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    Plan détaillé Texte intégral L’Epistula 65 de Pierre Damien en son contexte Entre récit, autojustification et manuel réformateur : la lettre 65, un document singulier « Pierre Damien n’est pas un collègue. » Retour critique sur un récit des déchirures milanaises Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Communautés déchirées ?

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    Table des matières

    Milan en loques ?

    Une communauté urbaine déchirée par les hérésies cléricales à l’époque de la légation de Pierre Damien (1059)

    Isabelle Rosé

    p. 113-128

    Texte intégral L’Epistula 65 de Pierre Damien en son contexte Entre récit, autojustification et manuel réformateur : la lettre 65, un document singulier « Pierre Damien n’est pas un collègue. » Retour critique sur un récit des déchirures milanaises Conclusion Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1La plupart des sources de la seconde moitié du xie siècle décrivent Milan comme une communauté urbaine déchirée par l’irruption d’un groupe de réformateurs, la Pataria, en lutte contre les clercs indignes de leur cité. L’affaire, que l’on situe généralement entre 1057 et 1095, a été souvent analysée comme le prototype ou le laboratoire des luttes grégoriennes1. On y trouve en effet trois ingrédients décisifs : la focalisation des combats sur l’incontinence cléricale et la simonie ; l’intervention du pape pour soutenir le groupe réformateur, puis celle de l’empereur aux côtés du clergé « traditionnel » ; enfin, l’implication de laïcs qui constituèrent une force décisive pour les réformateurs, notamment en termes d’usage de la violence2. Cette première affaire « grégorienne » naquit au cœur d’un archevêché autonome au sein de l’Église et indépendant de Rome, qui puisait son prestige dans la figure d’Ambroise, perçue comme l’origine de coutumes ecclésiales et liturgiques propres3. Son archevêque était par ailleurs la clé des relations vassaliques de Milan, tandis que son clergé se recrutait dans la haute aristocratie. Comme de nombreuses études l’ont souligné, le mouvement de la Pataria fut en effet aussi l’expression de tensions sociales, dans la mesure où il semble avoir mobilisé – au moins en partie – certaines franges modestes de la population citadine. Selon l’une des sources, le Liber ad amicum de Bonizon de Sutri († 1090), c’est d’ailleurs pour cette raison socio-économique que le groupe hostile au clergé milanais aurait été qualifié par ses adversaires de « Patarins », terme qui dériverait de pannosus (loqueteux, déguenillé en latin)4.

    2Je propose d’examiner le déchirement de la communauté urbaine de Milan au début de la Pataria, à partir d’un texte relativement connu : la longue lettre 65 de Pierre Damien († 1072)5. Ce dernier, alors cardinal-évêque d’Ostie, y fait le récit de la légation qu’il entreprit à Milan en 1059, au nom du pape Nicolas II, pour apaiser la situation de la cité, crispée depuis deux ans. Il adressa cette lettre à Hildebrand († 1085), le futur pape Grégoire VII, à la fin de l’année 10596. Or, ce texte mérite d’être réexaminé à nouveaux frais, notamment parce que de nouvelles éditions invitent à modifier la chronologie des événements de l’année 1059 et donc à interpréter son contenu sous un jour différent, de manière plus critique.

    3Dans le cadre de la réflexion menée dans ce volume sur les déchirures grégoriennes, les propos de la lettre 65 méritent d’ailleurs d’être tout particulièrement décortiqués. Comme le montre la figure 1, il s’agit en effet du récit le plus précoce, qui décrit de surcroît explicitement la situation milanaise au début des événements patarins (figurés en cartouches gris). Tous les autres témoignages sont plus tardifs, rédigées au plus tôt treize ans après les faits, ce qui confère à la version de Pierre Damien une dimension exceptionnelle. La lettre 65 est par ailleurs le tout premier texte qui évoque les déchirures d’une cité comme le résultat de l’action conjointe de deux hérésies jumelles, l’hérésie simoniaque (simoniaca haeresis) et l’hérésie des Nicolaïtes (haeresis Nicolaitarum), qui n’avaient jamais été couplées auparavant. Enfin, Pierre Damien décrit en détail les mesures prises, c’est-à-dire qu’il permet de comprendre comment, en 1059, la papauté réformatrice chercha à raccommoder les déchirures d’une communauté urbaine.

    Figure 1. – Chronologie des principales sources sur la Pataria milanaise.

    L’Epistula 65 de Pierre Damien en son contexte

    4Pour bien comprendre le sens de la lettre 65, il faut revenir d’abord sur les événements de la Pataria, tels que l’on peut les reconstituer à partir de sources tardives et partiales, avant de s’interroger sur le contexte immédiat de la missive de Pierre Damien.

    5Au printemps 1057, un clerc de Milan rigoriste, Ariald († 1066), dénonça dans ses prédications la vie matrimoniale des clercs milanais, qui était une pratique relativement fréquente en Occident, notamment dans les milieux canoniaux7. Ces prêches galvanisèrent certains clercs et laïcs de la cité qui formèrent un mouvement hostile aux formes prises par l’Église milanaise. L’un de leurs moyens de pression contre les clercs qu’ils jugeaient indignes fut le boycott des sacrements (ou « grève liturgique »). Ce groupe agit parfois violemment contre les clercs de la cité, les sépara de force de leurs épouses et s’appropria leurs biens. L’archevêque de Milan, Guido da Velate, tenta de calmer le jeu, en convoquant un concile à Fontaneto, en novembre 1057, qui excommunia Ariald et un autre chef patarin, Landolf « Cotta », en leur absence8.

    6Au moment de ce concile, les deux meneurs de la Pataria s’étaient en effet rendus à Rome et avaient obtenu l’appui d’Étienne IX. De fait, le milieu pontifical de l’époque était assez proche idéologiquement de ce que l’on peut reconstituer des discours patarins sur l’importance de l’exemplarité du sacerdoce9. On sait qu’une légation romaine y fut envoyée à la fin de l’année 1057, qui ne fit probablement rien sur place, puisqu’elle n’y resta que quelques jours. On ignore totalement ce qui se passa à Milan pendant l’année 1058, d’autant que la papauté entra alors dans une crise grave en mars, à la mort d’Étienne IX. Deux papes furent en effet élus, Benoît X par l’aristocratie romaine et Nicolas II par le parti réformateur qui était au pouvoir depuis Léon IX, mais qui avait été chassé de la Ville10. Nicolas II finit par être consacré à Rome en janvier 1059, mais sa situation resta longtemps fragile parce que Benoît X était toujours pape et qu’il s’était réfugié chez l’un de ses partisans, non loin de Rome. C’est sans doute pour conforter sa situation que le pape nouvellement intronisé organisa un concile dans le palais du Latran, au printemps 1059. Dans ce même contexte, Nicolas II semble aussi avoir envoyé Pierre Damien et Anselmo da Baggio († 1073) à Milan.

    7Plusieurs sources indiquent que le pape envoya une seconde légation dans la cité ambrosienne en 1059, celle que raconte Pierre Damien dans la lettre 65 qui fut écrite probablement en décembre 1059. L’historiographie a hésité entre deux dates pour cette mission11. Selon une première hypothèse, elle aurait eu lieu juste avant la rédaction de la lettre, en octobre 1059, datation retenue aujourd’hui encore par tous les travaux italiens, dans la lignée de Giovanni Miccoli12. Dans le sillage de l’historiographie allemande et en se fondant sur les sources narratives milanaises (rédigées il est vrai parfois assez longtemps après l’affaire), Dieter Hägermann a pour sa part soutenu récemment que la légation aurait eu lieu plutôt entre la consécration de Nicolas II (en janvier) et le concile du Latran (tenu au printemps 1059)13.

