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  • Chapitre VII. Paris 1924
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    Presses universitaires de Rennes
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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Le choix de Paris imposé à Coubertin par le Quai d’Orsay Commerce, tourisme et innovations technologiques Le stade de Colombes sans l’Allemagne ni la Russie bolchévique Une cérémonie d’ouverture à la gloire de la prééminence française Le triomphe des athlètes britanniques, américains et finlandais Le phénomène Johnny Weissmuller face aux nageurs du Pacifique Rugbymen états-uniens et footballeurs uruguayens Les vedettes de la force : cyclistes et gymnastes, lutteurs et boxeurs Les champions issus des classes de loisir Des championnes médiatisées et réduites à leur apparence corporelle Les derniers feux du règne français sur le sport international Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre VII. Paris 1924

    La mondialisation olympique au service de la diplomatie française

    p. 93-102

    Texte intégral Le choix de Paris imposé à Coubertin par le Quai d’Orsay Commerce, tourisme et innovations technologiques Le stade de Colombes sans l’Allemagne ni la Russie bolchévique Une cérémonie d’ouverture à la gloire de la prééminence française Le triomphe des athlètes britanniques, américains et finlandais Le phénomène Johnny Weissmuller face aux nageurs du Pacifique Rugbymen états-uniens et footballeurs uruguayens Les vedettes de la force : cyclistes et gymnastes, lutteurs et boxeurs Les champions issus des classes de loisir Des championnes médiatisées et réduites à leur apparence corporelle Les derniers feux du règne français sur le sport international Bibliographie

    Texte intégral

    1Dans les années 1920, baptisées un peu trop facilement « Années folles », Paris fait figure de capitale mondiale des artistes et des intellectuels. Avec l’accueil des VIIIe Jeux olympiques en 1924, on pourrait considérer qu’elle est aussi devenue la capitale mondiale du sport. La vérité historique se situe, en fait, à mi-chemin. De fait, l’ombre de la Grande Guerre plane encore sur la France. Certes, le pays semble dominer la nouvelle Europe et la SDN, mais son économie se redresse à peine et sa démographie est durablement affectée par les millions de morts, de blessés et de traumatisés, et par le phénomène des classes creuses. En outre, ce sont les États-Unis qui occupent le premier rang sportif des nations du fait des résultats de leurs athlètes, de la qualité de leurs infrastructures pour l’entraînement et le spectacle du sport, de l’avance de leurs chercheurs en physiologie de l’exercice, mais du fait aussi de la puissance de leur presse et de la spécialisation de leur économie.

    2Pour autant, les sièges de la plupart des FI se situent à Paris et la majorité d’entre elles sont présidées par des dirigeants français. De plus, la France a accueilli en 1919 les Jeux interalliés, en 1922 les premiers Jeux olympiques féminins sous l’impulsion d’Alice Milliat, et en 1923 les premiers Jeux mondiaux universitaires voulus par Jean Petitjean, mais à chaque fois contre la volonté du CIO. C’est aussi en France, à Chamonix, qu’est organisée au début de l’année 1924 une « semaine internationale des sports d’hiver », reconnue un an plus tard par le CIO comme les premiers Jeux olympiques d’hiver. De fait, comme en 1900, les Jeux parisiens de l’été 1924 ont vocation à servir le rayonnement de la France dans le monde.

    Le choix de Paris imposé à Coubertin par le Quai d’Orsay

    3Or, il n’était pas écrit d’avance que les Jeux se déroulent à Paris car les candidatures de qualité affluent : Rome n’avait pu accueillir ceux de 1908, Lyon avait cédé sa place à Anvers pour 1920, Prague les espérait depuis le début du siècle, tout comme Barcelone, Amsterdam et Los Angeles. Les autorités politiques et sportives françaises mettent alors la pression sur Pierre de Coubertin qui est, au même moment, bousculé par ses propres collègues qui ne supportent plus ses manières autocratiques, et lui imposent en juin 1921 une Commission exécutive pour contrôler ses faits et gestes. La préférence de ces derniers va d’ailleurs à Amsterdam et à Los Angeles. Coubertin doit aussi subir la fronde des présidents des FI qui contestent le monopole de fait du CIO sur les compétitions mondiales et lui reprochent un déficit démocratique dans son recrutement et dans son fonctionnement au moment où les derniers régimes autocratiques s’effondrent en Europe.

