Chapitre XVIII. Montréal 1976
L’apogée olympique du communisme et le retrait des pays africains
p. 223-232
Texte intégral
1Avec le choix de Montréal lors de la session olympique d’Amsterdam en mai 1970, les Jeux olympiques font leur grand retour en Amérique du Nord, quarante-quatre ans après ceux de Los Angeles. Mais, cette fois-ci, ce n’est pas aux États-Unis, mais au Canada. La cité québécoise a beaucoup misé sur ces XXIe Jeux olympiques pour exister à l’échelle du monde et attirer touristes et investisseurs. Au bilan, le déficit budgétaire va se retrouver abyssal. Il est un autre pays qui mise sur les exploits de ses enfants-gymnastes aux Jeux pour se rappeler à la mémoire du monde : la Roumanie de Nicolae Ceaucescu. Rarement une athlète aura crevé l’écran comme la jeune gymnaste roumaine Nadia Comaneci et sa note parfaite de dix aura donné une image souriante au régime dictatorial du conducatore.
2La grande affaire géopolitique des Jeux de Montréal est le retrait des compétitions de 22 comités olympiques africains, qui inaugure d’ailleurs une période de boycotts massifs avec ceux de Moscou en 1980 par le camp américain, puis de Los Angeles en 1984 par l’URSS et ses alliés. C’est le résultat de la montée des défis et des tensions sportifs depuis Helsinki en 1952 qui font de l’arène olympique un prolongement de la compétition entre Est et Ouest, mais aussi de leur mise en spectacle télévisuel puisqu’il en va des imaginaires des peuples du monde que les propagandes cherchent à pénétrer et à modeler.
3Parce qu’ils rappellent par trop l’impuissance du CIO devant les États et déconstruisent l’idée même de paix par le sport, ces boycotts seront occultés dans les scénographies successives proposées par le Musée olympique de Lausanne à compter de son ouverture en 1993. Ceux de Moscou et de Los Angeles sont très présents en revanche dans les médias et la presse internationale sans que l’on en comprenne toujours les tenants et aboutissants, mais pas ceux de Montréal. C’est la preuve que le roman olympique est encore largement européo-centré et culturellement dominateur.
L’alliance de Montréal et de Los Angeles contre Moscou
4Le vote du CIO en 1970 signale un changement d’ère car il n’y a plus cette fois que trois villes candidates quand il y en avait entre cinq et huit précédemment. Le CIO aurait-il épuisé son stock de cités potentiellement olympiques ? Les révoltes des jeunesses du monde en 1968 auraient-elles diminué l’intérêt des pouvoirs publics pour l’organisation des grands événements sportifs internationaux ? Toujours est-il que Montréal, avec ses 25 voix, ne s’est pas imposée aussi aisément puisqu’elle est devancée au premier tour de scrutin par Moscou qui en totalise 28. Il lui a donc fallu le report complet des 17 voix de Los Angeles pour l’emporter au second tour. On y lira la preuve de la fracture du CIO en deux camps irréductibles.
5Avec 28 votes, les Soviétiques sont assurément parvenus à rassembler les suffrages d’un certain nombre de nations sportives du Tiers-monde. Le président américain du CIO Avery Brundage avait bien identifié ce danger communiste lorsque, avec son vice-président le comte français Jean de Beaumont, qui n’était pas sans arrière-pensées coloniales, il avait décidé en 1961 la création d’un Comité d’aide aux pays nouvellement indépendants d’Afrique et d’Asie qui prendra en 1971 le nom de Comité pour la solidarité olympique. Cette aide financière dévolue aux pays en difficulté pour soutenir leurs meilleurs athlètes ne relève pas seulement d’une forme de philanthropie olympique, elle a aussi pour objectif moins avoué de faire refluer l’influence de l’URSS et des pays de l’Est qui avaient commencé à financer les infrastructures sportives de ces pays pauvres et la formation de leurs athlètes et entraîneurs.
