Caveat

1En guise de propos liminaires à cette réflexion sur les différentes approches du concept de leadership, il importe de mettre l’accent sur les limites de notre entreprise et ses difficultés.

1. Il va de soi que nous ne visons nullement à l’exhaustivité. Tous ceux qui ont un tant soit peu travaillé sur la notion de leadership prennent conscience de l’énorme ampleur de la littérature afférente. Il ne saurait s’agir de proposer une compilation des écrits disponibles1 mais essentiellement de présenter les évolutions du concept en science politique, tout en livrant quelques éléments d’information et de comparaison quant aux apports de disciplines plus ou moins voisines.
2. Nombre de chercheurs sont légitimement convaincus des mérites de l’interdisciplinarité et du caractère nuisible de certaines œillères. Toutefois, si le franchissement des frontières disciplinaires se révèle souvent fructueux, il convient de respecter un minimum de division du travail scientifique, qui tienne compte des bases théoriques et des problématiques respectives ; autrement dit, de faire en sorte que les approches s’enrichissent mutuellement et non de tomber dans les illusions et les facilités d’hybridations factices. En l’occurrence, les glissements de sens sont tels d’une définition à l’autre (y compris au sein même de la science politique) qu’il n’est guère d’ouvrages de synthèse qui ne soient précédés de paragraphes embarrassés sur cette polysémie que nous tenons pour gênante.
3. L’absence de cadre théorique unifié et l’éclatement des conceptions rendent les analyses d’autant plus ambiguës et confuses que le renvoi fréquent et plus ou moins maîtrisé à des notions voisines (telles que direction, commandement, autorité, influence, management, pouvoir, représentation, gouvernance) ne contribue guère à dégager ce qui constitue le propre de la relation de leadership.
4. D’un point de vue épistémologique, la question du leadership constitue une remarquable illustration pour ceux qui réfléchissent sur les rapports équivoques pouvant s’établir entre un concept à prétention scientifique (construit analytiquement pour faire voir des réalités) et ses usages sociopolitiques. Bien souvent, à vrai dire, on ne sait plus très bien si ce sont les leaders, les commentateurs politiques ou les managers qui récupèrent certains aspects de la littérature savante ou si ce sont les chercheurs qui tentent de s’approprier un terme de sens commun pour l’ériger en objet d’étude. Plus que d’autres peut-être, la notion de leadership se révèle souvent très normativement connotée, y compris dans les ouvrages à prétention scientifique.
5. Enfin, nous avons rencontré les habituels problèmes de classement. Afin de clarifier autant que possible la présentation des conceptions, dans la perspective de cet ouvrage, nous avons choisi de regrouper auteurs et analyses en quatre rubriques : « écrits précurseurs », « travaux de science politique consacrés à la thématique du leadership » puis se situant « à la périphérie » de celle-ci, et enfin « approches du leadership dans les disciplines voisines » (psychologie et théorie des groupes restreints, sciences de gestion et théories du management, anthropologie…). Il apparaît que certains travaux s’inscrivent malaisément dans ces rubriques, et que notre choix peut sembler arbitraire. Ajoutons que maints auteurs parlent du leadership sans recourir directement à ce vocable, et que le choix de faire référence à leurs travaux s’est posé.

Écrits précurseurs

2Il en va du leadership comme de bien d’autres thèmes. On peut estimer qu’il s’agit, somme toute, d’une fort ancienne question implicitement abordée depuis des siècles, quand bien même elle le serait en d’autres termes. Ou bien l’on considérera l’étude scientifique du leadership comme un phénomène extrêmement récent qui n’aurait pas vraiment connu d’antécédents.

3L’on pourrait disserter longtemps pour savoir par exemple si les réflexions « stratégiques » d’un Sun Tse ou d’un Machiavel s’inscrivent ou non dans une interrogation sur le leadership2. Mais force est de reconnaître que la plupart des classiques que l’on a coutume de ranger sous la rubrique « philosophie politique », furent avant tout animés par des préoccupations normatives. De Platon à Rousseau, en passant par Aristote, Hobbes, Locke et bien d’autres, il s’est essentiellement agi de discourir sur le régime idéal – non sans ethnocentrisme parfois. Lorsqu’une approche « en termes d’acteur » était cependant proposée, l’objectif était surtout de faire l’éloge de la figure du « sage », du bon réformateur (pour ne pas dire du « bon leader ») dont Lycurgue ou Solon pourraient incarner les archétypes.

4À notre avis, un regard récursif sur la « protohistoire » du leadership se doit surtout de prendre en compte la fameuse controverse entre Thomas Carlyle (auteur victorien inclassable qui publie aussi bien des romans, des essais, des biographies, que des ouvrages historiques, politiques et philosophiques) et Herbert Spencer (« amateur » qui se situe à la marge du monde académique mais se veut déjà sociologue), car elle porte en germe une grande partie des débats ultérieurs, même si l’on peut considérer comme dépassées les positions extrémistes de ces deux auteurs britanniques.

5L’Écossais Carlyle est l’auteur d’un ouvrage intitulé : On Heroes, Hero-Worship, and the Heroic in History (1840) qui réunit six conférences présentées l’année précédente. Il y soutient une théorie des grands hommes qui font l’histoire, c’est-à-dire une vision héroïque (messianique, romantique voire nostalgique) selon laquelle certains naîtraient « grands » : cette grandeur les amenant à changer le cours de l’histoire. On trouve ici le point de départ des théories psychologisantes du leadership (qui connaîtront par la suite des développements autrement plus sophistiqués, avec notamment Lasswell, dans Psychopathology and Politics, et Barber dans Presidential Character), ainsi que de toute une veine de recherches biographiques visant à expliciter l’émergence de tel ou tel leader, son impact sur son temps et ses contemporains.

6À l’opposé, l’évolutionniste Spencer (fortement marqué, comme l’on sait, par l’œuvre de Darwin) défend dans The Study of Sociology (traduit en français sous le titre Introduction à la science sociale ) de 1873 une vision déterministe selon laquelle l’environnement social fait le grand homme. « Before a man can re-make history, his society must make him ». Selon cette perspective « Leaders do not matter ». Ce qui compte, ce sont en revanche les structures, les sociétés. Si Napoléon n’avait pas été, quelqu’un d’autre eût rempli certainement le même rôle (on trouvait déjà ce genre d’idée, dans le domaine littéraire, chez Tolstoï).

7Formulées de telle manière, ces deux thèses conduisent à des impasses. Dans le cadre d’études psychologiques menées dans la première partie du XX^e siècle, on a ainsi pu réfléchir sur les critères (souvent physiques) susceptibles d’être à l’origine de la supériorité « naturelle » du leader3. Nous y reviendrons. Outre ses interrogations désuètes, une des grandes limites de ce genre d’entreprise est que l’on est arrivé à envisager un tel nombre de « traits » propres aux leaders, que l’on saurait difficilement décider des plus pertinents. Cependant, comme nous le montrerons plus loin, la problématique de l’émergence du leader – au sens de celui qui parvient à influencer son entourage – reste d’actualité dans les approches psychosociologiques. En science du management, elle conduit à s’interroger sur les qualités du leader et sur les déterminants d’un leadership « effectif ».

