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    Plan détaillé Texte intégral Marmoutier, une communauté divisée à la fin du xie siècle ? Liberté et communion romaine : un lieu d’unanimité ? Discours mémoriel et unanimité martinienne : un remède aux dissensions ? Notes de bas de page Auteur

    Communautés déchirées ?

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    Table des matières

    L’abbaye de Marmoutier et la réforme pontificale

    Tensions ou renforcement d’une identité communautaire (1050-1150) ?

    Jean-Hervé Foulon

    p. 45-66

    Texte intégral Marmoutier, une communauté divisée à la fin du xie siècle ? La dénonciation de l’abbé Bernard (1084-1099) L’origine du conflit : la situation des années 1082-1086 La rédaction de faux : une réponse monastique traditionnelle Liberté et communion romaine : un lieu d’unanimité ? Gestion et défense du patrimoine : un point de tension communautaire Recours à Rome et résolution des premières dissensions L’abbaye-mère et les moines des cellae : un autre lieu de division ? Discours mémoriel et unanimité martinienne : un remède aux dissensions ? Les rebondissements du conflit (1100-1119) Les années 1130 et la paternité d’Urbain II Autour de saint Martin : vers une unanimité martinienne Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1À la différence de l’Empire germanique où les communautés se trouvent souvent obligées de prendre parti pour le pape ou pour l’empereur, l’espace ligérien témoigne a priori d’un modèle moins violent. En outre, parmi les différentes communautés qui composent « l’Occident grégorien », les abbayes forment une catégorie à part. Le monastère représente en effet une citadelle qui, théoriquement, devrait échapper à l’influence pernicieuse du seculum. L’abbé est particulièrement appelé à protéger l’inside communautaire des dissensions externes, de cet outside soumis au Prince de ce monde1. Le mur de clôture symbolise cet espace protégé où doit régner la quiétude monastique et il n’est pas anodin que l’abbé Guillaume (1104-1124) ait estimé nécessaire d’entourer le Grand Monastère de « murs élevés ». Ses prédécesseurs, les abbés Bernard (1084-1100) et Hilgod (1100-1104), avaient pour leur part obtenu du pape plusieurs bulles d’exemption de façon à mettre à l’abri le domaine interne qui devait demeurer un lieu de « repos » et de contemplation2.

    2De nombreuses raisons pouvaient néanmoins troubler cette paix monastique : élection abbatiale disputée, dissensions causées par une volonté de réforme plus rigoureuse, prédations aristocratiques, stratégies féodales opposant des princes rivaux (comtes de Blois, d’Anjou, rois capétiens, etc.). À cet égard, passé 1044 et l’installation de la domination angevine, les moines de Marmoutier ont recherché et souvent obtenu la protection du prince. Ils profitent par exemple de la libéralité du duc Guillaume de Normandie et de son épouse Mathilde (reconstruction du dortoir, du réfectoire). On les voit attentifs en 1082 à soutenir le comte d’Anjou Foulques le Réchin dans sa vendetta contre l’archevêque de Tours, Raoul I3. Le véritable péril pour l’abbaye ne relève donc pas d’une oppression des pouvoirs laïques, selon une vision grégorienne, mais des velléités traditionnelles de sujétion épiscopale. Depuis que le concile de Chalcédoine avait souligné le devoir de surveillance de l’épiscopat en 451, les abus avaient été nombreux. Aux yeux des moines, le pouvoir épiscopal était considéré, à l’égal des laïcs, comme un pouvoir « séculier » trop souvent hostile à l’îlot monastique. L’évêque disposant de prérogatives sacramentelles qu’il est le seul à conférer se trouvait exposé aux tentations simoniaques et sa sollicitude pastorale, soulignée par saint Paul (2 Cor. 11, 28), pouvait se muer rapidement en oppression tyrannique. La sacerdotalisation du monachisme depuis le ixe siècle n’avait fait qu’accentuer le problème, le rendant incontournable.

    3Dans ce contexte de tensions externes susceptibles d’affecter l’intus monastique, les abbayes ont répondu de manière diverse. Dans le cas du Bec, le duc de Normandie est resté le maître et le protecteur attitré de l’abbaye de 1034 jusqu’à la mort d’Henri Ier d’Angleterre en 1135. Lors du compromis établi entre le roi et l’abbé Boson en 1124, l’Anonyme du Bec fait dire au prince : « Tu seras l’abbé selon l’ordre qui te revient à l’intérieur et, quant à moi, je serai abbé dans le domaine extérieur4 ! » Cette phrase est révélatrice de la pensée monastique : dès lors que l’abbé demeure le garant de l’ordre monastique interne, les moines s’accommodent de la tutelle princière externe, voire la recherchent, et ce dans une abbaye réputée « grégorienne » dont Anselme lui-même assuma la direction. À Tours, la triangulation du pouvoir opposant le comte d’Anjou, le roi capétien et le duc de Normandie empêcha un acteur de devenir prédominant, laissant à l’archevêque plus de latitude. Face à ce dominium métropolitain, Marmoutier choisit de se tourner vers Rome à la fin des années 1080, selon un modèle normatif de type clunisien fondé sur une alliance papauté-monachisme5.

    4Toutefois, les dissensions affectant une communauté ne sont pas forcément de type « grégorien » – les querelles entre épiscopat et monachisme sont habituelles – et c’est dans un cadre plus large qu’il faut les analyser. Dans le cas de Marmoutier, la fin de l’abbatiat de Bernard (1084-1100) donna lieu à un conflit qui opposa l’abbé à une fraction de ses moines. Connue par quelques lettres extérieures au monastère, la querelle ne laissa guère de traces dans la mémoire communautaire. Loin d’être une « crise grégorienne » qui se situerait dans les années 1100, le conflit prend sa source en amont, dans l’espace impérial des années 10406. Il s’agit d’une conséquence du renforcement de l’autorité épiscopale qui se poursuit au cours du xie siècle à travers la volonté d’imposer une profession d’obéissance à l’abbé. Rome ne fait que prendre le train en marche dans les années 1090 en donnant un ton plus normatif à cette question de la profession abbatiale. L’intérêt de ce dossier est de montrer combien les choses sont complexes et imbriquées. Le problème de fond concerne l’obtention du pouvoir abbatial qui s’avère un sujet sensible, bien susceptible de diviser les frères à travers une possible sujétion exercée par un pouvoir extérieur. Toutefois, une fois la tempête apaisée, les vrais sujets qui préoccupent les moines au quotidien paraissent plus humbles, à savoir tout bonnement leur pitance journalière7 !

    5Après avoir retracé les événements présidant aux tensions des années 1090-1100, il convient d’envisager le choix romain comme remède possible aux divisions communautaires, avant d’aborder le discours mémoriel élaboré à Marmoutier pour faire triompher une unanimité martinienne.

    Marmoutier, une communauté divisée à la fin du xie siècle ?

    La dénonciation de l’abbé Bernard (1084-1099)

    6Au soir de sa vie, l’abbé Bernard fut l’objet de vives critiques de la part d’une partie de ses moines. Le conflit est connu par deux lettres : l’une d’Yves de Chartres et l’autre du pape Urbain II, que celui-ci prit soin d’adresser à l’abbé pour le rassurer et le consoler8. Les critiques avaient donc largement dépassé le cadre du chapitre monastique pour donner lieu à une véritable dénonciation lancée contre le vieil abbé. Yves de Chartres s’en fait l’écho vers 1099 :

    « Il m’a été rapporté que s’étaient soulevés contre votre fraternité certains de vos frères, qui prétextaient que la charge qui vous avait été confiée n’avait pas eu de fondement légitime pour les raisons suivantes : vous auriez reçu la bénédiction de quelqu’un que l’on disait excommunié et vous auriez promis la soumission due au siège métropolitain avant la bénédiction. »

    7Trois points sont reprochés à l’abbé : sa bénédiction abbatiale, conférée par un archevêque excommunié, aurait été illégitime et invalide ; une promesse de soumission au siège métropolitain aurait été prêtée par l’abbé avant sa bénédiction, laissant planer un soupçon de simonie ; enfin, les ressources des frères auraient fondu à cause de son incurie. Il est néanmoins curieux que les moines aient attendu quinze ans pour dénoncer des faits intervenus du temps où l’abbé était entré en charge. La prise de conscience est récente et il est probable qu’il faille la rapporter au passage d’Urbain II à Marmoutier en mars 1096, puis aux échanges épistolaires avec l’abbaye de Vendôme qui aboutirent à la condamnation de toute profession abbatiale en 10989. L’affaire se prolongea sous les deux abbés suivants, Hilgod et Guillaume, pour ne s’achever qu’en 1119. Il faut donc vérifier la véracité des accusations ainsi que la portée réelle de l’intervention pontificale dans ce conflit.

    L’origine du conflit : la situation des années 1082-1086

    8La division qui agite Marmoutier vers 1097-1100 est la conséquence lointaine d’une offensive archiépiscopale qui débuta dans les années 1080, affectant trois domaines : l’excommunication des moines ; la profession de l’abbé et la question récurrente des messes publiques dites dans un monastère.

    9L’abbé Bernard avait été élu en février 1084, peu après une crise violente qui avait opposé l’archevêque Raoul Ier de Tours au roi Philippe Ier et au comte d’Anjou10. Le comte, sur mandat royal, avait spolié l’archevêque de ses biens avec la complicité des chanoines de Saint-Martin et des moines de Marmoutier qui reprochaient au métropolitain d’attenter à leurs privilèges. En réponse, l’archevêque soutenu par le pape Grégoire VII excommunia le comte. Le légat Hugues fulmina l’anathème contre l’ensemble des rebelles au concile de Lyon en 1082. Un chapelain de Saint-Martin eut même l’audace d’excommunier l’archevêque, qualifié d’usurpateur, et la collégiale poursuivit ses célébrations en dépit de l’interdit pontifical. Mais Grégoire VII continua de soutenir fermement l’archevêque, intimant aux chanoines de faire satisfaction et de lui obéir désormais comme à un père. Ce qui obligea les divers protagonistes à faire amende honorable avant le 6 janvier 108411. Vers 1097-1099, le souvenir est donc lointain et l’accusation portée contre Bernard tombe à faux. D’une part, un chapelain, fût-il chanoine de Saint-Martin, n’a nul pouvoir pour excommunier son supérieur. D’autre part, l’archevêque était en pleine communion avec Rome lorsqu’il bénit l’abbé en mars 1084 en signe de leur réconciliation.

    10En revanche, la profession d’obéissance au siège métropolitain est certainement exacte12. Elle renvoie non à un contexte grégorien, mais à la volonté des archevêques impériaux de faire prêter aux abbés un serment d’obéissance analogue à celui qui était professé par les évêques suffragants. Dans la lignée du pontifical romano-germanique qui avait sacerdotalisé la bénédiction abbatiale en la transformant en une « consécration », l’archevêque de Besançon, Hugues de Salins, chancelier d’Henri III et ami de l’évêque d’Angers Eusèbe Brunon, avait introduit deux innovations dans les rituels des années 1040-1060. Avant sa consécration, l’abbé devait prêter serment d’obéissance à travers un scrutin oral, rehaussé par la souscription écrite d’une profession de fidélité déposée sur l’autel. La version finale du pontifical bisontin fut introduite à Tours vers 1066. En 1064, l’abbé Barthélemy de Marmoutier (1064-1084) avait certainement échappé à ce serment, mais dans le contexte tendu des années 1080, il était naturel que Raoul Ier profitât de la consécration abbatiale de Bernard pour obtenir profession en 1084. On trouve des exemples similaires en Normandie à la même époque13. Face à la multiplication des privilèges d’exemption, un tel serment légitimait les interventions épiscopales dans la vie interne du monastère, qu’il s’agisse du droit de visite, de correction, d’ordination ou du domaine liturgique soumis à Tours à de fortes tensions au moment des célébrations pascales. Sur ce dernier point, Marmoutier s’était déjà opposé à la volonté d’emprise archiépiscopale en recourant à de faux privilèges.

    La rédaction de faux : une réponse monastique traditionnelle

    11C’est probablement à la fin de l’abbatiat de Barthélemy que fut interpolé un privilège de 912, doté au xiie siècle du nom pompeux de : « Ordonnance royale et épiscopale quant à la paix et à la tranquillité de Marmoutier14 ». L’acte authentique de 912, aujourd’hui perdu, émanait du comte Robert de Tours et mentionnait l’échec de l’archevêque Erberne d’annexer l’abbatiat à sa mense épiscopale. L’interpolation pratiquée vers 1082-1084 à Marmoutier visait à élargir l’indépendance du monastère en y incluant une exemption d’excommunication dont l’abbaye venait de souffrir15. L’évocation des « nombreux préceptes impériaux, royaux et pontificaux » martelait l’idée que l’abbaye n’était soumise à aucun pouvoir, hormis celui du roi et du propre abbé de Saint-Martin. Cette exemption de toute domination épiscopale (dominium) incluait l’archevêque et son pouvoir d’excommunication, à l’exclusion du droit d’ordination des « chanoines16 ». En 1099, aux yeux de la fraction monastique qui s’élevait contre l’abbé Bernard, ce faux privilège, soutenu théoriquement « par de très nombreux privilèges pontificaux », rendait donc illégale toute promesse de subjectio envers le métropolitain.

