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La violence politique et son deuil

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Isabelle Sommier

Deuxième partie. Escalades et inhibitions

5. L’identification de l’ennemi et l’horizon politique

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Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Carlo Donolo, « Politicizzazione e crisi di legittimità », in Quaderni di sociologia, volume XIX, (...)

1Le recours à la violence révolutionnaire suppose que les acteurs soient convaincus, d’une part, de l’illégitimité du régime en place et, d’autre part, de l’impuissance à le combattre par des voies autres que violentes. C’est pourquoi il convient d’analyser ensemble les représentations que se font les groupes d’extrême gauche d’abord, de leur cible désignée : l’État, puis du parti communiste qui, par sa stratégie, offrira ou non une perspective d’alternative démocratique susceptible de juguler le blocage du système politique. Or, les stratégies d’accès au pouvoir des partis communistes dessineront au cours des années soixante-dix des horizons divergents de changement politique. À ce titre, on peut dire, avec Carlo Donolo, que « la radicalisation des attitudes initialement modérées ou conciliantes » des contestataires italiens est, en grande partie, une « histoire de déceptions » successives quant aux possibilités légales de transformation du système politique1.

  • 2 Ted Gurr, Why Men Rebel, Princeton, Princeton University Press, 1970, p. 320.

2Toutefois, même des conditions politiques immédiates équivalentes ne sauraient expliquer à elles seules le passage à la violence politique. Si l’on suit Ted Gurr, sa probabilité sera fonction de l’intensité des justifications éthiques et utilitaires de la violence mais aussi, inversement, de la capacité de l’État à mobiliser des soutiens politiques et militaires contre les rebelles2. Ce second niveau d’analyse éclaire plus encore le destin contrasté de la violence révolutionnaire en Italie et en France. Ici, les gauchistes ne disposent guère que de la ressource idéologique du marxisme pour justifier l’usage de la force contre un État bourgeois. Dans la péninsule en revanche, le passage de la violence sociale diffuse à la violence politique est facilité tant par la place que la rébellion occupe dans la mémoire collective, que par les difficultés de contre-mobilisation étatique, dont l’origine s’enracine dans l’unité tardive et problématique du pays.

La question de l’État

Les variables socio-culturelles de la gouvernabilité

3S’interroger sur les soutiens dont bénéficient les régimes politiques amène ipso facto le sociologue engagé dans une démarche comparative à rechercher les schémas explicatifs permettant de rendre compte du degré d’acceptation de l’ordre politique.

  • 3 Gabriel A. Almond et George Bingham Powell, Comparative Politics, Boston-Toronto, Little Brown, 19 (...)
  • 4 Gabriel A. Alwond et Sidney Verba, The Civic Culture (1963), Newbury Park, Sage publications Inc., (...)
  • 5 Des exemples sont donnés, pour l’Italie, par Almond et Powell, op. cit., p. 54-62 et p. 142-167 et (...)
  • 6 Contre 85 % des Américains, 30 % des Mexicains et 7 % des Allemands. Cf. Almond et Verba, op. cit.(...)

4Une première école, d’inspiration systémo-fonctionnaliste, privilégie la question de la « culture politique » qui « affecte la conduite des individus dans leurs rôles politiques, le contenu de leurs exigences politiques, et leurs réponses aux lois.3 » Pour la mesurer, trois orientations sont prises en compte : l’orientation cognitive – la connaissance du système politique –, l’orientation affective – les sentiments entretenus à l’égard du système – et l’orientation évaluatrice du système. Au terme de l’enquête de Gabriel Almond et Sydney Verba sur les fondements culturels de la démocratie, l’Italie apparaît ainsi caractérisée par une « culture politique d’aliénation » – faiblesse de la participation et de l’attachement au système politique, mélange de culture paroissiale et de culture de sujétion, etc. –, dont le fondement serait à rechercher dans l’histoire de la péninsule4. Si l’on suit les trois critères dégagés par les auteurs, Français et Italiens apparaissent assez proches par leur faible degré de connaissance phénoménologique du champ politique, de maîtrise des schèmes politiques, d’intérêt pour la politique et enfin de compétence politique subjective5. Le sentiment de méfiance des Italiens à l’encontre de leur système politique peut se résumer à un chiffre : en 1959, seuls 3 % s’en disaient fiers6.

  • 7 Gabriel Almond et Sidney Verba (dir.), The Civic Culture Revisited, Boston, Little brown, 1980. Po (...)

