard, en août 1250, le roi, libéré de sa captivité et ayant rejoint la Terre sainte, écrit une lettre fameuse qui donne la version, qu’on peut de ce fait qualifier d’officielle, de la croisade. Sans rien dissimuler de l’étendue du désastre, Louis oriente le récit qui doit en être donné. De manière significative, pour ne prendre que cet exemple, la témérité du comte d’Artois est passée sous silence : à moins d’admettre que les autres sources, y compris Joinville, qui mettent en cause l’attitude de son frère, aient tout inventé, il faut admettre que Saint Louis, pour des raisons bien compréhensibles, a préféré ne pas évoquer la responsabilité de Robert ; tout au contraire, celui-ci est considéré dans la lettre comme un martyr, une idée que reprendra un des hagiographes de Louis, Guillaume de Saint-Pathus90. Bien entendu, la longue lettre d’août 1250 n’est pas parvenue à s’imposer complètement, même si, dans son Speculum historiale, le dominicain Vincent de Beauvais, en tire les éléments de son récit de la croisade91. Mais on peut toutefois retenir que Saint Louis s’est préoccupé continûment d’exposer son action et de justifier ses choix, jusqu’à endosser la responsabilité de l’échec. En cela aussi, et même dans le malheur, il s’est voulu chef de guerre.
Conclusion
54Saint Louis a donc été pleinement un chef de guerre et un homme de guerre. Naturellement, dans le contexte de la procédure de canonisation, la postérité a surtout retenu de lui sa foi exigeante et sa volonté d’établir la paix entre chrétiens, manifestée par les négociations fructueuses avec le roi d’Aragon (traité de Corbeil, 1258) et le roi d’Angleterre (traité de Paris, 1259), comme par le rôle d’arbitre qu’il joue à plusieurs reprises dans les années 1260. Rex pacificus magnificatus est : « le roi pacifique a été magnifié », comme le dit le sermon par lequel Boniface VIII annonce la canonisation de Louis, en août 129792. Chez les hagiographes, comme chez ceux qui, tout en admirant Saint Louis, n’ont pas explicitement voulu faire de lui un saint, à l’image du moine anglais Matthieu Paris ou du franciscain italien Salimbene de Adam, l’aspect belliqueux n’a guère été mis en avant. Pourtant, de tous les rois capétiens, Saint Louis est certainement celui qui s’est le plus consacré à la guerre : l’immensité des préparatifs, leur coût faramineux, l’éloignement des théâtres d’opération, rien de tout cela n’a son équivalent dans l’histoire des guerres menées par les Capétiens, sinon peut-être les grandes entreprises de son frère Charles d’Anjou ; peut-être, il est vrai, si elles étaient mieux documentées, les expéditions outremer de Louis VII et de Philippe Auguste permettraient de relativiser l’effort accompli par Saint Louis.
55Pour autant, Saint Louis ne paraît pas aimer la guerre autant que certains membres de sa famille. Profondément épris de paix, Louis ne fit la guerre que dans un contexte religieux, là où les hommes de guerre véritables de son entourage, son frère Charles d’Anjou ou son neveu Robert II d’Artois, prenaient visiblement goût aux affaires militaires pour elles-mêmes ; encore qu’on pourrait défendre à propos de Charles l’idée qu’il ne fit la guerre que pour défendre ce qu’il estimait devoir lui revenir, tandis que Robert paraît davantage attiré par la vie des camps et l’ambiance des tournois ou des combats, probablement comme son père93. À cet égard, dans la famille capétienne, ce sont d’ailleurs plutôt les deux Robert d’Artois qui se révèlent les exceptions, tant on devine chez beaucoup de leurs parents une certaine réticence envers la guerre, chez Saint Louis et Alphonse de Poitiers, ou, à la génération suivante, Pierre d’Alençon et Charles II d’Anjou. « Faire la guerre sans l’aimer », comme disait Malraux : c’est probablement ainsi qu’on pourrait caractériser le rapport de Saint Louis à la guerre.
Notes de bas de page
1Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 228.
