Chapitre XXIX. Tokyo 2021
La rénovation de l’olympisme effacée par la pandémie
p. 367-382
Texte intégral
1Avec le Japon pour accueillir les XXXIIe Jeux en 2020, le CIO retrouve l’Asie Pacifique après Tokyo 1964, Séoul 1988, et Pékin 2008, mais sans oser encore incliner du côté de l’Asie des rivages de l’océan Indien, ni même encore basculer vers le Moyen-Orient comme la FIFA l’a tenté et réussi, non sans controverses, en attribuant au Qatar la coupe du monde de football 2022. Malgré une économie en berne depuis la crise financière mondiale de 2008 et la récession provoquée par l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima en 2011, le Japon reste une valeur olympique sûre. Alliée des États-Unis depuis 1945, la démocratie japonaise présente l’avantage de faire oublier les nombreuses controverses liées à l’octroi des Jeux d’été à Pékin pour 2008 et d’hiver à la station balnéaire russe de Sotchi en 2014.
2C’était sans compter avec la pandémie de Covid-19 qui a mis à l’arrêt la vie internationale en mars 2020. Encore moins prioritaires que l’économie, les échanges sportifs sont brutalement interrompus et le CIO n’a pu faire autrement que de transgresser sa propre règle de concours quadriennaux en décalant les Jeux de Tokyo d’une année. À vrai dire, il avait déjà fait une entorse à son règlement en 1986 en décidant d’avancer les Jeux d’hiver de deux années par rapport aux Jeux d’été afin d’accroître les revenus olympiques : ceux de Lillehammer ont eu lieu en 1994, au lieu de 1996, entre Albertville 1992 et Nagano 1998. Si l’institution lausannoise continue à parler des « Jeux de Tokyo 2020 », c’est pour des raisons de marketing, mais aussi pour entretenir la fiction d’une horloge olympique que rien n’arrête. Or, cette horloge s’était déjà arrêtée au Japon avec l’annulation des Jeux prévus à Tokyo pour l’année 1940.
Les freins au report des Jeux
3Pour un CIO désireux de montrer l’utilité sociale des Jeux, le choix de Tokyo par 60 voix contre 36 à Istanbul se serait imposé comme une évidence lors de la session de Buenos Aires en septembre 2013. Mais, il existe une autre explication à ce succès à en croire la justice française qui a mis en examen, en décembre 2018, le président du comité olympique japonais Tsunekazu Takeda, par ailleurs membre du CIO, pour des soupçons de corruption active lors de l’attribution des Jeux de 2020 à Tokyo. Ce dernier avait été blanchi par la justice japonise en 2016.
4Le thème de la réparation n’a jamais cessé d’être le principal argument du Comité olympique japonais pour consolider sa candidature. Alors que le Japon est le seul pays au monde à avoir souffert d’un bombardement nucléaire, la catastrophe de Fukushima était venue rejouer ce drame sur un mode civil. Aussi, la politique de relance du premier ministre Shinzo Abe baptisée « Abenomics » et la montée sur le trône impérial en 2019 de Naruhito, dont le grand-père Hirohito avait ouvert les Jeux de 1964, ont-ils redonné espoir. Mais, la pandémie de Covid-19 a conduit Yoshihide Suga, le successeur de Abe à la tête du Parti libéral-démocrate, nationaliste et conservateur, qui monopolise le pouvoir depuis 1945, à adopter un nouveau slogan en septembre 2020 : « Les JO, symbole de la victoire sur le virus. » Mis sous pression par l’opinion publique japonaise et mondiale, par les athlètes qui l’accusent de montrer peu d’empathie, par les CNO de certains pays occidentaux comme l’Australie, le Canada ou l’Espagne qui menaçaient de boycotter l’événement, par l’IAAF qui ne dépend pas du financement du CIO, le président Bach a attendu le dernier moment, soit le mois de mars 2020, pour annoncer, d’un commun accord avec les autorités japonaises, le report des Jeux olympiques en hésitant encore sur l’automne 2020 ou l’été 2021.
5Ces atermoiements s’expliquent bien sûr par l’inconnu que représente la pandémie, mais aussi par la volonté de ne pas heurter le premier ministre conservateur japonais Shinzo Abe qui s’est énormément investi dans la campagne olympique à l’instar de son grand-père Nobusuke Kishi qui avait obtenu les Jeux de 1964 pour Tokyo. Abe aurait également misé sur un redressement de sa popularité, alors même que son quatrième gouvernement constitué en juillet 2019 est vivement critiqué pour ses liens avec l’extrême droite nationaliste et révisionniste : il finira par démissionner en août 2020 du fait de problèmes de santé.
6Du côté du CIO, ce fut le temps nécessaire pour éviter une annulation qui aurait grevé ses finances même s’il dispose d’une assurance, en renégociant les contrats avec les sponsors du programme TOP et en réorganisant le calendrier du sport mondial avec les FI. Plutôt que se dédire et d’avoir à payer 20 milliards de dollars, le gouvernement et les sponsors ont fini par décider d’assumer le coût astronomique du report occasionné par le gel de l’attribution des 23 immeubles construits par le comité d’organisation, le renouvellement des contrats des sous-traitants, la réattribution de la billetterie ainsi que le paiement des employés et l’embauche des bénévoles pour douze mois supplémentaires…
Une devise davantage inclusive mais une liberté de parole des athlètes toujours limitée
7Réuni en juillet 2021 en session à Tokyo, le CIO a décidé d’ajouter le terme « Communiter » à sa devise latine « Citius, Altius, Fortius » qui datait de l’époque de Coubertin. Avec « Plus vite, plus haut, plus fort, ensemble », il veut rompre symboliquement avec les idées de quête infinie de la performance et de victoire à tout prix qui pouvaient incliner au dopage, à la tricherie et à la violence. Cette inscription dans un système de valeurs moins individualiste et davantage inclusif est une première réponse aux objections des organisations internationales de défense des droits et libertés lui reprochant de se situer en dehors de la Charte des Nations unies. C’est aussi une manière de désamorcer la contestation qui monte parmi les athlètes des régimes démocratiques qui se plaignent des limites opposées à leurs droits et de l’absence de rétributions pour leur participation aux Jeux dont le CIO capte tous les contrats. Au tournant des années 2020, sont en effet apparues des organisations de défense des intérêts des athlètes de nature très diverse : branche World Players Association de la fédération syndicale internationale des employés du secteur des services UNI Global Union, ONG du type Global Athlete, embryons de ligues professionnelles comme The Atheles Association et The International Swimmers’ Alliance (ISA).
