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  • Chapitre IX. Los Angeles 1932
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Les « Olympiades juives » du printemps 1932 Le choix de Los Angeles avec neuf ans d’avance Un gigantesque Colisée au service des médias, des entreprises et d’Hollywood Un programme sportif nettement américanisé Les apogées olympiques de l’Italie fasciste et de la France du président Lebrun Des championnes issues de milieux de plus en plus modestes Le parachèvement de l’olympisation du monde, Afrique colonisée mise à part Une commission exécutive qui glisse du côté de l’Axe Rome-Berlin Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

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    Table des matières

    Chapitre IX. Los Angeles 1932

    La promotion touristique de la Californie

    p. 113-122

    Texte intégral Les « Olympiades juives » du printemps 1932 Le choix de Los Angeles avec neuf ans d’avance Un gigantesque Colisée au service des médias, des entreprises et d’Hollywood Un programme sportif nettement américanisé Les apogées olympiques de l’Italie fasciste et de la France du président Lebrun Des championnes issues de milieux de plus en plus modestes Le parachèvement de l’olympisation du monde, Afrique colonisée mise à part Une commission exécutive qui glisse du côté de l’Axe Rome-Berlin Bibliographie

    Texte intégral

    1Alors que le monde occidental en général, les États-Unis et la Californie en particulier, sont englués dans la terrible crise économique et sociale de 1929, la cité de Los Angeles a réussi son pari d’organiser en 1932 les Xe Jeux olympiques qu’elle avait obtenus dès 1923. Et pourtant, en trois ans, Wall Street vient de perdre 90 % de sa valeur boursière, la production industrielle des États-Unis est divisée par deux, les prix agricoles ont baissé de 60 %, le PIB a chuté de 46 %, le chômage est passé de 1,5 à 13 millions de personnes. Pour les centaines de milliers de miséreux qui se ruent vers la Californie, Los Angeles et Hollywood ne furent jamais que des mirages économiques. Il reste que les Jeux de 1932 vont opérer un changement d’échelle spectaculaire et médiatique sans précédent.

    2On notera qu’après Saint-Louis en 1904, ce n’est pas, de nouveau, une ville de la côte Est qui obtient les Jeux, mais une cité de la côte Pacifique. Ce tropisme qui conduit des villes américaines du Midwest ou du Far West, en plein boom économique, à se porter candidates se confirmera avec Los Angeles en 1984 et 2028 et Atlanta en 1996. Cela en dit long sur le rôle que ces métropoles confèrent très tôt aux grands événements sportifs comme facteurs de développement. C’est à rapporter au fait que le CIO n’est jamais qu’un cercle de gentlemen qui payent une cotisation et ne veulent en rien dépendre de sociétés industrielles et commerciales. Il ne dispose alors que d’un secrétaire à temps partiel et il ne signera ses premiers contrats de sponsoring qu’en 1985.

    Les « Olympiades juives » du printemps 1932

    3C’est peu avant les JO de 1932 que les premières Maccabiades ont lieu à Tel Aviv. Empruntant aux Jeux olympiques leur cérémonial, elles ont davantage pour ambition de réunir les athlètes juifs du monde entier que de faire tomber des records. Incontestablement, elles ont propagé l’idéal sioniste et ont donné une forme de reconnaissance internationale au « foyer national juif » à une époque où la Palestine était encore sous mandat britannique.

    4C’est après le refus du CIO de reconnaître l’Union mondiale du Maccabi que Yosef Yekutieli propose en 1929 au président du Fonds national juif de créer des « Jeux Olympiques juifs » pour le 1800e anniversaire de la révolte de Bar Kokhba (132-135 après J.-C.). Cette idée, il l’aurait conçue en 1912, à l’âge de 15 ans, en lisant les comptes rendus des Jeux olympiques de Stockholm parus dans la presse. Pour ce Russe venu s’établir en Eretz Israël avec sa famille, il s’agit de « présenter la culture juive, physique et spirituelle, au peuple juif et à l’ensemble du monde entier… et de montrer que les sportifs juifs ne sont pas uniquement des athlètes dans leur pays, mais aussi des athlètes du peuple juif ». Le haut-commissaire britannique en Palestine Sir Arthur Wauchope donne son accord à la condition que les athlètes arabes et les sportifs du mandat britannique puissent également y participer.

    5À la manière des hérauts olympiques dans l’antiquité, deux colonnes de motards vont alors sillonner l’Europe de Tel Aviv à Anvers puis à Glasgow via Sofia, Francfort et Paris, pour annoncer la tenue des « Olympiades juives » en Eretz Israël du 28 mars au 6 avril 1932. Les premières Maccabiades se tiennent dans un stade de 20 000 places construit pour l’occasion près du fleuve Yarkon à Tel Aviv, une cité qui rassemble alors 50 000 habitants. Le défilé des 390 athlètes représentant 18 pays et des 1 500 gymnastes est ouvert par le maire Meïr Dizengoff qui parade sur un cheval blanc. Les athlètes polonais devancent au nombre de médailles les Autrichiens et les Américains devant une moyenne de 5 000 spectateurs par jour.

    6Avec le rassemblement de 1 350 sportifs provenant de 28 pays, les IIe Maccabiades connaîtront en 1935 un plus grand succès qui s’explique largement par l’essor du mouvement Maccabi en Europe et par sa diffusion ailleurs dans le monde (Égypte, Syrie, Argentine…). Sans aller jusqu’à parler d’« alyah sportive », on notera que des athlètes profitent des Maccabiades pour s’établir en Palestine mandataire, alors même que les autorités britanniques limitent l’immigration juive (Livres blancs de 1922 et 1930). Des Maccabiades d’hiver auront lieu à Zakopane en Pologne en 1933, un an après les Jeux olympiques d’hiver de Lake Placid, et à Banska Bystrica en Tchécoslovaquie en février 1936, pendant les Jeux olympiques de Garmisch-Partenkirchen.

    7Prévues en 1938, les IIIe Maccabiades seront annulées à cause des persécutions dont sont victimes les Juifs en Europe et des troubles qui secouent la Palestine sous mandat britannique. Elles renaîtront en 1950, avec 800 athlètes représentant 19 pays, en présence du président Chaim Weizmann et de David Ben Gourion qui déclare à cette occasion : « Vivre sur notre terre ancestrale nécessite au moins autant une vigueur et une puissance physique qu’une excellence intellectuelle. » Les Maccabiades connaîtront une quatrième édition en 1953 avant que le principe ne soit adopté de les organiser chaque année qui suivra les Jeux olympiques.

    Le choix de Los Angeles avec neuf ans d’avance

    8En juin 1921, lors de sa session à Lausanne, le CIO a fait d’une pierre trois coups en attribuant les VIIIe Jeux olympiques à Paris et les IXe à Amsterdam, et en promettant de confier les Xe à Los Angeles qui s’est retrouvée seule candidate. En effet, après les Jeux d’Anvers en 1920, et par peur de la contagion bolchévique, Pierre de Coubertin et ses collègues préfèrent sécuriser l’avenir des Jeux en se donnant neuf années pour effectuer un nouveau choix. Ce choix de Los Angeles, confirmé lors de la session de Rome en avril 1923, joue sur les mêmes ressorts qu’en 1904 : arrimer le sport américain amateur à l’olympisme et aux FI qui ont leur siège en Europe. L’enjeu est bien de démontrer aux Américains qu’il existe un autre modèle de compétition et de haut niveau que celui des ligues sportives professionnelles (football américain, baseball, basket-ball, hockey sur glace) alors en pleine expansion outre-Atlantique.

    9Pour Coubertin et ses collègues, ne pas négliger le partenaire nord-américain c’est aussi éviter qu’un autre modèle sportif et compétitif ne s’impose à l’échelle mondiale : celui des YMCA. Déjà menaçantes au sortir de la Grande Guerre, ces organisations protestantes poursuivent leur stratégie de diffusion des sports typiquement américains à l’échelle de la planète. Surtout, elles multiplient les championnats internationaux en Europe même, en Amérique latine et en Extrême-Orient. Tout au long des années 1920 et 1930, la stratégie de Coubertin et de Baillet-Latour consistera à intégrer ces « Jeux régionaux » dans leur dynamique d’olympisation du monde : Jeux d’Extrême-Orient en 1913, sud-américains en 1922, d’Amérique centrale et des Caraïbes en 1926, balkaniques en 1931, d’Asie de l’Ouest en 1934, et bolivariens en 1938.

    Un gigantesque Colisée au service des médias, des entreprises et d’Hollywood

    10Rebaptisé en 2019 du nom de la compagnie aérienne United Airlines, le Memorial Coliseum est inauguré en 1923 pour accueillir avant tout les compétitions de football américain des Trojans de la célèbre University of South Carolina, d’où sa forme elliptique du type bowl. Ses financeurs et propriétaires sont l’État de Californie ainsi que le comté et la ville de Los Angeles. Il faut compter aussi avec la puissance financière des universités américaines et la place considérable qu’occupe le sport dans leur autopromotion auprès des bienfaiteurs et des familles qui ne connaissent pas la crise de 1929.

    11Le nom de Memorial Coliseum provient du fait qu’il est dédié aux vétérans du comté de Los Angeles ayant combattu durant la Première Guerre mondiale. Sa capacité de 75 000 places assises, portée dès 1927 à 105 000 places pour répondre à la croissance démographique de Los Angeles, drainera 1,25 million de spectateurs payants pour 1,5 million de dollars de droits d’entrée. La piste d’athlétisme a dû être raccourcie pour répondre à la norme olympique de 400 m, et une tribune officielle construite pour accueillir les dirigeants sportifs internationaux. Ce stade connaîtra une longue postérité puisqu’il accueillera la première finale du Super Bowl en 1967, les Jeux olympiques de 1984, ainsi que les cérémonies et les épreuves d’athlétisme olympiques en 2028. Malgré la Grande Crise, les organisateurs des Jeux de Los Angeles ont mobilisé les médias et les entreprises comme jamais auparavant.

    12Le département de la presse a accrédité 6 000 journaux étrangers, les journalistes ont passé 85 000 appels téléphoniques depuis le stade grâce à la mise à disposition de 350 lignes spécialement dédiées, et les performances de la journée sont projetées dès le soir même dans les théâtres de la ville. Toutefois, à cause du faible intérêt porté par les organisateurs au média radiophonique, du fait également des exigences financières de la National Broadcasting Corporation, les auditeurs devront se contenter de simples résumés. Hommes d’affaires, militaires de haut rang, et promoteurs touristiques se mêlent alors aux champions et aux artistes d’Hollywood : Charlie Chaplin qui vient de tourner Les Lumières de la ville, Gary Cooper qui est déjà une vedette internationale, Buster Keaton à la veille d’être renvoyé par la Metro-Golwyn-Mayer, sans oublier les facéties des Marx Brothers qui ont dû quitter les théâtres de Broadway en faillite. En présence du vice-président républicain Charles Curtis, la cérémonie, pour la première fois, est aussi un spectacle avec près de 3 000 chanteurs et musiciens.

    13Les entreprises américaines ont vite compris le potentiel commercial des olympiades à la suite de Kodak qui avait fourni en pellicules les photographes professionnels réunis à Paris en 1924, ou bien de Gillette qui avait offert des kits de rasage, et de Coca-Cola qui avait installé ses vendeurs ambulants dans les travées du stade d’Amsterdam en 1928. Un pas est cependant franchi à Los Angeles : un néon géant signalant le financement des Jeux par la Standard Oil, des bouteilles de Coca-Cola tendues aux spectateurs par 200 jeunes garçons en vestes et gants blancs, et des campagnes publicitaires pour les céréales Kellogg’s ou les binoculaires Weiss.

    14Le coût et la durée des trajets jusqu’en Californie – que l’on songe aux seize jours mis par la délégation française pour rallier Los Angeles depuis Le Havre – n’ont pas entraîné la désaffection des puissances sportives moyennes et fortes d’Europe, d’Asie ou d’Océanie. En dehors des États-Unis avec 474 athlètes, on ne compte toutefois que quatre pays qui dépassent les cent participants : Allemagne, Canada, Grande-Bretagne et Japon. Deux autres participent officiellement pour la première fois, d’ailleurs avec un seul compétiteur : un marathonien pour la Colombie qui finira par créer en 1936 le comité olympique de son pays dans le contexte du régime démocratique et libéral de López Pumarejo, et un coureur de 100 et 200 m pour la Chine du Kuomintang et de Tchang Kaï-chek qui dispose d’un membre au sein du CIO depuis 1922.

    Un programme sportif nettement américanisé

    15Alors que le programme olympique s’était stabilisé dans les années 1920, il est notablement affecté en 1932 par les spécificités de la culture sportive américaine. Celle-ci repose sur la quasi-absence de certains sports européens (football, cricket), l’écrasante popularité de pratiques autochtones organisées en ligues professionnelles fermées (baseball, basket-ball, football américain, hockey sur glace), le sens du spectacle (show) et le culte statistique de la performance. Aucun changement n’est à signaler en revanche, en aviron, boxe, cyclisme, équitation, escrime, haltérophilie, lutte (sauf l’arrivée de la catégorie des mi-moyens en gréco-romaine), natation.

    16Au pays des armes à feu, nul ne s’étonnera que les épreuves de tir retrouvent leur place dans le programme olympique en carabine position couchée, en pistolet tir rapide et en pistolet libre 50 m. De même, la tradition des grandes régates, inaugurée avec l’America’s Cup en 1851/1870, a permis l’apparition d’une nouvelle épreuve en voile dénommée Star aux côtés du Finn. En athlétisme, le programme est à peu près stabilisé en dehors du cas du marathon qui est remplacé par un 50 km, et de la disparition du 800 m féminin à peine compensé par un 80 m haies et par l’adjonction du javelot. En gymnastique masculine, on notera l’arrivée des exercices au sol ainsi que le retour des anneaux balançants et des massues. Quant à la suppression du concours général par équipes, qui était la seule épreuve de gymnastique féminine à Amsterdam en 1928, elle doit être mise en relation avec le rejet des pratiques compétitives pour les gymnastes femmes aux États-Unis, où c’est plutôt la grâce qui est recherchée au travers des exercices de maintien corporel.

    17Le football n’a jamais été absent des JO sauf en 1932. C’est assurément lié à la faible diffusion du « soccer » aux États-Unis qui est considéré comme un sport pour jeunes filles. Elle tient aux relations dégradées entre la FIFA et le CIO. Depuis 1921, ce dernier préconisait la suppression du football pour cause de professionnalisation des joueurs. En 1926, rappelant qu’il est de l’intérêt des JO que le football association, qui est le sport le plus pratiqué au monde, figure bien au programme, il s’était opposé à la compensation pour perte de salaire adoptée par la FIFA. Mais, comme l’équilibre budgétaire des Jeux d’Anvers se trouvait mis en péril du fait de la disparition du tournoi de football, le président belge Henri de Baillet-Latour avait fini par transiger.

    18Et, en 1929, il avait même trouvé un compromis avec la FIFA : les compensations ne seraient pas versées directement aux joueurs mais à leurs clubs. Mais, sous la pression de certaines fédérations européennes, de la fédération des États-Unis, et aussi de la British Oympic Association, il se ravise à la veille des Jeux de 1928 et maintiendra encore en 1930 le refus de toute forme de compensation. Le fossé se creuse alors d’autant plus entre les deux organisations que la FIFA avalise l’initiative uruguayenne d’organiser la première Coupe du monde à Montevideo en 1930 et accepte le passage au professionnalisme l’année suivante. À la veille des Jeux de Berlin, la situation s’éclaircira dans la mesure où, acceptant les professionnels à sa Coupe du monde, la FIFA peut durcir sa définition de l’amateurisme et la rapprocher de celle du CIO.

    Les apogées olympiques de l’Italie fasciste et de la France du président Lebrun

    19Les mauvais résultats des Finlandais (7e), des Britanniques (8e) et des Allemands (9e) suffisent à expliquer l’originalité de ce podium où les États-Unis (103 médailles dont 41 en or) sont suivis, mais de très loin, par l’Italie (36 dont 12 or), la France (19 dont 10 or), la Suède avec ses six médailles d’or en lutte, et le Japon avec ses 12 médailles en natation (5 en or) qui lui permettent de passer devant la délégation américaine dans ce sport.

    20Jamais les athlètes de l’oncle Sam n’ont autant écrasé la compétition en athlétisme avec les Afro-américains Edward Gordon à la longueur et Eddie Tolan sur 100 et 200 m qui multipliera par la suite les petits métiers, mais aussi avec Bill Carr sur 400 m qui finira sa carrière de directeur d’assurance au Japon, George Saling sur 110 m haies décédé dans un accident de circulation six mois plus tard, William Miller au saut à la perche, Leo Sexton au lancer du poids qui se recyclera lui aussi comme assureur, John Anderson au lancer du disque qui sera repéré par Hollywood pour sa beauté puis prendra la direction d’un bateau de pêche au saumon, James Bausch au décathlon qui deviendra courtier d’assurance, après une brève carrière de chanteur dans un night-club, sans oublier les équipes du 4 × 100 m et du 4 × 400 m. Pour le reste, les États-Unis brillent toujours en aviron, en boxe et particulièrement en lutte.

    21C’est alors l’apogée olympique de l’Italie fasciste qui rayonnera bientôt dans les championnats du monde de football (1934 et 1938) et de boxe (Primo Carnera chez les lourds en 1933), et dans le Tour de France cycliste (Gino Bartali en 1938, et avant lui Ottavio Bottecchia en 1924 et 1925). Le régime du Duce est le premier en Europe à entreprendre une politique sportive d’envergure qui puise son inspiration dans la culture de guerre des anciens combattants et qui repose sur l’encadrement des masses dès le plus jeune âge. L’activité physique de la jeunesse est prise en charge à l’école, sous la forme de cours de gymnastique obligatoire, et dès l’âge de 8 ans au sein de l’Opera Nazionale Balilla, qui est une sorte de scoutisme, et elle se poursuit à l’âge adulte par le biais du Dopolavoro, l’organisation du temps libre des travailleurs créée en 1925. Le contrôle étatique du mouvement sportif est effectif à compter de la promulgation en 1928 de la Charte du sport qui s’accompagne de la dissolution progressive des associations sportives socialistes et catholiques. L’aboutissement en sera la nomination en 1933 à la présidence du Comité olympique national italien (CONI) d’Achille Starace, qui est à la fois le secrétaire du Parti national fasciste et le chef des Jeunesses fascistes. Alors que Mussolini se présente comme « le premier sportif d’Italie », et qu’il impose au pays sa devise « Croire, obéir, combattre », l’État construit de nombreuses infrastructures sportives, toujours inaugurées le jour anniversaire de la marche sur Rome (28 octobre 1922), et célèbre ses champions comme représentatifs de « l’homme nouveau » italien en rupture avec l’image négative de l’Italien faible, maladif, pauvre et ignorant qui circule dans le pays et à l’étranger. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les champions italiens décrochent les médailles d’or dans les sports vantés par le régime : boxe, cyclisme, escrime, gymnastique, haltérophilie, lutte, tir.

    22Avec son troisième rang, la France connaît le meilleur résultat de toute son histoire olympique si on excepte les Jeux de 1896 et de 1900. La grande faiblesse de son athlétisme est patente avec une seule médaille de bronze remportée au lancer du disque par l’Alsacien Paul Winter qui est né sous l’occupation allemande. Mais elle est largement compensée par les trois victoires en haltérophilie de Raymond Suvigny de l’US Métro, qui mourra en 1945 à l’issue d’une longue captivité, de René Duverger des patronages catholiques de Paris, et de Louis Hostin, qui réitérera son exploit à Berlin, celle en lutte du Nordiste Charles Pacôme qui a pour autre talent d’être premier prix de violon du conservatoire de Rome, et celle en cyclisme dans l’épreuve du tandem. Les athlètes français issus de l’élite sociale ont contribué également à cette réussite avec deux médailles d’or en escrime et en dressage par équipes, et une autre en voile avec le skipper et fils d’entrepreneur Jacques Lebrun. Connu par ailleurs comme concepteur de bateaux, ce dernier participera, durant la Seconde Guerre mondiale, au sauvetage des collections du Louvre.

    Des championnes issues de milieux de plus en plus modestes

    23Alors que les États-Unis sont un des pays les plus avancés en Occident en matière de droit des femmes et de démocratisation sportive, du moins au sein des populations d’origine européenne, le programme sportif féminin ne connaît pas d’avancée notable à Los Angeles. Les 33 médailles qui sont distribuées aux 126 sportives engagées (sur un total de 1332 participants, soit deux fois moins qu’à Amsterdam) reviennent en proportion écrasante aux championnes américaines du fait aussi de l’éloignement de Los Angeles par rapport au continent européen.

    24En athlétisme, les vedettes des Jeux sont la Polonaise Stanislawa Walasiewick et la Texane d’origine norvégienne Mildred « Babe » Didrikson qui ont toutes deux battu des records du monde : pour la première sur 100 m en 11 secondes 9, pour la seconde sur 80 m haies en 11 secondes 7 et en hauteur avec 1,65 m ex æquo avec sa compatriote Jean Shiley. Arrivée aux États-Unis à l’âge de 3 mois, membre d’un club de Sokols de Cleveland, fille d’un ouvrier de la sidérurgie, greffière de profession, Walasiewick a fini par refuser la nationalité américaine, qui lui était accordée à ses 21 ans, afin de pouvoir figurer dans la délégation olympique polonaise. Depuis les nombreuses médailles qu’elle a remportées lors du rassemblement panslave de Poznan en 1929, elle est devenue, en effet, une championne particulièrement médiatisée et adulée en Pologne.

    25Quant à Didrikson, si elle n’a pas excellé dans les études, elle est en revanche une championne hors-norme capable de prouesses bien sûr en athlétisme, mais aussi en basket-ball au point d’être salariée par une compagnie d’assurances uniquement pour la représenter dans un championnat officiellement amateur, en baseball où elle est encore aujourd’hui reconnue comme la sportive ayant le lancer le plus rapide de l’histoire. Enfin, elle est surtout restée dans la mémoire sportive des Américains comme la première golfeuse à avoir défié en 1938 des hommes dans un tournoi majeur (avec six décennies d’avance sur ses futures imitatrices), et la plus grande championne de l’histoire du golf avec dix titres majeurs Ladies Professional Golf Association (LGPA) remportés après-guerre.

    26En natation, les Américaines écrasent la compétition en nage libre avec notamment les trois médailles d’or d’Helene Madison sur 100 m, 400 m et 4 × 100 m, et la victoire d’Eleanor Holm sur 100 m dos. Ayant battu seize records du monde avant sa participation aux Jeux, Madison a embrassé une courte carrière comme actrice à Hollywood. Considérée comme professionnelle, elle n’a pas été sélectionnée ensuite pour les Jeux de Berlin au point d’accumuler de menus emplois comme monitrice de natation ou assistante maternelle. De la même manière, Eleanor Holm raconte que, à peine sortie des bassins, les majors du cinéma lui ont offert de passer des castings. C’est finalement comme chanteuse de cabaret que cette fille de pompier va poursuivre sa carrière de nageuse jusqu’aux Jeux de Berlin 1936 où elle sera exclue de l’équipe américaine. Sur 200 m brasse, c’est l’Australienne Clare Dennis qui triomphe. Cette fille de policier, dont le voyage a été payé par les collègues de son père, deviendra, elle aussi, monitrice de natation avant d’ouvrir deux salons de coiffure. Aux places d’honneur figurent les Néerlandaises emmenées par Willy den Ouden, la fille d’un cafetier de Rotterdam qui a fini sa vie dans l’anonymat après que sa jeune carrière d’actrice a été interrompue par la guerre, ainsi que la Sud-Africaine Jenny Maakal, la Japonaise Hideko Maehata qui sera médaillée d’or à Berlin, et l’équipe britannique de relais 4 × 100 m.

    27La finale de fleuret féminin est restée célèbre dans les annales olympiques car Judy Guiness y a manifesté un remarquable fair-play. Fille d’un banquier et sénateur irlandais, plus tard mariée à un pilote automobile, elle a en effet refusé sa médaille d’or au bénéfice de la championne autrichienne Ellen Preiss à qui les juges avaient étonnamment oublié de compter deux touches victorieuses. Née à Berlin dans une famille juive, vivant à Vienne depuis ses 18 ans en 1930, Preiss aurait dû figurer dans l’équipe allemande mais sa fédération d’escrime a appliqué un règlement infamant qui exclut les Juifs. Elle sera néanmoins médaillée d’argent à Berlin en 1936 et de nouveau à Londres en 1948. Championne du monde en 1947, 1949 et 1950, elle participera encore à deux Jeux olympiques avant de devenir l’une des enseignantes de musique les plus réputées de la capitale autrichienne.

    Le parachèvement de l’olympisation du monde, Afrique colonisée mise à part

    28C’est sous la présidence de Baillet-Latour que le CIO parachève sa mondialisation. Déjà, son voyage en Amérique latine en 1922 lui avait permis d’identifier des candidats au CIO qui ne soient pas inféodés aux YMCA et qui lui seront fidèles le moment venu, et également de mesurer combien la création ou le patronage de Jeux régionaux est un excellent moyen de diffuser l’olympisme. Il annonce en 1923 le lancement de Jeux en Amérique centrale, programmés à Mexico en 1926, contribue en 1924 à la mise sur pied des Far Eastern Games à Manille en 1925, et regarde de près l’évolution des Indian Empire Games. Au cours des années 1930, il accomplit deux nouveaux voyages jusqu’au Japon et en Afrique du Sud.

    29Sa venue à Los Angeles en 1932 lui donne l’occasion de réaliser une seconde tournée de propagande en Asie Pacifique. Il s’attache alors la fidélité de sept nouveaux membres du CIO qu’il recrute au sein des plus hautes élites économiques et conservatrices, et progresse dans sa décision de confier les Jeux de 1940 à la ville de Tokyo qui sera entérinée lors des Jeux de Berlin. À l’occasion d’une mémorable session du CIO sur le Nil en mars 1938, financée entièrement par le roi Farouk, il avait pu mesurer la difficulté d’agir en Afrique qui est la chasse gardée des puissances coloniales. Mais, en juillet 1938, le conflit sino-japonais conduira le Japon à renoncer à sa candidature et le CIO à désigner deux mois plus tard Helsinki comme cité-hôte des jeux de 1940. Aussi Baillet-Latour entreprend-il un nouveau voyage en Afrique du Sud en janvier 1939 afin de renouer avec l’organisation japonaise et la participation sportive chinoise en s’appuyant sur le membre local du CIO Henry Nourse.

    30Le recrutement de nouveaux membres en dehors de l’Europe et la participation croissante d’athlètes venus d’Amérique latine, du Moyen-Orient et de l’Asie Pacifique au cours des années 1930 symbolisent le parachèvement du projet de Coubertin de diffuser l’olympisme aux quatre coins du monde. Dans les discours qu’il prononce depuis la fin des Jeux de Berlin, Baillet-Latour met systématiquement en avant « la victoire de l’idée olympique et son rayonnement sur tout l’univers » et évoque même « une mystique et une force que rien ne peut arrêter désormais ». La photographie officielle où il se penche sur une mappemonde en compagnie de Sigfrid Edström et d’Avery Brundage témoigne d’une ambition et d’une prétention que l’on retrouve chez les dirigeants de la FIFA avec une pose similaire. C’est ce type de cliché que Charlie Chaplin tournera en ridicule dans Le Dictateur en 1940 pour dénoncer les menaces qu’Hitler fait peser sur le monde.

    Une commission exécutive qui glisse du côté de l’Axe Rome-Berlin

    31Pour le recrutement stratégique des membres de la CE, Baillet-Latour prend conseil auprès de Blonay et d’Edström et opère ses premiers recrutements dans les démocraties occidentales (Royaume-Uni, États-Unis et Allemagne de Weimar). Mais, à compter de 1935, dans le contexte du mouvement de boycott des Jeux de Berlin, ses choix font nettement pencher la balance du côté des puissances de l’Axe.

    32Entre 1924 et 1927, il promeut le général britannique Kentish à la place de Guth-Jarkovsky démissionnaire, puis le diplomate américain Charles Sherrill qu’il préfère au comte Alberto Bonacossa qui possède la Gazetta dello Sport, enfin le conseiller d’État et sportsman allemand Theodore Lewald. Le général Kentish, qui avait proposé en 1929 le rétablissement des relations du CIO avec l’URSS et réclamé un alignement sur la conception anglaise de l’amateurisme, est finalement écarté en mai 1933 au prétexte qu’il n’a pas payé ses cotisations et il est remplacé par Clarence Bruce Lord Aberdare qui jouera un rôle clé dans la décision britannique de se rendre aux Jeux de Berlin.

    33Sherrill n’est pas reconduit dans ses fonctions en 1935, probablement à cause de son incapacité à enrayer l’opposition américaine aux Jeux, ce qui permet l’arrivée du comte Bonacossa qui est le dirigeant sportif le plus puissant d’Italie. Le décès de Blonay en février 1937 conduit Baillet-Latour à nommer Edström vice-président et à attribuer sa place au sein de la CE à Avery Brundage six mois seulement après sa cooptation en récompense du rôle déterminant qu’il a joué dans l’échec du boycott des Jeux par les Américains. Enfin, lorsque Lewald est poussé à la démission sur une intervention du Dr Lammers, le secrétaire d’État à la chancellerie du Reich, Baillet-Latour refuse de le remplacer par Hans von Tschammer und Osten, le ministre des sports d’Hitler (Reichssportführer), comme le lui suggèrent les autorités allemandes. Pour autant, il n’imagine pas prendre un candidat issu des pays démocratiques. Il jette alors son dévolu sur l’ancien SA Karl Ritter von Halt dont la carrière lui semble moins ouvertement politique que Tschammer : responsable de l’organisation des Jeux de Berlin, il est aussi le président des FI de handball et d’athlétisme.

    34Le nom de Baillet-Latour restera attaché au maintien des Jeux olympiques à Berlin en 1936, malgré les demandes pressantes de transfert dans une autre capitale et les nombreux appels au boycott de part et d’autre de l’Atlantique. Contrairement à son successeur, l’industriel suédois Sigfrid Edström, il s’est opposé à Hitler, qui l’a toutefois dupé, sur la question de la participation des athlètes juifs allemands aux Jeux et sur le protocole olympique durant la cérémonie d’ouverture. Pour autant, on ne saurait en faire un démocrate. Farouchement antisémite et antibolchévique, n’imaginant pas que les ouvriers puissent imposer leurs voix aux puissants, Baillet-Latour est un conservateur catholique fasciné par les régimes d’ordre et opposé au parlementarisme, qu’il assimile à de l’instabilité politique. Néanmoins, il ne semble pas avoir rejoint le mouvement rexiste du nationaliste et collaborateur belge Léon Degrelle.

    Bibliographie

    Kassens Noor Eva, Los Angeles and the Summer Olympic Games. Planning Legacies, New York, Springer International Publishing, 2020.

    Siegel Barry, Dreamers and Schemers. How an Improbable Bid for the 1932 Olympics Transformed Los Angeles from Dusty Outpost to Global Metropolis, Berkeley, University of California Press, 2020.

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