    12Une autre falsification, complète forgerie quant à elle, fut également produite à la même époque. Les conciles de Brioude, Autun et Dol de 1085 avaient à peine réglé la querelle qu’elle se ralluma autour de la question liturgique. De façon coutumière pour honorer saint Martin, l’archevêque revendiquait le droit de faire une procession (statio) le mercredi de Pâques et de célébrer une messe publique à l’intérieur de l’enclot monastique de Marmoutier17. Le conflit se ranima en 1085-1086 quand Raoul Ier de Langeais voulut renouer avec cette tradition. L’abbé refusa tout net, invoquant les excès commis par la foule de clercs et de laïcs, sans compter la présence de femmes qui troublait gravement la quiétude monastique. L’archevêque de Tours l’excommunia et l’affaire fut portée devant le légat Amat d’Oloron qui annula la sentence, selon le récit. Toutefois, par précaution, un faussaire entreprit de compléter la falsification du privilège de 912 en y rattachant artificiellement un nouveau diplôme au moyen d’un simple titre évoquant le glorieux comte Robert. Ce dernier n’était pourtant nullement concerné puisque le privilège non daté était censé émaner de l’archevêque Arnoul (1023-1052), distant de plus d’un siècle. Reconnaissant les exactions, les sacrilèges voire les homicides qui étaient commis lors de telles intrusions, il aurait interdit toute messe publique à l’intérieur du monastère pour éviter qu’une semblable tyrannie (tyrannica depredatio) ne se reproduisît. L’acte obligeait également ses successeurs, ce qui englobait Raoul I18. Le texte traduisait parfaitement le ressenti des moines : qu’en accord avec l’abbé, la visite pastorale de l’archevêque soit paternelle et aimable, non pas haïssable ! La station pascale doit respecter le repos monastique et ne pas donner lieu à une forme déguisée de droit de gîte. Ainsi, il est fait interdiction aux clercs d’entrer dans les bâtiments de l’abbaye et d’exiger des religieux un repas ! Cet écrit renforce et complète la falsification du diplôme de 912 : non seulement le métropolitain ne peut excommunier Marmoutier, mais ses visites sont strictement encadrées selon la diffinitio de son prédécesseur Arnoul19. Il est probable que ce faux a été écrit dans l’urgence vers 1085-1086. La mort de Raoul Ier survenue en 1086 donna un bref répit aux moines. Mais la production de faux ne suffisait pas face à un prélat farouchement déterminé à obtenir obéissance. Il fallait recourir à des solutions nouvelles.

    Liberté et communion romaine : un lieu d’unanimité ?

    Gestion et défense du patrimoine : un point de tension communautaire

    13Le dernier grief imputé à l’abbé Bernard au soir de sa vie était d’avoir dilapidé et laissé amoindrir le patrimoine. Yves de Chartres conclut sa lettre en disant :

    « Que les gens de cette espèce qui jettent le trouble et ceux qui sont troublés […] ne détournent pas votre fraternité du sabbat du cœur par leurs inutiles investigations et leurs vains murmures […]. Détournez-vous donc avec la ruse du serpent de ses embûches multiformes, supportez avec la simplicité de la colombe les embarras de ceux qui récriminent et cependant, autant que vous le pouvez, enlevez-leur une juste raison de récriminer, de peur que – comme ils le disent – les biens du monastère ne fondent par votre incurie et que les ressources habituelles des frères ne soient amoindries. […] il y a avec vous des hommes avisés, avançant avec vous selon un unique esprit, à qui vous pouvez imposer une part de votre fardeau, ce qui vous laissera libre de goûter plus librement et donc plus largement la douceur d’une contemplation supérieure et d’administrer au bon moment la nourriture du Verbe à vos compagnons de service20. »

    14La bonne administration du patrimoine était en effet un point central de l’action abbatiale, qui conditionnait la vie quotidienne des frères et leur table. Dans certains pontificaux, le scrutin précédant la consécration de l’abbé souligne cet aspect : « Veux-tu t’appliquer fidèlement à la garde des biens de l’Église réunis ici, protégeant ceux qui sont présents et restaurant ceux qui ont été dilapidés par négligence, à l’intérieur ou à l’extérieur, et les distribuer fidèlement à l’usage de l’Église, des frères et des pauvres ? » La réponse attendue est : « Je le veux et je le choisis » à la différence du seul « je le veux » pour les questions précédentes21. La tentative esquissée en 912 démontrait qu’une trop grande soumission à l’archevêque laissait celui-ci libre de s’approprier les biens monastiques et de les annexer à sa mense épiscopale. Yves de Chartres note peu après, dans une lettre adressée à Pascal II, que la malveillance de Raoul Ier était attisée par l’interdiction du Siège Apostolique non seulement de célébrer des messes publiques et d’agir en maître à l’égard des moines, mais encore d’usurper les biens du monastère selon son bon plaisir22 !

    15Toutefois, les divisions internes causées par la question patrimoniale pouvaient relever non d’usurpations externes, mais simplement d’une mauvaise gestion. Les Gesta abbatum témoignent que l’entente fraternelle en était facilement troublée. Si rien n’est dit explicitement pour les abbés Bernard et Hilgod, en revanche, la notice de l’abbé Guillaume († 1124) précise qu’il acquit de nombreuses dépendances, mais « laissa Marmoutier libre de toutes dettes ». Un peu plus tard sous l’abbé Robert de Blois († 1176), la notice de six lignes souligne que Renaud le Pelletier s’acquitta des 65 000 sous qu’il devait à Marmoutier (soit un quart du texte, ce qui est beaucoup !). Dans le cas de l’abbé Hervé, qui démissionna pour finir reclus vers 1188, le texte loue son ascèse personnelle : « Devenu abbé, il vécut pieusement et dans une grande abstinence, en sorte que le couvent eut toujours du pain et du vin, et s’il fut économe pour lui-même, cependant, il se montra bienfaisant et généreux envers tous les autres dans le réfectoire. » Mais il avait aussi engagé de lourdes dépenses pour embellir le monastère ou pour améliorer l’état des prieurés, parfois très gravement hypothéqués23.

    16L’irénisme d’un Yves de Chartres doit donc être relativisé. Contemplant la douceur des biens supérieurs, le bon abbé doit certes « administrer au bon moment la nourriture du Verbe à ses compagnons de service ». Mais les moines mécontents ont des préoccupations plus terre à terre : avoir suffisamment de pain et de vin à table ; ne pas endetter le monastère par des dépenses excessives. Les chantiers de construction incessants et grandioses du xiie siècle durent affecter les ressources habituelles des frères, suscitant des formes de division lorsque la pitance monastique en était amoindrie24. Il n’y a pas ici de lien direct avec l’idéologie grégorienne, hormis peut-être la volonté d’incarner l’Église sur terre à travers une plus grande monumentalité architecturale25. Mais ces questions de vie quotidienne représentent certainement des points de tensions communautaires de longue durée qui dépassent les temps dits « grégoriens ».

    Recours à Rome et résolution des premières dissensions

    17Dans l’immédiat, les biens du monastère restaient exposés à la convoitise métropolitaine. Marmoutier profita de la vacance du siège de Tours en 1086 pour s’adresser à Rome. Durant l’été 1087, Victor III accorda à l’abbaye, « appelée à juste titre Grand Monastère », un privilège de protection apostolique : nul ne devait envahir, dévaster, disperser ou usurper ses biens, laissant ainsi les moines libres de vaquer en paix au service de Dieu. Reprenant une citation de Grégoire le Grand, le pape interdisait également, sous peine d’anathème, de célébrer des messes publiques à cause du scandale que provoquait l’entrée de femmes dans l’enceinte du monastère. Toutefois, le pape restait prudent : il n’abrogeait aucun droit attesté du métropolitain, mais entendait surtout limiter les excès en interdisant toute nouvelle revendication inconnue des canons antiques26. Une telle précaution permit au nouvel archevêque, Raoul II d’Orléans, de reprendre le combat en ciblant désormais son offensive sur la procession (statio) pascale. La bulle de 1087 se révéla vite insuffisante ; de nouvelles démarches furent entreprises en 1089 auprès d’Urbain II, tandis que de nouvelles forgeries étaient mises en œuvre. Sur le court terme, ce recours décisif à la liberté romaine put diviser la communauté à travers l’émergence temporaire d’un parti zélote, mais sur le long terme, l’identité communautaire en fut affermie. C’est en effet après le passage d’Urbain II à Marmoutier en mars 1096 qu’une fraction de frères « zélés plus que savants » devint critique à l’égard de l’abbé27. La présence pontificale et l’enthousiasme causé par la parole d’Urbain II avaient dû échauffer les esprits suscitant une forme d’ardeur réformatrice. Vers 1097-1099, ce parti paraît s’inscrire dans la lignée radicale d’un Geoffroy de Vendôme (1093-1132), sans qu’il faille suspecter la politique menée par l’abbé Bernard. Selon les Gesta Abbatum, « il œuvra beaucoup pour la liberté de cette Église et la libéra de toute sujétion archiépiscopale, grâce à l’autorité apostolique, avec l’aide de Dieu et du bienheureux Martin28 ». Certains frères pouvaient néanmoins le trouver trop souple envers l’archevêque.

    18Le pontificat d’Urbain II fut donc crucial à Marmoutier. Si l’on dispose en général d’un grand privilège par pontificat, Urbain II est le seul à être gratifié de trois concessions en un temps très restreint : 1089, 1090, 1095 ; un 4e privilège non daté a même été retrouvé dans un Bréviaire de Marmoutier sur un folio laissé libre entre le temporal et le sanctoral29. Une précédente étude a démontré que seuls les deux premiers privilèges (Terracine 1089 et Rome 1090) sont authentiques, quoiqu’ils aient été en partie interpolés a posteriori30. Ils permettent cependant de suivre l’évolution des questions restées en suspens depuis 1087 : la procession pascale et la profession abbatiale. Le privilège de Terracine, conservé dans le cartulaire de Chemillé, est celui qui a subi le moins d’altérations31. De façon à persévérer dans la voie arctior de la vie régulière, Urbain II confirme la protection spéciale du Siège Apostolique sur les biens de l’abbaye, mais il accorde également une exemption étendue : interdiction d’excommunier l’abbaye ou ses moines ; prohibition des messes publiques et de la procession pascale ; élection de l’abbé sans fraude et « consécration » par l’archevêque de Tours, à condition que celui-ci soit dans la communion apostolique et que la consécration demeure « gratuite et sans irrégularité ». Dans le cas contraire, l’abbé est libre de recourir au pape ou à n’importe quel évêque catholique. La teneur de ce privilège est confirmée par diverses bulles conservées en original32. Le problème de la procession pascale a donc été réglé, mais la copie de Chemillé du xiiie siècle indique également une interdiction de profession qui serait intervenue dès 1089 : toute exaction de profession est à bannir. Or, aucun privilège connu en original et antérieur à 1096 ne mentionne cette profession abbatiale et les moines de Marmoutier, comme ceux de Vendôme, ne la dénoncent qu’après cette date, introduisant un litige qui prend de l’ampleur vers 1098-110033. C’est à cette période qu’Urbain II écrit à l’abbé Bernard pour le rassurer quant à son ordination abbatiale en imposant silence et obéissance aux moines qui le critiquent et en l’absolvant si par hasard un quelconque péché a été commis à l’époque34. Il serait absurde que les moines de Marmoutier aient attendu dix ans pour dénoncer la profession de leur abbé, si celle-ci avait été expressément interdite en 1089, en 1090, puis encore une fois en 1095 selon le De Tribulationibus35 ! Il y a donc tout lieu de croire que le privilège de 1089 a été interpolé à l’époque de ces dissensions, soit que l’expression entière (exempte d’exaction de profession) ait été ajoutée, soit que le seul mot de profession ait été intégré au texte original.

    19Toutefois, Marmoutier n’était pas qu’une simple abbaye, elle était aussi à la tête d’un immense empire monastique.

    L’abbaye-mère et les moines des cellae : un autre lieu de division ?