    8Cette dernière hypothèse peut être confirmée par d’autres éléments. Le raisonnement de Giovanni Miccoli (qu’il reconnaissait lui-même comme fragile) reposait principalement sur deux arguments : le titre d’archidiacre, que porte Hildebrand dans l’Epistula 65, ne fut acquis qu’entre le 23 août et le 14 octobre 1059 ; l’Epistula 65 ne connaît pas l’existence de canons antisimoniaques promulgués par Nicolas II lors d’un concile romain, qui aurait été tenu en 1060 selon l’historien. Aucun de ces arguments n’est aujourd’hui recevable. Giovanni Miccoli a confondu la date de la légation et celle de la lettre adressée par Pierre Damien à l’archidiacre Hildebrand. La mission pourrait très bien avoir eu lieu avant que ce dernier ne soit promu, c’est-à-dire avant août 1059 au plus tard. En outre, la plupart des mesures antisimoniaques attribuées par Giovanni Miccoli au concile de Rome de 1060 furent en réalité prises au concile du Latran tenu au printemps 1059, selon la réédition récente des pièces de cette assemblée14. De fait, si Pierre Damien ne pouvait pas agir comme il le fit à Milan en connaissant la législation antisimoniaque de Nicolas II, la légation a nécessairement eu lieu avant le concile de Rome de 1059, c’est-à-dire entre janvier 1059 (intronisation de Nicolas II) et l’ouverture du synode (mi-avril 1059). On peut ajouter un troisième argument : cette succession d’événements (intronisation de Nicolas II [janvier] ; légation de Pierre Damien à Milan [janvier-mi-avril] ; concile de Rome [mi-avril-début mai] ; rédaction par Pierre Damien de sa lettre 65 [octobre-décembre]) trouve une confirmation chez certains chroniqueurs tardifs. Bien que tenants de lignes idéologiques radicalement différentes, Arnulf de Milan et Bonizon de Sutri rapportent en effet tous deux que la légation de Pierre Damien fut suivie du concile romain où Guido da Velate fut interpelé publiquement sur la situation de son diocèse et où fut élaboré le décret sur l’élection du pape (un texte daté avec certitude d’avril-mai 1059)15. L’archevêque milanais et plusieurs de ses suffragants souscrivirent d’ailleurs ce document, ce qui confirme les dires des deux chroniqueurs16. Habituellement rare lors des conciles pontificaux, la présence de plusieurs prélats de la province ecclésiastique de Milan à l’assemblée tenue à Rome au printemps 1059 constitue ainsi un argument supplémentaire pour situer la deuxième légation juste avant17. Plusieurs décisions de ce concile rappellent d’ailleurs étrangement la situation milanaise, ce qui laisse penser que l’on chercha alors à normaliser et à encadrer juridiquement certaines pratiques patarines, dans la continuité de ce qu’avaient élaboré sur place Pierre Damien et Anselmo da Baggio lors de leur légation18.

    9Cette redatation entre janvier et avril 1059 invite à examiner à nouveaux frais l’ensemble du dossier de la deuxième légation milanaise. Cette dernière a visiblement eu lieu dans le contexte très incertain de la coexistence de deux papes, qui cherchaient chacun à rallier des partisans. En intervenant dans la crise milanaise, les légats de Nicolas II ne pouvaient se permettre de se mettre complètement à dos les clercs d’une cité aussi puissante que Milan. Un tel contexte explique la teneur assez molle des décisions prises, qui cherchèrent à ménager chaque camp, en reconnaissant malgré tout la légitimité des luttes patarines19. De fait, aucun clerc milanais ne fut déposé définitivement, mais tous durent se soumettre à une pénitence publique.

    10Par ailleurs, ainsi que l’a souligné Dieter Hägermann, la redatation de la légation permet d’appréhender différemment la lettre 65, comme un document écrit « à froid », huit à onze mois après ce qu’il raconte, alors que le contexte avait profondément changé20. La situation s’était tout d’abord probablement dégradée en Lombardie, dans la foulée du concile de Rome, tenu au printemps, pour plusieurs raisons. L’archevêque de Milan, qui avait été mis en accusation par l’assemblée tenue au Latran, semble être rentré dans sa cité sans véritable sanction, tandis que l’un des chefs de la Pataria, Landolf « Cotta », également présent à Rome, fut grièvement blessé par ses adversaires sur le chemin du retour21. On sait aussi que la très grande majorité des évêques de Lombardie refusa de communiquer dans leurs cités les décisions du concile romain (qui avaient condamné lourdement l’incontinence cléricale et les trafics simoniaques), ce qui aurait provoqué partout des boycotts des prêtres par les laïcs, comme cela avait été le cas à Milan22. Du point de vue du contexte, un autre changement majeur fut la capture de l’antipape Benoît X par le parti réformateur, au début de l’été 1059. Par conséquent, l’unité affichée jusqu’ici par l’entourage pontifical de Nicolas II n’était plus nécessaire et Pierre Damien dut essuyer des critiques sur sa gestion de l’affaire milanaise, d’autant plus fortes que – comme on vient de le souligner – les tensions s’étaient sans doute accrues dans la cité dans la foulée du concile de Rome23. La lettre 65 ne peut donc pas être considérée comme un simple récit de la légation : il s’agit d’un texte très étrange, sur lequel il convient à présent de se pencher en détail.

    Entre récit, autojustification et manuel réformateur : la lettre 65, un document singulier

    11Avant de s’interroger sur le sens de la lettre 65, il convient d’en examiner la structure, qui apparaît comme très singulière24. Elle se compose de cinq parties et mêle des genres différents (exposé ecclésiologique sur le fonctionnement de l’Église, sermon, décisions canoniques, textes de serments), notamment beaucoup de discours direct (figuré sur fond gris clair dans la figure 2), enlacé dans un compte rendu de la deuxième légation milanaise.

    Figure 2. – Schéma synthétique de la structure de la lettre 65.

    Les parties sur fond gris clair relèvent d’une insertion de discours direct. Les parties sur fond gris foncé sont des citations d’autorités antérieures, insérées in extenso. Les parties où le nombre de caractères est supérieur à 1 000 ont été figurées en gras.

    12L’Epistula commence par un préambule « hors sol » sur le « privilège de l’Église romaine », c’est-à-dire le droit de Rome d’intervenir dans les affaires ecclésiastiques du monde entier. Ce thème aurait été l’obsession d’Hildebrand qui aurait demandé en vain à Pierre Damien de compiler à ce sujet une collection canonique. Dans la foulée, Pierre Damien explique qu’il a été envoyé à Milan par Nicolas II, car « l’hérésie simoniaque et celle des Nicolaïtes » y sévissaient.

    13Pierre Damien passe ensuite véritablement au récit de sa légation. D’abord bien reçu, son explication des objectifs de sa mission aurait déclenché un début de fronde dans la partie de la population acquise au clergé ambrosien. La situation aurait même dégénéré en émeute dans le palais épiscopal, où un synode avait été convoqué par les légats, en raison de la place attribuée à Anselmo da Baggio. Pierre Damien aurait calmé la foule par un long discours/sermon, inséré dans la lettre, qui souligne les mérites de Milan, mais aussi son devoir de reconnaître l’autorité de Rome.

    14Dans un troisième temps, ce retour au calme aurait permis à Pierre Damien d’interroger un par un les clercs ambrosiens et de se rendre compte qu’ils étaient tous simoniaques. Il développe alors longuement l’éventail des sanctions possibles, depuis la relaxe générale jusqu’à la déposition de tous les clercs, chacune appuyée sur une autorité, scrupuleusement résumée ou citée in extenso. Pierre Damien explique avoir décidé de ne déposer personne en raison de l’ampleur du phénomène, mais avoir contraint les clercs par trois serments à ne plus procéder qu’à des ordinations gratuites pour le futur.

    15La suite de la lettre restitue le texte de plusieurs serments, engageant ceux qui les prêtaient (clercs, puis laïcs) à lutter contre l’hérésie simoniaque et celle des Nicolaïtes.

    16Pour clore son propos, Pierre Damien soumet, dans une conclusion, avec beaucoup de précautions rhétoriques, ses décisions milanaises au jugement pontifical, ce qui confirme l’existence de critiques sur sa gestion de la crise.

    17Au total, la lettre 65 apparaît comme un véritable patchwork narratif, scandé par des sortes de « pièces justificatives » (autorités ou serments), qui interrogent sur sa nature.

    18La lettre 65 apparaît d’abord et avant tout comme une narration entrecoupée de prises de paroles des acteurs présents lors de la légation à Milan (en grisé clair dans la figure 2). On retrouve cette caractéristique dans toutes les sources évoquant la Pataria, qui intègrent systématiquement du discours direct25. Ce trait pourrait s’expliquer par la structuration du mouvement patarin en « communauté textuelle », où des versions écrites de textes circulaient sans doute (notamment des sermons des chefs patarins)26. Sur ce plan, la lettre 65, bien qu’extérieure à Milan, constitua donc une sorte de prototype du récit polémique consacré à la réforme milanaise.