5La démarche d’Almond et Verba présente toutefois de sérieuses difficultés, tant méthodologiques que conceptuelles, qui ont amené les auteurs à reformuler certaines de leurs hypothèses, sinon leur objet, dans un ouvrage ultérieur7. Parmi les postulats critiquables de leur analyse, on peut noter celui de l’autonomie d’une culture politique qui revient à nier l’aspect globalisant de la culture et celui de l’existence d’une culture politique nationale, alors qu’elle est divisée au minimum de trois points de vue : 1° régionalement, que l’on pense à l’Italie, au moins coupée entre le Mezzogiorno et le Nord ; 2° communautairement, par exemple les deux subcultures communiste et catholique ; 3° socialement, entre les différentes classes. À nier ces différences, le fossé qui sépare le sens commun de l’analyse savante est vite franchi : on en revient, d’un côté, à reproduire les stéréotypes relatifs aux « caractères nationaux », de l’autre, à se prêter à un ethnocentrisme de classe. Ce biais est révélateur de la posture normative des auteurs, qui jaugent les cultures politiques à l’aune du modèle consensuel américain, qui serait le produit d’un « juste » mélange de déférence et de participation, en évacuant le conflit. Dans une telle perspective, au fort parfum de développementalisme, la France et l’Italie se retrouvent sur le banc des « mauvais élèves », l’une pour forte polarisation, l’autre pour « aliénation politique » et « défiance sociale ». S’agissant, enfin, de la démarche méthodologique qui consiste, dans la pure tradition behavioriste de fétichisme des chiffres, à asséner des questions identiques à des échantillons, on peut se demander ce qu’elle mesure, si ce n’est des régularités statistiques ? Enfin, opinion ne signifie pas comportement ; l’on observe souvent un décalage entre l’approbation d’un acte et sa réalisation, comme l’a mis en valeur Giacomo Sani pour l’Italie :

Tableau 6. Attitudes des Italiens à l’égard des formes de participation politique (1975)

Tableau 6. Attitudes des Italiens à l’égard des formes de participation politique (1975)

Source : Giacomo Sani, « The Political Culture of Italy : Continuity and Change », in Almond et Verba, op. cit.,1980, p. 312.

  • 8 Cf. Annick Percheron et al., Les 10-16 ans et la politique, Paris, PFNSP, 1978 ; Alessandro Oppo, (...)
  • 9 Contre 75 % des Américains, 62 % des Anglais et 38 % des Allemands et des Mexicains. Cf. Almond et (...)
  • 10 Carlo Donolo, « Politicizzazione e crisi di legittimità », in Quaderni di sociologia, vol. XIX, n° (...)

6L’étude des contenus et des milieux de socialisation constitue une seconde voie de recherche, plus féconde. Français et Italiens partagent une même vision idéologisée et conflictuelle du politique, une certaine méfiance vis-à-vis des institutions et un même pessimisme concernant les relations entre l’État et les citoyens8. C’est ainsi qu’en 1959, seuls 28 % des Italiens ont le sentiment de pouvoir participer efficacement à des actions politiques d’échelle nationale contre la politique gouvernementale9. De son côté, Carlo Donolo a affiné le « sentiment d’aliénation » en distinguant trois visions de la structure de pouvoir parmi les étudiants turinois au printemps-été 1968 : celle-ci est vue à la fois comme la sphère de l’autorité anonyme et lointaine (sentiment d’extranéité), totalement imperméable aux demandes et aux besoins des citoyens (sentiment d’impuissance), mais aussi répressive, l’expérience d’aliénation atteignant son zénith dans « la sensation d’un conflit fondamental entre les fins institutionnelles et les besoins et intérêts individuels. » Dès lors, il conviendrait de ne pas entrer en contact avec cette sphère politique insensible et menaçante, si ce n’est pour l’utiliser comme « structures de service » ; on rejoint ici la « culture de sujétion », où les rapports gouvernants-gouvernés se limitent à l’expression de demandes des derniers sans volonté de participation10.

  • 11 Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 50.

7Pourtant, rien ne nous assure, d’une part, que les termes de « sujétion », « polarisation », etc., aient le même contenu d’un pays à l’autre et, d’autre part, que les opinions exprimées à travers ces enquêtes d’opinion trouvent une correspondance systématique dans les comportements, comme nous l’avons vu pour l’Italie avec Giacomo Sani. La méfiance similaire à l’égard du système politique s’y traduit différemment et parfois paradoxalement. Ainsi, l’étonnante stabilité électorale italienne coexiste-t-elle avec l’irruption périodique de formes de participation politique non conventionnelles, voire violentes. Mieux, une même participation, par exemple électorale, peut donner lieu à des comportements contradictoires. Geneviève Bibes note, par exemple, que certaines circonscriptions méridionales ont voté simultanément, au référendum du 2 juin 1946, pour le retour à la monarchie et pour des candidats communistes à la constituante !11 Phases de sujétion et phases de révolte alternent donc sans trouver d’équivalent en France.

  • 12 Jurgen Habermas, L’espace public, Paris, Éd. de Minuit, 1983.
  • 13 Voir en particulier l’anthropologue Carlo Tullio-Altan, La nostra Italia, arretratezza sociocultur (...)