    20Envisager les troubles existant dans l’abbaye-mère n’est pas suffisant dans la mesure où nombre de moines vivaient au-dehors dans des prieurés. Or, ceux-ci furent également touchés par l’offensive épiscopale de la seconde moitié du xie siècle. Deux exemples mieux documentés permettent de connaître leurs préoccupations et leurs besoins dans les années 1090. Dans l’évêché de Sées, où circule précocement le pontifical romano-germanique, l’évêque chercha à affermir ses droits sur les moines de Bellême, dont l’église avait été donnée à Marmoutier en 1092. En réaction, les moines recoururent, vers 1092-1099, à la rédaction de faux restés célèbres par l’introduction de clauses datant de l’époque d’Urbain II dans les chartes de fondation. Dès 1028, le prieuré aurait été libre de toute soumission, de toute coutume et de tout pouvoir, qu’il soit de nature laïque ou épiscopale36 ! Ce qui démontre qu’à cette époque, les frères des cellae n’étaient pas protégés par les clauses d’exemption touchant l’abbaye-mère37. Il existe également dans le diocèse d’Angers un conflit autour de Chemillé opposant les moines de Marmoutier au chapitre cathédral quant à la possession des églises du château. Le conflit aboutit le 20 novembre 1100 à la suspension de son office de l’évêque Geoffroy II d’Angers par le pape Pascal II. Cette mesure fut prise au lendemain de la rédaction au Latran d’une constitution, datée du 19 novembre 1100, qui incluait enfin les prieurés : interdiction d’excommunier les moines des cellae et permission de célébrer l’office de façon privée, toutes portes fermées, en cas d’interdit38. Il fallut donc attendre 1100 pour que les droits des obédiences fussent reconnus.

    21C’est certainement dans ce contexte que fut rédigée la lettre-privilège retrouvée dans le Bréviaire de Marmoutier. Ce faux maladroit a le mérite de recouper le récit de la dédicace et pourrait avoir été écrit par un moine qui avait entendu les prescriptions conciliaires d’Urbain II et son sermon en mars 109639. Le texte reflète parfaitement les préoccupations des moines des prieurés avant que n’intervienne le privilège de 1100. Marmoutier repose spécialement sous la protection pontificale (tuitio) et dans la main de la sainte Église romaine ; ses habitants sont donc libres de toute soumission. Rien n’est dit des messes publiques, des processions ou de la profession abbatiale, mais l’expression « libres de toute forme de soumission », de même que l’adresse pourraient sous-entendre le conflit avec l’archevêque de Tours. L’attention du faussaire se concentre spécialement sur les cellae et obedientae soumises aux molestiae épiscopales et aux injuriae des seigneurs laïcs. Il s’agit de les protéger par la sanctio perpétuelle des saints canons de l’Église romaine. Aucun archevêque ni aucun évêque n’a la licence sans l’accord du pontife romain de les excommunier, quelle qu’en soit la raison40. Un tel texte fait écho aux critiques du parti monastique qui reprochait à l’abbé Bernard de laisser les biens du monastère s’amoindrir. Mais il faut attendre la constitution de Pascal II du 19 novembre 1100 pour obtenir un règlement officiel des conflits en cours : prohibition des messes publiques et de la procession pascale ; interdiction d’excommunier les moines quelle que soit la cause et quel que soit le lieu (nulla causa ullo in loco ; clause qui incluait les frères des cellae) ; possibilité de recourir à n’importe quel évêque catholique pour consacrer l’abbé régulièrement élu, ce qui permettait de contourner l’écueil de la profession en s’adressant à quelqu’un d’autre que l’archevêque de Tours41. Malgré l’ensemble de ces prescriptions, ce dernier entreprit de résister aux objurgations pontificales.

    22Passée la mort de l’abbé Bernard le 7 avril 1100, l’entêtement de Raoul II obligea les moines de Marmoutier à opposer un front uni. La profession abbatiale restait le point clef de dissension. Mais la communauté sut résister à l’assaut en affirmant une double identité, romaine et martinienne, qui permit d’instaurer une véritable unanimité.

    Discours mémoriel et unanimité martinienne : un remède aux dissensions ?

    Les rebondissements du conflit (1100-1119)

    23L’élection d’un nouvel abbé était le moment rêvé pour l’archevêque de Tours d’obtenir enfin le serment d’obéissance tant convoité. Par chance, l’ancien évêque de Soissons, Hilgod, s’était retiré à Marmoutier et il est probable que le parti monastique critique envers Bernard encouragea l’élection de ce dernier. Le raisonnement était d’ordre sacramentel. La marque du « sacrement épiscopal » empêchait l’élu de recevoir une bénédiction inférieure et rendait donc vaine l’intervention de l’archevêque de Tours qui ne pouvait exiger de profession à l’occasion de la « consécration » abbatiale42. Mis en échec, Raoul II poursuivit l’abbé de sa vindicte, faisant courir le bruit que celui-ci, réfugié par pénitence à Marmoutier, aurait été déposé de l’épiscopat pour crimes avérés. Il produisit même des accusateurs, lors d’un synode, qui reflètent ses propres partisans, non l’existence d’un parti prométropolitain dans le monastère43. La communauté paraît alors faire bloc contre le siège de Tours.

    24À la mort d’Hilgod en 1104, l’élu Guillaume ne put s’accorder avec l’archevêque. Conformément à la bulle d’exemption de Pascal II, il partit pour Rome et se fit consacrer des mains du pape en 110544. En 1112, le problème resté irrésolu s’était décalé sur la forme précise de la profession. L’abbé refusait de confirmer par la main droite la promesse orale qu’il acceptait de faire publiquement. Il fallut attendre 1115 pour voir une détente intervenir, date à laquelle Raoul II accorda une charte de franchise à son « frère vénérable, l’abbé Guillaume45 ». La mort de Raoul en 1118 et la situation délicate du nouvel archevêque Gilbert permirent l’élaboration d’un compromis, intervenu selon toute vraisemblance à l’époque du passage de Calixte II en septembre 1119. L’élu est désormais béni par l’archevêque sans scrutin, sans charte écrite, ni promesse de profession. En revanche, l’abbé prête un serment oral d’obéissance à l’Église-mère de Tours, avant ou après la bénédiction, étant sauve l’autorité romaine. La convenientia est faite par l’abbé Guillaume et quelques seniores représentant la sanior pars de l’abbaye au nom de toute la communauté, ce qui traduit l’unanimité des moines46. Outre les échanges de prières lors du décès de l’archevêque, de l’abbé ou de membres de chaque communauté, la notice produite par Marmoutier insiste sur l’absence définitive de statio liturgique dans le monastère et la célébration commune de la solennité de saint Maurice à la cathédrale, où les moines auront la moitié du chœur. L’abbé pourra même présider cette messe du 22 septembre si l’archevêque est absent et le désire. Marmoutier a donc obtenu satisfaction quant à la défense de l’espace monastique interne et à l’éviction de l’archevêque du culte de saint Martin47. Le siège cathédral doit désormais se contenter de saint Maurice.

    Les années 1130 et la paternité d’Urbain II

    25En apparence, l’alliance romano-monastique avait bien fonctionné. Aucun conflit ne semble avoir divisé la communauté lors de l’accession de l’abbé Eudes en 1124. Toutefois, la situation évolua en faveur de l’épiscopat durant les années 1130. Au cours du concile de Reims en 1131, auquel assistèrent Eudes de Marmoutier et Geoffroy de Vendôme, Innocent II appuya plus fermement les prérogatives des archevêques. Une abbaye sans liberté particulière ne pouvait plus prétendre échapper au pouvoir épiscopal. Après Saint-Martin d’Auchy, les abbés de Jumièges et de Saint-Ouen durent accepter une profession abbatiale en 1131. On retrouve le problème à Saint-Wandrille en 1133, puis au Bec en 1137-1138, où l’abbé Thibaut prêta un serment oral d’obéissance à l’archevêque de Rouen48. À Tours, l’archevêque Hildebert (1125-1133), qui avait rompu momentanément le primat des familles nobiliaires sur la fonction métropolitaine, décéda en 1133. Le candidat soutenu par Louis VI était alors Philippe, neveu de Gilbert et petit-neveu de Raoul II49. Le 13 avril 1137, à la mort de l’abbé Eudes, Marmoutier pouvait donc craindre un retour en force de prélats apparentés à l’archevêque qui avait longtemps oppressé le Grand Monastère.

    26Ce fut précisément à cette époque que l’abbaye prit soin de consigner la mémoire de cette longue querelle qui l’avait opposée aux deux Raoul. Le De Tribulationibus Maioris Monasterii se livre, avec nombre d’erreurs, à une reconstitution théâtrale et légendarisée des événements50. Ainsi, lors du concile de Clermont, daté de 1093 (!), Urbain II se lève solennellement pour proclamer l’autorité de l’Église romaine à qui personne ne peut s’opposer, ce qui oblige l’archevêque de Tours à rester coi. Le pape fait ratifier le privilège de Marmoutier en une constitution que tous les pères acclament avec enthousiasme : amen, amen ! Le texte reconstitué résume parfaitement les divers points de division : « Aucun évêque ne peut faire de statio publique dans le monastère ; aucun évêque ne peut exiger de l’abbé de profession ; aucun évêque ne peut excommunier le monastère, ni ses moines en quelque endroit qu’ils soient51. »

    27À la différence du récit de la dédicace qui parlait des privilèges d’Urbain II au pluriel, il n’existe plus désormais qu’un seul acte : la diffinitio sive constitutio délivrée à Clermont. Ce titre ronflant est lui-même emprunté à la constitution de Pascal II et peut-être à la fausse diffinitio qui fut annexée au privilège royal de 91252. Il s’agissait de faire remonter au célèbre pape Urbain II l’obtention des libertés acquises en fait sous son successeur. Pour l’historiographie officielle du monastère, il ne devait rester dans la mémoire collective qu’un seul privilège, celui de Clermont. Les moines n’osèrent pas le fabriquer de toutes pièces et se contentèrent de falsifier celui de Rome (1090), qui représenta dans les archives du monastère le prototype de la constitution proclamée à Clermont53. Figure emblématique et protectrice du monastère, auteur de la dédicace de l’abbatiale et père des libertés face au joug métropolitain, Urbain II avait le mérite de faire l’unanimité et de renforcer l’unité de la communauté.

    Autour de saint Martin : vers une unanimité martinienne

    28Par-delà l’unanimité monastique, la victoire sur l’archevêque permit également de renforcer la solidarité entre la collégiale Saint-Martin et Marmoutier qui entreprirent de confisquer à leur profit la mémoire de Martin. Cette véritable alliance entre les deux établissements donna lieu à une importante production narrative tout au long du xiie siècle. Le domaine hagiographique fut particulièrement privilégié dans la mesure où il permettait d’alimenter la liturgie en proposant des textes nouveaux pour les offices des fêtes martiniennes. Les récits célèbrent les deux communautés au point qu’il est particulièrement difficile d’identifier le milieu dans lequel ils ont été élaborés54. Leur but est néanmoins identique, célébrer la présence authentique de Martin au sein des deux sanctuaires privilégiés. Les manuscrits témoignent de rassemblements textuels significatifs dont les plus diffusés émanent de la collégiale55. Le De Reversione beati Martini de Burgundia décrit l’action miraculeuse de Martin contre les Normands, son exil en Bourgogne et son retour triomphal auprès des siens. Le texte rend hommage tant aux chanoines de la collégiale, qui possèdent toujours son corps, qu’aux moines de Marmoutier qui connurent le martyr de cent seize des leurs. De façon significative, l’archevêque de Tours n’est jamais associé aux décisions qui sont prises par les habitants de Tours, à savoir les chanoines de Saint-Martin, les moines de Marmoutier, les bourgeois de Châteauneuf et le comte d’Anjou ! Une suite au De Reversione fut également composée à la collégiale, formant une sorte de tome second de nature hagiographique. Les miracles du Pseudo-Herberne rassemblent de manière hétéroclite soixante miracles qui exaltent les prodiges opérés sur la tombe de Martin ou par son intercession. La proximité avec Marmoutier explique enfin que la collégiale rédigea, de façon contemporaine au De Reversione, une vie légendaire des Sept-Dormants56. Ces cousins de Martin seraient venus vivre en reclus à Marmoutier après un pèlerinage à Rome, Jérusalem et Compostelle. Martin les confia à Galbert, le premier abbé de Marmoutier. Longtemps après les sept frères moururent, donnant l’impression pendant sept jours qu’ils étaient toujours vivants, mais endormis, et accomplissant alors de nombreux miracles. Le bienheureux Brice les ensevelit dans l’oratoire dont Martin avait consacré l’autel et dans lequel il avait placé les reliques rapportées de leur long pèlerinage. L’insistance sur les tombes et les reliques présentes dans la chapelle Notre-Dame – rebaptisée des Sept-Dormants – permettait d’offrir à la dévotion des fidèles un lieu martinien situé près de la porte du monastère57. Deux lieux porteurs de la mémoire et de la présence de Martin étaient ainsi sanctifiés, où l’archevêque de Tours n’avait désormais plus aucun droit. Si les chanoines possédaient le corps de Martin, Marmoutier conservait la tombe de ses cousins qui devint un lieu de pèlerinage très prisé par les Tourangeaux dès le début du xiiie siècle58.