    19Comme l’a souligné Ian Robinson, par sa troisième partie qui recense plusieurs autorités, la lettre 65 s’apparente en outre à un opuscule juridique27. Au-delà de cet usage canonique, l’Epistula 65 a pu être conçue plus largement comme une sorte de manuel à l’usage des réformateurs, avec des modèles de prêches et de serments, pour soumettre un clergé accusé d’hérésies cléricales aux normes romaines. L’hypothèse pourrait être confirmée par la mise en page adoptée par quatre des plus anciens témoins de la lettre, tous copiés directement sur les autographes disparus qui se trouvaient à Fonte Avellana, l’ermitage de Pierre Damien28. La lettre 65 y est en effet systématiquement scandée par des sortes d’intertitres, insérés à gauche dans une écriture rouge, à la fin de chaque paragraphe, avant que ne commence une nouvelle section marquée par une initiale, rouge également (voir figures 3 et 4). Un tel système graphique permettait au lecteur de trouver immédiatement ce que j’ai qualifié précédemment de « pièces justificatives » et donc d’aider un éventuel légat à suivre la même procédure contre les clercs accusés d’hérésie.

    Figure 3. – Intertitre sur la réconciliation des hérétiques (Città del Vaticano, Cod. Chigi A. VII 218 [fol. 51 ro]).

    Figure 4. – Intertitre du serment de l’archevêque de Milan (Città del Vaticano, Cod. Urbin. lat. 503 [fol. 92 ro]).

    20Tant par sa datation que par sa construction, le récit de Pierre Damien n’est enfin pas du tout un témoignage objectif sur la seconde légation milanaise. C’est un plaidoyer pro domo qui entendait légitimer auprès de l’entourage de Nicolas II la teneur des décisions prises à Milan par les légats29.

    « Pierre Damien n’est pas un collègue. » Retour critique sur un récit des déchirures milanaises

    21En paraphrasant la formule célèbre de l’helléniste Nicole Loreaux, il s’agit de souligner à quel point la lettre 65 est un témoignage construit30. Elle documente donc, autant qu’elle occulte, certaines déchirures de la communauté urbaine milanaise, provoquées en premier lieu par la légation lui-même.

    22L’un des éléments les plus intéressants du récit de Pierre Damien est qu’il efface presque totalement la figure de l’autre légat, Anselmo da Baggio, évêque de Lucques31. Le seul moment où ce dernier prend un peu d’épaisseur se situe dans le palais épiscopal, où, selon Pierre Damien, il aurait déclenché involontairement la fronde d’une partie de l’assistance32. Il est fort probable qu’Anselmo n’ait en fait pas été cantonné à ce rôle passif, mais que son arrivée dans la cité ambrosienne, en 1059, fut très mal accueillie par le clergé de la ville : c’était un ancien clerc de Milan et il avait été ordonné par Guido da Velate ; il avait de surcroît participé à la première légation en 1057 et ne semble pas avoir particulièrement soutenu le clergé de la ville. Comme le souligne le témoignage à charge de Landolf Senior, l’un des chroniqueurs milanais, Anselmo était perçu à Milan comme un arriviste jaloux qui cherchait à devenir archevêque en soutenant les Patarins33. Il est ainsi très probable que sa participation aux deux légations ait alimenté les rumeurs sur son ambition au sein du clergé ambrosien.

    23Ce passif éclaire les réactions épidermiques racontées dans la lettre, lorsque l’assistance découvrit que, dans le palais épiscopal, Guido da Velate siégeait à la gauche de Pierre Damien, tandis qu’Anselmo se trouvait à sa droite, à une place privilégiée. Présentée dans l’Epistula 65 comme un simple détail protocolaire, cette situation a pu conforter les rumeurs sur les ambitions d’Anselmo de devenir archevêque avec le soutien de Rome. L’effacement du rôle de l’évêque de Lucques dans le récit de la mission (qui pourrait s’expliquer aussi par une différence de statut entre les deux légats) résulterait donc surtout du fait que sa personne avait cristallisé des oppositions violentes à Milan.

    24L’occultation d’Anselmo permet également à Pierre Damien de se mettre en scène, de manière très exagérée, comme le seul véritable pacificateur de la cité34. L’épisode du palais épiscopal est ainsi décrit comme l’acmé des tensions milanaises, en présence de laïcs déchaînés et « assoiffés du sang du légat », alors que ces derniers ne pouvaient être présents à une assemblée de clercs35. Surtout, la foule milanaise aurait été apaisée immédiatement par le sermon de Pierre Damien sur la primauté pontificale, puis se serait soumise à ses moindres volontés. Si l’on ne peut douter que la situation ait été conflictuelle à Milan, l’efficacité de la parole du légat apparaît ici artificiellement accrue par l’exagération des tensions qui l’avaient précédée.

    25La légation, par la seule présence d’Anselmo da Baggio, a donc déchiré un peu plus la communauté urbaine de Milan, ce que Pierre Damien a passé sous silence. De même l’énumération des serments dans la seconde partie de la lettre occulte la signification du règlement du conflit milanais par les légats, qui fut une sorte de victoire silencieuse et fragile des Patarins.

    26Lors de la seconde légation, Pierre Damien semble avoir utilisé les serments surtout comme un mode de règlement des conflits36. De prime abord, ils apparaissent comme une reconnaissance des fautes passées, mais surtout comme un gage d’apaisement pour l’avenir, clercs puis laïcs milanais promettant de lutter contre les hérésies cléricales et retrouvant – via le serment collectif – une unité brisée37. Une lecture attentive de l’Epistula 65 permet de comprendre que ces serments ont fait l’objet de deux cérémonies séparées, au sein de lieux bien différents. Dans le palais épiscopal, la cérémonie fut centrée sur l’archevêque, contraint de prêter deux sponsiones et de réclamer lui-même sa pénitence pour ses erreurs passées. Cette procédure engagea aussi son entourage, c’est-à-dire l’élite du clergé ambrosien, qui souscrivit le premier des serments. Le neveu de Guido da Velate, sans doute pressenti pour lui succéder, prêta également serment pour que son oncle tienne parole. De son côté, la cérémonie orchestrée dans la cathédrale se tint devant un large public, avec une forte connotation pénitentielle. Elle commença par un serment à lutter à l’avenir contre les hérésies cléricales, prêté sur les Évangiles par le clergé, puis par une très grande partie du populus, une reconnaissance par tous de la légitimité des luttes des Patarins. Plus encore, lorsque Pierre Damien restitua à chaque clerc les insignes de son ordre en échange d’un serment, il commença par un certain Arialdus, selon toute probabilité le chef de la Pataria. La cérémonie de la cathédrale consacra donc la victoire des réformateurs de la cité et la mit publiquement en scène.

    27Malgré tout, le récit de Pierre Damien évoque très peu les Patarins. Leurs chefs ne sont pas mentionnés comme tels, tandis que le courant réformateur n’apparaît pas comme un mouvement structuré dans la lettre 65. La chose est d’autant plus étonnante que l’épistolaire de Pierre Damien confirme a posteriori qu’il a soutenu le parti des réformateurs, mais aussi qu’il a noué des liens durables avec ses principaux représentants38. Pourquoi Pierre Damien reste-t-il si allusif ? Si le but de la lettre était de justifier la position médiane tenue à Milan, il ne fallait sans doute pas se montrer trop explicite sur l’appui donné aux Patarins. Pour se dédouaner d’avoir envenimé la situation milanaise, Pierre Damien devait donc écarter le soupçon qu’il avait favorisé l’une des parties sans pour autant sanctionner l’autre durablement, donnant ainsi à chaque camp l’impression d’être dans son bon droit. La multiplication des serments suggère en outre que la situation avait été stabilisée par le légat, et que la reprise du conflit incombait à l’élite des clercs milanais. Ces derniers ne pouvaient en effet apparaître que comme d’immondes parjures des engagements multiples qu’ils avaient pris.

    28Les serments insérés permettent en dernier lieu de cerner comment Pierre Damien a mis concrètement en œuvre la primauté du pape sur l’Église ambrosienne, en utilisant les ressources de la communication symbolique à plusieurs niveaux.