8World Players réunit plus de 85 000 athlètes professionnelsl affiliés à une centaine de syndicats, dont les plus actifs sont FIFPRO pour le football et European Elite Athletes’ Association pour l’athlétisme avec un engagement marqué des champions et championnes allemands et scandinaves. Ce syndicat mondial se donne pour mission de « défendre la dignité du joueur et l’humanité du sport » et milite pour que les droits fondamentaux des travailleurs, les droits humains et le droit international soient le fondement du « futur monde du sport ». Avec pour devise « By Athletes, For Athletes », Global Athlete est institué en 2019 pour améliorer les conditions de vie des athlètes, les protéger contre toutes formes de harcèlement, obtenir qu’ils soient associés aux décisions les concernant et qu’ils perçoivent une partie des revenus olympiques ou des prize moneys. Dirigé par Callum Skinner, un pistard britannique médaillé d’or en 2016, et par Rob Koeller, précédemment vice-directeur général de l’AMA, Global Athlete est soutenu par FairSport et par Right to Play qui a été fondée en 2000 par le patineur norvégien Johann Olav Koss. Dirigée par des avocats et des philanthropes nord-américains, établie dans le New Jersey, FairPLay est une ONG britannique qui se donne pour objectif depuis 2017 d’éradiquer la tricherie dans le sport et de protéger les lanceurs d’alertes. Fondée en 2019 sous la forme d’une ONG, prenant appui sur le cabinet d’avocats londonien Brandsmiths, et sur le webzine américain Fan Hub Track & Field, The Atheles Association s’adresse à tous les compétiteurs et compétitrices d’athlétisme classés dans les 250 mondiaux. Elle leur propose de rejoindre la ligue professionnelle World 1 League pour des événements sportifs spécifiquement postés sur les médias sociaux. Officiellement lancée sous la forme d’une ONG en juin 2021 par le milliardaire controversé Konstantin Grigorishin à la triple nationalité russe, ukrainienne et chypriote, ISA parviendra à réunir en février 2022 120 nageurs professionnels issus de 31 pays. Clairement constituée contre la FINA, elle devra interrompre son activité à la suite de l’invasion de l’Ukraine
9Toutes ces organisations ont immédiatement attiré les critiques du CIO, de l’IPC et de l’AMA, soutenus par les présidents de leurs commissions d’athlètes. Le CIO, en particulier, avait bien identifié le mécontentement en amont lorsqu’il avait soutenu en 2017 le lancement de la plateforme « Athlete365 » créée « par les athlètes pour les athlètes » afin de leur « offrir des conseils, services et outils pertinents dans leur parcours jusqu’aux Jeux olympiques et au-delà ». Surtout, devant la montée des critiques concernant la limitation de la liberté d’expression des athlètes par la Charte olympique, sa Commission exécutive a proposé le 3 juillet 2021 certains aménagements à la règle 50.2 de la Charte olympique et de ne plus interdire les prises de parole et formes d’expression que durant les épreuves, sur les podiums et à l’intérieur du village olympique, avec pour résultat la disparition des expressions de nature politique aux Jeux d’été à Tokyo en 2021 et, surtout, aux Jeux d’hiver à Pékin en février 2022. L’un des arguments du CIO pour justifier le maintien de telles limites est que certains athlètes pourraient y professer des opinions contraires aux valeurs olympiques et démocratiques.
10Pour faire accepter les modifications à la règle 50.2, le CIO les a présentées comme le résultat d’une large consultation auprès des athlètes et de propositions établies par la Commission des athlètes pilotée par Kirsten Coventry en se fondant sur les résultats obtenus. Mais, plus de 200 chercheurs et militants des droits humains se sont élevés contre la méthodologie utilisée : les athlètes membres des organisations syndicales n’ont pas été consultés, la part des athlètes victimes d’atteintes à leurs droits n’a pas été précisée, certains pays comme la Chine ou certaines catégories d’âge par exemple les plus de quarante ans ont été surreprésentées, plusieurs réponses sont suggérées par la manière de poser les questions. Présidée par le Britannique Sebastian Coe, l’IAAF a décidé, en revanche, d’autoriser la liberté d’expression des athlètes en tous lieux et en tous moments, considérant que les athlètes sont des citoyens comme les autres, et que le propre de la démocratie est de laisser la libre parole à ses adversaires. De l’autre côté du spectre, sous la présidence du Koweïti Husain Al-Musallam, qui est soupçonné de malversation par la justice américaine et le CIO, la FINA a décidé d’interdire toute prise parole en tous lieux. En la matière, l’éventail des réglementations des FI fournit un excellent indicateur de leur bonne santé démocratique.
11Continument sous la pression des militants des droits humains, le CIO se résoudra en octobre 2023 à inclure dans sa Charte « le respect des droits humains reconnus au plan international » en lieu et place de la vague formule « respect des principes éthiques fondamentaux universels » qui avait fini par être introduite en 1991. Sa mission ne devrait donc plus consister seulement à veiller à ce que les athlètes ne soient pas discriminés ; il devra s’assurer qu’ils puissent exercer leurs libertés de déplacement, d’association, de pensée et d’expression.
Le désamour olympique des Japonais et leur défense des droits humains
12La population japonaise s’est opposée aux Jeux dès la phase de candidature en préférant la réaffectation des dépenses publiques vers les budgets de la santé et de l’éducation. Ses convictions ont été renforcées par l’annonce de la pandémie. Elle s’est alors régulièrement et massivement montrée favorable à un report des Jeux et elle gardera une rancune tenace vis-à-vis de son gouvernement et du CIO de les avoir maintenus coûte que coûte, en l’occurrence pour 2 milliards d’euros de plus que le budget initial.
13Ce rejet massif des Jeux par la population a conduit les grandes compagnies japonaises sponsors de l’événement à réduire leur visibilité durant la cérémonie d’ouverture et les compétitions. Des personnalités très connues de la vie culturelle japonaise, comme le réalisateur et animateur de télévision Takeshi Kitano, n’ont pas hésité à critiquer les JO et à dénoncer un gaspillage d’argent public. On ne s’étonnera donc pas que Panasonic et Toyota, les partenaires économiques mondiaux du CIO au Japon, n’aient pas renouvelé leur contrat en 2024. Ce fiasco économique a considérablement terni l’image de la puissante et influente agence de publicité Dentsu qui, en tant que partenaire promotionnel exclusif des JO, avait obtenu la levée de 2,5 milliards d’euros auprès de 67 entreprises japonaises. Les manque-à-gagner sont nombreux pour le groupe qui a dû mettre en vente son siège social, et dont la réputation est entachée par des soupçons de corruption dans le processus de candidature.