8Quant à l’approche de Spencer, elle est à l’origine de toutes les réflexions relatives à l’environnement du leadership, qui débouchent sur des analyses en termes d’organisations, de contraintes institutionnelles, de réseaux, de situations, de régimes ou de cultures politiques…

Travaux de science politique consacrés à la thématique du leadership

9On peut considérer que jusque dans les années 1960, l’analyse du leadership stricto sensu est restée quasiment inexistante en science politique. Kenneth Janda, dans un recensement informatique des 2 614 articles parus dans l’American Political Science Review de 1906 à 1963 ne dénombre ainsi que 17 occurrences du terme4 !

10Cependant, ceci ne signifie nullement que des interrogations autour de ce thème n’aient jamais été menées. En fait, certains auteurs majeurs de la science politique américaine ont produit des études qui traitent peu ou prou de la question, même si le vocabulaire auquel ils recourent est différent. Nous pensons principalement ici aux travaux de Robert Dahl sur l’influence et le pouvoir5.

11Reste que ni les ouvrages classiques sur le système politique (Easton), la perspective cybernétique (Deutsch), le développementalisme (Almond), la prise de décision (Snyder) ou l’économie politique ne traitent vraiment de la problématique du leadership. En conséquence, les politologues qui contribueront à imposer le concept dans les années 1960 et surtout 1970, auront beau jeu de s’étonner d’un « surprising lack of disciplinary focus6 ».

12On estime généralement que Janda7 fut le premier à tenter de préciser la notion, en la distinguant clairement de celle de pouvoir (dont le leadership ne serait qu’une forme particulière, caractérisée par le fait que le membre d’un groupe perçoit un autre membre comme ayant le droit de prescrire des comportements, des lignes de conduite au groupe en question). Pour synthétiser, l’apport de Janda est double : il consiste en la mise en évidence d’une part d’un rapport à un groupe de référence et d’autre part du caractère légitime de ce rapport.

13L’auteur qui aura le plus contribué à inscrire le concept de leadership dans la science politique est certainement Glenn Paige : tout d’abord dans un ouvrage collectif (Political Leadership : Readings for an Emerging Field, 1972) qui reprend des textes pionniers précédés d’introductions sous sa plume ; ensuite dans un livre personnel (The Scientific Study of Political Leadership, 1977). À la fin d’un chapitre intitulé, de manière symptomatique, « Political leadership : challenge to political science », il y annonce l’extraordinaire programme suivant :

14« Attention needs to be focused upon political leadership in relation to major fields such as political theory, national politics, comparative politics, and international relations ; to major paradigms for political analysis such as power, decision making, cybernetics, structural-functionalism, value allocation, the new political economy, and Marxism-Leninism ; to single polity studies such as those of China, the Soviet Union, India, the members of the United Nations, and other political communities ; to types of political systems such as monarchies, military dictatorships, and single-, two-, and multiparty systems, to institutional components of political systems such as parties, bureaucracies, the military, legislatures, courts, economic institutions, and patterns of citizen participation ; and to political processes such as policy making, budget making, diplomacy, elections, revolutions, peace, and war ».

15Bref, l’ambition n’est ni plus ni moins que de fonder un nouveau « paradigme », susceptible de remplacer à terme ceux qui prédominent dans la science politique américaine de l’époque.

16Les années 1970 vont également voir la publication de l’énorme somme de James MacGregor Burns « Leadership ». Il s’agit d’une étude qu’il apparaît difficile d’accepter ou de rejeter entièrement d’un point de vue scientifique. Par certains côtés, les apports théoriques de cet auteur – qui s’était surtout distingué de par ses travaux biographiques sur Franklin D. Roosevelt (lui ayant valu le prix Pulitzer) et sur les deux Kennedy – sont indéniables. La distinction entre leadership « de transaction » et « de recomposition » (avec ses sous-catégories), colonne vertébrale du livre, apparaît très pertinente et sera d’ailleurs souvent reprise. De plus, Burns insiste bien sur la dimension interactionniste du leadership, en relation à des « followers ». Lui aussi prend soin de dissocier le concept de celui de pouvoir, soulignant à l’envi que dans le leadership tout n’est pas pure domination mais échange, réciprocité. Le leadership ne vise pas à satisfaire seulement les intérêts des leaders mais aussi ceux de leurs supporters. Enfin, Burns se démarque intelligemment des approches institutionnalistes, montrant en quoi le leadership se situe aux antipodes d’une logique bureaucratique ou encore d’une logique de l’intérêt général.

17En revanche, on peut lui reprocher de s’en tenir à une perspective extrêmement normative et volontariste8, ainsi qu’à une vision universalisante et hyperextensive du leadership, sans parler du fait que l’on retombe parfois chez lui dans une veine que beaucoup d’auteurs qualifieraient de « psychologisante ». À cet égard, ce genre d’analyse sur le leadership présente les mêmes défauts originels que les travaux de Mosca et surtout de Pareto sur les élites.

18En fin de compte, l’ouvrage de Burns apparaît assez inégal, souvent séduisant, mais incapable d’aborder le sujet avec la neutralité axiologique qui serait de mise pour un politologue.

19Une autre tentative de synthèse fut ultérieurement celle de Jean Blondel. Au début d’un ouvrage intitulé World Leaders (1980), il propose une esquisse de réflexion théorique qui se verra davantage développée dans son Leadership : towards a general analysis, publié en 1987. Là encore, on peut estimer que le propos est souvent intéressant mais plus ou moins convaincant et novateur. Si l’on trouve chez Blondel des discussions dignes d’attention, notamment sur la question de l’environnement institutionnel du leadership, on peut se demander si le recours à ce concept n’est pas un prétexte pour traiter finalement de la comparaison entre les exécutifs selon un mode assez traditionnel. L’utilisation d’une simple perspective positionnelle pour aborder empiriquement le leadership ne va pas sans poser problème, à cet égard, et jette une ombre sur la validité du projet d’ensemble assez peu sensible aux différences d’environnement politico-culturel.

20Il serait ici envisageable de citer bien d’autres ouvrages généraux sur le leadership. Nous ne ferons mention que de certains d’entre eux qui nous paraissent assez représentatifs des perspectives récentes.

21Le livre de Robert Tucker (Politics as Leadership, de 1981) se pose en alternative à la « power school » et présente une approche mettant en exergue la notion de situation. Le leadership est ici conçu comme : ayant une fonction de définition d’une situation pour le groupe de référence (« diagnostic ») ; devant prescrire un type d’action à ce groupe ; devant mobiliser ce groupe. Tucker défend une vision extrêmement large du leadership (pouvant inclure à la limite la répression !) aux dimensions souvent un peu trop philosophiques du point de vue de la recherche en sciences sociales.