    29Le légat exigea tout d’abord de l’ensemble de la cité milanaise des serments qui imposaient les normes cléricales romaines. Les Patarins ne semblent en effet pas avoir considéré que le mariage des prêtres relevait de « l’hérésie des Nicolaïtes » : cette idée venait de Rome, tout comme la notion de simoniaca haeresis. Pourtant, la lettre 65 n’évoque ces défaillances cléricales que comme des déviances, qui comptent onze occurrences chacune et sont appariées étroitement sept fois39. Pierre Damien fit ainsi répéter ad nauseam par les clercs et les laïcs présents, dans une cérémonie très ritualisée, que l’Église ambrosienne s’était fourvoyée, mais surtout que les achats de fonctions et l’incontinence ecclésiastique relevaient de l’hérésie simoniaque et de celle des Nicolaïtes.

    30Les gestes imposés aux clercs ambrosiens, et surtout à l’archevêque, mirent en outre en scène sa reconnaissance de l’autorité supérieure de la légation, et donc du pape. Guido fut en effet contraint de prêter l’un des serments in manum à Pierre Damien, adoptant ainsi l’une des postures de l’entrée en fidélité40. La lettre précise ensuite que la pénitence de Guido – fixée à cent ans – était commuable en somme d’argent exigible tous les ans et versée vraisemblablement au pape. Cette pénitence commuée ressemblait donc à s’y méprendre à un cens récognitif des droits de Rome sur Milan.

    31La cérémonie de réconciliation dans la cathédrale mit également en scène l’emprise qu’exerçait désormais Rome sur Milan. Pierre Damien précise en effet que seuls les clercs chastes et érudits avaient retrouvé leur fonction, tandis que les autres étaient simplement réintégrés dans l’Église. Il ajoute surtout que « ceux auxquels on rendait l’autorisation d’exercer leur ministère n’étaient pas rétablis dans l’office qu’ils avaient perdu en vertu de leur ancienne ordination, achetée à tort, mais plutôt grâce à l’autorité très efficiente du saint prince des apôtres41 ». En d’autres termes, aux yeux de Pierre Damien, seuls les mérites de Pierre – dont le pape occupait le siège – avaient rendu leur statut aux clercs milanais. La hiérarchie cléricale milanaise ne tirait donc plus sa légitimité des ordinations conférées à Milan, mais de l’intervention même de la légation qui avait en quelque sorte purifié, au nom du souverain pontife, les sacrements souillés par l’hérésie.

    Conclusion

    32En 1059, les légats envoyés dans la cité ambrosienne ne raccommodèrent pas les déchirures milanaises, car tel n’était pas leur projet, ni celui de Nicolas II. Bien au contraire, en qualifiant les clercs ambrosiens de « simoniaques » et de « nicolaïtes », ils accentuèrent et mirent en scène la fracture entre les Patarins et un clergé hérétique. Cette qualification était en soi une forme d’emprise de Rome sur Milan, parce que ce fut le milieu pontifical réformateur qui conféra à l’hérésie des Nicolaïtes le sens de mariage clérical et ce fut aussi lui qui le lia à la simonie. Surtout, définir le clergé ambrosien comme hérétique fut un puissant levier d’action pour mettre en œuvre, concrètement, la primauté romaine. Seule l’errance dans la foi permettait en effet d’étendre la juridiction du pape sur Milan, qui s’était pensée et vécue jusqu’ici comme un archevêché autonome. Il ne pouvait plus l’être, si ses représentants étaient de vils adeptes de l’hérésie et devaient être sanctionnés et corrigés par l’incarnation de la Vérité, Rome.

    Notes de bas de page

    1Sur l’ampleur chronologique de la Pataria, Cracco Giorgio, « Pataria. “Opus” e “nomen” (tra verità e autorità) », in Ovidio Capitani (dir.), Medioevo ereticale, Bologne, Il Mulino, coll. « Problemi e prospettive. Serie di linguistica e critica letteraria », 1977, p. 157, n. 21. Giorgio Cracco distingue dans la Pataria « l’incubation » (1045-1057), « l’explosion héroïque » (1057-1075) et le « déclin » (1075-1095). Ensuite, le mouvement change profondément de nature.

    2La bibliographie sur la Pataria est tentaculaire. On retiendra les travaux précurseurs de Violante Cinzio, La pataria milanese e la riforma ecclesiastica, t. I : Le premesse, 1045-1057, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, coll. « Studi storici, 11-13 », 1955 et Violante Cinzio, « I laici nel movimento patarino », in Pietro Zerbi (dir.), Studi sulla cristianità medioevale. Società, istituzioni, spiritualità, Milan, Vita e Pensiero, coll. « Cultura e storia, 8 », 1972, p. 145-246. Pour une approche globale, Golinelli Paolo, La pataria. Lotte religiose e sociali nella Milano dell’xi secolo, Milan, Europia/Jaca book, coll. « Le origini. Storie e cronache, 5 », 1984. Pour la dimension communale du mouvement, Keller Hagen, « Pataria und Stadtverfassung, Stadtgemeinde und Reform. Mailand im “Investiturstreit” », in Josef Fleckenstein (dir.), Investiturstreit und Reichsverfassung, Sigmaringen, J. Thorbecke, coll. « Vorträge und Forschungen, 17 », 1973, p. 321-350 et Zumhagen Olaf, Religiöse Konflikte und kommunale Entwicklung. Mailand, Cremona, Piacenza und Florenz zur Zeit der Pataria, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, coll. « Städteforschung. Reihe A. Darstellungen, 58 », 2002.

    3Sur la figure d’Ambroise à Milan, voir récemment Boucheron Patrick et Gioanni Stéphane (dir.), La mémoire d’Ambroise de Milan. Usages politiques d’une autorité patristique en Italie (ve-xviiie siècle), Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome, coll. « Histoire ancienne et médiévale. Série du LAMOP, 2 », 2015 ; Boucheron Patrick, La trace et l’aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan, ive-xvie siècle, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’Univers historique », 2019. Sur les particularités de l’Église milanaise, Alzati Cesare, Ambrosiana ecclesia. Studi sulla Chiesa milanese e l’ecumene cristiana fra tarda Antichita e Medioevo, Milan, NED, 1993.

    4Bonizon de Sutri, Liber ad amicum, éd. Ernst Dümmler, Libelli de lite imperatorum et pontificum, saeculis xi et xii conscripti, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta germaniae historica. Ldl 1 », 1891, p. 591 (livre VI). L’étymologie de Pataria est incertaine dans les sources médiévales et a été discutée par Cracco Giorgio, « Pataria », art. cité. Selon ce dernier, la qualification de pannosus n’aurait été ni concrète, ni sociale pour Bonizon, mais aurait renvoyé à un état d’humilité, compris comme une soumission au pape et un refus de défendre l’Église particulière qu’était Milan, ibid., p. 174-176.

    5Pierre Damien, Epistula 65, éd. Kurt Reindel, Die Briefe des Petrus Damiani, partie II, Munich, Monumenta Germaniae historica, coll. « Monumenta Germaniae Historica. Briefe d. dt. Kaiserzeit 4, 2 », 1988, p. 228-247 (désormais Ep. 65). Parmi les études ciblées sur cette lettre, Palazzini Pietro, « La missione milanese di San Pier Damiani e il “Privilegium S.R. Ecclesiae” », Atti e memorie (Marche), no 7, 1971-1973, p. 171-195 ; Somigli Constanzo, « San Pier Damiani e la Pataria », in San Pier Damiano. Nel ix centenario della morte (1072-1972). vol. 3, Cesena, Centro studi e ricerche sulla antica provincia ecclesiastica ravennate, 1972, p. 193-206 ; Robinson Ian S., « Privilegium Romanae Ecclesiae. The Language of Papal Authority over the Church in the Eleventh Century », in Thomas William Smith (dir.), Authority and Power in the medieval Church, c. 1000-c. 1500, Turnhout, Brepols, coll. « Europa sacra, 24 », 2020, p. 29-65. On peut évoquer aussi le chapitre qu’y a consacré D’Acunto Nicolangelo, I laici nella chiesa e nella società secondo Pier Damiani. Ceti dominanti e riforma ecclesiastica nel secolo xi, Rome, nella sede dell’Istituto, coll. « Studi storici, 50 », 1999, p. 143-168. On ajoutera très récemment Riversi Eugenio, « Der Kontext im Text. Die Untersuchungen über die Textproduktion des Investiturstreits und die Definition eines “gregorianischen” Zeitalters », in Tristan Martine et Jérémy Winandy (dir.), La Réforme grégorienne, une “révolution totale” ?, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 159-176, ici p. 162-164.