8Pour expliquer ce décalage entre la perception de l’ordre politique et sa traduction pratique, il est nécessaire de rappeler que la socialisation politique est autant un processus d’identification affective à la communauté d’appartenance qu’un processus d’apprentissage cognitif. Aussi, derrière ces rapprochements entre la France et l’Italie, se cache une différence fondamentale : le rapport à l’espace public, dont Jurgen Habermas a montré combien sa structuration est essentielle à l’émergence et à la légitimité de l’État12. Fortement valorisé en France, il est gouverné, en Italie, par la défiance ou, au mieux, par le désintérêt. Cette spécificité, dénoncée par les élites risorgimentales comme étant l’obstacle majeur à la construction d’un État moderne, est souvent qualifiée d’« arriération socioculturelle » par les chercheurs13. Elle constitue l’un des terrains d’investigation privilégiés par les anthropologues.

  • 14 Edward Banfield, Le basi morali di una società arretrata, (1958), trad. Bologna, Il Mulino, 1976, (...)
  • 15 Ibid., p. 105. La thèse de Banfield a été critiquée par John Davis, « Attegiamenti morali e arretr (...)

9Premier chercheur à s’intéresser aux rapports entre les structures familiales et la société, Edward Banfield a ainsi expliqué l’« incapacité des habitants à agir ensemble pour le bien commun, ou même pour une quelconque fin qui dépasserait l’intérêt matériel immédiat de la famille nucléaire14 » par ce qu’il appelle l’« amoralisme familial ». Les règles morales n’existeraient qu’à l’intérieur des communautés familiales et viseraient à « maximiser les avantages matériels et immédiats de la famille nucléaire, en supposant que tous les autres se comporteront de la même manière […] Personne n’encouragera l’intérêt du groupe ou de la communauté, à moins que cela ne lui apporte un avantage personnel.15 » Certes cette analyse, faite à partir d’une enquête conduite dans un village paysan de la Basilicate, ne saurait être généralisée sans une extrême précaution à l’ensemble de la péninsule, marquée par de profondes différences régionales. Elle n’en met pas moins l’accent, cependant, sur l’un des obstacles majeurs à la construction d’une identité nationale politiquement active et homogène : le passage de la Gemeinschaft à la Gesellschaft. Le rôle social dominant reste, à la veille de la période qui nous intéresse, le rôle familial ; la solidarité verticale entre le protecteur et le client prime, au sud, la solidarité horizontale.

  • 16 Joseph La Palombara, Clientela e parentela, op. cit., p. 74.
  • 17 Ibid., p. 76.
  • 18 Distinction faite par Luigi Graziano : « La politique est « privatisée » lorsque les groupes ont u (...)

10D’autres chercheurs ont, après lui, montré l’étroitesse des milieux et des contenus d’une socialisation primaire favorable au campanilisme et à l’individualisme. C’est sur cette base que se greffe une socialisation secondaire, soutenue en particulier par les partis, à fort contenu idéologique. « La socialisation tend à renforcer les positions politiques antagonistes et exclusivistes des partis. Surtout, l’image véhiculée du système et du processus politique est dans une très large mesure négative.16 » Enfin, loin d’homogénéiser les représentations de l’espace public, les médias renforcent, d’une part, la fragmentation et la polarisation politique, d’autre part, une vision clientéliste de la politique, puisque sur 85 quotidiens, 14 appartiennent à des partis politiques, 3 à des sympathisants, 13 à des groupes industriels, 13 à des groupes catholiques ou démochrétiens, 4 à des entreprises publiques ou para-publiques et 21 sont contrôlés par la confédération patronale17. Le détour par la socialisation permet ainsi de rendre compte des racines culturelles du clientélisme, entendu à la fois comme une « privatisation » de la politique et comme une « étatisation de la société civile18 ».

  • 19 Ces subcultures ont été analysées dans l’ouvrage classique dirigé par Giorgio Galli, Il comportame (...)
  • 20 Karl Deutsch, « Social Mobilization and Political Development », in American Political Science Rev (...)
  • 21 Giacomo Sani et Paolo Segatti, « Mutamento culturale e politica di massa », in Vincenzo Cesareo (d (...)

11On objectera, peut-être, que le niveau de reproduction familiale des choix politiques et la polarisation existent aussi en France, de même que l’existence des deux sous-cultures que sont le catholicisme et le parti communiste19. Il est également vrai que, dans la période qui nous intéresse, l’on observe en Italie comme en France, mais dans une mesure cependant moins brutale ici, un « processus d’érosion, s’attaquant par pans entiers aux mécanismes traditionnels d’intégration sociale, économique ou psychologique, et rendant les individus disponibles pour de nouveaux modèles de socialisation et de comportement.20 » Divers facteurs concourent à effriter la « congruence cognitive » qui, jusque-là, était garante de la stabilité des subcultures : la mobilité géographique et sociale, l’homogénéisation des styles de vie, les transformations à l’œuvre dans la socialisation, avec la crise de l’institution familiale, la massification de la scolarisation et le développement des moyens de communication, etc.21. Déjà fragilisées, les deux « églises » que seraient le catholicisme et le communisme ne sont pas épargnées par le vent de la contestation. Ainsi s’entendraient, pour beaucoup, la crise globale qui investit les sociétés française et italienne et l’utopisme des jeunes contestataires, unique dans ces pays.

