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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Le transfert des JO de Rome à Londres à l’insu d’un Coubertin actif auprès du Vatican Le plus grand stade du monde pour un spectacle déjà commercial Le premier défilé des « nations olympiques » La promotion du football et du hockey sur gazon Une rivalité impériale exacerbée entre athlètes anglais et américains Déjà des tennisseuses et des patineuses professionnelles Les contestations récurrentes du modèle olympique et de la présidence de Coubertin Bibliographie

    Les Jeux olympiques de 1892 à 2024

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    Table des matières

    Chapitre IV. Londres 1908

    L’offensive des sportsmen britanniques

    p. 55-62

    Texte intégral Le transfert des JO de Rome à Londres à l’insu d’un Coubertin actif auprès du Vatican Le plus grand stade du monde pour un spectacle déjà commercial Le premier défilé des « nations olympiques » La promotion du football et du hockey sur gazon Une rivalité impériale exacerbée entre athlètes anglais et américains Déjà des tennisseuses et des patineuses professionnelles Les contestations récurrentes du modèle olympique et de la présidence de Coubertin Bibliographie

    Texte intégral

    1Durant douze années à compter du congrès fondateur de 1894, Pierre de Coubertin a préféré éviter l’attribution des Jeux olympiques à Londres. Il était pourtant admiratif de la puissance britannique, de son empire colonial, de sa monarchie parlementaire, et de son système éducatif de formation des élites, et il considérait bel et bien le Royaume-Uni comme la patrie des sports modernes. Mais son patriotisme – la crise diplomatique de Fachoda entre les deux pays date de 1898 – lui interdisait de confier les JO au Royaume-Uni qu’il considérait comme le seul grand rival de la France dans la compétition pour le contrôle territorial, économique et culturel du monde. Le cas des États-Unis était différent dans la mesure où Coubertin les considérait comme un allié historique de la France depuis le marquis de La Fayette et le comte de Rochambeau.

    2La plupart des dirigeants des clubs britanniques lui rendirent bien l’ambivalence de sa fascination en prenant de haut son initiative olympique et en montrant peu d’entrain à envoyer leurs meilleurs athlètes à Athènes, Paris ou Saint-Louis. Ces mêmes dirigeants se méfiaient aussi des fédérations sportives internationales initiées à la même époque par des Français souvent soutenus par des Belges, des Suisses ou des Italiens. Ils leur préféraient les compétitions qu’ils organisaient entre les quatre nations britanniques (football) ou avec les dominions de leur immense empire (rugby et cricket), ainsi que les défis que leur lançaient leurs cousins d’Amérique du Nord (America’s Cup en voile en 1870, Davis Cup en tennis en 1900…). S’étant rendus aux « Jeux intercalaires » d’Athènes en 1906, quelques membres de la British Olympic Association (BOA) vont réussir à imposer la candidature de Londres à Coubertin.

    Le transfert des JO de Rome à Londres à l’insu d’un Coubertin actif auprès du Vatican

    3Réduit à un rôle négligeable à Athènes en 1896 et à Paris en 1900, absent de Saint-Louis en 1904 pour ne pas cautionner l’entreprise de James Sullivan, Coubertin pensait pouvoir se reposer sur la candidature de Rome qui avait été acceptée en 1901 après le retrait de la proposition berlinoise. C’était sans compter avec les Grecs et les Britanniques. En effet, depuis 1899, le roi Georges Ier est repassé à l’offensive pour accueillir de nouveau les athlètes étrangers à Athènes et Coubertin a dû accepter en 1901 que des Jeux internationaux soient organisés en Grèce dans l’intervalle des Jeux olympiques.

    4Alors même que le choix de Rome était régulièrement critiqué par ses concurrentes Milan et Turin, voici que le gouvernement italien doit affronter l’urgence et l’énormité du coût des reconstructions suite à l’éruption du Vésuve en avril 1906, tandis que les élections municipales dans la capitale ont tourné au désavantage des Jeux. C’est en faisant escale à Naples que les dirigeants de la BOA ont conçu l’idée d’organiser les IVe Jeux à Londres et leur proposition fut adoptée à Athènes. Mis devant le fait accompli, Coubertin s’est résolu à jouer la carte de Londres pour garantir le rythme quadriennal des JO. Il parvient même à transformer ce désaveu en succès diplomatique. En décembre 1906, en effet, il mobilise ses contacts au Quai d’Orsay, le ministre Delcassé et l’ambassadeur Paul Cambon, afin de promouvoir les Jeux de Londres comme un prolongement sportif de l’Entente cordiale scellée en 1904 entre la France et le Royaume-Uni.