    6La date de rédaction de la lettre à la fin de l’année est partagée par toutes les études sur la question.

    7Je résume dans la suite du texte les événements tels qu’ils sont connus depuis Violante Cinzio, La pataria milanese…, op. cit. Cette « vulgate » a été révisée récemment par Lucioni Alfredo, « Gli altri protagonisti del sinodo di Fontaneto: i patarini milanesi », in Cesare Alzati et Giancarlo Andenna (dir.), Fontaneto, una storia millenaria. Monastero, concilio metropolitico, residenza viscontea, Novare, Interlinea, coll. « Studi storici (Novara), 50 », 2009, p. 279-314.

    8Sur ce concile et son but pour le clergé ambrosien, D’Acunto Nicolangelo, « I vescovi del sinodo di Fontaneto (1057) », ibid., p. 273-278 ; voir aussi Alzati Cesare, « Il concilio di Fontaneto e le sue prospettive ecclesiologiche », ibid., p. 315-330.

    9Sur les discours patarins, reconstitué essentiellement à partir de sources hagiographiques, Violante Cinzio, « I laici nel movimento patarino… », art. cité, p. 209-246 ; Zumhagen Olaf, Religiöse Konflikte…, op. cit., p. 35-39.

    10Sur ce contexte, Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend des Investiturstreits. Stephan IX. (1057-1058), Benedikt X. (1058) und Nikolaus II. (1058-1061), Stuttgart, A. Hiersemann, coll. « Päpste und Papsttum, 36 », 2008, p. 58-86.

    11Liste des prises de position dans Ep. 65, p. 230, n. 10. Cette synthèse de références a été reprise et amplifiée par Tomea Paolo, Tradizione apostolica e coscienza cittadina a Milano nel medioevo. La leggenda di San Barnaba, Milan, Vita e Pensiero, 1993, p. 409-411, n. 113.

    12Miccoli Giovanni, « Il problema delle ordinazioni simoniache e le sinodi Lateranensi del 1060 e 1061 », Studi gregoriani per la storia di Gregorio vii e della riforma gregoriana, no 5, 1956, p. 67-69. Cette chronologie est suivie par l’essentiel de l’historiographie italienne, jusqu’à… Pierre Damien, Lettere (41-67), traduction de Adelelmo Dindelli, Lorenzo Saraceno, Costanzo Somigli et Nicolangelo D’Acunto, Rome, Città nuova, 2002, p. 331, n. 1.

    13Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend, op. cit., p. 96-97.

    14Jasper Detlev (éd.), Die Konzilien Deutschlands und Reichsitaliens, 1023-1059, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta Germaniae Historica. Concilia, 8 », 2010, p. 353-407, no 43.

    15Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta Germaniae Historica. SS rer. germ. 67 », 1994, p. 182-186 (chap. xii-xiii). Bonizon de Sutri, Liber ad amicum…, op. cit., p. 593-594 (bien que cette source présente une séquence chronologique faisant se succéder la légation de Pierre Damien et le concile de Rome élaborant le décret sur l’élection du pape, elle la situe de manière erronée après l’alliance de Nicolas II avec les Normands, advenue au cours de l’été 1059).

    16Jasper Detlev (éd.), Die Konzilien Deutschlands und Reichsitaliens…, op. cit., p. 383-393 (pièce B). Ces souscriptions recoupent les descriptions de la mise en accusation de Guido da Velate par les deux chroniqueurs, qui évoquent chacun plusieurs suffragants.

    17Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend, op. cit., p. 95.

    18Jasper Detlev (éd.), Die Konzilien Deutschlands und Reichsitaliens…, op. cit., p. 402-404 (pièce G). Si les canons 3-4 semblent entériner la pratique du boycott des prêtres impurs par les laïcs, d’autres montrent une volonté de limiter ce qui apparaissait comme des exactions graves. Ainsi, le canon 10 interdit aux laïcs de juger les prêtres et de les expulser de leur église, deux pratiques bien attestées par toutes les sources narratives relatives aux événements milanais, voir Violante Cinzio, « I laici nel movimento patarino… », art. cité, p. 171-172 et 182-183. De même, la condamnation par le canon 7 de ceux qui entrent au monastère en ayant reçu la promesse d’y devenir abbé entre en résonance avec le récit hagiographique d’Andrea di Strumi qui relate la lutte des chefs patarins contre ces pratiques. Les canons 7 et 8 interdisent globalement des formes de spéculations sur les églises ou les fonctions (détention d’église par des laïcs ou accaparement de deux églises par un clerc) ; de même, les pratiques reprochées aux néophytes (canon 13), auraient été courantes à Milan.

    19Sur le caractère modéré des décisions prises à Milan, D’Acunto Nicolangelo, I laici nella chiesa e nella società…, op. cit., p. 146.

    20Sur la dimension de rédaction a posteriori de la lettre 65, Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend…, op. cit., p. 95-96.

    21Sur la mise en accusation de l’archevêque de Milan à Rome, Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium…, op. cit., p. 185-186 (livre III, chap. xiii) et Bonizon de Sutri, Liber ad amicum…, op. cit., p. 593-594 (livre VI). Sur l’attentat contre Landolf « Cotta », Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium…, op. cit., p. 186 (livre III, chap. xiii).

    22Bonizon de Sutri, Liber ad amicum…, op. cit., p. 594 (livre VI).

    23L’hypothèse des critiques à l’encontre de la gestion de l’affaire milanaise, qui expliqueraient la rédaction tardive de l’Epistula 65, vient de Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend…, op. cit., p. 96. En revanche, cet historien n’a pas fait le lien entre ces critiques et la capture de Benoît X, ou avec la dégradation de la situation lombarde après le concile de Rome : il évoque seulement les critiques probables d’Humbert de Silva Candida contre Pierre Damien.

    24Beaucoup de lettres de Pierre Damien adoptent des formes particulières (certaines ressemblent à des traités, d’autres à des invectives, d’autres encore ont une dimension programmatique, etc). La singularité n’est donc pas envisagée ici à l’aune de l’épistolaire de Pierre Damien, mais par rapport aux sources narratives qui évoquent la Pataria ou, sur un plan plus historiographique, par rapport à toutes les analyses historiques qui ont envisagé la lettre 65 comme un récit, sans souligner la complexité de la nature de ce texte.

    25Voir par exemple Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium…, op. cit., p. 176-178 (chap. ix) ; Andrea di Strumi, Vita sancti Arialdi, éd. Adolf Hofmeister, Monumenta Germaniae historica. Scriptorum tomus XXX, Pars II, Stuttgart, A. Hiersemann, coll. « Monumenta Germaniae Historica. SS 30, 2 », 1964, p. 1051-1053 (chap. iv); Landolf Senior, Mediolanensis historiae libri quatuor, éd. Wilhelm Wattenbach et Ludwig Conrad Bethmann, Chronica et gesta aevi Salici, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta Germaniae Historica. SS 8 », 1848, p. 79-80 (chap. ix), 81-82 (chap. x), 83 (chap. xiv) et 89-91 (chap. xxii).

    26Sur la structuration de la Pataria en communauté textuelle, Stock Brian, The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the Eleventh and Twelfth Centuries, Princeton, Princeton University Press, 1983, p. 151-240, notamment p. 235-239 sur la circulation de textes au sein de la Pataria.

    27Robinson Ian S., « Privilegium Romanae Ecclesiae… », art. cité, p. 54. Idée reprise par Riversi Eugenio, « Der Kontext… », art. cité, p. 163-164.

    28Il s’agit du témoin Città del Vaticano, Vat. lat. 3797, copié entre 1072 et 1077 à l’ermitage de Fonte Avellana que dirigeait Pierre Damien. Il contient la lettre 65 aux fol. 163 vo-167ro. Un autre témoin, Città del Vaticano, Cod. Urbin. lat. 503, date probablement du xie siècle : il contient la lettre 65 aux fol. 89 ro-94 ro. Parmi les témoins les plus anciens (mais malgré tout postérieurs) figure le manuscrit Montecassino, Biblioteca dell’Abbazia, Cod. 358, copié par des scribes du mont Cassin qui avaient été envoyés à Fonte Avellana et qui travaillèrent après la mort de Pierre Damien, à la fin du xie siècle, voir Gledhill Michael, Peter Damian and « the World ». Asceticism, Reform and Society in 11th-century Italy, Londres, King’s College, 2012, p. 28-29. On peut évoquer enfin le témoin Città del Vaticano, Cod. Chigi A. VII 218, qui provient sans doute du monastère de Pomposa. La lettre 65 y occupe les folios 50 ro-53 vo. Le fait que tous ces témoins aient été copiés directement sur les autographes de Fonte Avellana a été établi par le stemma proposé par Kurt Reindel dans Pierre Damien, Die Briefe des Petrus Damiani, partie I, Munich, Monumenta Germaniae historica, coll. « Monumenta Germaniae Historica. Briefe d. dt. Kaiserzeit 4, 1 », 1983, p. 31-33. Je n’ai pu consulter en ligne que les trois manuscrits conservés à la Bibliothèque vaticane.