    29À partir de l’abbatiat de Garnier (1137-1155), Marmoutier poursuivit de son côté le travail historiographique et hagiographique qui avait été inauguré par la collégiale. Les thématiques se complétaient alors pour contribuer à édifier une véritable identité communautaire : mémoire des origines ; possession de la cellule de Martin et des tombes de ses parents ; présence efficace du saint qui continuait d’opérer des miracles in situ. L’éloge du Grand Monastère, qui devint plus tard un éloge de Tours et de ses grands lieux de vénération (De Commendatione Turonicae provinciae), fut complété par le noyau primitif des Gesta abbatum et par un recueil de miracles contemporains (De religione Maioris Monasterii et de miraculis sive revelationibus, sive visionibus divinitus inibi per merita beatissimi Martini factis). Dans un contexte de développement du nouveau monachisme, ce dernier récit rendait hommage à l’efficacité de la prière des moines noirs et soulignait la nécessité de leurs suffrages pour les morts, point qui avait été contesté par l’hérésie au cours des années 1140. À travers la puissance de ses prières, la qualité de sa vie régulière et l’assistance concrète de Martin, le Grand Monastère se trouvait élevé au rang de Farfa et de Cluny, contribuant ainsi à témoigner de sa gloire et à renforcer l’unanimité monastique. Enfin, un recueil conçu comme un miracle supplémentaire centré sur le restaurateur de la vie régulière, le comte Eudes de Blois, vint compléter l’ensemble : le Liber de restructione Maioris Monasterii per Odonem comitem59. La grandeur du monastère y était célébrée à la fois à travers sa vie religieuse exemplaire depuis sa restauration au xe siècle et par la force de ses suffrages qui permettaient de libérer du purgatoire l’âme des puissants. Cette belle réussite communautaire explique l’intérêt du moine Guibert de Gembloux vers 1180-1186. Celui-ci loua avec force l’exemplarité de la vie monastique qui était menée à Marmoutier, contribuant également à diffuser le culte martinien et les légendes du monastère dans sa patrie et jusqu’à Cologne60.

    ⁂

    30En définitive, le cas de Marmoutier est instructif quant aux moyens divers qu’une communauté pouvait mettre en œuvre pour préserver sa vie interne des divisions extérieures. Dans le Val de Loire, la menace du prince était moins redoutable pour les moines que les ambitions hégémoniques de l’épiscopat. La pression que représenta l’archevêque de Tours durant plusieurs décennies contribua, malgré des dissensions momentanées, à souder la communauté et à renforcer son identité.

    31À l’origine, Marmoutier joua la carte grégorienne de façon modérée. Le recours au pape reste circonstancié à l’époque de Grégoire VII, d’autant que celui-ci soutient l’archevêque, placé sous haute surveillance, comme un relai de son autorité. Les choses changent avec l’époque d’Urbain II et la venue du pape en 1096. Rome devient une carte maîtresse à jouer, tant par rapport aux ennemis du monastère que dans la construction d’une mémoire collective qui fédère la communauté après le passage de Calixte II. L’époque troublée du schisme d’Anaclet est l’occasion de bâtir une légende autour de la figure mythique d’Urbain II, qui permet de donner corps à l’existence d’une constitution de Clermont formant le socle des libertés du monastère. Le De Tribulationibus commémore alors la victoire sur l’archevêque, mais possède un ton beaucoup moins grégorien que le traité sur la libertas ecclesiae élaboré au Bec à la même époque. Si le siège de Pierre est invoqué à l’égal du roi comme le protecteur attitré du monastère, Marmoutier recherche d’abord son intérêt personnel et sa propre sécurité61. Le choix romain relève donc d’une stratégie bien pensée, non à faire preuve d’un véritable militantisme grégorien à l’exemple d’un Geoffroy de Vendôme. Cette protection pontificale permit néanmoins de consolider l’unanimité monastique.

    32À côté de la figure d’Urbain II, père des libertés, s’imposa de façon grandissante le primat de Martin que la communauté avait réussi à annexer avec la complicité de la collégiale. Dans les années 1150-1180, les débats qui animent la communauté reflètent un large horizon qui rassemble monde post-carolingien, temps grégoriens et défi hérétique. Les écrits hagiographiques célèbrent l’efficacité de la prière pour les défunts, l’eucharistie et les messes pour les morts et les vivants, la réalité du purgatoire et l’efficacité de l’intercession de Martin pour les pèlerins (culte des sept Dormants). L’image du moine-prêtre suscite l’exaltation d’une identité sacerdotale, déjà promue par le monde carolingien, mais de plus en plus centrée sur la confession et l’eucharistie. Martin, à la fois moine, évêque et puissant intercesseur avait l’avantage de rassembler ces diverses identités pour former un horizon fédérateur. Plus que jamais, les moines de Marmoutier se présentent comme des médiateurs efficaces qui permettent aux laïcs de gagner la Jérusalem céleste grâce à la pénitence, la confession et le saint viatique.

    33Le monachisme de Marmoutier est donc à appréhender sur le temps long. La communauté – souvent pourvue de grands abbés que les Gesta Abbatum entreprirent d’immortaliser – sut utiliser toutes ses ressources pour affirmer la grandeur et la liberté de sa vie religieuse interne, répondre aux menaces externes et, enfin, renforcer son unité communautaire autour de saint Martin. Confronté à un panorama monastique bien différent en Namurois, les louanges de Guibert de Gembloux témoignent de manière probante de la réussite du Grand Monastère à l’aube du xiiie siècle.

    Notes de bas de page

    1Sur cette distinction intus/foris qui oppose l’espace intérieur communautaire au monde extérieur, voir Rosenwein Barbara, Head Thomas et Farmer Sharon, « Monks and their Enemies: A comparative Approach », Speculum, t. 66, 1991, p. 764-796.

    2Recueil de chroniques de Touraine, t. I : Chronicon abbatum Majoris Monasterii, (désormais Chronicon), éd. André Salmon,Tours, Librairie Ladevèze, 1854, p. 319-320. Ces Gesta Abbatum sont en cours de réédition et traduction par Claire Lamy en lien avec l’ANR/DFG, Coenotur : les communautés martiniennes de Tours, leurs pratiques et leurs réseaux de l’Antiquité tardive au xiiie siècle. La présente communication a été élaborée dans le cadre de ce projet (ANR-18-FRAL-0007-01) qui verra une réédition complète des sources narratives de Marmoutier (Depreux Philippe [dir.], Classiques de l’histoire au Moyen Âge).

    3Chronicon, p. 318 ; Foulon Jean-Hervé, Église et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les Pays de la Loire au tournant des xie-xiie siècles, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 104-110. Le conflit comtal commence néanmoins un an plus tôt, en 1081.

    4De Libertate Beccensis monasterii, éd. Giles Constable, traduction de Bernard Smith, Three Treatises from Bec on the Nature of Monastic Life, Toronto, University of Toronto Press, 2008, p. 164-166 : « Tu esto abbas intus in ordine tuo et ego ero abbas in rebus exterioribus. »

    5Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 117-122. L’ensemble du dossier doit toutefois être repris, voir Foulon Jean-Hervé, « De la difficulté à discerner le vrai du faux : enquête sur les premiers privilèges pontificaux d’exemption de l’abbaye de Marmoutier (1087-1145) », in Journal des savants, no 2, 2022, p. 197-253 (incluant une réédition des privilèges).

    6Foulon Jean-Hervé, « Les accessions abbatiales en Normandie autour des années 1100 : une question complexe entre monde féodal, changements liturgiques et investitures », in Thomas Kohl (dir.), Konflikt und Wandel um 1100. Europa im Zeitalter von Feudalgesellschaft und investiturstreit, Berlin, De Gruyter, 2020, p. 155-190, ici p. 158-162 ; Martine Tristan et Winandy Jérémy (dir.), La Réforme grégorienne, une « révolution totale » ?, Paris, Classiques Garnier, 2021.

    7Chronicon, p. 322.

    8Patrologie Latine (désormais PL), éd. Jacques-Paul Migne, t. 162, Paris, 1854, Epistula (désormais Ep.) 73, col. 92-95, trad. Geneviève Giordanengo, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21010], consulté le 14 décembre 2022 (désormais YDC) ; Urbain II, extraits d’une lettre non datée (vers 1099 ?), Annales Ordinis S. Benedicti, éd. Jean Mabillon, t. 5, Lucques, 1740, p. 254 et PL, t. 151, Ep. 249, col. 518 (d’après Baluze, texte identique).

    9Foulon Jean-Hervé, « Un débat orageux au croisement des écrits monastiques : la question de la profession abbatiale à Marmoutier (xie-xiie siècles) », in Chantal Senséby (dir.), L’écrit monastique dans l’espace ligérien (xe-xiiie siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 171-191, ici p. 175-176.

    10Ceux-ci voulaient empêcher la consécration d’Hoël, candidat pronormand, au siège du Mans à la fin de 1081, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 108, n. 69.

    11Pour plus de détails, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 107-110 et « Un débat », art. cité, p. 178. De façon à justifier leur attitude face au « tyran », les chanoines prirent soin de consigner cette controverse : « Narratio controversiae inter capitulum S. Martini Turonensis et Radulphum », in Recueil des Historiens des Gaules et de la France (désormais RHF), éd. Dom Martin Bouquet, Paris, Victor Palmé éd., 1877, t. 12, p. 459-461.

    12YDC, Ep. 73 : « subjectionem debitam metropolitanae sedi ante benedictionem promiseritis ». Le terme debitam subjectionem matris ecclesie existe dans un acte de l’archevêque de Bourges Aimon dès août 1034, Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, [http://telma.irht.cnrs.fr/outils/originaux], consulté le 14 décembre 2022 (désormais Artem), no 4414 ; il est employé communément dans les années 1090, Artem, no 3092, 1094 ; no 2104, 1095 ; no 262, 1106.

    13Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 172-173. Odon de Bayeux exige profession de l’abbé de Troarn en 1088, de même que l’évêque de Lisieux pour Saint-Évroult en 1089 et 1091, Foulon Jean-Hervé, « Les accessions… », art. cité, p. 171-176.

    14Auctoritas regalis et episcopalis de pace et quietudine Maioris Monasterii. Ce titre a été ajouté par une main au xiie siècle au dos du pseudo-original conservé aux archives d’Indre et Loire, H 200, no 1 ; il fut recopié par la suite dans les manuscrits de Marmoutier, BnF, ms. lat. 13899, fo 51 et par Bouchel Laurent, Gregorii Turonensis episcopi, Historiae Francorum libri decem […], Paris, Petri Chevalerii, 1610, p. 153-156.

    15Artem, no 1421, acte du comte Robert, fils de Robert le Fort (912, 11 novembre, Tours). Voir Lévêque Pierre, « Trois actes faux ou interpolés des comtes Eudes et Robert et du Roi Raoul en faveur de l’abbaye de Marmoutier (887, 912, 931) », Bibliothèque de l’École des chartes, no 64, 1903, p. 54-82, et 289-305 ; Dufour Jean, Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul, Paris, Klincksieck, 1978, no 47, p. 181-186. Guyotjeannin Olivier, « Une interpolation datant des alentours de l’an mil et provenant de Marmoutier d’une notice perdue de 912 », Francia, no 13, 1985, p. 680-686 : les contours de l’interpolation restent difficiles à cerner avec certitude, mais sont plus larges que ne le pensait Dufour. Ce dernier datait la falsification des conflits du début du xie siècle, mais les critères paléographiques étudiés par Marc Merziowski, Claire Lamy et Chantal Senséby (chrisme dessiné et non tracé, éléments d’ornementation, proximité de graphie avec AD Orne, H2008, no 5 ; AD Eure-et-Loir, H2237) tendent à reculer la datation à la fin de l’abbatiat de Barthélemy ; pour le détail de l’argumentation, voir notre future édition des sources polémiques de Marmoutier.

    16Ce mot fut remplacé par « moines » dans les Gesta consulum andegavensium de Breton d’Amboise vers 1155-1164 (BnF, ms. lat. 6006, fo 26 vo-27 ro ; Chroniques des comtes d’Anjou et des seigneurs d’Amboise, éd. Louis Halphen et René Poupardin, Paris, Picard, 1913, p. 152-153). En 1083, moines et chanoines étaient unis contre Raoul Ier et l’acte entier était censé remonter à une époque où l’abbaye était soumise à Saint-Martin ; on conserva le mot chanoine comme gage d’authenticité.

