• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15415 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15415 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Lettre d’information
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Presses universitaires de Rennes
  • ›
  • Histoire
  • ›
  • Les Jeux olympiques de 1892 à 2024
  • ›
  • Troisième partie. Mondialisations (1948-...
  • ›
  • Chapitre XII. Helsinki 1952
  • Presses universitaires de Rennes
  • Presses universitaires de Rennes
    Presses universitaires de Rennes
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Un stade fonctionnaliste comme écrin de la neutralité finlandaise La responsabilité des médias dans l’escalade olympique de la guerre froide L’arrivée d’Israël et le retour de l’Allemagne et du Japon Accélération de la mondialisation olympique et décolonisation La limitation de la participation des femmes en gymnastique Force soviétique et vitesse américaine La traversée de la guerre par les escrimeurs hongrois Emil Zatopek en locomotive tchèque de la fraternité socialiste L’avance des sportives soviétiques Le suprémaciste blanc Avery Brundage et sa croisade pour l’amateurisme Le CIO face à l’entrisme de l’URSS Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Chapitre XII. Helsinki 1952

    L’espoir d’une neutralisation de la guerre froide

    p. 151-162

    Texte intégral Un stade fonctionnaliste comme écrin de la neutralité finlandaise La responsabilité des médias dans l’escalade olympique de la guerre froide L’arrivée d’Israël et le retour de l’Allemagne et du Japon Accélération de la mondialisation olympique et décolonisation La limitation de la participation des femmes en gymnastique Force soviétique et vitesse américaine La traversée de la guerre par les escrimeurs hongrois Emil Zatopek en locomotive tchèque de la fraternité socialiste L’avance des sportives soviétiques Le suprémaciste blanc Avery Brundage et sa croisade pour l’amateurisme Le CIO face à l’entrisme de l’URSS Bibliographie

    Texte intégral

    1Les XVe Jeux à Helsinki en 1952 mettent fin à quatre décennies sans athlètes russes dans l’arène olympique. Prétextant l’absence d’un CNO actif dans la Russie de Lénine, le CIO n’avait pas adressé d’invitation aux dirigeants bolchéviques pour les Jeux organisés à Anvers en 1920. Ensuite, c’est l’URSS qui a décidé de se séparer du mouvement sportif « bourgeois » pour créer en 1921 sa propre Internationale communiste du sport et organiser ses premiers rassemblements athlétiques, dénommés Spartakiade, à Moscou en 1928. Après un ballon d’essai dans les années 1930, les dirigeants soviétiques songent de nouveau à faire intrusion dans le sport occidental à la fin de l’année 1944.

    2Alors que l’armée rouge occupe une partie importante de l’Europe centrale et orientale, et que le communisme est à l’offensive à l’échelle mondiale, ils inscrivent donc leurs athlètes à quelques premières compétitions européennes. Mais, leurs résultats, somme toute moyens, n’encouragent pas le chef d’État soviétique à décider d’une participation aux Jeux de Londres en 1948. Dans ses mémoires parus en 1987, Nikolai Romanov, le responsable politique du Comité soviétique de culture physique et de sport, expliquera qu’il devait « adresser une note spéciale à Staline garantissant la victoire afin d’obtenir la permission pour ses athlètes de participer à des compétitions internationales. »

    3L’ouverture à l’Est avait aussi été imaginée par Coubertin au milieu des années 1930, probablement pour éviter le développement du communisme sportif international, mais cette option n’est sérieusement retravaillée que par Edström à compter de 1944. Comme pour les athlètes féminines en 1928, sa stratégie vise donc à intégrer l’URSS pour mieux la contrôler. Aussi, dans un premier temps, exige-t-il l’adhésion préalable des fédérations sportives russes aux FI et la mise en conformité avec la réglementation amateur des Jeux olympiques. Une fois ce filtre passé, et peut-être en échange de la libération de Karl Ritter von Halt, l’ancien ministre des Sports d’Hitler, le CIO reconnaît le comité olympique de l’URSS et coopte Constantin Andrianov lors de sa session de Vienne en 1951. Viendra ensuite le tour d’Alexjev Romanov lors de sa réunion à Oslo en 1952.

    Un stade fonctionnaliste comme écrin de la neutralité finlandaise

    4Alors que, dix semaines plus tôt, le président américain Harry Truman a présenté au Congrès sa doctrine d’endiguement de l’influence soviétique, le CIO désigne Helsinki le 21 juin 1947 pour accueillir les Jeux de 1952. Par le traité finno-soviétique du 10 février 1947, la Finlande vient justement d’échapper à l’occupation de l’armée rouge. Mais, les membres du CIO sont loin d’être d’accord sur ce choix d’une capitale qui avait déjà été désignée pour accueillir les Jeux de 1940.

    5Tandis que le vice-président Brundage ne pouvait faire autrement que d’accorder sa voix à Chicago, les quatorze voix en faveur d’Helsinki lors du premier tour de scrutin signalent l’existence d’un groupe de treize fidèles autour du président Edström. Les voix restantes, probablement celles des membres emmenés par Lord Burgley, se sont éparpillées entre Los Angeles, Minneapolis, Amsterdam et Detroit alors même que Philadelphie, Athènes, Lausanne et Stockholm n’ont recueilli aucun suffrage. Davantage que le choix d’un pays neutre, dont le statut ne sera d’ailleurs garanti par l’URSS qu’en 1948, il s’est plutôt agi de rejeter l’éventuelle tutelle d’une démocratie occidentale. Mais, dès lors que la guerre froide s’installe, Helsinki apparaîtra comme un choix de prudence diplomatique de la part du CIO.

    6Edström et ses soutiens savent aussi pouvoir compter sur la fidélité du membre finlandais du CIO Erick von Frenckell, qui deviendra d’ailleurs maire d’Helsinki en 1954. Membre de plusieurs conseils d’administration de compagnies de transports urbains, il est aussi engagé dans la vie politique comme député du Parti populaire suédois, une organisation suédophone située à son origine à l’extrême droite de l’échiquier politique et qui a glissé vers le centre droit dans les années 1920. C’est lui qui est à l’origine de l’idée d’un grand stade dans les années 1920. Les prouesses des athlètes finlandais et les perspectives d’enrichissement pour les investisseurs ont en effet conduit les élus de la capitale et de l’État finlandais, ainsi que les organisations sportives nationales, à édifier en 1927 une enceinte de 50 000 places qui puisse accueillir à terme les Jeux olympiques.