Un endettement pour trente ans et les premiers profits des sponsors
6Au début de l’année 1973, le président du comité d’organisation Roger Rousseau avait affirmé que les jeux s’autofinanceraient, et le maire de Montréal Jean Drapeau avait déclaré à la presse qu’il convenait de réfléchir dès à présent à l’usage qui pourrait être fait des bénéfices. En octobre 1974, ce dernier assurait même que les Jeux de Montréal « ne pouvaient pas plus engendrer un déficit qu’un homme donner naissance à un bébé ». N’ayant pas reçu le soutien du premier ministre libéral du Canada Pierre Trudeau du fait de ses engagements nationalistes et droitiers, les contribuables québécois seront les seuls à payer la dette contractée pour financer le stade, le vélodrome et le village olympiques. La dernière créance sera soldée en juin 2006.
7Au fil des mois, le coût des investissements n’a cessé de grimper au point de susciter l’opposition de la population et jusqu’à la défiance du membre canadien du CIO James Worrall. L’ambitieux projet de l’architecte français Roger Taillibert, le concepteur du Parc des Princes à Paris, a vu son coût passer de 300 millions, comme annoncé par le maire à ses administrés, à 1,6 milliard de dollars. La facture s’est allongée du fait des innovations techniques qui ont engendré des retards de chantiers, de l’inflation, de l’augmentation de la masse salariale pour livrer à temps les infrastructures même si on a eu recours à des ouvriers mexicains sous-payés, de la mauvaise gestion financière et des intérêts d’emprunts. Livrés seulement en 1987, le toit du stade s’est avéré défectueux et la tour n’a été construite qu’à la moitié de la hauteur prévue.
8Les banques, les entreprises de construction et les agences publicitaires impliquées dans l’événement ont, en revanche, emmagasiné d’importants profits. Et, avec deux décennies d’avance sur Atlanta, les organisateurs ont déjà mobilisé des sponsors à des niveaux élevés de financement, comme Coca-Cola, Adidas, Cadbury Schweppes, Tetley’s et Molson Breweries. Les déboires financiers de Montréal, liés à la double crise pétrolière de 1973 et 1979 expliquent le reflux des villes candidates qui a suivi. Même si le comité d’organisation des Jeux de Los Angeles est bénéficiaire en 1984, le CIO veillera dès lors à choisir des mégapoles prêtes à en payer le prix comme Séoul, Barcelone, Atlanta ou Sydney, et il exigera de chacun des États la signature d’un document contractuel où il s’engage à assumer le paiement des éventuelles dettes.
Un défilé folklorique qui efface les peuples premiers et promeut la trêve
9Si le défilé des athlètes est encore cadencé, des coups de canon tirés et la sécurité fortement renforcée, les images produites par l’Organisme de radio-télévision des Jeux olympiques (ORTO) se veulent gaies et détendues. L’ORTO fournit 1 600 techniciens, des caméras miniaturisées, 24 salles de montage et 700 postes de commentateurs répartis sur les sites de compétition, pour une télédiffusion sur trois continents. En mettant l’accent sur le folklore des colonisateurs français du Québec, les organisateurs ont toutefois hésité à s’inscrire dans la dynamique nationaliste anti-Ottawa en forte émergence depuis les années 1960, mais ils ont effacé la place et le rôle des peuples autochtones qu’ils soient Inuits ou des « Premières Nations », tout comme les migrants afro-américains, caribéens, juifs, irlandais, chinois ou italiens. Ce type d’amnésie, caractéristique de l’instrumentalisation de l’histoire par la droite nationaliste, se retrouvera en 2024 dans le projet de « musée national de l’histoire du Québec » porté par le Premier ministre de la province François Legaut.
