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  • Chapitre XXVI. Pékin 2008
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral La victoire acquise d’avance de Pékin et la prise de contrôle du Signal télévisuel par le CIO Pare-feu informatique chinois et intensification du contrôle policier Les contestations démocratiques du relais de la flamme olympique dans le monde La démesure technologique au service d’un empire chinois éternel L’intronisation du BMX La promotion manquée du wushu chinois La visibilité différenciée d’Usain Bolt et des stars chinoises ou russes Les disqualifications pour dopage comme révélateur de l’influence russe L’émergence du Royaume-Uni dans un contexte de mondialisation des podiums Un statut d’observateur permanent à l’ONU pour le CIO en 2009 Les Jeux de la Jeunesse pour enrayer la « désportisation » des nouvelles générations Des « manuels d’éducation olympique » sans mobilisation de l’esprit critique Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

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    Table des matières

    Chapitre XXVI. Pékin 2008

    Une opération de sportswashing pour le géant chinois

    p. 319-332

    Texte intégral La victoire acquise d’avance de Pékin et la prise de contrôle du Signal télévisuel par le CIO Pare-feu informatique chinois et intensification du contrôle policier Les contestations démocratiques du relais de la flamme olympique dans le monde La démesure technologique au service d’un empire chinois éternel L’intronisation du BMX La promotion manquée du wushu chinois La visibilité différenciée d’Usain Bolt et des stars chinoises ou russes Les disqualifications pour dopage comme révélateur de l’influence russe L’émergence du Royaume-Uni dans un contexte de mondialisation des podiums Un statut d’observateur permanent à l’ONU pour le CIO en 2009 Les Jeux de la Jeunesse pour enrayer la « désportisation » des nouvelles générations Des « manuels d’éducation olympique » sans mobilisation de l’esprit critique Bibliographie

    Texte intégral

    1Force est de constater, qu’entre son échec de 1993 et sa désignation en juillet 2001 pour accueillir les Jeux d’été, la Chine a vu son rang économique et son influence politique fortement progresser. À l’issue d’une décennie 1990 de forte croissance du PIB (parfois à plus de 10 % annuels) et d’élévation du niveau de vie de sa population littorale, elle obtient son entrée à l’Organisation mondiale du commerce. La même année, avec la Russie et quatre républiques d’Asie centrale anciennement soviétiques, elle crée l’Organisation de coopération de Shanghai qui est considérée par Washington comme une coalition anti-OTAN.

    2Assurément, par sa démographie et par la taille de son économie, la Chine de 2001 n’est en rien comparable au Japon de 1964 ou à la Corée du Sud de 1988. Avec le glissement du centre du monde de l’Atlantique Nord vers le Pacifique, le concept de mondialisation s’impose alors dans les chancelleries, dans la presse internationale et dans les opinions publiques. Du côté du CIO, la sérénité n’est plus de mise depuis la révélation en novembre 1998 du système de corruption qui a permis l’élection de Salt Lake City comme hôte des Jeux olympiques d’hiver 2002.

    3Après le maintien des Jeux à Berlin malgré l’arrivée d’Hitler au pouvoir et l’octroi des Jeux à Mexico pour 1968 et à Moscou pour l’année 1980, c’est la quatrième fois que le CIO confie son événement-phare à une dictature. Mal lui en a pris car la séquence ouverte en mars 2008 par les militants des droits humains tout au long du voyage de la flamme olympique à travers les continents a considérablement altéré son image. Son nouveau président Jacques Rogge n’hésitera pourtant pas à confier en 2007 les Jeux d’hiver 2014 à Sotchi et son successeur Thomas Bach en 2015 ceux d’hiver 2022 à Pékin.

    La victoire acquise d’avance de Pékin et la prise de contrôle du Signal télévisuel par le CIO

    4À considérer l’échec in extremis de Pékin en 1993 pour obtenir les Jeux du Centenaire, on peut considérer comme naturelle sa victoire le 13 juillet 2001 lors de la session olympique de Moscou qui voit le même jour l’élection du nouveau président du CIO Jacques Rogge.

    5Osaka ayant été éliminée d’entrée de jeu avec seulement six votes, la capitale chinoise l’emporte dès le second tour avec 56 suffrages contre 22 à Toronto, 18 à Paris et 9 à Istanbul. De fait, les quelques voix qui manquaient à Pékin sont venues du camp turc dans une sorte d’alliance objective contre les candidatures française et canadienne qui se sont annihilées. D’une certaine manière, le CIO compensera l’élimination de Toronto avec l’attribution en juillet 2003 des Jeux d’hiver à Vancouver, une autre ville canadienne.

    6Mais dans le cas de Paris, la défaite est d’autant plus amère que les Français ont l’impression d’avoir été poussés à se porter candidats alors que, d’après la déclaration que fera au Times en 2009 l’ancien ministre chinois des sports Yuan Weimin, un accord secret aurait été passé entre le Comité pékinois et le président du CIO Jacques Rogge. Vraie ou fausse, cette allégation est symptomatique de la crise de défiance qui frappe l’institution lausannoise depuis la révélation du scandale de Salt Lake City.

    7Même si c’est dans le cadre d’une coentreprise (joint-venture) avec le Comité d’organisation et l’opérateur officiel China Central Television (CCTV), les Jeux de Pékin sont les premiers à bénéficier des images produites et diffusées par le Service olympique de radiotélévision (OBS), qui est une agence du CIO fondée en 2001 et établie à Madrid. Arguant de l’insuffisante neutralité des images précédemment envoyées par les compagnies de télévision des pays organisateurs, et de la difficulté à reconstituer à chaque fois un système technique toujours plus complexe, le CIO a voulu reprendre le contrôle du « Signal international ». Il peut ainsi lui-même revendre les droits de retransmission aux diffuseurs du monde entier, et même entrer dans des négociations pays par pays, alors qu’auparavant il passait contrat avec le diffuseur national à charge pour ce dernier de sous-traiter avec les diffuseurs des pays étrangers.

