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  • Chapitre XI. Londres 1948
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    Plan détaillé Texte intégral Les compromissions du président Edström avec le IIIe Reich Le choix obligé de Londres et la dénazification limitée du CIO La première vague de la décolonisation britannique dans l’Empire Stadium de Wembley Des avancées pour l’athlétisme féminin et une baisse assez généralisée des records Des champions américains racisés et confrontés à l’expérience de la guerre Les bons résultats des sportives du continent européen Les Jeux de Stoke Mandeville pour combattants paralysés à l’origine des Paralympiques Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

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    Table des matières

    Chapitre XI. Londres 1948

    Une résurrection sous bonne garde britannique

    p. 141-150

    Texte intégral Les compromissions du président Edström avec le IIIe Reich Le choix obligé de Londres et la dénazification limitée du CIO La première vague de la décolonisation britannique dans l’Empire Stadium de Wembley Des avancées pour l’athlétisme féminin et une baisse assez généralisée des records Des champions américains racisés et confrontés à l’expérience de la guerre Les bons résultats des sportives du continent européen Les Jeux de Stoke Mandeville pour combattants paralysés à l’origine des Paralympiques Bibliographie

    Texte intégral

    1Il est surprenant que les Jeux olympiques n’aient pas disparu après la Seconde Guerre mondiale. Douze longues années se sont, en effet, écoulées entre les Jeux orchestrés par les nazis à Berlin et l’allumage de la vasque olympique à Londres. Grâce au principe de la cooptation à vie de ses membres, le CIO est moins en difficulté que les FI pour se refonder et relancer ses activités. Ces dernières doivent attendre que les fédérations nationales se reconstituent pour désigner leurs délégués et remettre en route des championnats nationaux réguliers avant de songer à des compétitions internationales. Rien de tel pour le CIO qui n’a qu’une seule contrainte : trouver une cité désireuse d’accueillir ses Jeux olympiques.

    2Pour autant, la transformation des JO en parade nazie par le ministre de la Propagande Goebbels a laissé des traces profondes dans les esprits au sein des nations démocratiques comme des pays gagnés par le communisme. Et cela d’autant plus que les dirigeants du sport olympique ont été nombreux à se compromettre avec les régimes fascistes entre la marche sur Rome de Mussolini en 1922 et la fin de la guerre. C’est ce que montre l’enquête sur la « vieille garde » du CIO qui est demandée en 1945 par Winston Churchill à ses ambassadeurs.

    3Le résultat est à la mesure des doutes du premier ministre britannique sur la neutralité réelle de l’organisation olympique. Le marquis français Melchior de Polignac est considéré comme « définitivement infréquentable » tout comme les membres de la Bulgarie, de la Belgique et de la Norvège. Le représentant égyptien est présenté comme « un très mauvais homme qui devrait être chassé », le délégué polonais comme « infréquentable et férocement extrémiste », et le général serbe Djoukitch comme « personna non grata ». Il est rappelé que le général Giorgio Vaccaro a servi le régime fasciste et on s’étonne que le colonel néerlandais Scharroo « puisse un jour jouer un quelconque rôle au sein du CIO ».

    4Mais ce n’est pas seulement la menace d’une dénazification du CIO qui inquiète son nouveau président, l’industriel suédois Sigfrid Edström. En effet, l’URSS figure dorénavant dans le camp des vainqueurs et elle a pris militairement le contrôle d’une grande partie de l’Europe centrale et orientale. Si jamais elle n’était pas intégrée rapidement au mouvement olympique, elle pourrait étendre son Internationale rouge du sport et développer ses Spartakiades comme jamais elle n’a pu le réaliser dans les années 1930. Le risque est donc grand d’un éclatement du mouvement sportif international en deux univers séparés et opposés, communiste à l’est et capitaliste à l’ouest.

    5Rien de tout cela ne figure évidemment dans le Bulletin du CIO à compter de sa reparution en octobre 1946. Les vœux prononcés au seuil de l’année 1948 rejouent le thème de l’éternité des Jeux : « L’intérêt pour le mouvement olympique est plus fort que jamais. L’avenir appartient à la jeunesse. Pour celle-ci, l’idée olympique ne signifie pas seulement une coopération internationale pour l’amélioration physique si nécessaire après ce terrible conflit mondial, mais aussi un désir ardent de collaboration pour le retour à la paix. » Mais, sous la pression des Américains et surtout des Britanniques qui ne désirent pas voir triompher des athlètes allemands à Londres en 1948, une règle tacite est adoptée en octobre 1945 selon laquelle une invitation à participer aux Jeux sera adressée seulement aux pays « dont les comités nationaux olympiques sont acceptés au sein de la communauté des nations », c’est-à-dire « reconnus politiquement et commercialement » comme le précisait déjà le vice-président américain Avery Brundage en janvier 1945. Démonstration est faite que la force du CIO repose dans sa constitution même en cénacle.

    Les compromissions du président Edström avec le IIIe Reich

    6De 1942 à 1952, le président suédois Sigfrid Edström (1870-1964) aura permis à l’institution lausannoise de passer sans trop d’encombres le cap de la Seconde Guerre mondiale et l’entrée dans la guerre froide. Membre du CIO depuis 1920, promu vice-président en 1937, il est aussi le président-fondateur de la FI d’athlétisme durant trente-cinq années. Outre son expérience d’administrateur sportif, il bénéficie de l’aura de la neutralité de la Suède et de sa réputation de grand industriel. S’il n’a pas entrepris de carrière politique, il a néanmoins siégé au conseil municipal de Vasteras, la grande cité industrielle à l’ouest de Stockholm, dans les rangs conservateurs de 1904 à 1922. Moins connu, lors des Jeux de Berlin, il s’était rendu aux parades de Nuremberg en compagnie de l’autre membre suédois du CIO, le comte Clarence von Rosen qui était un nazi déclaré.

    7Son arrivée dans les cercles des dirigeants du sport international trouve son origine dans sa pratique de l’athlétisme puisqu’il est recordman suédois du 150 m à l’âge de 21 ans. De fait, il est un pionnier de la direction des sports au niveau national et international dans la mesure où il fonde et préside en 1893 l’Association athlétique amateur suédoise de gymnastique et de sport, puis en 1905 le Comité olympique suédois qu’il représente aux Jeux intermédiaires d’Athènes en 1906 et de Londres en 1908, enfin en 1912 l’IAAF à l’occasion des Jeux de Stockholm qu’il a contribué à organiser. Au sein du CIO, il bénéficie d’une promotion rapide comme membre de la Commission exécutive dès octobre 1921, puis comme vice-président en 1937, que l’on peut expliquer par sa fonction de président de la fédération internationale la plus essentielle à la pérennité des Jeux olympiques. Dans l’entre-deux-guerres, Edström a fait avancer plusieurs dossiers pour le compte de l’IAAF ou du CIO comme l’autonomie des FI en matière de réglementation technique et amateur de leur sport, ou l’ouverture de nouvelles épreuves d’athlétisme aux sportives probablement sous l’influence de son épouse américaine Ruth Randall qui est engagée dans le mouvement féministe conservateur. Dans ces années-là, le CIO lui doit aussi la mise à l’écart des fédérations internationales sportives de travailleurs, et le maintien à distance du BIT qui était alors tenté de prendre le contrôle du secteur de l’éducation physique, sinon du sport en général, au titre des « loisirs ouvriers ».

    8Par rapport aux aristocrates Pierre de Coubertin et Henri de Baillet-Latour, il est en effet d’un tout autre bois. Ingénieur de formation, passé par l’université de Göteborg et par l’école polytechnique de Zurich, employé quelque temps chez General Electric aux États-Unis, il appartient à la grande bourgeoisie scandinave de la Seconde révolution industrielle puisqu’il dirige la Société générale suédoise d’électricité de 1903 à 1949. À la tête de la plus grande manufacture électrique du pays et de ses 43 filiales à l’étranger, il a contribué activement à l’échec de la grande grève ouvrière de 1909 et à la création de l’Association suédoise de l’industrie l’année suivante. Son voyage autour du monde en 1929-1930, qui l’a conduit à New York, Chicago où il rencontre Avery Brundage, Los Angeles qui doit accueillir les Jeux en 1932, Yokohama, Shanghai, Calcutta et Le Caire, a joué pour beaucoup dans sa réputation internationale et dans la solidification de ses réseaux tant industriels que sportifs.

    9En tant que président de l’Association des employeurs suédois, il a apposé en 1938 son paraphe sur l’accord de « paix industrielle » de Saltsjöbads, qui sanctionne la supériorité de l’arbitrage sur le conflit dans les relations entre employeurs et employés. Son action en tant que fondateur du « modèle suédois du marché du travail » lui a valu d’accéder à la présidence de la Chambre de commerce international (CCI) de 1939 à 1945, où il siégeait déjà au nom du gouvernement royal depuis 1931. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il accueille à Stockholm le Secrétariat international de la CCI et sa cour d’arbitrage où il laisse siéger les industriels allemands. C’est probablement pour cette raison, et aussi pour son rôle au sein du CIO, qu’Hitler lui a fait décerner en novembre 1940 l’Ordre de l’Aigle allemand avec étoile. Remise à l’occasion de son 70e anniversaire, cette décoration nazie est réservée aux étrangers importants et sympathisants du régime comme l’industriel Henry Ford ou bien l’aviateur Charles Lindbergh. Tout cela lui vaudra d’être discrètement écarté à la fin de la guerre de la présidence de la CCI. À cette aune-là, on comprend mieux ses décisions des années 1946-1952 et le soutien déterminant qu’il apportera à l’élection de Brundage à la tête du CIO lors de la session tenue à Helsinki en 1952.

    Le choix obligé de Londres et la dénazification limitée du CIO

    10L’attribution des Jeux d’été à Londres et d’hiver à Saint-Moritz, à l’unanimité et sans vote, lors de la session du CIO tenue à Lausanne en février 1946, tient à l’action de trois hommes : Sigfrid Edström qui est président par intérim depuis le décès en 1942 du comte belge Henri de Baillet-Latour, Avery Brundage qui est devenu membre du CIO grâce à son combat contre le boycott des Jeux de Berlin, et le Britannique Lord Burghley coopté en 1933 qui va s’opposer à eux. Ces choix, qui correspondent à des engagements pris avant ou pendant la guerre, visent à rassurer les Alliés et à resserrer les liens avec la Confédération helvétique. L’attribution à Londres sera toutefois contestée au Royaume-Uni qui connaissait encore le rationnement.

    11Confirmé en septembre 1946, par acclamation, dans ses fonctions de président du CIO, Edström doit tout de même abandonner à Burghley la présidence de l’IAAF. Il doit aussi amender le projet qu’il a conçu avec Carl Diem de rallumer la flamme à Berlin pour l’amener dans la capitale anglaise. En effet, Burgley, qui déjà s’est opposé à la participation des athlètes allemands, insiste pour que « le relais de la paix » parte d’Olympie et non de l’ancienne capitale du Reich.

    12La question se pose aussi très vite du remplacement des 22 membres actifs sur un total de 73 qui sont décédés durant la guerre. La douzaine de cooptations opérées en 1946 envoient un signal très clair du côté occidental : un Australien, deux Sud-Africains, un Canadien, un Islandais, un Néerlandais, un Belge, un Luxembourgeois, un Suisse, un Français, un Portugais, un Grec, un Tchécoslovaque. Choisis systématiquement dans les rangs conservateurs, ces nouveaux membres permettront à Brundage de succéder en 1952 à son ami Edström contre Lord Burghley, de même qu’ils contribueront par la suite à élever une digue contre l’entrisme des régimes communistes.

    13Concernant les membres compromis avec les régimes bruns, Edström et Brundage leur viennent en aide et multiplient les atermoiements. Ainsi, le premier numéro du Bulletin du comité international olympique comporte encore les noms des anciens membres allemands et japonais. Pour ce qui est du général Djoukitch, Edström demande à ses collègues de lui faire parvenir des colis dans sa prison de Münster gardée par les Soviétiques. Ce dernier répond au président du CIO en septembre 1947 que « le CIO n’est pas un corps politique mais il est composé de vrais nationalistes de tous les pays » et précise qu’il « croit que tous les nationalistes de tous les pays doivent se réunir et s’entraider contre cette épidémie rouge ». La cooptation de Carl Diem, l’organisateur des Jeux de Berlin qui adopte le même système de défense apolitique que Leni Riefenstahl, est même envisagée en 1946, et de nouveau en mars 1949, mais elle est écartée sur l’intervention des autorités militaires occidentales, et son Institut olympique est transféré à Lausanne au début de l’année 1947. De même, le secrétaire Klingeberg n’est pas réintégré dans l’administration du CIO malgré ses tentatives réitérées jusqu’en 1951. Finalement, seuls le fils du régent de la Hongrie, le maréchal Horthy, et le général Vaccaro sont exclus du CIO en 1948.

    14En revanche, Edström et Brundage obtiendront la libération de Karl Ritter von Halt des camps soviétiques à la fin de l’année 1949 de sorte que l’ancien ReichsportsFürher pourra retrouver son siège au CIO en 1951. Dans une lettre non datée et adressée à Nikolai Romanov, le responsable des sports du gouvernement soviétique, Edström qualifiait Ritter von Halt d’« excellent gentleman à tous points de vue ». Toutefois, pour éviter toute démonstration à caractère national ou politique qui pourrait rappeler Berlin 1936, le CIO « recommande à chaque pays d’abaisser le drapeau devant les tribunes officielles » lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Londres.

    La première vague de la décolonisation britannique dans l’Empire Stadium de Wembley

    15Utilisé pour les Jeux de 1908, le White City Stadium est, cette fois, écarté au profit de l’Empire Stadium de Wembley qui avait été inauguré en avril 1924 par le roi George V à l’ouverture de l’Exposition britannique impériale. Faisant appel à une main-d’œuvre ouvrière appauvrie d’origine irlandaise, le self-made-man écossais Robert McAlpine avait alors atteint l’apogée de sa carrière après avoir édifié nombre de lignes de chemin de fer et de bâtiments industriels. Ce stade éphémère doit sa survie à l’intervention du responsable de l’Exposition James Stevenson, un ancien directeur général du distillateur de whisky Johnny Walker qui a résolu la chute des cours du latex en 1921. Alors que les investisseurs habituels considèrent que le projet n’est pas viable financièrement, c’est un simple vendeur de cigarettes qui le rachète au spéculateur et promoteur de combats de boxe James White. Avec ses deux coupoles imitées de celles du palais du vice-roi des Indes à New Delhi, il conserve en 1948 un certain parfum colonial au moment même où le Royaume-Uni vient de perdre sa plus importante colonie. Pour l’occasion, sa piste de course de lévriers est transformée en cendrée d’athlétisme et une nouvelle route est construite pour le relier à la station de métro. Avec ses 100 000 places, le stade de Wembley deviendra le temple du football anglais, et de ce sport en général, au point d’accueillir la Coupe du monde de 1966. Depuis, il a été reconstruit en 2003 pour le mettre aux nouvelles normes médiatiques du spectacle sportif.

    16À la différence de la sortie de Première Guerre mondiale où Coubertin et ses proches collègues avaient de leur propre chef orchestré l’absence des pays agresseurs, ce sont les autorités militaires du Royaume-Uni et des États-Unis qui empêchent la participation de l’Allemagne et du Japon. Que l’Italie soit invitée s’explique par le fait que la résistance intérieure s’est jointe aux forces alliées pour faire chuter le régime de Mussolini en 1943. Quoique conviée, et engagée dans de nombreuses compétitions sportives en Europe depuis 1946, l’URSS a préféré surseoir, probablement pour se donner le temps d’améliorer son niveau compétitif. Quant à la Corée du Sud annexée par le Japon en 1910, elle bénéficie d’une reconnaissance sportive avant même de se constituer en État souverain le lendemain de la clôture des Jeux. Si le Liban, l’Irak, l’Iran et la Syrie émergent à la suite de la disparition de l’Empire ottoman en 1923, ils ne font justement leur première apparition olympique qu’en 1948. On ne saurait expliquer ce retard autrement que par le contrôle postcolonial que la France et le Royaume-Uni ont durablement exercé au Proche et Moyen-Orient.

    17Assurément, le processus de décolonisation de l’Empire britannique enclenché en sortie de guerre concourt à la hausse notable du nombre de nations sportives engagées qui passent de 49 à 59. Ainsi s’explique la présence, numériquement très faible mais symboliquement réelle, de la Guyane britannique qui deviendra indépendante en 1966 et prendra le nom de Guyana en 1950, de la Jamaïque dont l’autonomie est encore limitée par Londres, de la colonie royale de Trinidad qui a connu ses premières élections au suffrage universel en 1946, de Ceylan et du Pakistan qui sont nés de la partition des Indes, de la Birmanie tout juste souveraine depuis le mois de janvier, de la colonie royale de Singapour qui n’obtiendra le statut d’État qu’en 1958 pour se fondre en 1963 dans l’État fédéral de Malaisie. Quant au premier défilé des délégations de Porto Rico et du Venezuela, on le rapportera à la stratégie de recrutement de nombreux autres membres latino-américains conduite par le président Sigfrid Edström et son collègue Avery Brundage pour se constituer une majorité stable et idéologiquement antiprogressiste au sein du CIO.

    Des avancées pour l’athlétisme féminin et une baisse assez généralisée des records

    18Comme en sortie de Première Guerre mondiale, le CIO s’empresse de renouer les liens avec les FI de crainte qu’elles ne s’autonomisent. Après les avoir invitées en août 1945 à nommer des représentants auprès de sa CE, le président Edström les accueille à Lausanne en septembre 1946 pour débattre du programme des Jeux olympiques. Le CIO argue du contexte d’austérité pour appeler à une réduction du programme olympique et ainsi mettre les FI en concurrence entre elles pour mieux les soumettre à son autorité. Pour l’athlétisme, les décisions prises par la CE du CIO au Caire en 1938 sont confirmées avec le retour du 10 km marche pour les hommes et l’apparition du 200 m, du saut en longueur et du lancer du poids pour les femmes. Si on y ajoute une première épreuve féminine en kayak K1 sur 500 m, on pourrait penser que le retour à la paix est favorable à la condition des sportives. Or, la décision du Caire en 1938 de ne pas organiser d’épreuves féminines par équipes en gymnastique à Tokyo en 1940 est levée in extremis en mai 1948 pour Londres, et les échanges avec les FI n’avancent guère pour ce qui est de l’équitation et du hockey sur gazon pour femmes. Du côté des hommes, apparaissent les catégories « coq » en moins de 56 kg pour l’haltérophilie et « mouche » en lutte gréco-romaine. Deux changements sont à noter en voile avec l’introduction de deux quillards, le Swallow, conçu en 1946 et qui disparaîtra ensuite du programme, et le Dragon, dessiné en 1929, de coût élevé et pratiqué aux JO jusqu’en 1972.

    19L’arrêt des compétitions internationales et l’affaiblissement des organismes durant la guerre ont généré une régression des records masculins sur 200 m, 4 × 100 m (record battu seulement en 1960), 4 × 400 m, 1 500 m, 3 000 m steeple, à la hauteur, à la longueur où le record de Owens ne sera battu qu’en 1960, à la perche, au triple saut, au javelot, au marteau, au décathlon, au marathon, au 50 km marche. Même si les éléments de comparaison sont moins nombreux, c’est encore plus prononcé chez les femmes sur 100 m, 4 × 100 m, et au lancer du disque (41,92 m pour Micheline Ostermeyer contre 47,63 m pour Gisela Mauermayer en 1936). La chute est encore plus flagrante en canoë-kayak car elle concerne quasiment toutes les épreuves, comme en poursuite par équipes en cyclisme. Elle est davantage atténuée en natation avec un recul sur 1 500 m nage libre et sur 100 m dos chez les hommes, et sur 100 m nage libre chez les femmes.

    Des champions américains racisés et confrontés à l’expérience de la guerre

    20Alors que le sport international est en pleine reconstruction et que plusieurs pays d’Europe centrale et orientale sont absents, le nombre des engagements est tout de même en légère augmentation à 4 100 athlètes dont 390 sportives, contre près de 4 000 athlètes dont 335 sportives douze ans plus tôt à Berlin. L’absence de l’Allemagne, davantage que celle du Japon, a largement profité à la Suède, à la France, à la Hongrie et à la Finlande qui se classent loin derrière les États-Unis avec 38 médailles en or dans ses spécialités habituelles (12 premières places en athlétisme, 8 en natation, 4 en plongeon) pour un total de 84 breloques.

    21La Suède peut toujours compter sur ses lutteurs, ses kayakistes, ses marcheurs et ses coureurs de demi-fond et la Finlande sur ses gymnastes, tandis que la France et la Hongrie rivalisent en escrime au détriment de l’Italie. Succédant aux gymnastes allemands, les Finlandais Veikko Huhtanen, plus tard machiniste en usine, et Paavo Aaltonen, un adhérent du sport travailliste, remportent chacun trois médailles d’or. Outre Micheline Ostermeyer, l’autre double médaillé d’or français est, une fois n’est pas coutume, un escrimeur, le fleurettiste Jéhan de Buhan, titré sur le tard à 40 ans du fait notamment de ses cinq années de captivité. Ce dernier présente un profil typique de la bourgeoisie bordelaise : un père négociant en vins et une mère née Seward d’une lignée de grand marchands australo-britanniques, la découverte de l’escrime à 10 ans chez un maître d’armes à Arcachon, la pratique du hockey sur gazon au sein du club sélect de la Villa Primrose, une licence de droit et un diplôme d’école de commerce, un emploi de marchand de vin pour les Cognac de la famille Adet à laquelle il est lié par son grand-père maternel. En finale individuelle, il a battu Christian d’Oriola, tout juste âgé de 19 ans, d’une lignée de propriétaires de vignobles dans le Perpignanais, et qui sera sacré quatre fois sur trois olympiades.

    22La grande vedette de l’athlétisme américain en sortie de guerre est incontestablement Harrison Dillard avec quatre médailles d’or en 1948 (100 m et 4 × 100 m) et 1952 (110 m haies et 4 × 100 m). Né à Cleveland, dans la même ville que Jesse Owens, il a dû interrompre sa scolarité à l’université méthodiste Baldwin Wallace pour combattre dans les Apennins en 1943 et 1944 dans les rangs des Buffalo Soldiers, ces soldats afro-américains discriminés depuis la guerre de Sécession. Après sa retraite sportive, il trouvera à s’employer dans les relations publiques de la franchise de baseball des Cleveland Indians, puis comme directeur commercial du district scolaire de sa ville. En natation, on croise le champion venu d’Honolulu William Smith, qui deviendra responsable des gardes de surf de la plage de Waikiki, et deux champions blancs eux aussi deux fois médaillés d’or, Walter Ris de l’université de l’Iowa et James McLane de Yale University.

    23D’ascendance coréenne, fils d’ingénieur devenu petit restaurateur, médaillé d’or à Londres et à Helsinki sur la plate-forme à 10 m, le plongeur Sammy Lee a lui aussi été victime de la ségrégation puisque, comme tous les racisés de son époque, il n’avait droit d’accéder à la piscine de Pasadena (Californie) que les mercredis dits « internationaux », c’est-à-dire la veille du vidage et du remplissage avec de l’eau propre. Diplômé en médecine en 1947 de l’université de Southern Carolina, il a dû rejoindre l’armée de réserve pour rembourser sa bourse d’études, et servir dans le corps médical durant la guerre en Corée du Sud où il s’est spécialisé dans les maladies de l’oreille.

    Les bons résultats des sportives du continent européen

    24Étonnamment, concernant le palmarès féminin, on assiste à un effacement des Britanniques et, dans une moindre mesure, des Américaines. La révélation des Jeux est la Néerlandaise Fanny Blankers-Koen qui remporte quatre médailles d’or sur 100 m, 200 m, 4 × 100 m et 80 m haies alors qu’elle a déjà eu deux enfants avec son entraîneur. Elle aurait pu augmenter son palmarès olympique car elle est la première femme à avoir sauté en hauteur plus de 1,70 m et elle excelle également au lancer du poids qui est la discipline de son père par ailleurs patron d’une entreprise de camionnage. Mais, à l’époque, le CIO limite les inscriptions à trois épreuves individuelles. Sa longévité est tout à fait exceptionnelle car elle a battu près de 50 records nationaux entre 1935 et 1953 en plus d’avoir participé aux Jeux de Berlin, de Londres et d’Helsinki.

    25Le surnom de « ménagère volante » qui lui a été donné par la presse internationale n’est pas exempt d’ambiguïté car, s’il rend compte de sa capacité à allaiter ses enfants au bord des pistes, et plus généralement met en exergue la capacité des mères à pratiquer le sport à haut niveau, il la renvoie aussi à sa condition de femme au foyer qui n’a jamais pu, ou voulu, accéder à l’emploi. Il reste qu’elle reçoit des milliers de lettres de femmes du monde entier qui lui témoignent leur admiration et des dizaines de proposition d’emploi ou de parrainage. À son retour dans sa ville natale d’Amsterdam, on lui fait un cortège triomphal qui fonctionne comme une catharsis pour les Pays-Bas encore tournés vers la Seconde Guerre mondiale, les souffrances causées par l’occupation allemande, mais également la politique de collaboration avec le Reich et la participation à la déportation des Juifs néerlandais.

    26Sans atteindre les sommets de Blankers-Koen, la Française Micheline Ostermeyer a tout de même réussi l’exploit de triompher au lancer du poids – elle donne un concert le soir même – et du disque, et aussi d’obtenir la médaille de bronze au saut en hauteur. D’un père ingénieur adepte de gymnastique suédoise et de sport, et d’une mère pianiste, elle déclare se consacrer cinq heures par jour au piano et cinq heures par semaine au sport. Les médailles cumulées par ces deux championnes suffisent à provoquer la rétrogradation des sportives du Royaume-Uni, avec seulement quatre médailles d’argent, et des États-Unis qui ne récoltent qu’une médaille d’or au saut en hauteur avec Alice Coachman. Fille d’un plâtrier, première Afro-Américaine à remporter une médaille d’or aux Jeux olympiques, cette dernière bénéficiera d’une bourse universitaire qui lui permet de transformer son diplôme de couture en une licence d’économie sociale et familiale, une filière qui limite toutefois son ascension sociale, puis de signer un contrat publicitaire avec la firme Coca-Cola qui vise un nouveau public de consommateurs.

    27On ne peut pas vraiment dire que les Américaines prennent leur revanche en natation car, avec deux médailles d’or et deux médailles d’argent, elles font jeu égal avec les Danoises. Mais elles affirment nettement leur suprématie avec cinq médailles sur six en plongeon. Le podium féminin de fleuret offre une bien triste revanche sur le IIIe Reich aux trois escrimeuses européennes qui montent sur le podium : la musicienne hongroise Ilona Elek déjà médaillée d’or à Berlin dont le père est juif, la secrétaire d’université Karen Lachmann qui est née à Pékin et a été adoptée par une riche famille juive de Copenhague, ainsi qu’Ellen Müller-Preiss. En concours général de gymnastique par équipes femmes, les médailles d’or de la Tchécoslovaquie et d’argent de la Hongrie annoncent déjà le monopole que les pays de l’Est vont exercer sur cette discipline pendant la longue guerre froide olympique. L’épreuve inédite de kayak monoplace sur 500 m, un sport également des classes populaires, n’a rassemblé que dix kayakistes pour le plus grand bonheur de la Danoise Karen Hoff, une future gérante de magasin, de la Néerlandaise Alida van der Anker, et de l’Autrichienne Friederike Schwingl.