  • 22 Lucio Colletti, Le déclin du marxisme, (1980), trad. Paris, PUF, 1984, p. 47.

« L’“espérance” catholique en l’au delà, en se sécularisant, se convertit en une tension vers la “nouvelle société”, placée “au-delà” de la société actuelle. Et, en confluant dans le marxisme, elle en exaspéra les effets “messianiques”, aux dépens de ceux d’un réalisme rationnaliste et pragmatique que la doctrine possédait aussi.22 »

  • 23 Enquête de Rassegna Italiana di sociologia, reprise dans Mino Monicelli, L’ultrasinistra in Italia(...)

12Cette hypothèse est étayée par l’extraction familiale communiste ou catholique des militants que nous avons déjà eu l’occasion de souligner. C’est ainsi qu’une enquête sociologique estimait en 1971 que 44 % des groupes extra-parlementaires italiens étaient issus du « monde catholique » contre 20 % du « monde marxiste »23.

13Toutefois, la spécificité de l’Italie réside moins dans les vecteurs de la socialisation que dans son contenu. Certes, la polarisation droite-gauche en France trouve là-bas son pendant dans les deux sous-cultures que sont le catholicisme et le parti communiste. Mais cette ressemblance apparente entre les deux pays dans une représentation également binaire du monde ne doit pas être exagérée : tandis que la partition repose en France d’abord sur des critères politiques – même si elle recoupe une opposition des systèmes symboliques –, elle trace en Italie une ligne de partage plus éthique et culturelle, dans la mesure où elle trouve ses racines mêmes dans l’exclusion des groupes catholiques et socialistes du processus de construction étatique qui les amenèrent à organiser un réseau associatif diffus et varié aux marges, voire contre les valeurs de l’État libéral. En outre, ce clivage n’est pas exclusif, puisqu’il se superpose à des clivages régionaux aujourd’hui encore très vivaces. Girolamo Arnaldi explique l’opposition irréductible entre la France et l’Italie par la mémoire collective :

  • 24 In Fabio Luca Cavazza et Stephen R. Graubard, Il caso italiano, Milano, Garzanti, 1974, p. 555-556

« À la différence de la France, le passé n’offre pas de motifs profonds de division […] car étant donné le caractère particulier de l’histoire italienne, on ne peut pas dire qu’il existe chez nous une mémoire collective de niveau national qui aille au-delà des derniers cent ans […]. S’il ne se divise pas en deux, le passé tend pourtant à se fractionner selon des lignes de mémoire collective de niveau régional et parfois même municipal.24 »

  • 25 Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret, Pour une nouvelle culture politique, Paris, 1977, p. 65.
  • 26 Dans un ouvrage très novateur, Giuseppe Galasso évoque ainsi une « autre Europe », méditerranéenne (...)

14Ces clivages ne font que souligner, en creux, la vanité d’une analyse en termes de « culture politique italienne » et le caractère très fragmentaire de l’intégration culturelle du pays. Par ailleurs, il est nécessaire de signaler qu’en dépit de la polarisation gauche/droite, les familles politiques françaises s’accordent ici sur l’essentiel, à savoir, disent Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret, sur une « culture sociale-étatique » par laquelle, « clé des réformes ou clé de la révolution, l’État reste, dans tous les cas, la figure centrale de changement.25 » Rien de tel en Italie où, pour des raisons historiques que nous allons bientôt approfondir, la sphère politique – voire l’État26 – demeure, pour la majorité, étrangère aux deux sens du terme et ne saurait être que dispensatrice de ressources.

  • 27 Ces études concernent la période 1958-1967. Cf. Douglas Hibbs Jr, Mass Political Violence : a Cros (...)

15Nous arrivons ainsi à la troisième approche privilégiée par les chercheurs pour interpréter la crise qui nous intéresse : la variable strictement politique. L’explosion de 1968 surprend tous les experts qui parlaient jusqu’alors d’embourgeoisement de la classe ouvrière et de fin des idéologies : à l’optimisme quant aux effets stabilisateurs du progrès économique dans les pays occidentaux va parfois succéder le pessimisme le plus absolu quant à l’évolution des démocraties, exposées à un phénomène d’overload. Des enquêtes, d’inspiration essentiellement nord-américaine, cherchent alors à évaluer le degré de « gouvernabilité » des pays occidentaux à l’aide de trois indicateurs : l’insubordination, c’est-à-dire la propension des citoyens à recourir à des formes d’action violentes ou illicites ; l’instabilité des gouvernants et l’inefficacité administrative27. Ces variables ne coïncident pas toujours : ainsi, la France partagerait avec les États-Unis un haut niveau d’insubordination, mais une stabilité et une efficacité satisfaisantes du système politique. L’Italie, en revanche, apparaît ingouvernable dans ces trois dimensions.