    Pare-feu informatique chinois et intensification du contrôle policier

    8L’un des enjeux majeurs pour le gouvernement chinois concernait justement le contrôle des images et des informations, non seulement dans le cadre classique des flux télévisés, mais dorénavant sur l’Internet. C’est pourquoi, à la veille des Jeux, il a installé un pare-feu informatique (firewall) pour ne pas permettre aux contenus étrangers d’entrer sur le territoire chinois, et inversement à des informations de filtrer vers l’extérieur. Face aux plaintes des journalistes, athlètes et visiteurs étrangers qui ne pouvaient pas consulter de sites autres que chinois, Pékin a finalement assoupli son contrôle et retiendra la leçon en promettant dès 2016 que tous les participants aux Jeux d’hiver 2022 auront un accès sans censure à Internet grâce au déblocage de « la Grande muraille informatique » pour leur accès à Facebook et Twitter. Craignant l’installation de logiciels espions, les responsables britanniques et néerlandais encourageront en 2022 leurs athlètes à recourir à des téléphones portables et à des ordinateurs temporaires qui seront ensuite détruits.

    9Pour assurer la surveillance des citoyens chinois et des étrangers, le gouvernement a mis en place un réseau de caméras de surveillance dont le taux de couverture pour toute la capitale atteint 100 % dès 2006, une billetterie traçable par fréquence radio, et le recrutement de plus de 600 000 volontaires chargés de rapporter aux autorités toute activité suspecte. Des moyens policiers et militaires considérables ont été mobilisés, de l’ordre de 100 000 personnels, pour un coût probable d’1 milliard et demi de dollars comme à Athènes, pour assurer la sécurité des 50 000 « VIP » et 10 millions de spectateurs attendus. Outre le déplacement des indésirables sans-abri et des arrestations préventives, le chef de la police de Pékin Ma Xin a prévenu que la Chine saurait retrouver les terroristes partout dans le monde comme Israël avait pu le faire après les Jeux de Munich. Ces Jeux sont aussi l’occasion pour certains services de police et de lutte antiterroriste de nouer et renforcer leurs échanges avec la Chine comme le Service fédéral de sécurité russe (FSB), les spécialistes israéliens de la sécurité, ou encore le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).

    Les contestations démocratiques du relais de la flamme olympique dans le monde

    10Tout en gardant à l’esprit les différences de lieu et de moment, on ne peut manquer d’établir une analogie entre le projet chinois « Voyage de l’harmonie » de faire parcourir à la flamme olympique 137 000 km au travers de tous les continents et le parcours du feu sacré entre Olympie et Berlin inventé en 1936 par Carl Diem pour traverser cette Mitteleuropa que le IIIe Reich ambitionnait déjà d’annexer.

    11L’idée du Comité d’organisation pékinois était certes de retrouver les anciennes routes de la soie pour atteindre la Turquie et la Russie, après être passé initialement par le Kazakhstan où le premier porteur étranger de la flamme n’est autre que le dictateur Nursultan Nazarbaïev. Le passage de la flamme au sommet du mont Everest, à la frontière du Népal et du Tibet, ainsi qu’à Hong Kong et Macao, deux régions administratives spéciales rétrocédées à la Chine par le Royaume-Uni en 1997 et 1999, visait à affirmer le nouvel expansionnisme de la plus grande Chine. Mais il s’agissait également de tracer les nouveaux chemins de l’influence chinoise de Londres et Paris à San Francisco et Buenos Aires, du sultanat d’Oman jusqu’en Indonésie en passant par l’Inde et la Thaïlande, de l’Australie au Japon et dans les deux Corée. C’était très clair dans le cas de la Tanzanie, le seul pays africain à accueillir la torche, puisque le relais a eu lieu sur 5 km seulement depuis la gare centrale de la Tazara Railway dans la capitale portuaire Dar es Salaam jusqu’au Mkapa Stadium, tous deux édifiés grâce à des entreprises et des capitaux chinois. Tout fonctionne comme si ces relais anticipaient, sinon préfiguraient, le projet stratégique dévoilé en 2013 par Xi Jinping d’une « nouvelle route de la soie » ferroviaire et portuaire reliant directement la Méditerranée, et par là même le Moyen-Orient, l’Europe et l’Afrique, à la Chine imposée comme le centre de la nouvelle économie mondiale.

    12Mais rien ne s’est passé comme prévu pour les autorités chinoises qui ont offert, à leurs dépens, une formidable tribune médiatique de plusieurs semaines aux défenseurs des droits humains. Tout a commencé par une interruption de la cérémonie d’allumage de la flamme à Olympie par trois militants de l’association de défense de la liberté d’expression et d’information Reporters sans frontières dont Robert Ménard. L’un des fondateurs de cette ONG créée à Paris en 1985, ce dernier aura plus tard une carrière politique comme maire de Béziers après avoir circulé de l’extrême gauche à l’extrême droite. Puis, des militants de très nombreuses associations se sont mobilisés en faveur des Tibétains et des Ouïgours, mais aussi pour dénoncer les traitements infligés en Chine aux prisonniers politiques comme aux animaux des laboratoires. Ils ont saisi l’occasion de manifester à Londres, à Paris, à San Francisco, à Canberra, et dans une moindre mesure à Buenos Aires où le gouvernement de la présidente péroniste Cristina Kirchner avait mis en place une importante opération de sécurité. Si ces militants sont parfois parvenus à faire éteindre la flamme, des policiers chinois en survêtements appartenant à la Olympic Holy Flame Protection Unit ont parfois préféré l’éteindre eux-mêmes et ils ont même fait la police au cœur des capitales de ces trois démocraties occidentales. A contrario, des manifestants pro-Chine ont organisé des manifestations de soutien aux Jeux de Pékin en brandissant le slogan officiel « One World, One Dream ».