    17Chevalier Ulysse, Histoire de Marmoutier par dom Martène, t. I, Tours, Guilland-Verger, 1874, p. 262-263 et 512-514 : selon Martène, il s’agissait de visiter la cellule de Martin et les lieux qu’ils avaient sanctifiés durant sa vie. Mais le texte ne mentionne pas spécifiquement le lectus Martini et ne fait allusion qu’à des sancta loca non précisés. D’une manière globale, aux yeux des moines et de l’archevêque, le Grand Monastère symbolise le lieu où Martin s’est voué à Dieu et a institué la vie monastique. Procession et messe ne sont pas alors référées à un lieu saint précis, qu’il s’agisse du Repos ou des Sept Dormants, voir la carte réalisée par Lorans Élisabeth, « Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques : à propos de Marmoutier », in Michel Lauwers (dir.), Monastères et espace social. Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, 2014, p. 289-352, ici p. 291 ; Lorans Élisabeth et Creissen Thomas, « Le “Repos de saint Martin” à Marmoutier : construction d’un lieu de mémoire », in Bruno Judic, Robert Beck, Christine Bousquet-Labouérie et Élisabeth Lorans (dir.), Un nouveau Martin. Essor et renouveaux de la figure de saint Martin ive-xxie siècle, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2019, p. 121-138.

    18BnF, ms. lat. 13899, fo 51 vo-52 ro ; Bouchel Laurent, Gregorii Turonensis…, op. cit., p. 156-158 : Descriptio et diffinitio a dompno Roberto Glorioso. L’anachronisme n’a pas fait peur au moine de Marmoutier qui a rassemblé les deux actes, confondant Erberne (890-916) et Arnoul. Néanmoins, les moines prirent soin de faire figurer des témoins n’éveillant pas la suspicion de l’archevêque (proximité de ceux-ci avec une charte de 1024, Artem, no 1566, 26/10).

    19Le terme diffinitio renvoie à un acte solennel judiciaire de tradition carolingienne ou un décret de type conciliaire, Niermeyer Jan Frederik, Mediae latinitatis lexicon minus, Leyde, Brill, 1976, p. 314. On retrouve le même mot dans la « constitution » de Clermont : « Hec diffinitio sive constitutio libertatis Maioris Monasterii facta est in concilio Claromontano a dompno papa Urbano », voir De Tribulationibus et angustiis et persecutionibus Maioris Monasterii monachis iniuste illatis, éd. Laurent Bouchel, Gregorii Turonensis…, op. cit., p. 137-152, ici p. 151 (désormais De Tribulationibus).

    20PL, t. 162, Ep. 73, col. 94D-95B, traduction de Geneviève Giordanengo, [http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/yves-de-chartres/notice/21010], consulté le 14 décembre 2022.

    21Pontifical de Besançon, De antiquis Ecclesiae ritibus. Liber secundus, t. II, éd. Edmond Martène, Venise, 1763, p. 153 ; Pontifical de Rouen, De professionibus abbatum, éd. Giles Constable, Three Treatises…, op. cit., p. 108-133, ici p. 122 : Volo et opto.

    22PL, t. 162, Ep. 108 (v. 1100), col. 127B, réédition et traduction de Geneviève Giordanengo, [http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/en/yves-de-chartres/notice/21045], consulté le 14 décembre 2022.

    23Chronicon, p. 319-324 (traduction de Claire Lamy).

    24Voir l’importance des chantiers à Marmoutier aux xiie-xiiie siècles, Lorans Élisabeth, « Circulation et hiérarchie… », art. cité, p. 293-332. On retrouve le même problème à Notre-Dame de Loches, vers 1151-1168, où le prieur Thomas, rédacteur des Gesta consulum Andegavensium, se laissa entraîner à des dépenses excessives pour la réparation de l’église. Ayant cherché à reprendre une partie des biens qu’il avait concédés aux chanoines, il fallut une libéralité du roi Henri Plantagenêt pour apaiser le conflit, Halphen Louis, Chroniques des comtes…, op. cit., p. xxix.

    25Iogna-Prat Dominique, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, 2006.

    26Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 120-121 ; Papsturkunden in Frankreich. Neue Folge. Touraine, Anjou, Maine und Bretagne, t. V, éd. Johannes Ramackers, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1956, no 20, p. 81-83 : Maius Monasterium non immerito appelatur.

    27Sur ce passage à Marmoutier, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 185 ; YDC, Ep. 73, PL, t. 162, col. 92D.

    28Chronicon, p. 319-324 (traduction de Claire Lamy) ; sur cet abbé radical et la dénonciation de la profession abbatiale, voir Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 349-424, notamment p. 418 ; Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 175, n. 14. Geoffroy de Vendôme précise dans une lettre de 1106-1107 qu’Urbain II aurait appris cette profession de la bouche des frères lors de son passage à Vendôme et l’aurait interdite, Geoffroy de Vendôme. Œuvres, éd. Geneviève Giordanengo, Paris, CNRS Éditions, 1996, Ep. 81, p. 156 ; Papsturkunden in Frankreich. Neue Folge. Orléanais, t. VI, éd. Johannes Ramackers, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1958, no 11, 24 novembre 1098, p. 60-61. Le scénario est semblable à celui de Marmoutier avec une dénonciation des frères scandalisés a posteriori par cette profession prêtée en 1093 par leur abbé à Yves de Chartres.

    29Papsturkunden…, op. cit., t. 5, no 21 (19 décembre 1089), p. 83-84 ; « Bulles inédites : le bienheureux Urbain II », Analecta Juris Pontificii, 10e série, t. 10, Rome, 1869, no 66 (16 avril 1090), col. 521-523 ; le pseudo-privilège de Clermont n’est connu que par les sources narratives de Marmoutier, De Tribulationibus, rééd. RHF, t. 14, p. 93-98, ici p. 97-98 ; Dedicatio Ecclesiae Majoris Monasterii, in Recueil…, t. I, éd. André Salmon, p. 338-342 (désormais Dedicatio) ; Narratio de Commendatione Turonicae Provinciae, ibid., p. 314-315. Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 179-184. Le 4e privilège, signalé par Victor Leroquais (Les bréviaires manuscrits des bibliothèques publiques de France, Paris, 1934, t. 4, p. 115), est un faux grossier. Il a été exhumé par Jean-François Goudesenne dans le cadre du projet Coenotur : BM Rouen, ms. 243 (fin xie siècle), fo 150 vo.

    30Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 179-182. Les deux premiers privilèges sont attestés par une source contemporaine : le récit de la dédicace de Marmoutier, écrit par un moine qui fut témoin oculaire des événements (ap. 12 mars 1096-av. 24 novembre 1098), Dedicatio, p. 338-340. D’après ce texte, des privilegia libertatis et immunitatis, au pluriel, ont été délivrés par Urbain II et rapportés de Rome par les moines Bernard et Rangier, ce qui situe leur octroi avant 1095 et renvoie logiquement aux bulles de 1089-1090. Ces privilegia furent lus et confirmés au concile de Clermont, par acclamation des pères, acclamantibus et auctorisantibus, sans octroi d’un nouveau privilège écrit dont aucune trace ne subsiste dans les cartulaires. Pour l’étendue des interpolations et les quelques rectifications à introduire par rapport à notre première interprétation, voir notre article « De la difficulté à discerner le vrai du faux… », art. cité, p. 215-234.

    31Le cartulaire-censier de Chemillé date de 1246, Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11 : le cahier 9 commence par un grand privilège d’Innocent II comprenant une confirmation détaillée des possessions de l’abbaye (no 183, fo 62 ro-66 ro) ; suivent les bulles de Pascal II (1100) et d’Urbain II (1089), no 184, fo 66 ro-67 ro ; no 185, fo 67 vo-68 ro.

    32Papsturkunden, op. cit., t. V, no 21, p. 84 : « Electus a Turonensi archiepiscopo consecra-tionem accipiat, si gratiam et communionem apostolice sedis habuerit et si eam gratis et sine pravitate exhibere voluerit: professionis exactione seposita » ; Regesta pontificum romanorum ad annum 1198, éd. Philipp Jaffé et Wilhelm Wattenbach, 2 vol., Leipzig, 1885-1888 (désormais JL), Baume-les-Messieurs (JL 5416, Artem, no 965, 1089) ; La Cava, (JL 5410, 1089) : concession des sacrements par l’archevêque si tamen communionem et gratiam apostolicae sedis habuerit, et si ea gratis ac sine pravitate exhibere voluerit, omni exactione deposita ; Saint-Sernin de Toulouse (JL 5430, Artem, no 3901, 1090) ; Rottenbuch (JL 5459, 1092) ; Bourgueil, (JL 5498, Artem, no 1407, 1093) : concession des sacrements par l’évêque si tamen catholicus fuerit ac gratiam Romanȩ sedis habuerit et ea gratis impendere ac sine pravitate voluerit ; Saint-Pierremont (JL 5567, Artem, no 344, 1095) ; Montmajour (JL 5664, Artem, no 4137, 1097) et Saint-Aubin d’Angers (Artem, no 3276, 1097). À part La Cava, connue par une copie de Dom Coustant, l’expression exactione se/deposita est elle-même très rare avant Pascal II (Artem, no 3675, 1107 ; no 711, 1109).

    33L’interdiction de la profession de l’abbé apparaît au mieux à Montierneuf en 1096 et avec certitude à Vendôme en 1098, voir supra et Recueil de documents relatifs à l’abbaye Montierneuf de Poitiers (1076-1319), éd. François Villard, Poitiers, Société des archives historiques du Poitou, 1973, no 25, 7 avril 1096, p. 41 (mais copie du xve siècle).

    34Urbain II, PL, t. 151, Ep. 249 (1099), col. 518.

    35Papsturkunden, op. cit., t. V, p. 84 ; Analecta Juris, no 66, col. 522 ; De Tribulationibus, RHF, t. 14, p. 98.

    36Lemarignier Jean-François, Étude sur les privilèges d’exemption et de juridiction ecclésiastique des abbayes normandes des origines jusqu’à 1140, Paris, Picard, 1937, p. 188-191. L’acte de 1028 contient des expressions typiques de l’époque d’Urbain II : « gratis et sine pravitate » (Artem, no 1971).

    37Dans l’interdiction d’excommunier Marmoutier, la mention « ullo in loco » de la bulle du 16 avril 1090 est donc suspecte, d’autant qu’elle n’existe pas dans toutes les copies du privilège. On trouve cette clause dans la copie d’Edmond Martène, BnF, ms. lat. 12878, fo 347-348, mais celle de Ruinart-Coustant contient seulement : « pro ulla causa », BnF, ms. lat. 16989, fo 79-80, in Analecta Juris, no 66, col. 522 : « Adicientes et precipientes, ne quisquam deinceps archiepiscopus aut episcopus Beati Martini Maius Monasterium, aut ipsius Maioris Monasterii monachos, pro ulla causa [ullo in loco] excommunicare presumat, sed omnis eorum causa gravior ex Apostolice sedis iudicio pendeat. » Ces clauses sont justement celles qui ont été précisées par rapport au privilège de 1089.

    38JL 5847, adressé au nouvel abbé Hilgod, PL, t. 161, col. 54-56 (éd. fautive) ; AD Maine et Loire, 39 H 11, no 184, fo 66-67 : « Nec cellarum vestrarum ubilibet positarum fratres, pro qualibet interdictione vel excommunicatione divinorum officiorum, suspensionem patiantur, sed tam monachi ipsi quam et famuli eorum et qui se monastice professioni devoverunt, clausis ecclesiarum ianuis, non admissis diocesanis divine servitutis officia celebrent, et sepulture debita peragant. » Le tout est scellé pagina nostre constitutionis. Le pape demande à Pierre de Chemillé de rendre aux moines l’église Saint-Léonard (JL 5856) et suspend l’évêque d’Angers (JL 5855), AD Maine et Loire, 39 H 11, fo A, no 1 ; 39 H 2 (26), no 1 ; Epistolae pontificum romanorum ineditae, éd. Samuel Loewenfeld, Leipzig, 1885, no 138-139, p. 67-68.

    39Dedicatio, p. 339-340 ; un concile eut lieu à Tours les 16-22 mars, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 185. BM Rouen, ms. 243, fo 150vo : « Urbanus episcopus servus servorum Dei, omnibus archiepiscopis et episcopis Galliarum maxime autem his qui sub Turonensi archiepiscopo sunt, salutem et apostolicam benedictionem. Notum vobis facimus, dilectissimi fratres, quia monasterium sancti Martini quod maius dicitur specialiter in tuitionem nostram et sancte ecclesie romane manum perpetuo iure suscepimus et quod antecessores nostri locis religionis ob quietem et religionis custodiam fecisse probantur, nos quoque illius loci habitatores ab omni alia subiectione liberos fecimus. Unde et privilegium dedimus quo adversus omnium oppressiones, insectationes, molestias, tuti maneant et illesi, nullusque eos archiepiscopus sive episcopus nulla causa sine romani pontificis licentia excommunicare audeat, nullus vel eos vel eorum res affligere, minuere, dehonestare presumat. Nunc itaque vos singulos adhortantes commendamus vobis eos ut unusquisque pro officio suo et viribus tueri et adiuvare non desistat, cellas eorum et obedientias, agros, vineas, mobilia vel immobilia, magna vel parva nullus invadere aut inquietare presumat. Quam sencionem nostram qui servaverint Dei et nostra benedictione letificent, contra autem facientes usque ad satisfactionis emendationem secundum privilegii tenorem anathemate feriantur. Annus ab igu (?). » Le mot sanctio rappelle un cadre conciliaire.

