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  • Chapitre XXIII. Atlanta 1996
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Atlanta au lieu d’Athènes comme symbole de la commercialisation des Jeux L’effacement du passé esclavagiste du Sud Le Comité Atlanta + en faveur d’équipes mixtes et contre les Jeux islamiques féminins Football femmes, beach-volley et mountain bike Hégémonie américaine, 5e rang français et recomposition sportive de l’Europe L’éclatement sportif de la CEI entre Ukraine, Caucase et Asie centrale Athlètes du Burundi et du Mozambique, marcheur de l’Équateur et boxeur des Tongas La déflagration du scandale de corruption de Salt Lake City Une situation de crise gérée par le sulfureux cabinet de conseil Hill & Knowlton Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre XXIII. Atlanta 1996

    Le triomphe des grandes entreprises américaines

    p. 277-290

    Texte intégral Atlanta au lieu d’Athènes comme symbole de la commercialisation des Jeux L’effacement du passé esclavagiste du Sud Le Comité Atlanta + en faveur d’équipes mixtes et contre les Jeux islamiques féminins Football femmes, beach-volley et mountain bike Hégémonie américaine, 5e rang français et recomposition sportive de l’Europe L’éclatement sportif de la CEI entre Ukraine, Caucase et Asie centrale Athlètes du Burundi et du Mozambique, marcheur de l’Équateur et boxeur des Tongas La déflagration du scandale de corruption de Salt Lake City Une situation de crise gérée par le sulfureux cabinet de conseil Hill & Knowlton Bibliographie

    Texte intégral

    1Après Saint-Louis en 1904 et Los Angeles en 1932 et 1984 (et bientôt en 2028), le choix d’Atlanta pour accueillir en 1996 les XXVIe Jeux olympiques confirme le tropisme états-unien du CIO. Et cela sans compter avec les Jeux d’hiver : Lake Placid en 1932 et en 1980, Squaw Valley en 1960, Salt Lake City en 2002. Les États-Unis ne possèdent pas seulement les infrastructures sportives les mieux développées et les plus performantes du monde depuis la fin du xixe siècle, ils offrent aussi la garantie de pouvoir réaliser les Jeux olympiques dans les meilleures conditions économiques et médiatiques qui soient.

    2Il vaut la peine de rappeler que le CIO rend sa décision alors que le mur de Berlin est tombé depuis presque un an et que l’URSS est en nette perte d’influence. Si la guerre froide semble parvenue à son terme faute de combattants à l’Est, l’horizon des relations internationales s’est pourtant rapidement assombri. Le 2 août 1990, soit 47 jours avant la décision du CIO, l’ONU condamne par la résolution 660 l’invasion du Koweït déclenchée le jour même par l’armée irakienne de Saddam Hussein. La coalition militaire de 35 États dirigée par les États-Unis remportera le 28 février 1991 la première guerre du Golfe dont les conséquences se feront durablement sentir.

    3Une semaine après le début des compétitions, les Jeux sont endeuillés par un attentat perpétré par un militant chrétien d’extrême droite dans le parc du Centenaire. Une touriste est tuée et une centaine de participants au concert nocturne du groupe de soul Jack Mack and the Heart Attack sont blessés. Malgré un coût de la sécurité qui se monte à plus de 300 millions de dollars, le responsable ne sera retrouvé qu’en 2003 après qu’il aura commis plusieurs autres attentats contre des cliniques qui pratiquent l’avortement et contre un bar gay. Le FBI avait d’abord suspecté le gardien de sécurité qui a trouvé la bombe et qui ne sera innocenté que six mois plus tard après avoir été jeté en pâture dans les médias. Vingt ans après Munich, le CIO a pris la même décision de continuer les Jeux, mais cette fois sans déclaration intempestive.

    Atlanta au lieu d’Athènes comme symbole de la commercialisation des Jeux

    4C’est en cohérence avec sa mue commerciale que le CIO, réuni en session à Tokyo, attribue le 18 septembre 1990 les Jeux olympiques à Atlanta, qui est le siège des grandes firmes Coca-Cola, Delta Airlines, United Parcel Service (UPS), et Cable News Network (CNN) de Ted Turner. Mais, c’est un drame pour Athènes qui les réclamait au titre du centenaire des premiers JO qu’elle avait organisées en 1896. Les profits à tout prix plutôt que le respect de la tradition, tel fut le refrain alors entonné par de nombreux médias.

    5Il reste que la capitale grecque aurait pu l’emporter dès 1990 si l’on en juge par les deux premiers tours de scrutin qui la placent en tête avec 23 voix contre 19 puis 20 à Atlanta. Mais, après les éliminations de Belgrade et de Manchester au premier et deuxième tour, les reports de voix quasi mécaniques de Melbourne (16) et de Toronto (22) lui sont fatals : Atlanta l’emporte par 51 suffrages contre 35. C’est une manière de récompenser la firme multinationale Coca-Cola qui vend ses boissons dans le stade olympique depuis les Jeux d’Amsterdam en 1928 et qui a intégré le premier programme TOP de sponsoring du CIO en 1986. Mais c’est aussi profiter du premier hub aéroportuaire des États-Unis pour les vols nationaux qui garantit un afflux de visiteurs, et de la formidable puissance médiatique de CNN qui s’est fait connaître du monde entier cinq ans plus tôt en retransmettant en continu les images de la guerre du Golfe. Pour autant, les visiteurs ont dû pratiquer la marche à pied du fait de la mauvaise qualité des transports en commun, ce qui conduira le CIO à réclamer par la suite des voies olympiques dédiées à la circulation des officiels et des athlètes, tandis que les agences de presse se sont plaintes des ratés de la société IBM en matière d’acheminement de l’information.

    6Le comité d’organisation des jeux d’Atlanta a dépensé 2,2 milliards de dollars et réalisé des profits assez faibles car il a lui-même assumé l’organisation des Jeux et la construction des infrastructures sportives qui faisaient défaut, dont le Centennial Olympic Stadium d’une capacité de 85 000 sièges. Mais, le gouvernement fédéral et les autorités locales ont tout de même déboursé deux milliards de dollars en frais d’équipements publics et de sécurité : 75 % des équipements sportifs utilisés appartenaient à l’État de Géorgie. Alors qu’il existait déjà un grand stade de 71 000 places, le Georgia Dome, occupé par l’équipe de football américain des Atlanta Falcons, le comité a choisi de construire un stade olympique qui puisse être réaffecté en stade de baseball : il sera effectivement loué par les Atlanta Braves de Ted Turner durant vingt saisons avant d’être cédé à la Georgia State University.