    7Son concepteur Yrjö Lindegren remportera en 1937 le Grand Prix d’architecture de l’Exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne, et en 1948 la médaille d’or en architecture urbaine des Jeux de Londres. Aux lignes de béton inspirées du Bauhaus et d’un fonctionnalisme opposé à toute ornementation (form follows function), ce stade est agrémenté d’une tour haute de 70 m pour y loger la flamme olympique. Achevé en 1938, il n’a pas pu servir d’écrin pour les Jeux de 1940 qui ont été annulés en raison de la guerre. D’une capacité portée à 70 000 places en 1952 grâce à des tribunes temporaires, il reste à ce jour le stade national pour les compétitions de football et d’athlétisme, ayant même accueilli les championnats du monde de ce dernier sport en 1983 et en 2005. Le nationalisme finlandais, justement, s’est exprimé lors de l’entrée dans le stade du champion Paavo Nurmi avec la flamme olympique en main, en guise de revanche symbolique sur le CIO qui l’avait banni des Jeux vingt ans plus tôt pour cause de professionnalisme.

    La responsabilité des médias dans l’escalade olympique de la guerre froide

    8Pour la première fois, donc, les athlètes de l’URSS participent à ces compétitions que leurs dirigeants dénonçaient jusqu’alors comme bourgeoises et nationalistes. Alors que les médias américains ont été les premiers à la fin du xixe siècle à établir une corrélation entre triomphe sportif et supériorité d’un modèle social, économique, politique, et culturel, Soviet News qui est publié à Londres en vient à proclamer en 1946 que « chaque nouvelle victoire est une victoire de la société soviétique et du système de sport socialiste ». Selon le magazine Sovietsky Sport de juillet 1949, le Comité central du parti communiste de l’URSS a donné l’ordre aux athlètes soviétiques de « s’assurer la suprématie incontestable en ce qui concerne la détention des records mondiaux ». En face, Arthur Daley proclame dans le New York Times en juin 1952 : « L’équipe des États-Unis aimerait battre toutes les nations. Mais la seule qui compte, c’est la Russie soviétique. La machine de propagande communiste doit être réduite au silence afin qu’il ne puisse y avoir à ce sujet aucun avis contraire. Les Rouges en matière de sport en sont au stade du “je m’installe ou je me tais”. Faisons-les taire. »

    9Dans quel but le maître du Kremlin a-t-il décidé en 1951 de procéder à l’intégration de l’URSS dans la sphère olympique ? S’agit-il de contribuer au libéral-pacifisme par le sport promu par le CIO ? Et les athlètes de l’Est, sont-ils capables de prouesses de niveau mondial alors qu’ils sont privés de contact sportif avec l’Ouest depuis plusieurs décennies ? Les organes de presse américains et européens vont scruter les résultats et les attitudes des sportifs de l’Est au point que les dirigeants du sport et les journalistes des pays communistes sont obligés de leur répondre. Cette circularité quotidienne de l’information sportive à l’échelle mondiale va accroître l’impression d’emballement géopolitique, bien au-delà des attitudes des athlètes eux-mêmes davantage portés à fraterniser.

    10Comme les athlètes de l’URSS et de six pays frères sont cantonnés dans le camp retranché d’Otaniemi, à l’écart du village olympique, pour éviter les passages à l’Ouest comme lors des championnats européens depuis 1946, les journaux occidentaux en profitent pour dénoncer la politisation du sport international, pourtant réputé neutre, par les « Rouges ». Les dirigeants de l’URSS et leurs alliés n’ont eu alors d’autre choix que d’ouvrir les portes aux visiteurs. Et dans le stade, athlètes et spectateurs sont surpris par les sportifs et sportives de l’Est qui multiplient les manifestations de fraternité et de naturel radieux, tel Emil Zatopek embrassant sa femme devant les photographes du monde entier. On ne sait si cette « offensive du sourire » sur le stade olympique, qui anticipe celle de Khrouchtchev en janvier 1956, a été orchestrée en amont par le Kremlin pour faire la conquête des cœurs et des esprits alors même que la défaite sportive était annoncée. On pourra y voir également une réaction spontanée de la part d’athlètes et de dirigeants imprégnés de l’idéal socialiste de fraternité et de l’internationalisme des jeunesses du monde. Toujours est-il que la presse anticommuniste est désarçonnée et peine à démontrer la duplicité des athlètes de l’Est. À ce jeu de dupes médiatique, les régimes communistes semblent donc avoir triomphé en donnant l’image de représentants souriants et compétitifs.

    11À l’heure du bilan, chaque camp adoptera son propre système de comptage des performances et proclamera qu’il l’a emporté sur l’autre. Contre le classement officieux produit par les journalistes qui repose avant tout sur les premières places, les Américains ne veulent retenir que le total des médailles alors que les Soviétiques considèrent que les six premières places – comme le nombre de couloirs à l’époque en athlétisme – rendent davantage compte de la puissance sportive des nations.

    L’arrivée d’Israël et le retour de l’Allemagne et du Japon

    12Le retour olympique du Japon et de l’Allemagne, toujours occupés par les Alliés et qui feront leur entrée à l’ONU respectivement en 1956 et 1973, relève pour partie seulement d’une logique de guerre froide qui vise à enraciner ces deux pays dans le camp américain. Elle s’explique aussi par les liens que le président du CIO Sigfrid Edström et son successeur Avery Brundage maintiennent étroitement avec les dirigeants sportifs de ces deux pays qui n’ont pas été véritablement inquiétés en sortie de guerre.

    13Le CIO a même tenté de constituer une équipe unique pour les deux Allemagne, non pas pour envoyer au monde un message de paix, mais pour empêcher la RDA d’exister sur le plan olympique. D’ailleurs, pour éviter que le président finlandais Juho Paasikivi ne fasse inviter à Helsinki les athlètes est-allemands ou nord-coréens dans le cadre de sa politique de neutralisme favorable à l’URSS, la nouvelle Charte olympique adoptée lors de la Session de Rome en 1949 stipule que les CNO reconnus seront désormais invités non plus « en premier lieu » mais « exclusivement ».