10Le défilé occupe encore plus des deux-tiers de la cérémonie pour une durée totale de 90 minutes dont 10 minutes seulement de programme libre, et la flamme en est encore le point d’orgue. Les deux porteurs sont deux jeunes Québécois anglophone et francophone de 15 ans, Sandra Henderson et Stéphane Préfontaine, représentant l’union des deux communautés linguistiques et coloniales qui se sont emparées des terres à l’ouest de Terre-Neuve à compter du xvie siècle. Le Parti libéral du Québec de Robert Bourrassa est alors favorable à l’autonomie, tout comme le maire Jean Drapeau du Parti civique, mais les deux dirigeants rejettent l’idée même d’indépendance prônée par le dissident René Lévesque et par le Front de libération du Québec qui, lui, vante l’action directe voire violente. Les références folkloriques qui sont convoquées au moment de la remise du drapeau olympique ne vont pas plus loin que marquer le particularisme culturel et linguistique du Québec. Les chansons sur lesquelles dansent les Montréalais vêtus de costumes traditionnels de la vallée du Saint-Laurent sont ainsi de très vieilles chansons françaises comme Auprès de ma blonde ou Marianne s’en va-t-au-moulin.
11La durée du ballet gymnique augmente peu, de trois à sept minutes par rapport à Munich, mais son placement juste avant les serments olympiques en dit la nouvelle importance et la volonté de s’adresser à un monde pacifié par la danse et le sport. Aux 1 200 jeunes filles et garçons venus de toutes les régions du Québec sont associés des gymnastes d’autres nations dans une forme d’équilibre entre Est et Ouest, et entre Nord et Sud (RFA, Espagne, Autriche, Bulgarie, Roumanie, Tchécoslovaquie, URSS, Danemark, Suède, Japon, Brésil et Nouvelle-Zélande). Au moment où la vasque est allumée, l’orchestre et les chœurs entonnent la Cantate Olympique écrite spécialement par le Montréalais Louis Champigny qui vaut cérémonie religieuse. Elle puise son inspiration, comme à Munich, dans la tradition qui s’invente alors d’une trêve olympique : « Chantons la Flamme d’Olympie allumée aux rayons du soleil. La joie, l’amour, la gloire seront ta récompense en cette lutte ardente, au rendez-vous de l’amitié. Tout l’univers respire au rythme de ton cœur. »
Le boycott des nations africaines contre la neutralité alléguée par le CIO
12Le 16 juillet, veille de la cérémonie d’ouverture, les chefs de 22 délégations africaines décident de boycotter les Jeux en application de la résolution adoptée le 3 juillet, par le Conseil des ministres de l’OUA, et parvenue à Montréal le 14, à propos du déplacement des All Blacks en Afrique du Sud. Dans le contexte du massacre des écoliers et des étudiants noirs de Soweto le 16 juin précédent, les leaders des États africains condamnent, en effet, l’établissement de relations sportives entre la Nouvelle-Zélande et « les fascistes sud-africains », demandent au CIO d’interdire la participation aux Jeux de la Nouvelle-Zélande qui « cautionne de telles atrocités », invitent en cas de refus les États membres de l’OUA à boycotter l’événement canadien, et appellent la communauté internationale à montrer sa solidarité. Avec le secrétaire général du CSSA Jean-Claude Ganga, le membre du CIO pour le Maroc Hadj Mohamed Benjelloun tente en vain de persuader con collègue néo-zélandais Sir Cecil Lance Cross de demander à son gouvernement d’interrompre la tournée de l’équipe nationale de rugby. Aux conditions que les chefs des délégations africaines lui ont transmises le 15 juillet, le président Killanin oppose une fin de non-recevoir en rappelant que le rugby n’est pas un sport olympique, que le CIO a retiré sa reconnaissance à l’Afrique du Sud en 1972 (mais le vote fut extrêmement serré), et que le CNO de Nouvelle-Zélande et son équipe n’ont aucunement enfreint les règles et les principes olympiques.