    40Ce faux privilège a été probablement rédigé entre mars 1096 et novembre 1100, date du privilège de Pascal II. Il paraît très proche des problèmes rencontrés à Chemillé et reprend la clause nulla causa présente dans le récit de la dédicace et le privilège romain de 1090.

    41AD Maine et Loire, 39 H 11, no 184, fo 66ro-67ro : Vos autem tamquam familiares filios nostre communionis caritatis et gratie vinculo complectimur. Qua nimirum iusticia exigente statuimus, ut regulariter electus abbas vel a Romano Pontifice, vel a catholico quem advocare maluerint, nostre communionis ac familiaritatis episcopo consecretur. Le terme constitutio (fo 67ro) est précisément celui qui serait employé par Urbain II dans le pseudo-privilège de Clermont, De tribulationibus, RHF, t. 14, p. 98 : Hec diffinitio sive constitutio libertatis Maioris Monasterii facta est in concilio Claromontano, a dompno papa Urbano, in octavis Beati Martini Turonice civitatis archiepiscopi, anno ab incarnatione Domini Moxciiio, regnante in Galliis rege Philippo, presente illo cum quo causam habebamus, sepedicto Rodulfo Turonensi archiepiscopo cum clericis eius contradicere quidem gestientibus, sed cum rationem dare non possent ad rationem apostolici inviolabilem obmutescentibus.

    42Même raisonnement sacramentel chez l’Anonyme du Bec, De Professionnibus abbatum, éd. Giles Constable, Three Treatises…, op. cit., p. 124. L’interprétation erronée de ce parti monastique fut critiquée par Yves de Chartres dans sa lettre à Pascal II, Ep. 88 (ap. 7 avril 1100-av. 19 novembre 1100), PL, t. 161, col. 108-109, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21025], consulté le 14 décembre 2022. Pour plus de détails, voir Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 175-177.

    43YDC, Ep. 108 (ap. 19 novembre 1100-av. 10 août 1104), ibid., col. 126-127, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21045], consulté le 14 décembre 2022. Ces témoins sont ceux prohibés par le droit canon à cause de leurs fautes, de leur parenté avec l’archevêque, par leur appartenance à sa maisonnée ou par le fait qu’ils sont salariés pour témoigner selon son ordre.

    44PL, t. 163, no 33, col. 56A. Sur la présence hypothétique de Baudri de Bourgueil à Rome et le dénouement du conflit, Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 185-186.

    45Après une médiation des évêques du Mans et d’Angers, Yves de Chartres adresse deux lettres à l’abbé et à l’archevêque pour apaiser la discorde qui a duré trop longtemps. Il recommande à l’abbé de prêter serment, tout en invitant l’archevêque à se contenter d’une simple profession orale, Ep. 234-235 (1112), PL, t. 161, col 236-238, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21172] et [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21173], consultés le 14 décembre 2022 ; Artem, no 1477, 9 août 1115.

    46Gilbert, neveu de Raoul II, avait été imposé par Louis VI ; Grandmaison Louis de, Cartulaire de l’archevêché de Tours, t. I, Tours, Péricat, 1892, C 43, p. 92-97. La notice traduit par un « nous » communautaire les tractations menées par l’ambassade.

    47Sur cette éviction, Farmer Sharon, Communities of Saint Martin. Legend and Ritual in Medieval Tours, Londres, Cornell University Press, 1991, p. 49-62. Dans la convenientia, les moines de Marmoutier sont opposés aux canonicos « sancti Mauricii ».

    48Sur cette nouvelle offensive épiscopale, voir Foulon Jean-Hervé, « Les accessions… », art. cité, p. 183-186.

    49Philippe apparaît comme signataire de la convenientia de 1119 ; Louis de Grandmaison, Cartulaire…, op. cit., C 43, p. 97. Seule l’intervention de saint Bernard et d’Innocent II permit la victoire de l’élu du chapitre, Hugues de la Ferté (1133-1147), Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 158-160.

    50La datation primitive de 1109-1115 est à rectifier, Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 184. Il faut certainement rapporter cet écrit au contexte troublé du schisme d’Anaclet, vers 1133-1137, voir notre future édition des textes polémiques.

    51De Tribulationibus, RHF, t. 14, p. 97-98.

    52Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11, no 184, fo 67 ro ; Bouchel Laurent, Gregorii Turonensis, op. cit., p. 156. Les Gesta Abbatum reprirent cette légende en attribuant à l’abbé Hilgod (1100-1104) la gloire d’avoir obtenu du pape Urbain II – mort en 1099 ! – les privilèges de liberté de Marmoutier, alors que celui-ci les avait obtenus de Pascal II, Recueil, t. I, éd. André Salmon, op. cit., p. 319.

    53Le faux du Bréviaire de Marmoutier pourrait avoir été un essai peu concluant. Le privilège de Terracine, devenu inutile, fut écarté et on ne conserva sa trace providentiellement que dans la copie du cartulaire de Chemillé, Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11, no 185. Il est remarquable que le privilège de Rome (JL 5435, 16 avril 1090) comporte des passages identiques à celui d’Innocent II du 8 janvier 1136 (JL 7752, Pise, Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11, no 183, fo 62-66) et que ce soit justement ces passages qu’on ne retrouve pas dans les bulles originales d’Urbain II ; voir par exemple : « Quam sanctionem nostram tanta gravitate firmamus, et inviolabiliter observari precipimus, ut nulli umquam successorum nostrorum liceat contra eam manum mittere, aut ex ea aliquid detrahere, vel in deterius permutare », in « Bulles inédites », art. cité, no 66, col. 522-523. Sur la falsification finale du privilège de 1090, Foulon Jean-Hervé, « De la difficulté… », art. cité, p. 218-224.

    54Sharon Farmer attribue le De Reversione s. Martini à un moine de Marmoutier (Communities…, op. cit., p. 305-306), tandis que Pierre Gasnault y voit l’œuvre d’un « chanoine de la collégiale tourangelle », voir “La narratio in reversione beati Martini a Burgundia” du Pseudo-Eudes de Cluny », in Saint Martin et son temps, Rome, Herder, 1961, p. 159-174, ici p. 166 et n. 30.

    55Voir notre réédition-traduction poursuivie dans le cadre de l’ANR/DFG Coenotur (à paraître aux Belles Lettres courant 2025) ; par exemple : BM Tours, ms. 1019D, 1021 ; Orléans, ms. 344 ; Paris, BnF, ms. lat. 5334, 9732. La fourchette de datation est comprise entre la fin du schisme d’Anaclet en 1136 et leur présence dans un manuscrit de 1156, malheureusement détruit (BM Metz, ms. 1183).

    56Recueil, t. II, éd. André Salmon, op. cit., p. 14-34 ; Les manuscrits hagiographiques d’Orléans, Tours et Angers, éd. Joseph Van der Straeten, Bruxelles, Société des Bollandistes, 1982, p. 163-184 ; Historia septem Dormientium, PL, t. 71, col. 1105D-1118B, il s’agit de la vie longue, étoffée à Marmoutier ; la vie courte issue de la collégiale est donnée maladroitement en notes.

    57Voir carte, Lorans Élisabeth, « Circulation… », art. cité, p. 291. L’abbé Hervé de Villepreux souligne en 1180 que leurs tombes « apud nos sunt », éd. Albert Derolez, Guiberti Gemblacensis Epistolae quae in codice B. R. Brux. 5527-5534 inveniuntur, Epistolae I-XXIV, Turnhout, Brepols, 1988, Ep. 4, p. 66.

    58Oury Guy-Marie, « Les sept Dormants de Marmoutier. La vocation à la réclusion », Analecta Bollandiana, no 99, 1981, p. 315-327. Les miracles opérés attestent leur vie céleste auprès du Christ, PL, t. 71, col. 1118A.

    59De Commendatione, éd. André Salmon, Recueil, op. cit., p. 292-317 ; Chronicon, p. 318-337 ; Liber de restructione, id., p. 343-373 ; De religione, PL, t. 149, col. 403-420 (il manque le Prologue, voir BnF, ms. lat. 13899, fo 25 ro).

    60Guiberti Gemblacensis, op. cit., Ep. 3, 7, 8, 9 et 14.

    61De Libertate Beccensis monasterii, éd. Giles Constable, Three Teatises, op. cit., p. 135-167 ; De Commendatione, in Recueil, éd. André Salmon, op. cit., p. 312-317.

    Auteur

    Jean-Hervé Foulon

    Aix-Marseille Université.

    Jean-Hervé Foulon est agrégé de l’université et spécialiste en histoire religieuse du Moyen Âge central. Il est actuellement maître de conférences-HDR à Aix-Marseille Université et appartient au laboratoire TELEMMe.

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    1Sur cette distinction intus/foris qui oppose l’espace intérieur communautaire au monde extérieur, voir Rosenwein Barbara, Head Thomas et Farmer Sharon, « Monks and their Enemies: A comparative Approach », Speculum, t. 66, 1991, p. 764-796.

    2Recueil de chroniques de Touraine, t. I : Chronicon abbatum Majoris Monasterii, (désormais Chronicon), éd. André Salmon,Tours, Librairie Ladevèze, 1854, p. 319-320. Ces Gesta Abbatum sont en cours de réédition et traduction par Claire Lamy en lien avec l’ANR/DFG, Coenotur : les communautés martiniennes de Tours, leurs pratiques et leurs réseaux de l’Antiquité tardive au xiiie siècle. La présente communication a été élaborée dans le cadre de ce projet (ANR-18-FRAL-0007-01) qui verra une réédition complète des sources narratives de Marmoutier (Depreux Philippe [dir.], Classiques de l’histoire au Moyen Âge).

    3Chronicon, p. 318 ; Foulon Jean-Hervé, Église et réforme au Moyen Âge. Papauté, milieux réformateurs et ecclésiologie dans les Pays de la Loire au tournant des xie-xiie siècles, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 104-110. Le conflit comtal commence néanmoins un an plus tôt, en 1081.

    4De Libertate Beccensis monasterii, éd. Giles Constable, traduction de Bernard Smith, Three Treatises from Bec on the Nature of Monastic Life, Toronto, University of Toronto Press, 2008, p. 164-166 : « Tu esto abbas intus in ordine tuo et ego ero abbas in rebus exterioribus. »

    5Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 117-122. L’ensemble du dossier doit toutefois être repris, voir Foulon Jean-Hervé, « De la difficulté à discerner le vrai du faux : enquête sur les premiers privilèges pontificaux d’exemption de l’abbaye de Marmoutier (1087-1145) », in Journal des savants, no 2, 2022, p. 197-253 (incluant une réédition des privilèges).

    6Foulon Jean-Hervé, « Les accessions abbatiales en Normandie autour des années 1100 : une question complexe entre monde féodal, changements liturgiques et investitures », in Thomas Kohl (dir.), Konflikt und Wandel um 1100. Europa im Zeitalter von Feudalgesellschaft und investiturstreit, Berlin, De Gruyter, 2020, p. 155-190, ici p. 158-162 ; Martine Tristan et Winandy Jérémy (dir.), La Réforme grégorienne, une « révolution totale » ?, Paris, Classiques Garnier, 2021.

    7Chronicon, p. 322.

    8Patrologie Latine (désormais PL), éd. Jacques-Paul Migne, t. 162, Paris, 1854, Epistula (désormais Ep.) 73, col. 92-95, trad. Geneviève Giordanengo, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21010], consulté le 14 décembre 2022 (désormais YDC) ; Urbain II, extraits d’une lettre non datée (vers 1099 ?), Annales Ordinis S. Benedicti, éd. Jean Mabillon, t. 5, Lucques, 1740, p. 254 et PL, t. 151, Ep. 249, col. 518 (d’après Baluze, texte identique).

    9Foulon Jean-Hervé, « Un débat orageux au croisement des écrits monastiques : la question de la profession abbatiale à Marmoutier (xie-xiie siècles) », in Chantal Senséby (dir.), L’écrit monastique dans l’espace ligérien (xe-xiiie siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 171-191, ici p. 175-176.

    10Ceux-ci voulaient empêcher la consécration d’Hoël, candidat pronormand, au siège du Mans à la fin de 1081, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 108, n. 69.

    11Pour plus de détails, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 107-110 et « Un débat », art. cité, p. 178. De façon à justifier leur attitude face au « tyran », les chanoines prirent soin de consigner cette controverse : « Narratio controversiae inter capitulum S. Martini Turonensis et Radulphum », in Recueil des Historiens des Gaules et de la France (désormais RHF), éd. Dom Martin Bouquet, Paris, Victor Palmé éd., 1877, t. 12, p. 459-461.

