Irène Laure (18 septembre 1898-4 juillet 1987)
p. 693-694
Texte intégral
1Irène Laure est une socialiste et une résistante des Bouches-du-Rhône qui, après la Seconde Guerre mondiale, milite pour la réconciliation franco-allemande et la paix dans le monde.
2Issue d’une famille piémontaise et protestante, Irène Guelpa est née à Lausanne où son père, entrepreneur, réalise un chantier. Elle raconte qu’elle a pris conscience des inégalités sociales en observant la condition ouvrière dans l’entreprise paternelle, de sorte qu’elle adhère dès l’âge de 16 ans à la SFIO à Antibes où réside alors sa famille, en rompant avec son père. Pendant la guerre, elle s’engage volontairement dans le service de santé des armées, y obtient son diplôme d’infirmière puis, la paix revenue, se marie civilement avec un marin, un camarade du parti, Victor Laure, à Marseille. Comme ils sont tous deux délégués de leur section, ils se rendent au congrès de Tours en décembre 1920 en guise de voyage de noces. Elle le convainc de rester à « la vieille maison » et de pas rejoindre la SFIC. Infirmière à Aubagne, mère de cinq enfants et en charge d’enfants réfugiés espagnols, c’est la Résistance qui propulse Irène Laure vers des responsabilités politiques nationales.
3Membre du Mouvement de libération nationale (MLN) avec son mari, elle organise une marche de la faim des femmes d’Aubagne à la préfecture de Marseille en mai 1944. À la Libération, alors que le droit de vote a été accordé aux femmes, la SFIO de Daniel Mayer cherche à se féminiser. De sorte qu’Irène Laure se retrouve en 3e position sur la liste SFIO-UDSR de Gaston Defferre dans la 1re circonscription (Marseille-Aubagne-La Ciotat), derrière Francis Leenhardt et face à la liste dissidente de Ferri-Pisani, aux élections à l’Assemblée constituante en octobre 1945. Contre toute attente, sa liste obtient trois élus, et Irène Laure rentre au palais Bourbon, où elle siège – comme la plupart de ses trente-cinq consœurs –, dans la commission du Travail et de la Sécurité sociale et celle de la Famille, de la Population et de la Santé publique. À nouveau candidate alibi en 3e position, en juin 1946 lors des élections à la seconde assemblée constituante, et en novembre 1946 aux législatives, elle n’est pas réélue et cesse de se représenter. Mais elle milite toujours à la SFIO, anime son secrétariat aux questions féminines et, à ce titre, siège même un temps au comité directeur en 1946 et 1947. Mais de congrès en congrès, Irène Laure ne peut que déplorer la marginalisation des Femmes socialistes, cantonnées à la propagande auprès de l’électorat féminin, comme elle le fait encore avec éclat en 1949. Très déçue, son engagement va se tourner vers d’autres horizons.
4En 1947, alors que s’amorce la guerre froide, Irène Laure est invitée, en tant que secrétaire des Femmes socialistes, aux rencontres de Caux, en Suisse, par l’organisation internationale pacifiste le Réarmement moral. Fondé par le pasteur américain Frank Buchman, sur le modèle de Gandhi, en 1938, ce mouvement évangéliste a renoncé à tout prosélytisme religieux, mais affiche clairement un anticommunisme que partage Irène Laure. Européiste, elle avoue cependant nourrir une haine viscérale pour les Allemands et elle peine à imaginer une Europe intégrant l’Allemagne. Selon son témoignage, c’est sa rencontre à Caux avec la veuve du résistant antinazi Adam von Trott, Clarita, qui la fait basculer. Avocat, Adam von Trott a été exécuté après l’attentat manqué contre Hitler en juillet 1944, sa femme emprisonnée et leurs enfants confiés à la SS. Mais Clarita s’excuse auprès d’elle de ne pas avoir résisté à temps pour éviter le pire au reste de l’Europe. Irène Laure décide alors de demander publiquement pardon aux Allemands pour sa haine passée, nocive pour la paix, lors de la séance plénière du lendemain. Puis, en février et mars 1949, elle entreprend, avec son mari Victor, une tournée en Allemagne de l’Ouest. Elle se rend dans chaque parlement provincial, y réitère ses excuses, ainsi que lors de nombreux meetings devant des syndicats, des associations et face à la presse. Elle adresse le même message aux femmes berlinoises au milieu des ruines. Ce geste réitéré d’une ancienne résistante française a un fort impact médiatique en Allemagne et contribue à faire évoluer les esprits en faveur d’une réconciliation franco-allemande et de la construction européenne. Le 23 novembre 1950, Irène et Victor se marient à l’église.
5Dès lors, Irène Laure s’éloigne du parti socialiste en devenant l’ambassadrice du Réarmement moral, organisation chrétienne, pacifiste et conservatrice (devenue l’ONG Initiatives of Change en 2002), mais retrouve l’idéal internationaliste de sa jeunesse. Elle porte inlassablement son message de paix dans des pays meurtris par des guerres passées ou présentes : au Japon, aux États-Unis, en Inde, au Vietnam, au Brésil, en Afrique noire, en Afrique du Sud, en Israël… En 1985, le Réarmement moral confie sa biographie, Pour l’amour de demain, sous sa forme écrite à Jacqueline Piguet et filmée au photographe et documentariste David Channer. Elle meurt le 4 juillet 1987, à La Ciotat, âgée de 88 ans.
Auteur
Professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans, membre du laboratoire POLEN.

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