    13Au Japon, en Corée du Sud et au Vietnam, les gouvernements ont mobilisé les polices antiémeutes pour ne pas altérer leurs relations avec la Chine. Au Pakistan et en Thaïlande, en Inde, en Malaisie et en Indonésie, les autorités ont en outre raccourci fortement la longueur des relais. De nombreuses manifestations ont eu lieu en Inde, alors dirigée par Manmohan Singh, et des figures éminentes de la société civile ont refusé de porter la flamme en soutien au peuple tibétain comme l’actrice de Bollywood Soha Ali Khan, la star du cinéma Aamir Khan très investi dans la défense des causes sociales et démocratiques, l’homme politique Rahul Gandhi, ou le capitaine de l’équipe nationale de football Bhaichung Bhutia originaire du Sikkim à la frontière du Tibet, du Bhoutan et du Népal.

    14Finalement, ce relais de la flamme olympique à travers les continents, aura révélé les limites de l’influence chinoise, la fébrilité de certains gouvernements, et servi de test à la solidité des institutions démocratiques. Pour les militants des droits humains, la situation s’est détériorée, non pas en dépit, mais à cause des préparatifs olympiques, malgré les dénégations du vice-président du Comité de candidature Liu Jingmin qui déclarait en 2001 : « En confiant à Pékin l’organisation des Jeux, vous contribuerez au développement des droits humains », ou du ministre chinois des Affaires étrangères Yang Jiechi qui précisait en 2008 : « personne ne sera arrêté pour avoir dit que les droits humains sont plus importants que les Jeux olympiques ».

    15Devant la montée des critiques, le président du CIO Jacques Rogge a même pris rendez-vous avec la presse, assurant qu’il viendrait constater lui-même les progrès réalisés par la Chine à l’issue des compétitions. Il oubliera par la suite sa promesse de rendre publique l’enquête du CIO en la matière, laquelle n’a d’ailleurs jamais eu lieu. Il tirera néanmoins les leçons de cette séquence médiatique en décidant de ne plus renouveler l’expérience d’un parcours de la flamme olympique à l’échelle du monde. Si on considère le classement établi par l’ONG Reporters sans frontières concernant la liberté de la presse, la Chine est passée du 167e rang sur 173 pays en 2008 au 175e sur 180 en 2014.

    La démesure technologique au service d’un empire chinois éternel

    16Comme l’a expliqué le directeur musical de la cérémonie Chen Quigang, le gouvernement chinois a le contrôle de la cérémonie d’ouverture « jusque dans les moindres détails ». D’ailleurs, celle-ci est retransmise avec un décalage de huit minutes par rapport au direct afin de pouvoir censurer toute image dérangeante. Pour remplacer Steven Spielberg démissionnaire, le régime a porté son dévolu sur le réalisateur Zhang Yimou qui est le principal artisan de la propagande officielle depuis les années 2000. En occultant le repli isolationniste des Ming sous la pression des Mongols, les guerres de l’opium et la signature des « traités inégaux » avec les puissances occidentales, les années Mao Zedong et Deng Xiaoping, ou encore les questions tibétaine et taïwanaise, son spectacle donne l’impression d’une Chine éternelle, et nécessairement impériale. Seule concession à l’unitarisme, c’est une théorie d’enfants issus des 56 ethnies chinoises qui accompagne l’entrée du drapeau national.

    17Aussi, la cérémonie se découpe-t-elle en deux grandes parties : les apports anciens de la Chine au monde et sa grandeur présente. Le spectacle a marqué les esprits par sa démesure technologique et scénique. La scène d’accueil en forme de compte à rebours, avec ses 2 008 tambours vieux de plus de 3 000 ans, a immédiatement plongé les spectateurs du stade et des télévisions dans une Chine lointaine. Des milliers de figurants ont interprété à la perfection les tableaux historiques tout comme les morceaux de l’opéra de Pékin (grand écart, danse de l’épée, harmonie gestuelle du kunqu). Le confucianisme est bien présent car il a retrouvé grâce auprès du président Hu Jintao dans la mesure où sa sagesse est fondée sur les notions d’ordre, de compassion, de respect et d’ascension sociale par le mérite. Il fut pourtant adopté sous les Han pour asseoir la domination de leurs bureaucrates lettrés, et violemment combattu lors de la révolution culturelle maoïste.

    18Le magistère chinois en matière de technologie notamment militaire, de culture, de philosophie ou encore de commerce est affirmé au travers des quatre grandes inventions d’âge millénaire que sont la poudre à canon, le papier, l’imprimerie et la boussole. D’où les feux d’artifice sous forme d’images de synthèse pour éviter tout imprévu, les danseurs qui se servent de leur corps comme d’un pinceau sur un rouleau déployé sur 70 m de long, les blocs de caractères chinois sortant du sol et animés de l’intérieur par 897 danseurs, la carte sur laquelle se dessinent le caractère du « thé de Chine » et la première route de la soie. Une telle débauche de figurants vise à rappeler la puissance démographique de la Chine qui est forte de plus de 1,3 milliard d’habitants en 2008.

    19Exprimer le futur impérial de la Chine en unissant le passé et le présent est un exercice autrement difficile. L’enjeu de la transmission est abordé avec la réunion sur scène d’une petite fille de 5 ans, Li Muzi, qui a découvert le piano un an plus tôt, et du pianiste virtuose Lang Lang. La performance technologique et économique de la nouvelle Chine est illustrée par mille danseurs vêtus de vert fluorescent qui allument de petites lumières logées sur leurs vêtements pour faire scintiller le « nid d’oiseau » qui symbolise l’unité du peuple chinois et la réussite de l’« économie socialiste de marché ». Signe que la modernité respecte la tradition, mille pratiquants de taï-chi-chuan se déploient en quête d’harmonie. Leurs mouvements lents et continus visent à rassurer le monde entier sur les intentions pacifiques de la Chine. Tout cela est confirmé par l’arrivée de cosmonautes et d’un immense globe terrestre autour duquel courent 58 acrobates, puis l’entrée en scène du gymnaste Li Ning. Grâce à des filins qui permettent son élévation dans les airs, l’athlète six fois médaillé en Californie en 1984 peut se mettre à courir le long du bord supérieur du stade jusqu’à allumer la vasque.