22L’ouvrage collectif publié sous la direction de Bryan D. Jones (Leadership and Politics : new perspectives in political science, de 1989) nous offre un panorama de la recherche sur le leadership à la fin des années 1980, incluant notamment les perspectives en termes de choix rationnel. Il salue les tentatives de synthèse de Burns ou Blondel, tout en estimant qu’elles ont échoué à nous livrer une théorie générale satisfaisante. Le maître d’œuvre de ce travail collectif opère une distinction entre deux visions : un monde « newtonien » où les leaders ne font que répondre, s’adapter aux attentes des électeurs ; un monde « biologique », plus incertain, où le leader doit sans cesse trouver des solutions, se montrer créatif. Au sortir de la lecture de cet ouvrage – dont les chapitres parfois très théoriques démontrent bien l’absence de consensus dans les interprétations du leadership – on ne peut que retirer une forte impression d’éclatement.

23Cedric J. Robinson, quant à lui, s’intéresse au « mythe du leadership », dans une analyse de l’ordre politique, du paradigme démocratique, de la question de la rationalité (et de ses fondements psychanalytiques), du messianisme, du charisme et de l’anarchisme. Dans son ouvrage The Terms of Order : Political science and the myth of leadership (1980), il explique que le leadership est un des moyens par lesquels les membres d’une communauté politique perçoivent la nature de l’ordre politique auquel ils sont soumis. Et ce, notamment à travers le leader. L’analyse de la signification du leadership est aussi celle de la perception de l’autorité politique et de l’ordre politique particulier à une communauté. Robinson reproche à un auteur tel qu’Edelman de ne pas avoir assez tenu compte de l’historicité, de l’impact du développement des institutions sur le phénomène symbolique qu’il analysait. Pour lui, le leader est chargé de définir concrètement la situation de la communauté et de choisir, d’organiser l’activité de manière bénéfique à cette communauté. De ce point de vue, le leader est un instrument d’action rationnelle. Mais c’est aussi une « idée manifeste », légitimée par l’autorité politique, celle-ci étant le résultat de processus idéologiques situés historiquement.

24Ellis et Wildavsky, dans Dilemmas of Presidential Leadership (1989), partent du constat de la trop grande dissemblance des études sur la présidence américaine, études auxquelles il manque de la « mémoire historique », davantage de prise en compte de l’institution ainsi que du legs des présidences précédentes (on pourrait oser parler, aujourd’hui, de « sentier de présidences »). Bref, il manque un schéma pour la comparaison (a framework to compare presidents ). Ellis et Wildavsky en proposent un : la « théorie culturelle des dilemmes présidentiels ». Ils espèrent rendre les présidences comparables en centrant l’analyse sur les interactions entre leaders et followers, et en situant celles-ci au sein de cultures politiques (ou styles de vie), en se gardant bien d’évacuer le conflit entre cultures opposées à l’intérieur d’un même espace politique (polity).

25Les types de leadership varient selon les cultures politiques, que Ellis et Wildavsky ramènent à trois : hiérarchique, individualiste et égalitariste (rienne). Ils les décrivent toutes les trois, de même que leurs implications sur les attentes des suiveurs à l’égard des leaders, et autres options probables en termes de leadership. Mais ceci sans déterminisme. L’analyse se focalise sur les dilemmes, situations de choix caractérisées par des alternatives non désirables, car le conflit entre cultures politiques est permanent, tant dans les partis que dans le « contexte culturel » de la présidence (en fait le polity national et son rapport de forces momentané). Là se joue la « performance présidentielle ».

26En France, peu de travaux ! Mentionnons celui d’Annie Collovald sur Jacques Chirac. S’inspirant de l’analyse weberienne des partis en termes de « sociation », et prenant le cas du leader gaulliste, notre collègue étudie les conditions du succès et de l’échec du leadership partisan « chiraquien ». Pour elle, ce leadership repose sur des transactions au sein du groupe partisan, des « compromis anciens » ayant permis les ralliements au leader et assis son autorité, et il faut effectuer un « retour aux origines » pour en comprendre la « période d’institutionnalisation ». Il s’agit aussi d’opérations de « crédit » ou de « délégation » au leader, de la part des supporters. La contestation ou l’échec sont causés par le changement de situation et la remise en cause des « compromis anciens » ; cependant « l’échec ne devient un échec pour ce compétiteur spécifique qu’est l’acteur politique que pour autant qu’il ruine la pertinence des ressources politiques dont celui-ci dispose […]. Aborder la question du " dirigeant " suppose de s’interroger sur ses liens politiques avec les membres de son équipe ».

27Finalement, nous ne saurions omettre de faire référence à l’ouvrage de Murray Edelman qui offre une vision (dé) constructionniste du leadership selon l’approche en termes de « spectacle politique » qu’il a privilégiée tout au long de sa carrière9.

Les travaux de science politique à la périphérie de la thématique du leadership

28Au cours de la décennie écoulée, on a pu observer un regain d’intérêt scientifique pour les questions du pouvoir, de la représentation ou de la compétition politique. Mais l’étude du leadership trouvait déjà dans les recherches sur le métier politique et, auparavant, sur le « local », matière à réflexion et éléments de compréhension. Il s’agit de travaux de science politique qui ne portent pas spécifiquement sur le leadership mais éclairent certains de ses aspects, ou bien stimulent son étude.

29Viennent d’abord à l’esprit les analyses de la compétition politique, qui, dans la lignée de Max Weber, Roberto Michels ou Moisei Ostrogorski prolongent les analyses sur les partis, la professionnalisation et les logiques d’organisation de la lutte politique. Les recherches ultérieures n’ont pas manqué de s’en inspirer. Une étape intermédiaire est donnée par la réflexion de Schumpeter sur la démocratie comme lutte concurrentielle pour les suffrages, qui refonde, après Max Weber, l’analogie économique de l’entreprise politique.

30L’étude des relations internes aux équipes de leadership et de leurs objectifs dans la lutte politique, a un bénéfice scientifique à retirer, par exemple, des travaux de Daniel Gaxie sur la rétribution du militantisme et le recrutement politique, de Michel Offerlé sur la profession politique, ou de Jean-Patrice Lacam sur le « politicien investisseur ». Inversement, l’étude des partis politiques, depuis Ostrogorski et Michels, peut difficilement faire l’impasse sur la question des leaders, des dirigeants, et de la constitution de la direction politique au sein des organisations partisanes ou de leurs coalitions. Non dénué de liens avec l’analogie économique, le concept « éliassien » de monopolisation peut aussi participer de l’analyse du leadership engagé dans la compétition politique, à condition de préciser les limites d’une approche qui verrait dans les leaderships des « unités de domination ». Norbert Elias étudiait des phénomènes d’une toute autre ampleur sociale et historique que les configurations de leadership politique qui ne représentent, après tout, que les « rôles » de direction définis au sein d’une structure politique (F.G. Bailey) plus ou moins spécialisés et autonomisés. À cela près, la notion de monopole recherché dans un « camp » ou dans un espace de compétition est puissamment descriptive de la dynamique de certains leaderships politiques.

31Proches de ce premier courant d’analyse, les travaux sur le pouvoir, en particulier local (mais pas seulement), constituent un autre apport indirect à l’étude des phénomènes de direction politique. L’espace local français des années soixante était conçu comme une périphérie non dépourvue de pouvoir d’influence (J.-P. Worms), mais son caractère politique et sa légitimité posaient problème. Les années soixante-dix ont vu se développer les analyses du pouvoir local (Sylvie Biarez), influencées notamment par l’œuvre pionnière de Robert Dahl sur New Haven, en particulier au plan méthodologique. Pour le dire vite, le caractère prétendument administratif du « local » reculait dans un contexte marqué par les tendances à la nationalisation de la vie politique. Pour Andy Smith, on est passé progressivement de la théorie du pouvoir périphérique à celle d’un gouvernement local.