13La première délégation à quitter Montréal est celle du Nigeria, suivie de la République populaire du Congo, de l’Éthiopie, du Ghana, du Kenya, du Tchad et de la Zambie. Il y aura encore l’Algérie, le Cameroun, le Centrafrique, l’Égypte, le Gabon, la Gambie, la Libye, Madagascar, le Malawi, le Mali, le Maroc, le Niger, le Soudan et la Tunisie. Si la Côte d’Ivoire et le Sénégal maintiennent leur participation, c’est assurément parce que ce sont les deux seuls pays subsahariens à être représentés au CIO par Louis Guirandou N’Diaye et par Keba M’Baye cooptés respectivement en 1969 et en 1973. En tant que vice-président du CIO et membre de l’organisation depuis 1965, le Tunisien Mohamed Mzali était lui aussi opposé au boycott et il précisera à la fin des Jeux que plusieurs pays, dont le sien, se sont pliés à la décision des autres délégations africaines par solidarité, mais à contrecœur, et que la position du 15 juillet a été adoptée à l’unanimité. Force est de constater que les trois membres africains du CIO qui sont opposés au boycott ont conservé des liens très forts avec les anciennes métropoles Londres et Paris. Apportant leur soutien aux Jeux du Commonwealth ou bien aux Jeux de l’Amitié, ils sont portés à s’opposer aux Jeux africains lancés à Brazzaville en 1965 par Jean-Claude Ganga.
14Mzali exprime aussi la ligne de défense de ses collègues et du président Killanin qui consiste à dénoncer l’action des délégués africains comme politique puisque soumise aux décisions des dirigeants de l’OUA, et à affirmer que celle du CIO est neutre. Or, depuis les indépendances en Afrique, l’organisation lausannoise freine davantage l’exclusion de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie qu’elle ne facilite la reconnaissance des nouvelles nations africaines. Dans le même ordre d’idées, l’Afrique en général, et l’Afrique subsaharienne en particulier, sont très fortement sous-représentées au sein du CIO. Sur les soixante membres présents à Montréal qui refusent à l’unanimité l’ultimatum du 15 juillet, on trouve vingt-quatre Européens de l’Ouest, huit Européens de l’Est, deux États-Uniens, neuf Latino-Américains, un Néo-Zélandais et un Australien, neuf Asiatiques, et seulement six Africains.
15Et parmi ces derniers, ne figurent que deux membres subsahariens : l’ambassadeur ivoirien Guirandou N’Diaye et Adetokunbo Ademola qui est le président de la Cour suprême du Nigéria. En effet, Benjelloun est un sénateur marocain, Mzali un ministre tunisien, Reginald Honey un avocat à la Cour suprême d’Afrique du Sud dont la démission a été refusée en 1970 par un vote unanime, et Reginald Alexander l’ancien maire de Nairobi et le patron de la Kenya Oil Company. Il est à noter que Honey et Alexander sont tous deux impliqués dans les Jeux du Commonwealth et qu’ils représentent, quoique d’origine européenne, des pays à population noire très fortement majoritaire, de 1946 à ses 95 ans en 1982 pour le premier même si son pays a été suspendu du mouvement olympique, et de 1960 à son décès en 1990 à 76 ans pour le second.
16De façon générale, on ne peut pas dire que le CIO soit une organisation politiquement neutre parce que la grande majorité de ses membres sont des dirigeants politiques occupant des positions élevées comme ministres, parlementaires, maires de capitales. Et si on considère leurs cultures politiques, on recense parmi eux très peu de démocrates progressistes et aucun socialisant, mais une très grande majorité de membres conservateurs ou proches des régimes autoritaires comme l’illustre le cas de tous les présidents depuis Coubertin. De fait, la neutralité du CIO n’est qu’apparence et fonctionne à sens unique.