    20Rares sont les études qui tentent d’évaluer l’impact de ces spectacles sur « les esprits et les cœurs » pour reprendre la formule que Joseph Nye utilise pour définir le soft power. Pourtant, un sondage réalisé par des chercheurs juste avant la cérémonie d’ouverture et juste après la fin des Jeux, auprès d’un échantillon de Japonais de tous âges, a pu montrer que les Jeux de Pékin ont modifié plutôt positivement leurs propres représentations de la Chine.

    L’intronisation du BMX

    21À Pékin, le CIO reste dans sa logique de gel du programme olympique sauf le cas du bicycle motocross (BMX). C’est une ironie de l’histoire que de voir un sport californien devenir discipline olympique dans la capitale de la République populaire de Chine. Non seulement Pékin s’est converti depuis deux décennies au capitalisme d’État, mais surtout la version asiatique des X-Games a été déplacée de Phuket à Kuala Lumpur (Malaisie) en 2002, puis à Séoul en 2005, et finalement à Shangaï de 2007 à 2015.

    22Apparu en 1968 en Californie, le BMX est une adaptation cycliste du motocross pour les enfants et les adolescents. Alors que le développement de championnats aux États-Unis puis en Europe conduit à la création en 1981 de l’International BMX Freestyle Federation séparée de l’UCI, sa diffusion est largement assurée par le succès en 1982 du film ET, l’extraterrestre de Steven Spielberg et par la construction de vélos spécifiques (petite taille, vitesse unique, pédales automatiques) dans les usines de fabricants japonais de motos. Devant un tel succès, l’UCI, qui cherche alors à rajeunir son public de pratiquants, n’hésite pas en 1993 à inclure le BMX parmi ses disciplines alors même qu’il existe déjà une fédération internationale. Il est promu comme sport olympique en 2008 dans sa version de course dite BMX Race qui consiste, pour huit concurrents, à parcourir souvent en moins d’une minute une piste de 340 à 400 m de long parsemée de bosses.

    23Déjà avec le mountain bike en 1996, et cette fois-ci avec le BMX, l’UCI et le CIO s’inspirent des « Jeux extrêmes » (X-Games) organisés pour la première fois en 1995 à Providence et Newport (Rhode Island) par le réseau américain de télévision ESPN où des compétitions de sports extrêmes (skateboard, ski nautique barefoot c’est-à-dire sans skis, street luge, BMX, mountain bike) sont combinées à des concerts musicaux. D’autres sports apparaîtront par la suite aux X-Games comme le roller en ligne, l’escalade, le surf, le gymkhana, la moto Superbike, alors même qu’ils se déplaceront en Californie de 1997 à 2012. Des Winter X-Games se tiendront à compter de 1997 en Californie, puis dans le Vermont pour finalement se stabiliser à Aspen (Colorado) depuis 2002. Les Summer X-Games seront ensuite déclinés dans des sous-régions du monde, à Phuket (Thaïlande) en 1998, à Barcelone en 2001, à Rio de Janeiro en 2002, à Dubaï en 2005, à Sydney en 2018. Fondée dans le Connecticut en 1979, ESPN a d’abord construit sa réputation en achetant les droits du sport universitaire (NCAA) et se vante dès les années 1980 d’être le « Worldwide Leader in Sports ». Son succès est tel qu’elle est rachetée en 1984 par la chaîne de télévision ABC et par Capital Cities Communication, puis en 1995 par The Walt Disney Company.

    La promotion manquée du wushu chinois

    24De la même manière que le Japon avait obtenu la reconnaissance olympique pour le judo à l’occasion des Jeux de Rome en 1964, et la Corée du Sud celle du taekwondo pour les Jeux de Sydney en 2000, la Chine a tenté d’introduire les arts martiaux chinois sous le nom de « wushu » aux Jeux de Pékin en 2008. Mais, le CIO n’a pas donné suite en arguant du fait que cette pratique ne répondait pas aux critères d’admission énoncés dans sa Charte olympique, en particulier à l’universalité de la pratique et à la parité hommes-femmes. En revanche, pour ne pas faire perdre la face à la Chine, il a accepté que le wushu devienne « sport de représentation » au sens de spectacle, pour ne pas recourir à la formule « sport de démonstration » qui est une catégorie depuis longtemps abandonnée par le CIO.

    25L’histoire de l’invention du wushu comme une tradition nationale est un condensé de l’histoire de la Chine au xxe siècle. Si la première tentative de modernisation des arts martiaux chinois sur le modèle de l’éducation physique occidentale est antérieure à la mise en place de la République chinoise en 1912, sa formalisation en wushu date de l’époque de Mao. Après son interdiction durant la révolution culturelle du fait de ses origines féodales, le wushu se scinde en deux tendances, l’une traditionaliste et l’autre sportive. C’est le « wushu sportif » qui est promu à l’étranger par la Chine de Jiang Zemin dès 1982, puis de Hu Jintao et de Xi Jinping.

    26Fondée à Pékin en 1990, la Fédération internationale de wushu a désormais son siège à Lausanne, et regroupe 106 fédérations nationales dont les dates de création et la cartographie, comme celles des instituts culturels Confucius, sont un excellent indicateur des stratégies chinoises d’influence dans le monde. Alors même qu’il a trouvé place au sein des Jeux mondiaux en 2009, 2013 et 2025, le wushu devrait intégrer officiellement les Jeux olympiques de la Jeunesse d’été prévus à Dakar en 2026.