  • 28 Seymour M. Lipset, L’homme et la politique, trad. Paris, Le Seuil, 1960, p. 89.

16On peut remarquer qu’une variable est totalement occultée par ces travaux, au profit d’une approche élargie du consensus dont bénéficie le régime : la légitimité du pouvoir politique. Pourtant, dans un ouvrage classique, Seymour Martin Lipset rappelait à juste titre que la stabilité d’une démocratie dépendait à la fois de son efficience – « c’est-à-dire la façon dont le régime s’acquitte des tâches essentielles de gouvernement » – et de sa légitimité, entendue comme « la capacité du régime d’engendrer dans la population la croyance que les institutions politiques existantes sont les meilleures possibles pour la société28 ». Si la question de la légitimité ne se pose guère dans des pays à construction étatique ancienne et achevée comme la France, elle garde toute sa valeur dans des pays comme l’Italie, où l’unité est récente et, aujourd’hui encore, fragile.

Les conditions de réception du discours contestataire : l’extranéité de l’État italien

17Il nous faut désormais réfléchir sur cette spécificité italienne, à savoir le haut niveau de violence sociale et politique qui surgit de la société civile depuis la naissance de l’État : brigandage, fasci siciliens, émeutes de la fin du siècle, « Semaine Rouge » de juin 1914, biennio rosso de 1919-1920, etc., jusqu’au terrorisme des années soixante-dix.

  • 29 Domenico Settembrini, in Renato Mieli (dir.), Il PCI allo specchio, Milano, Rizzoli, 1982. p. 346. (...)

« L’irréductible extranéité des masses à l’égard de l’État est donc la donnée de départ à expliquer, pour comprendre pourquoi l’Italie a toujours constitué un terrain aussi fertile à la tendance à la rébellion endémique et à la naissance de mouvements et partis incitant expressément à la révolution violente.29 »

  • 30 Jacques Le Goff, « Il peso del passato nella conscienza collettiva degli italiani », in Fabio Luca (...)

18Ce serait se livrer à une analyse à courte vue que d’isoler les événements qui nous intéressent sans chercher à les resituer dans la perspective de l’Histoire. Difficile entreprise dans un pays où le retour à l’histoire reste problématique en raison, d’une part, de la résistance à assumer collectivement les années soixante-dix et, d’autre part, de la réticence plus générale à considérer son passé. Le constat conduit d’ailleurs Jacques Le Goff à se demander si la faiblesse historiographique transalpine n’est pas le signe d’un « refus de choisir entre une histoire refoulée et une histoire sanctifiée ?30 » Cette intuition de l’historien français est sans doute essentielle pour comprendre l’Italie.

19L’État italien se fonde sur deux mythes-fondateurs : le Risorgimento et la Résistance qui, en dépit de leur exaltation, non seulement sont loin d’asseoir totalement sa légitimité, mais encore accentuent les contradictions de la société tout en empêchant qu’elles trouvent une expression sur la scène publique. Il est d’ailleurs significatif que l’on parle, pour l’un comme pour l’autre, de « révolution manquée ». Dans les deux cas, nous observons, en effet, en dépit de leur potentialité de mobilisation, un clivage indicible entre les masses et les élites politiques, soupçonnées d’avoir « trahi » les idéaux initiaux.

20Jusqu’à l’unification, le pouvoir politique est perçu comme nettement illégitime par les Italiens, car exercé par des étrangers ou par les Papes dans les États pontificaux. De fait, les cadres d’identification sont avant tout sociaux : religieux au Nord, où l’Église représente un contre-pouvoir à la domination autrichienne, communautaire au Sud. Le localisme, issu de la longue civilisation communale des Cités-États, ainsi que le cosmopolitisme dont est porteuse la culture catholique, coexistent également chez les élites pour entraver l’émergence d’un sentiment national.

  • 31 Luigi Graziano, « La crise d’un régime libéral démocratique », in Revue Française de science polit (...)
  • 32 Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 10. À remarquer la similitude (...)
  • 33 Cf. Stein Rokkan, « Dimension of State Formation and Nation Building », in Charles Tilly The Forma (...)