    12YDC, Ep. 73 : « subjectionem debitam metropolitanae sedi ante benedictionem promiseritis ». Le terme debitam subjectionem matris ecclesie existe dans un acte de l’archevêque de Bourges Aimon dès août 1034, Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, [http://telma.irht.cnrs.fr/outils/originaux], consulté le 14 décembre 2022 (désormais Artem), no 4414 ; il est employé communément dans les années 1090, Artem, no 3092, 1094 ; no 2104, 1095 ; no 262, 1106.

    13Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 172-173. Odon de Bayeux exige profession de l’abbé de Troarn en 1088, de même que l’évêque de Lisieux pour Saint-Évroult en 1089 et 1091, Foulon Jean-Hervé, « Les accessions… », art. cité, p. 171-176.

    14Auctoritas regalis et episcopalis de pace et quietudine Maioris Monasterii. Ce titre a été ajouté par une main au xiie siècle au dos du pseudo-original conservé aux archives d’Indre et Loire, H 200, no 1 ; il fut recopié par la suite dans les manuscrits de Marmoutier, BnF, ms. lat. 13899, fo 51 et par Bouchel Laurent, Gregorii Turonensis episcopi, Historiae Francorum libri decem […], Paris, Petri Chevalerii, 1610, p. 153-156.

    15Artem, no 1421, acte du comte Robert, fils de Robert le Fort (912, 11 novembre, Tours). Voir Lévêque Pierre, « Trois actes faux ou interpolés des comtes Eudes et Robert et du Roi Raoul en faveur de l’abbaye de Marmoutier (887, 912, 931) », Bibliothèque de l’École des chartes, no 64, 1903, p. 54-82, et 289-305 ; Dufour Jean, Recueil des actes de Robert Ier et de Raoul, Paris, Klincksieck, 1978, no 47, p. 181-186. Guyotjeannin Olivier, « Une interpolation datant des alentours de l’an mil et provenant de Marmoutier d’une notice perdue de 912 », Francia, no 13, 1985, p. 680-686 : les contours de l’interpolation restent difficiles à cerner avec certitude, mais sont plus larges que ne le pensait Dufour. Ce dernier datait la falsification des conflits du début du xie siècle, mais les critères paléographiques étudiés par Marc Merziowski, Claire Lamy et Chantal Senséby (chrisme dessiné et non tracé, éléments d’ornementation, proximité de graphie avec AD Orne, H2008, no 5 ; AD Eure-et-Loir, H2237) tendent à reculer la datation à la fin de l’abbatiat de Barthélemy ; pour le détail de l’argumentation, voir notre future édition des sources polémiques de Marmoutier.

    16Ce mot fut remplacé par « moines » dans les Gesta consulum andegavensium de Breton d’Amboise vers 1155-1164 (BnF, ms. lat. 6006, fo 26 vo-27 ro ; Chroniques des comtes d’Anjou et des seigneurs d’Amboise, éd. Louis Halphen et René Poupardin, Paris, Picard, 1913, p. 152-153). En 1083, moines et chanoines étaient unis contre Raoul Ier et l’acte entier était censé remonter à une époque où l’abbaye était soumise à Saint-Martin ; on conserva le mot chanoine comme gage d’authenticité.

    17Chevalier Ulysse, Histoire de Marmoutier par dom Martène, t. I, Tours, Guilland-Verger, 1874, p. 262-263 et 512-514 : selon Martène, il s’agissait de visiter la cellule de Martin et les lieux qu’ils avaient sanctifiés durant sa vie. Mais le texte ne mentionne pas spécifiquement le lectus Martini et ne fait allusion qu’à des sancta loca non précisés. D’une manière globale, aux yeux des moines et de l’archevêque, le Grand Monastère symbolise le lieu où Martin s’est voué à Dieu et a institué la vie monastique. Procession et messe ne sont pas alors référées à un lieu saint précis, qu’il s’agisse du Repos ou des Sept Dormants, voir la carte réalisée par Lorans Élisabeth, « Circulation et hiérarchie au sein des établissements monastiques : à propos de Marmoutier », in Michel Lauwers (dir.), Monastères et espace social. Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, Brepols, 2014, p. 289-352, ici p. 291 ; Lorans Élisabeth et Creissen Thomas, « Le “Repos de saint Martin” à Marmoutier : construction d’un lieu de mémoire », in Bruno Judic, Robert Beck, Christine Bousquet-Labouérie et Élisabeth Lorans (dir.), Un nouveau Martin. Essor et renouveaux de la figure de saint Martin ive-xxie siècle, Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2019, p. 121-138.

    18BnF, ms. lat. 13899, fo 51 vo-52 ro ; Bouchel Laurent, Gregorii Turonensis…, op. cit., p. 156-158 : Descriptio et diffinitio a dompno Roberto Glorioso. L’anachronisme n’a pas fait peur au moine de Marmoutier qui a rassemblé les deux actes, confondant Erberne (890-916) et Arnoul. Néanmoins, les moines prirent soin de faire figurer des témoins n’éveillant pas la suspicion de l’archevêque (proximité de ceux-ci avec une charte de 1024, Artem, no 1566, 26/10).

    19Le terme diffinitio renvoie à un acte solennel judiciaire de tradition carolingienne ou un décret de type conciliaire, Niermeyer Jan Frederik, Mediae latinitatis lexicon minus, Leyde, Brill, 1976, p. 314. On retrouve le même mot dans la « constitution » de Clermont : « Hec diffinitio sive constitutio libertatis Maioris Monasterii facta est in concilio Claromontano a dompno papa Urbano », voir De Tribulationibus et angustiis et persecutionibus Maioris Monasterii monachis iniuste illatis, éd. Laurent Bouchel, Gregorii Turonensis…, op. cit., p. 137-152, ici p. 151 (désormais De Tribulationibus).

    20PL, t. 162, Ep. 73, col. 94D-95B, traduction de Geneviève Giordanengo, [http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/yves-de-chartres/notice/21010], consulté le 14 décembre 2022.

    21Pontifical de Besançon, De antiquis Ecclesiae ritibus. Liber secundus, t. II, éd. Edmond Martène, Venise, 1763, p. 153 ; Pontifical de Rouen, De professionibus abbatum, éd. Giles Constable, Three Treatises…, op. cit., p. 108-133, ici p. 122 : Volo et opto.

    22PL, t. 162, Ep. 108 (v. 1100), col. 127B, réédition et traduction de Geneviève Giordanengo, [http://telma.irht.cnrs.fr/chartes/en/yves-de-chartres/notice/21045], consulté le 14 décembre 2022.

    23Chronicon, p. 319-324 (traduction de Claire Lamy).

    24Voir l’importance des chantiers à Marmoutier aux xiie-xiiie siècles, Lorans Élisabeth, « Circulation et hiérarchie… », art. cité, p. 293-332. On retrouve le même problème à Notre-Dame de Loches, vers 1151-1168, où le prieur Thomas, rédacteur des Gesta consulum Andegavensium, se laissa entraîner à des dépenses excessives pour la réparation de l’église. Ayant cherché à reprendre une partie des biens qu’il avait concédés aux chanoines, il fallut une libéralité du roi Henri Plantagenêt pour apaiser le conflit, Halphen Louis, Chroniques des comtes…, op. cit., p. xxix.

    25Iogna-Prat Dominique, La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, 2006.

    26Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 120-121 ; Papsturkunden in Frankreich. Neue Folge. Touraine, Anjou, Maine und Bretagne, t. V, éd. Johannes Ramackers, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1956, no 20, p. 81-83 : Maius Monasterium non immerito appelatur.

    27Sur ce passage à Marmoutier, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 185 ; YDC, Ep. 73, PL, t. 162, col. 92D.

    28Chronicon, p. 319-324 (traduction de Claire Lamy) ; sur cet abbé radical et la dénonciation de la profession abbatiale, voir Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 349-424, notamment p. 418 ; Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 175, n. 14. Geoffroy de Vendôme précise dans une lettre de 1106-1107 qu’Urbain II aurait appris cette profession de la bouche des frères lors de son passage à Vendôme et l’aurait interdite, Geoffroy de Vendôme. Œuvres, éd. Geneviève Giordanengo, Paris, CNRS Éditions, 1996, Ep. 81, p. 156 ; Papsturkunden in Frankreich. Neue Folge. Orléanais, t. VI, éd. Johannes Ramackers, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1958, no 11, 24 novembre 1098, p. 60-61. Le scénario est semblable à celui de Marmoutier avec une dénonciation des frères scandalisés a posteriori par cette profession prêtée en 1093 par leur abbé à Yves de Chartres.

    29Papsturkunden…, op. cit., t. 5, no 21 (19 décembre 1089), p. 83-84 ; « Bulles inédites : le bienheureux Urbain II », Analecta Juris Pontificii, 10e série, t. 10, Rome, 1869, no 66 (16 avril 1090), col. 521-523 ; le pseudo-privilège de Clermont n’est connu que par les sources narratives de Marmoutier, De Tribulationibus, rééd. RHF, t. 14, p. 93-98, ici p. 97-98 ; Dedicatio Ecclesiae Majoris Monasterii, in Recueil…, t. I, éd. André Salmon, p. 338-342 (désormais Dedicatio) ; Narratio de Commendatione Turonicae Provinciae, ibid., p. 314-315. Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 179-184. Le 4e privilège, signalé par Victor Leroquais (Les bréviaires manuscrits des bibliothèques publiques de France, Paris, 1934, t. 4, p. 115), est un faux grossier. Il a été exhumé par Jean-François Goudesenne dans le cadre du projet Coenotur : BM Rouen, ms. 243 (fin xie siècle), fo 150 vo.

    30Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 179-182. Les deux premiers privilèges sont attestés par une source contemporaine : le récit de la dédicace de Marmoutier, écrit par un moine qui fut témoin oculaire des événements (ap. 12 mars 1096-av. 24 novembre 1098), Dedicatio, p. 338-340. D’après ce texte, des privilegia libertatis et immunitatis, au pluriel, ont été délivrés par Urbain II et rapportés de Rome par les moines Bernard et Rangier, ce qui situe leur octroi avant 1095 et renvoie logiquement aux bulles de 1089-1090. Ces privilegia furent lus et confirmés au concile de Clermont, par acclamation des pères, acclamantibus et auctorisantibus, sans octroi d’un nouveau privilège écrit dont aucune trace ne subsiste dans les cartulaires. Pour l’étendue des interpolations et les quelques rectifications à introduire par rapport à notre première interprétation, voir notre article « De la difficulté à discerner le vrai du faux… », art. cité, p. 215-234.

    31Le cartulaire-censier de Chemillé date de 1246, Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11 : le cahier 9 commence par un grand privilège d’Innocent II comprenant une confirmation détaillée des possessions de l’abbaye (no 183, fo 62 ro-66 ro) ; suivent les bulles de Pascal II (1100) et d’Urbain II (1089), no 184, fo 66 ro-67 ro ; no 185, fo 67 vo-68 ro.

    32Papsturkunden, op. cit., t. V, no 21, p. 84 : « Electus a Turonensi archiepiscopo consecra-tionem accipiat, si gratiam et communionem apostolice sedis habuerit et si eam gratis et sine pravitate exhibere voluerit: professionis exactione seposita » ; Regesta pontificum romanorum ad annum 1198, éd. Philipp Jaffé et Wilhelm Wattenbach, 2 vol., Leipzig, 1885-1888 (désormais JL), Baume-les-Messieurs (JL 5416, Artem, no 965, 1089) ; La Cava, (JL 5410, 1089) : concession des sacrements par l’archevêque si tamen communionem et gratiam apostolicae sedis habuerit, et si ea gratis ac sine pravitate exhibere voluerit, omni exactione deposita ; Saint-Sernin de Toulouse (JL 5430, Artem, no 3901, 1090) ; Rottenbuch (JL 5459, 1092) ; Bourgueil, (JL 5498, Artem, no 1407, 1093) : concession des sacrements par l’évêque si tamen catholicus fuerit ac gratiam Romanȩ sedis habuerit et ea gratis impendere ac sine pravitate voluerit ; Saint-Pierremont (JL 5567, Artem, no 344, 1095) ; Montmajour (JL 5664, Artem, no 4137, 1097) et Saint-Aubin d’Angers (Artem, no 3276, 1097). À part La Cava, connue par une copie de Dom Coustant, l’expression exactione se/deposita est elle-même très rare avant Pascal II (Artem, no 3675, 1107 ; no 711, 1109).

    33L’interdiction de la profession de l’abbé apparaît au mieux à Montierneuf en 1096 et avec certitude à Vendôme en 1098, voir supra et Recueil de documents relatifs à l’abbaye Montierneuf de Poitiers (1076-1319), éd. François Villard, Poitiers, Société des archives historiques du Poitou, 1973, no 25, 7 avril 1096, p. 41 (mais copie du xve siècle).