    7Le gain d’emplois fut réel mais il n’a concerné que la période des Jeux et seulement quatre secteurs d’activité (commerce de détail, hébergement, alimentation, industrie de loisirs) tandis que l’équilibre budgétaire a reposé sur une foule de sponsors qui ont investi le Centennial Olympic Park et l’ont transformé en foire publicitaire, avec un parc d’attractions dédié à la seule marque Coca-Cola, au point même de choquer certains membres du CIO. Plusieurs marques qui n’étaient pas sponsors des Jeux ni du CIO en ont profité pour faire de la publicité aux abords mêmes des installations olympiques comme Samsung, alors en concurrence avec Motorola, qui a inauguré sa « 96 Expo », ou Nike qui a ouvert sa boutique près du village olympique et a inondé la ville de ses réclames agressives allant même jusqu’à dénigrer la devise olympique avec son slogan « Faster, Higher, Stronger, Badder ». Tout cela conduira le CIO à imposer, dans les futurs contrats des cités-hôtes, une clause de police des marques pour lutter contre le marketing sauvage (ambush marketing).

    8Pour le fils aîné de Martin Luther King, ces Jeux n’ont en aucune manière profité aux populations les plus pauvres, dont plus de 9 000 personnes sans domicile fixe ayant été arrêtées et expulsées l’année précédente en direction de l’Alabama et de la Floride. La gentrification a concerné les environs du Olympic Park où les loyers ont considérablement augmenté tandis que des logements sociaux ont été détruits pour laisser place d’abord au village olympique, puis à l’université privée Georgia Tech et à la société Coca-Cola. Trois ans plus tard, une enquête du US House Commerce Subcommittee révélera que le comité d’organisation a violé près de quarante fois la réglementation en matière de cadeaux offerts aux membres du CIO avant l’élection d’Atlanta.

    9Sans accéder à la rentabilité financière, les JO n’auraient pas pu résister, en cette fin du xxe siècle, à la concurrence que lui livrent les ligues professionnelles aux États-Unis et les FI qui multiplient les championnats européens et mondiaux depuis les années 1970. Le président Samaranch a bien conscience qu’il doit jouer sur les deux tableaux, financier et patrimonial, s’il veut continuer à contrôler la planète internationale des sports. Pour conserver son aura et sa légitimité comme institution faîtière du mouvement olympique, il est contraint d’afficher sa différence en rappelant sans cesse que le CIO est une institution vertueuse même si elle est prise dans des logiques de rentabilité. C’est pourquoi il inaugurera en 1993 le Musée olympique, qui a pour mission de diffuser le roman olympique, et il fera attribuer en 1997 les Jeux de 2004 à Athènes en compensation du choix d’Atlanta.

    L’effacement du passé esclavagiste du Sud

    10Sélectionnée à la suite d’un concours ouvert à l’échelle mondiale, la société Don Mischer Production de Los Angeles s’entoure d’une équipe de 175 membres emmenés par le directeur musical Mark Watters, et des chorégraphes et chefs costumiers qui tournent désormais dans le monde entier et qui puisent leur inspiration dans la cérémonie des Jeux olympiques d’hiver de 1992 orchestrée par le chorégraphe Philippe Decouflé et son costumier Philippe Guillotel. En la matière, il y a incontestablement un avant et un après Albertville tant la compagnie Diversité, Camaraderie, Agilité fondée en 1983 a marqué les esprits.

    11La cérémonie d’ouverture commence par payer sa dette à la Grèce et à Athènes qui n’ont pas obtenu les Jeux du Centenaire, des ombres chinoises posant à la manière de statues antiques au milieu du temple de Zeus. C’est alors qu’apparaît le baron Pierre de Coubertin qui déclare : « Nous allons rallumer la flamme olympique et, cette fois, nous ferons en sorte qu’elle continue à brûler, un tribut éternel à la grandeur et à la noblesse de l’humanité. » Les danseurs qui incarnent le « réveil de l’esprit des Jeux » forment alors les cinq anneaux olympiques et des enfants vêtus de blanc représentent le chiffre 100. Le défilé des athlètes surviendra après l’entrée du drapeau olympique et l’apparition d’anciennes gloires des Jeux comme le gymnaste slovène Leon Stukelj (1924, 1928, 1936), la nageuse australienne Dawn Fraser (1956, 1960, 1964), le sauteur en longueur Bob Beamon (1968) et le sprinteur Carl Lewis (1984, 1988, 1992, 1996).

    12Comme à Barcelone, le message de bienvenue puise dans le folklore local, en l’occurrence celui de la Géorgie et du « Sud profond » (Deep South). Des camionnettes équipées de projecteurs transforment la scène en discothèque où des pom-pom girls préparent l’arrivée de « l’impératrice de la soul » Gladys Knight, connue en Europe depuis 1989 pour son interprétation de la bande originale de Permis de tuer de la saga James Bond, et qui surgit du sol pour interpréter Georgia on my mind. La séquence Summertime poursuit sur la même veine d’un Sud mythifié autour du Mississipi, illustré par un bateau tiré par quatre poissons-chats, et accompagné de marionnettes géantes alternant des extraits de country et de jazz. L’ouragan subtropical en forme d’oiseau de feu qui s’abat sur les 500 acteurs en costumes de lucioles et de papillons, comme le gospel qui redonne ensuite vie à la région, sont censés représenter la sortie des âges obscurs (tradition esclavagiste, passé confédéré, et ségrégation raciale).