21Or, le Risorgimento ne fournit pas un référent politique largement partagé et porteur d’espoir. Comme le souligne Luigi Graziano, il « n’a pas été un mouvement national en ce sens qu’il a signifié la “conquête” du Sud par le Nord. Il n’a pas non plus été une révolution car il n’a exprimé aucun idéal susceptible de mobiliser les masses.31 » Conduit par les Piémontais au nom de la Monarchie de Savoie, il s’impose d’abord par le biais d’un système administratif de type jacobin et la pression militaire dans le Mezzogiorno, régi jusqu’en 1865 par l’état de siège. Il se consolide ensuite par une alliance – le « bloc historique » selon la terminologie gramscienne – entre la bourgeoisie industrielle du Nord et les latifundistes du Sud, dont l’éventuelle opposition au processus d’unification est prévenue par le maintien des traditions feudataires et l’absence de réforme agraire. À la différence de la France, aucune « révolution bourgeoise » « n’a précédé la naissance du capitalisme » et « le fait national n’a pas précédé le fait libéral. »32 Enfin, les deux facteurs explicatifs de la construction tardive d’un État unitaire, le facteur culturel-religieux et le facteur socio-économique, perdurent dans leurs effets négatifs bien au-delà du Risorgimento33.

  • 34 Guy Hermet, Sociologie de la construction démocratique, Economica, 1986, p. 28-29.

22D’un côté, l’Église catholique continue à faire obstacle à l’émergence d’une identité nationale : son pouvoir temporel se trouvant concurrencé par la naissance de l’État italien, elle menace d’excommunication les fidèles qui participeraient à la vie politique par le non expedit de 1868 à 1905. En outre, elle appuie activement la révolte anti-risorgimentale de l’ancien royaume des deux Siciles qui se déploie entre 1861 et 1870 dans le brigandage social. Si le compromis entre les élites septentrionales et méridionales privait les paysans hostiles à l’unité d’une direction susceptible de former un parti agrarien ou indépendantiste, il renforçait de ce fait leur allégeance religieuse et les précipitait du même coup dans une révolte sanfédiste propice au millénarisme. De là, la persistance des sentiments communautaires et le développement de formes parallèles de citoyenneté promues par l’Église, en particulier le clientélisme, dont Guy Hermet note, à juste titre, combien elles tirent une certaine légitimité des valeurs de la foi (solidarité, liens personnels avec le pouvoir, etc.), ainsi que de la situation matérielle des paysans : paupérisation, analphabétisme, etc.34.

23De l’autre côté, le développement économique ne reçoit pas une impulsion forte et cohérente avec l’Unité et, surtout, n’emprunte pas une voie moderne. Circonscrit au nord de la péninsule, il se réalise au prix du sacrifice du Mezzogiorno, figé dans des rapports sociaux de type féodal et saigné par l’émigration, seule soupape de sécurité à la pression démographique et sociale. La très nette coupure entre une politique industrielle tournée vers les biens d’exportation et une politique agricole archaïque encourageant la spéculation foncière au détriment de l’innovation technique produit un phénomène de « périphérisation » économique de l’Italie qui favorisera le succès de l’analyse sorelienne de la « Nation prolétaire ».

  • 35 Rosario Romano, Risorgimento e capitalismo, 1959, rééd. Bari, Laterza, 1970. Sur ces différents mo (...)

24Ce modèle de développement entraîne ainsi tous les déséquilibres sociaux et cristallise le mécontentement des masses. Au nord, se forment des concentrations ouvrières souvent réceptives à la propagande anarchiste de Bakounine et de Malatesta. Leurs luttes s’expriment toujours violemment : émeutes de l’été 1893 et des années 1897-1898 pour « le pain, le travail et la liberté » ; attentats terroristes entre 1894 et 1900 ; tentatives d’insurrection « pour l’abolition de l’État » en août 1874 et en avril 1877… Au sud, à côté du banditisme social, les paysans se révoltent tant contre la conscription et les impôts (1861-1865 ; 1893-1894) que « pour le pain et le travail »35.

  • 36 Luigi Graziano, « La crise d’un régime libéral démocratique », in Revue Française de science polit (...)
  • 37 D’après Sergio Romano, Histoire de l’Italie du Risorgimento à nos jours, Paris, Seuil, 1977, p. 77
  • 38 Carlo Tullio Altan, Populismo e trasformismo, Milano, Feltrinelli, 1989, p. 99.