32Les études du pouvoir local, qu’il serait impossible de présenter en quelques lignes, ont apporté de nombreux éclairages sur l’enracinement local des élus politiques (Jacques Lagroye), sur le cumul des mandats (Pierre Sadran), sur les conditions de la lutte électorale et sur le contrôle des différents niveaux de collectivités (M. Crozier et J.-C. Thoenig, P. Grémion, A. Mabileau, C. Sorbets, notamment). C’est de cette époque que date la constitution d’une « boîte à outils » méthodologique pour la recherche sur le pouvoir, les exécutifs, le sommet des institutions (J. Becquart-Leclercq, P. Birnbaum).

33Après 1982, la décentralisation et les mutations de l’action publique ouvrent la voie à des leaderships territoriaux, régionaux ou urbains (M.-A. Montané 2001, 2000 ; O. Nay 1997 ; C. Sorbets 1992), et suscitent des efforts pour bâtir les modèles ou les types explicatifs appropriés. Le concept de local lui-même est sujet à débat (A. Mabileau, 1993) et, comme celui de périphérie, se voit à présent quasiment abandonné au profit de la notion de « territoire » (P. Alliès). Au même moment, les recherches de Marc Abélès (voir sous-section anthropologie) sur les espaces politiques français apportent un éclairage nouveau sur l’inscription sociale du pouvoir et de la compétition politique, via notamment la notion d’éligibilité, et renouvellent l’analyse de la constitution des leaderships territorialisés, y compris dans leur rattachement étatique.

34Les analyses dites des politiques publiques occupent une telle place dans le champ politologique, que l’étude du leadership se doit d’en tenir compte, voire de les questionner. Certes, l’approche des politiques publiques, aux dires de plusieurs auteurs, a opéré dans les années quatre-vingt un glissement d’intérêt vers les seuls produits du système politique, leur mise en œuvre et leur négociation (J.-C. Thoenig, 1996), alors que les années soixante-dix avaient vu la multiplication des recherches sur le pouvoir politique. L’étude des politiques publiques tendait à fournir de moins en moins d’éléments concernant l’action des acteurs et le cœur du système politique, et portait de plus en plus, comme le notait Pierre Muller en 1990, sur des questions de management public : outils de gestion, modes d’intervention, implication des acteurs socio-économiques, etc. « Un paradoxe se dégage en effet si l’on tente d’établir le bilan de deux à trois décennies de recherche sur les politiques publiques. La question du politique n’a guère reçu d’attention suffisante, sa connaissance a peu avancé, elle a même été négligée, » nous explique Jean-Claude Thoenig en 1998.

35À l’heure actuelle, l’approche des politiques publiques amorce un retour vers des problématiques de compétition politique. Comme l’écrit Patrice Duran en 1996 : « L’heure est à la reconstruction du politique, donc à des questions qui, tout en n’excluant pas celle de l’efficacité de l’action publique, s’interrogent sur la démocratie et la participation, les conditions de la légitimité politique, la constitution de l’espace public. »

36Patrick Le Galès recommande aussi, dès 1995, de ne pas s’en tenir à la seule étude des politiques publiques, des réseaux d’action publique ou de leur efficacité, et d’interroger aussi le pouvoir ou « ce qui reste de l’État. » Il explique que lorsqu’on veut comprendre les phénomènes ayant trait à la sphère publique, on ne peut négliger des facteurs comme les stratégies des équipes politiques, les projets politiques, le leadership lui-même, ou la (re) territorialisation du politique. Patrick Le Galès prend l’exemple du gouvernement de Margaret Thatcher, et du changement alors introduit dans l’action publique. Une « certaine » analyse des politiques publiques, celle en terme de réseaux, ne pouvait en rendre compte. « Ainsi, l’analyse des réseaux d’action publique conduit presque nécessairement à souligner la stabilité de l’action publique, son incohérence, le changement graduel dans la grande tradition de l’incrémentalisme. Les auteurs britanniques de ce courant ont ainsi sous-estimé la capacité de changement de l’action publique qu’a apportée le gouvernement Thatcher, que ceci s’explique par le poids des idées, le projet politique, le leadership ou tout autre facteur. Les changements mis en œuvre étaient a priori inconcevables. La recherche en termes de réseaux d’action publique rencontre des difficultés à penser le changement et à prendre en compte des facteurs exogènes. Or, certaines périodes sont politiquement susceptibles de provoquer des transformations importantes, de nouvelles institutions aussi. » Les leaders politiques peuvent en effet profiter de « fenêtres d’opportunités », que ce soit dans les politiques publiques (J.W. Kingdon, 1984), ou dans la compétition électorale (C. Arpaillange et M.-A. Montané, 1998), pendant lesquelles les ressources politiques sont redistribuées ou changent de valeur (M. Offerlé, 1991), dans des contextes d’action eux-mêmes transformés.

37Il faut donc approfondir les convergences entre sociologie politique et analyse des politiques publiques, notamment pour appréhender les stratégies de pouvoir, les modes de régulation et aussi de légitimation (J. Lagroye). Car l’interaction est bien sûr réciproque : le leadership trouve dans les politiques publiques des ressources et une légitimation. Les leaders comme la direction politique se « réalisent » dans l’action, même si c’est avec toute l’imprévisibilité et la contingence de l’imputation ou de l’attribution des réalisations (C. Le Bart), qui n’est jamais assurée pour un leadership engagé dans les luttes réputationnelles (J.-M. Cotteret, 1991). Leadership et décision publique entretiennent des relations dont la complexité est accrue par la nature elle-même problématique de la « décision » (L. Sfez), mais les théories de la décision peuvent renseigner les analyses du rôle des leaders.

38En tout état de cause, l’action publique génère des effets, non seulement dans les champs sociaux, mais aussi dans le champ politique lui-même : le concept de rétroaction, en analyse systémique, ne dit pas autre chose. La mise en place d’une politique peut avoir pour conséquence de modifier les relations entre les acteurs du champ politique (notamment partisans, comme l’étudie Cécile Bressat-Bodet), de redistribuer les ressources de leadership, d’offrir de nouvelles chances de légitimation. Observer les réactions des acteurs politiques à ce qui peut devenir une « nouvelle donne », constitue un objet de recherche en soi, loin d’être épuisé : « L’action publique comme productrice d’interaction sociale dans un univers politique reste un thème en friche », rappelle Patrice Duran en 1996.