    5La rupture des relations diplomatiques entre la France et le Vatican en mai 1904, puis l’interdiction faite aux congrégations d’enseigner par la loi du 7 juillet 1904, enfin le dépôt du projet de loi Briand en mars 1905 d’une « séparation loyale et complète des Églises et de l’État » conduisent Pierre de Coubertin à se rapprocher de la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France dont il accompagne les athlètes au Vatican en 1905. Il intercède alors, mais sans succès, auprès du pape Pie X pour que ce dernier publie un document décourageant les femmes de participer à des disciplines sportives qu’il considère comme masculines. Contribuant en 1911 à fonder les Éclaireurs français d’obédience neutre et non laïque, il ne semble pas s’être impliqué dans la création en 1906 de l’Union internationale des œuvres catholiques d’éducation physique qui est fermée aux sportives et qui deviendra en 1947 la Fédération internationale catholique d’éducation physique d’une portée limitée à l’Europe.

    Le plus grand stade du monde pour un spectacle déjà commercial

    6En 1908, le Great Stadium de Londres, baptisé par la suite White City Stadium, est autant construit pour l’Exposition franco-britannique que pour les compétitions olympiques. En acier et béton, de forme ovale, pouvant accueillir 20 000 spectateurs dans ses tribunes et au moins 60 000 autres à découvert, il passe pour le plus grand stade du monde. Selon une logique déjà éprouvée qui consiste à intégrer un vélodrome et une piste d’athlétisme à l’intérieur d’un hippodrome, les organisateurs ont voulu rentabiliser l’événement en faisant dessiner une piste d’athlétisme d’un tiers de mile (536,45 m) et une piste de cyclisme autour de la pelouse centrale qui comporte aussi une aire pour les jeux de ballon et une piscine de 100 m sur 15 m. Ils n’ont pas pu équilibrer leurs dépenses si l’on rapporte le coût du stade qui est de 60 000 livres sterling aux revenus fournis par la vente des billets qui s’élève à 6 000 livres. Le déficit a été couvert par Imre Kiralfy, un entrepreneur de spectacles d’origine hongroise spécialisé dans des shows à gros budget, comme ceux de Buffalo Bill, qui tournent en Amérique et dans toute l’Europe depuis les années 1870. Même s’il a accueilli 90 000 spectateurs le jour du marathon, et autour de 300 000 sur la durée des compétitions, le public n’a pas été vraiment au rendez-vous, d’abord du fait de la pluie les premiers jours, de la saturation de l’offre de spectacle sportif en Angleterre tout au long de l’année, et du coût élevé des places. Ce stade accueillera en 1910 l’Exposition commerciale britanno-japonaise, des courses de lévriers à partir de 1927, les premiers Jeux de l’Empire britannique en 1934, ou bien encore en 1966 le match Uruguay-France en Coupe du monde de football.

    7L’inauguration du stade olympique s’est en quelque sorte déroulée en trois temps, ce qui montre l’importance que la monarchie britannique accorde à l’articulation qui s’opère entre sport universitaire, nationalisme et affaires commerciales. C’est le jour d’ouverture de l’exposition franco-britannique, le 14 mai 1908, que le stade est officiellement inauguré. Le prince et la princesse de Galles assistent alors sous la pluie à un meeting d’athlétisme orchestré par les Finchley Harriers et le London Polytechnic. Le 26 mai, en présence de 22 000 spectateurs, le roi Édouard VII, la reine Alexandra de Danemark et le président de la République française Armand Fallières assistent au championnat annuel de l’Amateur Athletic Association que l’on doit considérer comme un championnat du monde d’athlétisme anglo-saxon puisque 254 athlètes y participent venus d’Australie, d’Afrique du Sud, du Canada, d’Écosse, d’Irlande et des États-Unis.