    27Dans cette même veine d’influence culturelle, Pékin a promu des travaux historiques pour prouver que certains sports ont aussi leur origine en Chine comme le football sous le nom de cuju qui remonterait à 2300 avant notre ère et qui reste la manière actuelle de dénommer ce sport en mandarin (zuqiu). Comme le musée de la FIFA, le Musée olympique a accepté en 1999 de valider cette version généalogique de l’histoire des sports à l’occasion de l’exposition « Art et tradition. 5 000 ans de sport en Chine », au lieu de marquer les ruptures spatiotemporelles et socioculturelles entre ces pratiques traditionnelles et les sports modernes.

    La visibilité différenciée d’Usain Bolt et des stars chinoises ou russes

    28La rivalité sportive du début du xxie siècle tourne à l’avantage de la Chine pour les médailles d’or (48 contre 36), et des États-Unis au nombre total de médailles (112 contre 100). Les athlètes chinois montent sur la première marche du podium dans 16 sports différents, dont 11 fois en gymnastique, 7 fois en plongeon, 5 fois en lutte et en tir sportif, 4 fois en tennis de table et 3 fois en badminton et judo. Cet exploit est d’autant plus remarquable et unique qu’il est obtenu sans aucune médaille d’or en athlétisme et en natation.

    29Dans la perspective des Jeux de Pékin, les autorités chinoises ont sollicité 70 experts étrangers comme le maître d’armes français Christian Bauer contacté dès 2004 et qui a pris la suite d’entraîneurs russes recrutés dès les années 1980, le pistard Daniel Morelon, ou bien encore l’entraîneur australien de basketball Tom Maher. Le cas de l’escrime est paradigmatique puisque les 10 000 escrimeurs chinois sont tous des professionnels d’État alors que leur nombre est minime en France rapporté à un total de 75 000 licenciés. Pour autant, la Chine ne peut pas pleinement capitaliser sur ses victoires car elle manque d’athlètes starifiés à l’échelle globale. Or, la victoire ne suffit plus pour exercer son influence dans le monde. Il faut aussi communiquer en anglais et construire sa popularité sur les réseaux sociaux, franchir le pas du glamour, épancher ses émotions, affirmer son soutien pour des causes humanitaires et environnementales.

    30C’est là une difficulté majeure pour des athlètes d’État aux libertés limitées et soupçonnés de dopage, que rencontre également la Russie depuis la fin de la guerre froide. Les grands champions et championnes russes sont largement invisibilisés par les médias occidentaux et ne sont plus starifiés que dans leur propre pays. C’est, par exemple, le cas de Svetlana Romashina qui est très peu connue alors même qu’elle a remporté sept médailles d’or en natation artistique (duo et ballet) entre 2008 et 2021. D’ailleurs, le président Poutine la choisira comme mandataire lors de son dépôt de candidature pour la présidentielle russe de 2024. Sollicitée ensuite pour occuper un siège de député à la Douma, elle déclarera qu’elle envisage plutôt une seconde carrière soit administrative soit dirigeante au sein de la FINA ou du CIO. La liste serait toutefois longue des athlètes russes devenus députés du parti présidentiel depuis un quart de siècle.

    31Jusqu’à ce que le test antidopage de son collègue Nesta Caster soit déclaré positif en 2017, Usain Bolt cumule trois médailles d’or sur 100, 200 et relais 4 × 100 m sur trois éditions olympiques successives, à Pékin, Londres et à Rio de Janeiro. Sa manière de célébrer la victoire en étendant son bras gauche et en repliant son bras droit sur la poitrine avec les pouces et l’index tendus est copiée dans le monde entier, y compris par le président américain Barack Obama. Elle n’a pas seulement pris son surnom « The Lightning Bolt », elle est également devenue un verbe : bolting. La dimension marketing de son propre personnage lui a permis d’attirer de nombreux sponsors (Puma, Gatorade, Virgin, Apple) et d’être l’athlète le mieux payé de l’année 2016 avec 33 millions de dollars de gains, mais également d’être entraîné dans toute une série de déboires financiers.

    32À deux reprises en 2010 et en 2022, Bolt a déposé une marque en forme de logo reprenant son geste, mais il n’est jamais parvenu à en tirer véritablement profit. De même, la société de patinettes électriques Bolt Mobility qu’il a fondée en 2018 connaîtra la faillite en 2022. Pire, il sera victime d’une escroquerie en 2023 qui lui a valu de perdre, semble-t-il, 12 millions de dollars. Il est loin le temps où ses parents tenaient une épicerie à la campagne et où il passait son temps à jouer au cricket et au football. Remarqué très vite pour son talent à la course, il a pu développer ses compétences dès lors qu’il a rejoint à l’âge de 12 ans le collège William Knibb Memorial où ont éclos d’autres talents du sprint jamaïcain comme Marvin Anderson ou Michael Green. Malgré les nombreuses offres qui lui ont été faites de rejoindre une université américaine, il a préféré s’entraîner à la University of Technology Jamaica sous la direction de Glenn Mills.

    Les disqualifications pour dopage comme révélateur de l’influence russe

    33Alors que le slogan « Zero Tolerance for Doping » est devenu un mantra pour tous les pays et les organisations sportives internationales, les tests antidopage réalisés à Pékin ne livrent que six cas positifs pour 4 500 échantillons prélevés, soit un ratio inférieur à celui d’Athènes. C’est sans compter toutefois 10 athlètes, pourtant qualifiés, qui n’ont pas été autorisés à participer aux Jeux, dont7 Russes. Il faudra attendre des retestings survenus en 2009, mais surtout en 2016 et 2017 après la révélation du scandale de dopage de Sotchi, pour que le nombre total d’athlètes disqualifiés à Pékin monte à 88, soit le nombre le plus élevé depuis les débuts de l’antidopage. Sur les 50 médailles retirées a posteriori, 14 l’ont été à la Russie, et 3 à la Chine pour ses haltérophiles qui avaient obtenu la médaille d’or.