2J’ai eu la chance de rencontrer Jacques Le Goff à quatre reprises, entre 2007 et 2013, à chaque fois dans le cadre des Lundis de l’Histoire. D’abord pour commenter les livres de Dominique Barthélemy, La Chevalerie, Paris, Fayard, 2007 et la Nouvelle Histoire des Capétiens, Paris, Le Seuil, 2012 ; puis en compagnie de Philippe Contamine, pour mes propres livres, Courtrai, 11 juillet 1302, Paris, Tallandier, 2012, et L’Armée du roi de France. La guerre de Saint Louis à Philippe le Bel, Paris, Perrin, 2012 ; il n’est pas nécessaire de dire à quel point je suis honoré d’avoir pris part à ces quatre émissions, en compagnie de trois très grands historiens. Tout en m’inclinant devant l’œuvre de Jacques Le Goff, je dois dire que je suis plus proche de la démarche de Jean Richard, telle qu’elle s’exprime notamment dans son Saint Louis, op. cit. L’aspect guerrier ou militaire de Louis IX n’a pas beaucoup retenu l’attention de Le Goff, lequel, lors de la dernière émission à laquelle je participai, m’encouragea toutefois à écrire le livre que je projetais alors sur la croisade de Tunis (La dernière croisade, op. cit.).
3C’est le cas également de Salimbene de Adam, Chronique, traduction, introduction et notes Gisèle Besson et Michèle Brossard-Dandré, d’après l’édition du texte latin de Giuseppe Scalia, Paris, Honoré Champion, 2 vol., 2016, à l’index.
4À côté de Jean Richard et de Jacques Le Goff, William Chester Jordan a profondément renouvelé l’interprétation du règne de Saint Louis, mais il s’est peu intéressé aux aspects strictement militaires et guerriers du règne, même s’ils apparaissent dans Louis IX and the Challenge, op. cit., ouvrage pionnier sur les préparatifs de la croisade d’Égypte. On peut aussi citer « Persona et Gesta: The Image and Deeds of the Thirteenth-Century Capetians 2. The Case of Saint Louis », Viator, t. XIX, 1988, p. 209-217 ; Men at the Center, op. cit. ; La Prunelle de ses yeux, op. cit. Il faut enfin citer, parmi les nombreux travaux de Cecilia Gaposchkin, son article « The Captivity of Louis IX », Quaestiones Medii Aevi Novae, t. XVIII, 2013, p. 85-114.
5Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 2 et 6 ; voir aussi § 19 ; deux études importantes ont porté sur Joinville et la guerre : Contamine Philippe, « Joinville, acteur et spectateur de la guerre d’outremer », in Jean Dufournet et Laurence Harf (dir.), Le Prince et son historien, op. cit., p. 33-49 ; Bur Michel, « Un miroir à plusieurs faces. La Vie de Saint Louis par Joinville », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2017, p. 1399-1416.
6Tirant une partie de ses éléments de ma thèse, L’Ost de France. La guerre, les armées, la société politique (fin du règne de Saint Louis-fin du règne de Philippe le Bel), décembre 2004, université Paris-Sorbonne, dir. Jacques Verger, cette étude s’insère dans une série de travaux préparant la publication d’un livre sur la croisade d’Égypte : « La prise de Damiette (juin 1249) : Saint Louis prend pied en Égypte », Revue historique des Armées. Revue d’histoire militaire, no 305, 2022, p. 5-18 ; « “Châtillon, chevaliers, où sont mes prudhommes ?” Bons et mauvais chevaliers dans la Vie de Saint Louis de Joinville », Revue du Nord, t. CV, no 446, janvier-juin 2023, p. 231-248. En dehors des travaux cités plus haut (Jacques Le Goff, Jean Richard, William Jordan), toute recherche sur la croisade d’Égypte part de Jackson Peter, The Seventh Crusade, 1244-1254, op. cit., où se trouvent rassemblées et traduites en anglais de nombreuses sources relatives à l’expédition, avec une remarquable amplitude chronologique ; une synthèse précieuse est fournie par Strayer Joseph Reese, « The crusades of Louis IX », in Kenneth M. Setton (dir.), History of the Crusades: The Later Crusades, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1962, t. II, p. 487-518.
7Richard Jean, Saint Louis, op. cit. p. 30-32.