    8Enfin, le 13 juillet, devant 40 000 spectateurs, le roi ouvre solennellement les Jeux en prononçant la très brève formule élaborée par Coubertin pour éviter toute récupération politique : « Je déclare ouverts les Jeux olympiques de Londres. » La liste des invités dans la tribune d’honneur s’offre comme un résumé du système d’alliances du Royaume-Uni : le duc de Sparte, la princesse Frederik Charles de Hesse, le prince héritier de Suède, le Premier ministre du Népal, ainsi que les ambassadeurs des États-Unis, de Russie, de France et d’Autriche.

    Le premier défilé des « nations olympiques »

    9Il est organisé pour la première fois une « parade » des nations sportives, 18 au total, selon des règles bien précises, établies par le London Polytechnic, qui combinent références militaires et sportives. Hormis le Royaume-Uni qui approche les 700 participants, les plus gros bataillons d’athlètes sont envoyés par la France, la Suède, les Pays-Bas, les États-Unis, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Italie et la Finlande. Autant que l’attrait des Jeux olympiques, on lira dans cette cartographie l’influence sportive de l’Angleterre, et l’envie de tous ces compétiteurs de se frotter aux maîtres anglais. Qu’un défilé des athlètes regroupés par nations soit organisé pour la première fois en 1908 en dit long sur la montée des nationalismes européens au début du xxe siècle et sur la précocité du processus de nationalisation du sport.

    10Chaque délégation nationale est organisée en vagues de quatre athlètes, vêtus de leur maillot national ou bien de leur costume de sport, qui suivent un porte-drapeau et un porte-pancarte avec le nom de leur pays. Après s’être rangées au centre du stade, chacune derrière un grand drapeau de leur pays, les équipes écoutent l’hymne britannique et lancent trois cheers en l’honneur du souverain. Puis elles défilent par ordre alphabétique à deux exceptions près qui tiennent compte des susceptibilités des États-Unis et des dominions tout en affirmant la puissance de l’Empire britannique : l’équipe américaine est placée juste avant les « contingents coloniaux britanniques », lesquels précèdent l’équipe de Grande-Bretagne. Sur la requête de ses camarades d’ascendance irlandaise, le porte-drapeau américain Ralph Rose s’est refusé, du haut de ses deux mètres, à baisser pavillon devant Édouard VII au motif que, selon le champion Martin Sheridan interviewé en 1952, « le Stars and Stripes ne saurait s’incliner devant aucun souverain terrestre ». Des incidents protocolaires ont également concerné les Finlandais qui ont refusé de défiler sous le drapeau russe, et les Irlandais qui sont ulcérés d’apprendre que leurs victoires seront comptabilisées avec celle des Britanniques.

    11Concernant les attitudes des athlètes lors du défilé, les journalistes de l’époque ont bien établi la distinction entre les pays de conscription, qui adoptent une marche militaire, et les pays neutres comme la Suède, la Norvège et le Danemark qui préfèrent se concentrer sur leur apparence vestimentaire. Il reste que l’équipe qui a reçu les applaudissements les plus nourris du public est l’équipe danoise féminine qui a défilé en costume de gymnastique. On pourra y voir un reflet du voyeurisme du public masculin, comme pouvait le craindre Pierre de Coubertin, tout comme un témoignage des avancées de la condition féminine dans le sport et le public anglais.

    12Mais tous les participants n’arborent pas, loin s’en faut, des maillots nationaux car on peut encore s’inscrire à titre personnel ou au nom de son club. Les joueurs de l’équipe de France de football, par exemple, posent avec les deux anneaux de l’USFSA pour mieux afficher leur amateurisme, mais aussi parce qu’il existe alors deux fédérations multisports qui prétendent représenter la France dans les matchs internationaux. Certains athlètes ont un simple brassard comme les escrimeurs hongrois, un drapeau cousu sur l’épaule comme les gymnastes suédoises, une antilope brodée au niveau de la poitrine pour les Sud-Africains ce qui ne correspond à aucun des drapeaux de leurs quatre colonies. Le CIO a en effet autorisé l’Afrique du Sud à participer alors que ces colonies ne seront constituées en État souverain sous le nom d’Union sud-africaine qu’en 1910. Le premier membre issu de ce pays ne sera d’ailleurs coopté qu’en 1913 : Sydney Farrar est un ingénieur civil d’origine britannique qui a fait fortune dans les mines d’or. Comme il existe des équipes d’Irlande, du pays de Galles, ou d’Écosse dans certains sports – c’est vrai encore aujourd’hui –, les Anglais présentent un maillot orné tantôt de la rose tantôt de l’Union Jack.