    34La géographie de ces disqualifications ne dévoile assurément qu’une partie du monde souterrain du commerce de produits dopants, celui le moins avancé au plan scientifique puisque démasqué. Les pays occidentaux y sont peu représentés et pour des cas proches de l’unité : États-Unis, Allemagne, Chypre, Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Norvège. Hormis les États baltes qui ne sont pas concernés, les pays issus de l’ancienne URSS sont particulièrement représentés : Biélorussie dont le chef de l’État Alexandre Loukatchenko préside le CNO depuis 1997 (dix cas), Ukraine (huit), Kazakhstan (sept), Azerbaïdjan (quatre), Ouzbékistan (deux). La présence de ces trois républiques d’Asie centrale n’est pas pour étonner dans la mesure où leurs chefs d’État ont particulièrement investi le sport depuis les indépendances à des fins de démonstration de puissance. S’affichant publiquement dans des postures sportives et guerrières, ils ont le contrôle direct de leurs CNO comme le Kazakh Nursultan Nazarbaïev qui en a confié la présidence à son gendre, ou l’homme d’affaires Timur Kulibayev. Même si les cas de dopage y sont plus rares, les anciens pays communistes alliés de l’URSS se retrouvent aussi sur cette liste comme si les cultures endémiques de dopage s’étaient maintenues et avaient même été renforcées du fait de la circulation des spécialistes du dopage depuis la chute du mur de Berlin : Bulgarie, Croatie, Moldavie, Pologne, Arménie, sans oublier la Chine, la Corée du Nord, Cuba et le Vietnam. Pour compléter ce tour d’horizon, on y ajoutera la Turquie (trois cas), le Brésil (deux), la Jamaïque, le Qatar et le Bahrein.

    35Que 26 cas (30 %) concernent l’haltérophilie et 7 autres la lutte renseigne autant sur l’espoir d’ascension sociale des athlètes concernés que sur l’incapacité des dirigeants nationaux et internationaux de ces deux sports à combattre la culture persistante du dopage. L’athlétisme a également fait l’actualité avec 37 disqualifiés qui sont, dans leur grande majorité, des Russes, des Biélorusses et des Ukrainiens. C’est sur la base de ces statistiques de 2008 puis de 2012, et de la révélation du scandale de dopage de Sotchi en 2015, que Sebastian Coe, le président britannique de l’IAAF, suspendra indéfiniment la Russie de toutes manifestations athlétiques internationales.

    L’émergence du Royaume-Uni dans un contexte de mondialisation des podiums

    36Si la Russie semble décrochée sportivement (60 médailles dont 24 or), elle est en revanche talonnée par le Royaume-Uni qui opère son come-back à quatre ans d’accueillir les Jeux à Londres (51 podiums et 19 titres). L’électrochoc d’un 36e rang à Atlanta a conduit à la mise en place de l’agence gouvernementale UK Sport en 1997 qui s’est largement inspirée du modèle australien fondé sur la concurrence entre sports et entre athlètes pour obtenir les subventions au point de générer des syndromes dépressifs chez certains. On y ajoutera le ciblage de sports en déshérence depuis la disparition des régimes communistes comme le cyclisme sur piste.

    37Sans ses huit médailles d’or en cyclisme, le Royaume-Uni se serait retrouvé en 8e position, et sans ses quatre autres en voile 10e ex æquo avec trois autres pays. Sinon, dans ses sports individuels historiques, il revendique seulement deux titres en rowing et un seul en athlétisme grâce à Christine Ohuruogu née à Newham de parents nigérians. Deux ans plus tôt, elle avait été suspendue pour avoir manqué trois tests antidopage successifs et elle obtiendra en 2007 une levée de sa suspension à vie par la BOA après avoir suggéré que, sinon, elle changerait de nationalité. Elle reprendra des études de droit en 2017 et se fera connaître pour une série de livres pour enfants consacrée à une école pour athlètes en herbe retrouvant ainsi une tradition littéraire anglaise qui remonte au roman scolaire Tom Brown’s School Days de Thomas Hugues (1857). De même, les deux médailles en poursuite de Bradley Wiggins, qui est le premier britannique vainqueur du Tour de France en 2012, seront entachées de suspicion pour un recours trop systématique à des exemptions thérapeutiques temporaires comme l’ont révélé des fichiers de l’AMA hackés en 2016 par le groupe russe de cyber-espionnage Fancy Bear.

    38Suivent de grandes puissances sportives qui ne peuvent plus prétendre au podium comme l’Allemagne (41 dont 16 or), l’Australie (46 dont 14 or) et la Corée du Sud (32 dont 13 or). Le Japon, l’Italie, la France, les Pays-Bas et l’Ukraine passent au-dessous de la barre des 10 médailles d’or. Le 10e rang français repose sur deux victoires en escrime par équipes, et les titres de Steeve Guénot en lutte gréco-romaine, d’Alain Bernard sur 100 m nage libre, d’Anne-Caroline Chausson et Julien Absalon en cyclisme BMX et cross-country, et de l’équipe masculine de handball. Contractuel dans la gendarmerie, Bernard inaugure à Pékin une série de succès pour le Cercle des nageurs de Marseille. Consultant pour des sociétés spécialisées dans la fabrication de piscines et plusieurs chaînes de télévision, il est aussi élu municipal sur la liste de droite du maire d’Antibes.