    29Idée suggérée, mais pas vraiment développée par Riversi Eugenio, « Der Kontext… », art. cité, p. 162-164.

    30J’emprunte bien évidemment cette formule audacieuse à Loraux Nicole, « Thucydide n’est pas un collègue », Quaderni di Storia, vol. VI, no 12, 1980, p. 55-81, qui a souligné ainsi la nécessité absolue de remettre en contexte une source particulière et de s’interroger sur ses ambitions, sa construction et ses omissions.

    31Lucioni Alfredo, « Legati papali e arcivescovi a Milano tra xi e xii secolo », in Maria Pia Alberzoni et Claudia Zey (dir.), Legati e delegati papali. Profili, ambiti d’azione e tipologie di intervento nei secoli xii-xiii, Milan, Vita e Pensiero, coll. « Storia. Ricerche », 2012, p. 35, n. 15, avait bien noté l’effacement d’Anselmo da Baggio dans le récit de Pierre Damien, mais sans l’expliquer.

    32Ep. 65, p. 231 : « ego in medio residens sive potius praesidens, reverentissimum Mediolanensem archiepiscopum ad sinistram, prudentia quoque ac sanctitate conspicuum Anselmum Lucensem episcopum posuisse mihi accusabar ad dexteram. Hinc porro quanta a frementi populo dici potuerint, non necesse est apicibus tradi, quod nimirum per se valet intellegi ».

    33Sur le portrait d’Anselmo da Baggio par Landolf Senior et son exagération, Violante Cinzio, La pataria milanese…, op. cit., p. 156-160.

    34Sur la mise en scène du rôle de Pierre Damien, D’Acunto Nicolangelo, I laici nella chiesa e nella società…, op. cit., p. 150-151 ; Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend…, op. cit., p. 97-98.

    35Ep. 65, p. 231 : « Intentabant michi, ut ita loquar, omnia mortem, et ut ab amicis meis michi sepe suggestum est, nonnulli meum sanguinem siciebant. »

    36Pierre Damien dit explicitement qu’il a multiplié les serments pour permettre la lutte contre les hérésies cléricales, voir Ep. 65, p. 247 : « Unum autem per omnipotentis Dei clementiam spero, quia post tot iurationum genera, quibus archiepiscopus haec promissa firmavit, post sacramenta tam multiplicis populi per evangelium data, post iuramenta certe omnium clericorum ante sanctum altare litteris et proprio ore prolata, utraeque iste hereses sic in illa aecclesia sunt per argumenta provide coercitionis attritae, ut auctore Deo nostris temporibus non sint ad rediviva certamina reparande. »

    37Zumhagen Olaf, Religiöse Konflikte…, op. cit., p. 93-97, a analysé cette pratique des serments collectifs, qui remontait à Milan aux années 1040, comme un instrument de lutte, un facteur d’intégration au mouvement réformateur et une base pour la paix urbaine. Pour Nagy Piroska, « Quand l’émotion collective prend corps. La Pataria milanaise (1057-1075) », Sensibilités. Histoire, critique & sciences sociales. La chair du politique, no 6, 2020, p. 29, les serments auraient joué plus largement un rôle fondamental, comme voie d’agentivité des laïcs.

    38Somigli Constanzo, « San Pier Damiani e la Pataria », art. cité, p. 199-204.

    39Ep. 65, p. 230 (« duas hereses, simoniacam videlicet et Nicolaitarum ») ; p. 241-242 (« quae hactenus viguit in hac aecclesia, negotiandi consuetudinem, omnemque symoniacam heresim ») ; p. 243 (« de simoniaca et Nicolaitarum heresi delenda ») ; p. 244 (« istas duas, Nicolaitarum videlicet ac symoniacam hereses ») ; p. 244 (« contra Symoniacos et Nicolaitas ») ; p. 245 (« Spetialiter vero atque nominatim simoniacam heresim […], deinde Nicolaitarum aeque abhominabilem heresim ») ; p. 245 (« hae duae hereses, scilicet Simoniacorum et Nikolaitarum ») ; p. 245 (« Symoniacos omnes et Nicolaitas »).

    40Débax Hélène, « Le serrement des mains. Éléments pour une analyse du rituel des serments féodaux en Languedoc et en Provence (xie-xiie siècles) », Le Moyen Âge, no 113, 2007, p. 9-23, ici p. 19-23.

    41Ep. 65, p. 246 : « Illi etiam ipsi, quibus ministrandi licentia redditur, non ex male mercata veteri ordinatione ad amissum reparantur offitium, sed ex illa potius beati apostolorum principis efficacissima auctoritate. »

    Auteur

    • Isabelle Rosé

      Université Rennes 2.

      Isabelle Rosé est maîtresse de conférences HDR en histoire médiévale à l’université Rennes 2. Après avoir travaillé sur le monde monastique réformateur et les réseaux aristocratiques du Premier Moyen Âge, elle consacre actuellement ses recherches à la sexualité des clercs et à l’imposition de la norme du célibat ecclésiastique

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    1Sur l’ampleur chronologique de la Pataria, Cracco Giorgio, « Pataria. “Opus” e “nomen” (tra verità e autorità) », in Ovidio Capitani (dir.), Medioevo ereticale, Bologne, Il Mulino, coll. « Problemi e prospettive. Serie di linguistica e critica letteraria », 1977, p. 157, n. 21. Giorgio Cracco distingue dans la Pataria « l’incubation » (1045-1057), « l’explosion héroïque » (1057-1075) et le « déclin » (1075-1095). Ensuite, le mouvement change profondément de nature.

    2La bibliographie sur la Pataria est tentaculaire. On retiendra les travaux précurseurs de Violante Cinzio, La pataria milanese e la riforma ecclesiastica, t. I : Le premesse, 1045-1057, Rome, Istituto storico italiano per il Medio Evo, coll. « Studi storici, 11-13 », 1955 et Violante Cinzio, « I laici nel movimento patarino », in Pietro Zerbi (dir.), Studi sulla cristianità medioevale. Società, istituzioni, spiritualità, Milan, Vita e Pensiero, coll. « Cultura e storia, 8 », 1972, p. 145-246. Pour une approche globale, Golinelli Paolo, La pataria. Lotte religiose e sociali nella Milano dell’xi secolo, Milan, Europia/Jaca book, coll. « Le origini. Storie e cronache, 5 », 1984. Pour la dimension communale du mouvement, Keller Hagen, « Pataria und Stadtverfassung, Stadtgemeinde und Reform. Mailand im “Investiturstreit” », in Josef Fleckenstein (dir.), Investiturstreit und Reichsverfassung, Sigmaringen, J. Thorbecke, coll. « Vorträge und Forschungen, 17 », 1973, p. 321-350 et Zumhagen Olaf, Religiöse Konflikte und kommunale Entwicklung. Mailand, Cremona, Piacenza und Florenz zur Zeit der Pataria, Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau, coll. « Städteforschung. Reihe A. Darstellungen, 58 », 2002.

    3Sur la figure d’Ambroise à Milan, voir récemment Boucheron Patrick et Gioanni Stéphane (dir.), La mémoire d’Ambroise de Milan. Usages politiques d’une autorité patristique en Italie (ve-xviiie siècle), Paris/Rome, Publications de la Sorbonne/École française de Rome, coll. « Histoire ancienne et médiévale. Série du LAMOP, 2 », 2015 ; Boucheron Patrick, La trace et l’aura. Vies posthumes d’Ambroise de Milan, ive-xvie siècle, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’Univers historique », 2019. Sur les particularités de l’Église milanaise, Alzati Cesare, Ambrosiana ecclesia. Studi sulla Chiesa milanese e l’ecumene cristiana fra tarda Antichita e Medioevo, Milan, NED, 1993.