    13Le président du comité d’organisation Billy Payne reconnaîtra que « toute référence au Sud d’avant la guerre civile a été méticuleusement gommée pour ne pas choquer les militants des droits civiques ». En guise de compensation, il faut compter avec les trois minutes du célèbre discours « I have a dream » que Martin Luther King, le pasteur d’Atlanta, a prononcé le 28 août 1963 à Washington à l’issue de la Marche pour l’emploi et la liberté, et avec l’allumage de la flamme par le boxeur Mohamed Ali qui suscite une émotion mondiale tant la maladie de Parkinson affecte ses moindres gestes. La cérémonie prend alors définitivement fin avec The Power of the Dream interprétée par la chanteuse canadienne Céline Dion devant plus de 100 000 spectateurs et 4 milliards de téléspectateurs.

    Le Comité Atlanta + en faveur d’équipes mixtes et contre les Jeux islamiques féminins

    14En ce qui concerne la place des femmes dans le sport, comme pour toutes les autres questions sociales et sociétales, le CIO n’a jamais agi que sous la pression des nouvelles pratiques sportives et des organisations militantes concernées. Prenant en compte la progression du nombre de sportives dans le monde qui sont autant de consommatrices, le président Samaranch inaugure en 1991 une politique plus volontariste en imposant l’obligation à chaque nouveau sport intégrant le programme olympique de comporter des épreuves pour femmes. Cela a permis mécaniquement une féminisation de la communauté des athlètes participant aux Jeux olympiques : 20,7 % en 1976, 21,5 % en 1980, 23 % en 1984, 25,8 % en 1988, 28,8 % en 1992, 34,2 % en 1996, 38,2 % en 2000, 40,7 % en 2004. C’est aussi en 1991 que le CIO a pris en compte les discriminations « pour des raisons de sexe » dans sa Charte.

    15Mais, cela ne signifie pas pour autant que cette évolution concerne de manière égale toutes les délégations olympiques dont la composition relève de la décision des CNO. Nombre d’entre elles sont encore intégralement masculines dans les années 1990 : 35 à Barcelone en 1992 et 26 à Atlanta en 1996. Que ces dernières ne soient plus que 9 à Sydney et à Athènes peut largement être porté au crédit du Comité Atlanta + fondé à Paris en 1995 par trois responsables de la Ligue du droit international des femmes (LDIF) dont la première présidente en 1983 était Simone de Beauvoir. L’apparition de ce groupe de pression, qui a multiplié les interventions médiatiques, est un des facteurs qui a conduit le CIO à créer en décembre 1995 son propre groupe de travail consultatif « Femme et Sport », animé par Anita DeFrantz et transformé en 2004 en une commission à part entière du CIO.

    16Sur le modèle des militants antiapartheid qui ont investi la scène olympique dans les années 1960, et en ciblant prioritairement l’Iran, le Comité Atlanta + a pris appui sur la Charte olympique pour mener ses campagnes en faveur de la mixité des délégations olympiques auprès du CIO, du Parlement européen, du Conseil de l’Europe ou de la Commission des droits de l’Homme à Genève. Les trois animatrices de ce combat sont la scientifique Annie Sugier, une militante du Mouvement de libération des femmes devenue présidente de la LDIF, l’avocate au barreau de Paris Linda Weil-Curiel, et la présidente honoraire du Sénat belge Anne-Marie Lizin. Au nom de l’universalisme du droit des femmes dans le sport, et contre le relativisme culturel et « l’apartheid féminin dans le sport », elles dénoncent les Jeux islamiques féminins (JIF) lancés en 1993 par Faezeh Hachemi qui n’est autre que la fille d’Hachemi Rafsandjani, le président iranien en fonction classé comme « réformateur ».

    17Cette militante du droit des femmes iraniennes, députée de 1996 à 2000, rédactrice en chef de l’hebdomadaire Zan qui sera finalement interdit de paraître en 1999, sera emprisonnée à plusieurs reprises pour propagande contre le régime, et aussi pour s’être opposée en 2019 à l’obligation faite aux femmes de porter le hijab. Quant aux JIF, ils ont eu lieu tous les quatre ans de 1993 à 2005 avant que des épreuves pour les sportives ne soient intégrées en 2010 dans le programme des Jeux de la solidarité islamique. Ces derniers, inaugurés en 2005 à La Mecque sous l’égide de l’Organisation de la Coopération islamique et de la Fédération sportive de la solidarité islamique constituée à Riyadh en 1985, ont repris l’héritage des Jeux islamiques qui n’avaient connu qu’une seule édition à Izmir en 1980.

    18Pour sa première conférence de presse, dans les locaux du Sénat à Paris, en janvier 1994, le Comité Atlanta + dénonce le fait que des pays pourtant riches comme l’Arabie saoudite n’envoient pas de sportives aux JO, et que les organisateurs barcelonais aient cédé à la demande iranienne de remplacer la porte-emblème du nom de son pays par un homme. Au mois de septembre suivant, il demande par courrier au président Samaranch « d’exclure les délégations qui excluent les femmes ». La réponse est venue dans un premier temps de François Carrard, le conseiller juridique du CIO depuis 1979 puis son directeur administratif de 1989 à 2003. Considérant que cette lettre est une « attaque contre la religion pour des raisons politiques », il précise qu’il revient à Anita DeFrantz, tout juste nommée présidente du groupe de travail sur les femmes, de traiter cette question. Ensuite, ce fut au tour du directeur de la coopération internationale du CIO, le journaliste éthiopien Fékrou Kidané précédemment traducteur auprès de l’ONU, de dénoncer ces féministes qui « insultent le peuple Noir dans son entier » en opérant un amalgame avec l’apartheid.

    19Alors qu’Anita DeFrantz et les féministes anglo-saxonnes soutiennent les déléguées iraniennes, les membres du Comité Atlanta + se rapprochent de la championne marocaine Nawal El Moutawakel. Parvenues à s’introduire dans l’hôtel d’Atlanta où logent les membres du CIO, elles réclament qu’une partie des crédits versés par le CIO en soutien aux CNO soit consacrée exclusivement au développement du sport pour les femmes, une exigence qui sera adoptée par le CIO au mois d’octobre suivant, lors de la conférence mondiale « Femmes et sport » à Lausanne. Mais, elles vont bientôt affronter le dilemme que pose le port du voile par la première représentante de la République islamique d’Iran à Atlanta, la tireuse Lida Fariman qui est aussi la porte-drapeau de sa délégation.

    20Ensuite, le Comité Atlanta + s’investira en 1999 dans les Assises nationales « Femmes et sport » organisées à Paris à l’initiative de la ministre communiste des sports Marie-Georges Buffet, et dans la défense des droits des femmes afghanes à pratiquer librement le sport. À Sydney en 2000, il recevra le soutien de la championne algérienne Hassiba Boulmerka, et obtiendra que le CIO renonce à suspendre le CNO afghan pour mieux inviter les talibans comme observateurs alors même que le commandant Massoud est encore le représentant officiel de son pays. Quant à Anita DeFrantz, elle deviendra en 1997 la première femme vice-présidente du CIO sept ans après l’entrée de la Vénézuélienne Flor Isava Fonseca au sein de la CE. À compter de 1996, le CIO organisera tous les quatre ans une Conférence mondiale sur « la femme et le sport » afin d’analyser les progrès réalisés et définir des lignes d’action prioritaires.

    Football femmes, beach-volley et mountain bike

    21La féminisation du programme olympique se poursuit à Atlanta avec de nouvelles épreuves en athlétisme (5 000 m et triple saut), en aviron (deux sans barreuse), en cyclisme (course aux points et contre-la-montre), en escrime (épée en individuel et par équipes), en tir (double trap aussi pour les hommes). En revanche, les deux épreuves mixtes de Londres en 2012 ont disparu, notamment celle où la tireuse chinoise Zhang Shan avait vaincu ses sept concurrents masculins en battant le record du monde de la discipline. Toujours est-il que les hommes ont retrouvé leur épreuve de skeet dès 1996 alors que les femmes devront attendre Sydney 2000. Les épreuves de solo et de duo en natation synchronisée sont remplacées par l’épreuve davantage spectaculaire et télégénique du ballet par équipes de dix nageuses. Si les États-Unis sont médaillés d’or à Atlanta, ils subiront par la suite la domination de la Russie, puis de la Chine et de l’Espagne. L’épreuve par équipes de GRS apparaît également mais elle est ajoutée à l’épreuve individuelle. Les modifications dans un sens davantage sportif du code de pointage en 1987 et en 1989 permettent un apaisement des contestations qui prendra fin aux Jeux de Sydney en 2000 où les tricheries impliqueront à la fois des entraîneuses et des dirigeantes.

    22Il n’y a rien d’étonnant à ce que le football femmes, le beach-volley et le mountain bike ou vélo tout-terrain (VTT) fassent leur apparition à Atlanta en 1996 car ce sont trois disciplines en plein essor aux États-Unis. Concernant le soccer, les organisateurs en ont fortement défendu le principe pour toucher le jeune public féminin qui le pratique dans le cadre des colleges et des universités alors que les garçons sont traditionnellement associés à la virilité de l’american football. Il est vrai aussi que l’équipe américaine domine la compétition mondiale comme le prouveront les cinq titres obtenus sur huit possibles entre 1996 et 2024. Quant à la FIFA, elle plaide sa cause pour consolider le développement d’une pratique qui est en cours de mondialisation, comme l’atteste la première édition de la Coupe du monde féminine en Chine en 1991, mais aussi parce qu’elle y voit une manne financière d’importance à l’avenir.

    23Pour ce qui est du beach-volley, l’avance américaine et brésilienne est telle dans ce sport que ces deux pays gagneront plus de la moitié des médailles entre 1996 et 2024. Pratiqué depuis les années 1960 sur les plages du Brésil et de la Californie, ce jeu est d’abord une mode où il s’agit d’exhiber un corps fun, musclé et bronzé, paré de lunettes de soleil et de casquettes imitées des sports américains. Du côté de la fédération internationale de volley-ball (FIVB), le président français Paul Libaud ne lui trouve guère d’intérêt et préfère miser sur le mini-volleyball afin de toucher de jeunes publics. En revanche, son collègue mexicain Rubén Acosta admet ce jeu de plage au sein de sa fédération dès 1986, soit deux années après avoir pris la tête de la FIVB. Président de la fédération mexicaine de volley-ball depuis 1965, avocat-conseil auprès de General Electric Mexique, puis expert à son compte en droit international des marques, il joue un rôle essentiel dans la mondialisation de son sport à compter de 1989 avec la création de la Ligue mondiale de volley-ball, du Grand prix féminin et du circuit mondial de beach-volley. Au même moment, il apporte un soutien inconditionnel au président Samaranch qui, en retour, permet au beach-volley d’être sport de démonstration à Barcelone en 1992 et le fait coopter au sein du CIO en 2000. Pour assurer la médiatisation de ce sport, les dirigeants masculins de la FIVB n’hésitent alors pas à imposer aux joueuses le port du bikini, avec un bas dont le règlement limite la largeur à sept centimètres, sans que rien d’équivalent ne soit exigé des joueurs.

    24Le mountain bike, ou VTT, constitue un troisième cas de discipline sportive dont l’arrivée à Atlanta s’explique par la volonté conjointe du CIO et de la FI concernée. En l’occurrence, l’UCI, présidée par le Néerlandais Hein Verbruggen de 1991 à 2005, a entrepris de rénover son programme sportif pour toucher de nouveaux publics à un moment où le 4 000 m sur piste et le 100 km sur route ne font plus recette et sont menacés de suppression. Cet ancien directeur des ventes de la société agroalimentaire américaine Mars, qui a créé ensuite sa propre société de conseil, va importer au sein de l’UCI les méthodes de développement des marques et de management du personnel caractéristiques des entreprises américaines. Son plan de relance, présenté en 1992, prévoit l’ouverture des compétitions olympiques aux professionnels, le développement de la Coupe du monde de cyclisme sur route et, justement, le lancement d’épreuves internationales de cyclo-cross. Apparu dans les montagnes de Californie au milieu des années 1970 sous la forme de courses de descente, puis de cross-country, sur des bicyclettes extrêmement solides (cruiser) équipées de freins à rétropédalage, cette nouvelle discipline connaît une diffusion fulgurante dans la décennie suivante au point d’avoir ses premiers championnats du monde à Durango dans le Colorado en 1990 et de figurer au programme des premiers X-Games en 1995. Pour permettre aux téléspectateurs d’apprécier l’épreuve de cross-country hommes et femmes qui est retenue à Atlanta, la société de production devra mobiliser un hélicoptère, une moto suiveuse et trente caméras.

    Hégémonie américaine, 5e rang français et recomposition sportive de l’Europe

    25L’éclatement sportif de la CEI, qui maintient par ailleurs son existence politique, n’a guère entamé le potentiel athlétique de la Russie qui se classe au second rang et ne sera détrônée par la Chine qu’en 2004, puis par le Royaume-Uni en 2012. Quant aux États-Unis, ils inaugurent deux décennies d’hégémonie avec un seul repli en seconde position après la Chine aux Jeux de Pékin en 2008 mais en conservant cette année-là un meilleur total de médailles.

    26Avec 101 médailles, les États-Unis écrasent la concurrence russe (63), allemande (65) et chinoise (50). Avec 44 médailles d’or, le différentiel est encore plus fort si on compare les titres olympiques avec les Russes (26), les Allemands (20) et les Chinois (16). Cela s’explique toujours par une domination sans conteste en natation (26 médailles dont 13 en or) et en athlétisme (23 médailles dont 13 en or), et par un apport non négligeable en lutte, boxe, gymnastique et tennis. La contribution des sportives américaines à cette hégémonie est de plus en plus évidente avec 19 médailles d’or sur 44 contre 14 sur 37 à Barcelone et 12 sur 36 à Séoul.

    27C’est une première pour la Russie de Boris Eltsine qui devance l’Allemagne seulement au nombre de victoires (26 contre 20), mais pas au nombre total de médailles (63 contre 65). La troisième place occupée par l’Allemagne ne saurait tromper car c’est au total une vingtaine de médailles de moins qu’en 1992, et 13 de moins en or. Suivront 13 médailles d’or seulement en 2000 et 2004. C’est ici qu’on peut lire l’écroulement complet du modèle sportif est-allemand et l’impossibilité de son transfert à l’Ouest malgré le recrutement d’un certain nombre d’entraîneurs connus pour avoir participé au système de dopage de l’ancienne RDA. Dorénavant, la nouvelle Allemagne rejoint quatre autres pays qui échangeront leurs rangs à plusieurs reprises : la France 5e, l’Italie 6e, l’Australie 7e, et le Japon qui connaît un mauvais cru à Atlanta avec une 23e place.

    28Assurément, avec quinze médailles d’or pour trente-sept médailles au total, la France profite du décrochage des pays de l’Est et du Royaume-Uni : quatre or en cyclisme sur piste, le titre de Jeannie Longo dans la course en ligne, et les deux victoires en individuel et par équipes de l’épéiste Laura Flessel. Outre Jean-Pierre Amat au tir à la carabine et Franck Adisson et Wilfrid Forgues en canoë-kayak, il faut compter avec les titres de David Douillet et Djamel Bourras en judo, le record olympique à la perche de Jean Galfione à 5,92 m, et les deux triomphes de Marie-José Pérec sur 200 et 400 m.

    29Native de Basse-Terre en Guadeloupe, elle n’est détectée que tardivement, à 17 ans, par la Fédération française d’athlétisme, mais elle devient la seule Française triple championne olympique d’athlétisme, ce qui lui vaudra d’allumer la vasque à Paris en 2024. Sa remarquable carrière est entachée par un « Did not start » lors des Jeux de Sydney en 2000 lié à la pression médiatique et à des soupçons de dopage suite au recrutement comme coach de Wolfgang Meier, le mari et ancien entraîneur de la sprinteuse est-allemande Marita Koch. Elle devient ensuite consultante pour la presse spécialisée après avoir obtenu un master en mangement sportif de l’ESSEC, une grande école privée de commerce qui s’est lancée comme ses concurrentes dans la formation postcarrière sportive des champions français à des fins de prestige.

    30Ces déclassements concernent aussi la République tchèque et la Slovaquie dont l’existence olympique n’était pas possible à Barcelone du fait de l’établissement d’avril 1990 à décembre 1992 de la République fédérale tchèque et slovaque, en lieu et place de la Tchécoslovaquie communiste. Davantage peuplée et riche, la République tchèque (17e) capitalise encore sur son héritage communiste avec ses trois vainqueurs en canoë, la numéro un mondiale 1990 en tennis Jana Novotná (argent et bronze) qui poursuivra sa carrière comme coach et commentatrice pour la BBC, ou bien encore Jan Železný déjà médaillé d’argent au lancer du javelot à Séoul en 1988 et d’or à Barcelone en 1992. Quatre jours seulement après son podium de 1996, ce dernier sera sollicité pour un test sans lendemain par la franchise professionnelle de baseball des Atlanta Braves. Relancé en athlétisme, il obtiendra une troisième fois l’or à Sydney en 2000 et poursuivra sa carrière comme entraîneur. Les résultats de la Slovaquie (43e) sont bien plus modestes avec seulement une médaille d’or et une autre en argent en canoë, et une en bronze au tir.

    31Quant au Royaume-Uni du premier ministre conservateur John Major, il touche le fond avec un 36e rang qui va conduire à la création en janvier 1997 de l’agence gouvernementale UK Sport chargée de relever le haut niveau sportif de la nation avec un budget abondé par le gouvernement et par la National Lottery. Le redressement sera spectaculaire puisque le Royaume-Uni, après les 10e places à Sydney et Athènes sera 4e à Pékin, 3e à Londres et 2e à Rio.

    L’éclatement sportif de la CEI entre Ukraine, Caucase et Asie centrale

    32Huit des onze pays qui se détachent sportivement de la CEI obtiennent alors leurs premières médailles olympiques, le Kirghizistan, le Tadjikistan et le Turkménistan devant encore patienter quelques années. Dorénavant, les spécialisations sportives qui avaient cours dans l’ancienne URSS se donnent à lire clairement en même temps qu’elles renseignent sur les niveaux différenciés de développement économique : polyvalence sportive du côté de l’Ukraine plus encore que de la Biélorussie et sports de combat dans les marges moldave, caucasienne et asiatique.

    33Du fait de leur proximité sportive ancienne avec la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine sont encore en capacité d’obtenir des médailles dans de nombreux sports. Au neuvième rang avec vingt-trois médailles dont neuf en or, l’Ukraine tient son rang avec quatre victoires en gymnastique dont deux or pour Lilia Podkopayeva, et une à chaque fois en athlétisme avec Inessa Kravets au triple saut, qui sera suspendu pour dopage en 1993 et en 2000, en boxe avec Wladimir Klitschko, et aussi en haltérophilie, lutte et voile. Les destinées de Klitschko et de Podkopayeva méritent une mention particulière car elles illustrent tous les aléas et déchirements de la société ukrainienne. Après avoir organisé des galas de gymnastique, de danse et d’acrobatie, Podkopayeva est devenue ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour la lutte contre le sida puis du Conseil de l’Europe pour la tolérance et le respect dans le sport, avant de rejoindre en 2019 un centre de gymnastique à Atlanta. Wladimir Klitschko, lui, unifiera tous les titres des poids-lourds une fois passé chez les professionnels, et rejoindra en février 2022 l’armée de réserve ukrainienne avec son frère Vitali, également un grand champion de boxe et par ailleurs maire de Kiev depuis 2014. Avec quinze médailles mais seulement une en or, la Biélorussie obtient une modeste 37e place grâce surtout à ses athlètes masculins en lutte et en gymnastique.

    34En obtenant le bronze en lutte avec Sergei Mureiko, qui prendra ensuite la nationalité bulgare, et aussi l’argent en canoë avec Nicolae Juravschi et Viktor Reneysky, la Moldavie (58e) se situe culturellement plutôt du côté de la force comme les anciennes républiques caucasiennes ou asiatiques de l’URSS. Médaillé d’or à Séoul en 1988 et sept fois champion du monde pour le compte de l’URSS, Reneysky rejoindra l’année suivante l’équipe biélorusse, sa nationalité d’origine, pour laquelle il remportera un nouveau titre mondial. Quant à Juravschi, lui aussi de nombreuses fois champion du monde, il sera élu en 2011 membre du parlement moldave sous l’étiquette libérale et pro-européenne, et prendra également la tête du comité olympique de son pays.

    35Premiers champions de l’Arménie indépendante, Armen Nazaryan et Armen Mkrtchyan décrochent respectivement l’or et l’argent en lutte. Formé très jeune à l’école des sports d’Erevan, Nazaryan décidera l’année suivante, pour des raisons financières, de rejoindre l’équipe bulgare à laquelle il offrira une médaille d’or à Sydney et une médaille d’argent à Athènes. L’autre pays du Caucase, la Géorgie excelle également dans les sports de combat du fait de l’héritage des luttes traditionnelles, d’où le bronze en judo de Soso Liparteliani et en lutte d’Eldar Kurtanidze. Impliqué en 2011 dans les manifestations contre le président Mikheil Saakachvili, Kurtanidze rejoindra ensuite le parti « Rêve géorgien », ce qui lui vaudra de devenir entraîneur en chef de l’Académie nationale de police.

    36On retrouve les mêmes spécialités sportives dans les républiques du Caucase nouvellement indépendantes avec le lutteur azerbaïdjanais Namig Abdullayev qui obtiendra l’or à Sydney, ou bien les Ouzbeks Karim Tulaganov en boxe et Armen Bagdasarov en judo, lequel deviendra entraîneur national puis président du comité national des sports. Seul, le Kazakhstan (24e) se détache avec notamment quatre médailles en boxe, dont celle en or de Vassiliy Jirov qui s’est essayé à ce sport à l’âge de 12 ans après avoir vu le film Rocky, deux en lutte dont l’or de Yuriy Melnichenko qui deviendra entraîneur national, et la victoire en pentathlon moderne de Alexander Parygin qui émigrera l’année suivante en Australie qu’il représentera en 2004 aux Jeux d’Athènes.

    Athlètes du Burundi et du Mozambique, marcheur de l’Équateur et boxeur des Tongas

    37Le taux de pays sans médaille diminue nettement à Atlanta passant de 67 à 60 %, mais toujours au détriment des nations africaines et asiatiques même si le Nigeria, l’Algérie, l’Éthiopie et le Kenya figurent cette fois dans les trentièmes places, talonnées par l’Indonésie, l’Iran et Hong Kong qui participera par la suite sous le nom de « Hong Kong, Chine ». Inaugurant une série de podiums pour les nations du Pacifique, le royaume des Tongas a obtenu sa première médaille olympique grâce à l’argent du boxeur Paea Wolfgramm vaincu en finale par l’Ukrainien Wladimir Klitschko.

    38Avec Vénuste Niyongabo victorieux sur 5 000 m, le Burundi tient son premier médaillé qui sera sollicité en 2010 pour parrainer des « Jeux de l’amitié » entre jeunes issus des Grands Lacs d’Afrique. Sa popularité sera ainsi mobilisée tout juste dix ans après l’accord de paix d’Arusha signé sous l’égide de Nelson Mandela pour mettre fin à la guerre civile entre Hutus et Tutsis burundiens qui durait depuis 1993. Quant au Mozambique, il s’en est remis à la troisième place de sa sprinteuse Maria Mutola sur 800 m qui, en six participations aux Jeux olympiques, finira par remporter l’or à Sydney en 2000.

    39Née dans les quartiers pauvres de Maputo, elle est très vite repérée par le célèbre poète de la négritude José Craveirinha qui est aussi un passionné de sport. Après que le gouvernement mozambicain lui a refusé de rejoindre le club de Benfica au Portugal, elle a pu bénéficier d’une bourse du CIO et rejoindre la Springfield High School (Oregon) où elle a profité des conseils avisés de l’entraîneure Margo Jennings. Ambassadrice pour les Nations unies et l’Unicef, Mutola a repris tardivement une carrière de footballeuse professionnelle en Afrique du Sud où elle est devenue l’entraîneuse de Caster Semenya.

    40Avec sa médaille d’or à Atlanta au 20 km marche, puis celle d’argent à Pékin en 2008, Jefferson Pérez offre à l’Équateur ses premiers podiums. Né dans un quartier pauvre de Cuenca, il se lancera dans des études de marketing après sa retraite sportive, ce qui lui permettra de fonder sa propre société spécialisée dans le sport. Prenant appui surtout sur sa fondation d’aide éducative et médicale aux familles pauvres, il échouera en 2019 dans la conquête politique de sa ville qui avait élevé auparavant une statue en son honneur.