    39Par ailleurs, le processus de mondialisation des victoires sportives continue sa progression avec 87 pays médaillés sur 202 CNO engagés, soit un ratio de 43 % contre 37 % à Athènes, 40 % à Sydney et Atlanta, 38 % à Barcelone, 33 % à Séoul. Outre le Togo avec le canoéiste Benjamin Boukpeti qui est né et s’est entraîné en France, quatre nouveaux pays remportent leurs premières médailles sans surprendre vraiment puisqu’il s’agit de disciplines plus accessibles à des pays pauvres : l’Afghanistan avec le taekwondoïste Rohullah Nikpa (bronze) qui deviendra plus tard l’entraîneuse de l’équipe néo-zélandaise, Maurice avec le boxeur Bruno Julie (bronze), le Soudan avec Ismail Ahmed Ismail sur 800 m (argent), ainsi que le Tadjikistan avec le lutteur Yusup Abdusalamov (argent) et le judoka Rasul Boqiev (bronze).

    Un statut d’observateur permanent à l’ONU pour le CIO en 2009

    40Le président Rogge poursuit avec succès la politique de rapprochement avec l’ONU esquissée par Samaranch au cours des années 1990 aux fins de desserrer l’étau de la communauté politique internationale. Juste avant le forum de Davos qui réunit en 2006 les grands décideurs économiques publics et privés autour du thème « L’impact du sport dans le monde », il accueille à Lausanne le secrétaire général Kofi Annan qui s’est toujours voulu un défenseur du sport comme « agent de transformation sociale ». L’année suivante, il lui fera décerner l’ordre olympique en or. De même, en 2009, il invite son successeur Ban Ki-moon (2007-2016) à s’exprimer au congrès olympique de Copenhague. Seulement, trois semaines plus tard, le CIO obtiendra le statut, rarement accordé, d’observateur permanent auprès de l’ONU. Décerné par exemple à l’État de Palestine en 1974 ou au Comité international de la Croix-Rouge en 1990, un tel statut d’usage permet au CIO d’assister aux assemblées générales de l’ONU et d’y prendre la parole, d’avoir accès à la documentation onusienne à l’avance.

    41Mais le triomphe du CIO ne peut être consacré qu’en devenant le point de référence unique en matière de sport au service du développement et de la paix (SDP). Le désengagement financier et diplomatique de la Suisse en 2007 a contribué à affaiblir la position du Bureau des Nations unies pour le sport au service du développement et de la paix (UNOSDP). Quant à Wilfried Lemke, l’ancien manageur général du club de football professionnel du Werder Brême et successeur d’Adolf Ogi, il n’est jamais parvenu à s’imposer face à des interlocuteurs qui multiplient leurs propres initiatives. Le paysage du SDP s’est en effet complexifié avec l’activation du Commonwealth par UK Sport, l’entrisme diplomatique de divers pays (Tunisie, Monaco, Pays-Bas, Norvège, Costa-Rica, Qatar). On notera aussi l’apparition d’ONG dédiées comme Right to Play fondé à Toronto en 2000 par le patineur norvégien Johann Olav Koss pour soutenir par la pratique sportive les enfants en détresse des pays pauvres, ou bien Peace and Sport constitué en 2007 à Monaco par le pentathlonien français Joël Bouzou qui prendra quatre ans plus tard la présidence de l’AMO. Des voix se sont élevées pour obtenir de ces interventions humanitaires par le sport qu’elles accordent davantage de considération aux cultures athlétiques locales, et qu’elles réaffectent leurs budgets pour prioriser la lutte contre la faim, les maladies, les migrations forcées et la guerre.

    42Une ultime étape sera franchie avec la Résolution 69/6 de l’assemblée générale de l’ONU du 31 octobre 2014 qui « appuie l’indépendance et l’autonomie du sport ainsi que la mission du CIO qui est de conduire le mouvement olympique ». Après avoir été honoré à son tour en 2013 de l’ordre olympique en or, Ban Ki-moon deviendra en 2017 président de la Commission d’éthique du CIO et sera réélu à cette même fonction pour quatre ans en 2021. Au mois d’avril 2017, le nouveau secrétaire général Antonio Guterres décidera de fermer l’UNOSDP, consacrant indirectement le CIO comme l’interlocuteur privilégié des États en la matière.

    Les Jeux de la Jeunesse pour enrayer la « désportisation » des nouvelles générations

    43La décision de créer des Jeux olympiques spécialement dédiés aux jeunes filles et garçons de 15 à 18 ans, est annoncée par le président Jacques Rogge lors de la session olympique de Guatemala City en 2007. Selon le discours officiel, le but est d’améliorer la santé de la jeunesse, de l’inciter à participer aux Jeux olympiques, et de lui proposer un programme éducatif et culturel d’éducation aux valeurs olympiques.

    44À aucun moment, il n’est question d’évoquer publiquement les enquêtes de sociologie des pratiques sportives, qu’elles aient été commandées ou non par le CIO, sur le décrochage des jeunesses du monde, notamment dans les pays développés, par rapport au spectacle télévisuel des Jeux olympiques et par rapport aux sports olympiques. Ces jeunes non seulement préfèrent consulter l’Internet et les réseaux sociaux plutôt que les chaînes de télévision avec lesquelles le CIO a passé des contrats, mais ils se détournent aussi des sports qui figurent au programme olympique pour adopter des pratiques de glisse, de risque et de pleine nature, très souvent en dehors des clubs. Cette désportisation s’accompagne d’un rejet des modèles traditionnels de compétition, avec même une forme de méfiance vis-à-vis des institutions sportives.

    45Les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) n’ont servi de test pour l’introduction de nouveaux sports que dans un second temps dans la mesure où le programme de Singapour en 2010 est calqué sur celui de Pékin 2008. Le golf et le rugby à VII introduits à Rio en 2016 avaient figuré au programme de Nankin en 2014 à un moment où la décision concernant l’entrée de ces nouveaux sports aux Jeux d’été était déjà prise. Ce n’était pas le cas pour le basket 3 × 3, l’escalade et le skateboard qui ont vraiment servi de test pour Tokyo en 2021. Le breaking était bien présent à Buenos Aires en 2018 avant que la décision de l’intégrer aux Jeux de Paris en 2024 ne soit prise. D’autres pratiques sportives ont été expérimentées aux JOJ, sans encore apparaître dans le programme des Jeux d’été comme la course de patins en ligne en 2014, ou bien le karting, le polo qui est le sport national des élites argentines, et le squash en 2018.