    4Aussi, à l’issue du congrès olympique de Lausanne de juin 1921, les FI donnent suite à l’appel du Français Paul Rousseau, qui est à la tête de l’UCI, pour se regrouper en un syndicat de défense : le Bureau permanent des fédérations internationales sportives. Appelé à une longue histoire, ce dernier prendra successivement les noms d’Assemblée générale des FIS (AGFIS) en 1967, de SportAccord de 2008 à 2017, enfin d’Association globale des FIS jusqu’à son autodissolution en 2022. En parallèle, quelques-uns des présidents français de ces FI appuient la campagne des autorités françaises pour obtenir les Jeux et en attendent en retour un soutien pour abattre le CIO.

    5De fait, la France, mais aussi l’Autriche ou les pays scandinaves envisagent à plusieurs reprises de constituer un Bureau international des sports auprès de la SDN, sur le modèle de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui entraînerait de facto la disparition du CIO. C’est pourquoi Coubertin entreprendra en 1922 une campagne de séduction auprès du directeur du BIT Albert Thomas qui voit en lui « un homme très aimable qui a toujours en tête une quantité de projets, dont aucun n’aboutit. » La promotion par Coubertin des « universités populaires » et des « loisirs sportifs ouvriers » vise alors à utiliser les cours du soir et les clubs comme des outils de moralisation des ouvriers dans le but d’éloigner le spectre du socialisme.

    6De leur côté, le gouvernement et la diplomatie françaises réclament que les Jeux de 1924 soient confiés à Paris afin de consacrer dans le stade olympique le triomphe militaire et moral de la France. Le pays de Coubertin est d’ailleurs le premier au monde à avoir créé, en janvier 1920, un organe au sein du ministère des Affaires étrangères entièrement dédié à l’influence sportive : le bureau « Tourisme et sport » du Service des œuvres françaises à l’étranger (SOFE). Depuis 1920, ce SOFE subventionne les déplacements des athlètes français et obtient même de certains d’entre eux, comme les joueurs de l’équipe de France de coupe Davis, qu’ils rédigent des rapports sur l’état de l’opinion publique ou de l’économie des pays qu’ils visitent. Sous la double pression de son gouvernement, des FI, et de ses collègues, Pierre de Coubertin finit par choisir une sortie avec les honneurs plutôt qu’un désaveu public : son retrait du CIO à l’issue du congrès olympique de Prague de 1925 contre l’attribution des VIIIe Jeux à Paris et le titre de « président d’honneur des Jeux olympiques ».

    Commerce, tourisme et innovations technologiques

    7Une « commission de propagande » est mise sur pied pour faire connaître l’événement dans le monde entier et susciter un tourisme olympique plus populaire. Mais il est difficile d’estimer le nombre de visiteurs étrangers parmi les 600 000 spectateurs qui ont acheté un billet.

    8Au « Paris Building » de la rue de Grammont, les 155 collaborateurs du Comité d’organisation ont géré près de 50 000 lettres reçues ou expédiées. Ils ont aussi rédigé plus de 6 000 communiqués de presse pour les 515 journalistes étrangers accrédités, et 1 600 pour leurs 170 confrères français. Ils ont mis à leur disposition les 4 000 clichés du service photographique officiel. Les directs radiophoniques rediffusés depuis la tour Eiffel constituent une première olympique. On imprime 250 000 programmes dont 95 000 en anglais et 55 000 en espagnol, 1,6 million d’étiquettes à bagages, 25 millions de vignettes pour boîtes de cigarettes, 153 millions de timbres-poste spéciaux. Plus de 3 000 projections sont assurées dans les théâtres de Paris. Sur les 20 000 affiches de Jean Droit et d’Orsi, 12 000 sont expédiées à l’étranger et 8 000 sont apposées dans Paris par les agences de théâtre et de voyage.