25Quoique différentes dans leur origine et leur expression, ces protestations ont en commun d’exprimer une profonde déception vis-à-vis du Risorgimento, ainsi qu’un certain mythe populiste exacerbé par le comportement des élites politiques. La « question sociale », qui se pose dès la naissance de l’État italien, n’est en effet « traitée » que par un double artifice, électoral et politique. La demande de participation démocratique ne reçoit de réponse que par le renforcement de l’emprise clientéliste des paysans au sud et un système électoral distinct pour les campagnes et les villes, où le suffrage censitaire demeure dans les faits jusqu’en 1912. Sur le plan institutionnel, la pratique gouvernementale alterne autoritarisme et souplesse qui n’est possible que grâce à des accords entre les groupes politiques. Menacé tant par une réaction cléricale que par une révolution sociale, le cabinet Depretis va en effet inaugurer dès 1876 une formule originale de gouvernement qui marquera profondément le système politique italien : le transformisme, « style politique qui vise à étouffer les conflits politiques par des compromis individuels36 », en négociant au préalable le soutien parlementaire de l’opposition par un élargissement progressif de la coalition gouvernementale. Ce pragmatisme, qui n’est pas sans parenté avec le clientélisme, poursuit une logique de compromis lourde de conséquences : d’une part, il réduit la vie politique à des « combinazioni » obscures entre les élites dirigeantes, en vidant de sens l’alternance entre opposition et majorité. D’autre part, il favorise une compétence politique fondée sur les connaissances personnelles et l’échange de services, le député devenant le « médiateur d’intérêts locaux37 ». Il entraîne enfin la politisation de l’administration, érigée en instrument d’« organisation clientéliste du consensus38 ». Autant de maux dont souffre toujours aujourd’hui l’Italie et qui confortent à la fois une conception privatiste de la politique et le sentiment d’extériorité des citoyens à l’égard d’un jeu auquel ils ne participent pas.

26Ce bref rappel historique nous a permis d’évaluer les carences structurelles de la construction de l’État en Italie qui entachent, dès l’origine, sa légitimité et empêchent l’émergence d’un sentiment national. L’expérience du fascisme ne fera qu’accroître plus encore le rapport problématique des Italiens à l’État et à la Nation dans la mesure où, en prétendant les fonder par la dictature, elle les a profondément pervertis.

27L’analyse de la naissance de la République issue de la Résistance s’impose maintenant pour comprendre l’ampleur de la contestation des années soixante-dix. Et ce, pour deux raisons principales. D’un côté, en ce qu’elle révèle la prégnance de certains traits du système politique : compromis entre les partis politiques, absence d’alternative en raison de la stratégie du parti communiste, criminalisation des mouvements radicaux, etc. De l’autre, dans la mesure où la « génération de 68 » va trouver dans ces années ses premiers référents politiques et y puiser une identité – la lutte antifasciste – et un motif d’opposition au régime, en ravivant le thème de la « Résistance trahie ».

28La Résistance, qui se présente volontiers comme une nouvelle étape du Risorgimento, constitue le second mythe fondateur de l’État italien : mythe d’identité, elle redonne honneur et confiance aux Italiens, en les lavant du péché de l’adhésion au fascisme. Mythe des origines, elle établit la République et une constitution parmi les plus progressistes d’Europe. Mythe de légitimation du système politique enfin, elle intègre tous les partis – à l’exclusion du MSI – dans l’« arc constitutionnel » et fonde le principe de leur collaboration. Mais cette exaltation officielle de la Résistance, identique à celle dont bénéficia le Risorgimento, a pour contrepartie de s’accompagner, une fois encore, de la négation des traumatismes et contradictions auxquels elle donna lieu. Loin d’être exclusifs l’un de l’autre, la sanctification et le refoulement de l’histoire apparaissent ici se nourrir.

  • 39 Si le Nord se prononce massivement pour la République, le Sud, lui, fait le choix du maintien de l (...)
  • 40 D’où le scandale provoqué par la publication, en 1991, du livre de Claudio Pavone intitulé Una gue (...)
  • 41 Pietro Calamandrei, Dieci anni dopo, Bari, Laterza, 1955, p. 215.

29L’obsession du consensus dont semble imprégnée la classe politique italienne fait d’abord le silence sur deux éléments historiques initiaux : le premier est que l’instauration de la République ne fut acquise qu’avec 54 % des suffrages et surtout au prix de lourdes distorsions régionales39 ; le second, que la « guerre de libération » engagée contre les Allemands – avant de l’être contre les fascistes –, ne fut pas un soulèvement général, mais peut s’analyser comme une guerre civile40. Sur le plan politique, elle l’amène à la fois à célébrer la dimension de rupture du nouveau régime par rapport au régime fasciste et à prôner un œcuménisme politique favorable à la fondation d’une Italie nouvelle : compromis politique entre les partis, en particulier entre les deux forces antagonistes que sont la Démocratie Chrétienne et le PCI ; rapide pardon aux fascistes par l’amnistie Togliatti de 1946 ; constitution de compromis où, « pour faire admettre par la gauche une révolution manquée, les forces de droite acceptèrent […] une révolution promise41 »…

  • 42 Alexander Mitscherlich, Le deuil impossible, trad. Paris, Payot, 1972.
  • 43 Expressions de militants interviewés par Diego Novelli et Nicola Tranfaglia in Vite sospese, Milan (...)
  • 44 Carlo Donolo, « Politicizzazione e crisi di legittimità », in Quaderni di sociologia, n° 3-4, juil (...)