    Les Jeux de Stoke Mandeville pour combattants paralysés à l’origine des Paralympiques

    28Devenus beaucoup mieux visibles depuis les JO de Londres en 2012, les Jeux paralympiques trouvent leur origine dans les compétitions sportives organisées en 1948 au sein de l’hôpital de Stoke Mandeville sis au nord-ouest de Londres par le professeur Ludwig Guttmann. Ils s’inscrivent dans une histoire longue du handicap et de la réparation des blessures ou des infirmités par les exercices physiques.

    29C’est en 1944 que le gouvernement britannique confie au neurologue allemand Ludwig Guttmann la prise en charge de patients tétraplégiques et paraplégiques à l’espérance de vie de quelques semaines. Pour ces combattants blessés à la moëlle spinale durant le second conflit mondial, ce denier imagine un programme de rééducation à base de compétitions adaptées pour améliorer tant leur développement locomoteur que pour leur santé mentale. Ayant fui l’Allemagne du fait de ses origines juives, il a pris conscience de l’importance des exercices du corps en matière de santé et de reconstruction personnelle. Peut-être est-il inspiré par le « judaïsme du muscle » théorisé par Max Nordau à la fin du xixe siècle qui est en lien avec l’hygiénisme du fondateur du sionisme Theodor Herzl, et qui retrouve aussi la tradition de la force corporelle d’un Samson à côté de celle du Livre. Aussi propose-t-il à ses patients de s’exercer au basket-ball, au billard, au tennis de table et au tir à l’arc avec des résultats prometteurs.

    30Le jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Londres, il organise même une journée de charité autour de compétitions de basket-ball et de tir à l’arc réunies sous l’appellation de Paraplegic Games. Cette journée sera rééditée en 1952 avec plus de 130 participants venus aussi de l’étranger, et en 1956 ses Stoke Mandeville Games seront honorés par le CIO de la coupe Fearnley. Un tournant essentiel surviendra en 1960 avec le déplacement des International Stoke Mandeville Games à Rome grâce au soutien logistique de la Fédération mondiale des vétérans de guerre.

    31Le relais sera pris en 1982 par le Comité international de coordination des organisations mondiales de sport pour les handicapés que le CIO tient soigneusement à distance même s’il lui accorde deux ans plus tard l’autorisation de dénommer ses compétitions « Jeux paralympiques ». C’est sur la base de ce comité qu’est fondé à Düsseldorf en 1989 le Comité international paralympique (IPC) alors que les Jeux de Séoul en 1988 ont ouvert un cycle de compétitions olympiques et paralympiques organisés à la suite l’une de l’autre. Afin que cette contrainte s’applique obligatoirement aux villes candidates à l’organisation des JO, un accord sera signé en 2001 entre le CIO et l’IPC qui sera renouvelé en 2012. De manière homologique, l’IPC approuvera en 2003 le Code mondial antidopage et développera à son tour un programme de sponsoring « The Paralympic Partner Programme ». La dépendance de l’IPC envers le CIO s’est accrue récemment dans la mesure où il a confié en 2023 à l’organisation lausannoise la gestion de ses contrats de marketing contre un montant financier resté secret.

    Bibliographie

    Clastres Patrick, Des JO de Berlin aux JO de Londres (1936-1948). Le sport européen à l’épreuve du nazisme, Paris, Mémorial de la Shoah, 2012.

    Hampton Janie, The Austerity Olympics: When the Games Came to London in 1948, Dover, Quarto, 2008.

    Hampton Janie, London Olympics 1908 and 1948, Oxford, Shire Publications, 2011.

    Polley Martin, The British Olympics. Britain’s Olympic Heritage 1612-2012, Swindon, English Heritage, 2012.

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