14Dans les jours et semaines qui ont précédé la cérémonie d’ouverture, plusieurs démissions sont survenues dans les rangs de l’équipe artistique à la suite de propos déplacés envers les femmes, les personnes en situation de handicap ou de surpoids, et même les Juifs pourtant très peu nombreux au Japon. Quelques mois plutôt, en février 2021, l’ancien Premier ministre octogénaire Yoshiro Mori avait dû démissionner de la présidence du comité d’organisation des Jeux, sous la pression de l’opinion publique, de plusieurs ambassades au Japon dont celle de l’Union européenne, du CIO et des sponsors, pour avoir déclaré que « les conseils d’administration avec beaucoup de femmes prennent beaucoup de temps » mais que celles du COJO « savent rester à leur place ». Ce dernier aurait veillé au choix de la ministre chargée des jeux Seiko Hashimoto pour le remplacer car il en a fait son héritière politique et mise sur elle pour devenir la première femme première ministre du Japon.
15C’est là un excellent baromètre des évolutions de la société civile japonaise qui est devenue extrêmement réactive en matière de lutte contre les discriminations. Alors que le Japon est au 121e rang en matière d’égalité hommes-femmes, que le machisme est monnaie courante dans la vie politique du pays, que les femmes sont les premières victimes de la crise économique car elles sont les plus nombreuses parmi les travailleurs précaires, et que plusieurs affaires de harcèlement ont éclaté dans le sport nippon, c’est la première fois qu’un dirigeant de cette envergure est contraint à la démission pour son sexisme.
Une cérémonie d’ouverture et des compétitions sans guère de spectateurs
16Plus longtemps épargnée par le coronavirus que beaucoup d’autres pays du fait de son insularité, la population japonaise a néanmoins subi la gestion calamiteuse de la pandémie par le gouvernement japonais. Ce dernier avait seulement assuré la vaccination de 16 % des habitants avant les Jeux, ce qui a abouti à une recrudescence des cas de contamination et de décès juste avant la cérémonie d’ouverture. En réponse aux nombreux débats sur les droits humains qui ont précédé les Jeux, c’est la joueuse de tennis métisse Naomi Osaka qui a été choisie pour allumer la vasque dans le « nouveau stade national ». Construit à la place du stade de 1964 détruit pour l’occasion, il a généré une succession de polémiques qui ont abouti à annuler en juillet 2015 le projet accordé à l’architecte irako-britannique Zaha Hadid, lauréate du prix Pritzker, au motif d’un coût démesuré, pour le confier au Japonais Kengo Kuma.
17Alors que le système hospitalier est saturé, l’obligation imposée par le contrat-hôte de garantir la gratuité des soins pour les membres des délégations olympiques n’est acceptée ni par la population ni par les élus locaux qui veulent donner la priorité aux nationaux. Les changements successifs de la jauge autorisée sur les sites de compétition ou le fait de ne pas comptabiliser les groupes scolaires montrent à quel point les organisateurs ont été réticents à tenir compte de l’avis des experts sanitaires. Comme le CIO et les organisateurs n’ont pas exigé que les athlètes soient vaccinés, des restrictions draconiennes leur sont imposées au sein du village olympique, de même qu’une quatorzaine à leur arrivée puis des tests quotidiens.
18Avec près de 4 millions de morts dans le monde à la mi-juin 2021, le gouvernement japonais a imposé une jauge maximale de 20 000 personnes tandis que les spectateurs, obligés de porter un masque, ont été interdits d’alcool, d’embrassade, d’acclamation et d’autographe. De même, le défilé des délégations, qui a lieu au rythme des musiques de célèbres jeux vidéo japonais, est réduit à la portion congrue tandis que les chefs d’État et de gouvernement sont rares à avoir fait le déplacement comme les présidents français, polonais et suisse. Préenregistrées pour la majorité d’entre elles, les scènes qui composent le spectacle sont placées sous la formule « Moving Forward » dans l’idée que les Jeux puissent redonner espoir au monde entier.
19Alors que les cérémonies qui avaient eu lieu précédemment au Japon avaient mis en exergue la culture traditionnelle et le thème de la paix, celle-ci a davantage misé sur les technologies et la culture populaire (J-pop, mangas, jeux vidéo). C’est ainsi que la diplomatie culturelle du Japon s’est accordée à l’industrie globale de l’entertainment représentée par le producteur italien Marco Balich, qui avait déjà une dizaine de cérémonies olympiques à son actif.
Le laboratoire des sports additionnels, le basket 3 × 3 et le BMX Freestyle
20Alors que le CIO a mis un coup d’arrêt en 2004 à la révolution silencieuse de son programme sportif initiée à Barcelone douze ans plus tôt, il inaugure avec beaucoup plus d’éclat médiatique sa seconde révolution sportive à Tokyo en 2021. Constatant le décrochage des jeunes générations, notamment occidentales et asiatiques, pour le spectacle télévisé des jeux olympiques, son nouveau président Thomas Bach prévoit dans son plan de sauvetage dénommé « Agenda 2020 » d’offrir dorénavant la possibilité à chaque comité d’organisation des Jeux d’été de proposer cinq sports dits « additionnels ». Ces derniers diffèrent des anciens sports de démonstration car ils donnent lieu à l’attribution officielle de médailles, mais ils leur ressemblent en ce sens que leur présence n’est nullement garantie aux Jeux suivants.
21L’équation n’était pas simple au départ pour le CIO qui ne souhaitait pas dépasser la jauge des 10 000 à 11 000 athlètes pour ne pas céder au gigantisme, et qui ne voulait pas non plus supprimer des sports après l’expérience malheureuse de l’éviction manquée de la lutte en 2013. La solution trouvée par le CIO a donc consisté à raisonner à l’avenir en termes d’épreuves olympiques et non plus de sports olympiques. Autrement dit, pour faire de la place pour les sports additionnel, les sports olympiques déjà existants, notamment les moins suivis à la télévision ou les plus traversés par des scandales de dopage et de corruption, ont été contraints de diminuer leur propre nombre d’épreuves. Concernant l’arrivée de l’escalade sur mur artificiel, du skateboard et du surf, ce ne fut pas à la demande du COJO japonais, mais sur la vive recommandation du CIO.