    14Seule la RFA est finalement représentée à Helsinki par suite d’une fin de non-recevoir opposée par la RDA qui n’accepte pas que le CIO ne reconnaisse pas son comité olympique. L’Allemagne de l’Ouest est en outre amputée de la Sarre, constituée en protectorat français de 1947 à 1956, dont le comité olympique a été reconnu par le CIO en 1950. Son existence olympique n’a duré que le temps des Jeux d’Helsinki avec tout de même 36 sportifs et six sportives engagés dans neuf sports différents.

    15Le déclenchement de la guerre israélo-arabe après la proclamation de la naissance de l’État d’Israël le 14 mai 1948 par David Ben Gourion avait rendu impossible la participation de la nation juive aux Jeux de Londres. C’est chose faite à Helsinki. Après avoir rétabli ses Maccabiades en 1950, Israël participera dès lors à tous les Jeux olympiques, sauf ceux de Moscou en 1980, tandis que la nation palestinienne n’apparaîtra qu’à Atlanta en 1996.

    Accélération de la mondialisation olympique et décolonisation

    16Avec 69 nations participantes soit 10 de plus qu’à Londres, les Jeux d’Helsinki réunissent une large partie du monde à l’exception de la péninsule Arabique et de l’Afrique qui n’est représentée que par 5 États.

    17Les nouveaux venus font leur première apparition du fait de la poursuite des processus de décolonisation des empires et d’émancipation des peuples. Les Antilles néerlandaises sont constituées en mai 1948 à partir du Territoire de Curaçao, mais leur autonomie ne sera reconnue qu’en 1954 par les Pays-Bas dont elles ne se sépareront définitivement qu’en 2010. Ayant proclamé son indépendance en août 1945 deux jours après la reddition du Japon, l’Indonésie a fondé son CNO dès janvier 1947, mais elle n’a pu participer aux Jeux de Londres à cause du conflit militaire larvé avec son ancienne métropole. Le Vietnam est la première des anciennes colonies françaises à participer aux Jeux olympiques. Constitué en 1949 en État associé de l’Union française, il ne sera véritablement indépendant qu’après les accords de Genève de juillet 1954.

    18En participant aux Jeux d’Helsinki, les Bahamas se donnent une existence olympique bien après la résignation du duc de Windsor comme gouverneur en mars 1945, mais bien avant la reconnaissance de son indépendance par le Royaume-Uni en 1973. La disparition progressive de l’Empire britannique permet l’apparition olympique de la Gold Coast de Kwame Nkrumah, qui ne deviendra indépendante qu’en 1957 sous le nom de Ghana, et du Nigeria où les réformes constitutionnelles concédées au compte-gouttes par Londres n’aboutiront à l’indépendance qu’en 1960. Le cas de Hong Kong, qui est une colonie de la couronne depuis 1843, est particulièrement représentatif de cette capacité du Royaume-Uni à concéder à ses colonies une existence sportive bien longtemps avant l’accès à l’indépendance, avec la rétrocession dans ce cas à la Chine en 1997.

    19Concernant ce dernier pays, le CIO a proposé au comité d’organisation finlandais d’inviter à la fois la République populaire de Chine, dirigée depuis 1949 par le communiste Mao, et la Chine de Taïwan où se sont réfugiés ses adversaires nationalistes. Prévenue la veille de la cérémonie d’ouverture, la Chine communiste a envoyé une délégation, certes avec retard, mais qui a planté son propre drapeau dans le village des athlètes. Finalement, elle déclarera forfait pour protester contre l’autorisation donnée à la Chine de Taïwan de participer. La grande nouveauté des Jeux est bien sûr la participation de l’URSS qui a décidé de lancer un défi physique aux États-Unis, et d’influencer le sport international en s’immisçant à l’intérieur du CIO et des FI.

    20Que le royaume de Siam, toujours resté indépendant malgré les pressions coloniales européennes, ne participe aux Jeux olympiques qu’en 1952 ne s’explique pas seulement par la faible diffusion des cultures sportives dans le pays. Il faut y voir également la succession des révolutions de palais qui déstabilisent la société. D’une certaine manière, la consécration olympique de la Thaïlande, qui est le nom du pays depuis 1939, anticipe sa normalisation américaine dans le champ des relations internationales sous la forme d’une adhésion à l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est en 1954.

    La limitation de la participation des femmes en gymnastique

    21Les Jeux d’Helsinki n’apportent que très peu de changements au programme olympique sauf en gymnastique féminine avec l’instauration du concours général individuel (celui par équipes datait de 1928). Mais c’est une avancée en trompe-l’œil car ne sont retenues que la poutre, les barres asymétriques, les exercices au sol et le saut de cheval. Réputées pour leurs exigences en matière de force pure, les épreuves aux anneaux, à la barre fixe, aux barres parallèles et au cheval d’arçons sont encore fermées aux femmes. La domination masculine se marquera en outre, et, pour des décennies, dans l’évaluation des performances des gymnastes féminines qui donne la prime à la prétendue grâce, qui n’est rien d’autre que le produit du regard masculin, sur la qualité technique d’exécution. Le CIO accède en outre à la demande de la Fédération équestre internationale (FEI) que les femmes puissent participer à l’épreuve de dressage par équipes et qu’il revient à chaque pays de décider d’inscrire uniquement des femmes ou uniquement des hommes ou bien chacun des deux sexes dans l’équipe. Il en ressort n’y eut que des hommes dans les compétitions individuelles en saut d’obstacles ou en concours complet, deux disciplines jugées alors trop dangereuses pour les femmes.