    34Urbain II, PL, t. 151, Ep. 249 (1099), col. 518.

    35Papsturkunden, op. cit., t. V, p. 84 ; Analecta Juris, no 66, col. 522 ; De Tribulationibus, RHF, t. 14, p. 98.

    36Lemarignier Jean-François, Étude sur les privilèges d’exemption et de juridiction ecclésiastique des abbayes normandes des origines jusqu’à 1140, Paris, Picard, 1937, p. 188-191. L’acte de 1028 contient des expressions typiques de l’époque d’Urbain II : « gratis et sine pravitate » (Artem, no 1971).

    37Dans l’interdiction d’excommunier Marmoutier, la mention « ullo in loco » de la bulle du 16 avril 1090 est donc suspecte, d’autant qu’elle n’existe pas dans toutes les copies du privilège. On trouve cette clause dans la copie d’Edmond Martène, BnF, ms. lat. 12878, fo 347-348, mais celle de Ruinart-Coustant contient seulement : « pro ulla causa », BnF, ms. lat. 16989, fo 79-80, in Analecta Juris, no 66, col. 522 : « Adicientes et precipientes, ne quisquam deinceps archiepiscopus aut episcopus Beati Martini Maius Monasterium, aut ipsius Maioris Monasterii monachos, pro ulla causa [ullo in loco] excommunicare presumat, sed omnis eorum causa gravior ex Apostolice sedis iudicio pendeat. » Ces clauses sont justement celles qui ont été précisées par rapport au privilège de 1089.

    38JL 5847, adressé au nouvel abbé Hilgod, PL, t. 161, col. 54-56 (éd. fautive) ; AD Maine et Loire, 39 H 11, no 184, fo 66-67 : « Nec cellarum vestrarum ubilibet positarum fratres, pro qualibet interdictione vel excommunicatione divinorum officiorum, suspensionem patiantur, sed tam monachi ipsi quam et famuli eorum et qui se monastice professioni devoverunt, clausis ecclesiarum ianuis, non admissis diocesanis divine servitutis officia celebrent, et sepulture debita peragant. » Le tout est scellé pagina nostre constitutionis. Le pape demande à Pierre de Chemillé de rendre aux moines l’église Saint-Léonard (JL 5856) et suspend l’évêque d’Angers (JL 5855), AD Maine et Loire, 39 H 11, fo A, no 1 ; 39 H 2 (26), no 1 ; Epistolae pontificum romanorum ineditae, éd. Samuel Loewenfeld, Leipzig, 1885, no 138-139, p. 67-68.

    39Dedicatio, p. 339-340 ; un concile eut lieu à Tours les 16-22 mars, Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 185. BM Rouen, ms. 243, fo 150vo : « Urbanus episcopus servus servorum Dei, omnibus archiepiscopis et episcopis Galliarum maxime autem his qui sub Turonensi archiepiscopo sunt, salutem et apostolicam benedictionem. Notum vobis facimus, dilectissimi fratres, quia monasterium sancti Martini quod maius dicitur specialiter in tuitionem nostram et sancte ecclesie romane manum perpetuo iure suscepimus et quod antecessores nostri locis religionis ob quietem et religionis custodiam fecisse probantur, nos quoque illius loci habitatores ab omni alia subiectione liberos fecimus. Unde et privilegium dedimus quo adversus omnium oppressiones, insectationes, molestias, tuti maneant et illesi, nullusque eos archiepiscopus sive episcopus nulla causa sine romani pontificis licentia excommunicare audeat, nullus vel eos vel eorum res affligere, minuere, dehonestare presumat. Nunc itaque vos singulos adhortantes commendamus vobis eos ut unusquisque pro officio suo et viribus tueri et adiuvare non desistat, cellas eorum et obedientias, agros, vineas, mobilia vel immobilia, magna vel parva nullus invadere aut inquietare presumat. Quam sencionem nostram qui servaverint Dei et nostra benedictione letificent, contra autem facientes usque ad satisfactionis emendationem secundum privilegii tenorem anathemate feriantur. Annus ab igu (?). » Le mot sanctio rappelle un cadre conciliaire.

    40Ce faux privilège a été probablement rédigé entre mars 1096 et novembre 1100, date du privilège de Pascal II. Il paraît très proche des problèmes rencontrés à Chemillé et reprend la clause nulla causa présente dans le récit de la dédicace et le privilège romain de 1090.

    41AD Maine et Loire, 39 H 11, no 184, fo 66ro-67ro : Vos autem tamquam familiares filios nostre communionis caritatis et gratie vinculo complectimur. Qua nimirum iusticia exigente statuimus, ut regulariter electus abbas vel a Romano Pontifice, vel a catholico quem advocare maluerint, nostre communionis ac familiaritatis episcopo consecretur. Le terme constitutio (fo 67ro) est précisément celui qui serait employé par Urbain II dans le pseudo-privilège de Clermont, De tribulationibus, RHF, t. 14, p. 98 : Hec diffinitio sive constitutio libertatis Maioris Monasterii facta est in concilio Claromontano, a dompno papa Urbano, in octavis Beati Martini Turonice civitatis archiepiscopi, anno ab incarnatione Domini Moxciiio, regnante in Galliis rege Philippo, presente illo cum quo causam habebamus, sepedicto Rodulfo Turonensi archiepiscopo cum clericis eius contradicere quidem gestientibus, sed cum rationem dare non possent ad rationem apostolici inviolabilem obmutescentibus.

    42Même raisonnement sacramentel chez l’Anonyme du Bec, De Professionnibus abbatum, éd. Giles Constable, Three Treatises…, op. cit., p. 124. L’interprétation erronée de ce parti monastique fut critiquée par Yves de Chartres dans sa lettre à Pascal II, Ep. 88 (ap. 7 avril 1100-av. 19 novembre 1100), PL, t. 161, col. 108-109, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21025], consulté le 14 décembre 2022. Pour plus de détails, voir Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 175-177.

    43YDC, Ep. 108 (ap. 19 novembre 1100-av. 10 août 1104), ibid., col. 126-127, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21045], consulté le 14 décembre 2022. Ces témoins sont ceux prohibés par le droit canon à cause de leurs fautes, de leur parenté avec l’archevêque, par leur appartenance à sa maisonnée ou par le fait qu’ils sont salariés pour témoigner selon son ordre.

    44PL, t. 163, no 33, col. 56A. Sur la présence hypothétique de Baudri de Bourgueil à Rome et le dénouement du conflit, Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 185-186.

    45Après une médiation des évêques du Mans et d’Angers, Yves de Chartres adresse deux lettres à l’abbé et à l’archevêque pour apaiser la discorde qui a duré trop longtemps. Il recommande à l’abbé de prêter serment, tout en invitant l’archevêque à se contenter d’une simple profession orale, Ep. 234-235 (1112), PL, t. 161, col 236-238, [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21172] et [http://telma-chartes.irht.cnrs.fr/yves-de-chartres/notice/21173], consultés le 14 décembre 2022 ; Artem, no 1477, 9 août 1115.

    46Gilbert, neveu de Raoul II, avait été imposé par Louis VI ; Grandmaison Louis de, Cartulaire de l’archevêché de Tours, t. I, Tours, Péricat, 1892, C 43, p. 92-97. La notice traduit par un « nous » communautaire les tractations menées par l’ambassade.

    47Sur cette éviction, Farmer Sharon, Communities of Saint Martin. Legend and Ritual in Medieval Tours, Londres, Cornell University Press, 1991, p. 49-62. Dans la convenientia, les moines de Marmoutier sont opposés aux canonicos « sancti Mauricii ».

    48Sur cette nouvelle offensive épiscopale, voir Foulon Jean-Hervé, « Les accessions… », art. cité, p. 183-186.

    49Philippe apparaît comme signataire de la convenientia de 1119 ; Louis de Grandmaison, Cartulaire…, op. cit., C 43, p. 97. Seule l’intervention de saint Bernard et d’Innocent II permit la victoire de l’élu du chapitre, Hugues de la Ferté (1133-1147), Foulon Jean-Hervé, Église et réforme, op. cit., p. 158-160.

    50La datation primitive de 1109-1115 est à rectifier, Foulon Jean-Hervé, « Un débat… », art. cité, p. 184. Il faut certainement rapporter cet écrit au contexte troublé du schisme d’Anaclet, vers 1133-1137, voir notre future édition des textes polémiques.

    51De Tribulationibus, RHF, t. 14, p. 97-98.

    52Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11, no 184, fo 67 ro ; Bouchel Laurent, Gregorii Turonensis, op. cit., p. 156. Les Gesta Abbatum reprirent cette légende en attribuant à l’abbé Hilgod (1100-1104) la gloire d’avoir obtenu du pape Urbain II – mort en 1099 ! – les privilèges de liberté de Marmoutier, alors que celui-ci les avait obtenus de Pascal II, Recueil, t. I, éd. André Salmon, op. cit., p. 319.

    53Le faux du Bréviaire de Marmoutier pourrait avoir été un essai peu concluant. Le privilège de Terracine, devenu inutile, fut écarté et on ne conserva sa trace providentiellement que dans la copie du cartulaire de Chemillé, Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11, no 185. Il est remarquable que le privilège de Rome (JL 5435, 16 avril 1090) comporte des passages identiques à celui d’Innocent II du 8 janvier 1136 (JL 7752, Pise, Arch. dép. Maine et Loire, 39 H 11, no 183, fo 62-66) et que ce soit justement ces passages qu’on ne retrouve pas dans les bulles originales d’Urbain II ; voir par exemple : « Quam sanctionem nostram tanta gravitate firmamus, et inviolabiliter observari precipimus, ut nulli umquam successorum nostrorum liceat contra eam manum mittere, aut ex ea aliquid detrahere, vel in deterius permutare », in « Bulles inédites », art. cité, no 66, col. 522-523. Sur la falsification finale du privilège de 1090, Foulon Jean-Hervé, « De la difficulté… », art. cité, p. 218-224.

    54Sharon Farmer attribue le De Reversione s. Martini à un moine de Marmoutier (Communities…, op. cit., p. 305-306), tandis que Pierre Gasnault y voit l’œuvre d’un « chanoine de la collégiale tourangelle », voir “La narratio in reversione beati Martini a Burgundia” du Pseudo-Eudes de Cluny », in Saint Martin et son temps, Rome, Herder, 1961, p. 159-174, ici p. 166 et n. 30.

    55Voir notre réédition-traduction poursuivie dans le cadre de l’ANR/DFG Coenotur (à paraître aux Belles Lettres courant 2025) ; par exemple : BM Tours, ms. 1019D, 1021 ; Orléans, ms. 344 ; Paris, BnF, ms. lat. 5334, 9732. La fourchette de datation est comprise entre la fin du schisme d’Anaclet en 1136 et leur présence dans un manuscrit de 1156, malheureusement détruit (BM Metz, ms. 1183).

    56Recueil, t. II, éd. André Salmon, op. cit., p. 14-34 ; Les manuscrits hagiographiques d’Orléans, Tours et Angers, éd. Joseph Van der Straeten, Bruxelles, Société des Bollandistes, 1982, p. 163-184 ; Historia septem Dormientium, PL, t. 71, col. 1105D-1118B, il s’agit de la vie longue, étoffée à Marmoutier ; la vie courte issue de la collégiale est donnée maladroitement en notes.

    57Voir carte, Lorans Élisabeth, « Circulation… », art. cité, p. 291. L’abbé Hervé de Villepreux souligne en 1180 que leurs tombes « apud nos sunt », éd. Albert Derolez, Guiberti Gemblacensis Epistolae quae in codice B. R. Brux. 5527-5534 inveniuntur, Epistolae I-XXIV, Turnhout, Brepols, 1988, Ep. 4, p. 66.

    58Oury Guy-Marie, « Les sept Dormants de Marmoutier. La vocation à la réclusion », Analecta Bollandiana, no 99, 1981, p. 315-327. Les miracles opérés attestent leur vie céleste auprès du Christ, PL, t. 71, col. 1118A.

    59De Commendatione, éd. André Salmon, Recueil, op. cit., p. 292-317 ; Chronicon, p. 318-337 ; Liber de restructione, id., p. 343-373 ; De religione, PL, t. 149, col. 403-420 (il manque le Prologue, voir BnF, ms. lat. 13899, fo 25 ro).

    60Guiberti Gemblacensis, op. cit., Ep. 3, 7, 8, 9 et 14.

    61De Libertate Beccensis monasterii, éd. Giles Constable, Three Teatises, op. cit., p. 135-167 ; De Commendatione, in Recueil, éd. André Salmon, op. cit., p. 312-317.

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    Foulon, Jean-Hervé. « L’abbaye de Marmoutier et la réforme pontificale ». In Communautés déchirées ?, édité par Tristan Martine. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2025. https://doi.org/10.4000/13ma2.
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