    4Bonizon de Sutri, Liber ad amicum, éd. Ernst Dümmler, Libelli de lite imperatorum et pontificum, saeculis xi et xii conscripti, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta germaniae historica. Ldl 1 », 1891, p. 591 (livre VI). L’étymologie de Pataria est incertaine dans les sources médiévales et a été discutée par Cracco Giorgio, « Pataria », art. cité. Selon ce dernier, la qualification de pannosus n’aurait été ni concrète, ni sociale pour Bonizon, mais aurait renvoyé à un état d’humilité, compris comme une soumission au pape et un refus de défendre l’Église particulière qu’était Milan, ibid., p. 174-176.

    5Pierre Damien, Epistula 65, éd. Kurt Reindel, Die Briefe des Petrus Damiani, partie II, Munich, Monumenta Germaniae historica, coll. « Monumenta Germaniae Historica. Briefe d. dt. Kaiserzeit 4, 2 », 1988, p. 228-247 (désormais Ep. 65). Parmi les études ciblées sur cette lettre, Palazzini Pietro, « La missione milanese di San Pier Damiani e il “Privilegium S.R. Ecclesiae” », Atti e memorie (Marche), no 7, 1971-1973, p. 171-195 ; Somigli Constanzo, « San Pier Damiani e la Pataria », in San Pier Damiano. Nel ix centenario della morte (1072-1972). vol. 3, Cesena, Centro studi e ricerche sulla antica provincia ecclesiastica ravennate, 1972, p. 193-206 ; Robinson Ian S., « Privilegium Romanae Ecclesiae. The Language of Papal Authority over the Church in the Eleventh Century », in Thomas William Smith (dir.), Authority and Power in the medieval Church, c. 1000-c. 1500, Turnhout, Brepols, coll. « Europa sacra, 24 », 2020, p. 29-65. On peut évoquer aussi le chapitre qu’y a consacré D’Acunto Nicolangelo, I laici nella chiesa e nella società secondo Pier Damiani. Ceti dominanti e riforma ecclesiastica nel secolo xi, Rome, nella sede dell’Istituto, coll. « Studi storici, 50 », 1999, p. 143-168. On ajoutera très récemment Riversi Eugenio, « Der Kontext im Text. Die Untersuchungen über die Textproduktion des Investiturstreits und die Definition eines “gregorianischen” Zeitalters », in Tristan Martine et Jérémy Winandy (dir.), La Réforme grégorienne, une “révolution totale” ?, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 159-176, ici p. 162-164.

    6La date de rédaction de la lettre à la fin de l’année est partagée par toutes les études sur la question.

    7Je résume dans la suite du texte les événements tels qu’ils sont connus depuis Violante Cinzio, La pataria milanese…, op. cit. Cette « vulgate » a été révisée récemment par Lucioni Alfredo, « Gli altri protagonisti del sinodo di Fontaneto: i patarini milanesi », in Cesare Alzati et Giancarlo Andenna (dir.), Fontaneto, una storia millenaria. Monastero, concilio metropolitico, residenza viscontea, Novare, Interlinea, coll. « Studi storici (Novara), 50 », 2009, p. 279-314.

    8Sur ce concile et son but pour le clergé ambrosien, D’Acunto Nicolangelo, « I vescovi del sinodo di Fontaneto (1057) », ibid., p. 273-278 ; voir aussi Alzati Cesare, « Il concilio di Fontaneto e le sue prospettive ecclesiologiche », ibid., p. 315-330.

    9Sur les discours patarins, reconstitué essentiellement à partir de sources hagiographiques, Violante Cinzio, « I laici nel movimento patarino… », art. cité, p. 209-246 ; Zumhagen Olaf, Religiöse Konflikte…, op. cit., p. 35-39.

    10Sur ce contexte, Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend des Investiturstreits. Stephan IX. (1057-1058), Benedikt X. (1058) und Nikolaus II. (1058-1061), Stuttgart, A. Hiersemann, coll. « Päpste und Papsttum, 36 », 2008, p. 58-86.

    11Liste des prises de position dans Ep. 65, p. 230, n. 10. Cette synthèse de références a été reprise et amplifiée par Tomea Paolo, Tradizione apostolica e coscienza cittadina a Milano nel medioevo. La leggenda di San Barnaba, Milan, Vita e Pensiero, 1993, p. 409-411, n. 113.

    12Miccoli Giovanni, « Il problema delle ordinazioni simoniache e le sinodi Lateranensi del 1060 e 1061 », Studi gregoriani per la storia di Gregorio vii e della riforma gregoriana, no 5, 1956, p. 67-69. Cette chronologie est suivie par l’essentiel de l’historiographie italienne, jusqu’à… Pierre Damien, Lettere (41-67), traduction de Adelelmo Dindelli, Lorenzo Saraceno, Costanzo Somigli et Nicolangelo D’Acunto, Rome, Città nuova, 2002, p. 331, n. 1.

    13Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend, op. cit., p. 96-97.

    14Jasper Detlev (éd.), Die Konzilien Deutschlands und Reichsitaliens, 1023-1059, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta Germaniae Historica. Concilia, 8 », 2010, p. 353-407, no 43.

    15Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta Germaniae Historica. SS rer. germ. 67 », 1994, p. 182-186 (chap. xii-xiii). Bonizon de Sutri, Liber ad amicum…, op. cit., p. 593-594 (bien que cette source présente une séquence chronologique faisant se succéder la légation de Pierre Damien et le concile de Rome élaborant le décret sur l’élection du pape, elle la situe de manière erronée après l’alliance de Nicolas II avec les Normands, advenue au cours de l’été 1059).

    16Jasper Detlev (éd.), Die Konzilien Deutschlands und Reichsitaliens…, op. cit., p. 383-393 (pièce B). Ces souscriptions recoupent les descriptions de la mise en accusation de Guido da Velate par les deux chroniqueurs, qui évoquent chacun plusieurs suffragants.

    17Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend, op. cit., p. 95.

    18Jasper Detlev (éd.), Die Konzilien Deutschlands und Reichsitaliens…, op. cit., p. 402-404 (pièce G). Si les canons 3-4 semblent entériner la pratique du boycott des prêtres impurs par les laïcs, d’autres montrent une volonté de limiter ce qui apparaissait comme des exactions graves. Ainsi, le canon 10 interdit aux laïcs de juger les prêtres et de les expulser de leur église, deux pratiques bien attestées par toutes les sources narratives relatives aux événements milanais, voir Violante Cinzio, « I laici nel movimento patarino… », art. cité, p. 171-172 et 182-183. De même, la condamnation par le canon 7 de ceux qui entrent au monastère en ayant reçu la promesse d’y devenir abbé entre en résonance avec le récit hagiographique d’Andrea di Strumi qui relate la lutte des chefs patarins contre ces pratiques. Les canons 7 et 8 interdisent globalement des formes de spéculations sur les églises ou les fonctions (détention d’église par des laïcs ou accaparement de deux églises par un clerc) ; de même, les pratiques reprochées aux néophytes (canon 13), auraient été courantes à Milan.

    19Sur le caractère modéré des décisions prises à Milan, D’Acunto Nicolangelo, I laici nella chiesa e nella società…, op. cit., p. 146.

    20Sur la dimension de rédaction a posteriori de la lettre 65, Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend…, op. cit., p. 95-96.

    21Sur la mise en accusation de l’archevêque de Milan à Rome, Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium…, op. cit., p. 185-186 (livre III, chap. xiii) et Bonizon de Sutri, Liber ad amicum…, op. cit., p. 593-594 (livre VI). Sur l’attentat contre Landolf « Cotta », Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium…, op. cit., p. 186 (livre III, chap. xiii).

    22Bonizon de Sutri, Liber ad amicum…, op. cit., p. 594 (livre VI).

    23L’hypothèse des critiques à l’encontre de la gestion de l’affaire milanaise, qui expliqueraient la rédaction tardive de l’Epistula 65, vient de Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend…, op. cit., p. 96. En revanche, cet historien n’a pas fait le lien entre ces critiques et la capture de Benoît X, ou avec la dégradation de la situation lombarde après le concile de Rome : il évoque seulement les critiques probables d’Humbert de Silva Candida contre Pierre Damien.