    22Des membres de la CE du CIO, celui qui est le plus opposé à la participation des femmes aux JO est indubitablement le milliardaire américain Avery Brundage. Devenu président en 1952, il freinera systématiquement toutes les évolutions en ce sens. Lors de la CE tenue à Mexico City en 1953, comme il proposera d’exclure les femmes des Jeux olympiques, la décision qui est prise est de les laisser participer seulement dans « les sports convenables ». La CE de Lausanne en 1954 rejettera la demande de la FI d’athlétisme d’introduire le 800 m femmes en athlétisme, et celles d’Évian en 1957 et de Munich en 1959 réclameront, mais en vain, que le dressage ne figure plus au programme des JO, ce qui est une manière d’éliminer des compétitrices. En équitation, toutefois, les débats portent davantage sur l’origine sociale des cavaliers. Le comité olympique suédois avait protesté contre la décision de la FEI de n’accepter comme participants que des officiers et réclamé que les sergents soient autorisés à participer. La FEI avait accédé à cette requête mais elle en avait appelé au CIO pour que cela n’ouvre pas la porte au professionnalisme. La décision de la CE réunie à Helsinki en 1952 avait été de ne pas accepter les sous-officiers.

    23On notera la création d’une nouvelle épreuve de tir, la carabine en trois positions, et l’introduction de deux sports de démonstration, le pesäpallo et le handball. Sport populaire en Finlande depuis sa professionnalisation dans les années 1930, le pesäpallo est un sport de batte comparable au baseball où la balle est lancée verticalement. Introduit aux JO de Berlin en 1936 sous sa forme germanique à onze joueurs et en plein air, le handball a disparu du programme londonien à la suite de la dissolution de sa FI pour collusion avec le IIIe Reich. La version proposée à Helsinki est celle jouée à sept, et en intérieur, que promeut la nouvelle FI de handball constituée en juillet 1946 sans l’Allemagne.

    Force soviétique et vitesse américaine

    24En comparaison des Jeux de Londres, le retour de l’Allemagne et du Japon, ainsi que l’arrivée de l’URSS et de onze autres nouvelles délégations, font passer le nombre total de participants d’environ 4 000 athlètes à 5 000 dont 519 sportives. Pour son retour dans l’arène olympique, l’Allemagne de l’Ouest est rétrogradée à la 28e place pour n’avoir gagné aucun titre malgré ses 24 médailles. C’est le résultat de la partition du pays en deux et, plus particulièrement, de la perte de la Haute école de sport de Leipzig, qui a été récupérée par la RDA et qui n’a pas encore été remplacée par celle de Cologne.

    25En revanche, pour sa première participation, et, à la surprise générale, l’Union soviétique obtient presque le même nombre de médailles que les États-Unis (71 contre 76), mais deux fois moins de titres (22 or contre 40). À l’issue de la première semaine, l’URSS arrive même en tête au nombre des médailles grâce à ses victoires en gymnastique et dans les épreuves de force, qui sont au cœur de l’éducation physique prolétarienne depuis les années 1920 (fizkultura) et du culte de la force masculine et féminine développé dans les usines et les exploitations agricole collectives, grâce aussi à ses sportives. Avant même Helsinki, la presse occidentale a posé la question de la réalité de l’amateurisme des athlètes de l’URSS, à vrai dire pensionnés par les organismes d’État comme l’armée (CSKA), la police et les services de renseignements (Dinamo), les syndicats (Spartak), les chemins de fer (Lokomotiv). Les responsables soviétiques répliqueront alors en affirmant que les États-Unis sont représentés par de faux étudiants financés par leurs universités et que leurs institutions sportives discriminent les sportifs de la communauté noire.

    26Se détachent ici les figures des gymnastes Victor Tchoukarine et de Hrant Shahinyan, respectivement honorés de quatre et deux titres olympiques. Tchoukarine, qui glanera encore trois médailles d’or à Melbourne, est devenu maître des sports à seulement 18 ans sous la férule du grand champion turkmène Ajat Ibadulaev qui est le premier entraîneur au monde à imposer à ses élèves deux séances d’exercices par jour. Après trois années passées à retrouver santé et forme à la suite de son très long emprisonnement dans les camps allemands dont Buchenwald, Tchoukarine a fini par encaisser cette charge de travail. Quant à l’Arménien Shahinyan, il est lui aussi une victime de la guerre, et à ce point blessé à la jambe en 1943 qu’il a mis trois années à reprendre la gymnastique. Quand il mettra fin à sa carrière sportive à l’âge de 35 ans, il deviendra directeur de l’école nationale de gymnastique d’Arménie, puis directeur du Comité des sports de cette même république soviétique, enfin entraîneur de l’équipe syrienne de 1975 à 1980.

    27Mais, l’équipe américaine renverse ensuite la tendance grâce à ses champions de natation et d’athlétisme. Avec 17 médailles remportées en athlétisme et aucun titre, l’URSS se situe très loin des 31 médailles américaines dont 15 en or. L’écart est plus flagrant encore en matière de natation et de plongeon dans la mesure où les Américains remportent 18 breloques, et les Soviétiques aucune. Outre son plongeur d’origine coréenne Sammy Lee, la natation américaine peux toujours compter sur ses nageurs de Hawaï comme Yoshinobu Oyakawa, un spécialiste du dos crawlé qui a été enrôlé dans l’US Air Force pour payer ses études, ou bien Ford Konno. Tous deux ont été acceptés à l’université de l’Ohio sur la base de leurs performances au collège et ils exerceront, par la suite, le double métier de professeur d’éducation physique et d’entraîneur de natation.

    La traversée de la guerre par les escrimeurs hongrois

    28Très loin derrière les deux Grands du sport arrivent la Hongrie (42 médailles dont 16 or) forte de ses escrimeurs et de ses nageuses, la Suède (35 médailles dont 12 or) qui peut compter sur ses cavaliers issus de l’élite militaire et sur ses lutteurs venus du peuple.

    29La Hongrie peut s’enorgueillir de posséder trois escrimeurs hors classe qui ont cumulé les titres aux Jeux olympiques et aux championnats du monde sur plus de deux décennies : l’entraîneur Aladar Gerevich à sept reprises aux Jeux entre 1932 et 1960, l’ingénieur et officier supérieur Pal Kovacs six fois entre 1936 et 1960, et le musicologue Rudolf Karpaty six fois également mais entre 1948 et 1960. Comme souvent, en escrime, ces champions appartiennent à des lignées de maître d’armes d’exception. Les uns se rattachent à la tradition de l’armée magyare représentée par l’escrimeur en chef de la monarchie hongroise Laszlo Borsody, et les autres à l’excellence italienne incarnée par le maître ligurien Italo Santelli invité en 1896 par le gouvernement hongrois à s’établir à Budapest.