    9Les Jeux représentent une aubaine pour les commerçants qui n’hésitent pas à enregistrer leurs produits comme des marques olympiques. Autour du stade de Colombes, surgissent des bars, des dancings et des baraques foraines. Les camelots y vendent des calicots, des coussins et même des « casse-croûte olympiques ». Pour assurer la tranquillité publique, on a multiplié les axes et modalités de transport : « halte ferroviaire olympique », doublement des voies de tramways, services spéciaux d’autobus et de bateaux, couloir pour cyclistes (qui fut négligé), sens uniques et parkings, forces de police dans le stade et à ses abords (350 à 450 gardiens de la Paix, des gradés et commissaires).

    10La construction du premier village de l’histoire olympique à Colombes par une société commerciale constitue une nouveauté. Composé de bungalows démontables, ce village comprend des chambres meublées à trois lits, un bureau de change, un service de blanchissage, un salon de coiffure, un kiosque à journaux, un restaurant, un bureau de poste. Aux menus proposés aux athlètes, plutôt fortement protéinés, ne manquent ni le vin ni la bière : la croyance voulait encore que la viande et l’alcool donnent de la force. Les athlètes et officiels américains ont choisi, quant à eux, de prendre leurs quartiers dans les installations plus confortables du château de Rocquencourt dont le parc facilita leurs entraînements.

    Le stade de Colombes sans l’Allemagne ni la Russie bolchévique

    11Les dirigeants du sport français ont rêvé d’un grand stade de 100 000 places. Mais, en pleine crise du logement, la mairie de Paris et le Parlement ne parviennent pas à s’accorder sur le financement d’un tel projet. Bien des parlementaires sont réticents à voter un crédit de 20 millions de francs, tels le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard qui dénonce « le développement exagéré des sports dans l’éducation française » ou bien Gaston Japy qui considère que « ce ne sont pas des fêtes de gymnastique qui montreront la grandeur de la France ».

    12C’est le Racing Club de France qui débloque la situation en passant un accord en 1922 avec le Comité national des sports (CNS). Contre 50 % des recettes garanties par le CNS et par l’État, et une subvention municipale d’un million de francs, ce club huppé s’engage à transformer sa piste d’athlétisme en un stade tout à fait original de 60 000 places. Par économie, l’architecte et racingman Louis Faure-Dujarric recourt au béton armé, élimine tout élément ornemental, et joue sur les couleurs. La simplicité apparente du ciment masque le luxe des installations réalisées sous les gradins de Colombes : eau chaude, éclairage électrique, chauffage des locaux, vestiaires pouvant accueillir jusqu’à 1 200 athlètes, piste d’entraînement aménagée sous la tribune Marathon, salles de presse.

    13Les deux tribunes dites d’honneur et de Marathon étaient prévues pour accueillir chacune 10 000 spectateurs assis, et les virages 2 × 20 000 places debout. Les 32 escaliers permettent de vider le stade en moins de quinze minutes. Avec ses vingt lignes téléphoniques, le standard du stade est connecté au central parisien des Postes. Le recours inédit à des micros et à des haut-parleurs, ainsi que le tableau d’affichage de 35 m de largeur sur 15 m de hauteur, permettent au public du stade de mieux suivre les épreuves, y compris celle du marathon grâce au personnel du ministère de la Guerre réparti entre des postes fixes de téléphonie sans fil et une automobile.

    14De toutes les nations vaincues en 1918, il ne manque plus dans le stade que l’Allemagne et la Russie bolchévique, sur la décision d’ailleurs du gouvernement français qui est intervenu auprès du CIO. Pour le reste, le mouvement olympique continue de s’étendre en Amérique latine et en Asie avec les arrivées de l’Équateur, de l’Uruguay et des Philippines. La nouvelle carte de l’Europe se reflète dans les Jeux avec la première participation de l’Irlande et des nouveaux États apparus à l’Est comme la Lituanie, la Lettonie et la Pologne. La Chine, qui aurait dû faire sa première apparition avec quatre joueurs de tennis, a finalement déclaré forfait, de même que le Portugal et la Yougoslavie. La mondialisation olympique reste encore toute relative puisque les 2 363 athlètes provenant d’Europe représentent plus des trois quarts des inscrits, dont 401 Français, 267 Britanniques, 200 Italiens, 172 Belges, 153 Néerlandais, 129 Espagnols et 108 Suédois. Pour le reste on en compte 530 provenant des Amériques (dont 299 États-Uniens, 77 Argentins et 65 Canadiens), 63 de l’Afrique du Sud et de l’Égypte, 48 des Philippines, de la Turquie et du Japon, et 41 de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.

