Les îles du Ponant photographiées par Guy Hersant, et l’aventure du groupe « Sellit »
p. 111-124
Texte intégral
1Parmi les nombreux points que possèdent en commun l’art de voyager et la pratique du reportage, l’on pourrait mentionner le suivant : c’est en pays étranger qu’ils s’accomplissent le plus favorablement. L’œil y est d’emblée aux aguets, comme nettoyé des crasses que l’habitude et la proximité avaient sournoisement accumulées. Alors, comment photographier le banal, le familier, sans pour autant rechercher le pittoresque ? Il faudrait inventer pour l’œil l’équivalent de l’expression de « langue maternelle » ; peut-être une « vue maternelle » ?
2C’est cette « vue maternelle », que d’emblée les membres du Groupe Sellit ont choisi de constituer, de faire connaître. Ce fut le « programme », informel mais résolu, de leur association : existe-t-il un univers visuel qui soit propre aux gens de Bretagne ? Comment lui donner consistance et cohérence ? Par quels moyens le faire reconnaître, le « valoriser », comme on dit aujourd’hui ?…
3Nous sommes à la fin des années 1970. À la charnière entre deux générations. La première, celle des photographes humanistes et de l’âge d’or du reportage, est désormais pleinement reconnue : pas tout à fait encore du grand public, mais au moins des passionnés qui voient en Boubat, Ronis, Doisneau, Capa, Cartier-Bresson, des références, sinon à imiter, du moins à méditer, y compris pour s’en différencier. Légitimement, la génération des photographes nés après 1945 souhaite s’en inspirer sans les singer. On est bien après la guerre mondiale, la guerre d’Algérie est terminée et la géopolitique n’incline plus en direction des conflits internationaux, davantage vers les questions régionales. Ou individuelles : loin d’être la grande révolution dont certains rêvaient, mai 68 fut surtout une crise d’affirmation du primat de l’individu, dans laquelle la question des mœurs aura été primordiale.
4Une double redéfinition est en cours : celle des enjeux sociaux de la photographie, et celle de ses acteurs. Et si la génération des grands reporters a su en effet imposer la photographie à la fois comme un art et un médium journalistique, il reste à celle qui la suit à effectuer une sorte de retour aux sources. À renouer avec une tradition plus ancienne, par laquelle un photographe pouvait se définir comme artisan, ouvrier de l’image, sans rien concéder en termes d’ambitions esthétiques, même si celles-ci sont apparemment plus modestes que de témoigner des grands conflits : il suffit de constater, de documenter, de dire visuellement un état des choses. C’est pourquoi les photographes dont nous allons parler iront voir non pas du côté de Magnum, l’agence la plus prestigieuse, mais en direction de Viva, agence davantage tournée vers les questions qu’on appellera plus tard « sociétales », avec une fibre plus militante. Ils se préoccuperont moins d’affirmer une esthétique reposant sur des principes forts et des personnalités faisant autorité, que de nouer des liens personnels avec les sujets qu’ils photographieront. Ils viseront moins la transcendance de l’image que la proximité avec celles et ceux qui en seront les acteurs. C’est pourquoi les photographes du Groupe Sellit seront à parts égales des commerçants ayant l’obligation de gérer un studio, des passionnés ayant pour vivre d’autres ressources que de vendre leurs images, et des artistes indépendants travaillant au rythme des commandes.