39Approfondir l’analyse sur la compétition et les acteurs politiques, en profitant de l’inflexion de l’approche des politiques publiques, constitue aussi une sorte de « retour » à des problématiques souvent très proches de celle du leadership, retour qui s’alimente à, au moins, deux sources théoriques : les écrits anglosaxons (cf. première section), et l’approche du « métier politique ». Pourquoi parler d’approche du métier politique ? Dans la revue Politix, nombre d’articles sont manifestement marqués par les travaux menés à la fin des années 1980 à l’Université de Paris I au sein du GEMEP, le Groupe d’Étude du Métier Politique, dont ont fait partie Jacques Lagroye, Philippe Garraud, Frédéric Sawicki, Jean-Baptiste Legavre, Bastien François, Jean-Louis Briquet et Guy Birenbaum. Outre cette revue, on retrouve l’empreinte de leurs réflexions dans maintes thèses ou publications (J. Fontaine et C. Le Bart ; A. Faure). On peut donc se risquer à parler d’approche du « métier politique », qui traite notamment de la compétition et des entrepreneurs politiques. L’étude du leadership peut faire son miel de cette approche, sur tout ce qui concerne les démarches stratégiques contraintes par les règles du jeu politique, sur l’usage des nouvelles techniques (en particulier de campagne) et les savoir-faire des acteurs professionnalisés, sur les conséquences de la prescription de rôles politiques, sur les effets des contextes et des configurations, comme de la conjoncture politique.

40Un des rôles des leaders, tels que la littérature les présente, est justement dépendant de la conjoncture politique, puisqu’il s’agit de la résolution des problèmes et de la définition de la situation.

41Or, l’autonomie relative du politique implique que face au même problème les gouvernants ou leaders politiques ne construisent pas les mêmes réponses : autre aspect de l’interaction complexe entre action publique et leadership. Par conséquent, comme le dit Jean-Claude Thoenig, « [sont nécessaires] davantage d’études longitudinales, notamment de manière à confronter la façon dont des politics et des autorités gouvernementales différentes abordent un problème identique. » C’est une question de direction politique des politiques publiques (Philippe Warin).

42Prendre conscience de cette nécessité conduit par exemple à comparer la constitution de plusieurs leaderships politiques à travers leur action et leur inscription territoriale, tout en prenant garde aux processus sociaux de construction des problèmes (Murray Edelman) susceptibles de traitement politique, ainsi qu’en tenant compte de la mise sur agenda (conditionnée) de ces problèmes (J. Gerstlé, 1992), dans lesquels les luttes entre acteurs et les contextes localisés introduisent une telle différenciation qu’il est probablement difficile de retrouver un problème strictement identique dans des configurations politiques distinctes. C’est une des leçons que l’étude du leadership peut retirer des recherches sur la communication politique.

43Après la construction des problèmes, il y a aussi celle de l’adversaire ou de l’ennemi du groupe de référence du leadership. On pourrait croiser la réflexion d’Edelman avec celle de Simmel sur le conflit. Pour G. Simmel : « […] il ne devrait pas y avoir d’unité sociale dans laquelle les mouvements convergents des éléments ne soient aussi inextricablement mêlés à des mouvements divergents. Un groupe qui serait tout simplement centripète et harmonieux, une pure et simple « réunion », n’a non seulement pas d’existence empirique, mais encore il ne présenterait pas de véritable processus de vie. » Cela est d’autant plus vrai en matière politique, puisque les clivages sociaux comme les aspirations personnelles y sont d’une intensité particulière. Le conflit, comme le démontre Simmel, qui le nomme aussi antagonisme ou concurrence selon les cas, est une relation sociale qui, certes, peut être destructrice d’autres relations sociales, mais qui ne doit pas être opposée a priori à ce qui serait l’unité ou l’harmonie de la société. Car le conflit participe de cette unité, il peut être « positif » (c’est-à-dire, ici, créateur) dans ses effets globaux. Par exemple, une forme d’organisation politique comme le leadership peut, sur une longue période, être principalement structurée autour d’un conflit, dont la permanence résulte certes de l’impossibilité à le résoudre, mais qui, en même temps, fournit aux acteurs des repères contre l’incertitude, une justification de l’existant, et des adversaires ou ennemis désignés. On touche là à ce qui constitue les groupes politiques, et au rôle clé de la manipulation des symboles.

44Une analyse en terme de leadership conduit, en effet, à s’intéresser aussi à la symbolique politique, et aux mécanismes subtils qui régissent réputation et représentations dans la sphère du pouvoir. Dans les processus de constitution de la direction politique, l’usage des symboles, les effets de croyance, et la construction des adversaires, sont des aspects très importants de la lutte et du succès (B. Gaïti, 1998). Sur ce terrain des représentations collectives, la croyance dans l’autorité des leaders est nourrie par l’opposition de leurs adversaires, qui les constituent ainsi en leaders, puisqu’elle est aussi une reconnaissance de leur statut. Le leadership remplirait une série de fonctions symboliques, ayant trait à l’unité de la communauté, par l’identification au leader, ou par la fusion des contraires (L. Sfez). Mais ceci est sans doute très lié au contexte culturel des configurations de leadership, lui-même en évolution, comme les travaux sur les tendances dans le leadership local ou sur la « nouvelle culture politique » l’illustrent (V. Hoffmann-Martinot). Ces travaux montrent aussi les évolutions dans les autres dimensions constitutives du leadership qui, à l’instar des partis ou des cadres institutionnels, sont tout sauf immuables : pour prendre cet exemple, les changements dans le rôle local des partis ne peuvent être sans conséquences sur la constitution du leadership. Certains auteurs vont jusqu’à déduire la forme du leadership, de celle prise par ce qu’ils dénomment le « régime » politique, en l’occurrence urbain (R. Balme).

45Enfin, le leadership et l’espace du politique entretiennent un rapport problématique, socialement construit, et évolutif, qu’il faut bien chercher à cerner, à l’heure de la territorialisation ou relocalisation du politique et de l’action publique (P. Muller, J. Dumas).

46Le rapport à un espace, pour le leadership, semble aller de soi, mais c’est pourtant un rapport problématique, car le leadership et l’espace renvoient à deux dimensions distinctes du social, qui, en terme de structuration, sont pour le moins éloignées. Le leadership politique réfère à un ensemble d’acteurs, à leurs relations, leur style d’action ou les positions qu’ils occupent… Alors que l’espace du politique, qui se différencie en espace institutionnel comme en espaces sociaux, ne se rapproche structurellement du leadership qu’une fois approprié en territoire. Dans la sphère politico-administrative, les choses semblent assez claires : une équipe au pouvoir, à la tête d’une collectivité quelle qu’elle soit, est réputée « diriger » le territoire de cette collectivité, lui-même d’origine institutionnelle (Montané, 2001). Mais si l’on s’intéresse à l’enracinement social du personnel politique, le rapport au territoire, entendu comme rapport à des espaces sociaux différentiellement appropriés (i. e. par de multiples acteurs politiques et non politiques, sans ordre de préséance), apparaît beaucoup moins simple, comme l’avaient déjà vu J.-L. Briquet et F. Sawicki dès 1989.

47Le rapport entre leadership et territoire est donc socialement construit, rendu plus complexe d’un côté par l’effet des représentations collectives, de la croyance locale dans une autorité, de la réputation des leaders, et de l’autre par l’existence de « territorialités » (J. Dumas ; M. Favory) variables du politique, de visions du territoire et de tentatives de peser sur sa structuration et sa spatialité. J. Chevalier et D. Loschak rappelaient déjà, en 1978, les relations réciproques entre pouvoir politique, espace et contrôle social, sans pour autant trancher définitivement les débats sur l’extension (notamment) spatiale du pouvoir. De l’espace au territoire, il n’y a qu’un pas (mais qui pose lui-même question) et dans le cadre, par exemple, de la réflexion d’E. Ritaine sur les régions en Europe, le territoire apparaît comme l’espace du jeu politique, marqué aussi par le poids d’un héritage historique et social.