    Une cérémonie d’ouverture à la gloire de la prééminence française

    15Le samedi 5 juillet 1924, après des offices religieux et la réception du CIO à l’Élysée, le président de la République est accueilli dans le stade de Colombes par des fanfares et des chorales. Les délégations les plus applaudies par les 25 000 spectateurs sont celles de la France, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout de la Belgique elle aussi occupée et détruite par les armées ennemies. Des avions survolent l’arène de Colombes pour bien rappeler la prééminence française dans ce domaine industriel et leur rôle dans la victoire.

    16La préparation olympique fait d’ailleurs débat à la Chambre des députés. Élu des Basses-Pyrénées, animateur du lobby sportif « national », Jean Ybarnégaray interpelle Gaston Vidal le 8 mars 1922 : « Nous voulons voir, contrairement à ce qui s’est passé à Anvers, monter au mât du stade le drapeau français. Or, il faut au moins deux ans pour amener un athlète à sa forme parfaite en vue d’une compétition aussi sérieuse que celle du stade olympique. » Le sous-secrétaire d’État à l’enseignement technique, qui est aussi le principal dirigeant de la moribonde fédération amateure des sports français (USFSA), lui répond que les olympiades parisiennes devraient être « l’éclatante apothéose de la France victorieuse, calme et belle dans la paix comme elle fut fière et héroïque dans la guerre ». Mais, les fédérations sportives concèdent en janvier 1923 que la préparation olympique n’a pas commencé « faute de recevoir des crédits ».

    17Tout juste élu en juin 1924, Gaston Doumergue deviendra le président de la IIIe République le plus engagé sur les questions sportives et le plus généreux en matière de légion d’honneur pour les dirigeants du sport français. Dans la tribune d’honneur, il est entouré de l’ensemble du corps diplomatique et d’invités de marque qui dessinent le système d’alliance de la France même s’ils ne sont pas encore ou plus des chefs d’État. Il s’agit du prince de Galles qui abdiquera en 1936 sous le nom royal d’Édouard VIII, du prince Carol de Roumanie qui deviendra roi en 1930, de la princesse Hélène de Serbie qui est la fille du dernier roi Pierre Ier et qui a trouvé refuge à Paris après l’exécution de son mari le prince de Russie Ioann Constantinovitch par les Bolchéviques, du prince de Suède qui deviendra roi en 1950 sous le nom de Gustave VI, du Shah de Perse Ahmad Chah Qadjar qui a été dépouillé de ses pouvoirs en 1921 par un coup d’État militaire, et du ras Tafari Makonen alors prince héritier d’Éthiopie.

    18Depuis 1920, le protocole a encore gagné en précision et minutie à l’instigation de Pierre de Coubertin, et le défilé des milliers d’athlètes a été préparé sur la piste d’athlétisme d’entraînement, qui se trouve à l’extérieur du stade olympique. Les membres du CIO et du comité olympique français les rejoignent sur le stade et forment un demi-cercle devant le chef de l’État qui « proclame l’ouverture des Jeux olympiques de Paris célébrant la huitième olympiade de l’ère moderne. » Bientôt s’avance l’athlète français Géo André qui, la main gauche sur le drapeau français, prête le serment pour les 4 000 athlètes qui lèvent le bras droit pour marquer qu’ils se tiennent pour liés par les paroles prononcées.

    Le triomphe des athlètes britanniques, américains et finlandais

    19Devant un total de plus de 120 000 spectateurs, la semaine d’athlétisme du 6 au 13 juillet 1924 consacre les États-Unis (12 médailles d’or, 10 d’argent et 10 de bronze) devant la Finlande (10, 5 et 2), la Grande-Bretagne (3, 3 et 5), la Suède (3 argent et 2 bronze) et la France (3 bronze). La première journée est marquée par trois victoires britanniques : Harold Abrahams sur 100 m, Eric Liddell sur 400 m et Douglas Lowe sur 800 m. Juif d’origine lithuanienne, diplômé de Cambridge, Abrahams est le premier Européen vainqueur dans l’épreuve reine. Quant à Liddell, sa foi protestante lui interdit de participer aux qualifications du 100 m programmées un dimanche. Sa rivalité avec Abrahams sera illustrée en 1981 par le film Les chariots de feu du réalisateur britannique Hugh Hudson.

