Saints d'Irlande
|Introduction
Texte intégral
- 1 Voir notamment F. J. Byrne, « Seventh-Century Documents », The Irish Ecclesiastical Record 108 (19 (...)
- 2 Pour la transition dans l'hagiographie, voir K. McCone, « An Introduction to Early Irish Saints' L (...)
1L'étude présentée dans cet ouvrage porte sur la sainteté telle qu'elle apparaît dans les sources hagiographiques irlandaises entre le viie et le ixe siècles. Cette période forme une entité dans l'histoire de la littérature hagiographique en Irlande car tous les rédacteurs utilisent le latin. À cette époque, la langue vernaculaire est pourtant déjà largement employée, notamment dans les sources légales, mais elle l'est rarement dans le domaine religieux1. À la fin du viiie siècle, on assiste à un changement : l'irlandais s'impose dans tous les domaines, hagiographie comprise2. La Vie bilingue de Brigide datée de cette époque constitue un exemple de cette transition.
2Une étude générale de la sainteté insulaire durant cette période n'avait jamais vu le jour. Or, elle s'imposait à plus d'un titre.
3La fonction des textes du viie siècle a été beaucoup étudiée. Toutefois, les conclusions des analyses menées se sont révélées parfois contradictoires. Reprendre les hypothèses antérieures, reformuler certaines questions, apporter de nouveaux arguments, s'avérera un exercice utile pour chaque dossier. La Vita Prima de Brigide et les Vies des viiie et ixe siècles n'ont, pour leur part, à peu près jamais été discutées. L'analyse offrira donc de nouvelles perspectives quant aux objectifs de chaque hagiographe.
- 3 Voir C. Stancliffe, « Early "Irish" Biblical Exegesis », Studia Patristica 12 (1975), 361-70 : 369 (...)
- 4 Pour l'absence de récits de guérisons en raison d'une spiritualité irlandaise différente, voir A. (...)
4Des caractéristiques de la sainteté ressortiront de l'étude des dossiers et des éléments de continuité apparaîtront à travers les époques. Ces constantes devront être confrontées aux idées générales qui circulent au sujet de l'hagiographie insulaire du haut Moyen Âge. Selon celles-ci, les Vies irlandaises se différencieraient de l'hagiographie continentale3. Elles témoigneraient d'une « autre spiritualité » due à une influence par le paganisme particulièrement marquée : c'est ainsi que le saint irlandais aurait manqué d'intérêt pour les guérisons4.
- 5 Voir par exemple F. Ó Briain, « Miracles in the Lives of the Irish Saints », The Irish Ecclesiasti (...)
- 6 Des tentatives ont été menées à bien afin de différencier les thèmes pré-chrétien et chrétien de c (...)
5L'attachement de l'hagiographie irlandaise aux traditions pré-chrétiennes serait également révélé par l'usage qui y serait fait de thèmes « païens » transmis oralement avant de trouver une place dans les récits de sagas5. Pour intéressante que soit cette hypothèse elle ne sera pas débattue dans cette étude car le « paganisme » de ces thèmes n'est pas apparent : sagas et Vies de saint sont produites dans les mêmes centres, et on considère aujourd'hui que le processus d'influence a fonctionné dans les deux sens. En outre, ces « emprunts » thématiques sont pour le viie siècle difficilement démontrables car les récits conservés de sagas ne datent pas de cette époque mais sont plus tardifs d'au moins un siècle6.
- 7 « Une Vie du viie ne se différencie pas nettement d'un texte du xiie », affirme D. Ô Cróinín, Earl (...)
- 8 Voir par exemple L. Bitel, Isle of the Saints. Monastic Settlement and Christian Community in Earl (...)
6L'analyse permettra de dégager des transformations dans le rôle du saint. Du viie au ixe siècles, la sainteté évolue. Cette idée d'évolution peut paraître une évidence. L'hagiographie irlandaise, déjà définie comme « exotique », a cependant également été fréquemment considérée comme statique : elle serait demeurée un genre immuable du viie au xiie siècles7. Elle a dès lors servi à illustrer un Moyen Âge irlandais figé8.
7Les lignes générales d'évolution de la sainteté qui ressortiront de cette étude attesteront que la littérature hagiographique a connu des modifications. Dès lors, un texte difficile à dater, comme la Vita Prima de Brigide, pourra peut-être être situé dans le temps en fonction de ces critères d'évolution.
8Enfin, au-delà du saint et du genre hagiographique, les considérations sur l'évolution de la sainteté aboutiront à des conclusions touchant l'évolution de la société qui a produit ces Vies. Elles démontreront une transformation des forces politiques en présence et témoigneront d'un changement dans les mentalités.