48Plus géographe que politiste, J. Lévy insiste pour sa part sur la question du contrôle du territoire, qui constitue aussi un enjeu pour le leadership. Et chez A. Smith et W. Genieys, on trouve l’idée que le rapport au territoire est constitutif du leadership, comme contrainte, mais aussi comme ressource. Au final, la science politique conserve sans doute des marges de progression dans sa compréhension du rapport entre leadership et territoire, notamment par convergence avec la géographie humaine (J. Dumas).

49Leadership et territoire entretiennent un rapport évolutif, car les mobilisations sociopolitiques, les évolutions du cadre institutionnel, la compétition politique, donnent son contenu à ce rapport, à quelque niveau auquel on se situe, et le « mésogouvernement » ne fait pas exception. Les leaders et leurs équipes pèsent sur l’espace du politique sur les structures qui les environnent ou constituent leur cadre d’action, puisque ces leaders participent à la construction des territoires politiques, notamment à travers les découpages électoraux ou la négociation et l’application des politiques institutionnelles territoriales, ce qu’a aussi étudié Daniel Gaxie.

Approches du leadership dans les disciplines voisines de la science politique

50Élargissons maintenant nos horizons et partons en excursion dans diverses disciplines plus ou moins éloignées de la science politique.

Psychologie et théorie des groupes restreints

51Le cadre d’analyse de la psychologie et de ses dérivés est fréquemment retenu pour les travaux sur le leadership. Philippe Braud rappelle dans son manuel la définition la plus consensuelle du leadership politique, définition marquée par ce cadre d’analyse interactionniste : le leadership est ainsi conçu comme la « capacité d’un représentant à gérer de façon dynamique des rapports de pouvoir au sein d’un groupe ».

52Mais avant de porter son attention sur le leadership au sein de groupes, la psychologie avait débuté ses recherches sur les leaders par des théories plus contestables, portant sur les traits individuels des dirigeants.

53L’un des premiers à étudier les traits qui caractériseraient les leaders, en l’occurrence la taille, le poids, l’apparence physique, etc., fut E.B. Gowin, qui conclut en 1915 que les dirigeants sont plus grands et plus gros, tant à l’Université que dans les chemins de fer, comparativement aux agents situés plus bas dans la hiérarchie ! Ce courant de recherche a connu une belle prospérité en psychologie, s’intéressant plus tard à l’énergie, la santé des leaders, et à leur intelligence. On trouve encore des études sur les corrélations observables entre apparence et position de direction. Les problèmes que les auteurs ultérieurs ont décelés dans ces analyses sont leur « acontextualité » (J. Blondel), leur définition imprécise du leadership (K. Janda) ainsi que la multiplication des traits envisageables (Stogdill).

54Les approches psychologiques se sont intéressées également au caractère ou à la personnalité des leaders. On pense à T. Adorno sur la « personnalité autoritaire ». J. D. Barber, quant à lui, a tenté de classifier universellement les leaders d’un point de vue psychologique. Il s’est particulièrement intéressé aux présidents américains. Sa typologie repose sur deux critères : l’énergie du leader, et la satisfaction éprouvée par celui-ci dans son travail. Les distinctions s’opèrent entre dimension positive ou négative, selon chaque critère, et leur croisement donne des types de leaders identifiables. Un président est ainsi « actif » et « positif », s’il est énergique, confiant en lui-même, ayant un bon contact, et retirant un sentiment positif de l’accomplissement de sa tâche. Pour Barber, c’est le cas de F. D. Roosevelt ou Harry Truman. Au contraire, R. Nixon est classé comme « actif/négatif » car s’il est énergique, il est aussi moins satisfait de ses résultats en contexte.

55Mais le principal apport de la psychologie aux recherches sur le leadership ne se trouve pas là. Moins naïve et plus contextualisée, l’analyse des groupes restreints apporte davantage de résultats, notamment sur la compréhension de la relation de leadership. Dès 1938, K. Lewin mène des expériences sur les styles de leadership, qui démontrent que le comportement des leaders influence celui des individus qu’ils dirigent, par l’existence d’ » injonctions implicites » au sein du système relationnel. Le leader crée les règles de l’échange qui va avoir lieu dans son groupe. Lewin définit les types de leaders démocratiques, autoritaire, et appliquant le « laisser-faire », repris aussi par R. Lippitt et R. K. White.

56Ces derniers inscrivent leurs recherches sur le leadership dans ce courant de la psychologie qui prend des groupes restreints comme objet d’étude, et étudie les interactions qui s’y déroulent, courant qui naît aux États-Unis à la veille de la 2^e Guerre mondiale, avec les études de K. Lewin, et qui refonde la psychologie sociale sur une base expérimentale. Ce ne sont plus les traits des leaders qui sont au centre de l’analyse ; ils sont au contraire remis « en contexte ». L’interrogation porte sur leur rôle dans le groupe, sur la relation de leadership elle-même. Lippitt et White ont travaillé sur des groupes d’enfants et dégagé trois styles de commandement : démocratique, autoritaire et non interventionniste, produisant des effets différenciés sur les comportements et la satisfaction des membres au sein du groupe. Le premier est, sans surprise, celui qui réalise « l’optimum du groupe ». Ces premières recherches ont été suivies par bien d’autres, y compris dans d’autres disciplines comme les théories du management.

57Dernier exemple cité ici, dans les années 1950-1960, François Bourricaud s’emploie à adapter les travaux sur les groupes restreints. Il s’inspire notamment de Robert Bales, qui étudie le rôle du leader dans des groupes de discussion, son adresse à acquérir et conserver le statut de leader, et met aussi en évidence la possibilité d’un leadership collégial reposant sur l’entente entre plusieurs leaders. Pour F. Bourricaud, la fonction du leader est notamment d’assurer la cohésion du groupe, par un rôle disciplinaire, mais aussi en inspirant la confiance. Il est lui-même conscient des difficultés de généralisation de ces analyses à des phénomènes et des groupes plus larges, en particulier politiques.

Sciences de gestion et théories du management

58L’étude du leadership menée par les sciences de gestion et les théories du management s’inscrit majoritairement dans le courant psychologisant, même si elle compte, aussi, et de façon croissante, des réflexions sur l’influence de l’environnement ou sur les logiques d’organisation.

59L’analyse du leadership dans l’univers de l’entreprise puise à la source de la psychologie sociale et se trouve marquée, en particulier, par les théories des groupes restreints et des types de relations d’autorité qui s’y constituent. Secondairement, les analyses du leadership et du rôle des leaders dans l’entreprise sont aussi influencées par les grands classiques de la sociologie (Max Weber), et de la science politique anglo-saxonne (J. Barber, J. McGregor Burns).