    24Beaucoup de lettres de Pierre Damien adoptent des formes particulières (certaines ressemblent à des traités, d’autres à des invectives, d’autres encore ont une dimension programmatique, etc). La singularité n’est donc pas envisagée ici à l’aune de l’épistolaire de Pierre Damien, mais par rapport aux sources narratives qui évoquent la Pataria ou, sur un plan plus historiographique, par rapport à toutes les analyses historiques qui ont envisagé la lettre 65 comme un récit, sans souligner la complexité de la nature de ce texte.

    25Voir par exemple Arnulf de Milan, Liber gestorum recentium…, op. cit., p. 176-178 (chap. ix) ; Andrea di Strumi, Vita sancti Arialdi, éd. Adolf Hofmeister, Monumenta Germaniae historica. Scriptorum tomus XXX, Pars II, Stuttgart, A. Hiersemann, coll. « Monumenta Germaniae Historica. SS 30, 2 », 1964, p. 1051-1053 (chap. iv); Landolf Senior, Mediolanensis historiae libri quatuor, éd. Wilhelm Wattenbach et Ludwig Conrad Bethmann, Chronica et gesta aevi Salici, Hanovre, Hahnsche Buchhandlung, coll. « Monumenta Germaniae Historica. SS 8 », 1848, p. 79-80 (chap. ix), 81-82 (chap. x), 83 (chap. xiv) et 89-91 (chap. xxii).

    26Sur la structuration de la Pataria en communauté textuelle, Stock Brian, The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the Eleventh and Twelfth Centuries, Princeton, Princeton University Press, 1983, p. 151-240, notamment p. 235-239 sur la circulation de textes au sein de la Pataria.

    27Robinson Ian S., « Privilegium Romanae Ecclesiae… », art. cité, p. 54. Idée reprise par Riversi Eugenio, « Der Kontext… », art. cité, p. 163-164.

    28Il s’agit du témoin Città del Vaticano, Vat. lat. 3797, copié entre 1072 et 1077 à l’ermitage de Fonte Avellana que dirigeait Pierre Damien. Il contient la lettre 65 aux fol. 163 vo-167ro. Un autre témoin, Città del Vaticano, Cod. Urbin. lat. 503, date probablement du xie siècle : il contient la lettre 65 aux fol. 89 ro-94 ro. Parmi les témoins les plus anciens (mais malgré tout postérieurs) figure le manuscrit Montecassino, Biblioteca dell’Abbazia, Cod. 358, copié par des scribes du mont Cassin qui avaient été envoyés à Fonte Avellana et qui travaillèrent après la mort de Pierre Damien, à la fin du xie siècle, voir Gledhill Michael, Peter Damian and « the World ». Asceticism, Reform and Society in 11th-century Italy, Londres, King’s College, 2012, p. 28-29. On peut évoquer enfin le témoin Città del Vaticano, Cod. Chigi A. VII 218, qui provient sans doute du monastère de Pomposa. La lettre 65 y occupe les folios 50 ro-53 vo. Le fait que tous ces témoins aient été copiés directement sur les autographes de Fonte Avellana a été établi par le stemma proposé par Kurt Reindel dans Pierre Damien, Die Briefe des Petrus Damiani, partie I, Munich, Monumenta Germaniae historica, coll. « Monumenta Germaniae Historica. Briefe d. dt. Kaiserzeit 4, 1 », 1983, p. 31-33. Je n’ai pu consulter en ligne que les trois manuscrits conservés à la Bibliothèque vaticane.

    29Idée suggérée, mais pas vraiment développée par Riversi Eugenio, « Der Kontext… », art. cité, p. 162-164.

    30J’emprunte bien évidemment cette formule audacieuse à Loraux Nicole, « Thucydide n’est pas un collègue », Quaderni di Storia, vol. VI, no 12, 1980, p. 55-81, qui a souligné ainsi la nécessité absolue de remettre en contexte une source particulière et de s’interroger sur ses ambitions, sa construction et ses omissions.

    31Lucioni Alfredo, « Legati papali e arcivescovi a Milano tra xi e xii secolo », in Maria Pia Alberzoni et Claudia Zey (dir.), Legati e delegati papali. Profili, ambiti d’azione e tipologie di intervento nei secoli xii-xiii, Milan, Vita e Pensiero, coll. « Storia. Ricerche », 2012, p. 35, n. 15, avait bien noté l’effacement d’Anselmo da Baggio dans le récit de Pierre Damien, mais sans l’expliquer.

    32Ep. 65, p. 231 : « ego in medio residens sive potius praesidens, reverentissimum Mediolanensem archiepiscopum ad sinistram, prudentia quoque ac sanctitate conspicuum Anselmum Lucensem episcopum posuisse mihi accusabar ad dexteram. Hinc porro quanta a frementi populo dici potuerint, non necesse est apicibus tradi, quod nimirum per se valet intellegi ».

    33Sur le portrait d’Anselmo da Baggio par Landolf Senior et son exagération, Violante Cinzio, La pataria milanese…, op. cit., p. 156-160.

    34Sur la mise en scène du rôle de Pierre Damien, D’Acunto Nicolangelo, I laici nella chiesa e nella società…, op. cit., p. 150-151 ; Hägermann Dieter, Das Papsttum am Vorabend…, op. cit., p. 97-98.

    35Ep. 65, p. 231 : « Intentabant michi, ut ita loquar, omnia mortem, et ut ab amicis meis michi sepe suggestum est, nonnulli meum sanguinem siciebant. »

    36Pierre Damien dit explicitement qu’il a multiplié les serments pour permettre la lutte contre les hérésies cléricales, voir Ep. 65, p. 247 : « Unum autem per omnipotentis Dei clementiam spero, quia post tot iurationum genera, quibus archiepiscopus haec promissa firmavit, post sacramenta tam multiplicis populi per evangelium data, post iuramenta certe omnium clericorum ante sanctum altare litteris et proprio ore prolata, utraeque iste hereses sic in illa aecclesia sunt per argumenta provide coercitionis attritae, ut auctore Deo nostris temporibus non sint ad rediviva certamina reparande. »

    37Zumhagen Olaf, Religiöse Konflikte…, op. cit., p. 93-97, a analysé cette pratique des serments collectifs, qui remontait à Milan aux années 1040, comme un instrument de lutte, un facteur d’intégration au mouvement réformateur et une base pour la paix urbaine. Pour Nagy Piroska, « Quand l’émotion collective prend corps. La Pataria milanaise (1057-1075) », Sensibilités. Histoire, critique & sciences sociales. La chair du politique, no 6, 2020, p. 29, les serments auraient joué plus largement un rôle fondamental, comme voie d’agentivité des laïcs.

    38Somigli Constanzo, « San Pier Damiani e la Pataria », art. cité, p. 199-204.

    39Ep. 65, p. 230 (« duas hereses, simoniacam videlicet et Nicolaitarum ») ; p. 241-242 (« quae hactenus viguit in hac aecclesia, negotiandi consuetudinem, omnemque symoniacam heresim ») ; p. 243 (« de simoniaca et Nicolaitarum heresi delenda ») ; p. 244 (« istas duas, Nicolaitarum videlicet ac symoniacam hereses ») ; p. 244 (« contra Symoniacos et Nicolaitas ») ; p. 245 (« Spetialiter vero atque nominatim simoniacam heresim […], deinde Nicolaitarum aeque abhominabilem heresim ») ; p. 245 (« hae duae hereses, scilicet Simoniacorum et Nikolaitarum ») ; p. 245 (« Symoniacos omnes et Nicolaitas »).

    40Débax Hélène, « Le serrement des mains. Éléments pour une analyse du rituel des serments féodaux en Languedoc et en Provence (xie-xiie siècles) », Le Moyen Âge, no 113, 2007, p. 9-23, ici p. 19-23.

    41Ep. 65, p. 246 : « Illi etiam ipsi, quibus ministrandi licentia redditur, non ex male mercata veteri ordinatione ad amissum reparantur offitium, sed ex illa potius beati apostolorum principis efficacissima auctoritate. »

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    Rosé, I. (2025). Milan en loques ?. In T. Martine (éd.), Communautés déchirées ? (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/13ma5
    Rosé, Isabelle. « Milan en loques ? ». In Communautés déchirées ?, édité par Tristan Martine. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2025. https://doi.org/10.4000/13ma5.
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    Martine, T. (éd.). (2025). Communautés déchirées ? (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/13met
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