    30Plus loin dans le tableau des médailles, figurent l’Italie toujours fameuse pour ses escrimeurs, ses boxeurs et ses cyclistes, la Tchécoslovaquie qui émerge surtout grâce à Emil Zátopek et à son épouse Dana, puis la France qui se signale avec Christian d’Oriola au fleuret et Jean Boiteux sur 400 m nage libre. Ce dernier est le seul nageur français à avoir obtenu un titre olympique sur cette distance en un peu plus d’un siècle et la photo de son père, sautant dans la piscine, tout habillé avec son béret, pour le féliciter, fera le tour du monde. Né dans une famille de nageurs de haut niveau, il s’exerce régulièrement, depuis son enfance, dans le bassin de rétention d’eau de la ferme porcine de ses parents avant de rejoindre les Dauphins du Toulouse olympique employés club (TOEC), alors le meilleur club du pays, et leur entraîneur Alban Mainville. Boiteux y bénéficie d’un environnement extrêmement stimulant avec les trois champions d’envergure mondiale que sont Alfred Nakache, Georges Vallerey et Alex Jany. Longtemps entraîneur de la section natation des Girondins de Bordeaux, il deviendra conseiller technique régional de sa discipline sportive en région Aquitaine et échouera dans sa conquête de la présidence de la Fédération française de natation en 1995.

    Emil Zatopek en locomotive tchèque de la fraternité socialiste

    31Mais, la grande révélation de ces Jeux reste assurément Emil Zatopek avec son triomphe, encore à ce jour inégalé, dans les trois épreuves du 5 000 m, du 10 000 m et du marathon. Son style de course obstiné et grimaçant, la tête penchée, masque l’intensité et la modernité de ses entraînements constitués de courses intenses alternées avec des temps de récupération d’une durée de trente secondes à une minute (interval training) qu’il emprunte aux coureurs de fond finlandais et allemands, notamment à Paavo Nurmi sur lequel il s’est documenté. Son itinéraire de vie est révélateur des soubresauts de l’histoire tchécoslovaque depuis 1945, et des utilisations politiques des champions par les régimes communistes sans que l’on puisse déterminer chez ces athlètes ce qui relève de l’adhésion sincère aux idéaux révolutionnaires ou de la soumission à la terreur domestique, des compromis nécessaires pour survivre ou bien des compromissions assumées.

    32Obligé de travailler à l’âge de 15 ans comme apprenti aux usines de chaussures Bata à Zlin en Moravie, il remporte en 1943 sa première victoire sur 1 500 m qui est « récompensée par une tranche de pain frais beurrée et une pomme » comme il le racontera plus tard. Ses performances lui valent d’être intégré en 1945 dans l’armée, de se consacrer pleinement à ses entraînements, et d’être promu après chaque victoire internationale et chaque record du monde jusqu’au grade de colonel en 1956. Cinquième au championnat d’Europe d’Oslo en 1946, il est médaillé d’or aux Jeux de Londres sur 10 000 m cinq mois après « le coup de Prague » qui voit les communistes arriver au pouvoir. Au bénéfice de séjours à l’étranger pour ses compétitions, d’un appartement à Prague et d’un chalet en montagne, le capitaine Zatopek vit aussi sous la menace de la répression.

    33Toujours est-il que ses victoires à Helsinki l’obligent et qu’il multiplie les conférences et les exhibitions dans son pays comme à l’étranger. Devant les représentants de l’Association sportive des travailleurs finlandais, il déclare en 1952 que « la présence des Soviétiques à Helsinki a beaucoup contribué à promouvoir un esprit pacifique ». Avec Jean Cocteau, Jean-Paul Sartre ou Louis Aragon, il fait partie des orateurs du congrès des peuples pour la paix présidée par le savant français Frédéric Joliot-Curie, et dénonce la guerre menée en Corée par les États-Unis. Il se rend bientôt à Prague, à Bucarest pour vanter la contribution des jeunesses communistes à la paix mondiale. En 1954, alors qu’il vient d’adhérer au parti communiste, il se voit un temps refuser son visa pour participer au cross du journal communiste L’Humanité et sa victoire se déroule finalement sous les yeux d’Alain Mimoun qui est interdit de participer par la Fédération française d’athlétisme. Dans son pays, il devient un exemple pour la jeunesse, du moins communiste, au point que « prendre un engagement Zatopek » devient une expression consacrée pour qui veut améliorer ses performances à l’école, au travail et en sport.

    L’avance des sportives soviétiques

    34Plus d’un demi-millier de sportives rivalisent pour obtenir les 81 médailles mises en jeu (neuf en athlétisme, sept en gymnastique, cinq en natation, deux en plongeon, une en canoë-kayak et escrime, sans oublier la voile et même l’équitation où l’épreuve de dressage individuel et par équipes est désormais ouverte aux civils et aux femmes. La vingtaine de médailles supplémentaires qui sont attribuées en 1952 aux championnes olympiques fait le jeu des sportives du camp communiste, particulièrement en gymnastique, et cela explique pour une large partie que l’URSS (30 % de médailles féminines) talonne les États-Unis (10 % de médailles féminines) au classement officieux des nations sportives alors que les femmes ont concouru dans 25 épreuves contre 124 pour les hommes. Les sportives de l’Est contribueront dès lors de manière décisive à la suprématie du camp communiste, comme à Montréal où elles apportent 30 % encore des médailles à l’URSS et 50 % à la RDA. Cette avance sportive s’explique par une double tradition de gymnastique éducative et hygiéniste qui remonte au xixe siècle, par l’ouverture aux femmes dès 1869 de l’Institut supérieur d’éducation physique dit Lesgaft à Saint-Pétersbourg, par l’égalité théorique entre hommes et femmes proclamée par les Bolchéviques, par le développement de la fizkultura pour toutes et tous dans l’entre-deux-guerres, par le rôle important affecté au sport dans les organisations de jeunesse (Komsomols), et par la multiplication des compétitions internes au monde communiste. Elle sert le discours idéologique de l’URSS sur une plus grande égalité de genre à l’Est qu’à l’Ouest.