    20Aux Américains reviennent donc les victoires sur 200 m, 110 et 400 m haies, relais 4 × 100 m et 4 × 400 m, sauts en hauteur, en longueur et à la perche, lancers du poids, du disque et du marteau, et décathlon. Peu avant son départ pour l’Europe, William DeHart Hubbard écrit à sa mère : « Dis à Papa que je ferai de mon mieux pour être le premier champion olympique de couleur. » Ce fut chose faite avec 7,44 m à la longueur.

    21Entre Anvers 1920 et Berlin 1936, les « Finlandais volants » remportent 45 médailles olympiques dont 21 en or, essentiellement en fond et demi-fond. Ces succès s’expliquent par la perfection des méthodes d’entraînement (deux à trois séances par jour) et par un mode de vie ascétique. La grande vedette du moment est le métronome Paavo Nurmi qui maîtrise « la science du train » en courant chronomètre en main ou montre au poignet. En six jours et sept courses, il ajoute 5 médailles d’or (1 500 m, 5 000 m, cross-country, ainsi que le 3 000 m et le cross-country par équipes) aux 3 déjà obtenues à Anvers en 1920. Émigré aux États-Unis comme menuisier, ayant découvert l’athlétisme à 23 ans seulement, Ville Ritola est sur ses talons avec 4 médailles d’or, dont le 10 000 m et le 3 000 m steeple, et 2 médailles d’argent. Mais il faut compter aussi avec la victoire d’Albin Stenroos au marathon et, comme à Anvers, les victoires de Joonas Myyrä au javelot et de Eero Lehtonen au pentathlon.

    Le phénomène Johnny Weissmuller face aux nageurs du Pacifique

    22En natation comme en plongeon, et en l’absence des Allemands, les Américains impressionnent les 50 000 spectateurs qui se pressent au stade nautique des Tourelles, aujourd’hui la piscine Georges Vallerey. Construit porte des Lilas, c’est l’autre équipement majeur des Jeux de 1924 et la première piscine de 50 m de l’histoire olympique. Agrémentée d’un impressionnant plongeoir, pourvue de 7 000 places assises, imaginée pour offrir un grand spectacle, elle aura coûté très cher au contribuable. Semblable à une forteresse de béton, elle innove aussi avec ses six larges lignes d’eau tracées au fond que séparent en surface des bouchons rouges reliés par une corde.

    23Avec ses 86 kg pour 1,90 m, Johnny Weissmuller arrive à Paris tout auréolé de son titre de premier nageur chronométré au-dessous de la minute sur 100 m. Coaché par « Big Bill » Bachrach de l’Illinois Athletic Club, il s’impose en nageant le crawl buste redressé, et en effectuant des « virages plongeants » au lieu de virer en surface. Apatride, né dans la partie roumaine de l’Autriche-Hongrie, il ne porte pas le maillot des États-Unis mais celui de son club, sauf dans les épreuves de relais. Il se rendra bientôt et surtout célèbre en incarnant Tarzan au cinéma. Il détrône un champion tout aussi hors normes, Duke Kahanamoku, médaillé d’or à Stokholm en 1912 et à Anvers en 1920. Hormis le cas des Suédois Arne et Ake Borg, c’est tout le Pacifique qui est à l’honneur : les Australiens Andrew et Boy Charlton, les nageurs hawaïens avec leurs trois médailles, et les Japonais avec quatre places d’honneur. Les poloïstes de Tourcoing sauvent l’honneur de la France avec une médaille d’or acquise contre les Belges à force de culture physique, de spécialisation, et de répétitions tactiques.