    46L’essai est beaucoup plus manifeste et réussi pour les épreuves mixtes du point de vue du genre car leur nombre n’a cessé de croître depuis les Jeux de Londres en 2012. La constitution d’équipes plurinationales avec si possible un représentant par continent, et souvent une mixité de genre, est en revanche une singularité des JOJ qui n’a pas encore été copiée aux Jeux d’été ou d’hiver, même s’il faut se rappeler que des équipes de double en tennis ont pu être composées de joueurs issus de pays différents en 1896 et 1900, voire certaines équipes de rugby au début du xxe siècle. Ces équipes plurinationales ont fonctionné aux JOJ de Singapour en athlétisme, équitation, escrime, judo, pentathlon moderne, tennis de table, tennis, tir à l’arc et triathlon. S’y ajouteront à Nankin le badminton, le cyclisme, le plongeon, le golf, le tir sportif, et à Buenos Aires, le breaking et la gymnastique. On touche là un tabou et une limite de la globalisation olympique qui reste fondée sur la séparation des peuples en nations politico-sportives lors des Jeux des adultes. De ce point de vue, le CIO n’est jamais allé plus loin que l’affirmation dans sa charte que les Jeux olympiques ne sont pas des compétitions entre nations mais entre athlètes, ou que le refus de publier officiellement le tableau des médailles. L’abandon des couleurs nationales sur les maillots est bien réel dans de nombreuses compétitions sportives internationales, mais il a toujours abouti à leur remplacement par des marques commerciales, ce que le CIO souhaite absolument éviter pour conserver le contrôle du marketing hors des aires de compétitions olympiques.

    47Le maintien de la référence nationale suffit à expliquer que certains pays investissent les JOJ à des fins de démonstration de puissance sportive, jusqu’à recourir à la falsification des dates de naissance, au dopage, ou au forçage des enfants. De fait, les États-Unis et les pays occidentaux reculent notablement dans le tableau des médailles. Le nombre de participants engagés est autrement plus signifiant du point de vue de l’image juvénile que les pays veulent projeter. Les pays les plus représentés à Singapour étaient dans l’ordre décroissant l’Australie (cent), la Russie, les États-Unis, le Brésil, l’Égypte, la Corée du Sud, le Japon, l’Allemagne, la Chine, l’Italie, et l’Afrique du Sud, le Canada et la France (soixante).

    48Les JOJ ont aussi pour fonction d’attribuer des compétitions olympiques à des pays qui ne pourraient pas prétendre accueillir les Jeux d’été ou d’hiver. Ce fut le cas pour Singapour en 2010 et pour l’Argentine en 2018, et cela devait l’être pour le Sénégal en 2022 mais les Jeux de Dakar ont été reportés à 2026, officiellement pour des raisons liées à la pandémie de Covid-19, mais surtout pour des raisons économiques et politiques. Leur avenir est d’autant plus incertain que tous les membres du CIO ne sont pas persuadés de l’intérêt d’investir des sommes aussi importantes en personnel administratif et en défraiement du transport et de l’hébergement de tous les athlètes et juges (90 millions de dollars contre 11 estimés au départ). Le coût des JOJ de Singapour a pu paraître prohibitif pour l’organisateur (387 millions de dollars au lieu des trente prévus) d’autant que les sponsors ont tardé à se manifester.

    Des « manuels d’éducation olympique » sans mobilisation de l’esprit critique

    49Le mélange des genres musical et sportif sous la forme de concerts durant les compétitions, qui est emprunté au modèle des X-Games, connaît un plein succès lors des JOJ. C’est beaucoup moins le cas des programmes culturels et d’éducation présentés sous la forme de conférences ou d’expositions.

    50Pourtant, le CIO a développé depuis 2007 un Programme d’éducation aux valeurs olympiques (PEVO), appuyé sur un Manuel d’éducation olympique conçu sans aucune distance critique et sans aucun fondement didactique, qu’il tente de diffuser dans les pays les plus pauvres de la planète et dans ceux où les communautés éducatives n’ont pas de tradition assez forte de liberté pédagogique. Ayant reçu l’appui de l’Unesco à compter de 2010, il proposera une version renouvelée de son PEVO en 2017, tout aussi pauvre du point de vue didactique et en matière d’éducation à l’esprit critique.

    51Dans ces manuels et dans les documents officiels du CIO, la vieille devise est mise de côté depuis 2007 au profit du triptyque « Excellence, respect, amitié » qui a été imaginée par une agence de communication. « Donner le meilleur de soi-même sur le terrain de jeu ou dans le monde professionnel », appréhender le sport comme « un outil de compréhension mutuelle entre les individus et les peuples du monde entier », respecter « soi-même et son corps, les autres, les règles et les règlements, et l’environnement » ont l’apparence de l’universel. Mais l’ambiguïté de ce genre de formulations, dès lors qu’elles ne sont pas appuyées sur un corpus juridique qui protège les libertés de penser, de se réunir, de prendre la parole, de se déplacer, est tel que les régimes non démocratiques ont pu se l’approprier, par exemple à Sotchi en 2014 ou bien à Pékin en 2008 et en 2022.

    Bibliographie

    Brownell Susan, Beijing’s Games. What the Olympics Mean to China, Lanham, Rowman & Littlefield, 2008.

    Caffrey Kevin, The Beijing Olympics: Promoting China. Soft and Hard Power in Global Politics, Abigdon, Taylor & Francis, 2013.

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    Mangan James, Ok Gwang et Collins Sandra (éd.), The Triple Asian Olympics – Asia Rising. The Pursuit of National Identity, International Recognition and Global Esteem, op. cit.

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