L’ouverture de l’aviron, du basket-ball et du handball aux sportives
17Si le quatre de couple est la seule innovation en aviron depuis 1948, la véritable nouveauté réside dans l’apparition d’épreuves féminines en skiff, double sculls (deux de couple), deux sans barreuse, quatre de couple, quatre barré, huit. Autre signe des temps, le CIO du président Brundage a décidé à la fin de l’année 1968 d’ouvrir également le basket-ball et le handball aux sportives sous la pression des deux FI concernées. En basket-ball, l’idée est d’organiser un tournoi à seize équipes mais Brundage demande que leur nombre soit réduit à huit avec toujours le même raisonnement qui consiste à éviter une inflation excessive du nombre d’athlètes aux JO. Quant au tournoi féminin de handball, il aurait pu avoir lieu à Munich quatre ans plus tôt mais la FIH avait préféré y renoncer en 1969 plutôt que d’accepter une réduction du tournoi masculin de seize à huit équipes.
18On comprend bien ici, en filigrane, que le malthusianisme de Brundage est un moyen pour lui d’exercer son contrôle sur les FI et aussi de freiner le processus d’ouverture des sports et des disciplines aux sportives. Les concessions, déjà faites en natation pour Mexico 1968, puis en athlétisme pour Munich 1972, reflètent à contre-temps la croissance de la pratique féminine dans tous ces sports qui est parallèle au deuxième féminisme des années 1960 et 1970. Elles se poursuivront sous les présidences de l’Irlandais Michael Morris Lord Killanin (1972-1980) et de l’Espagnol Juan Antonio Samaranch (1980-2001), non sans préjugés toutefois. Il faudra attendre les présidences du Belge Jacques Rogge (2001-2013) et surtout de l’Allemand Thomas Bach (2013-2025) pour que le CIO engage une politique volontariste d’égalité des genres. Mais on ne saurait imputer la responsabilité de cette lente féminisation des sports au seul CIO car les FI y ont aussi grandement leur part.
19Enfin, alors que c’est le pays d’origine du canoë, les organisateurs de Montréal refusent d’organiser les épreuves de slalom, pourtant introduites à Munich, du fait du coût des installations. En revanche, trois nouveautés sont à relever en canoë-kayak avec le 500 m K2, et le 500 m C1 et C2. En voile, deux épreuves sont également nouvelles : le 470 (avec une catégorie féminine seulement en 1988) et le tornado.
Sept pays communistes aux dix premières places
20Déjà marquée à Munich quatre ans plus tôt, la domination des démocraties populaires sur les pays capitalistes est cette fois-ci écrasante avec sept pays socialistes parmi les dix premières nations médaillées. Les États-Unis, la RFA et le Japon s’intercalent entre l’URSS et la RDA qui surclassent la compétition olympique, d’une part, et la Pologne, la Bulgarie, Cuba, la Roumanie et la Hongrie, d’autre part.
21Avec quarante-neuf médailles d’or sur un total de cent vint-cinq, l’URSS confirme sa capacité à remporter des titres dans un grand nombre de sports : douze en lutte, sept en haltérophilie et en gymnastique, six en canoë, quatre en athlétisme, trois en escrime, deux en judo et en handball, et une en aviron, basket-ball féminin, cyclisme, natation, plongeon et tir. L’inversion des deuxième et troisième places entre la RDA et les États-Unis a marqué les esprits et la presse internationale. L’Allemagne communiste a en effet multiplié par deux son nombre de médailles d’or par rapport à Munich (quarante) et les victoires des sportives est-allemandes en natation (onze sur onze possibles), en athlétisme (neuf sur onze), et en aviron (quatre sur neuf) interrogent tout particulièrement. A contrario, les États-Unis ont perdu neuf premières places en quatre ans avec trente-quatre or, et ne doivent désormais plus leurs titres qu’à leurs champions plutôt qu’à leurs championnes, en natation (treize sur treize or), en athlétisme (cinq sur six or) et en boxe (six sur six or).