    Rugbymen états-uniens et footballeurs uruguayens

    24Dans les deux sports britanniques par excellence que sont le football et le rugby, ce sont les équipes de l’Uruguay et des États-Unis qui triomphent. Gardiens des règles du jeu à XV (International Rugby Board, 1886), les Britanniques multiplient les matchs avec les Australiens, les Néo-Zélandais et les Sud-Africains pour détourner les équipes australes de se rendre à Paris. Le tournoi olympique se déroule donc entre les trois équipes de France, de Roumanie et des États-Unis. Peu expérimentés mais très athlétiques avec leur 1,85 m et 90 kg en moyenne contre 1,75 m et 75 kg pour les Français, passés par Londres pour bénéficier des conseils des coachs britanniques, les étudiants de Berkeley, Santa Clara et Stanford écrasent en finale l’équipe au coq par 17 à 3. Ne comprenant pas la sortie sur blessure de trois joueurs français et n’acceptant pas cette défaite incontestable, les spectateurs parisiens expriment un virulent antiaméricanisme dans le stade et hors du stade.

    25En matière de football (soccer), les Britanniques et les Autrichiens ne sont pas conviés à Paris car leurs joueurs sont réputés professionnels. L’Égypte, la Turquie, les États-Unis, l’Uruguay et 18 pays européens s’affrontent lors de matchs à élimination directe. Comme jamais en France, le public remplit les stades de Paris à Saint-Ouen (1909, 10 000 places), Bergeyre aux Buttes-Chaumont (1918, 15 000 places), et Pershing à Vincennes (1919, 10 000 places). Jouées à Colombes, les demi-finales Suisse-Suède et Pays-Bas-Uruguay et la finale enregistrent des records de recettes. Cachant son jeu au début du tournoi, combinant passes rapides et feintes individuelles, la « Celeste » d’Uruguay surclasse tous ses adversaires : Yougoslavie 3-0, États-Unis 7-0, France 5-1, Pays-Bas 2-1, et Suisse 3-0. Grâce à ses interceptions, ses passes et ses dribbles, le demi-droit José Leandre Andrade est incontestablement la vedette des Jeux de Paris. Les spectateurs et experts posent sur ce descendant d’esclaves africains un regard à la fois admiratif et raciste.

    Les vedettes de la force : cyclistes et gymnastes, lutteurs et boxeurs

    26Dans les sociétés populaires et patriarcales des années 1920, la force reste la plus belle expression de la virilité. Les cyclistes sont les plus fameux des champions de l’après-guerre en France, mais aussi en Belgique et aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Italie. Des amateurs remarquablement entraînés s’affrontent dans de nombreuses épreuves sur piste (vitesse individuelle, poursuite par équipes, 50 km, et tandem jusqu’en 1972) et sur route (course par équipes et contre-la-montre individuel). En 1924, les Français remportent quatre médailles d’or et deux d’argent, les Hollandais une médaille de chaque couleur, et les Belges deux d’argent et une de bronze.

    27L’haltérophilie et la lutte ne font plus guère recette avec 300 spectateurs en moyenne par jour au Vélodrome d’Hiver. En poids et haltères, les Italiens triomphent des Français et des Autrichiens. Oubliant l’Italien Tonani vainqueur chez les poids-lourds, la presse française promeut le mi-lourd Charles Rigoulot comme « l’homme le plus fort du monde ». Fils d’un boucher du Vésinet, mesurant 1,72 m pour 81,6 kg, il présente un tour de poitrine de 1,20 m et des biceps de 41 cm de circonférence, et soulève 87,5 kg à l’arraché du bras droit. Si les Finlandais dominent les Suédois et les Estoniens en gréco-romaine, ils doivent reconnaître la supériorité des Américains et des Suisses en lutte libre. Henri Deglane l’emporte chez les lourds en gréco-romaine, une discipline inventée par les dirigeants français de la lutte amateur qui interdit les prises au-dessous de la ceinture jugées trop vulgaires. En boxe, avec 2 000 spectateurs en moyenne, les amateurs sont très loin d’attirer les foules des combats entre boxeurs professionnels. Les États-Unis triomphent dans les catégories les plus légères tandis que les Britanniques, les Danois et les Argentins dominent chez les mi-lourds et les lourds.