    13La présence d’un athlète ottoman est attestée sous le panneau « Turkey » sans que l’on sache encore s’il est venu à titre personnel ou bien s’il a été envoyé par l’Association olympique ottomane tout juste constituée par les plus hautes autorités sportives et politiques du pays. Autre singularité, les Néo-Zélandais et les Australiens font partie d’une équipe unique dite d’Australasie, comme d’ailleurs en Coupe Davis de 1905 à 1912 pour le tennis. Peut-être veulent-ils afficher leur solidarité et leur capacité commune à se défendre face aux pressions qu’exercent les colonies allemandes dans le Pacifique sud-occidental. Avec la bénédiction de Pierre de Coubertin qui considère que des nations peuvent exister sportivement sans être reconnues en tant qu’États souverains, la Bohême et la Finlande ont leurs propres délégations sportives au grand dam de l’empereur austro-hongrois et du tsar de Russie qui en sont les suzerains.

    La promotion du football et du hockey sur gazon

    14Comparativement à Paris 1900 et à Saint-Louis 1904, le programme londonien est davantage conforme à l’idée que nous nous faisons aujourd’hui des Jeux olympiques modernes. Pourtant, par bien des aspects, ces IVe JO sont très britanniques si l’on considère le choix des épreuves ainsi que les unités de mesure et la langue utilisées. Pour ce qui est de la gymnastique, les Britanniques ont procédé comme les Français en 1900, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas accueilli les épreuves en force typiques de la culture physique germanique. En cyclisme, un sport dont les Britanniques revendiquent la paternité contre les Français, les modifications sont plutôt nombreuses : disparition des épreuves sur 1 000 m (vitesse et contre-la-montre), réintroduction de la poursuite par équipes mais sur 1 810,47 m (et non 2 500 m comme à Paris), apparition du tandem 2 000 m, du 5 000 m (à la place du 10 000 m) et du 20 000 m. En aviron, les Britanniques ont éliminé les épreuves d’origine étrangère pour ne conserver que leurs traditions jalousement conservées à Henley, Oxford ou Cambridge, soit uniquement les épreuves de skiff ainsi que de deux, quatre et huit sans barreur.

    15Comme Londres est l’une des trois capitales mondiales de la boxe professionnelle avec New York et Paris, les épreuves inaugurées à Saint-Louis sont conservées sauf en mouche et en welters. Quant à la lutte libre, elle est amputée de trois de ses catégories (super-mouche, mouche et mi-moyens) pour permettre l’arrivée de la lutte gréco-romaine (légers, moyens, mi-lourds et lourds) qui est une tradition inventée pour servir de rempart contre le professionnalisme, la violence, les matchs truqués et les paris. Interdisant les actions au-dessous de la ceinture, elle est aussi l’aboutissement d’une réaction morale et sociale, venue de France et des pays scandinaves, qui vise à une plus grande décence.

    16Inauguré en 1908, le tournoi olympique de ballon au pied (soccer) n’est pas seulement le spectacle le plus populaire du pays : c’est le moyen, avec la boxe, d’équilibrer le budget. L’introduction du hockey sur gazon, très pratiqué dans les collèges privés, renvoie à l’idéologie impériale dans la mesure où ce sport a pour fonction, comme le polo, d’intégrer les élites indigènes des colonies britanniques. Le tir à l’arc, qui est une spécialité nationale pourrait-on dire depuis Robin des Bois, est proposé en 50 et 60 yards ou bien, comme à Saint-Louis, en York round. Le tennis donne lieu à deux tournois différents sur courts extérieurs et sur courts couverts, mais si le simple dames est rétabli ce n’est pas le cas du double mixte. Plus surprenant, il n’y eut pas de concours en équitation, comme en 1904, mais bien des épreuves de patinage sur glace (hommes, hommes en figures dessinées, femmes, couple).