22Que les sportives de RDA supplantent ainsi leurs concurrentes américaines en athlétisme et en natation ne trouve son explication que dans la politique de dopage entreprise par l’État est-allemand comme cela sera révélé après la chute du mur de Berlin en 1989. À Montréal, toutefois, les 1 800 échantillons d’urine testés n’ont livré que onze cas positifs, dont huit pour des stéroïdes qui concernaient des haltérophiles à l’exception d’une lanceuse de disque polonaise. Le fait est que les produits dopants utilisés par les athlètes de RDA sont passés sous les radars de ces nouvelles techniques de détection. Huit haltérophiles en revanche ont été démasqués : deux Américains et un Suédois côté Ouest, et deux Bulgares, un Polonais, un Roumain et un Tchécoslovaque côté Est.
23Des spécialisations sportives se font également jour dans les autres démocraties populaires, d’une certaine manière sur le modèle du Conseil d’assistance économique mutuelle imposé en 1949 par l’URSS à ses partenaires économiques, mais plus sûrement en prenant appui sur des traditions d’exercice corporel qui remontent au moins à l’entre-deux-guerres : athlétisme et volley-ball en Pologne, lutte et aviron en Bulgarie, gymnastique féminine et lutte en Roumanie, water-polo et escrime en Hongrie, et on pourrait ajouter boxe et athlétisme à Cuba.
24Les champions marquants des Jeux sont le gymnaste russe Nikolai Andrianov (deux or) et son compatriote escrimeur Viktor Krovopuskov (deux or), les nageurs américains John Naber (quatre or) et James Montgomery (trois or) et aussi Edwin Moses même s’il ne remporte qu’un seul titre sur 400 m haies, le Cubain Alberto Juantorena sur 400 et 800 m. On relèvera le cas du fleurettiste allemand Thomas Bach médaillé d’or par équipes car il deviendra en 2013 le 9e président du CIO. Encore une fois, la France est reléguée à une lointaine 15e place malgré les victoires de Guy Drut sur 110 m haies et de l’équipe de saut d’obstacles en équitation, auxquelles s’ajoutent trois médailles d’argent et quatre de bronze.
Nadia Comaneci ou le prix de la perfection
25À Montréal, au concours de gymnastique par équipes, les Soviétiques Nelli Kim, Olga Korbut, Ludmilla Touritcheva et Maria Filatova dament le pion aux Roumaines et aux Est-Allemandes. Mais, aux épreuves individuelles, on ne retient que les victoires de Nadia Comaneci âgée de 14 ans et qui pèse 39 kg pour 1,50 m. À sept reprises, c’est un déroutant « 1.00 » qui s’affiche aux barres asymétriques, à la poutre, et aux diverses épreuves du concours général car le panneau électronique Swiss Timing n’est pas paramétré pour la note de dix.
26Ces notes parfaites ne sont pas une nouveauté pour Comaneci qui avait obtenu dix-neuf fois la note maximale dans les mois précédents. Elles sont devenues possibles depuis l’adoption en 1975 d’un nouveau système de comptage des points. Le lobbying de l’URSS auprès de la FIG avait été très intense pour faire reconnaître les figures acrobatiques pratiquées de longue date dans les cirques de Moscou et de Saint-Pétersbourg.
27La gymnaste roumaine fait chavirer les cœurs des 16 000 spectateurs enthousiastes, et de millions de téléspectateurs à l’Ouest comme à l’Est. En un instant, elle est devenue un phénomène médiatique. « She is perfect » pour le Time, « A star is born » selon Newsweek, « She stole the show » d’après Sports Illustrated. La presse mondiale véhicule alors des stéréotypes de genre alors même qu’elle ne commente jamais la plastique des abdominaux, des fessiers et des parties génitales des gymnastes hommes. Proche de la droite nationale, le romancier Antoine Blondin magnifie ainsi « la sylphide » et la « Lolita olympique », au « petit maillot immaculé qui détourne de tous leurs devoirs des dizaines de millions de téléspectateurs ». La philatélie mondiale porte alors témoignage de sa popularité et dessine une géopolitique de la très faible influence roumaine qui inclut seulement Madagascar où elle cohabite avec le gymnaste soviétique Andrianov, la Corée du Nord qui met également à l’honneur Guy Drut et l’équipe de football de RDA, la Mongolie dite extérieure et le Paraguay.