    28La gymnastique est une autre de ces cultures de la force qui ne fait plus guère recette. En l’absence des maîtres allemands, les Tchécoslovaques, les Suisses qui excellent aux arçons, et les Yougoslaves constituent le podium du classement général devant la France, l’Italie et les États-Unis. Leon Stukelj l’emporte à la barre fixe et au concours général individuel pour le compte du « Royaume des Serbes, Croates et Slovènes ». La force italienne s’impose aux anneaux grâce à la si christique « croix de fer ».

    Les champions issus des classes de loisir

    29Les concours équestres, le polo et le pentathlon moderne inventé par Pierre de Coubertin (course à pied, à cheval, natation, épée, tir), l’escrime, le tennis et le golf, l’aviron et le yachting sont par excellence les sports de la classe de loisir occidentale et cosmopolite qui peuple les croisières, les casinos et les grands hôtels des stations balnéaires et d’altitude. La plupart des champions des JO de 1924 sont effectivement des Highlifers. Le concours de polo se déroule dans le très select Polo Club de Bagatelle et voit le triomphe de l’équipe argentine. Les Norvégiens, eux, triomphent en dériveurs monotypes et en bateaux de 6 et 8 m, à peine contestés par les yachtmen belges et hollandais. Avec une moyenne d’âge supérieure à la quarantaine et un total de 376 spectateurs, les concours de tir aux pigeons se déroulent à Issy-les-Moulineaux et ceux au cerf courant à Versailles. Y brillent les Norvégiens, les Hongrois et les Américains.

    30Davantage commentée dans la presse, l’escrime est un enjeu de prestige national entre les trois grandes écoles, hongroise, italienne et française. À deux reprises, en fleuret par équipes et en sabre individuel, les escrimeurs italiens se retirent de la compétition, qui plus est en chantant un hymne fasciste. Ces incidents diplomatiques s’expliquent par les susceptibilités des compétiteurs et la difficulté à juger les touches. Ils font aussi peser des doutes sur l’excellence française représentée par le champion « hors classe » Lucien Gaudin, qui déclare forfait, et par Roger Ducret. En tout cas, si la France s’intercale entre les États-Unis et la Finlande au total des médailles, elle le doit avant tout à ses escrimeurs.

    31En aviron, les maîtres anglais doivent leurs principaux succès au fils d’un immigrant polonais, Jack Beresford, mais ils sont devancés par les Américains et les Suisses au total des médailles. Moins confidentiel, le tournoi de tennis est logiquement dominé par les Américains qui remportent toutes les médailles d’or. Le héros des courts est l’exceptionnel volleyeur Vincent Richards, alors étudiant en journalisme à Columbia. Il sera en 1927 le premier joueur de ce niveau à passer professionnel et deviendra bien plus tard vice-président de la société Dunlop. Selon la presse française, les places d’honneur des Cochet, Borotra, Brugnon et Lacoste, les futurs « Mousquetaires », s’expliqueraient par l’utilisation des balles américaines Spalding.

    Des championnes médiatisées et réduites à leur apparence corporelle

    32Avec 135 sportives sur près de 3 100 concurrents inscrits, le doublement du nombre de compétitrices par rapport à Anvers reflète les nouvelles libertés, certes encore fragiles, gagnées durant le premier conflit mondial. S’ils n’hésitent plus à parler d’escrimeuses ou de joueuses de tennis, écrivains et journalistes ont en revanche bien des difficultés à recourir au terme de « championne ». D’ailleurs, ils focalisent sur l’esthétique des sportives et peinent à reconnaître leurs mérites sportifs.

    33Si le tir et le yachting proposent des épreuves théoriquement mixtes, on ne compte qu’une seule participante pour ces deux sports : la Suissesse Ella Maillart en monotype individuel. Fille d’un riche fourreur genevois et d’une sportive danoise, elle pratique très jeune la voile et le ski avec une amie descendant du savant Ferdinand de Saussure qui est considéré comme le fondateur de l’alpinisme moderne. Championne de ski, elle deviendra une célèbre aventurière dans les années 1930 à la suite de ses expéditions solitaires dans le Caucase, en Mandchourie et en Inde, et de la publication de best-sellers. Vêtues de robes car le port de la culotte d’escrime est interdit aux femmes, les escrimeuses danoises obtiennent les 1re, 3e et 5e places, seulement concurrencées par les Anglaises aux 2e et 4e rangs. Mariée à un médecin vice-champion olympique d’épée en 1912, la Danoise Ellen Osiier triomphe de l’Anglaise Gladys Davis et de sa compatriote Grete Heckscher dans l’épreuve inédite du fleuret féminin.