5Tout est parti d’une série de stages de formation professionnelle, organisés par Jean Corre à la chambre des métiers de Rennes. L’un des animateurs en est Guy Le Querrec, de l’agence Viva, dont la forte personnalité et l’enthousiasme conduisent les stagiaires, recrutés sur les quatre départements bretons, à envisager de fonder une association qui permettrait de promouvoir la photographie qu’ils ont envie de faire. L’un d’entre eux fait un peu figure d’aîné : né en juin 1944 à Bannalec, où il est artisan, son travail, exigeant et rigoureux, jouit déjà d’une belle notoriété. C’est Michel Thersiquel. Il a montré en 1968 ses premières photographies au café parisien Le Procope (mythique lieu de rencontre des philosophes des Lumières). Il expose en 1972 à la galerie de la Bibliothèque nationale, et en 1976 au musée de Brest. Ses photographies sont aussi publiées dans des revues françaises et européennes. Thersiquel a tout juste la trentaine, mais il fait montre d’une maturité intellectuelle et artistique remarquable, entretenant des relations avec de nombreux écrivains, artistes et musiciens, tels Xavier Grall, Georges Perros, le peintre Daucho, les chanteurs Glenmor, Gilles Servat, Alan Stivell, Jean-François Kéméner… Le gratin de la jeune vague culturelle bretonne, qu’il photographie naturellement, et dont il épousera les causes. Il va trouver le nom qui fédèrera ces photographes : « Sellit », qui signifie « regardez » en breton. Le terme est judicieux : l’impératif signale un devoir, une nécessité, une évidence : d’inventer en commun un savoir-voir, dont l’objet n’est rien d’autre (et l’emploi du breton le dit assez) que ce que l’on a sous les yeux…
6Le 26 février 1979, les statuts de l’association Sellit sont déposés. La presse régionale s’en fait l’écho. Le Télégramme du 16 mars publie un article de Michel Derrien, intitulé « Sellit, une association de photographes pour regarder la Bretagne ». Le jour suivant, Ouest-France annonce : « “Sellit !” est née : pour un meilleur regard sur la Bretagne ». Quelques mois plus tard, en novembre 1979, le magazine Photo-Cinéma titre, un brin condescendant, « Ce n’est pas du folklore ». C’est le mot qui fait mal, évidemment, mais au moins a-t-on compris qu’il s’agit d’en finir avec la vision nostalgique ou misérabiliste de la Bretagne, avec le mépris envers une culture sans instance de légitimation forte. Il y a derrière tout cela une déjà longue et pénible histoire…
Figure 1. – Guy Hersant, Batz, Un dimanche, janvier 1981.

7L’association comprend alors quatorze membres : Yvon Boelle (Pontivy), Michel et Roselyne Dupuis (Paramé), Jean Éveno (Baud), Michelle Ferron (Hédé), Michel Follorou (Plestin-les-Grèves), Guy Hersant (Lorient), Alain Le Nouail (Lorient), Alain et Françoise Le Roy (Lesneven), Marc Letissier (Kerlouan), André Percepied (Vannes), Yves Rouillard (Auray) et Michel Thersiquel (Bannalec).
8Que dit le texte rédigé par les fondateurs de Sellit en manière de manifeste ? Qu’il s’agit « de témoigner, à travers nos photos, de la réalité sociale, culturelle, économique de notre région. Chaque membre garde son identité photographique et idéologique. Sa démarche n’est pas seulement créative ou illustrative, elle est liée à un travail d’information et de réflexion sur les sujets abordés ». Il n’y a donc pas de ligne esthétique ni idéologique précise, par souci de ne pas verser dans le dogmatisme. Mais que Sellit ne soit pas un groupuscule trotskiste ni maoïste, comme il en fleurissait alors, n’empêche nullement l’affirmation d’un fort souci politique, au contraire. C’est que la Bretagne, plus encore que bien des régions, s’est métamorphosée durant les Trente Glorieuses, et sa modernisation affecte tous les secteurs économiques et sociaux. Une population qui, depuis longtemps, a beaucoup investi dans la promotion par la réussite scolaire commence à être parfaitement consciente que les efforts consentis sont payants, et que, dès lors, les évolutions socio-économiques doivent être suivies de mutations dans l’ordre du symbolique. Plus simplement, l’image que les Bretons ont d’eux-mêmes n’est plus en phase avec celle qui leur est renvoyée par les médias, les institutions ni l’opinion commune.
9Une série d’événements va probablement jouer dans la cristallisation de ce sentiment de déphasage. Entre 1967 (Torrey Canyon) et 1978 (Amoco Cadiz), ce sont quatre naufrages qui ponctuent ces onze années. Si l’on y ajoute l’affaire de la centrale de Plogoff (la mobilisation des opposants débute dès 1979), se sont déroulés des faits qui non seulement ont mis la région bretonne au premier plan de l’actualité nationale et internationale, mais surtout qui ont donné d’elle une image n’ayant plus rien à voir avec celle d’un archaïsme complaisant qui lui collait à la peau. Au contraire, elle fut la première région à se trouver confrontée à un phénomène on ne peut plus lié à la modernité : les questions environnementales et énergétiques, qui prendront vite une importance majeure. Or, les membres du groupe Sellit ont unanimement conscience du décalage existant entre la réalité vécue sur le terrain par les habitants, et le traitement de l’information (surtout par l’image) telle que restituée par des journalistes qui n’ont eu, à propos de ces événements successifs, ni le temps ni surtout le souci de se pencher sur leur résonance locale.
Figure 2. – Guy Hersant, Molène, enfants dans une barque avec un spi de fortune, août 1979.