8Sur les Capétiens et la guerre, Hélary Xavier, L’Armée du roi de France, op. cit., notamment p. 13-38 et 64-65 ; Louis VII a été récemment étudié sous cet angle, dans deux contributions très suggestives : Hosler John D., « The War Councils and Military Advisers of Louis VII of France » et Marvin Laurence W., « King Louis VII as General on the Second Crusade: A Failure of Command, Control and Communication », in Michael L. Bardot et Laurence W. Marvin (dir.), Louis VII and his World, Leyde/Londres, Brill, « Later Medieval Europe, 18 », 2018, p. 11-28 et 29-49.
9La « Bible de Maciejowski », du nom d’un cardinal polonais qui en fut le possesseur, est pour l’essentiel conservée à la Pierpont Morgan Library, New York ; des feuillets se trouvent aussi à la BnF et au J. Paul Getty Museum, Los Angeles. On peut se reporter aux contributions réunies par Noel William et Weiss Daniel (dir.), The Book of Kings. Art, War, and the Morgan Library’s Medieval Picture Bible, The Walters Art Museum/Third Millenium Publishing, Londres, 2002, notamment celle de Stephen N. Fliegel, « The Art of War: Thirteenth Century Arms and Armor », p. 83-97.
10Petit-Dutaillis Charles, Étude sur la vie, op. cit. ; Sivéry Gérard, Louis VIII le Lion, Paris, Fayard, 1995.
11Richard Jean, « L’adoubement de Saint Louis », Journal des Savants, no 3-4, 1988, p. 207-217.
12Des éléments existent sur l’entrée en chevalerie des princes suivants : Philippe Ier (1067), Louis VIII (1209), Philippe Hurepel (1222), Robert Ier d’Artois (1237), Alphonse de Poitiers (1241), Charles d’Anjou (1246), Philippe III et Robert II d’Artois (1267), Philippe le Bel (1284), Louis X, Philippe V et Charles IV, avec leurs cousins Robert III d’Artois et Philippe de Valois (1313) ; les références sont données dans L’Armée du roi de France, op. cit., p. 66-67 et 271.
13La citation est de Jean Richard, « L’adoubement de Saint Louis », art. cité, p. 216.
14Sur l’esprit de la chevalerie, Barthélemy Dominique, La Chevalerie. De la Germanie antique à la France du xiie siècle, Paris, Perrin, 2012 (1re éd., Fayard, 2007).
15Sur Philippe III, Hélary Xavier, L’Ascension et la chute, op. cit., p. 21-55, avec renvoi aux travaux antérieurs, surtout Langlois Charles-Victor, Le Règne de Philippe III le Hardi, Paris, Hachette, 1887 ; sur Robert de Clermont, Carolus-Barré Louis, « Robert de France, sixième fils de Saint Louis, comte de Clermont en Beauvaisis et sire de Bourbonnais, 1256-1318 », Autour du donjon de Clermont, témoin de l’histoire. Actes du colloque de Clermont, Paris, GEMOB, 1989, p. 42-63 ; et du même, pour la question des tournois, « Les grands tournois de Compiègne et de Senlis en l’honneur de Charles, prince de Salerne (mai 1279) », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France, 1978-1979, p. 87-100 ; « Raoul d’Estrées, maréchal de France (1269-1283) », ibid., 1985, p. 224-240.
16Joinville, § 85 ; sur le contexte de cet épisode, Richard Jean, Saint Louis, op. cit, p. 88-96 ; les barons étaient commandés par l’oncle du roi, Philippe Hurepel, comte de Boulogne, demi-frère de Louis VIII.
17Joinville mentionne à deux reprises une telle cotte : quand il reproche à Philippe III de dépenser trop d’argent pour ses « cotes brodéez a armer », que Joinville n’avait jamais vues outre-mer, portées par le roi ou quiconque, il lui rappelle qu’il devrait faire « ses atours de bon cendal enforcié batu de ses armes, si comme son pere faisoit » (§ 25) ; la différence, à vrai dire, entre les « cottes brodées » et les atours d’autrefois nous échappe un peu. Le second exemple est plus clair, même s’il ne concerne qu’indirectement le roi : en février 1250, le nouveau commandant des Égyptiens « prist la cote le conte d’Artois, qui avoit esté mort en celle bataille, et la moustra a tout le peuple des Sarrazins et leur dit que c’estoit la cote le roy a armer, qui mort estoit » (§ 261) ; il est clair, ici, que la cotte que portait le comte d’Artois, frappée des fleurs de lys au lambel de Castille, était si proche de celle du roi, aux fleurs de lys, que Joinville pensait la confusion possible aux yeux des Égyptiens.