    35Emmenées par Maria Gorokhovskaya (2 or et 5 argent) et Nina Bocharova (2 or et 2 argent), les Soviétiques remportent 11 médailles en gymnastique sur un total possible de 21. Et si on y ajoute les 8 médailles de la Hongrie et le bronze des Tchécoslovaques au concours général par équipes femmes, on atteint 20 récompenses pour le camp communiste. Cette domination écrasante sera confirmée à Melbourne (21 médailles sur 23), Rome (18/18), Tokyo (16/18), Mexico, Munich, Montréal et Moscou (18/18), et dans une certaine mesure à Los Angeles malgré le boycott des pays communistes (8 médailles pour la Roumanie et 2 pour la Chine contre 8 pour les États-Unis), et encore à Séoul (18/19). Même à Barcelone en 1992, on pourrait considérer que le camp communiste domine encore avec 8 médailles pour la Communauté des États indépendants (dont 7 sont aujourd’hui attribuées à l’Ukraine), 5 pour la Roumanie et 2 pour la Chine. Diplômée en éducation physique, Maria Gorokhovskaya est ensuite devenue entraîneuse de jeunes athlètes en Crimée, avant d’émigrer en 1990 en Israël où elle a poursuivi son activité aux côtés de la championne hongroise Agnes Keleti. Quant à Nina Bocharova, elle a suivi la même carrière de maître de sport, d’enseignante et d’entraîneuse d’abord à Moscou puis à Kiev.

    36En natation, ce sont les Hongroises qui écrasent la compétition avec quatre médailles d’or sur cinq, deux médailles d’argent et une médaille de bronze, ne laissant que deux médailles aux Américaines et une médaille aux Néerlandaises. En revanche, en plongeon, les États-Unis remportent cinq médailles sur six grâce notamment à la Californienne Patricia McCormick qui conservera ses deux médailles d’or à Melbourne quatre ans plus tard et dont la fille Kelly sera également médaillée olympique au tremplin à 3 m. Remarquée enfant pour les plongeons périlleux qu’elle accomplissait depuis le pont de Long Beach, elle fera ensuite des tournées d’exhibition et posera comme modèle pour la marque de maillot de bain Catalina.

    37On retrouve cette domination communiste aux épreuves de lancers (poids, disque et javelot) avec déjà des places d’honneur à la longueur et à la hauteur pour la Soviétique Aleksandra Chudyna. Au javelot, Dana Zatopkova attire tous les regards et tous les médias en s’affichant tout sourire, aux bras de son mari, le champion Emil Zatopek. Le couple médaillé d’or présente alors à la presse internationale deux visages radieux du communisme. Dans les épreuves de courses et de saut, les Américaines ne remportent que le 4 × 100 m et s’effacent devant les Australiennes, les Néo-Zélandaises et les Sud-Africaines. Médaillée d’or sur 100 m et 200 m, fille d’un ouvrier armurier, dactylographe de formation, mariée à un coureur cycliste professionnel, Marjorie Jackson embrassera par la suite une carrière dans l’administration du sport avant d’être appointée en 2001 par la reine Elisabeth II comme gouverneure de l’État de South Australia.

    Le suprémaciste blanc Avery Brundage et sa croisade pour l’amateurisme

    38Avec le soutien d’Edström, Avery Brundage (1887-1975) est élu 5e président du CIO lors de la session d’Helsinki, en juillet 1952, par 30 voix contre 17 à Lord Burghley marquis d’Exeter, le président britannique de la fédération internationale d’athlétisme. Il est le seul non-Européen élu président du CIO en 130 ans d’histoire olympique. Alors que l’institution lausannoise s’est ouverte à l’Est communiste, son élection ne consacre pas seulement l’adversaire du boycott des Jeux de Berlin et le défenseur de l’amateurisme intégral, elle est une manière pour la grande majorité des membres du CIO de se placer sous la protection indirecte des États-Unis.

    39Entouré de membres fidèles qu’il a soigneusement choisis, avec même l’aide de la Central Intelligence Agency (CIA) dans le cas des recrutements en Amérique latine, il sera réélu en 1960 par acclamation à la suite d’une motion déposée en sa faveur par Burghley, et de nouveau en 1964 et en 1968, à l’unanimité cette fois aux dépens de ses adversaires, qui se sont finalement effacés, à savoir encore une fois Burghley, puis le comte français Jean de Beaumont. C’est dire si Brundage tient d’une main de fer son comité qu’il va compléter avec la cooptation de plusieurs dirigeants d’Amérique latine où s’exerce le mieux son influence sportive, professionnelle et politique.

    40Durant ses deux décennies de présidence, il va se comporter en champion de l’amateurisme et en défenseur de la pureté de l’olympisme contre l’argent des sponsors ou de la télévision, ce qui pourra sembler paradoxal pour un homme d’affaires américain qui est devenu milliardaire. Sa lutte contre le professionnalisme, qui s’accompagne de menaces d’exclusion de certains sports du programme olympique, est en fait un moyen de soumettre les FI qui seraient tentées de faire sécession et de créer ou faire prospérer leurs propres championnats du monde. La neutralité du sport lui va également bien dans la mesure où elle lui permet de maintenir autant que possible les pays de l’apartheid au sein du mouvement olympique, et d’exiger l’exclusion des athlètes afro-américains Tommie Smith et John Carlos qui ont levé leurs points noirs sur le podium de Mexico en 1968. De la même manière, après l’attentat à Munich du commando « Septembre noir » contre la délégation israélienne, il déclarera « The Games must go on » tout en plaçant sur le même plan ce drame et l’exclusion des JO de la Rhodésie blanche qui lui a été imposée in extremis par les membres africains. Sur le plan diplomatique, s’il travaille à enraciner le CIO dans le camp occidental par anticommunisme viscéral, il finit par comprendre que la guerre froide sportive lui permet de jouer le rôle d’arbitre entre l’Ouest et l’Est, et donc d’accroître son indépendance et celle de son organisation.