    La déflagration du scandale de corruption de Salt Lake City

    41La révélation du scandale de corruption qui a éclaboussé le CIO n’est pas venue de l’organisation lausannoise elle-même qui aurait mené une investigation interne, mais d’une information diffusée le 24 novembre 1998 par la chaîne de télévision KTVX basée dans l’Utah selon laquelle le Comité d’organisation des Jeux d’hiver de Salt Lake City 2002 a payé les études de la fille du Camerounais René Essomba à l’American University à Washington.

    42En quelques jours, la machine médiatique s’est emballée au point que Juan Antonio Samaranch a nommé l’avocat d’affaires canadien Richard Pound à la tête d’une commission d’investigation. À l’issue de la Commission exécutive du 12 décembre 1998, le Suisse Marc Hodler révèle à la presse que la corruption est systémique, que 5 à 7 % des membres du CIO ont reçu ou sollicité des pots-de-vin, et que certains individus se sont fait une spécialité d’acheter des votes en faveur des villes candidates. Au final, une douzaine de membres devront démissionner et une dizaine d’autres seront inquiétés. Le CIO ne peut pas dire qu’il n’était pas informé puisque l’enquête menée aux États-Unis révélera qu’il avait été destinataire en 1991 du rapport du Comité de candidature de Toronto pour les Jeux de 1996 où il est écrit que « 26 membres ont enfreint les règles établies » et qu’« au moins 18 membres ont tiré un bénéfice matériel de ces abus » pour un total estimé entre 700 000 et 800 000 dollars. L’institution lausannoise se défendra en affirmant que le rapport en question ne donnait pas de noms et qu’elle n’était pas dotée de règles dans sa Charte qui concernait ce type de comportement.

    43Durant des semaines, les révélations s’amoncellent et mettent en cause jusqu’à Samaranch lui-même gratifié de deux fusils de valeur qu’il dira plus tard avoir donnés au Musée olympique. Différentes enquêtes diligentées aux États-Unis mettent à jour un système de corruption qui repose sur un fichier comprenant la liste des membres du CIO possiblement corruptibles avec des indications concernant les moyens de les approcher. Cette manière de faire avait déjà été pratiquée au moment de la candidature de Toronto pour l’organisation des Jeux de 1996 comme l’indiquera l’un de ses responsables. De son côté, la presse japonaise révèle que le comité de candidature de Nagano a dépensé de fortes sommes pour accueillir les 62 membres du CIO qui se sont déplacés sur l’archipel pour se faire leur opinion sur le projet, mais la justice nippone ne pourra pas enquêter car toutes les archives du comité de candidature ont été entre-temps détruites. On apprendra par la suite que des entreprises japonaises auraient donné quinze millions de dollars, au-delà du raisonnable donc, au Musée olympique.

    44Du côté de l’Australie qui avait obtenu les Jeux d’été de l’an 2000, l’enquêteur en charge du dossier a avoué que son pouvoir d’investigation ne dépassait pas le comité de candidature tout en indiquant que deux membres norvégien et irlandais avaient bénéficié de voyages et billets d’entrée pour de grandes manifestations sportives. De fait, les justices d’État ne savent pas comment se saisir de ce genre de dossier dans la mesure où les CNO et les comités de candidatures étrangers ne sont pas accessibles et où le CIO est une organisation de droit privé suisse qui se prévaut de n’être justiciable que dans le ressort de la Confédération helvétique. C’est pour cette raison que le président Samaranch ne se rendra devant un tribunal américain qu’à la condition expresse de n’être entendu que comme témoin et de bénéficier d’une sorte de sauf-conduit qui lui permettra de rentrer en Europe sans être inquiété.

    45Alors que la Finlandaise Pirjo Häggmann et le Libyen Bashir Attarabulsi avaient déjà démissionné, le CIO suspend dans un premier temps six membres : Agustin Arroyo de l’Équateur, Zein Gadir du Soudan, Lamine Keita du Mali, Charles Mukora du Kenya, Sergio Santander du Chili et Jean-Claude Ganga du Congo. Ils seront finalement démis de leurs fonctions avec Paul Wallwork des Samoa. Alors que David Sibandze du Swaziland et Charles Mukora ont démissionné de leur propre chef, des investigations sont poursuivies concernant le Sud-Coréen Kim Un-yong, le Russe Vitali Smirnov, l’Ivoirien Louis Guirandou N’Diaye, l’Australien Phillip Coles, le Guatémaltèque Willi Kaltschmitt Lujan, le Mongol Shagdarjav Magvan, le Togolais Anani Matthia et l’Algérien Mohamed Zerguini. Quant au champion hollandais Anton Geesink, il est blanchi mais reçoit tout de même un avertissement.

    46Les enquêtes internes au CIO ont concerné encore quatre membres qui ont finalement été blanchis. On notera qu’aucun membre de la Commission exécutive ne figure parmi les incriminés et que plusieurs des mis en cause font partie des adversaires de la ligne majoritaire au sein du CIO depuis les années 1970. De son côté, la justice américaine a mené l’enquête sur la procédure de candidature d’Atlanta et en a conclu d’abord à 38 cadeaux dont la valeur a excédé la limite de 200 dollars recommandée par le CIO, puis à seulement trois faveurs illégales accordées aux membres de Cuba et de la Libye. Le président Samaranch a, en outre, adressé un courrier à toutes les villes candidates depuis le début des années 1980 pour leur demander si elles avaient été soumises à des tentatives de corruption mais il n’a guère obtenu de réponses.

    47L’heure n’est pas encore venue de faire un point complet sur ce dossier, en tout cas du côté du CIO, puisque le président Jacques Rogge a décidé d’augmenter le délai de consultation des archives de la Commission exécutive de vingt à trente ans, ce qui repousse leur ouverture à 2028-2030.