10Aussi bien, puisque l’on vit sur des images qui désormais datent, convient-il d’en refaire d’autres, lesquelles ne seraient pas nécessairement flatteuses, mais plus exactes, plus pertinentes, et permettraient au moins de mieux prendre en main un commun destin qui s’esquisse… L’histoire ne devait pas tarder à donner matière à une mise en œuvre : au printemps 1980, le naufrage du pétrolier Tanio sur la côte de granit rose sera l’occasion d’une mobilisation collective du groupe Sellit, qui couvrira les divers aspects de la catastrophe et publiera dès la fin de l’été un ouvrage collectif broché de soixante pages, intitulé Marée noire, avec le soutien des élus de la côte polluée1.
11Il y eut probablement, dans la formation du groupe Sellit, un autre facteur, lié à l’émergence de la culture et l’identité bretonnes. Il arrivait en ces années que l’on passât de la pratique des festnoz (qui fleurirent y compris en pays gallo) à la défense de la langue, puis à la tentation de militance violente. Mais, même si les statuts du groupe Sellit avaient prévu la coexistence de plusieurs sensibilités à l’endroit de la question régionale, tous ses membres étaient conscients que le levier dont ils disposaient était de nature culturelle, et que, sur ce terrain, mieux valait créer que détruire (la retentissante réprobation populaire de l’attentat de Roc’h Trédudon en 1974 contre un relais de télévision l’avait amplement démontré !).
12Outre la personnalité de Michel Thersiquel, celle de Guy Hersant vint aussi à s’imposer.
13Né à Fercé, en Loire-Atlantique, en 1949, il avait la particularité d’être aussi bien un enfant du cru qu’un « exote », comme on disait des écrivains voyageurs, Loti ou Ségalen. Son sentiment d’appartenance à une terre d’origine n’a jamais engendré chez lui l’esprit de clocher, au contraire, puisqu’il le compensait (ou le complétait) d’une vitale curiosité envers les pays les plus lointains. Ce fut son antidote au nationalisme, et il fut contagieux.
14En 1977, Guy Hersant avait entrepris ce qui était encore un projet individuel : photographier l’une des îles bretonnes, Ouessant. Mais l’année suivante, il est en Chine, pour une commande de la bibliothèque publique d’information du centre Pompidou, qui vient d’ouvrir ses portes. Dès 1971, c’est en Afrique noire qu’il s’était rendu, y retournant régulièrement, notamment à Bamako, au Mali, où il fut assistant dans un studio tenu par un Français. C’est là qu’il fera la rencontre de Malick Sidibé, avant qu’il ne devienne célèbre. Par la suite, à partir de 1990, Guy Hersant fera beaucoup pour la mise en valeur des œuvres de ces photographes africains, découvrant quelques fonds anciens de première importance : Vanderpuije au Ghana et Fasunon au Nigeria. Il permettra aussi la mise à jour du travail de nombreux jeunes photographes ambulants, qui ont au moins en commun avec lui d’être indifféremment artistes et artisans. Quel rapport entre ces pôles : Ouessant, la Chine et l’Afrique ? Guy Hersant n’y a pratiqué nulle part le journalisme ; l’événementiel ne l’intéresse que de loin. Ce sont des singularités humaines fortes qu’il recherche, des modes de vie reposant sans doute sur des conditions matérielles ou naturelles quelque peu rudes, mais ayant cependant l’avantage de mettre en valeur ou de faire émerger des caractères affirmés. Des hommes et des femmes bien « trempés » !
15Les îliens le sont, à n’en pas douter. Son initiative individuelle, entamée en juin 1977, Hersant convainc Sellit de la transformer en une affaire collective. Ce fut, chronologiquement, le premier projet du groupe : se saisir des îles du Ponant comme d’une entité singulière.
Figure 3. – Guy Hersant, pêcheurs de Sein à Ouessant, au café Khéo, 1981.

16En 1979, Michel Thersiquel, Guy Hersant et Alain Le Nouail se répartissent donc cet ensemble d’îles bretonnes, où ils se rendront régulièrement afin d’y nouer avec leurs habitants des liens de complicité, de proximité, de confiance, selon l’exigence éthique du groupe Sellit. Thersiquel va à Sein et Groix. Hersant embarque pour Belle-Île et revient à Ouessant. Le Nouail débarque le 8 juillet 1979 à Hoedic. Entre septembre 1980 et août 1982, ensemble ou séparément, tous trois séjournent à plusieurs reprises à Batz. À l’issue de ces trois années, leur travail prendra deux formes. La publication par l’imprimerie de l’Iroise de six ouvrages, chacun consacré à l’une de ces îles, dont la conception graphique revient à Alain Le Quernec, et l’exposition itinérante intitulée Îles : reportage sur les îles du Ponant.