    34En tennis, l’absence de Suzanne Lenglen, qui déclare forfait en alléguant une maladie de foie, profite à la Californienne Helen Wills. À 19 ans, sa dangereuse rivale affirme toute sa classe en finale contre la Franco-Grecque Penelope « Julie » Vlasto. De deux ans sa cadette, cette dernière est la fille d’un riche homme d’affaires et futur bienfaiteur du Musée national d’Athènes. Fille de chirurgien, Wills a découvert le tennis à l’âge de 8 ans et s’entraîne très tôt avec des hommes de haut niveau. Étudiante en arts à Berkeley, adepte de la jupe plissée jusqu’aux genoux et de la casquette à visière dont elle lance la mode, elle est dotée d’un puissant service, d’une volée croisée et d’un coup droit lifté qui font facilement la différence par rapport à sa challengeuse qui sert parfois sa 2e balle « par en dessous ». Au cours de sa carrière, elle remportera 31 titres du Grand Chelem dont 19 en simple et devient la première Américaine à connaître une célébrité mondiale.

    35Du point de vue de l’origine sociale des championnes, la natation est toujours bien plus démocratisée. Avec 10 médailles sur 15 et 6 titres sur 7, les nageuses américaines accomplissent d’authentiques prouesses. Elles dépassent de loin leurs concurrentes britanniques (4 podiums) et suédoises (1). De même, en plongeon haut vol et tremplin, elles raflent 5 médailles sur 6. Aux yeux de la presse, elles incarnent la Ginger girl, cette femme moderne américaine, svelte et libérée. De fait, par leur coupe de cheveu et par leur silhouette en S, elles ressemblent aux garçonnes européennes des années 1920. Représentantes de la Women’s Swimming Association de Charlotte Epstein, elles ont pour entraîneur Louis de Breda Handley qui mise davantage sur leur capacité à glisser à la surface de l’eau que sur leur force pure comme c’était le cas pour leurs prédécesseuses.

    Les derniers feux du règne français sur le sport international

    36Alors que la République dreyfusarde avait totalement effacé les Jeux en 1900 en les remplaçant par des concours davantage français qu’internationaux, et populaires plutôt qu’élitaires, les gouvernements de sortie de guerre ont investi l’événement olympique sans en changer la nature. C’est la preuve d’une certaine normalisation des Jeux olympiques comme championnat du monde de tous les sports, et du CIO comme interlocuteur des États en matière de sport international. Ce dernier est néanmoins perturbé par le surgissement d’organisations concurrentes, féministes, universitaires, socialistes qui le conduisent à renforcer ses rangs dans les milieux économiques et financiers et aussi en intégrant de nouveaux pays.

    37Il reste que la IIIe République a bel et bien utilisé l’écrin olympique à des fins symboliques de projection de puissance au moment même où elle cherche à apparaître comme le centre du monde moderne. Oscillant entre le troisième et le septième rang en termes de médailles entre 1924 et 1936, sa puissance sportive est toutefois illusoire car elle ne tient qu’à deux fils : les performances de ses escrimeurs et de ses haltérophiles. Son influence au sein de l’organisation du sport international reste toutefois considérable. Plusieurs dirigeants français sont présidents de fédérations internationales : Léon Breton au cyclisme, le baron du Teil à l’équitation, André Maginot à l’escrime, Jules Rimet au football, Henry Wallet au tennis, le comte Clary au tir de chasse, Daniel Mérillon au tir sportif. Mais, là encore, un reflux est à venir avec le déplacement du siège administratif de plusieurs FI vers la Mitteleuropa, et avec l’arrivée à la tête du CIO du comte belge Henri de Baillet-Latour en lieu et place de Pierre de Coubertin.

    Bibliographie

    Clastres Patrick, Dietschy Paul et Laget Serge, La France et l’olympisme, op. cit.

    Terret Thierry (dir.), Les Paris des Jeux olympiques de 1924, Biarritz, Atlantica, 2008.

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