60Sciences de gestion et théories du management traitent alternativement ou simultanément des leaders et des managers, les premiers étant souvent distingués des seconds, dont ils représentent alors un type particulier (J. Kotter, A. Zaleznik, B. Henriet), quand d’autres travaux n’opèrent pas de distinction claire entre leadership et management (T. Teal). Il faut noter les théories qui voient le leadership comme un moment particulier voire une solution nouvelle du management (H. Mintzberg, M. Thévenet), sans les opposer de manière irréductible.

61Henry Mintzberg est une référence incontournable des recherches sur le travail du manager et sur ses rôles. Il voit les managers comme des leaders lorsqu’ils mènent des actions, en ceci qu’ils sont responsables du travail des membres de leur équipe, de leur recrutement et de leur formation. Même idée chez Maurice Thévenet : on passe au style de leadership dès lors que les aspects humains (motivation, écoute, climat) de la direction sont privilégiés. L’exercice « indirect » du rôle de leader consiste en la motivation et l’encouragement des équipes. Pour Mintzberg, « c’est dans le rôle de leaders que l’influence des managers apparaît le plus clairement. L’autorité dont ils jouissent leur donne un grand pouvoir ; c’est principalement dans ce rôle qu’ils démontreront leur capacité – ou non – à l’exercer ». Le leadership est donc un rôle particulier du manager.

62Les recherches qui distinguent leaders et managers, de manière plus ou moins tranchée, sont majoritaires. Celles qui voient le leadership comme une solution aux tendances actuelles à la complexité et à l’incertitude dans l’environnement des organisations, sont en développement. J. Kotter est représentatif de ce courant, car, même s’il opère une distinction ferme entre leadership et management, il finit par leur trouver une complémentarité. Kotter réfute pour commencer la vision « mystique » du leadership, que d’autres auteurs n’ont pas complètement abandonnée (J. Badaracco ; T. Teal). Pour J. Kotter, le leadership n’entretient pas de lien nécessaire avec des qualités personnelles exceptionnelles des leaders, notamment le charisme. Kotter rejette les jugements de valeur.

63S’il estime que le leadership n’est pas un substitut au management, ce dernier correspondant à la gestion de la complexité en organisation, notamment par des procédures, le leadership le « complète » néanmoins car il gère le changement, devenu de plus en plus important dans un monde industriel concurrentiel et volatil, en définissant une direction, en alignant le personnel et en le motivant. Alors que le management gère, planifie, recrute, organise, résout les problèmes. Selon Kotter, le changement en organisation réclame « plus de leadership ». Les leaders sont à sélectionner pour leur potentiel mais ils ne sont pas introuvables ; ils peuvent en outre recevoir un soutien et une formation adaptés, de la part de leur organisation. Reste que le leadership ne doit pas l’emporter sur le management, mais qu’ils doivent « s’équilibrer l’un l’autre ». A. Zaleznik n’est pas très éloigné de J. Kotter et pour lui aussi, managers et leaders sont à distinguer. Les managers opèrent dans l’ordre de la nécessité, réduisent le conflit, visent le bon déroulement de l’activité et la stabilité de l’organisation. En matière de pouvoir, les managers sont favorables à un leadership « collectif ». Les leaders, en revanche, s’investissent personnellement dans les buts de l’organisation, saisissent les opportunités qu’ils savent attendre et repérer, ils « inspirent » le personnel et, toujours aux dires de Zaleznik, leur action énergique nourrit la créativité de l’organisation.

64Très proche de J. Kotter, B. Henriet voit aussi que les changements profonds du contexte économique obligent les entreprises à repenser leur organisation et à renforcer leur management. Il ne s’agit plus seulement de gérer, mais il est aussi nécessaire de conduire l’organisation tout en impliquant ses membres. Cela suppose une vision de l’avenir, une mobilisation des énergies et une capacité pour susciter l’adhésion. Le rôle des responsables doit être alors réaffirmé : on attend d’eux qu’ils « exercent un réel leadership ». Le leader est « porteur de sens ». Certains (J. Rojot) ont vu dans ces travaux une approche dite du leadership « transformationnel », opposée aux théories de l’organisation insistant sur le poids de l’environnement ou l’inertie des structures d’entreprise.

65Les sciences de gestion et le management n’ont pas renoncé aux typologies, loin s’en faut. Peut-être en raison de leur opérationnalité supposée. Depuis les typologies classiques, celles de McGregor (1969) distinguant styles autoritaire (théorie X) et démocratique (théorie Y), de R. Blake et J. Mouton (1970) sur les deux dimensions du management, ou de Chalvin (1971) sur les types de leadership efficace entre engagement et coopération (l’organisateur, l’entreprenant, le participatif, le réaliste, le maximaliste), la recherche de types de leaderships plus descriptifs de la grande diversité du leadership rappelée par d’autres auteurs (M. Kets de Vries ; J. Rojot), ne s’est pas ralentie.

66Blake et Mouton sont les plus cités comme base de départ de la recherche : à partir de leurs travaux sur les deux dimensions du management, c’est-à-dire du degré d’intérêt porté aux impératifs de la production et/ou aux problèmes humains, ils construisent la grille, devenue célèbre, qui porte leur nom, et ses cinq styles de leadership : laisser faire (- ; +) qui privilégie la gestion des problèmes humains, intégrateur (+ ; +), institutionnel (médian), appauvri (- ; -) et autoritaire (+ ; -) qui, lui, privilégie la production.

67C. Farkas et S. Wetlaufer, après une vaste enquête sur les comportements et les activités des PDG du monde entier, arrivent aussi à cinq types de leadership, mais différemment pensés : la stratégie, les ressources humaines, les compétences, le cadrage ou le changement. L’axe de leadership doit correspondre aux besoins de l’entreprise et à sa situation du moment. La personnalité du PDG y colle, ou bien n’y colle pas. On parle alors de théorie situationniste du leadership. Mais le choix d’un axe de leadership homogène est indispensable, en raison de la détermination et de la clarté qu’il apporte.

68Le problème de ces typologies est qu’elles tombent souvent dans des biais idéalisateurs, ou se perdent dans la généralité. Le « STRATEGOR » en donne l’exemple. Dans ce travail collectif des plus référencés, on peut lire qu’ » il n’y a pas de communauté d’action sans but, c’est-à-dire sans stratégie pensée et commune, incarnée par le leader et défendue par lui contre toutes les attaques, en particulier venant de l’extérieur. » La référence implicite à la sociologie weberienne ne suffit pas à étayer cette approche qui, influencée aussi par la psychanalyse au-delà de l’apport plus traditionnel de la psychologie sociale, présente les types du « leader narcissique, leader possessif, leader séducteur, leader sage ». Il va sans dire que le dernier de ces quatre types est préconisé pour la bonne marche de l’entreprise commerciale10, tant sur le plan de la morale que sur celui de l’efficacité.

69La notion de leader « démocratique », aujourd’hui dénommé participatif (J. Rojot), dérive des résultats de l’influence qu’ont exercée, dans les années 1950, la théorie des groupes restreints et la psychologie expérimentale, sur l’étude du leadership (Lewin, R. Lippitt, R. K. White). Tout le courant de l’analyse des styles de direction en dérive. La Revue Française de Gestion publie ainsi un numéro sur ce thème, qui analyse le métier de dirigeant, les questions du pouvoir et de la légitimité, de la logique du pouvoir dans les organisations, des styles de direction en relation au contexte notamment culturel, etc.