    Une situation de crise gérée par le sulfureux cabinet de conseil Hill & Knowlton

    48Pour gérer cette situation de crise, le CIO s’est offert les services coûteux de la société de consulting et de relations publiques Hill & Knowlton. Fondée en 1927 à Cleveland dans l’Ohio, cette compagnie s’est spécialisée dans la défense des intérêts des entreprises soumise aux enquêtes des médias et des juridictions d’État. Elle s’est investie par exemple dans les débats américains des années 1940 à nos jours en défense des producteurs de margarine, de fertilisants, ou de tabac. On la retrouve dans les années 1990 dans le soutien qu’elle apporte à l’Église de scientologie ou bien à l’association Citizens for a Free Kuwait, pilotée par le gouvernement koweïtien pour convertir l’opinion publique américaine à l’idée d’une intervention militaire.

    49Outre l’orchestration d’un savant jeu de rôles entre les membres de la commission exécutive du CIO pour organiser la riposte, Hill & Knowlton a poussé à la mise sur pied d’une Commission d’éthique de huit membres, présidée par le juge Kéba Mbaye et d’une Commission CIO 2000 en vue de faire des propositions de réforme. Le choix des cinq membres externes de la Commission d’éthique visait à rassurer les opinions publiques et les médias : l’ancien leader du Sénat américain Howard Baker, l’ancien secrétaire général des Nations unies Javier Perez de Cuellar, l’ancien président du Conseil constitutionnel français Robert Badinter, l’ancien président de la Confédération helvétique Kurt Fürgler, et la championne olympique multimédaillée du Canada Charmaine Crooks. Il en est de même pour l’autre commission avec la présence du diplomate américain Henry Kissinger qui témoignera devant la justice américaine des avancées réformatrices du CIO mais dont la société faisait alors du conseil pour la Chine qui s’intéressait au sport international, de l’ancien secrétaire général des Nations unies Boutros Boutros-Ghali, voire de l’industriel Giovanni Agnelli qui pilotait au même moment la candidature de Turin. Placés sous le contrôle et l’organisation de Hill & Knowlton, les débats se sont déroulés de façon totalement hermétique entre les différents groupes de travail et à huis clos par rapport aux médias.

    50Parmi les cinquante recommandations suggérées par la Commission CIO 2000, et toutes acceptées par l’assemblée générale, figurent les nouveautés suivantes censées réduire l’inertie et accroître la transparence : un maximum de 115 membres dont 70 recrutés par cooptation, la mise en place d’un Comité de sélection des candidatures chargé d’expertiser les profils des possibles membres et d’en rendre compte à la Commission exécutive, 45 sièges répartis à égalité entre les athlètes en activité choisis à la suite d’une élection par leurs camarades, par les FI et par les CNO (mais c’est le CIO qui les désigne), un mandat limité à huit années pour chaque membre avec une possible réélection, un mandat limité à huit années pour le président mais une seule réélection possible pour quatre années, un âge limite fixé à 70 ans pour les nouveaux membres mais conservé à 80 ans pour les anciens, une augmentation du nombre des membres de la Commission exécutive porté à quinze. À l’époque, les médias ont eu tôt fait de souligner combien le turnover serait limité dans un premier temps. Il faudra donc attendre la fin du mandat de Jacques Rogge en 2013 pour que le CIO présente véritablement de nouveaux visages et une vitesse de rotation des titulaires telle que, au final, la stabilité de l’édifice et la conduite des affaires sont passées de l’Assemblée générale à la Commission exécutive, puis au cabinet du président entouré d’une quinzaine de directeurs de services et de consultants externes à l’organisation. L’usage montrera que le Comité de sélection des candidatures n’a pas su mener l’enquête en profondeur sur le pedigree des candidats à la cooptation au sein du CIO ni faire montre de transparence, et que les athlètes sont dépendants des campagnes électorales organisées en leur faveur par leurs propres CNO.

    51D’autres recommandations d’importance ont été adoptées comme l’obligation faite aux CNO de participer aux Jeux, ce que l’on peut considérer comme une clause antiboycott, une meilleure représentation des athlètes à tous les niveaux du mouvement olympique depuis le CIO jusqu’aux fédérations et aux comités nationaux, une amélioration de l’audit financier concernant l’argent distribué par la solidarité olympique mais sans jamais que des enquêtes de traçabilité des sommes en jeu soient conduites et présentées à la presse, la mise sur pied d’une exposition itinérante sur le mouvement olympique et son histoire qui devrait faire l’objet d’une clause dans les contrats passés avec les villes candidates afin d’imposer une doxa historique, le lancement d’un passeport antidopage par l’AMA, une plus grande transparence des flux financiers du CIO grâce à un audit externe qui n’a jamais abouti à une publication complète et détaillée des comptes, et le recrutement d’un porte-parole du CIO installé auprès du président et de la commission exécutive. Dans ce dernier cas, le but était bien de ne pas reproduire l’épisode de la libre prise de parole de Marc Hodler au tout début de la révélation du scandale.

    52Si le chirurgien belge Jacques Rogge a été choisi pour reconstruire le système de valeurs du CIO et regagner la confiance du public, la corruption des membres ne semble pas avoir disparu pour autant comme le prouveront les scandales liés à l’attribution des Jeux de Rio de Janeiro 2016 ou de Tokyo 2020. Il reste que les flux financiers se sont déplacés vers des sociétés de consulting qui emploient tout à fait légalement d’anciens champions et cadres du CIO ou des FI. Ces sommes ne sont pas anodines car on parle de plus de 200 millions de dollars pour le total des dépenses de frais de candidature pour les Jeux d’été 2016 où sept villes avaient déposé un dossier.

    53La réforme adoptée par le CIO qui consiste à filtrer les villes candidates pour en faire des villes requérantes ayant montré ses limites, le CIO adoptera en 2019 une nouvelle stratégie dite de « dialogue ciblé », moins dispendieuse pour les villes intéressées à l’accueil des JO, mais beaucoup plus opaque, qui aboutira dès 2021 à la désignation de Brisbane avec douze années d’avance par rapport à l’événement.

    Bibliographie

    Dobbins Michael, Eplan Leon et Roark Randal, Atlanta’s Olympic Resurgence. How the 1996 Games Revived a Struggling City, Mount Pleasant, Arcadia Publishing, 2021.

    Yarbrough Richard, And They Call Them Games. An Inside View of the 1996 Olympics, Macon, Mercer University Press, 2000.

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