28À son retour à Bucarest, Comaneci reçoit un accueil triomphal. Ses sourires sont une arme politique pour la télévision roumaine qui en fait le visage radieux de la Roumanie à l’intérieur du pays, comme à l’extérieur. Comme une écolière, elle lit de manière mécanique un bref message de remerciements au « camarade Nicolae Ceaucescu, le fils le plus aimé de Roumanie, le père aimant de la jeunesse de notre pays ». Tout à leur culte de la personnalité, « le génie des Carpates » et son épouse Elena seront vite embarrassés par ce prodige qui défie leur popularité, et par ses deux entraîneurs d’origine hongroise Béla et Marta Karolyi qui cultivent leur indépendance. Comaneci conservera son titre à Moscou à la poutre et aux exercices au sol puis elle prendra part à des exhibitions jusqu’aux États-Unis, mais sous une étroite surveillance après la défection à l’Ouest des époux Karolyi en 1981.
29Toute la lumière n’a pas encore été faite sur le rôle que ses parents et son couple d’entraîneurs ont joué dans le forçage gymnique qui l’a conduite à la perfection, sur son « idylle forcée » avec le fils du dictateur, sur son rôle officiel dans les manifestations de propagande du régime, sur les conditions de son passage à l’Ouest et de son arrivée en novembre 1989 à l’ambassade des États-Unis à Vienne. Sa personnalité, en effet, fait débat en Roumanie même où elle est présentée tantôt comme une icône de la dictature, tantôt comme une victime qui a fui l’oppression.
30Installée dans l’Oklahoma en 1991, naturalisée américaine dix ans plus tard sans abandonner la nationalité roumaine, elle y développera une académie privée de gymnastique avec son époux, le gymnaste Bart Conner. Tous deux lancent une franchise commerciale d’équipements de gymnastique, éditent la revue de référence International Gymnast Magazine, tandis que Comaneci devient consultante pour de nombreuses télévisions. Première athlète à s’exprimer à la tribune des Nations unies en 1999, elle s’impliquera dans de nombreuses œuvres de charité en soutien aux enfants, jusqu’à se fourvoyer en 2008 dans l’émission The Celebrity Apprentice animée par Donald Trump qui l’écartera très vite.
Boxeurs des Bermudes et de Thaïlande
31Le nombre de pays sans médailles s’est nettement abaissé de 60 % à Munich à 55 % à Montréal (51 délégations sur 92). Cela s’explique mécaniquement par le fait que les 28 nations africaines qui ont boycotté l’événement sont aussi celles qui accèdent encore rarement aux podiums. De fait, le nombre de pays nouvellement médaillés est extrêmement faible.
32Tant les Bermudes que la Thaïlande doivent à leurs boxeurs de gagner leurs premières médailles, de bronze en l’occurrence. Clarence Hill comme Payao Poontarat passeront professionnels quand leurs pays respectifs décideront de boycotter les Jeux de Moscou 1980. Issu de la communauté afro-caribéenne pauvre, Hill n’a pas obtenu la bourse qu’il réclamait au gouvernement de ce paradis fiscal largement tenu par la minorité blanche. Ayant remporté peu de combats, il a fini par sombrer dans la drogue et la criminalité et sa longue incarcération lui a valu de ne pas être intronisé, dans un premier temps, dans le temple de la renommée sportive de son pays. Également né dans une famille pauvre qu’il a soutenue durant toute son enfance en vendant des fleurs, Poontarat a eu la chance, lui, de connaître quelques succès professionnels. Après sa retraite sportive, il sera recruté comme officier dans la police thaïlandaise et embrassera une carrière de député régional dans les rangs du Parti démocrate de tendance royaliste et conservatrice-libérale. Sa trajectoire est représentative de ses compatriotes combattants de Muay-thaï, un art martial qui mobilise les poings, les coudes, les genoux et les tibias, qui se convertissent avec une certaine réussite à la boxe anglaise.