18Richard Jean, Saint Louis, op. cit., p. 45.
19L’étude classique de Bémont Charles, « La campagne de Poitou, 1242-1243 : Taillebourg et Saintes », Annales du Midi, t. V, 1893, p. 289-314 sera bientôt remplacée par les travaux d’Amicie Pelissié du Rausas.
20O’Connell David, The Teachings of Saint Louis, op. cit. ; du même, avec une préface de Le Goff Jacques, Les Propos de Saint Louis, op. cit., p. 189 (c’est dans le 24e des enseignements que le roi déconseille les guerres entre chrétiens à son fils).
21Richard Jean, Saint Louis, op. cit., p. 171-180.
22Hélary Xavier, La dernière croisade, op. cit., p. 14-21.
23Sur Philippe le Bel, Favier Jean, Philippe le Bel, Paris, Fayard, 1978 ; Strayer Joseph Reese, The Reign of Philip the Fair, Princeton, Princeton University Press, 1980 ; Bautier Robert-Henri, « Diplomatique et histoire politique : ce que la critique diplomatique nous apprend de la personnalité de Philippe le Bel », Revue historique, no 259, 1978, p. 3-27 ; Brown Elizabeth A. R., « The Prince is the Father of the King: The Character and Childhood of Philip the Fair of France », Medieval Studies, t. XLIX, 1987, p. 287-334 ; « Moral Imperatives and Conundrums of Conscience: Reflections on Philip the Fair of France », Speculum, t. LXXXVII, 2012, p. 1-36 ; Hélary Xavier, L’Armée du roi de France, op. cit., p. 26-28.
24Jordan William Chester, Louis IX and the Challenge, op. cit.
25Sur les préparatifs diplomatiques de la croisade d’Égypte, Richard Jean, Saint Louis, op. cit., p. 183-193 ; van Tricht Filip, The Horoscope of Emperor Baldwin II. Political and Sociocultural Dynamics in Latin-Byzantine Constantinople, Leyde/Boston, Brill, 2019.
26Hélary Xavier, La dernière croisade, op. cit., p. 43-65.
27Pour Innocent IV, voir Berger Élie, « Saint Louis et Innocent IV. Étude sur les rapports de la France et du Saint-Siège », in Élie Berger, Les Registres d’Innocent IV, Paris, t. II, Ernest Thorin, 1887, p. i-ccxciii, notamment le chap. vi, p. cxxii-clxix, « Préparatifs de la croisade ». Pour Clément IV, voir Dossat Yves, « Guy Foucois », art. cité et Bautier Robert-Henri, « Un grand pape méconnu », art. cité. ; Carraz Damien et Le Blévec Daniel (dir.), « Gui Foucois, pape Clément IV, et le Midi », Cahiers de Fanjeaux, no 57, 2023.
28Viard Jules, « Les projets de croisade de Philippe de Valois », BEC, no 97, 1936, p. 305-316, ici p. 314.
29Charansonnet Alexis, « Du Berry en curie. La carrière du cardinal Eudes de Châteauroux (1190 ?-1273) et son reflet dans sa prédication », Revue d’histoire de l’Église de France, no 86, 2000, p. 5-37 ; Montaubin Pascal, « Raoul Grosparmi, l’intime normand de Saint Louis (années 1254-1262) », Cahier des Annales de Normandie, no 35, « De part et d’autre de la Normandie médiévale. Recueil d’études en hommage à François Neveux », 2009, p. 417-438.
30Powell James M., Anatomy of a Crusade, 1213-1221, Philadelphie (PA), University of Pennsylvania Press, 1986 ; Perry Guy, John of Brienne. King of Jerusalem, Emperor of Constantinople, c. 1175-1237, Cambridge, CUP, 2013.
31Hélary Xavier, La dernière croisade, op. cit., chap. v : « Pourquoi Tunis », p. 110-139, avec renvoi à la bibliographie.
32À vol d’oiseau, Acre est à 350 kilomètres de Damiette ; Limassol à 380 kilomètres.