    41Son ascension extrêmement rapide au sein du CIO ne peut manquer d’interroger. Il est coopté comme membre en juillet 1936 durant les Jeux de Berlin, après avoir obtenu que le boycott américain n’aboutisse pas : il y prend la place de son compatriote Ernest Lee Jahnke qui a été démissionné pour en avoir été un farouche partisan. Son passé d’athlète olympique, sa mainmise sur le sport américain amateur, ses engagements politiques, ainsi que sa réussite professionnelle ont largement servi son recrutement par le président Henri de Baillet-Latour et Sigfrid Edström. Durant la guerre, il assurera la continuité du CIO auprès de Sigfrid Edström avant même le décès du président Baillet Latour en 1942, et il deviendra son vice-président dès 1945.

    42Né dans une famille de la petite classe moyenne des Grands Lacs appauvrie après le divorce de ses parents, Brundage a tout de même pu compter sur le soutien financier et politique de son oncle paternel qui est un élu républicain de la Chambre des représentants de l’Illinois et le futur Attorney General en 1917. Durant sa formation d’ingénieur civil, il élève son niveau en athlétisme au point de représenter les États-Unis en pentathlon et décathlon aux Jeux de Stockholm en 1912, et de remporter à trois reprises durant la guerre le championnat national dans l’épreuve exigeante du « all round man ». S’il n’a pas remporté de médaille, il est en tout cas le premier président du CIO à avoir participé aux Jeux olympiques. Son adhésion à deux clubs de sport parmi les plus mondains, la Chicago Athletic Association et le Chicago Yacht Club, ainsi que le parrainage de son oncle lui permettent de se lancer dans l’économie du bâtiment et de gagner son premier million de dollars au moment même où le gangster Al Capone règne sur la ville. Ayant compris très tôt l’intérêt qu’il y a à investir l’administration des sports pour ses affaires, il en gravit rapidement tous les échelons jusqu’à conquérir en 1928 la présidence nationale de l’Amateur Athletic Union et de l’American Olympic Association. Un temps affecté par la crise de 1929, Brundage se relance en rachetant des affaires en faillite et des fonds en déshérence pour lesquels il bénéficie d’informations privilégiées, et il se porte acquéreur du magnifique building La Salle à Chicago qui devient le symbole de sa prospérité.

    43En parallèle, il semble avoir eu des ambitions politiques du côté de la ville de Chicago et du gouvernorat de l’État d’Illinois. Dans ces années 1930, il donne des leçons de libéralisme puritain aux investisseurs et aux marchands qui ont voulu gagner de l’argent facile au détriment des petits porteurs d’actions et des acheteurs, et dénonce en même temps avec virulence les velléités d’intervention publique et étatique du parti démocrate. Son idéal dans la vie sociale, économique et politique est le sportsman en tant qu’homme d’action animé par l’idéal désintéressé de l’amateurisme plutôt que par le culte du luxe ostentatoire. Antisémite et anticommuniste notoire, il soutient en 1936 l’organisation nazie German-American Bund, puis en 1939 le mouvement isolationniste America First de Charles Lindbergh, avant de s’engager l’année suivante auprès du candidat républicain Wilkie Wendell contre le président Roosevelt. L’espace politique, et peut-être économique, se refermant pour lui du côté de Chicago, il déplace alors l’essentiel de sa fortune en 1946 en Californie comme bon nombre de magnats des Grands Lacs, et décide de s’investir pleinement dans les affaires olympiques. Il léguera en 1972 ses 7 700 œuvres au musée d’art asiatique de San Francisco qui, à cause de ses prises de position racistes et antisémites, retirera en 2020 la statue érigée en son honneur dans le hall.

    Le CIO face à l’entrisme de l’URSS

    44La contribution fraternelle des sportifs socialistes aux Jeux d’Helsinki illustre l’ambiguïté de la politique soviétique en 1951-1952 qui mise sur l’efficacité du Mouvement pour la paix en même temps qu’elle se prépare à une guerre en Europe. À compter de ces premiers Jeux de la guerre froide, les autorités sportives et la presse occidentales vont émettre régulièrement des doutes sur la régularité des performances des athlètes de l’Est. En janvier 1953, le porte-parole de l’American Amateur Union dénonce les « subventions » et « les méthodes prolétariennes », autrement dit le fait que « des millions d’athlètes s’entraînent chaque jour tout en travaillant pour le gouvernement ».

    45Pour faire taire les critiques, les dirigeants soviétiques concoctent pour Avery Brundage un « voyage circulaire en URSS » à l’été 1954 : une parade « féerique » de 34 000 gymnastes « robustes et solides » représentant les peuples de toutes les Russies, suivie de la découverte « des installations sportives de grands centres, villages et fermes collectives, ainsi que de grandes usines ». Le président américain du CIO est sous le charme, sans être nécessairement dupe. Il remet d’ailleurs au directeur américain du Département de l’éducation physique des copies d’articles publiés par la presse relatant « diverses violations des Règles olympiques en URSS ».

    46À Nicolaï Romanov, il fait état d’une plainte qui lui est parvenue concernant « la participation d’athlètes à une manifestation politique qui eut lieu immédiatement après les Jeux olympiques d’Helsinki », en l’occurrence le congrès de la Paix de Vienne en décembre 1952 au cours duquel des sportifs soviétiques ainsi que le coureur tchécoslovaque Zatopek ont fait l’apologie de la paix olympique et dénoncé « les bombes et les microbes » qui frappent la Corée. Ce à quoi le dirigeant du sport soviétique a répondu avec aplomb : « Nous ne désirons ni ne possédons aucun athlète professionnel en URSS. Nous ne possédons aucun camp d’entraînement spécialisé à l’usage des athlètes en URSS… Nous n’approuvons pas l’idée d’introduire le sport dans la politique internationale. »