22La stratégie de rajeunissement des publics du CIO concerne aussi des FI déjà olympiques comme la FIBA et l’UCI. Sur le modèle du beach-volley, le basket 3 × 3 est ainsi inauguré à Tokyo après avoir été testé par le CIO aux JOJ à Singapour en 2010, et avoir figuré au programme des championnats du monde de la FIBA en 2012. Il oppose, sur un demi-terrain, deux équipes à la composition réduite de cinq à trois joueurs, et pour une durée raccourcie de quatre quart-temps de dix minutes à seulement dix minutes. Le temps de jeu peut être plus bref encore si l’une des deux équipes atteint le score de vingt et un points avant la fin programmée. Plus proche de la forme du duel et du défi, ce basket 3 × 3 propose un spectacle beaucoup plus intense et haletant et génère ainsi ce supplément d’émotions que recherchent les programmeurs des télévisions et leurs annonceurs. L’UCI, de son côté, a obtenu du CIO l’adjonction d’une nouvelle épreuve de BMX dite freestyle qui consiste à produire des figures aériennes comme des équilibres (ou calages) et des glissades (grinds) sans que les roues ne touchent le sol puisqu’elles prennent appui sur des obstacles ou sur une rampe.
23Poursuivant la politique de mixité de genre du CIO, Tokyo 2020 a en outre organisé 18 épreuves mixtes sur un total de 339 (5 %) en athlétisme, badminton, judo, natation, sports équestres, tennis, tennis de table, tir, tir à l’arc, triathlon et voile avec des compétitions phares comme le relais 4 × 400 m en athlétisme, le judo par équipes, le tir par équipes, le relais 4 × 100 m quatre nages et le relais de triathlon (nage sur 300 m, vélo sur 6,8 km et course de 2 km pour chaque concurrent). Mais, les seules épreuves où les femmes et les hommes s’affrontent, depuis longtemps d’ailleurs, sont l’équitation et la voile. L’argument avancé par le CIO et les FI tient aux différences de performances, mais on pourrait imaginer des équipes mixtes en sports collectifs à la façon du korfbal, un jeu éducatif imaginé aux Pays-Bas en 1902 et proche du basket-ball où quatre joueuses et quatre joueurs tentent de marquer dans le panier des adversaires. Par ailleurs, l’équilibre entre les épreuves féminines et masculines est atteint pour la première fois en canoë, aviron, tir et haltérophilie.
La consécration temporaire du karaté et le retour du baseball/softball
24En revanche, les organisateurs tokyoïtes ont aisément intégré le karaté et acté le retour du baseball et de sa version féminine (softball) car tous trois sont des sports très populaires au Japon. La pratique du baseball remonte à la fin du xixe siècle au moment de l’arrivée des YMCA et les deux versions genrées de ce sport ont connu un développement accéléré dans le système d’enseignement secondaire à compter de l’occupation américaine après 1945. Le championnat professionnel qui est apparu en parallèle a rencontré la ferveur du public et les deux franchises japonaise et américaine ont pu pratiquer des échanges de stars dans les dernières décennies. Quant au karaté, à la différence du judo dérivé du jujitsu des samouraïs et diffusé dans le monde occidental dès avant la Première Guerre mondiale, il a gagné les États-Unis en 1947 puis l’Europe dans les années cinquante. Les liens entretenus par certains maîtres japonais avec l’extrême droite japonaise et la coexistence de deux FI suffisent à expliquer son entrée tardive et temporaire dans le programme olympique.
25Contrairement à l’historiographie nationaliste japonaise produite à l’époque du militarisme expansionniste des années 1930, le karaté n’est pas apparu dans le contexte du bouddhisme zen à l’époque du shogunat de Kamakura au xiiie siècle, mais sous l’influence des arts martiaux chinois arrivés probablement par Okinawa. Cet « art de la main vide », sans armes et au sens de la vacuité du bouddhisme, où les coups sont impactés avec les poings et les pieds, est organisé en fédération nationale au Japon en 1959 à partir des nombreuses écoles existantes, et en fédération européenne en 1965 à l’initiative du judoka et juriste d’entreprise français Jacques Delcourt. Ce dernier a même fondé en 1970 une Union internationale de karaté qu’il a dû dissoudre tout après parce qu’il n’y avait pas convié les maîtres japonais.
26Il s’est alors heurté au président de la Fédération japonaise de karaté, Ryoichi Sasakawa, qui lui a imposé en cette même année 1970 la création d’une nouvelle structure dénommée World Union of Karate-do Organisations (WUKO) et le lancement à Tokyo des premiers championnats du monde. Assurément, la personnalité clivante de Sasakawa a rendu compliquée la reconnaissance olympique du karaté. Impliqué dans l’armement de guerre dans les années 1930, admirateur déclaré de Mussolini qu’il a rencontré en 1939, élu à la Diète japonaise en 1942, il est emprisonné par les Américains à Sugamo durant trois années comme criminel de guerre de classe A. Ayant fait fortune après-guerre dans la construction navale et dans l’industrie des paris de courses de bateaux à moteurs, il est un des fondateurs en 1954, avec Chiang Kaï-shek et le leader sud-coréen Syngman Rhee, de la Ligue mondiale pour la liberté et la démocratie (World Anti-Communist League) qui aurait à son actif la chute du président indonésien Soekharno. Se présentant en 1974 comme « le fasciste le plus riche du monde », il se fait philanthrope et suscite des controverses par ses dons à la secte Moon ou bien à l’Unesco (un million de dollars en 1979). Tout porte à croire que ses engagements ont entraîné la réaction du jeune maître de karaté Hidetaka Nishiyama qui fonde en 1961 à New York l’International Amateur Karate Federation (IAKF). Depuis 1961, en effet, ce dernier anime la fédération américaine de karaté après avoir enseigné cet art du combat au personnel de l’aviation militaire (Strategic Air Command) stationné au Japon. En organisant en 1975 à Los Angeles les premiers championnats du monde de sa fédération, il défie la WUKO de Sasakawa.
27À peine cette dernière est-elle reconnue en 1985 par le CIO du président Samaranch qu’il change le nom de l’IAKF en International Traditional Karate Federation pour se présenter en gardien du temple face à la dérive sportive de la WUKO. La marque de fabrique du « karaté traditionnel » repose sur la quête du coup de grâce (Todome-waza), le respect mutuel entre pratiquants plutôt que la quête de la victoire à tout prix, et le développement personnel. En 1992, Nishiyama rejette le projet du CIO de fusionner avec la WUKO, qui prend alors le nom de World Karate Federation, ce qui va empêcher pour trois décennies l’intégration olympique du karaté. Nishiyama sera honoré en 1999 par le Sénat américain pour avoir enseigné l’art du karaté aux forces armées américaines tandis que Sasakawa avait obtenu le Prix de la paix des Nations unies en 1962 et le prix Martin Luther King en 1986.
L’olympisation du surf entre modèle fédéral et modèle commercial
28Le chemin aura été long entre l’apparition des premières compétitions de surf sur les plages californiennes au début du xxe siècle et la décision prise par le CIO en 2016 de faire figurer le surf comme « sport additionnel » aux Jeux de Tokyo. Il a d’abord fallu que ce mode de vie alternatif soit transformé en sport, c’est-à-dire qu’il soit codifié et institutionnalisé, et ensuite que le CIO parvienne à jouer sa partition entre les deux organisations qui prétendent régner sur le surf mondial.
29La première étape de l’institutionnalisation de ce sport a eu lieu en 1964 à Manly Beach, un quartier de Sydney, avec le lancement des premiers championnats du monde de surf et la constitution par le Péruvien Eduardo Arena de l’International Surfing Federation qui est renommée en 1976 International Surfing Association (ISA). Cette dernière rejoint en 1982 l’AGFIS que présidera bientôt le Sud-Coréen Kim Un-yong. Le surfeur de Lacanau Jacques Hèle, devenu président de l’ISA en 1990, peut alors enclencher le processus de rapprochement avec le CIO de Juan Antonio Samaranch qui lui accorde une reconnaissance officielle sept ans plus tard. La difficulté provient du fait qu’il existe une autre concurrente depuis 1976 qui a pris la forme d’une franchise professionnelle : l’Association des surfeurs professionnels (ASP) qui a lancé le World Tour dès sa création. Devenue une entreprise commerciale à compter de son rachat en 2013 par le milliardaire Dirk Ziff, l’ASP a pris en 2015 le nom de World Surf League (WSL).
30L’impulsion décisive sera finalement donnée par le surfeur et homme d’affaires argentin Fernando Aguerre qui est élu sans discontinuer président de l’ISA depuis 1994. Fondateur à San Diego en 1985 de la marque de tongs Reef Brazil, qu’il revendra en 2003 à la compagnie Vans, il a prospéré depuis 1998 en patronnant les concours de « Miss Reef bikini » et les championnats « Reef Big Wave » à Todos Santos au Mexique. Appliquant à l’ISA les pratiques de marketing de sa société, il multiplie les formats de compétition mondiale à compter de 2007 afin de damer le pion à l’ASP. En jouant la carte de l’ISA contre la WSL, le CIO est fidèle à sa stratégie séculaire de ne traiter ni avec des syndicats d’athlètes professionnels ni avec des franchises commerciales sportives. Pour la sélection des athlètes aux JO de Paris, les deux voies d’accès seront encore possibles mais les épreuves de qualification de l’ISA, qui rassemble 103 associations nationales en 2024, tendent à grignoter celles de WSL.
Fédéralisation du skateboard et franchises commerciales
31C’est un principe assez similaire qui a prévalu pour l’intégration du skateboard dans le programme olympique dans la mesure où le CIO a joué la vieille FIPR, devenue dans les années 1960 Fédération internationale de roller skating (FIRS), contre les trois franchises professionnelles qui s’étaient constituées en 2004 et 2014. Là encore, l’idée est de rajeunir l’offre de spectacle en en absorbant une pratique à la réputation anticonformiste, mais qui connaît également un développement sportif depuis un demi-siècle.
32Les premières compétitions de skateboard sont, en effet, organisées par la marque Makaha à Hermosa en Californie en 1963 et à Anglet en France en 1965. Après un essoufflement économique à la fin des années 1970, les acteurs économiques du marché du skateboard font le choix de le relancer en prenant appui sur les modes musicales du punk et du thrash metal. Cela vaut pour Fausto Vitello, le fondateur du magazine Thrasher lancé à San Francisco en 1981 avec pour devise « Skate and Destroy », et pour Georges Powell et Stacy Peralta à l’origine de la célèbre marque de skate au logo en forme de squelette. L’intégration du skateboard dans les premiers X Games en 1995 et le lancement en 1999 du jeu vidéo Tony Hawk Pro Skater, du nom du spécialiste le plus populaire du « vert » qui est le nom du skateboard vertical, contribuent à l’avènement de l’industrie de ce sport et à sa diffusion sur tous les continents sauf en Afrique.
33Flairant la bonne affaire, plusieurs franchises commerciales apparaissent alors en une décennie : l’International Skateboarding Federation (ISF) de Gary Ream en 2004, la Street League Skateboarding (SLS) du skateur professionnel Rob Dyrdek en 2010, et la World Skateboarding Federation (WSF) de l’homme d’affaires Tim McFerran en 2014. Le CIO va alors jouer une partie serrée en un temps record. Après avoir refusé le projet de l’UCI d’intégrer le skateboard sous son égide pour les Jeux de Londres en 2012 et pour ceux de Rio en 2016, l’institution lausannoise a misé avec succès sur la FIRS fondée en 1924 à Montreux en Suisse. Après avoir organisé une réunion de travail à Lausanne en 2016 avec les trois instances concurrentes du skateboard, le CIO encourage la FIRS à se transformer en 2017 en World Skate en créant une branche « skateboard ». Cette dernière est confiée à l’homme d’affaires Gary Ream qui, outre l’ISF, dirige le Woodward Camp de Pennsylvanie et une franchise de camp de sports extrêmes. Cette solution permet d’intégrer dans le jeu ses propres partenaires équipementiers (Nike, DC Shoes, Vans) ou télévisuels (NBC, FOX, ESPN). L’année suivante, World Skate décide de s’appuyer sur le circuit professionnel de SLS pour organiser des championnats du monde. Ainsi isolée, la WSF de Tim McFerran n’a plus comme option que de lancer une action en justice qui va se révéler vaine. Cette greffe de World Skate sur la SLS permet d’embarquer les meilleurs skateurs professionnels et de valider les deux disciplines que sont le street qui est pratiqué sur une aire comprenant un bowl et des rampes, et le park qui s’approprie des éléments de l’espace urbain.
Le lobbying réussi de la FI d’escalade de compétition
34À la différence du surf et du skateboard que le CIO a voulu intégrer de lui-même, l’escalade sportive n’a été intégrée au programme des Jeux olympiques qu’à l’issue d’une intense phase de lobbying de la part de la Fédération internationale d’escalade de compétition (International Federation of Sport Climbing ou IFSC) qui s’est détachée en 2006 de la conservatrice Union internationale des associations d’alpinisme. Aux compétitions de difficulté encordée et de vitesse sur voies standardisées, qui sont apparues en Europe au milieu des années 1980, s’ajoute en 1999 une première Coupe du monde de bloc qui implique des murs plus bas et des mouvements plus techniques. Capitalisant sur l’expérience de l’escalade comme sport de démonstration aux Jeux d’hiver d’Albertville en 1992, et sur un premier échec pour les Jeux d’été en 2011, le président fondateur de l’IFSC Marco Scolaris, photographe professionnel de son état, est parvenu en 2016 à convaincre le CIO, donc aussi le comité d’organisation des Jeux de Tokyo, de faire figurer le combiné des trois épreuves de l’escalade indoor parmi les sports additionnels pour 2020. Pour cela, l’IFSC a accompli un important travail de normalisation des murs et des prises qui a rencontré le développement de salles commerciales ou de structures publiques dans bien des pays occidentaux. Pour répondre aux critiques internes à cette FI qui portent sur la confusion des épreuves, le Comité d’organisation des Jeux de Paris (COJOP) a accepté de patronner deux épreuves : le combiné inédit « difficulté-bloc » ainsi que la vitesse qui est davantage accessible aux budgets plus modestes.
La réussite sportive du Japon loin des États-Unis et de la Chine
35Hormis la seconde place obtenue en 2016 par la Grande-Bretagne, les États-Unis et la Chine se partagent les deux premières marches du podium olympique depuis Athènes 2004. Si on inclut l’Australie 6e et la Nouvelle-Zélande 13e, la domination occidentale est quasi sans partage dans les vingt premières places. Tout au plus, l’Amérique latine arrive au 12e rang avec le Brésil et au 14e avec Cuba, l’Afrique au 19e avec le Kenya, le Moyen-Orient au 27e avec l’Iran. Les nouvelles mesures antidopage semblent faire leurs preuves avec une seule disqualification, celle du 4 × 100 m britannique. Avec seulement dix compétiteurs autorisés par l’IAAF, la délégation russe obtient tout de même un 5e rang sous l’acronyme Russian Olympic Committee puisque le pays n’est pas autorisé à participer en tant que délégation officielle.
36Dans des conditions inédites car sans réel public pour les soutenir, les athlètes japonais ont considérablement amélioré leurs performances précédentes avec un total de 58 médailles dont 27 en or qui lui valent la troisième marche du podium, contre 41 podiums dont 12 en or à Rio (6e), 38 dont 9 or à Londres (11e) et 25 dont 9 or à Pékin (8e). Le pays hôte a pris appui sur 9 victoires en judo sur 15 possibles (4 seulement en 2016), son sport national avec le traditionnel sumo, 5 en lutte et 3 dans la nouvelle discipline olympique qu’est le skateboard. Le triomphe des équipes japonaises de baseball et de softball à chaque fois en finale sur les États-Unis présente une valeur éminemment symbolique. En revanche, quoique faisant partie des grandes nations de la natation depuis sa victoire sur les Américains aux Jeux de Los Angeles 1932, les Japonais n’ont pas su résister, avec seulement 2 or, à la poussée des Américains, Australiens, Britanniques et Chinois.
37Le titre en compétition mixte de judo a échappé aux Japonais pour revenir à l’autre grande nation de ce sport qu’est la France. Alors que Paris devra accueillir les Jeux en 2024, les résultats de Tokyo sont de mauvais augure avec une 8e place au tableau des médailles. La quasi-absence de résultats en athlétisme, cyclisme et natation est historiquement compensée par le judo et l’escrime, auxquels il faut ajouter les sports collectifs comme le handball et le volley-ball. Ce sera la mission de l’Agence nationale du sport (ANS) que de redresser le haut niveau sportif français.
38Les résultats des Américains sont conformes à toutes les éditions précédentes, avec une tendance qui s’affirme pour le sport féminin (58 % contre 36 % pour les hommes et 5 % pour les équipes mixtes). La quasi-disparition des multimédaillés s’explique par le relèvement de la concurrence notamment en athlétisme. La seule exception est le nageur Caeleb Dressel avec cinq médailles d’or. Né en Floride dans une famille de nageurs de haut niveau, fervent chrétien, ambassadeur des marques Speedo et Toyota, ce dernier a participé en 2019 au championnat mis sur pied par l’ISA de Konstantin Grigorishin.
39Après un léger recul à Rio dû à des affaires de dopage en natation, et malgré la décision du TAS de suspendre le triple médaillé Sun Yang pour avoir détruit à coups de marteau une fiole de sang lors d’un contrôle inopiné, la Chine se rapproche de son record de Londres avec 89 podiums et 38 titres olympiques dont sept en haltérophilie et en plongeon, et quatre en gymnastique et en tir. Les sportives contribuent à ce résultat presque dans la même proportion que les Américains, et sans qu’émerge d’autre champion multimédaillé que la nageuse Zhang Yufei. Née dans la riche province côtière de Jiangsu dont la capitale est Nankin, destinée par sa mère à devenir une nageuse hors pair, elle est l’athlète chinoise la plus médaillée aux Jeux olympiques. Mais le sportif chinois qui a obtenu le plus de titres olympiques est le pongiste Ma Long avec quatre or par équipes de 2012 à 2024 et deux victoires en simple en 2016 et 2021. Champion du monde à trois reprises, il a détenu le premier rang du classement international durant 64 mois, ce qui en fait l’idole de son pays.
40Reste le cas particulier de la nageuse australienne Emma McKeon qui remporte quatre or et trois bronze à Tokyo, auxquels il faut ajouter une victoire à Rio et une autre à Paris qui lui a permis de surpasser le record de son compatriote Ian Thorpe. Née à Wollongong dans une famille de nageurs du meilleur niveau international, elle poursuit ses études en licence de santé publique avec une majeure en nutrition. Elle fait partie de ces nombreuses championnes qui sont convaincues de l’importance de l’inclusivité mais qui trouvent injuste d’ouvrir les compétitions femmes aux athlètes transgenres.
41Le nombre de CNO médaillés n’a jamais été aussi élevé avec un taux de réussite à 45 % (93 nations sur 206). Trois pays ont vu leurs tout premiers athlètes monter sur un podium : Hugues Fabrice Zango du Burkina Faso avec le bronze au triple saut, Polina Guryeva du Turkménistan avec l’argent en haltérophilie femmes, et deux médaillés au tir sportif trap et une autre en lutte pour la minuscule enclave de Saint-Marin forte de seulement 35 000 habitants et dont le comité olympique est pourtant reconnu depuis 1959. Les deux représentants saint-marinais ont des parents tireurs de haut niveau tandis que Myles Amine, qui est né aux États-Unis et poursuit ses études à Detroit, tient sa citoyenneté de ses grands-parents maternels et sa culture sportive de son grand-père qui a représenté le Liban aux Jeux de Rome en 1960. D’origine russe, étudiante en éducation physique, déjà médaillée d’or aux Jeux de la Solidarité islamique en 2017 à Bakou, Guryeva se verra offrir par son gouvernement un véhicule SUV de la marque Toyota, un appartement de trois pièces et 50 000 dollars. Quant à Zango qui était alors étudiant en master, il obtiendra en 2023 un doctorat en génie électrique de l’université d’Artois. Malgré 11 titres glanés en athlétisme, en natation et en karaté, et 10 médailles sur 37 remportées par le Kenya, l’Afrique réalise toutefois un moins bon score qu’à Rio de Janeiro.
Les destins contrariés de Biles, Osaka, Tsimanouskaya et Shuai
42Du fait des retraits de Michael Phelps et d’Usain Bolt, les Jeux de Tokyo sont une compétition sans stars même si de nombreux records du monde sont battus, par exemple sur 400 m haies par le Norvégien Karsten Warholm, passé sous les 46 secondes, et par l’Américaine Sydney McLaughlin, grâce à des chaussures incorporant des lames de carbone et de la mousse. Force est de constater que les championnes sont, bien plus souvent que les champions, des victimes du haut niveau et de ses enjeux. Ce n’est pas qu’elles soient naturellement enclines à davantage de faiblesses, mais elles subissent un plus grand nombre et une plus grande variété de pressions psychologiques, médicales, médiatiques, et même politiques. Le CIO et son président Thomas Bach, qui s’est fait élire sur un programme de défense de l’intégrité des athlètes, peinent à obtenir des résultats surtout face à des régimes autoritaires.
43Quadruple médaillée d’or à Rio, Simone Biles déclare forfait à Tokyo pour toutes les finales individuelles par appareil, sauf à la poutre où elle finit troisième et au concours général par équipes qui lui vaut l’argent. Victime du syndrome de la « perte de figures » qui l’empêche de réaliser des vrilles, elle déclare à la presse vouloir se concentrer sur sa santé mentale. Déjà au cours de l’année 2017, elle avait arrêté la compétition après avoir annoncé être atteinte d’un trouble du déficit de l’attention. Elle en a donné l’explication, en janvier 2018, en révélant avec courage qu’elle est l’une des victimes du médecin de l’équipe nationale Larry Nassar accusé d’agressions sexuelles par plus de 250 femmes un an et demi plus tôt.
44Dans ses déclarations publiques, Simone Biles fait référence à l’abandon de la championne japonaise de tennis Naomi Osaka lors des tournois de Roland-Garros et de Wimbledon du printemps précédent. Première joueuse mondiale en 2019, auréolée de quatre victoires en Grand Chelem, de père haïtien et de mère japonaise, elle n’a pas hésité pas à défendre la cause des Américains noirs tués par la police lors de l’Open des États-Unis qu’elle remporte en 2020. Sa réputation en pâtit au Japon qui est une démocratie qui accepte difficilement que les femmes exposent leurs opinions politiques, qui plus est quand on est binationale et métisse. Pour préserver sa santé mentale, elle a refusé de participer aux conférences de presse à Roland-Garros, ce qui a fait scandale et lui a valu une amende de la part de la direction du tournoi car c’est une obligation contractuelle. Aux Jeux de Tokyo, quatre jours après avoir allumé la vasque olympique, elle est éliminée au 3e tour face à une joueuse de rang inférieur. Son attitude aura permis aux athlètes de haut niveau de libérer leur parole concernant leurs souffrances psychologiques, au grand public comme aux journalistes de comprendre que la santé mentale des athlètes compte tout autant que leur forme physique, et aux entraîneurs de mesurer les limites d’une « culture de la gagne » par rapport à la nécessité d’un apprentissage de la gestion de l’échec.
45Les cas de la sprinteuse biélorusse Krystsina Tsimanouskaya et de la joueuse de tennis chinoise Peng Shuai sont d’une autre nature car révélateurs de la violence que des gouvernements autoritaires font subir à leurs championnes. Prétextant l’instabilité de son état émotionnel et psychologique, ce qui n’est pas un hasard, le CNO et les autorités biélorusses ont tenté d’exfiltrer Tsimanouskaya contre son gré depuis l’aéroport de Tokyo. En fait, elle avait critiqué ses entraîneurs sur les réseaux sociaux et, bien plus discrètement, elle avait participé aux manifestations d’août 2020 contre la fraude électorale. Interceptée par la police japonaise qui lui a remis un visa humanitaire, signalée au Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU par le CIO, Tsimanouskaya a finalement choisi de demander l’asile politique en Pologne, un pays qu’elle sera autorisée à représenter aux Jeux de Paris 2024. En revanche, concernant les 2 500 athlètes biélorusses bannis des équipes nationales par le régime de Loukachenko pour s’être engagés en faveur de la démocratie, le CIO n’a pas cherché à en publiciser la cause.
46Quant à Peng Shuai, elle a publié début novembre 2021 sur le réseau Weibo un message d’accusation de viol et de relation non consentie avec Zhang Gaoli, le no 7 du régime chinois de quarante ans son aîné. Aussitôt censurée, elle disparaît et, sous la pression internationale, elle ne resurgit que dans de brefs enregistrements vidéo tournés à l’instigation du pouvoir où elle renie ses déclarations précédentes. Les attitudes des dirigeants du sport international varient alors selon une graduation qui en dit long sur l’influence de la Chine dans leurs organisations. Thomas Bach se prête à un entretien vidéo par l’entremise d’un interprète chinois alors que Peng Shuai parle parfaitement anglais. Tandis que le président du syndicat des joueuses Steve Simon annonce la suspension immédiate de tous les tournois WTA en Chine, le président de l’ITF David Haggerty annonce qu’il souhaite poursuivre sa collaboration. Depuis, le CIO est resté silencieux à propos de Peng Shuai, qui est la victime d’une pratique d’élimination de l’espace public communément utilisée par le parti au pouvoir, par exemple pour les actrices Fan Bingbing et Zhao Wei ou bien pour Jack Ma, le patron d’Alibaba pourtant devenu partenaire du CIO en 2017 pour dix ans.
Les sanctions prises par le CIO après la violation de la trêve olympique par la Russie
47Un peu plus de six mois après la clôture des Jeux de Tokyo, le président Vladimir Poutine déclenchait une guerre d’annexion contre l’Ukraine, un pays indépendant reconnu par la communauté internationale. Cette agression militaire est, certes, survenue quatre jours après la fin des Jeux d’hiver de Beijing, mais au beau milieu de la trêve olympique, qui débute officiellement sept jours avant les Jeux des athlètes valides et prend fin sept jours après la fin des Jeux paralympiques.