33M. Powell James, Anatomy of a Crusade, op. cit. ; Perry Guy, John of Brienne, op. cit., p. 89-121.
34Le dossier documentaire est présenté par Monfrin Jacques, « Joinville et la prise de Damiette (1249) », Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, vol. 120/2, 1976, p. 268-285 ; je renvoie à mon article cité plus haut, « La prise de Damiette (juin 1249) ».
35Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 165.
36Ibid. § 168 ; dans les deux cas, « le roy Jehan » est Jean de Brienne, roi de Jérusalem du chef de sa femme Marie de Montferrat.
37Foulet Alfred, Lettres françaises du xiiie siècle. Jean Sarrasin. Lettre à Nicolas Arrode (1249), Paris, Honoré Champion, 1921, p. 1-9, ici p. 9.
38RHGF, t. XX, p. 370 (ubi terram similiter illi ceperant, qui in alia obsidione Damietae cum Johanne rege Hierusalem fuerant).
39Ibid., p. 372 (quoniam alias tempore Johannis regis Hierusalem, illis in partibus per ejus decrescentiam damnum incurrerat exercitus Christianus).
40Perry Guy, John of Brienne, op. cit., p. 122-156.
41Hélary Xavier, « Jean d’Acre, Butler of France Diplomat and High Servant of the Capetian Crown (d. 8 janvier 1296) », in Cecilia M. Gaposchkin et Jay Rubinstein (dir.), Political Ritual and Practice in Capetian France: Essays in Honor of Elizabeth A. R. Brown, Brepols, Turnhout, 2021, p. 211-264 (traduit en anglais par Cecilia Gaposchkin).
42Bouet Pierre, Hastings. 14 octobre 1066, Paris, Tallandier, 2010, p. 72-78.
43Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 150.
44Cahen Claude et Chabbouh Ibrahim, « Le testament d’al-Malik as-Sālih Ayyūb », Bulletin d’études orientales, no 29, « Mélanges offerts à Henri Laoust », vol. 1, 1977, p. 97-114.
45Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 30.
46Ibid., § 146.
47Ibid., § 146.
48Ibid., § 148.
49Ibid., § 163.
50Ibid., § 163 : « Lors envoia querre le roy le legat et touz les prelas de l’ost, et chanta l’en hautement Te Deum laudamus ; lors monta le roy et nous touz, et nous alames loger devant Damiete. »
51Ibid., § 214 : « quant le roy vist ce, il manda touz ses barons pour avoir conseil ».
52Ibid., § 183.
53Ibid., § 173 : « Les preudesomes chevaliers qui estoient avec le roy vous ai-je ramenteu pour ce que il en y avoit avec li VIII., touz bons chevaliers, qui avoient eu pris d’armes desa mer et dela, et tiex chevaliers soloit l’en appeler bons chevalierz. »
54Ibid., § 231.
55Ibid., § 232-233.
56Ibid., § 311.
57« Continuation Rothelin », Recueil des historiens des croisades. Historiens occidentaux, Paris, Imprimerie impériale, t. II, 1869, p. 595.
58On en trouve au moins un autre exemple dans la Vie de Saint Louis par Guillaume de Nangis : Die Sabbathi post Ascensionem Domini, cum jam in navi sua esset, ex congregans ibidem majores exercitus, de ipsorum consilio publicatum fuit per exercitum quod apud Damietam universi cum Dei adjutorio dirigerent iter suum (RHGF, t. XX, p. 370).
59« Continuation Rothelin », Recueil des historiens des croisades, op. cit., p. 603.
60Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 218.
61« Continuation Rothelin », op. cit., p. 604-605.
62Ibid., p. 606 ; quelques jours plus tard, il faudra de nouveau que le roi ranime le moral de ses barons : « et il leur dit beaucoup d’autres belles paroles pour les réconforter » ; « et moult d’autres beles paroles leur dist pour eulz reconforter » (Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 279).
63Paris Matthieu, Chronica Majora, op. cit., t. V, 1880, p. 132-134 ; Lloyd Simon, « William Longespee II: The Making of an English Crusading Hero (part I) », Nottingham Medieval Studies, t. XXXV, 1991, p. 41-69, aux p. 42-43.
64Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 176.
65Contamine Philippe, L’Oriflamme de Saint-Denis aux xive et xve siècles. Étude de symbolique religieuse et royale, Nancy, université Nancy II, Institut de recherche régionale, 1975.