Notes
1 Voir notamment F. J. Byrne, « Seventh-Century Documents », The Irish Ecclesiastical Record 108 (1967), 164-182.
2 Pour la transition dans l'hagiographie, voir K. McCone, « An Introduction to Early Irish Saints' Lives », The Maynooth Review 11 (1984), 26-59 : 38 ; R. Sharpe, Médiéval Irish Saints Lives. An Introduction to Vitae Sanctorum Hiberniae (Oxford, 1991), 19-21. Pour une transition globale, voir notamment D. N. Dumville, « Latin and Irish in the Annals of Ulster, A.D. 431-1050 », Ireland in Early Medieval Europe, s. dir. D. Whitelock et al., 320-341 : 321, 327-8, 332 ; Id., « Language, Literature, and Law in Médieval Ireland : Some Questions of Transmission », CMCS 9 (1985), 91-98 : 96-98.
3 Voir C. Stancliffe, « Early "Irish" Biblical Exegesis », Studia Patristica 12 (1975), 361-70 : 369 ; C. Doherty, « The Monastic Town in Early Médiéval Ireland », The Comparative History of Urban Origins in non-Roman Europe : Ireland, Wales, Denmark, Germany, Poland and Russia from the Ninth to the Thirteenth Century, s. dir. H. B. Clarke, A. Simms (Oxford, 1985), 45-75 : 47. On entend encore fréquemment parler de la « dévotion irlandaise aux saints » (J. M. H. Smith, « Early Medieval Hagiography in the Late Twentieth Century », Early Médiéval Europe 1 (1992), 69-76 : 72).
4 Pour l'absence de récits de guérisons en raison d'une spiritualité irlandaise différente, voir A. T. Thacker, « Lindisfarne and the Origins of the Cuit of St. Cuthbert », St Cuthbert, his Cuit and his Community to A. D. 1200, s. dir. G. Bonner, D. Rollason, C. Stancliffe, 103-22 :108-9 ; W. Davies, « The Place of Healing in Early Irish Society », Sages, Saints and Storytellers, s. dir D. Ó Corráin etal., 43-55 : 52 ; A. T. Thacker, « Bede and the Irish », Beda Venerabilis, s. dir. L. Houwen, A. MacDonald, 31-59 : 57-8. Cette interprétation a donné lieu à la conviction que le miracle de guérison aurait été rare dans toute l'hagiographie « celtique ». Voir, pour ce constat dans l'hagiographie bretonne, J. M. H. Smith, « Oral and Written : Saints, Miracles, and Relies in Brittany, c. 850-1250 », Spéculum 65 (1990), 309-43.
5 Voir par exemple F. Ó Briain, « Miracles in the Lives of the Irish Saints », The Irish Ecclesiastical Record 66 (1945), 331-342 ; Id., « Saga Themes in Irish Hagiography », Féilscríbhinn Torna, s. dir. S. Pender (Cork, 1947), 33-42 ; J.-M. Picard, « The Strange Death of Guaire mac Áedáin », Sages, Saints, and Storytellers, s. dir. D. Ó Corráin etal., 367-375.
6 Des tentatives ont été menées à bien afin de différencier les thèmes pré-chrétien et chrétien de certains textes : E. Johnston, « Transforming Women in Irish Hagiography », Peritia 9 (1995), 197-220 ; J. Borsje, From Chaos to Enemy : Encounters with Monsters in Early Irish Texts. An Investigation Related to the Process of Christianization and the Concept of Evil (Turnhout, 1996).
7 « Une Vie du viie ne se différencie pas nettement d'un texte du xiie », affirme D. Ô Cróinín, Early Medieval Ireland 400-1200 (Londres, New York, 1995), 210-11.
8 Voir par exemple L. Bitel, Isle of the Saints. Monastic Settlement and Christian Community in Early Ireland (Ithaca, Londres, 1990), et les critiques formulées par D. N. Dumville, Compte rendu de L. Bitel, Peritia 9 (1995), 397-401; M. Herbert, « Hagiography », Progress in Médiéval Irish Studies, s. dir. K. McCone etal, 79-90: 85, et par C. Etchingham, « Early Médiéval Irish History », Progress in Médiéval Irish Studies, s. dir. K. McCone etal., 123-53:138 et n. 20. L'ouvrage de L. Bitel sert malheureusement de « leading work » pour des comparaisons avec la situation continentale (voir par exemple, L. K. Little, Benedictme Malédictions. Liturgical Cursing in Romanesque France (New York, 1993), 157 n. 18).
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.