    17En athlétisme, le programme n’évolue guère hormis l’apparition du javelot, la disparition temporaire du décathlon, et l’ajout de trois épreuves qui ne seront plus jamais disputées (10 miles, relais 200 + 200 + 400 + 800 m, 3 500 m marche). Peu de changements également en natation : disparition du 200 m nage libre qui reviendra en 1968, apparition du 200 m brasse, du 4 × 200 m nage libre et d’une seconde épreuve de plongeon dite de haut vol. La suppression du fleuret individuel et par équipes laisse la part belle à l’épée et au sabre. Au tir, tandis que la carabine position couchée fait son apparition, plusieurs épreuves opèrent leur retour afin de trouver un équilibre entre militaires et gentlemen chasseurs : pistolet tir rapide ou libre à 50 m, fusil à 300 m, fusil de guerre, tir au pigeon d’argile en individuel et par équipes, épreuves sur cerf courant.

    Une rivalité impériale exacerbée entre athlètes anglais et américains

    18Toute l’attention des médias et du public est tournée vers les compétitions athlétiques avec une différence notable entre la presse londonienne, qui présente les Jeux comme favorisant l’amitié internationale et la formation d’un langage universel, et la presse new-yorkaise qui titre « Les Brittons ont peur des athlètes Yankee » ou « On va leur montrer qui sont les meilleurs ». De fait, la grande affaire des Jeux de Londres est la rivalité impériale entre les athlètes anglais et américains. Tout a commencé par la réclamation des Américains qui exigent que « le trophée des Jeux », offert par le comte et membre italien du CIO Brunetta d’Usseaux, soit attribué au pays vainqueur en athlétisme alors que les Britanniques ont prévu de l’attribuer à la nation qui brillera dans tous les sports. De fait, ces derniers rayonnent en aviron (toutes les médailles d’or), boxe (14 médailles sur 15 distribuées), cyclisme (5 or sur 7), football, natation, tennis, tir au pistolet et à la carabine, voile et water-polo. Avec 146 médailles, ils devancent largement les États-Unis (47), la Suède (25), la France (19), le Canada (16) et l’Allemagne (13). Et si on considère les seules médailles d’or, la primauté britannique est encore plus évidente avec un total de 56 premières places contre 23 pour les États-Unis, 8 pour la Suède, 5 pour la France, et 3 pour le Canada, l’Allemagne et la Hongrie.

    19La première controverse véritablement sportive a concerné l’épreuve de tir à la corde, les Américains reprochant à leurs adversaires d’être avantagés par le port de lourdes bottes avec des bordures en acier. Ils reçurent une fin de non-recevoir de la part du comité olympique britannique qui considéra que cette équipe de policiers de Liverpool ne faisait que porter ses équipements habituels, et que donc ils ne les avaient pas préparés spécialement pour la compétition comme le règlement l’interdit. Concernant le fait que les huit coureurs américains du 800 m se retrouvent dans la même série éliminatoire, leur chef de délégation James Sullivan s’entend répondre que c’est le fait du tirage au sort. En revanche, en finale du 400 m, c’est semble-t-il à juste titre que John Carpenter de Cornell University est disqualifié pour avoir gêné la course du lieutenant écossais Wyndham Halswelle. Ce dernier est alors l’idole des Britanniques depuis son retour de la guerre des Boers en Afrique du Sud : il mourra sur le front français en mars 1915. Lors de la finale qui doit être courue de nouveau, ce dernier l’emporte en 50 secondes sans aucun adversaire en face de lui puisque William Robin de Harvard et John Taylor de l’université de Pennsylvanie (le premier athlète noir, médaille d’or en relais) ont refusé de participer. Une autre controverse a concerné la course de marathon à l’issue de laquelle l’Italien Dorando Pietri, entré dans le stade dans un état critique, est aidé dans les derniers mètres pour l’emporter, alors qu’il est talonné par l’Américain Johnny Jayes qui sera finalement déclaré vainqueur après protestation.

    20Les tensions entre Américains et Britanniques sont telles que l’archevêque de Pennsylvanie Ethelbert Talbot déclare dans la cathédrale Saint-Paul, à l’occasion de la cérémonie œcuménique d’accueil des athlètes : « Saint Paul nous dit à quel point le prix est insignifiant : notre prix n’est pas corruptible, mais incorruptible, et si un seul peut porter la couronne de laurier, tous peuvent partager la même joie du concours. » Quelques jours plus tard, dans son discours de clôture des Jeux londoniens, Pierre de Coubertin reprendra peu ou prou cette formule pour dénoncer la folie des paris sportifs, ce « cancer » qui ronge le fair-play : « Retenons Messieurs cette forte parole, l’important dans la vie ce n’est point le triomphe, mais le combat, ce n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu. » A-t-il voulu faire allusion à la rivalité anglo-américaine ? À Athènes, en novembre 1894, il avait déjà utilisé une formule similaire, toute aristocratique, au moment où le premier ministre grec s’opposait à la tenue des Jeux pour des raisons budgétaires : « Le déshonneur, ne consisterait pas ici à être battu ; il consisterait à ne pas se battre. » Peut-être voulait-il piquer au vif ses interlocuteurs grecs en leur prêtant de craindre une déroute de leurs athlètes ? Après bien des reformulations, « L’essentiel, c’est de participer » s’est imposé comme l’adage olympique. Aujourd’hui connu de bien des pratiquants de sports à l’échelle du monde, il joue le rôle de panacée éducative.

    Déjà des tennisseuses et des patineuses professionnelles

    21Aux Jeux de Londres, 37 femmes ont participé pour un peu plus de 2000 athlètes au total. C’est dire si au pays des suffragettes et des suffragistes, qui obtiendront en 1918 le droit de vote pour les femmes de plus de 30 ans, les dirigeants du sport sont peu enclins à accompagner l’émancipation des sportives. Ces dernières tracent leur chemin d’autant plus facilement qu’elles sont issues de familles particulièrement favorisées, ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’elles soient libérées de toute domination masculine sociale comme symbolique. Fille d’un pasteur établi à Port Elizabeth puis à Bangkok, Frances Clyties triomphe comme membre de l’équipage du Heroine III, un voilier de 7 m appartenant à son mari Charles Rivett-Carnac, un ancien du collège de Rugby devenu fonctionnaire en Inde et dont le grand-père était gouverneur de la province de Bombay. Cette double trajectoire suffit à illustrer la place des serviteurs de l’Empire britannique dans l’univers cosmopolite du yachting.

    22Comme dans les autres épreuves féminines, les joueuses de tennis sont marginalisées faute de publicité. Seulement neuf participantes sont inscrites au tournoi indoor. Fille d’un agent d’assurances sélectionné à une reprise dans l’équipe de football d’Angleterre, Gwendolyne Eastlake-Smith remporte l’or aux dépens de sa compatriote Alice Greene qui a pour père un médecin psychiatre. Cette année-là, ni Wimbledon ni le tournoi olympique outdoor sur gazon n’attirent les meilleures compétitrices du continent et des États-Unis, probablement parce qu’elles ont trouvé ailleurs des tournois plus rémunérateurs. Sur treize engagées dans la compétition sur gazon, huit joueuses de premier rang déclarent ainsi forfait, dont la Française Kate Gillou, Charlotte Cooper médaillée d’or en 1900, et Blanche Bingley six fois victorieuse à Wimbledon avant 1901. Ayant atteint la finale sans jouer, Dora Boothby, qui remportera Wimbledon et le championnat national de badminton l’année suivante, est nettement vaincue par une autre badiste, l’immense championne Dorothea Lambert Chambers. Forte de huit titres à Wimbledon entre 1903 et 1914, cette dernière publiera en 1910 un ouvrage technique intitulé Tennis for ladies et deviendra en 1928 une des premières entraîneuses professionnelles dans ce sport. La compétition de tir à l’arc ouverte aux femmes n’est en revanche qu’un championnat national dans lequel sont engagées 25 participantes. Fille d’un marchand et petite-fille d’un membre du Parlement, Queenie Newall l’emporte sur Charlotte Dod, la fille d’un riche importateur de coton par ailleurs connue pour avoir remporté cinq fois Wimbledon et une fois le championnat national de golf pour ladies.

    23On retrouve des professionnels dans les concours de patinage sur glace pour couples où sont engagées seulement quatre Britanniques, deux Allemandes et une Suédoise : l’avocat munichois Heinrich Burger et Anna, les époux Phyllis et James Johnson, Florence Cave et son entraîneur Edgar Syers qui publient opportunément cette même année 1908 The Book of Winter Sports. Fille d’un entrepreneur en bâtiment, « Madge » Syers est une détonante pionnière dans son sport. En 1902, lors des championnats du monde à Londres, elle avait tiré profit de l’absence de règlement interdisant la participation des femmes pour obtenir la médaille d’argent pour se classer juste après le grand champion suédois Ulrich Salchow qui lui propose d’ailleurs sa médaille d’or. L’année suivante, le revanchard congrès de la fédération internationale de patinage statuera que les femmes ne seront plus acceptées au motif que leurs robes cachent leurs pieds aux yeux des juges, que ces derniers pourraient être amenés à évaluer des jeunes femmes auxquelles ils sont liés, enfin qu’il est difficile de comparer des femmes avec des hommes. Devant une telle mauvaise foi, Madge Syers lancera la mode des jupes de patinage s’arrêtant au mollet.

    Les contestations récurrentes du modèle olympique et de la présidence de Coubertin

    24Si les Britanniques reconnaissent leur infériorité en athlétisme, les Américains en concluent que les Jeux ont échoué à favoriser l’amitié internationale. Sullivan, leur chef de mission, s’est fait menaçant en déclarant que c’est la dernière compétition internationale à laquelle participeront les Américains s’il n’y a aucun changement en matière de régulation des épreuves. La colère de ces derniers est telle que les autorités sportives britanniques publieront un livret intitulé Réponses aux critiques sur les Jeux olympiques qui n’a fait que mettre de l’huile sur le feu. À court terme, le CIO et les fédérations internationales sont sortis renforcés de cette dispute car l’arbitrage des rencontres sera par la suite retiré au pays organisateur pour être confié à des juges de différents pays, coiffés par un jury d’honneur international.

    25Une fois n’est pas coutume, Coubertin a lui aussi été critiqué pour son autoritarisme par certains de ses collègues qui s’éloignent ou démissionnent, mais aussi par les présidents de FI. À ceux qui veulent lui imposer le principe électif, Coubertin répond en 1908 que la cooptation à vie est « le meilleur moyen de sauvegarder la liberté et de servir la démocratie en garantissant la continuité d’un effort indépendant et stable ». Il prend bien soin toutefois de préciser que le rôle des « trustees de l’idée olympique », c’est-à-dire des administrateurs bénévoles de l’olympisme envisagé comme une mission sportive d’intérêt général, n’est pas d’être « un conseil de police technique ». C’est là une façon d’élaborer une ligne de démarcation entre le CIO et les FI, de plus en plus nombreuses à envisager de lancer leurs propres compétitions mondiales en dehors des Jeux olympiques. De fait, l’espace international des sports est en cours de consolidation à côté de la sphère olympique avec l’apparition d’une dizaine de FI en ce début du xxe siècle : cyclisme en 1900, football en 1904, yachting et tir en 1907, hockey sur glace et natation en 1908, athlétisme en 1912, enfin escrime et tennis en 1913.

    Bibliographie

    Baker Keith, The 1908 Olympics, Cheltenham, SportsBooks, 2008.

    Hampton Janie, London Olympics 1908 and 1948, Oxford, Shire Publications, 2011.

    Jenkins Rebecca, The First London Olympics: 1908, Londres, Piatkus Books, 2008.

    Polley Martin, The British Olympics. Britain’s Olympic Heritage 1612-2012, Swindon, English Heritage, 2012.

    Stelitano Antonella, Bortolato Quirino et Dieguez Alejandro Mario, Pio X, le Olimpiadi e lo Sport, Trévise, Editrice San Liberale, Coll. Centro Studi San Pio X, 2012.

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    Clastres, Patrick. « Chapitre IV. Londres 1908 ». In Les Jeux olympiques de 1892 à 2024. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2025. https://doi.org/10.4000/13j2t.
    Clastres, Patrick. « Chapitre IV. Londres 1908 ». Les Jeux olympiques de 1892 à 2024, Presses universitaires de Rennes, 2025, https://doi.org/10.4000/13j2t.

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