66La place de l’oriflamme est citée par plusieurs sources : lettre de Jean Sarrazin, p. 4 ; Nangis Guillaume de, RHGF, t. XX, p. 570.
67« Et in nomine Dei descenderunt, galea domini regis aliquantulum praecedente, et ceperunt terram per Dei gratiam », in dom Luc d’Achéry, Spicilegium sive collectio veterum aliquot scriptorum, t. III, nouv. éd., Paris, Montalant, 1723, p. 665.
68Hélary Xavier, La dernière croisade, op. cit., p. 143.
69Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 8.
70Ibid., § 162.
71Foulet Alfred, Lettres françaises du xiiie siècle, op. cit., p. 5-6, § XI-XII ; mention équivalente dans la lettre de Jean de Beaumont à Geoffroi de La Chapelle (p. 19) ; en revanche, la lettre de Robert d’Artois à Blanche de Castille n’en dit rien (p. 16-18).
72RHGF, t. XX, p. 370.
73Barthélemy Dominique, La Bataille de Bouvines, op. cit., p. 119-126 ; Hélary Xavier, L’Armée du roi de France, op. cit., p. 34-35.
74Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 236.
75« Continuation Rothelin », Recueil des historiens des croisades, op. cit., p. 607.
76Ibid., p. 608.
77RHGF, t. XX, p. 376 : « In illo enim instanti, cum videret rex Christianissimus horam diei dici nonam declinare ad vesperam, petiit a quodam suo capellano juxta se stante breviarium, ut horae que preterierat laudes Domino decantarent. Magis enim erat sollicitus devotus rex quomodo creatori suo servitium impenderet, quam fuge et evasionis presidium prepararet. »
78Hélary Xavier, La dernière croisade, op. cit., p. 140-165.
79Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 6.
80Ibid., § 7-15.
81Gaposchkin M. Cecilia, « The Captivity of Louis IX », art. cité.
82Riant Paul-Édouard, « Déposition de Charles d’Anjou pour la canonisation de Saint Louis », in Notices et documents publiés pour la Société de l’Histoire de France à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa fondation, Paris, Librairie Renouard, 1884, p. 155-176, aux p. 164-165 (trad. fr.) et 171 (texte latin).
83« Continuation Rothelin », Recueil des historiens des croisades, op. cit., p. 612.
84Hélary Xavier, La dernière croisade, op. cit., p. 8-9.
85Joinville Jean de, Vie de Saint Louis, op. cit., § 207.
86« Continuation Rothelin », Recueil des historiens des croisades, op. cit., p. 613.
87Riant Paul-Édouard, « Déposition de Charles d’Anjou », art. cité, p. 165 (texte latin, p. 171-172).
88Ibid., p. 168 (texte latin, p. 174).
89[Vincent de Beauvais], Bibliotheca mundi seu Speculi Majoris Vincentii Burgundi praesulis Bellovacensis ordinis praedicatorum, Douai, t. IV, Ex officina Typographica Baltazaris Belleri, p. 1319.
90La remarque est faite par Simon Lloyd, « William Longespée II », art. cité, p. 47.
91Ibid., p. 49.
92Carolus-Barré Louis, Le procès de canonisation, op. cit.
93Hélary Xavier, « Robert II, comte d’Artois. Qu’est-ce qu’un chef de guerre à la fin du xiiie siècle ? », Rivista di storia militare, t. I, 2012, p. 71-84.
Auteur
-
Xavier Hélary
Sorbonne Université ; École pratique des hautes études.
Xavier Hélary, né en 1976, est professeur d’histoire du Moyen Âge à Sorbonne Université et directeur d’études à l’École pratique des hautes études. Il a fait sa thèse de doctorat sur les armées des rois capétiens de Saint Louis à Philippe le Bel (L’Armée du roi de France, Paris, Perrin, 2012), puis il a étudié la société politique au temps de Philippe III (L’Ascension et la chute de Pierre de La Broce, chambellan du roi [† 1278], Paris, Champion, 2021). Après un livre sur l’expédition de Tunis (La Dernière croisade, Paris, Perrin, 2016), il travaille actuellement sur la croisade d’Égypte (1248-1254).

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008