17Alain Le Nouail, le benjamin du trio, est quant à lui natif d’Auray. Il a 30 ans en 1982, a travaillé depuis 1976 comme ouvrier photographe (assistant Guy Hersant durant trois ans, à Lorient), avant d’ouvrir son propre atelier à Morlaix en 1981. Il enseignera plus tard à l’école des beaux-arts de Brest. Le Nouail est parfaitement représentatif de la sociologie de Sellit : des photographes installés dans des villes de taille moyenne, conscients du fait que leur métier, tout bien compris, est à la frontière entre art et artisanat. Leur dispersion, leur statut social relativement peu prestigieux sont leur faiblesse. Leur mise en relation, leur implantation territoriale, cette commune éthique seront leur force.
18Sellit n’eut pas vocation à être un mouvement (ses membres ne fondent pas d’esthétique singulière), ni une agence (il n’y a pas de diffusion à partir d’une banque d’images) : le groupe fut un point de convergence, qui permit de prendre conscience qu’outre des reportages ponctuels, il y avait un travail de fond, sur le long terme, à réaliser dans une marge ou une frange du territoire national, en Bretagne, afin d’y faire émerger une véritable culture de l’image photographique.
19En 1982, tout reste à construire, ou presque. Non que la Bretagne soit en cela particulièrement en retard. Car ce sont la France même et sa capitale qui, malgré la tonitruante décision prise en 1839 par l’Assemblée nationale de faire don au monde entier de cette invention, ont depuis longtemps fort peu fait pour promouvoir la photographie, laquelle est toujours conservée au « cabinet des estampes » de la Bibliothèque nationale (avec les gravures et les lithographies), tandis que les plus grands artistes ne sont encore, souvent, exposés que dans des musées d’arts décoratifs !… La photographie est à l’époque (pas si lointaine) en France un radeau perdu, dérivant entre la publicité, le journalisme et la décoration, voire le « charme ». Elle n’est nulle part enseignée, sinon en annexe d’un chapitre d’histoire de l’art, quand il reste du temps. Les collectionneurs privés se comptent sur les doigts des deux mains ; les éditeurs spécialisés cultivés et inventifs, tel Robert Delpire, sur ceux d’une seule. Nombre d’œuvres importantes sont achetées par des collectionneurs étrangers, ce dont les photographes français se plaignent pourtant rarement, car ils en vivent, même si c’est assez chichement. Le cinéma, lui, est beaucoup mieux loti, car depuis les années vingt de nombreuses structures ont contribué à créer une véritable et remarquable cinéphilie, avec un public connaisseur et cultivé, suivant l’actualité, capable de « parler cinéma » avec passion et pertinence. Mais il n’existe pas en France, en 1980, de « photophilie » comparable.
20Or, les lacunes de cet autre « désert français » seront paradoxalement comblées moins par la capitale – sans négliger l’œuvre de Robert Delpire avec le Centre national de la photographie – que dans les régions, à l’initiative de quelques individus ou d’associations. Telle justement Sellit.
21Avec un précédent. En 1974, Jean Dieuzaide avait créé à Toulouse Le Château d’Eau, première galerie municipale exclusivement consacrée à la photographie, avec d’emblée la volonté d’en faire l’équivalent d’un musée, comprenant collections, centre de documentation, expositions temporaires. Toujours en province, en Camargue cette fois – un « pays » d’invention très récente –, c’est Lucien Clergue qui depuis 1969 animait avec l’aide d’un groupe d’amis passionnés (dont l’écrivain Michel Tournier) l’embryon de ce qui deviendra les Rencontres internationales de la photographie d’Arles, ville où le ministère, d’un geste princièrement décentralisateur, choisit d’implanter en 1982 l’École nationale de photographie. Alain Desvergnes, qui l’a créée, la dirigera avec sa femme Marie-Annick durant vingt ans – avant de se retirer à Étel – avec passion mais pas sans obstacles, puisque, étant « para-publique » et fonctionnant selon un statut associatif sous tutelle de l’État, elle ne deviendra que tardivement École nationale supérieure, rattachée à la délégation aux arts plastiques du ministère de la Culture.
