Les Alpes-Maritimes
p. 147-161
Texte intégral
1Le département des Alpes-Maritimes a un double particularisme à l’époque contemporaine, c’est d’abord le seul de l’aire méditerranéenne à avoir connu des changements de souveraineté au xixe siècle qui en ont fait le dernier territoire à intégrer définitivement l’espace français en 1860. Ensuite, comme l’ont montré les travaux des historiens et des politistes : Lucien Aune, Hervé Barelli, Jacques Basso, André Compan, Paul Gonnet, Jean-Louis Panicacci, Yves Rinaudo, Alain Ruggiero, Ralph Schor, il réunit une tradition localiste exceptionnelle en France d’enracinement sur les rives provençale et niçoise et une implantation d’élus venus d’autres cieux avec le développement économique et social.
La Révolution et l’Empire, 1789-1814
2Le 17 juin 1789, le tiers-état se proclame Assemblée nationale. L’Ancien Régime et la structure en ordres, corporatiste, société de privilèges, ont vécu. Après le bref temps de la monarchie constitutionnelle, qui s’achève sur l’arrestation de Louis XVI et le passage à la République en septembre 1792, vient le temps du prosélytisme. Dès le 20 avril 1792, la France est en guerre contre ses voisins et son ambition est alors d’arracher les peuples opprimés à la tyrannie des monarchies. Le 29 septembre, le général d’Anselme s’empare de Nice. La veille, l’armée piémontaise, croyant avoir affaire à une armée de 40 000 hommes, alors que d’Anselme n’en dirige tout au plus que 3 000, a fui piteusement, imitée par toutes les autorités locales, Sénat, majorité de la municipalité, etc. La ville étant livrée au pillage, l’évêque et le second consul, Saissi, se portent au-devant des troupes françaises, leur demandant d’occuper la cité pour mettre fin au désordre. D’Anselme installe une administration provisoire, chargée de gérer les affaires courantes, à l’abandon depuis la fuite des autorités civiles, nouvelle municipalité et comité permanent dirigé par Barras, sous le nom de Corps administratifs réunis. La première préoccupation de cette administration, dans ces temps qui sont encore d’occupation, est de fournir à l’armée les approvisionnements dont elle a besoin pour continuer la guerre qui se poursuit dans le reste du comté. Elle se livre alors allègrement à une razzia en règle de toutes les ressources disponibles, ce qui lui vaudra plusieurs signalements à la Convention par des députés qui n’apprécient guère Barras et ses méthodes. Mais rien n’y fait ; le futur directeur est trop bien vu en haut lieu. Dès le mois de décembre, les assemblées primaires se réunissent, en vue d’élire une nouvelle administration, toujours provisoire mais dotée de la légitimité que lui apportent les élections. C’est la Convention nationale des colons marseillais. Dans le même temps, la population du comté est consultée sur son devenir et, même à peu de voix – seules vingt-sept communes se prononcent et encore a-t-il fallu deux consultations pour parvenir à ce résultat –, le rattachement à la France est décidé. Le 4 janvier 1793, la Convention nationale des colons marseillais prononce la déchéance du roi de Sardaigne et, le 4 février, l’ancien comté est érigé en département des Alpes-Maritimes, la réunion étant solennellement proclamée le 7. Le département désigne l’espace compris entre le fleuve Var à l’ouest et, à l’est, le versant de la rive gauche de la Roya complété par la partie nord du bassin de la Nervia, exclu le littoral ligure, comptant en outre la principauté de Monaco, avec les cités de Monaco, Roquebrune et Menton. Grégoire et Jagot arrivent à Nice le 2 mars ; ils organisent le département, publient les lois organiques le 30, convoquent, le 14 avril, les assemblées primaires pour les élections, et, ayant installé les autorités légales, quittent le chef-lieu du quatre-vingt-cinquième département français, le 9 mai 1793. Nice est française. Elle envoie à la Convention, pour la représenter, les députés Blanqui et Dabray. Le nouveau département est divisé en trois districts : Nice, Puget-Théniers et Menton. Il compte 97 000 habitants et 96 communes.
3Entre 1792 et 1795, les Maralpins se plient à la politique de la Convention : abolition des droits féodaux dans le nouveau département, épuration des pouvoirs locaux, célébration des fêtes républicaines, nationalisation des biens du clergé niçois et des émigrés en fuite, acharnement contre les prêtres réfractaires… Mais pendant longtemps, en fait de département, seul le littoral est soumis aux Français ; la montagne reste aux mains des Austro-Sardes. C’est seulement en avril que les Français parviennent à prendre La Brigue, puis Saorge. Ils sont à Tende le 7 mai et le lendemain au col.
4Sous le Directoire, la vie politique agitée de Paris se reflète dans le département. Les deux personnages qui comptent sont Dabray, membre du Conseil des Cinq-Cents, et Gastaud, qu’il fait nommer commissaire du Directoire exécutif du département. La réaction se fait sentir à Nice comme à Paris et les arrestations se multiplient ; la désunion s’affirme entre les modérés et les ex-montagnards et, à partir de l’an VI, les factions se dressent les unes contre les autres : les administrateurs du département sont mis en accusation, mais Gastaud, entre-temps parvenu aux Cinq-Cents, les disculpe. La cabale reprend mais, finalement, le jury d’accusation de Nice, puis celui de Grasse, en mars et novembre 1799, par un non-lieu, mettent fin aux dissidences. La situation sociale n’est pas plus apaisée : il faut mettre en œuvre les idées, les institutions nouvelles, la langue nouvelle, le calendrier, la fiscalité… La situation économique n’est pas brillante non plus : marasme dans de nombreuses branches d’activité, difficultés du négoce maritime, problèmes de ravitaillement, inflation régulière… Après 1794 et jusqu’en l’an VIII, si les Français sont nominalement les maîtres du département, ils doivent compter avec les barbets, ces bandes de brigands demi-politisés, qui continuent ponctuellement de semer la Terreur et qui, s’ils ne menacent pas sérieusement la présence française, n’en constituent pas moins une réelle gêne pour le commerce, le ravitaillement, le recrutement local de l’administration.