    47En février 1956, ce sera au tour du duc d’Edimbourg d’analyser le déclin sportif anglais et de relever « les grandes facilités » dont jouissent les athlètes russes et les footballeurs hongrois. Brundage prend alors la défense de l’URSS en relevant « l’amertume pure et simple de certains milieux surtout aux États-Unis » confrontés aux victoires sportives russes. Et de constater que « les pays communistes ont adopté les vues du CIO avec enthousiasme », à savoir « développer des programmes nationaux d’éducation physique et des compétitions sportives dans le but de former une jeunesse forte et saine ». Emporté par son élan puritain et patriote, il en oublie même la neutralité qui sied à sa fonction : « Ce n’est pas la supériorité d’une autre nation que nous devons craindre, mais bien notre suffisance nationale et notre amour de la vie aisée provenant d’une excessive prospérité. Si le succès russe aux Jeux olympiques nous incite, ainsi que le reste du monde, à vaincre nos propres faiblesses et à corriger nos défauts il aura vraiment servi à des fins utiles. »

    48Confronté à l’armement sportif des deux camps, Brundage finit par se convaincre que cette rivalité peut servir d’aiguillon contre l’amollissement des sociétés occidentales et lui donner l’occasion de donner la leçon à ses compatriotes alors présidés par Dwight Eisenhower. Surtout, pris au piège de la guerre froide sportive, le CIO peut désormais endosser le rôle d’arbitre des deux Grands et jouer de sa neutralité pour accroître sa propre autonomie vis-à-vis des contrôles étatiques.

    Bibliographie

    Blutstein Harry, Cold War Olympics. A New Battlefront in Psychological Warfare, 1948-1956, Jefferson, McFarland, 2021.

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

    Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Paysans des Alpes

    Paysans des Alpes

    Les communautés montagnardes au Moyen Âge

    Nicolas Carrier et Fabrice Mouthon

    2010

    Pérégrin d’Opole

    Pérégrin d’Opole

    Un prédicateur dominicain à l'apogée de la chrétienté médiévale

    Hervé Martin

    2008

    Prêtres de Bretagne au xixe siècle

    Prêtres de Bretagne au xixe siècle

    Samuel Gicquel

    2008

    Un constructeur de la France du xxe siècle

    Un constructeur de la France du xxe siècle

    La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)

    Pierre Jambard

    2008

    Ouvriers bretons

    Ouvriers bretons

    Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968

    Vincent Porhel

    2008

    L'intrusion balnéaire

    L'intrusion balnéaire

    Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)

    Johan Vincent

    2008

    L'individu dans la famille à Rome au ive siècle

    L'individu dans la famille à Rome au ive siècle

    D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan

    Dominique Lhuillier-Martinetti

    2008

    L'éveil politique de la Savoie

    L'éveil politique de la Savoie

    Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)

    Sylvain Milbach

    2008

    L'évangélisation des Indiens du Mexique

    L'évangélisation des Indiens du Mexique

    Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)

    Éric Roulet

    2008

    L'étranger en Bretagne au Moyen Âge

    L'étranger en Bretagne au Moyen Âge

    Présence, attitudes, perceptions

    Laurence Moal

    2008

    Les saints bretons entre légendes et histoire

    Les saints bretons entre légendes et histoire

    Le glaive à deux tranchants

    Bernard Merdrignac

    2008

    Les miroirs du silence

    Les miroirs du silence

    L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934

    Patrick Bourgalais

    2008

    Voir plus de livres
    1 / 12
    Paysans des Alpes

    Paysans des Alpes

    Les communautés montagnardes au Moyen Âge

    Nicolas Carrier et Fabrice Mouthon

    2010

    Pérégrin d’Opole

    Pérégrin d’Opole

    Un prédicateur dominicain à l'apogée de la chrétienté médiévale

    Hervé Martin

    2008

    Prêtres de Bretagne au xixe siècle

    Prêtres de Bretagne au xixe siècle

    Samuel Gicquel

    2008

    Un constructeur de la France du xxe siècle

    Un constructeur de la France du xxe siècle

    La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)

    Pierre Jambard

    2008

    Ouvriers bretons

    Ouvriers bretons

    Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968

    Vincent Porhel

    2008

    L'intrusion balnéaire

    L'intrusion balnéaire

    Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)

    Johan Vincent

    2008

    L'individu dans la famille à Rome au ive siècle

    L'individu dans la famille à Rome au ive siècle

    D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan

    Dominique Lhuillier-Martinetti

    2008

    L'éveil politique de la Savoie

    L'éveil politique de la Savoie

    Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)

    Sylvain Milbach

    2008

    L'évangélisation des Indiens du Mexique

    L'évangélisation des Indiens du Mexique

    Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)

    Éric Roulet

    2008

    L'étranger en Bretagne au Moyen Âge

    L'étranger en Bretagne au Moyen Âge

    Présence, attitudes, perceptions

    Laurence Moal

    2008

    Les saints bretons entre légendes et histoire

    Les saints bretons entre légendes et histoire

    Le glaive à deux tranchants

    Bernard Merdrignac

    2008

    Les miroirs du silence

    Les miroirs du silence

    L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934

    Patrick Bourgalais

    2008

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    Presses universitaires de Rennes
    • amazon.fr
    • decitre.fr
    • mollat.com
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    ePub / PDF

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

    X Facebook Email

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Clastres, P. (2025). Chapitre XII. Helsinki 1952. In Les Jeux olympiques de 1892 à 2024 (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/13j2f
    Clastres, Patrick. « Chapitre XII. Helsinki 1952 ». In Les Jeux olympiques de 1892 à 2024. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2025. https://doi.org/10.4000/13j2f.
    Clastres, Patrick. « Chapitre XII. Helsinki 1952 ». Les Jeux olympiques de 1892 à 2024, Presses universitaires de Rennes, 2025, https://doi.org/10.4000/13j2f.

    Référence numérique du livre

    Format

    Clastres, P. (2025). Les Jeux olympiques de 1892 à 2024 (1‑). Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/13j3u
    Clastres, Patrick. Les Jeux olympiques de 1892 à 2024. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2025. https://doi.org/10.4000/13j3u.
    Clastres, Patrick. Les Jeux olympiques de 1892 à 2024. Presses universitaires de Rennes, 2025, https://doi.org/10.4000/13j3u.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Presses universitaires de Rennes

    Presses universitaires de Rennes

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Flux RSS

    URL : http://www.pur-editions.fr

    Email : pur@univ-rennes2.fr

    Adresse :

    2, avenue Gaston Berger

    CS 24307

    F-35044

    Rennes

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement