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Vies de cadres

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Éric Roussel

Deuxième partie. Le souci de soi

Chapitre VIII. Action collective, action individuelle

Volltext

  • 1 L. Boltanski, Les cadres, op. cit., p. 148.

1Le syndicalisme cadre est issu d’une triple opposition, d’une triple prise de distance à l’égard de la classe ouvrière, du patronat et des pouvoirs publics. Ce syndicalisme a pris naissance, puis s’est développé, à partir des tensions qui ont alimenté les rapports de forces à l’intérieur des champs de la représentation et du monde du travail. On ne peut concevoir l’un sans les autres. La raison d’être de ce syndicalisme puise à un contexte où la lutte des classes pouvait se lire sur l’organigramme de l’entreprise. Le souci d’une différenciation chez la Confédération générale des cadres (CGC), d’une démarcation des cadres à l’égard des autres salariés, dont on sait qu’il est au fondement de la création de ce syndicat, qu’il en « assure la cohésion », pour reprendre l’expression de Luc Boltanski1, ne peut donc être compris qu’une fois rapporté à la structuration de l’espace de la production. Des schèmes de pensées et d’actions s’y sont forgés qui détermineront pour longtemps le pensable et l’envisageable.

2Nous chercherons donc à penser les comportements présents à l’aune d’un héritage mental pris dans les transformations des espaces de la production. Par là, on pourra envisager de comprendre les distances qui continuent de séparer une proportion importante de cadres du syndicalisme. On mettra alors en évidence que l’acte de se syndiquer peut aussi être considéré comme un indicateur pertinent de l’évolution du rapport de ces cadres à l’entreprise, et, par lui, des chances qui sont les leurs d’accéder à des positions convoitées. On tâchera aussi de mettre en évidence en quoi le glissement d’un syndicalisme catégoriel vers un « syndicalisme d’individuation » interroge le sentiment, chez ses membres et ses représentants, d’une existence à part entière de la catégorie. Peut-on voir dans cet abandon tout relatif d’un culte du différentialisme, mais surtout dans le départ important de cadres vers d’autres confédérations, une réponse de ceux qui, se sentant aspirés par le bas, reprennent parfois à leur compte des revendications exprimées plus tôt par des groupes professionnels moins favorisés (l’analyse du cas de Thierry sera à ce titre instructive) ? Ces revirements annoncent-ils un « retour d’histoire » ? C’est à ces questions qu’on voudrait apporter quelques éléments de réponses. L’articulation de comportements syndicaux de cadres à ceux qu’ont pu avoir certains de leurs parents (à ce propos, on suivra les exemples de Louis, Christophe et Béatrice) nous permettra d’éclairer certains de ces points.

BROUILLAGE DES CATÉGORIES DE PENSÉE

3En comprenant comment les transformations des espaces de la production ont joué sur les catégories mentales des individus, on sera en mesure de faire apparaître certains des moyens dont disposent les cadres pour – se – penser – dans – l’action syndicale. Nombre de ces transformations nous sont maintenant familières. Ainsi, la diminution des niveaux hiérarchiques, la réorganisation des collectifs de travail et la prolifération de situations singulières ont-elles contraint les cadres à des formes de recompositions mentales. À cela il faut ajouter d’autres bouleversements qui, comme l’effacement de la fonction d’encadrement, la disparition des mots rappelant le pouvoir, ou l’augmentation de la fréquence des changements d’entreprises, ont à leur tour contribué à modifier les composants dont disposent les individus pour se positionner, s’opposer ou s’assembler. Mais penchons-nous un instant sur les transformations que connaît actuellement le syndicalisme cadre.

Un syndicalisme cadre… ?

  • 2 « Dans le secteur privé, 7,5 % des cadres d’entreprise sont membres d’un groupement syndical ou pr (...)
  • 3 La répartition de ces votes entre la CGT, la CFDT, puis la CFE-CGC, fait apparaître les résultats (...)
  • 4 P. Bouffartigue, « La crise d’un salariat de confiance. Les cadres déstabilisés », Actuel Marx, oc (...)
  • 5 « Lors du congrès extraordinaire du 22 mai 1981, le changement de sigle est décidé. En effet, l’or (...)
  • 6 P. Bouffartigue et C. Gadéa, SDC, op. cit., p. 101.
  • 7 « Consciente d’un isolement qui lui serait fatal si elle ne cherchait pas à s’associer aux autres (...)

Contorsions et adaptations
Commençons par rappeler deux faits distincts par leur nature : le syndicalisme cadre n’échappe pas à un vaste mouvement généralisé de désyndicalisation ; les cadres sont aujourd’hui sensiblement plus syndiqués que les ouvriers, même dans le secteur privé2. Mais poursuivons. Un événement de taille, survenu en 1997, a révélé un glissement d’attitude chez les cadres à l’égard de la confédération censée les représenter. Si l’on considère la répartition des voix aux élections des conseils des prud’hommes en retenant exclusivement la section encadrement, on peut faire le constat que la CFDT est passée devant la CFE-CGC3. Ce tournant est important ! On peut y voir une prise de distance des cadres votants (qui restent encore minoritaires) à l’égard d’un syndicalisme catégoriel, mais aussi un intérêt pour des formes plusrevendicatives et protestataires de représentations. Ce basculement amène Paul Bouffartigue à poser la question suivante : « En ravissant la première place à la CGC dans le collège “encadrement” lors des dernières élections prud’homales, la CFDT n’est pas pour peu dans cette rupture symbolique : les cadres se sentent-ils toujours cadres ?4 » Ce tournant annonce probablement l’affaiblissement d’un syndicalisme catégoriel, syndicalisme d’un différentialisme qui dès son origine a caractérisé l’arrivée des cadres sur la scène de la représentation. La centrale déploiera des stratégies afin de s’adapter aux attentes – supposées – des cadres. Mais elle portera aussi son regard ailleurs. En effet, une de ces stratégies la conduira à élargir son public, à le chercher – aussi – en dehors des membres de la catégorie5. Mais, en élargissant les critères d’appartenance à « tous ceux qui s’impliquent pour faire fonctionner l’entreprise », la centrale portera un coup terrible à ce culte du différentialisme. Ce critère ne fait pas référence au statut. Il est à la fois subjectif et moral, chaque salarié peut éventuellement se sentir concerné par cette nouvelle définition des critères d’appartenance. Par cette dilution des critères, la fonction d’encadrement, ce cœur palpitant du ciment symbolique de la catégorie, perd de sa visibilité, mais aussi, et surtout, de sa raison d’être. « La magie sociale du titre de cadre a perdu de son efficacité : les diverses sources de l’attachement à ce titre sont déstabilisées pour la plupart des membres d’un groupe, qui peine désormais à se représenter comme catégorie distincte et distante des autres travailleurs6. » Mais, l’échec de la CFE-CGC aux élections prud’homales de 1997 aura aussi poussé la centrale vers une autre stratégie d’adaptation. Traduisant un souci de répondre à des attentes individuelles, cette stratégie se déclinera en offre de services d’accompagnement en direction de « membres associés ». Par la création de ce nouveau statut destiné à ceux qui refusent de se syndiquer, la centrale étend encore le flou des limites du groupe. Le 31 e Congrès de la CFE-CGC atteste des difficultés rencontrées par une centrale qui, en proie à un affaiblissement numérique et symbolique, s’évertue à récupérer des adhérents alors qu’elle oscille entre nostalgie d’un différentialisme et volonté d’adaptation7.

Des distances au syndicalisme

4On va donc, dans un premier temps, montrer comment on peut penser ensemble affaiblissement d’un syndicalisme catégoriel et restructuration des espaces internes et externes de la production.

Dilution d’un entre-deux et délitement des liens

5Dès ses origines, la justification d’être de la catégorie cadre s’est alimentée d’une vision binaire du monde social, vision interne, mais aussi externe aux espaces de la production. Son émergence et son extraction ont en effet pris sens, à l’intérieur d’un espace stratifié et hiérarchisé de l’entreprise, dans une volonté simultanée d’échapper aux blocs capitalistes et prolétariens. Or, il s’avère que ces espaces ont connu nombre de transformations. Sous leur poids, la dichotomie qui avait présidé à l’ordonnancement et à la compréhension du réel vola peu à peu en éclats, les notions de haut et de bas perdirent de leur pertinence, et la représentation d’une bipolarisation politique de l’échiquier mondiale s’émoussa avant de disparaître. En touchant à la visibilité des classes sociales, mais aussi à celle de l’encadrement, ces transformations ont porté atteinte aux raisons d’être d’un syndicalisme catégoriel. Difficilement perceptible physiquement, il le devint aussi symboliquement.

6Mais, il est un autre facteur qui, pour partie produit de ces transformations des espaces, joue à son tour sur les catégories mentales qui permettent aux cadres de penser le syndicalisme, l’illisibilité du chemin des carrières. Souvent perçue comme une entrave à la progression professionnelle, l’inscription dans un mouvement syndical risque fort de peser lourdement sur ceux qui peinent déjà à se frayer un chemin vers l’ascension alors qu’ils ne sont pas non plus assurés d’être définitivement exclus des cadres à potentiel. En outre, le fait que la majorité des cadres se trouve dans l’obligation de construire par eux-mêmes leur carrière en changeant fréquemment d’entreprise amène à considérer un autre élément qui ne penche pas non plus en faveur d’un intérêt pour la syndicalisation. En effet, si le temps passé dans chaque entreprise se réduit, on peut considérer que les chances de voir se construire des liens durables entre les individus s’affaiblissent, et que, par là, s’amenuise une source tangible de la projection de soi dans un collectif.

7Tous ces facteurs voient leur pouvoir se démultiplier par d’autres phénomènes : apparition d’une multiplication de situations singulières, crépuscule des cadres mentaux favorisant la projection de collectifs pour l’avenir, inflation nominale de laquelle ont été extraits les mots pouvant évoquer le pouvoir, la lutte, le conflit et le désaccord. À cette liste d’éléments, il faudrait ajouter que les craintes que suscite la montée du chômage ainsi que les pressions en tout genre qui peuvent s’exercer sur ceux qui auraient l’intention de se syndiquer agissent l’une et l’autre dans le sens d’un reflux généralisé d’une inscription dans une action collective.

  • 8 Les exemples de Thierry (Une voie de sortie honorable) et de Christophe (La grenouille) illustrero (...)

8Ces phénomènes, cumulés, contribuent, en se mêlant à une profonde tendance sociétale à l’individualisation, à réduire le sentiment de ma ressemblance à autrui à l’impression de pouvoir me mettre à sa place. Les entretiens qu’on a effectués illustrent cette inclination. En fait, tout laisse à penser que ce sentiment de ressemblance ne puisse émerger qu’à condition qu’un individu identifie un ensemble de conditions objectives d’existence chez un Autre dont il considère qu’elles sont semblables aux siennes. La prise de conscience que cet autre – devenu semblable – encourt des risques, pouvant alors, et alors seulement, agir comme un facteur déclencheur d’une inscription dans un mouvement syndical8.

Maux individuels, causes collectives

  • 9 « Au-delà de la santé du corps, les préoccupations relatives à la santé mentale, à la souffrance p (...)

9À la lueur de ce que l’on vient de dire, on peut avancer que les sources des difficultés d’adaptation des centrales aux réalités vécues par les salariés ne proviennent pas seulement d’une sorte de retard des structures subjectives face aux restructurations des espaces de la production, mais qu’elles sont aussi à chercher du côté de l’« impossible » prise en charge d’attentes morcelées. L’heure est à l’atomisation du dit. La parole s’individualise ; née dans l’interaction, elle peine à émerger dans le collectif. L’angoisse, individualisée, devenue secret sans partage, accède difficilement à l’expression par la voie des collectifs institués. Les quêtes personnelles détachées d’un horizon collectif ne trouvent plus de quoi focaliser leurs attentes dans le cadre (mental) d’un « se-penser-en-commun ». La rencontre entre des structures objectives de prise en charge et des revendications en voie d’individualisation peine à se produire. Le refus d’écouter et de penser les maux individuels illustre remarquablement ce décalage9. En déniant la subjectivité de la douleur dans ce qu’elle peut avoir d’individuel, les organisations syndicales passent pourtant à côté d’un appui fondamental qui leur permettrait, à partir de l’expression de ces maux, de remonter aux conditions qui les rendent possibles, et qui, elles, touchent, bien que de façon inégale, l’ensemble des cadres. Quand on sait ce que peut avoir d’anxiogène le monde du travail, on comprend que ce refus, ou cette difficulté de prendre en compte ces maux, puisse agir comme un élément repoussoir à l’égard des syndicats.

HÉRITAGES ET TYPOLOGIES

10Une fois que l’on a pris acte de cette dissémination des paroles et des difficultés que peuvent rencontrer les syndicats à les subsumer au profit d’actions collectives, on peut tout de même tenter d’établir une typologie qui prenne en compte l’ensemble des données que l’on vient de présenter. Très schématiquement, on pense pouvoir affirmer que, malgré les transformations en cours dans le monde du travail, survit un héritage mental qui amène les cadres à considérer que la possibilité d’être syndiqué, alors qu’on occupe une position élevée dans l’organisation du travail, relève d’une incompatibilité statutaire. Une fois qu’on aura étayé ce constat, on pourra faire émerger une typologie qui distinguera différentes manières de se rapporter au syndicalisme en fonction des représentations que les cadres se font de leurs chances d’ascension.

La persistance d’une incompatibilité taxinomique

  • 10 L. Boltanski, Les cadres, op. cit., p. 27.

11Ce mariage impossible n’est pas nouveau. Luc Boltanski, en analysant le récit de M. – par lequel débute son ouvrage – pointait déjà cette incompatibilité : « Tenu à distance lorsque la conjoncture est à la hausse (tous les cadres interrogés insistent sur les dangers de l’adhésion syndicale ; même à la CGC, le seul syndicat acceptable : “Le meilleur moyen d’être mis sur la touche”), le syndicat retrouve une valeur lorsqu’il n’y a plus rien à perdre et que la seule stratégie raisonnable est de partir avec la plus grosse indemnité possible10. » Ce qui en revanche surprend, c’est que, quelque vingt années plus tard, malgré les luxuriantes transformations des espaces de la production, malgré la fin annoncée des hiérarchies, malgré la nécessité dans laquelle se trouve la plupart des cadres de construire par eux-mêmes leur carrière, malgré une fidélité à l’entreprise qui se mue en utilitarisme, perdure une propension à ne pouvoir associer accès aux positions dominantes et syndicalisation.

Maintien des clivages et des contradictions

  • 11 Toute l’ambiguïté de cette attitude se lit dans les résultats suivants : « À la lueur de nos résul (...)

12Les entretiens réalisés permettent de faire apparaître des tendances lourdes dans les représentations que les cadres se font du syndicalisme. Dans la plupart des cas, le syndicalisme représente à leurs yeux un héritage archaïque qui s’oppose à la modernité. Pour l’immense majorité des cadres interrogés, il est associé à un contre-pouvoir. Pourtant une ambiguïté forte apparaît dans presque tous les propos recueillis. Alors que la plupart des cadres le jugent malgré tout nécessaire, nombre d’entre eux considèrent que, du fait de son existence, se distille un rapport de force dommageable au bien-être et aux performances économiques de l’entreprise. Se syndiquer revient donc à s’inscrire contre la direction. La syndicalisation et l’exercice de la fonction cadre semblent incompatibles. Pour qui veut se garantir du respect et de la bienveillance de la direction, le retrait s’impose. Le syndicalisme, bien que nécessaire, l’est… pour les autres11. Plus étonnant encore, la contribution des syndicats de salariés dans les résultats obtenus dans le cadre du système des relations professionnelles semble même ignorée et/ou niée par nombre de personnes interrogées !

  • 12 On verra par la suite, à travers l’analyse d’autres cas, que les hésitations de Bernard et de Loui (...)

Le repli des ni-ni
Les deux fragments d’entretiens qui suivent sont paradigmatiques de ce que l’on pourrait nommer, en acceptant d’en réduire à la fois la complexité et la diversité, le rapport des cadres au syndicalisme12.
« Attention, moi, je fais un pas en arrière »
« Enquêteur : Tout à l’heure, vous m’avez un peu parlé des syndicats, quelle place vous leur accordez dans la société et dans l’entreprise en général ?
Bernard : C’est toujours un sujet qui n’est pas facile à aborder, parce que les syndicats… C’est pas facile d’être pour et c’est pas facile d’être contre. En fait, la plus saine des démarches pour un cadre, c’est d’être ni pour ni contre, c’est de se mettre carrément en recul. Dans une entreprise, c’est toujours une situation conflictuelle, notamment en France. Un chef d’entreprise n’aime pas voir un syndicat s’installer dans son entreprise, ça, c’est clair.
Enquêteur : Surtout un syndicat cadre ?
Bernard : On n’avait pas de syndicat cadre, on avait la CFDT qui s’était installée chez nous et alors, à partir de ce moment-là, ça n’a été qu’une suite de situations conflictuelles entre le personnel, notamment les adhérents à ce syndicat, et la direction. Donc, je crois que la meilleure des choses, et là, sans se mettre contre la direction ni contre le personnel, c’est de dire : “Attention, moi, je fais un pas en arrière, ils se débrouillent avec leurs histoires, ça fait pas partie de mon ressort.” Parce que, prendre parti c’est vachement difficile, parce qu’il y a des fois où il faut quand même admettre que ces syndicats-là ont raison, bien souvent, le drame, c’est même que dans la majorité des cas ils ont raison. Mais on ne peut pas se mettre contre la direction non plus, c’est une position qui est très délicate, donc, il faut rester dans sa position. Donc moi, j’ai essayé pendant quelques années de faire comme s’ils n’existaient pas, c’est-à-dire que moi, je ne voulais pas rentrer dans ce jeu. »
« Ça me paraît incompatible avec le statut de cadre responsable »
«Enquêteur : Est-ce que vous avez déjà été syndiqué ?
Louis : Jamais.
Enquêteur : Quelle place accordez vous au syndicalisme ?
Louis : Ça me paraît incompatible avec le statut de cadre responsable.
Enquêteur : Pourquoi ?
Louis : Eh bien là, je suis… Vous allez me prendre en porte-à-faux, parce que je suis… J’ai toujours eu une haute idée du patronat, et je pensais que le patronat ne pouvait pas abuser d’une situation, par identification à la façon dont mon père a géré sa boîte. Donc pour moi, un patron ne pouvait pas tricher. Mais autant, naïvement, il y a 20 ans, je me disais, cadre-syndiqué, c’est antinomique, autant j’ai vu des patrons pas très très clairs, et je me suis dit : “Est-ce que finalement, c’est la seule réponse ?”, mais alors, quel échec sur le plan du dialogue social et autre s’il faut passer par un syndicat ! Pour moi, ça ôte la notion de responsabilité du cadre. C’est-à-dire que pour moi, le cadre n’est plus un individu responsable dont le patron a besoin parce qu’il assume une partie de son truc, il devient une espèce d’anonymat statutaire, ce qui fait qu’il est obligé de parler par personne interposée et alors là, on est parti dans un dialogue de… Mais dans les grandes boîtes, c’est vrai aussi que… Enfin, c’est pas très mûr dans ma tête, c’est encore à l’état d’ébauche. »

Une graduation des distances par les chances

13On peut avancer que la syndicalisation est le signe d’une distance devenue infranchissable entre les cadres et leur direction, qu’elle matérialise l’abandon de chances d’ascension. Ce que les espoirs de carrières pouvaient permettre de contenir de tensions accumulées au jour le jour trouveraient alors, à l’occasion de ce passage à une syndicalisation, de quoi s’exprimer sous une forme acceptable socialement. Ce schéma d’ensemble permet d’établir une typologie en fonction de la position déjà occupée, et des chances de parvenir à ce qui, pour chacun, relève du possible, et surtout, du souhaitable. On peut ainsi dégager grossièrement trois catégories qui se caractérisent par des rapports différents au syndicalisme. La première, probablement la plus réfractaire au syndicalisme, serait composée par les cadres occupant les positions les plus élevées au sein des entreprises. La seconde, difficilement identifiable dans l’espace complexe de l’organisation, serait, elle, constituée par ceux dont les espérances subjectives d’ascension restent fortes, chez ces derniers, la syndicalisation sortirait du domaine de l’envisageable. La troisième, enfin, serait composée par les cadres qui ont fait le deuil de ces espoirs de carrière, c’est parmi ces derniers qu’on aurait le plus de chances de trouver des cadres prêts à se syndiquer.

14Bien sûr, cette typologie écrase nombre de réalités, mais ses avantages heuristiques ne sont pas négligeables. Considérer qu’un basculement vers le syndicalisme est possible à ce point de rupture qui annonce la fin des espérances subjectives d’ascension professionnelle invite à quelques remarques. D’un côté, il semble qu’il faille revoir à la baisse, au moins dans un premier temps, le caractère déterminant des héritages familiaux face à ce qui n’apparaît plus que comme un passage à l’acte possible à l’intérieur des évolutions d’une trajectoire professionnelle. Pourtant, et comme on le verra par la suite, si la référence à l’héritage familial ne suffit pas à comprendre la distance au syndicalisme, elle permettra malgré tout de saisir les formes et le sens que pourrait prendre une éventuelle syndicalisation.

Conversion et résonances

  • 13 C. Suaud, La vocation. Conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Les Éditions de Minui (...)
  • 14 Les propos tenus par l’ancien président de la CFE-CGC sont à ce titre intéressants, puisqu’ils rap (...)

15Au principe de cette adhésion, de cette affiliation, de cette inscription de certains cadres dans le mouvement syndical, on peut trouver ce que Charles Suaud appelle « une affinité structurale entre la position13 » occupée par ces cadres dans l’espace de l’entreprise et la représentation qu’ils se font du rôle du syndicalisme dans le dialogue social. Se rapprochant du bas parce qu’ils ne parviennent plus à se hisser vers le haut, ces cadres recueillent une pluralité de résonances catégorielles qui leur rappellent que les efforts des membres de la catégorie cadre pour s’écarter du bas de l’entreprise ne sont pas définitivement ni nécessairement couronnés de succès, qu’ils peuvent échouer, ils en sont la preuve vivante. En les attirant vers le bas, ces rapprochements les portent aussi à voir dans la revendication, le désaccord et la protestation, des attitudes légitimes. Dans la plupart des cas qu’on a rencontrés, il apparaît que les individus justifient leur entrée dans le syndicalisme en mobilisant des catégories (mentales) héritées d’un passé déjà lointain, comme si ce détour par l’ancien, compréhensible par la représentation qu’ils se font de l’action syndicale, permettait de rendre légitime ce passage à l’acte, comme si une critique de la modernité trouvait soudainement dans la syndicalisation une voix d’expression acceptable socialement. Par là, en mobilisant des catégories anciennes, les cadres se sentent alors autorisés à conserver, obtenir, s’octroyer et revendiquer un droit d’opposition et d’expression ; il y a là un fort principe de justification de leurs actes14.

Une voie de sortie honorable (étude de cas n° 11)

  • 15 La libéralisation du marché des télécommunications aura fait perdre à l’entreprise A1 le monopole (...)

16Le fragment d’entretien qui suit est représentatif du rapport que peuvent entretenir au syndicalisme des cadres qui, s’en approchant, pour ainsi dire, par défaut, se sentent alors autorisés à endosser, légitimement, le discours de la protestation. On sait que la trajectoire professionnelle de Thierry stagne, qu’il souffre d’un manque de reconnaissance de la part des représentants de son entreprise, que des distances ne cessent de s’accroître entre lui et eux, qu’il pâtit de la mise en place de stratégies d’évictions insidieuses, qu’il se réfugie progressivement dans une forme d’indifférence protectrice, qu’il hésite encore et toujours à quitter son entreprise15. C’est dans ce contexte de mises à l’écart et de distanciations plurielles à l’égard de tout ce qui se rapporte au travail, qu’il décide de se syndiquer.

Une voie de sortie honorable
«Enquêteur : Bon, depuis la dernière fois qu’on s’est vu, tu t’es syndiqué…
Thierry : Oui. Bon, suite à cette entrevue où ils m’ont engueulé comme du poisson pourri, j’ai accusé le coup, ça m’a un peu démoralisé, ça m’a atteint, et je me suis posé des questions et suite à ça, j’ai pris la décision de me syndiquer. Plus pour apprendre… comment dire… à agir face à ça, que dans un intérêt personnel. Agir face à ça, mais, je ne sais pas si on peut grand chose. C’est vraiment un fossé entre les exécutants et puis ces gens-là quoi. Il y a des responsables d’équipe… Je ne sais pas ce qu’ils font… s’ils travaillent ? Et là, je pense que l’an prochain, tous ceux qui travaillent avec moi, à mon niveau, à part un, eh bien, on n’a rien à espérer, on fait notre boulot, et puis c’est tout. Ça ne sert à rien d’en faire plus… puisqu’on nous promet toujours des choses qu’on n’a pas… et maintenant, ça va faire plus de 10 ans, c’est bon quoi. Donc, je me suis syndiqué.
Enquêteur : Et tu t’es inscrit à quel syndicat ?
Thierry : À la CFDT.
Enquêteur : Donc, le fait que tu te sois fait passer un savon, comme tu dis, ça a été un élément déclencheur pour que tu te syndiques ?
Thierry : Oui, mais, il n’y avait pas que ça, il y avait aussi le fait que je repasse à temps plein aussi, parce que je pense que j’avais plus le temps de m’occuper de ça, donc, il y avait ces deux choses qui ont fait que je me suis syndiqué.
Enquêteur : Mais, tu y pensais depuis longtemps ?
Thierry : Oui, j’y pensais depuis longtemps, mais je pense que je n’étais encore pas assez mûr pour ça… du style… Là, tu vois, par exemple, mon responsable, cette semaine, il me dit à midi qu’il y a une réunion à 13 h 15, moi, de 13 heures à 13 h 30, j’avais quelque chose à faire, donc, je lui ai dit : “Je ne pourrais pas venir, j’ai quelque chose à faire.” C’est la pause repas, tu as le droit de prendre une pause, et là, il me dit : “Qu’est-ce que tu as à faire ?”, je lui ai dit : “Ça ne te regarde pas”, et c’est le genre de réponse que je n’aurai peut-être pas fait il y a un ou deux ans quoi, je me serais justifié.
Enquêteur : Est-ce que tu l’as dit à d’autres collègues que tu t’étais syndiqué ?
Thierry : Oui, il y en a qui le savent. Mais mon responsable juste au-dessus de moi ne le sait toujours pas. Moi, je l’ai dit à tous les collègues, je leur ai dit : “Il faut se syndiquer les gars !” Mais je le dis… enfin, je vais voir ce que c’est que les syndicats, c’est tout, j’en espère pas grand chose… on verra bien. […] Maintenant, je vais au boulot faire mon boulot et puis que je me casse le soir, et je mets un masque au boulot quoi. Je prends rarement des pauses café, je bosse et je m’en vais quoi. À la limite, il y a des journées où je ne parle à personne presque. Mais je ne suis pas le seul dans ce cas-là.
Enquêteur : Et les syndicats, même si tu me dis que tu n’en attends rien, tu le fais pourquoi, tu n’as pas d’attentes ?
Thierry : C’est pour mon évolution personnelle, mais aussi pour le collectif, pour justement faire en sorte que l’escalade qu’il y a actuellement… Bon, elle touche des privilégiés, mais il y en aura de moins en moins de privilégiés, et que de l’autre côté, à la base, ils virent des gens qui font partie de sociétés extérieures et aussi les plus vieux, donc, les deux limites dans la pyramide, puisque les gens de sociétés extérieures ce sont les plus jeunes, et après, qui est-ce qu’ils vont virer ?… On ne sait pas. Normalement, ça devrait être des chefs qui ne servent à rien, mais je ne pense pas. »
Le courage du désarroi
Cette syndicalisation chez Thierry intervient à la suite de différentes formes de prises de conscience. D’un côté, il ne fait plus de doute pour lui que sa carrière est bloquée, le deuil de ses chances d’ascension est déjà entamé. Dans l’entreprise (A1) dans laquelle il travaille, l’externalisation de la main d’œuvre commence par le bas. Sur le site nantais où il se trouve, elle se traduit par l’éviction des populations les moins diplômées, mais aussi par celle des plus âgées. En n’évoluant pas, Thierry risque d’être rattrapé par ce mouvement. La conscience qu’il a de ce fait est claire, son angoisse réelle : « et après, qui est-ce qu’ils vont virer ? » On a là une illustration de ce qu’on évoquait plus haut comme une prise de conscience (ici, de risques encourus) de ma ressemblance à l’Autre découlant du sentiment de partager avec lui certaines caractéristiques objectives. Chez Thierry, c’est la prise de conscience de partager avec ceux du bas – qu’on expulse – certaines caractéristiques, qui le pousse à se syndiquer. Mais, le vocabulaire qu’il emploie, et surtout, celui qui n’apparaît pas, « montre » toute la difficulté chez lui à mobiliser des cadres de pensées qui fassent référence à du collectif (d’individus), ainsi qu’à du temps collectif ; ici, priment ses inquiétudes personnelles.
Par ce passage à l’acte, Thierry semble s’autoriser à la protestation. Cette forme de stratégie d’adaptation-protection lui permet de rendre acceptable socialement l’expression d’une opposition, la sienne, elle lui confère une légitimité, la justifie. Du silence, de l’abnégation, du repli sur soi, Thierry passe soudainement à la revendication protestataire, entraînant les autres vers ce qui lui semble juste, le soulèvement – « Il faut se syndiquer les gars ! » –, même si ses propos laissent à penser qu’il y a encore loin du songe à la réalité. Ses ambitions et prétentions restent en effet modestes, Thierry ne se fait pas beaucoup d’illusions.
Cette forme de réaction illustre à merveille la thèse que nous défendons. Tout se passe en fait comme si la syndicalisation de Thierry résultait de la perception qui est la sienne de la disparition de ses chances d’ascension. Ainsi, par cet acte, des tensions jusque-là contenues trouveraient un canal d’expression légitime. Dans ces conditions, l’agrégation d’intérêts individuels peut-elle être à la source de la création de solidarités quand ce qui motive la syndicalisation puise à l’énergie du dernier espoir ? Plantée de cette façon, la question de la contribution des cadres à la dynamique du capitalisme a quelque chose de pathétique.

D’UNE GÉNÉRATION À L’AUTRE

  • 16 On aura donc là trois façons possibles de comprendre comment un fils de chef d’entreprise, un fils (...)

17En affirmant que la variation des écarts entre chances objectives et espérances subjectives de faire carrière peut être considérée comme un facteur déterminant des distances qui séparent ou rapprochent les cadres du syndicalisme, on a aussi avancé, parallèlement, que le pouvoir d’influence des héritages familiaux devait être revu à la baisse. Pourtant, il convient d’affiner et de nuancer ces propos. En fait, si ce type d’explication (par les écarts) ne prédispose pas à comprendre ce qui a pu motiver le « choix » d’une orientation syndicale (pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ?), il ne permet pas non plus de cerner quelle signification peut revêtir pour chacun le projet de se syndiquer. En renouant un dialogue avec le temps long des histoires des familles, on voudrait avancer dans ce type de compréhension. Pour ce faire, on partira de trois cas16, Louis, Christophe et Béatrice.

La nécessité du maintien

18Du côté de Louis, le brutal revirement d’un destin de vie qui aurait dû l’amener à remplacer son père à la tête de l’entreprise familiale s’accompagnera, on l’a vu, de plusieurs périodes de chômage. Par ces accidents, la certitude de sa non-appartenance aux groupes d’élites des cadres conduisit Louis à revoir à la baisse nombre de ses aspirations professionnelles (« J’ai mis un mouchoir sur mes ambitions »). Pourtant, cette conscience d’une carrière bloquée ne se traduira pas par une syndicalisation.

19Chez Louis, les figures du père et du patron, les institutions qu’elles représentent, le pouvoir et le prestige qui s’en dégagent forment un tout. Pour Louis, il va de soi que la présence de syndicats au sein de l’entreprise paternelle ne peut être attribuée qu’aux « largesses » de son grand-père. On sait aussi à quel point le respect des hiérarchies est chez lui structurant de son identité. Se syndiquer reviendrait alors probablement à franchir deux types de séparations qui le distinguent des autres et le confirment dans la valeur de sa différence. En se syndiquant, Louis opérerait une double trahison, l’une à l’égard de son père, l’autre relative à la représentation qu’il se fait du travail. Se maintenir à l’écart de ce type de groupement relève donc pratiquement d’une forme de survie identitaire. Mais, si la révision à la baisse de ses aspirations ne se traduit pas par une syndicalisation, le regard qu’il porte sur la place et le rôle que peuvent et doivent jouer les syndicats dans le monde du travail en viendra, lui, à changer au cours du temps. Dans le fragment présenté plus haut (« Ça me paraît incompatible avec le statut de cadre responsable »), on a pu constater que la confiance que Louis accordait aux patrons avait sur lui pour effet de le conduire à voir dans les syndicats un artifice indésirable. Mais, le doute s’insinue pourtant chez lui (« C’est pas très mûr dans ma tête »)… les patrons peuvent tricher, il en a fait les frais. On le retrouve maintenant un an après avoir réalisé l’entretien auquel on vient de faire référence.

« J’avais dit ça ! »
« Enquêteur : Les syndicats, vous m’en avez déjà parlé lors de notre premier entretien, en me disant grosso modo que quand on en arrivait à négocier avec les syndicalistes, c’était qu’on était arrivé dans une espèce d’impasse, je crois que vous parliez d’échec, en fin, en gros, que c’était dommage d’en arriver là.
Louis : J’avais dit ça ! [d’un air étonné] Si j’avais à le reformuler maintenant, je pense que les syndicats sont nécessaires… Ici, on a un délégué du personnel. Heureusement qu’on a un interlocuteur, ça aide… Là-dessus… C’est pour ça que je suis étonné de ce que vous me dites. Simplement, la difficulté c’est quand vous avez des syndicats marxistes, parce que eux, c’est casser le système qui les intéresse, donc là, il n’y a pas de dialogue possible. En revanche, si vous êtes en face de gens… Nous, depuis qu’on a un DP [directeur du personnel], on n’a jamais eu autant de… On a obtenu des tickets restaurants… Enfin, on fait évoluer les choses de manière tout à fait favorable et intéressante. Non, ça c’est très bien, au contraire. C’est pour ça que ça m’étonne ce que vous dites. C’est extrêmement important d’avoir un interlocuteur et qu’il soit en phase avec sa base, il n’y a rien de tel qu’un mouvement social qui ne serait pas structuré et contrôlé, parce qu’il faut en sortir, et donc, pour en sortir, il faut que les gens puissent se mettre autour d’une table, donc, il faut que ça fonctionne. »

Un engagement modéré

20Du côté de Christophe, nombre de facteurs concourent à le faire pencher du côté de la syndicalisation, pourtant, il hésite. On sait que ses chances de faire carrière diminuent. Bien qu’il invoque des motifs qui laissent à penser que son ascension dépende de sa seule volonté, une recherche plus en profondeur des déterminismes au principe de ses « choix » aura permis de mettre en évidence quelles logiques agissent – parfois à son insu – qui l’empêchent littéralement de gravir des échelons supplémentaires. On retrouve, dans les propos tenus par Christophe, des angoisses proches de celles formulées par Thierry. Souvenons-nous que des processus déjà enclenchés d’externalisation par le bas de la main d’œuvre faisaient de ce dernier un prochain possible sur la liste des départs involontaires ; les propos de Christophe ne sont pas sans comporter quelques affinités avec ce type de préoccupations. En effet, les importants mouvements de fusions-acquisitions dans lesquels se trouve prise son entreprise perturbent la lisibilité qu’a Christophe de sa position, et augmentent aussi, dans le même élan, chez lui, une prise de conscience de son interchangeabilité. Pourtant, prenant appui sur le sentiment qui est le sien d’une incompatibilité entre engagement syndical et fonction hiérarchique, il parviendra à expliquer et à justifier son désinvestissement soudain dans une grève. Mais, un sentiment de culpabilité le tiraille, « ne pas faire grève » va à l’encontre de ce qu’il pense être, et devoir présenter aux autres. Il y a de l’inconciliable dans les tensions qui le traversent ! Ce refus de rentrer dans l’action syndicale a donc toutes les chances d’être des plus douloureux pour Christophe chez qui l’alliance entre l’action et le collectif reste forte. Rentrons à présent dans son discours en l’écoutant nous narrer « l’histoire de la grenouille » ; sorte de baromètre d’un état de la conscience collective.

La grenouille
« Christophe : Alors là, on est dans un monde où… On vit dans le monde des fusions-acquisitions, complètement… C’est ce qui se passe au niveau mondial… Donc, tu as des doublons, des triplons, voire plus… Des systèmes de facturation, il y en a au moins une dizaine dans N ° 3’, mais avec 3 principaux, ou 4. Bon, on facture les clients, eh bien dans une boîte… une dizaine c’est trop, et c’est encore trop. Un jour, il n’y en aura qu’un. Donc, qui c’est qui va disparaître ? Il y en a un à Dublin, il y en a un à Paris, il y en a un ici… Qui c’est qui disparaît ?
Enquêteur : C’est angoissant ça ?
Christophe : Oui. Qui c’est qui disparaît ? Mais disparaître, c’est disparaître quoi. Enquêteur : Ce climat, je ne sais pas si on peut parler de climat d’angoisse, tu le ressens ici ?
Christophe : Oui. Nous, on a eu des grèves ici… Déjà, l’année dernière. Donc là, la grève, c’est intéressant. Intéressant, parce que tu vois, moi, je suis le premier niveau hiérarchique, euh… Et donc moi, avec mes convictions et puis, avec ce que je pense, eh bien moi, j’ai commencé par faire grève. Alors déjà, il y a un truc, c’est que tous les cadres, la plupart, ils ont tous fait grève… Mais, les cadres, sans fonction hiérarchique… c’est pour te dire qu’on rejoint des réflexes sociaux.
Enquêteur : Toi, tu as fait grève ?
Christophe : J’ai fait grève le premier jour, ça a duré cinq jours, et puis en fait, on m’a fait comprendre… même d’autres copains quoi, qu’en fait, en tant que cadre encadrant, je faisais partie de la direction quoi. Donc voilà, en fait ce qui se passe… Moi, je suis dans le middle management, et dans le middle management, il y a une grosse difficulté à se positionner… Mais, autant il y a des gens que ça ne gêne pas, autant, moi, je me suis senti un peu… fautif quoi de ne pas faire grève. […]
Enquêteur : Quand tu m’a parlé des grèves, où tu m’as dit que tu te sentais un peu entre deux eaux, toi, tu es syndiqué ?
Christophe : Non. Mon père était délégué syndical CFDT, mais après il a arrêté parce qu’il était dégoûté… Un jour, il a fait une grève, pour les… et puis, il s’est aperçu que les mecs ne faisaient pas grève en fait, et puis, personne ne faisait grève… Il a arrêté d’être syndiqué, et depuis il ne s’est plus jamais syndiqué, et puis après, il a retrouvé une place normale dans son boulot. Ici, il y a des syndicats, mais je… je… je ne suis pas syndiqué moi. Moi, historiquement, je votais CFDT… mais là, aux dernières élections, j’ai voté CGT [rires] Parce qu’en fait… euh… Je me dis que ce qui est important, c’est le contrepoids, enfin, le contre-pouvoir quoi, et la CGT, même si la CGT, je ne partage pas toujours la façon qu’ils ont de faire les choses, mais au moins, ils réagissent quoi, alors que la CFDT, ils ont été assez mous quoi.
Enquêteur : Tu penses qu’il y a un déficit de contre-pouvoir ?
Christophe : Ah oui, oui, les gens ils se laissent trop faire ! Il y a un truc, un jour j’étais en formation, et il y a un mec qui a raconté une histoire que je comprends mieux maintenant, c’est l’histoire de la grenouille, comment tuer une grenouille ?
Enquêteur : Vas-y…
Christophe : Eh bien, tu mets une grenouille dans une casserole d’eau froide, et tu mets le feu à fond, et qu’est-ce qu’elle fait la grenouille ? Eh bien elle se barre quoi, elle saute. Par contre, tu mets la grenouille toujours dans l’eau froide et tu montes d’un degré toutes les minutes, eh bien, elle ne s’en va pas, elle cuit, elle est morte. C’est véridique, il paraît. Eh bien voilà, nous, c’est pareil. Je crois qu’il y a beaucoup de gens comme ça, un petit changement, un petit changement, un petit changement, et le problème c’est ça quoi, c’est que les gens ils s’endorment. »

21Pour essayer de comprendre ce qui retient Christophe à entrer en grève et à se syndiquer, un bref détour par une tentative de compréhension des résonances affectives que pourraient entraîner chez lui ces passages à l’acte s’impose. Malgré le sentiment encore fébrile de sa nouvelle appartenance salariale, le père de Christophe se lancera de façon modérée dans l’action syndicale, et essuiera des échecs douloureux. Une génération plus tard, Christophe retrouve, avec d’autres groupes sociaux, ce type de difficultés ; mais poursuivons… Dans le fragment qui suit, on verra que Christophe évoquera sa famille alors que la logique – théorique – de l’exposition ne l’y contraignait pas. Christophe affirmera que « les gens » (lesquels ?) ont compris les raisons qui l’avaient poussé à ne pas faire grève. Rien ne l’obligeait à ce type de détour. Il évoquera soudainement ses parents, leur sens de la justice. Rien ne l’y obligeait non plus. Quelque chose le retient, le tient et le contient, encore et toujours… L’attraction-répulsion qu’exercent sur lui ses proches l’empêche tout autant d’imiter leurs comportements que de les prendre à revers. Tout se passe comme si Christophe ne cessait de se débattre dans des justifications propices à lui permettre de conserver une dignité vis-à-vis de lui-même, et surtout, vis-à-vis des autres ; s’il peut s’arranger de lui, il faut qu’il travaille à entretenir chez les autres une image acceptable de lui-même. La vie de ce transfuge, tendue vers un effort désespéré pour atteindre l’autre rive, ne lui apporte pas les signes de reconnaissance d’une nouvelle appartenance sociale tant désirée. Si, et comme on le verra plus bas, Béatrice oscille entre deux mondes, Christophe, lui, n’appartient plus à l’un et pas encore à l’autre, il est partout étranger à lui-même. Mais, Christophe semble pourtant rattrapé par le monde qu’il cherche à fuir. Une éventuelle syndicalisation et un engagement plus prononcé dans la grève l’ouvriraient alors au gouffre anxiogène du retour à une condition sociale initiale. Il risquerait alors de voir s’ouvrir la porte le conduisant à l’abandon d’une vie en quête des preuves d’une appartenance par le haut. Ces passages à l’acte feraient écho à ce passé qui le tanne et lui rappelle, qu’au moindre de ses faux pas, c (s) es anciens proches restent tapis dans l’ombre de la réussite, ils en sont le revers.

« Un retour d’histoire »
« Christophe : Mon grand frère, il avait une image très… très… Moi, je peux être plus politique, plus louvoyer. Lui, mon grand frère, qui aime bien la justice, comme on l’a apprise chez nous, eh bien il n’accepte pas la hiérarchie si elle n’est pas bonne… Il est parti d’une boîte, il n’a pas su se plier tu vois… Moi, je sais plier et… je ne sais pas jusqu’à quel point… jusqu’à quel point justement, par rapport à mes convictions, ça, je ne sais pas. Je n’ai jamais été amené à traiter un cas qui était vraiment contre mes convictions quoi, sauf le problème de la grève, ça m’a… ouf ! Ça me reste un peu sur le coin de la gorge, mais bon, ce n’est pas majeur quoi. Les gens, ils ont très bien compris, chez moi, que je ne faisais pas grève, mais bon, ça m’a gêné quand même, par rapport à mes convictions… Je ne sais pas jusqu’à quel point je pourrais aller contre mes convictions, je ne sais pas. Pour moi, progresser, c’était important, je ne sais pas pourquoi… quand j’étais petit… Bon, mes parents ils sont à gauche aussi… l’injustice… mes frangins la vivent vachement, mais ils luttent contre, mais ils sont restés du côté de la barrière… l’injustice… moi, je me suis senti franchir une barrière… quoique… Je me sens rejoindre ce monde… maintenant, avec toutes ces histoires de fusion, tout ça, bizarrement, ça fait un retour d’histoire… sauf que j’ai plein de fric, par rapport à un smicard, donc, je ne me plains pas du tout. Mais il y a des gens qui ont encore plus de fric que moi, et c’est encore plus scandaleux. Il y a des injustices… ça revient quoi, tu vois, c’est aussi ça les histoires de grève… mais je me sens avoir franchi… »

Risques et tentations de la chute

22L’impulsion de la trajectoire professionnelle de Béatrice connaît, elle, un fort ralentissement. Des possibles se réduisent, qu’ils soient financiers, géographiques ou bien statutaires. La dernière entreprise dans laquelle elle rentre, fusionne. Au cours de cette fusion, deux de ses supérieurs seront licenciés. Béatrice sent qu’elle n’est pas à l’abri de ce genre de mésaventure. Cette réduction d’un champ des possibles, et l’angoisse, déjà ressentie, de devoir affronter le retour à l’emploi, la contraignent à toujours plus de vigilance. Souvenons-nous que le sentiment de son existence et celui de sa valeur restent, chez cette héritière d’un « cadre maison », suspendus à la nécessité de (se) prouver une appartenance par le haut et une « désappartenance » par le bas, mais, ni l’une ni l’autre ne semblent acquises définitivement. Cette vie en équilibre sur le fil tendu et périlleux qui sépare les classes sociales est celle de Béatrice.

23Le rapport de son père au syndicalisme est net et tranché, il relève de la répulsion (« Les syndicats, c’est les rouges ! »). Le syndicaliste incarne, selon lui, la négation, du travail, de l’entreprise et de ses représentants. Ainsi, en se syndiquant, Béatrice courrait le risque de démolir en un instant ce que des efforts d’une vie (celle de son père) ont cherché à construire et à consolider. Comment ne pas voir alors dans cet acte une forme de renoncement, de la résignation, une sorte d’abandon d’un être pour soi espéré, convoité ? En se syndiquant, Béatrice succomberait aux tentations de la chute. Pourtant, les forces qui lui auraient fallu pour maintenir son existence hors de portée de l’attraction du bas semblent progressivement l’abandonner. Quand on sait ce qu’a d’existentiel pour Béatrice la position salariale qu’elle occupe, on comprend que cet tentation puisse être lourde de sens. Elle risque en fait de signifier l’adieu à une image de soi désirée par autrui, son père.

« Je vais sans doute… je vais me syndiquer »
« Enquêteur : Votre rapport au syndicalisme… Vous n’avez jamais été syndiquée ?
Béatrice : Ah, ben non ! Non, je n’ai jamais été syndiquée parce que les syndicats, j’ai la vision archaïque du syndicat qui empêche l’entreprise de fonctionner, qui est contre tout, qui est archaïque, réactionnaire, contre le changement.
Enquêteur : Et votre tournant, dont vous me parliez, même s’il est récent, ne vous amènerait pas à nuancer ce rapport que vous avez avec le syndicalisme ?
Béatrice : Si. Je vais sans doute… Je vais me syndiquer au syndicat des inspecteurs. Mais enfin, c’est un syndicat extrêmement corporatiste de défense des… [L’enquêteur coupe Béatrice.]
Enquêteur : Vous avez l’intention ou…
Béatrice : Oui, oui. Je veux le faire. Et je pense qu’il y a deux dimensions, il y a une dimension protection, parce que je me dis : demain, ils me virent comme ils virent tous les mecs en ce moment, n’importe comment, donc, protection. Et puis je me dis : finalement c’est le seul contre-pouvoir dans l’entreprise… et oui, il faut quand même le dire.
Enquêteur : Là, vous avez changé énormément pour pouvoir dire ça ?
Béatrice : Oui.
Enquêteur : Il y a quelque temps, vous me disiez que c’étaient « les rouges »… [Béatrice coupe l’enquêteur]
Béatrice : Oui, mais je vous ai dit que j’avais quand même un peu bougé, heureusement [d’un ton doux et mystérieux]. Et puis, un cadre ne se syndique pas. Enfin, un cadre, quelqu’un de responsable, quelqu’un qui a des responsabilités, il ne se syndique pas, et ce serait très mal vu. Et là, pourquoi je vais le faire, parce qu’il y a quand même un taux fort de syndiqués dans l’entreprise. Mais à aucun moment de ma carrière… je n’ai croisé de la drogue et je n’ai pas croisé de syndiqués [rires] vous voyez, c’est à peu près ça.
Enquêteur : C’est marrant quand même, parce que dans le premier entretien, je me souviens de ce que votre père disait sur les syndicats, que ça générait des rapports de force, et qu’en gros, c’étaient des mauvais.
Béatrice : C’est les méchants et les mauvais. Et, qui se syndique ? Le mauvais ouvrier qui veut se protéger. Il y a ça aussi. Il y a ce double langage. C’est le méchant et le mauvais. Celui qui est un bon travailleur, il ne se syndique pas, il n’en a pas besoin.
Enquêteur : Maintenant, vous qui pourriez avoir quelques craintes, vous pourriez donc vous syndiquer ?
Béatrice : Oui, bien sûr. Et puis, parce que je me dis… Donc là, il y a des gros changements, etc. C’est effectivement un contre-pouvoir, c’est le seul contre-pouvoir, c’est le seul. Au-delà même de ma pomme, parce que je pense que je serais partie avant, et qu’à la limite, si je négocie un départ… »

24Penchons-nous à présent, pour finir, sur ce que l’on peut qualifier d’indicateur pertinent des transformations du rapport au travail des cadres : l’évolution des demandes du temps consenti à s’y consacrer.