5Le général Bonaparte, de retour de l’expédition d’Égypte, débarque à Fréjus le 14 octobre 1799 et, les 18 et 19 brumaire an VIII – 9 et 10 novembre 1799 –, le coup d’État fomenté par Sieyès anéantit le Directoire et installe le Consulat. La nouvelle est connue à Nice le 25 brumaire – 16 novembre. L’arrondissement de Grasse envoie au Corps législatif Barrière, de Saint-Jeannet, et Christophe Reibaud, d’Antibes. Nice conserve les mêmes représentants. Mais le temps n’est pas serein. Les combats font rage non loin : blocus de Gênes, combats du Var, à Saint-Laurent, de même de l’autre côté, à Duranus, à Drap et à l’Escarène. Dans les montagnes, les Barbets continuent leurs exactions. Le Concordat de 1801, qui met fin au schisme religieux initié par la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790, contribue à apaiser les esprits. Les traités signés, avec l’Autriche en 1801, puis avec l’Angleterre en 1802, pacifient enfin le pays et la proclamation de l’Empire en 1804 est accueillie avec des transports de joie dans le département. Des Te deum sont célébrés et à Nice, au théâtre, on joue une pièce de circonstance qui a pour titre L’hommage à Bonaparte ou la fête villageoise. Pendant les dix années qui suivent, les Alpes-Maritimes vivent au rythme des guerres de l’Empire qui ne cessent de reprendre. Elles doivent garder leurs côtes des corsaires anglais, fournir d’hommes et d’argent les armées de terre et de mer. 1812 signe le début de la fin pour Napoléon Ier, avec la formation de la sixième coalition ; la participation de la Russie est décisive. C’en est bientôt fait de l’Empire. Le 11 avril 1814, Napoléon abdique à Fontainebleau, avant de prendre la route de l’île d’Elbe. Le département des Alpes-Maritimes a vécu ; le comté de Nice retourne à la Savoie.
Les Restaurations : le temps des notables en Provence orientale, l’apprentissage de la vie parlementaire dans le comté de Nice (1814-1860)
6Sur la rive droite du Var, le temps des notables des petites cités provençales (Antibes, Cannes, Cagnes, Vence…) favorisés par le scrutin censitaire de la monarchie de Juillet s’enracine avec l’envoi au conseil général à Draguignan et à la Chambre des représentants de la noblesse provençale et de la bourgeoisie d’affaires dont les parfumeurs. La Révolution de 1848 qui suscite espoir dans la cité industrielle de Grasse et méfiance dans les campagnes, voit l’implantation de nouveaux lieux de sociabilité politique (les chambrées) dans lesquelles le sentiment républicain s’affirme et se développe sous le Second Empire. Des personnalités locales s’imposent qui seront élues à la tête du conseil général : l’antibois Alexandre Gazan et le docteur Fortuné Maure originaire de Saint-Cézaire-sur-Siagne.
7Suite à la promulgation du Statuto en 1848 par le roi Charles-Albert (charte constitutionnelle sur le modèle français) inspiré par le printemps des peuples, la province de Nice quant à elle, s’initie à une conscience politique dirigée depuis la capitale Turin avec l’émergence de l’idée nationale. Contrairement à ce qu’une tradition historiographique a longtemps véhiculé, la vie politique pendant douze années de 1848 à 1860 sous le Buon Governo n’est pas morne. Déjà, l’édit du 27 novembre 1847 avait introduit le système électif pour les membres du conseil communal avec un régime original : un système censitaire comme en France mais aussi l’adjonction des détenteurs du « pouvoir et du savoir » (fonctionnaires civils et militaires, hommes de loi, professeurs, géomètres, pharmaciens, commerçants…) mais le syndic, chef de l’administration communale et agent du gouvernement est choisi par le roi au sein de dynasties de notables locaux, en particulier dans les vallées du Var, de la Tinée et de la Vésubie. La loi libérale du 7 octobre 1848 conforte leur place avec l’introduction du système électif pour les conseils divisionnaires et les conseils provinciaux organes délibérants de la nouvelle organisation administrative.
8Mais ce sont les élections législatives organisées par la loi électorale du 17 mars 1848 qui stimulent l’apprentissage de la vie publique. Le découpage se faisant sur la base d’un député pour 24 000 habitants soit cinq députés pour la province (Nice 1, Nice 2, Sospel, Puget-Théniers – supprimé en 1859 –, Utelle) avec une prééminence des circonscriptions rurales. L’apprentissage de la démocratie parlementaire demeure modeste, certes le cens fiscal, comme en Savoie, reste faible (20 lires) mais on ne compte, en raison de la précarité continuelle de l’économie, qu’un inscrit sur les listes électorales pour 35 habitants. Cette vie politique est tout de même agitée lors des dix-neuf scrutins législatifs sur sept législatures qui envoient à la Chambre subalpine de Turin vingt députés. Deux groupes peuvent être distingués : une majorité de praticiens exerçant des professions libérales et quelques grands aristocrates dont la famille sert la dynastie depuis des siècles. Sont ainsi élus des avocats tels Benoît Bunico, longtemps vice-président de la Chambre, Dominique Galli (Nice 2), Jean-Baptiste Barralis (Sospel). Jean-Baptiste Bottero, choisi par Nice 1 est docteur en médecine mais il est surtout connu comme journaliste fondateur à Turin, sa nouvelle circonscription électorale, de la Gazzetta del Popolo. Nouvelle singularité, après le vote de la loi Rattazzi sur le clergé, Puget-Théniers n’hésite pas à élire un ecclésiastique, l’abbé Désiré Niel, futur inspecteur d’académie après l’Annexion. Quant au dernier élu niçois, est-il besoin de le présenter puisqu’il s’agit de la figure mythique de Joseph Garibaldi. La montagne élit plus volontiers des aristocrates issus de familles qui souvent y tinrent fief : à Sospel, Maurice d’Alberti, officier du génie, auquel succède Henri Cordero de Montezemolo, originaire de Mondovi. Le Turinois, le comte Octave Thaon de Revel dont la famille était seigneur de Lantosque, est élu par le collège d’Utelle. Le marquis Théodore Derossi de Santarosa, parent du ministre, est choisi également par Utelle. Enfin, le général Alexandre Corporandy d’Auvare dont la famille est seigneur depuis des décennies représente Puget-Théniers. Les représentants des deux circonscriptions niçoises sont en majorité des libéraux constitutionnalistes (Bunico, futur vice-président de la Chambre, Barralis, Galli mais aussi Barthélemy Léotardi pour Puget-Théniers) soutenus par une presse engagée et des conservateurs (le ministre comte Octave Thaon de Revel ou le comte Jean de Foresta). Leurs débats et leurs interventions à Turin montrent aussi bien la domination d’un peuple de la montagne par sa capitale du littoral que les limites de l’influence d’une marche territoriale sur la capitale d’un État. On comprend d’autant que le comté délaissé par l’État sabaudo-piémontais, en particulier dans le domaine des infrastructures (dont la suppression du port-franc de Nice en 1853 au profit de celui de Gênes), choisisse un nouveau destin ; les notables francophiles du comté et la majorité de la population en ville comme à la montagne souhaiteront une nouvelle souveraineté et de nouveaux pouvoirs en 1860.
Figure 1. – Le plébiscite de 1860 dans le comté de Nice.

Source : thèse de doctorat en histoire contemporaine de l’Université Nice Sophia Antipolis d’Henri Courriere, L’État, la nation et la petite patrie. La vie politique à Nice et dans les Alpes-Maritimes de 1860 à 1898 : genèse d’un département français, sous la direction de Ralph Schor, soutenue en 2008
Les lendemains de l’annexion et l’apprentissage de la vie politique (1860-1875)
9Avec l’annexion du comté de Nice à la France, ses habitants ont découvert la pratique du suffrage universel lors du plébiscite des 15 et 16 avril 1860. Après la formation du département des Alpes-Maritimes par la loi du 23 juin 1860, qui opère la jonction du « circondario » de Nice et de l’arrondissement de Grasse, leur apprentissage politique se poursuit avec les élections législatives partielles de 1860, rendues nécessaires par l’annexion. Les arrondissements de Nice et Puget-Théniers ont été réunis en une seule circonscription électorale, la deuxième circonscription étant formée par l’arrondissement de Grasse : le département doit donc être représenté par deux députés. Pour la deuxième circonscription des Alpes-Maritimes, on décide que le député précédemment élu, Jules Lescuyer d’Attainville, continuera à représenter l’arrondissement de Grasse et les autres cantons du Var qui l’avaient mandaté. Dans la première circonscription, une élection partielle a lieu en décembre 1860, et voit la victoire de Louis Lubonis, ancien gouverneur général du comté, dont les fonctions avaient pris fin avec l’annexion, et qui a finalement été soutenu par le gouvernement.
10Lors des législatives de 1863, c’est dans deuxième circonscription, légèrement modifiée (trois cantons de l’arrondissement de Puget-Théniers ayant été habilement rattachés à l’arrondissement de Grasse), que se présente un jeune candidat, novice en politique, Victor Masséna duc de Rivoli, offrant un exemple très évocateur de ce que pouvait être, sous le Second Empire, une candidature officielle : n’ayant pour lui que le nom de son illustre ancêtre, il n’est élu que par l’efficace concours de l’administration. En effet, le « suffrage universel dirigé » – selon l’expression utilisée plus tard par Thiers – permet au pouvoir impérial, tout en ne cessant de proclamer que la liberté électorale est entière, de mener une véritable politique d’encadrement du vote qui mobilise toute l’administration. Dans les Alpes-Maritimes cette action est coordonnée, à partir de 1861, par le préfet Gavini de Campile. Italophone, habile, pondéré, Gavini a su parfaitement s’intégrer à la société locale : il parvient à gouverner le département sans froisser les susceptibilités, à accompagner son développement économique, et faire accepter les règles de l’administration française, ce qui lui permettra de s’y maintient jusqu’à la chute de l’Empire. Dans la première circonscription, les choses sont beaucoup plus simples, puisque le député sortant, Louis Lubonis, est le seul candidat ; il est donc réélu mais avec une abstention qui atteint les 47 % dans l’ensemble de la circonscription, et jusqu’à 77 % à Nice.
11À Nice justement, dès 1866, un autre notable fait connaître ses prétentions : François Malausséna, syndic sous le régime sarde, à présent maire de Nice, et disposant de ce fait d’une importante clientèle. C’est pour éviter l’affrontement avec Lubonis aux législatives de 1869, que le préfet fait pression sur ce dernier pour qu’il cède la place : il donne sa démission en septembre 1868, ce qui permet l’élection de Malausséna aux législatives partielles d’octobre 1868.
12Aux élections suivantes (1869), il est le seul candidat dans la première circonscription, ce qui fait de cette élection un simple « scrutin de confirmation ». Dans la deuxième circonscription en revanche, la situation est plus tendue en raison d’une opposition plus manifeste, mais aussi parce que le duc de Rivoli ne peut guère s’appuyer sur son bilan ni sur les réseaux qu’il aurait pu tisser localement pour le soutenir. Aussi, malgré la libéralisation du régime et un discours qui tend à nier le recours à la candidature officielle, la préparation des élections illustre-t-elle, même si de manière moins marquée, la ténacité des pratiques politiques antérieures. Face à Masséna, le maire de Cannes, Donat Joseph Méro, mène une campagne active et peut compter sur l’appui d’une partie de la presse, mais cela ne suffit pas pour battre Masséna qui est élu avec 62 % des suffrages exprimés.
13Lorsque s’achève le Second Empire, les Alpes-Maritimes apparaissent comme un département où l’intégration politique semble plutôt en bonne voie, où l’électorat a rapidement acquis une plus grande maturité et est déjà parfaitement intégré aux orientations de la vie politique nationale. Par ailleurs, l’Empire libéral a su conduire, sous l’autorité du préfet Gavini, une action administrative efficace et des efforts de francisation tendant à estomper les sentiments de déception et de nostalgie. Mais le déclin de l’Empire a aussi laissé libre cours au développement d’un certain particularisme niçois, de la presse (Il Diritto di Nizza) et de ferments d’opposition. En effet, l’annexion a aussi provoqué (notamment au sein des élites) des déceptions dont les causes sont multiples : arrogance des fonctionnaires français ; éradication de la langue italienne ; application immédiate de la législation française ; incohérence du tracé frontalier ; Niçois évincés des postes administratifs ; suppression de la Cour d’appel ; oubli des promesses…
Figure 2. – Le département des Alpes-Maritimes en 1870.

Figure 3. – Plébiscite du 8 mai 1870 dans les Alpes-Maritimes.

Source : thèse de doctorat en histoire contemporaine de l’Université Nice Sophia Antipolis d’Henri Courriere, L’État, la nation et la petite patrie. La vie politique à Nice et dans les Alpes-Maritimes de 1860 à 1898 : genèse d’un département français, sous la direction de Ralph Schor, soutenue en 2008
14Aussi, aux législatives de février 1871, avec l’élection de Garibaldi, Piccon et Bergondi, face à des républicains divisés, assiste-t-on à la victoire du « parti Niçois », tandis que se profile déjà l’étoile montante qu’est Borriglione. Dufraisse, quant à lui, est essentiellement élu grâce aux électeurs de l’arrondissement de Grasse. Bien que très hétérogène, ce « parti niçois » réclame le respect du particularisme, des libertés locales et la prédominance des locaux sur les « non-Niçois. » Parallèlement, avec l’avènement de la République, la vie politique s’organise avec la structuration des partis (la politisation des cercles) et le développement de la presse, mais toujours avec la persistance du spectre du séparatisme. Aussi, durant plusieurs années, se succèdent les périodes de tension et d’apaisement sous l’influence de préfets habiles (Barangon, Blache, Dufraisse, plus tard Salvetat, Villeneuve-Bargemont, Decrais). De même, la vie politique demeure complexe en raison notamment d’influences contraires (séparatisme, intégration ou particularisme), de la prégnance d’enjeux nationaux (oppositions entre républicains et conservateurs) voire internationaux (tension franco-italienne, alors même que les Italiens représentent près de 20 % de la population de Nice), de stratégies municipales et de résistance aux « Français d’outre-Var ».
15Mais en même temps, les élections qui se succèdent font entrer progressivement les Niçois dans un processus de régularisation et de nationalisation de la vie politique, à laquelle, d’ailleurs, ils sont loin d’être indifférents. Les élections municipales conduisent à la mairie de Nice Auguste Raynaud en mai 1871, accusé à tort par les républicains d’être « séparatiste », tandis que les législatives partielles de juillet 1871 (rendues nécessaires par les invalidations de Garibaldi et Dufraisse) permettent la recomposition du parti républicain et voient l’élection de Fortuné Maure et Henry Lefèvre (contre Borriglione et Millon, et grâce aux électeurs de l’arrondissement de Grasse). Durant les années 1871-1873, le particularisme niçois continue de s’exprimer bien que de manière peu homogène, les inquiétudes de la population persistent, mais progressivement la situation évolue : un rapprochement s’opère entre Auguste Raynaud et le nouveau préfet Villeneuve-Bargemont, tandis qu’à la Chambre, Piccon et Bergondi siègent au centre gauche et soutiennent la République conservatrice.
16Puis, les républicains remportent d’importantes victoires (aux élections cantonales et municipales de 1874) et, avec la démission de Piccon, largement désavoué en raison de sa nostalgie italienne, puis le suicide de Bergondi, la normalisation politique du comté de Nice se poursuit. C’est en effet à cause de la politique que l’existence des Niçois a été bouleversée, et c’est principalement par la politique que se jouera leur intégration, à la fois française et républicaine : aux législatives partielles d’octobre 1874, c’est la victoire de candidats républicains, Léon Chiris et Gaspard Médecin, au détriment des candidats « Niçois », Durandy et Roissard de Bellet.
L’enracinement républicain (de 1875 à la Première Guerre mondiale)
17Après les tensions des années 1870-1875, la vie politique départementale s’apaise assez rapidement tandis que s’implante progressivement le régime tertio-républicain. Le vote de la « constitution » de 1875, en mettant fin aux incertitudes qui pesaient quant à l’avenir constitutionnel de la France, comme le retour au scrutin uninominal en 1876, qui n’oblige plus les électeurs du comté de Nice à voter avec ceux de l’arrondissement de Grasse, provoquent un net apaisement des tensions particularistes niçoises dans la seconde moitié de la décennie. En outre, alors qu’un retour à l’Italie est devenu à présent totalement hypothétique, les allusions à l’italianité du comté disparaissent des professions de foi des candidats niçois aux élections législatives ou municipales.
18L’enracinement de la République se déroule en premier lieu dans les urnes. Les élections législatives de 1876 aboutissent à la victoire de trois républicains (Alfred Borriglione, Léon Chiris et Henry Lefèvre) pour un seul conservateur (Eugène Roissard de Bellet). Le scrutin de 1877 rétablit l’équilibre entre conservateurs et républicains, Lefèvre, décédé, étant remplacé par le ministre des Affaires étrangères conservateur, le duc Louis Decazes, mais l’élection de ce dernier est invalidé pour fraude et c’est un républicain patronné par Borriglione et Chiris, Émile Récipon, qui lui succède dans la circonscription de Puget-Théniers. Peu de temps après, lors des élections municipales de janvier 1878, le conservateur modéré et particulariste niçois Auguste Raynaud est battu par Borriglione, qui réunit sur son nom la gauche du Comité niçois, particulariste, et la majeure partie du parti républicain « français ». Le département est dès lors très massivement républicain, sous la conduite de Borriglione et de Chiris.
19Fidèle à son tropisme modéré et libéral-conservateur, déjà sensible auparavant, le département adhère principalement au républicanisme opportuniste, et c’est essentiellement cette tendance qui domine les Alpes-Maritimes au cours des années 1880. Presque tous les élus de cette décennie sont, de fait, proches ou membres de l’Union républicaine ou du centre gauche (Borriglione, Chiris, Récipon, Léon Renault, Maurice Rouvier, Ernest Roure, Théophile David).
20Cette domination de l’opportunisme s’accompagne cependant d’un certain nombre de dérives (clientélisme, népotisme, corruption électorale, arrangements, patronages et parachutages de députés étrangers au département), qui finissent par provoquer une réaction du corps électoral. En mai 1886, une crise municipale éclate à Nice et aboutit à la défaite de Borriglione, dont la liste est vaincue par des républicains conservateurs. Jules Gilly devient maire puis, à la suite de la démission de celui-ci pour raison de santé, le comte François Alziary de Malausséna prend la tête de la ville. En 1889, surtout, le candidat boulangiste Flaminius Raiberti est vaincu de justesse par Raphaël Bischoffsheim. Le scrutin ayant été annulé pour corruption électorale, Raiberti renonce à son étiquette boulangiste et bat Borriglione en 1890. Ce dernier doit se replier dans la circonscription de Nice-campagne, où se trouve son fief de Sospel.
21De 1890 à 1914, la plupart des élus locaux se caractérisent par leur modérantisme, qu’ils soient proches du centre (Raiberti, Félix Poullan, Jules Fayssat et Ernest Lairolle, membres de l’Alliance républicaine démocratique), ou de la gauche modérée : Honoré Sauvan, (maire de Nice de 1896 à 1912, membre de l’Union républicaine comme sénateur), Arthur Malausséna (républicain progressiste), Antoine Maure (républicain indépendant puis Gauche radicale), François Arago (Union républicaine). Le principal phénomène sensible au cours de cette période est la percée du radicalisme, plus accentué cependant dans l’arrondissement de Grasse que dans l’ancien comté de Nice (Alfred Donadei, élu en 1906 député de Puget-Théniers siège avec la Gauche radicale ; César Ossola et Joseph Gillette-Arimondy, respectivement Gauche radicale-socialiste et Républicains radicaux-socialistes). Le département reste sensiblement plus modéré que le reste du sud de la France, alors radical. En 1905, deux députés des Alpes-Maritimes seulement votent pour la séparation des Églises et de l’État (François Arago et Antoine Maure), tandis que les trois autres votent contre (Raiberti, Poullan, Bischoffsheim). Dans l’ensemble, la République qui est adoptée dans les Alpes-Maritimes au cours de cette période est essentiellement une République modérée et libérale, presque autant opposée au nationalisme qu’au socialisme, rejetant les troubles et les révolutions comme les atteintes aux libertés, dont les libertés locales.
22Parallèlement aux scrutins, les festivités participent à l’enracinement et à la définition de la République dans le département, tandis que la dimension italienne de l’identité niçoise s’efface peu à peu. Lors des fêtes du 14 juillet, les différents discours mettent en exergue le libéralisme et le patriotisme des populations locales. Les funérailles de Gambetta en 1883 ou le centenaire de la réunion des Etats généraux, le 5 mai 1889, à Nice, ainsi que le voyage du président de la République Sadi Carnot, qui s’arrête à Nice le 24 avril 1890, sont l’occasion de proclamer solennellement l’attachement des habitants de la ville et du département à la France et à la République. La création de l’Association patriotique des anciens combattants de 1870-1871, en 1893, la campagne militaire du Tonkin, auquel participe le 111e régiment de ligne stationné à Nice et Antibes, en 1885, la constitution d’une section de la Société des médaillés du Tonkin et de Madagascar, en 1889, ainsi que le 50e anniversaire de l’annexion, le 20 juin 1910, participent activement à la républicanisation de l’espace public festif et commémoratif. Les divers monuments publics inaugurés à Nice, enfin (Giuseppe Garibaldi en 1891, centenaire de la réunion de Nice à la France en 1896, Sadi Carnot en 1895 et Léon Gambetta en 1909), participent à l’ancrage dans le tissu urbain même d’une République modérée, libérale mais aussi, et de plus en plus nettement avec l’essor des tensions internationales, dans un département situé à la frontière, patriotique.
Entre-deux-guerres : (1914-1945) : d’un département centre gauche à la « fille aînée de la Révolution nationale »
23Le premier conflit mondial loin des rivages du département a des conséquences politiques : des villes comme Nice sont administrées par des militaires (ainsi Nice par le général Goiran, premier polytechnicien niçois). La corrélation entre mandat municipal et mandat législatif est prégnante dans l’ancien comté de Nice. Les parlementaires de la onzième législature (1914-1919) illustrent la continuité des notables : le baron Flaminius Raiberti à Nice, ministre de la Guerre puis de la Marine ou à Grasse l’industriel de la parfumerie le radical Jean Ossola. Issus du front, de nouveaux député, venus de grandes familles locales maître Humbert Ricolfi (Nice), maître Léon Barety (Nice), le docteur Edouard Grinda (Nice, futur ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, un des « pères » des assurances sociales) appartiennent à la Gauche républicaine démocratique et domineront la vie départementale jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Des industriels comme Louis Louis-Dreyfus tentent de s’implanter à Cannes-Antibes et la Gauche indépendante s’incarnent dans les mandats niçois des avocats Paul Deudon et Henry Torrès, ancien communiste. En 1932, l’avocat Jean Médecin, maire du chef-lieu depuis 1928, est élu député et devient l’homme politique majeur des deux rives. Le Front populaire porté par les mondes ouvriers et agricoles niçois, grassois, cannois, antibois ou vallaurien obtient trois députés de gauche sur six (Virgile Barel [Nice] qui rêve de faire de la Côte d’Azur « une Crimée française », Édouard Jonas [Grasse] et Henri Pourtalet [Cannes]). Des municipalités sont administrées par des adhérents du Front populaire comme dans le pays grassois et Vallauris, cité des potiers. Parallèlement, les grands électeurs envoient au Sénat les maires de Nice (Honoré Sauvan et Jean Médecin) et les représentants du monde des affaires : les industriels en parfums Jean Amic et Eugène Charabot (Grasse), le propriétaire de palaces et de journal Alfred Donadei ou l’entrepreneur de travaux publics Antonin Gianotti (Nice). À la veille de la guerre, la « nationalisation des comportements politiques » relevée par Jacques Basso est patente.
24La Seconde Guerre mondiale fait des Alpes-Maritimes, selon les expressions de Jean-Louis Panicacci, un « département sous influence » dont Nice est la « fille aînée de la Révolution nationale » jusqu’en novembre 1942 puis « un département sous la botte » avec les occupations italienne et allemande. Quatre parlementaires sur les cinq votants attribuent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Le régime de Vichy procède à une épuration municipale avec la mise en place de 30 délégations spéciales (en particulier à Cannes, Vence, Levens et Menton) et en 1941, de nombreux conseils sont modifiés à Nice, Grasse et Antibes. Le 12 mars 1943, le conseil général est dissous et un conseil départemental de 30 membres soit des « proches » de la Révolution nationale soit des socio-professionnels, est nommé pour la gestion mensuelle du territoire.
La vie politique de 1945 aux années 1980
25Au lendemain de la Libération, la gauche, surtout dans son incarnation communiste, détenait une influente prépondérante dans les Alpes-Maritimes. Le président du Comité départemental de libération (CDL), Sénèque Brunet, appartenait au Front national (FN), proche du PC. La délégation municipale de Nice était dirigée par l’homme fort du communisme dans le département, Virgile Barel, qui, en outre, accéda à la présidence du conseil général en septembre 1945. À Menton le maire en fonction en 1945 était le socialiste Pierre Parenthou-Dormoy, allié au PC. Le FN détenait à lui seul 46 % des présidences de comités locaux (municipaux) de libération. La gauche affirmait aussi son influence par ses journaux ; s’étant installée dans les principales imprimeries de presse, elle faisait paraître à Nice L’Aurore communiste, Le Patriote, organe du FN, L’Espoir socialiste ; les modérés étaient seulement représentés par Combat dont la parution s’arrêta assez vite ; La Liberté de Nice, porte-parole de la résistance chrétienne, ne parvint pas à s’imposer. Cependant la gauche ne contrôlait pas tous les leviers de commande et cherchait aussi à préserver l’image d’union issue de la Résistance. Ainsi, à Vence, le PC était majoritaire dans le conseil municipal mais le premier magistrat, le Dr Marcel Benoist, était un modéré ; l’équipe comptait aussi un ecclésiastique, l’abbé Bayet. À Grasse, le Dr Colomban présidait aussi un conseil municipal reflétant l’entente des résistants. L’abbé Daumas, ancien du groupe Combat, était président départemental du Front national et vice-président du CDL.
26L’épuration, d’abord spontanée et violente, puis régulée par les tribunaux, constitua un des premiers sujets de divergence entre les nouveaux dirigeants. Les communistes voulaient des sanctions exemplaires et parlaient parfois de vengeance ; les modérés souhaitaient des garanties juridiques et se montraient plus indulgents. Finalement les tribunaux d’épuration prononcèrent 509 acquittements et 1 411 sanctions dont 33 condamnations à mort parmi lesquelles 10 furent exécutées.
27Il apparut de plus en plus que l’unanimité de la Libération était éphémère. Les modérés et les démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP) se méfiaient de la gauche et lui reprochaient d’accaparer le pouvoir ; de leur côté communistes et socialistes se comportaient de plus en plus en rivaux. Ainsi, aux élections municipales d’avril 1945, à Nice, ce fut une liste comprenant socialistes SFIO, MRP, syndicalistes et résistants, menée par Jacques Cotta, qui l’emporta contre la liste à majorité communiste de Barel. L’ancien maire Jean Médecin, inéligible pour avoir voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, obtint cependant 15 000 voix. À Vence, le nouveau maire, Émile Hugues, était un radical très modéré ; dans son conseil ne figuraient qu’un socialiste et un communiste. À Grasse, le Dr Colomban fut réélu sans difficultés.
28Le lancement du rassemblement du peuple français (RPF) par le général de Gaulle en 1947 ponctua le réveil de la droite, jusque-là très discrète, et marqua le début d’une nouvelle période. L’anticommunisme de la nouvelle formation, l’exaltation de l’unité et de l’indépendance nationales étaient propres à séduire l’électorat modéré. À Grasse, l’ancien résistant Pierre Ziller assuma un mandat de maire de 1947 à 1951, puis, toujours sous l’étiquette gaulliste, fut élu député de 1958 à 1971. À Cannes, Jean-Charles Antoni, représentant du RPF, s’installa à la mairie jusqu’en 1953. À Menton, Parenthou-Dormoy ne conserva ses fonctions de premier magistrat de la ville qu’en s’alliant au gaulliste Julien Kubler. Cependant, le RPF piétina assez rapidement et, jusqu’à l’avènement de la Ve République, resta une force secondaire.
29Plus significative s’avéra la restauration des usages politiques traditionnels qui semblaient renouer la chaîne des temps. Dans les Alpes-Maritimes, la vie politique privilégiait les hommes plus que les idées, ce qui impliquait une forte personnalisation du pouvoir et souvent des pratiques clientélistes. Les enfants du pays, bien connus, bénéficiaient d’une nette prime de notoriété. Les Niçois, depuis 1860, n’ont élu qu’un seul maire qui n’était pas natif du comté. Enfants du pays étaient à droite les Médecin, Hervé de Fontmichel, Francis Palmero, le gaulliste Édouard Corniglion-Molinier, le radical Émile Hugues, au parti socialiste Jacques Cotta et Max Gallo, au PC Virgile Barel et Henri Pourtalet, député de Cannes de 1945 à 1951 et de 1956 à 1958. Cet enracinement donnait naissance à de véritables dynasties : à Grasse, plusieurs ancêtres d’Hervé de Fontmichel, maire modéré de 1971 à 1977, puis de 1983 à 1995, ont fourni des administrateurs municipaux depuis le xviiie siècle ; il en allait de même pour les Médecin. Dans ces conditions, les parachutages politiques se révélaient le plus souvent voués à l’échec ou éphémères, comme ce fut le cas pour les gaullistes Marcel Dassault, député de 1951 à 1956, et Diomède Catroux, député de 1962 à 1967, tandis que les natifs accomplissaient de longues carrières et accumulaient les mandats. Le communiste Virgile Barel fut présent au palais Bourbon durant vingt-huit ans en trois mandats. Le gaulliste Emmanuel Aubert, un des rares exemples de parachutage réussi, maire de Menton de 1977 à 1989, fut député de 1968 à sa mort en 1995. Dans le domaine de la longévité tous les records furent battus par Joseph Raybaut, maire de Levens de 1929 à sa mort en 1991, soit 62 ans, conseiller général de 1934 à 1989, sénateur de 1955 à 1989.
30Emblématique des traditions et du retour en force de la droite apparut la carrière de Jean Médecin. Celui-ci, redevenu éligible, reconquit tous ses mandats, ceux de conseiller général et de maire de Nice ; il occupa cette dernière fonction de 1947 à sa mort en 1965. Il fut aussi président du conseil général de 1951 à 1961, date à laquelle il s’effaça pour permettre à son fils Jacques d’être élu. Médecin, qui avait obtenu son premier mandat municipal en 1928, avait construit une sorte de système appelé parfois « monarchie élective ». Il s’appuyait sur des associations regroupant les habitants d’un quartier ou les membres d’une profession, il réunissait dans son équipe des représentants de toutes les sensibilités idéologiques, intellectuelles ou religieuses qui voulaient bien le rejoindre, il bénéficiait de la reconnaissance de ceux à qui il rendait des services. Il élargit son pouvoir sur le département, surtout sur la rive gauche du Var. Ainsi, il favorisa l’élection d’un de ses proches, Francis Palmero, secrétaire général adjoint de la mairie de Nice, à la tête de la municipalité de Menton. Palmero, relai fidèle du médecinisme, fut maire de 1953 à 1977, président du conseil général de 1961 à 1964 et de 1967 à 1973, député puis sénateur de 1958 à sa mort en 1985. Jean Médecin, sous ses surnoms de « Roi Jean » ou de « Jean de Nice », était un notable bourgeois, héritier d’une lignée d’élus, glorieux ancien combattant de 1914-1918 décoré de la Légion d’honneur sur le front des troupes à Verdun, très populaire pour sa disponibilité et son dévouement, pour son maintien digne et distingué qui ne l’empêchait pas d’être très proche de son électorat populaire avec lequel il parlait un excellent niçois. Ce rayonnement personnel n’exonérait pas le maire de Nice d’être élu démocratiquement, parfois à l’issue de combats difficiles. Son enracinement conduisait Jean Médecin à privilégier les mandats locaux par rapport aux mandats nationaux. Dans le même esprit, il fonda en 1947 son propre parti, le Rassemblement républicain, sorte de comité électoral d’inspiration identitaire niçoise, défendant les intérêts de la région contre les empiétements des partis nationaux, notamment le mouvement gaulliste dont le maire de Nice fut un adversaire résolu. À l’élection présidentielle de 1965, année de son décès, il soutint Jean Lecanuet au premier tour contre le général de Gaulle et François Mitterrand au deuxième tour. Mais Médecin, excellent manœuvrier, savait, pour des raisons tactiques, ménager provisoirement les communistes ou s’allier aux gaullistes, ainsi en 1956, pour éviter que les partis nationaux ne s’installent localement et ne remettent en cause son pouvoir. Sur le plan national, Jean Médecin se contenta d’un poste de secrétaire d’État dans le gouvernement Edgar Faure de mars 1955 à janvier 1956 ; il accepta que le Parti radical présente sa candidature à l’un des tours de l’élection présidentielle de 1953 à laquelle il obtint un résultat honorable. Même si certains élus des Alpes-Maritimes comme Émile Hugues ou le général Corniglion-Molinier effectuèrent de belles carrières ministérielles, la plupart, à l’instar de Jean Médecin, accordèrent la priorité à leurs mandats locaux.
31La gauche, influente en 1945, recula ensuite sans disparaître du jeu politique. À l’échelle du département, les suffrages exprimés en faveur de cette tendance passèrent de 41,8 % en 1951 à 32,1 % en 1986 et 24,4 % en 1989. Le gaullisme parvint à s’implanter. Cannes constitua le premier fief important de cette famille avec l’élection de Jean-Charles Antoni à la mairie dès 1945 ; par la suite la plupart des maires de Cannes s’affichèrent sous cette étiquette, notamment Anne-Marie Dupuy, proche collaboratrice de Georges Pompidou ; même Bernard Cornut-Gentille, maire de 1959 à 1968 et de 1971 à 1978, qui s’orienta vers la gauche à la fin de sa carrière, fut d’abord élu comme gaulliste, ancien ministre du Général. À Menton, le général Aubert, après avoir guerroyé en vain contre Palmero pendant dix ans, s’installa à la mairie en 1977. L’évolution des Alpes-Maritimes vers la droite qui constituait en fait un retour à l’ordre ancien résultait de divers facteurs : faiblesse du monde ouvrier, essor des activités tertiaires et des « cols blancs », afflux de personnes âgées et aisées se tournant plutôt à droite, poids du vote pied noir, importance de l’immigration maghrébine inquiétant certains électeurs qui se tournèrent alors vers le Front national mené par Jean-Marie Le Pen partisan d’une réduction énergique de la présence étrangère. Dans ces conditions, la droite remporta tous les sièges aux législatives de 1978 et 1988.
32Le caractère majoritaire de la droite se confirma aux élections présidentielles : au deuxième tour de 1965, le général de Gaulle recueillit 50,5 % des voix dans les Alpes-Maritimes. Au deuxième tour de 1981, Valéry Giscard d’Estaing, battu à l’issue de la consultation, atteignit 54,7 %. Au deuxième tour du scrutin présidentiel de 1988, remporté par François Mitterrand, Jacques Chirac rassembla 59 % des suffrages exprimés dans le département. Aux législatives qui suivirent, le 12 juin 1989, la droite obtint 59,1 % des voix et aux européennes du 18 juin 1989, elle réunit 62 %. Dans le domaine de la presse, les journaux de gauche, nombreux à la Libération, s’effacèrent ; Le Patriote, contrôlé par le PC, devint hebdomadaire en 1967 et le modéré Nice-Matin resta le seul quotidien.
33L’arrivée de Jacques Médecin, fils de Jean, aux responsabilités renforça l’évolution des Alpes-Maritimes vers la droite. Élu conseiller général en 1961, grâce à la démission de son père, il succéda à celui-ci à la mairie en 1965 et garda ce mandat jusqu’à sa chute en 1990. Il devint président de conseil général en 1973. Député à compter de 1967, il fut réélu en 1968, 1973, 1978. Il renonça finalement à la députation pour ne pas cumuler trop de mandats. En effet, comme son père, il donnait la priorité à l’action locale et s’appuyait sur le Rassemblement républicain. Il renforça le réseau d’associations, de clubs, de comités qui le soutenaient. Il lança en 1981 l’association des Amis du maire, forte de 5 000 adhérents, collectant des fonds, sensibilisant l’opinion, organisant de grandes réunions. La machine électorale médeciniste comprenait quelque 300 agents mobilisant les votants les jours d’élection. À l’échelle nationale, Jacques Médecin s’afficha toujours à droite : il fut hostile à la loi libéralisant l’avortement et favorable à la peine de mort. Ses affiliations apparurent fluctuantes au gré de la conjoncture et des nécessités niçoises, mais toujours ancrées dans la famille conservatrice : il fut tour à tour antigaulliste et favorable à l’Algérie française, chiraquien, giscardien, estampillé Réformateur, Républicain indépendant, Parti républicain, RPR, Centre national des indépendants ; il déclara : « Je suis d’accord à 99,9 % avec le Front national. » Chaleureux, spontané, disert, excellent orateur, doté d’une mémoire exceptionnelle, il gagna une véritable autorité et un prestige personnel hors du commun. Mais son intégrité fut à juste titre mise en cause et il se retrouva accusé d’ingérence, d’abus de confiance, de dissimulation fiscale, ce qui entraîne sa chute en 1990 et sa fuite en Uruguay.
34Le renforcement progressif du Front national confirma la droitisation des Alpes-Maritimes. À Nice, ce parti obtint 2,6 % des suffrages exprimés aux municipales de 1983 et 19,6 % à celles de 1986. Aux législatives, il passa de 30 % en 1986 à 43,5 % en 1994. À la présidentielle de mai 1988, Jean-Marie Le Pen réunit 24,2 % des voix dans le département. Cependant le Front national ne put surmonter tous les obstacles. Jean-Marie Le Pen, candidat aux législatives de 1993 dans la troisième circonscription de Nice fut battu par le centriste Rudy Salles qui obtint 58 % des voix au deuxième tour. Jacques Peyrat, candidat FN malheureux aux législatives de 1994, tira la leçon de son échec et déclara : « Je me retire d’une forme d’action politique qui a montré ses limites », puis il adhéra au parti gaulliste tout en disant qu’il restait attaché aux valeurs frontistes. Il put à ce prix remporter les municipales de Nice en 1995.
35La droite est désormais défendue essentiellement par des partis nationaux. Même si la personnalisation politique n’a pas disparu, la nationalisation du débat s’est affirmée.
Auteurs
Docteur en histoire, chercheur associé au CMMC.
Maître de conférences HDR en histoire du droit à l’université Côte d’Azur, membre du laboratoire ERMES.
Professeur d’histoire du droit à l’université Côte d’Azur, membre du laboratoire ERMES.
Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Côte d’Azur, membre du CMMC.
Professeur d’histoire du droit à l’université Côte d’Azur, membre du laboratoire ERMES.

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