70Ces travaux récents tendent à surmonter les limites des premières approches, que Maurice Thévenet juge vagues, globales et subjectives. Thévenet insiste sur le poids des situations dans les styles de direction, et s’inspire des approches interactionnistes, pour arriver à une réflexion sur les capacités des leaders. « Les attentes des salariés, la personnalité du leader et les caractéristiques de la situation interagissent dans un système très complexe qu’il est bien difficile de formaliser ». Certains s’y risquent pourtant, comme Bruno Henriet, pour qui il ne faut pas oublier les subordonnés et les modes de subordination. Au final, le leadership apparaît comme un processus, résultat d’une interaction permanente entre le contexte culturel, les données technico-économiques, et les caractéristiques des personnes en présence. Notons qu’Henriet s’inspire de J. McGregor Burns et de B. M. Bass.

71Le mot de la fin peut être laissé à Manfred Kets de Vries qui, après le constat classique de la difficile définition du concept, déplore que beaucoup d’études dérivent, en fait, de l’objet leadership qu’elles affichent, pour ne plus analyser que des phénomènes sociaux n’ayant que peu à voir avec l’activité des décideurs clés dans l’organisation, des exécutifs ou des noyaux stratégiques. Il appelle les recherches à demeurer centrées sur les conduites et les actions des individus en position de leadership. C’est ainsi que l’étude du leadership peut être viable, et « utile » à la constitution des exécutifs.

Anthropologie politique

72L’apport de l’anthropologie nous semble très important pour la réflexion relative au leadership et, ce, pour deux raisons principales. Premièrement, les anthropologues, de par leur méthode d’observation directe (éventuellement participante), nous livrent des analyses fondées empiriquement, à mille lieues des débats ésotériques autour de la notion, comme des études statistiques négligeant les spécificités des terrains pris en compte.

73Ensuite, cette proximité du chercheur se double souvent d’une réflexion comparative ne se réduisant pas forcément aux sociétés dites exotiques (cf. le travail de Marc Abélès sur le département de l’Yonne, par exemple). Ceci peut mener à une prise en compte de différences importantes, au gré des contextes culturels étudiés, et à la mise en évidence de variables comparatives (se référer à la synthèse de Barbara Kellerman, 1984, chap. 3).

74Le travail des anthropologues amène aussi parfois à la formulation de grilles de lecture qui peuvent apparaître relativement transposables au-delà des frontières. Nous songeons principalement ici aux analyses majeures de F. G. Bailey sur les règles du jeu, les rôles de direction, les structures et les équipes politiques. Jacques Lagroye rappelle l’importance du travail de Bailey pour les travaux ultérieurs sur ce type d’objets. Il serait vain de vouloir résumer en peu de phrases ses multiples apports. On se limitera ici à quelques-unes de ses principales idées.

75Une réflexion importante chez Bailey concerne la comparaison du pouvoir des leaders et de celui de leurs supporters. Cette comparaison passe par celle des ressources relatives. Ainsi, on aura des leaders forts ou faibles, selon leur degré de dépendance vis-à-vis de la contribution de leurs supporters, et selon ce que représente cette contribution pour eux. Une autre idée de Bailey est que la nature du soutien apporté au leader permet de définir analytiquement deux types de groupes de supporters : les groupes « moraux » et les groupes « contractuels », selon que le soutien recouvre une adhésion (idéologique, religieuse ou personnelle), ou bien une transaction (échange, rétribution). Par ailleurs, le degré de sensibilité des membres des équipes à la subversion par les autres équipes, offre à Bailey la possibilité de distinguer entre le « noyau » et « l’entourage » du leader.

76Bailey a aussi étudié le leadership en contexte, et en rapport à la structure politique. Lorsque Jacques Lagroye parle du « choix d’une solution dans des situations d’incertitude, d’imprévu ou de menace soudaine pour le groupe », parmi les décisions que les leaders politiques sont amenés à prendre dans l’exercice de leur rôle, il se réfère à Bailey, pour qui le leadership politique est particulièrement nécessaire dans des conditions d’incertitude, quand l’innovation caractérise la décision. Selon Bailey, « le besoin d’une direction [leadership] se fait tout particulièrement sentir dans les conditions d’incertitude et lorsqu’il faut prendre des décisions qui sont également des innovations. L’incertitude désigne les situations au cours desquelles les gens ne peuvent pas trouver une règle pour guider leurs réactions. » Ce « besoin » participe, en temps de routines, de la représentation socialement admise du rôle de leader, et, en période définie comme incertaine, correspond à des attentes placées dans le leadership politique.

77On sait le succès que Bailey a pu recueillir auprès des politologues, mais il ne s’agit pas du seul anthropologue ayant creusé la question du leadership et de ses dimensions constitutives. Sahlins, dans le cadre de ses réflexions sur l’échange primitif, nous offre des analyses extrêmement stimulantes pour qui s’intéresse à la transmutation de ressources concrètes en soutien politique. D’un point de vue comparatif, même s’il devait être partiellement remis en cause par M. Godelier (1982), on peut estimer que son modèle du Big Man (par opposition à celui du chef héréditaire jouissant d’une autorité institutionnalisée) condamné à redistribuer sans fin des ressources à ses supporters est transposable, moyennant quelques nuances, pour analyser des situations contemporaines de leadership, par exemple en Afrique subsaharienne (Médard 1992).

78G. Balandier, de son côté, s’est intéressé aux types de légitimité et d’autorité « weberiens », puis a développé une réflexion sur le pouvoir et sa théâtralité, qui concerne de près l’analyse des formes de leadership. Georges Balandier explique que c’est « par le mythe du héros que la théâtralité politique se trouve le plus souvent accentuée ; il engendre une autorité plus spectaculaire que celle dite de routine parce que sans surprises. » Toujours pour Georges Balandier : « Le héros n’est pas d’abord estimé tel parce qu’il serait « le plus capable » – et notamment d’assumer la charge souveraine, comme l’affirme Carlyle. Il est reconnu en raison de sa force dramatique. Il tient sa qualité de celle-ci, non de la naissance ou de la formation reçue. Il apparaît, agit, provoque l’adhésion, reçoit le pouvoir. La surprise, l’action, le succès sont les trois lois du drame qui lui donne l’existence. »

79Mentionnons encore les travaux de F. Barth sur le leadership politique des Pathans du Pakistan, à la fois solides sur le plan empirique et dans leurs prolongements théoriques.

80Enfin, comment ne pas citer à nouveau Marc Abélès et son anthropologie de l’État, ses études sur les espaces politiques français ainsi que son concept clé d’éligibilité, ses analyses contextualisées de lignées d’élus mais aussi de parachutages ou de visites ministérielles et présidentielles, avec toute la charge de symboles et de rituels qui accompagnent l’exercice du rôle de ces leaders.

81On aurait probablement pu étendre cette promenade cavalière vers les terrains des relations internationales, de la sociologie (en particulier celle de l’innovation), de l’histoire, de la littérature, ou des études sur le charisme qui, à un degré ou à un autre, peuvent aussi concerner la recherche sur les leaders et le leadership.