Anmerkungen

1 L. Boltanski, Les cadres, op. cit., p. 148.

2 « Dans le secteur privé, 7,5 % des cadres d’entreprise sont membres d’un groupement syndical ou professionnel, contre 5 % des ouvriers. » T. Amossé, « Mythes et réalités de la syndicalisation en France », Premières synthèses informations, DARES, octobre 2004, n° 44.2, p. 4.

3 La répartition de ces votes entre la CGT, la CFDT, puis la CFE-CGC, fait apparaître les résultats suivants entre 1987, 1992 et 1997 : pour la première de ces dates et de ces sections, le pourcentage des voix obtenues est de 14,6 %, en 1992 il est de 13,4 %, et en 1997 de 16,2 %. Pour la CFDT, les pourcentages varient de 21,3 % à 23,5 %, puis s’élèvent à 31,5 % en 1997. Pour la CFE-CGC, on passe de 29,4 % en 1987, à 27,1 % en 1992, puis à 21,9 % en 1997.

4 P. Bouffartigue, « La crise d’un salariat de confiance. Les cadres déstabilisés », Actuel Marx, octobre 1999, n° 26, PUF, p. 65.

5 « Lors du congrès extraordinaire du 22 mai 1981, le changement de sigle est décidé. En effet, l’organisation [CGC] entend désormais marquer sa vocation à rassembler l’ensemble du personnel d’encadrement (techniciens et agents de maîtrise compris), et non pas les seuls cadres. Mais ce n’est qu’au congrès de 1987 qu’apparaît officiellement le signe CFE-CGC. » J.-P. Juès, Les cadres en France, op. cit., p. 63.

6 P. Bouffartigue et C. Gadéa, SDC, op. cit., p. 101.

7 « Consciente d’un isolement qui lui serait fatal si elle ne cherchait pas à s’associer aux autres confédérations, à s’inscrire officiellement dans la négociation européenne, la CFE-CGC n’en entend pas moins maintenir sa particularité et celle des cadres au sein du salariat. Option sans doute viable à court terme, d’un point de vue organisationnel, mais qui, faute de prendre la mesure des contradictions inhérentes à un projet autonome de l’encadrement, risque de faciliter l’attraction de la CFDT, voire de la CGT. » Liaisons Sociales – Quotidien, « 31e Congrès de la CFE-CGC (16-18 juin 1999, Tours) », Vendredi 6 août 1999, n° 62/99, p. 1.

8 Les exemples de Thierry (Une voie de sortie honorable) et de Christophe (La grenouille) illustreront ce phénomène.

9 « Au-delà de la santé du corps, les préoccupations relatives à la santé mentale, à la souffrance psychique au travail, à la crainte de l’aliénation, à la crise du sens du travail, non seulement n’ont été ni analysées, ni comprises, mais elles ont été le plus souvent rejetées et disqualifiées. » C. Dejours, Souffrance en France. La banalisation de la justice sociale, Paris, Seuil, 1998, p. 42.

10 L. Boltanski, Les cadres, op. cit., p. 27.

11 Toute l’ambiguïté de cette attitude se lit dans les résultats suivants : « À la lueur de nos résultats, 83,7 % des cadres affirmant n’appartenir à aucune organisation syndicale déclarent devoir “être syndiqués” au même titre que les autres salariés. » E. Peres, « L’univers des cadres et l’action syndicale : pratiques et représentations », GDR CADRES, op. cit., p. 449.

12 On verra par la suite, à travers l’analyse d’autres cas, que les hésitations de Bernard et de Louis peuvent probablement être mises sur le compte de ruptures de trajectoires qui leur ont fait connaître à l’un comme à l’autre des périodes de chômage.

13 C. Suaud, La vocation. Conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1978, p. 191-192.

14 Les propos tenus par l’ancien président de la CFE-CGC sont à ce titre intéressants, puisqu’ils rappellent des mots et slogans qui ont pu être tenus une trentaine d’années plus tôt pour une autre catégorie de salariés. « Le nouveau président de la CFE-CGC s’est […] violemment attaqué à la “tyrannie” du marché, “ce monstre froid, anonyme, virtuel, auquel tout doit être subordonné”, et à la “logique suicidaire” des employeurs “qui se servent des salariés comme d’une variable d’ajustement”. » A. Garcia, « Jean-luc Cazettes élu à la tête de la CFE-CGC », Le Monde, n° 16920, dimanche 20/lundi 21 juin 1999, p. 32. Les expressions en italique proviennent de propos tenus par Jean-Luc Cazettes élu président de la centrale au congrès de la Confédération française des cadres le 28 juin 1999, et aujourd’hui décédé.

15 La libéralisation du marché des télécommunications aura fait perdre à l’entreprise A1 le monopole qu’elle avait su développer et conserver auprès de certains clients qui assuraient l’essentiel de son chiffre d’affaire. Ainsi, la certitude d’un avenir serein se trouva-t-elle subitement remise en cause. Afin de répondre dans les meilleurs délais aux évolutions d’une demande placée dans un marché concurrentiel, l’entreprise A1 adoptera une organisation matricielle en 1996 (Thierry y travaille depuis déjà 6 ans), elle mettra en place des cellules de projet et portera toute son attention sur la relation client. Pourtant, dès 1998 des chiffres d’affaires en faible hausse conduiront à des licenciements importants. Dans l’entreprise A1, externalisation et licenciement de certaines populations commenceront par le bas, par la production. Les changements de l’organisation de la production (cellules par projets, diminution des niveaux hiérarchiques, horizontalisation de la relation client, etc.) se heurteront à la résistance des individus en poste. Dans l’entreprise A1, la structuration – mentale et physique – d’une organisation pyramidale reste perceptible. Dans cet espace à fine stratification, ne pas gravir d’échelons (approximativement dans les cinq années qui suivent son entrée) pour un ingénieur débutant, peut être synonyme d’une carrière mal engagée. Situé dans le haut du bas de la hiérarchie, Thierry ne pouvait alors manquer d’être sensible à ce processus d’externalisation-éviction de la production, puisque, dans le même temps, le piétinement de sa position, d’une certaine façon, le rapprochait du bas.

16 On aura donc là trois façons possibles de comprendre comment un fils de chef d’entreprise, un fils de classe moyenne et une fille de « cadre maison » peuvent se rapporter au syndicalisme.

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