Apartheid dans le sport : le CIO sous la pression de l’ONU
33Craignant pour l’avenir des Jeux olympiques, et se méfiant de l’usage politique que l’URSS pourrait faire du boycott des nations africaines, le président Killanin convoque la commission exécutive du CIO à Barcelone en octobre 1976. Auparavant, il a adressé des courriers aux 21 FI pour avoir leur position concernant la situation des deux Chine, de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie, ainsi qu’aux 22 CNO africains pour connaître les raisons de leur non-participation. Quoique quasiment toutes présidées par des Européens, sauf celles de basketball par l’Égyptien Abdel Moneim Wahby, de football par le Brésilien Havelange et de lutte par le Turc Milan Ercegan, les FI n’envisagent pas de recourir à des sanctions.
34Quant aux CNO concernés, ils maintiennent leur point de vue tel le colonel Mohamed Zerguini qui précise que « la décision du gouvernement algérien se fonde sur les principes mêmes de l’olympisme, dont une règle fondamentale condamne avec vigueur, toute discrimination raciale dans le sport » et qu’il « ne suffit plus de ne pas reconnaître la Rhodésie et l’Afrique du Sud pour considérer que l’objectif du mouvement olympique est atteint ; ce comportement passif n’est pas conforme au caractère dynamique du mouvement olympique ». Le président du comité olympique guinéen Toumany Sangare souligne, de son côté, « l’arrogance du CIO rejetant avec mépris la juste revendication des pays africains » et fait savoir qu’il va demander au CSSA la suspension de la Côte d’Ivoire et du Sénégal des compétitions sportives interafricaines, une décision qui sera prise lors d’une réunion extraordinaire en janvier 1977.
35Lors de la réunion de la CE à Barcelone, le CIO constate que « certaines délégations de CNO furent obligées de se retirer des Jeux à la suite de pressions exercées par des autorités extra-sportives », comprendre des pressions politiques, mais il ne prend aucune sanction au motif que ces organisations et leurs athlètes ne sont que les victimes de leurs gouvernements. Présupposant que les CNO et les athlètes africains ne soutiennent pas la décision du boycott, le CIO envisage alors de nouveaux échanges tripartites dans le but d’énoncer une doctrine définitive lors de la session de Prague de juin 1977.
36Il n’en aura pas le temps puisque, le 15 juin, les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth rendent publics les accords de Gleneagles par lesquels ils s’engagent à « prendre toute mesure pratique pour décourager les contacts ou les compétitions entre leurs ressortissants et des organisations sportives, des équipes ou des sportifs d’Afrique du Sud, ou de tous autres pays dans lesquels les sports sont mis en relations avec la race, la couleur ou l’origine ethnique ». Cette décision va d’autant plus s’imposer au CIO que l’Assemblée générale des Nations unies adopte au mois de décembre suivant la Déclaration internationale contre l’apartheid dans les sports.
37Le président Killanin et ses collègues en prendront acte, d’une certaine manière, en cooptant trois nouveaux membres : le Libyen Bashir Mohamed Attarabulsi et le Malien Lamine Keita en 1977, puis le Camerounais René Essomba en 1978. On notera que ces trois derniers, ainsi que le colonel Zerguini, Louis Guirandou N’Diaye, ainsi que Jean-Claude Ganga coopté en 1985 par Samaranch, figureront sur la liste rendue publique des membres du CIO impliqués dans le scandale de corruption de Salt Lake City en 1999.

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