22En 1982, et alors que l’exposition itinérante sur les îles du Ponant est encore en circulation, sous l’impulsion de Guy Hersant sont créées les Rencontres de la photographie en Bretagne, à Lorient. Alain Le Nouail sera le président de l’association loi 1901 qui les soutiendra. Et c’est finalement grâce à ces initiatives reposant sur de petits collectifs et des municipalités de province dynamiques qu’en vingt ans va effectivement émerger une culture de la photographie, entretenue par des institutions pérennes, nourrie régulièrement par des festivals, scandée par des remises de prix à la reconnaissance de plus en plus tangible. Pour être plus complet, il faudrait mentionner notamment le travail exceptionnel fait en ce domaine par Jean-François Rospape, à L’Imagerie de Lannion, ou encore dans le domaine éditorial celui de Patrick Le Bescont, avec les nombreuses collections de Filigranes, sa maison d’édition sise à Trézélan.
23L’aventure des Rencontres de Lorient – qui aboutira à la création de la galerie Le Lieu –, mobilisera, parmi d’autres, les membres de Sellit. Leurs réalisations photographiques les plus importantes seront, pour Le Nouail et Thersiquel, en 1983-1985, une série sur les pêcheurs en baie de Morlaix, à Douarnenez, et à Vigo, en Espagne, puis en 1985 la mission sur le Blavet avec le musée d’Inzizach-Lochrist. Pour l’occasion, Hervé Rabot, Patrick Toth et Agnès Bonnet se joindront à Thersiquel et Hersant.
Figure 4. – Guy Hersant, la navette « Dr Tricoire », entre Molène et Ouessant, 1981.

24Aussi bien, à l’heure des bilans, Sellit n’aura-t-il pas été un mouvement, ni une agence, ni un label. Il aura été, outre une aventure humaine et artistique, l’aiguillon d’un travail en profondeur, contribuant à soutenir et illustrer une cause : celle de la photographie, tardivement mais effectivement reconnue, que se sont appropriée un nombre croissant de « photophiles », dépassant les clivages entre arts populaire et élitiste. Celle aussi d’une autre représentation de tout un « pays », la Bretagne, dont ces îles sont comme un concentré de sentiments, d’histoires de vies, d’humanité.
25Cette aventure, ces images, qu’en subsiste-t-il à présent, après quarante ans ? Des documents sans doute, car c’est là l’une des valeurs de la photographie, que d’être incontestable dans sa puissance à témoigner, dater, disposer les données d’un monde tangible encore, quoique révolu. Mais pas exclusivement : la décantation se faisant, la transmission s’accomplissant, les images prises sous l’égide de Sellit acquièrent l’ampleur d’une œuvre véritable, déclinée différemment sous les signatures de ses divers auteurs. Après la mort de Michel Thersiquel, en 2007, son héritage artistique a pu compter sur ses amis, ayant fondé une association liée au port-musée de Douarnenez qui propose des tirages originaux, une collection permanente, des expositions, conserve des archives. Le musée de Bretagne, à Rennes, la galerie Le Lieu, à Lorient, montent des expositions où figurent des membres de Sellit. Enfin Guy Hersant valorise son œuvre grâce à des expositions (à l’université Rennes 2 notamment) et à des ouvrages reprenant certains de ses tirages, tel celui sur Ouessant réalisé en 2019 pour les éditions des Îliennes, avec une très remarquable préface signée de Mona Ozouf, tel enfin celui sur Molène, en préparation chez le non moins remarquable Patrick Le Bescont, pour Filigranes Éditions, qui est désormais l’un des meilleurs éditeurs de photographies en France.
Figure 5. – Guy Hersant, Batz, récolte des choux-fleurs, mars 1981.

Notes de bas de page
1L’ouvrage est consultable sur le site : [http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_124/MarAe_Noire_La_Pollution_du_Tanio_1980_.pdf].
Auteur
-
Jean-Pierre Montier
A publié de nombreux ouvrages et articles portant sur des photographes (Henri Cartier-Bresson et Josef Koudelka), et les rapports entre photographie et littérature. En 2015, il obtient une bourse « France-Berlekey » pour ses recherches ; en 2016 il est curateur d’une exposition « Photolittérature » à la Fondation Jan Michalski (Lausanne). Il a fondé la Revue internationale de photolittérature, dont quatre numéros sont parus entre 2017 et 2021 – les deux derniers portant sur les œuvres de couples et la relation Europe-Japon. Ouvrages récents : Transactions photolittéraires, dir. Jean-Pierre Montier, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015 ; L’écrivain vu par la photographie, codir. David Martens, Jean-Pierre Montier et Anne Reverseau, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017 ; à paraître : Portraits de Pays, colloque de Cerisy, dir. David Martens, Jean-Pierre Montier et Sophie Lécole-Solnychkine, Presses universitaires de Rennes.

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