48Encore quatre jours, et le président Thomas Bach demande aux FI de bannir les athlètes russes et biélorusses de leurs compétitions, de mettre un terme aux compétitions sportives internationales dans ces deux pays, et de suspendre leurs dirigeants sportifs de tout mandat international. Le CIO ne s’est pas appliqué cette dernière mesure au motif, énoncé dans sa Charte olympique, que ses membres le représentent dans leurs pays d’origine, et non l’inverse. En revanche, le CIO a retiré à Vladimir Poutine l’ordre olympique en or, qui lui avait été remis en 2001, « sur la base de la violation extrêmement grave de la Trêve olympique et d’autres violations de la Charte olympique par le gouvernement russe dans le passé ». Cette dernière mention fait allusion au système institutionnel de dopage mis en place en Russie entre 2011 et 2015, à la méthode de dissimulation des contrôles positifs mise en œuvre par les agents du FSB au moment des Jeux d’hiver de Sotchi en 2014, et à l’effacement planifié des données et des preuves qui a suivi.
49Le 2 décembre 2021, lors l’adoption par l’assemblée générale de l’ONU de la résolution intitulée « Édification d’un monde pacifique et meilleur grâce au sport et à l’idéal olympique », Thomas Bach avait pourtant déclaré sa foi dans l’avenir olympique : « Aujourd’hui, les athlètes olympiques démontrent au monde entier que oui, il est possible d’être des rivaux féroces et de se livrer à une compétition intense tout en vivant ensemble de manière pacifique et respectueuse. Dans le village olympique, les athlètes des quatre coins du monde vivent ensemble en harmonie. Aux Jeux olympiques, nous sommes tous égaux, quels que soient notre origine sociale, notre sexe, notre race, notre orientation sexuelle ou nos convictions politiques. Aux Jeux olympiques, tout le monde respecte les mêmes règles, celles fixées par le CIO et la Charte olympique. Dans cet esprit, les Jeux olympiques d’hiver de Beijing 2022 seront un moment important. » Alors que le CIO avait fait preuve de mansuétude en 2016 vis-à-vis de la Russie au moment de la révélation du « système de dopage d’État », en regard de la ligne dure adoptée par le président de World Athletics Sebastian Coe, cette fois-ci, en revanche, le président Thomas Bach a choisi d’entrer en conflit ouvert avec les autorités russes.
50Ce n’est pourtant pas la première fois que la Russie orchestre des agressions militaires sous des formes couvertes durant des périodes de trêve olympique. Alors que se déroulaient les Jeux d’été à Pékin du 8 au 24 août 2008, l’attaque menée dans la nuit du 7 au 8 août par la Géorgie contre les séparatistes sud-ossètes, soutenus et formés par Moscou, s’était soldée par une victoire militaire russe et par la reconnaissance unilatérale de l’Ossétie du sud et de l’Abkhazie par la Russie de Medvedev et de Poutine le 16 août. Six ans plus tard, à l’occasion des Jeux d’hiver qu’il organisait à Sotchi, Vladimir Poutine orchestrait l’annexion de la Crimée en réaction à la révolution ukrainienne dite de Maïdan des 18-20 février 2014. L’opération militaire avait été décidée dans la nuit du 22 au 23 février qui a suivi la fuite du président pro-russe Viktor Ianoukovytch, c’est-à-dire la veille de la cérémonie de clôture des Jeux qui avaient débuté le 7 février. Quant au référendum piloté par Moscou qui a avalisé la séparation de la Crimée d’avec l’Ukraine, il eut lieu le 16 mars, soit le jour même de la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques. À la décharge de Thomas Bach, les opérations avaient d’abord été confuses puisque ceux qui ont pris le pouvoir par la force à Simferopol étaient des nationalistes de Crimée pro-russes. Mais des soldats russes, sans insigne, étaient bien présents dès les premiers jours, ce que Vladimir Poutine reconnaîtra en avril suivant. Surtout, la décision officielle russe de faire usage de la force en Crimée ukrainienne avait été rendue publique le 1er mars, six jours après la fin des Jeux d’hiver.
51Le CIO n’ayant pas réagi dans les cas de la Géorgie et de la Crimée, il reste à expliquer la promptitude de Thomas Bach à recommander le bannissement des athlètes russes et biélorusses. D’abord, la réprobation des opinions publiques et des gouvernements occidentaux est beaucoup plus forte en 2022 qu’en 2014. De fait, la stratégie de Vladimir Poutine de reconstituer l’empire territorial de l’ancienne URSS est devenue une évidence au point de menacer d’autres pays au cœur de l’Europe comme les États baltes, la Pologne, la Moldavie, voire la Finlande. Ensuite, Thomas Bach doit compter avec les pressions qu’exercent via les réseaux sociaux de nombreux athlètes et dirigeants olympiques de ces mêmes pays, mais aussi d’Allemagne, du Canada ou des États scandinaves. Le silence des autres CNO de par le monde, y compris ceux de la France et de la Suisse, s’offre comme un formidable instantané de la soumission de la culture démocratique devant le dogme de la neutralité sportive, et de la peur des mesures de rétorsion russes. Les commissions d’athlètes mises en place par le CIO ou par les FI sont, elles aussi, restées silencieuses. Force est de constater qu’elles n’ont jamais adopté une motion d’opposition à leurs dirigeants depuis leur création au cours des années 1980 et 1990.
52Le rôle joué par les sponsors du CIO, très majoritairement américains, dans la décision de Thomas Bach n’est pas non plus à négliger dans la mesure où ces derniers sont attentifs aux campagnes d’opinion qui pourraient affecter leur marque. Il suffit de se référer aux mondiaux de hockey sur glace qui auraient dû se dérouler en Biélorussie en mai-juin 2021 : Liqui Moly, Nivea et Skoda avaient alors menacé de retirer leur parrainage si le refus de déplacer la compétition était maintenu par le président suisse de la FI René Fasel qui sera d’ailleurs fait citoyen russe en février 2023. De ce point de vue, le président du CIO aura gagné à desserrer l’étau de Vladimir Poutine sur le sport international qui prend appui sur certaines FI de sports d’hiver liées par des contrats de sponsoring à des sociétés russes et d’autres de sports d’été passées sous la présidence de dirigeants russes (boxe, escrime, sport universitaire, tir sportif) ou proches du Kremlin (lutte et judo).
53Le rythme auquel les 31 FI concernées ont suivi les recommandations du CIO, et les nuances qu’elles ont introduites dans leurs sanctions, sont autant d’indices de la plus ou moins grande influence russe en leur sein. Une seule n’a pas suivi la recommandation du CIO, celle de judo dirigée depuis 2007 par Marius Vizer. Cet ami personnel de Vladimir Poutine avait été poussé en 2015 à la démission de la présidence de SportAccord, et remplacé à ce poste par Patrick Baumann, un proche de Thomas Bach. À l’exception d’Umar Kremlev resté à la tête de l’AIBA, que le CIO cessera d’ailleurs en 2023 de reconnaître comme fédération olympique, tous les présidents russes de FI finiront par céder leur place.
Bibliographie
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