30Mais les années 1943-1947, en tant que période de genèse de la République italienne, ne présentent pas simplement un intérêt pour l’étude du système politique ; elles conditionnent également profondément les représentations du monde politique de la « génération » de 68 – ou, tout du moins, de ses membres les plus impliqués dans la contestation violente –, par la mémoire orale qu’en transmettent les parents et les institutions, ainsi que par les effets que cette transmission exerce sur ses rapports avec les figures d’autorité. C’est du reste dans cette perspective que certaines études de psychologie sociale ont interprété le terrorisme allemand comme une interpellation exaspérée des jeunes à l’endroit du passé de leurs pères sous l’Allemagne nazie42. Malgré l’expérience commune du fascisme, la révolte des jeunes semble mue en Italie par des ressorts individuels nettement différents. Issus pour la plupart de milieux familiaux de gauche, les militants interrogés sur leur engagement dans l’extrême gauche évoquent en effet spontanément un père, voire un grand-père pour les plus jeunes, résistant, qui leur auraient transmis le sens de la liberté, de la justice et de l’honneur mais aussi, pour beaucoup, « le souvenir du sens de la défaite qui marque la vie de nombreux partisans », celui de « la déception » vis-à-vis de la politique et du PCI43. Ils semblent ainsi marqués par une socialisation politique primaire fortement clivée entre la transmission familiale de valeurs éthiques finalement trahies par les élites et l’inculcation d’une histoire officielle unanimiste et suffisante, entre une conception héroïque de l’engagement politique individuel et une suspicion viscérale à l’égard des représentants. Exemples-type de red diaper, pour reprendre l’expression de Keniston, ils s’appuient sur les valeurs inculquées dans l’environnement familial et « réagissent à la déception [provoquée] par l’incapacité des parents de vivre à la hauteur des valeurs prêchées par la radicalisation au nom de ces mêmes valeurs.44 »

« Pour ma génération, la Résistance est très importante, tant comme rupture que comme continuité. Continuité parce qu’il y avait une espèce d’émulation : nous avions des parents qui avaient “vécu la grande guerre”, qui avaient fait “une grande vie”, des gens qui avaient tiré, qui avaient eu des moments d’héroïsme. Rupture parce que, somme toute, nous étions des fils […]. La rupture était plutôt envers une génération qui, après l’héroïsme, s’était assise. Ensuite, la rhétorique de la Résistance en Italie était devenue une chose insupportable, tous buvaient ensemble : solidarité nationale, etc. » (Pietro, PSIUP)

  • 45 Cette filiation est analysée dans notre article « La Résistance comme référence légitimatrice de l (...)

31Expérience fondatrice de l’apprentissage du politique pour les militants d’extrême gauche, la Résistance constitue, en outre, une ressource fondamentale pour les mobilisations des années 1969-1974, puisqu’elle inspire les futures organisations armées dans le choix de leurs sigles – Nuova Resistenza, Brigate Rosse, Gruppi di Azione Partigiana –, leur organisation – clandestinité, formations en petites unités –, leurs modes d’action – expropriation prolétarienne, procès populaire ou mise au pilori – et les formes de revendication des opérations. Elle leur fournit enfin l’adversaire originel : les fascistes, et une production symbolique : les chants partisans comme « Fischia il vento », « Bella ciao », « Avanti siam ribelli »45

32Cette réactivation du mythe partisan tient sa force mobilisatrice du fait qu’elle ravive un système de perceptions de la Résistance comme inachevée et trahie, demeuré à l’état de latence depuis la Libération (niveau structurel), dans un contexte favorable à la résurgence des thèmes de l’antifascisme (niveau conjoncturel).

  • 46 Voir notamment, Pietro Secchia, I comunisti e l’insurrezione, Roma, Éd. Culture sociale, 1954 ; et (...)

33Entreprise de dénonciation de l’équilibre politique républicain, elle vise plus particulièrement le PCI, accusé d’avoir bradé les idéaux révolutionnaires au nom de son intégration institutionnelle. Lorsque s’engagea la lutte de libération en septembre 1943, les troupes communistes entendaient en effet la poursuivre au-delà de la victoire sur le fascisme et en faire le tremplin d’une révolution. Cet espoir fut vite déçu au printemps 1944 avec le « tournant de Salerne », par lequel le conseil national du parti condamne l’organisation des groupes résistants sur une base de classe ou partisane et se prononce pour un gouvernement monarchiste d’unité nationale au nom d’idéaux de conciliation et de gradualisme, sonnant ainsi le glas à tout débouché révolutionnaire46. Le fascisme vaincu, le PCI appelle au désarmement des partisans en juillet 1945 et participe à la répression des bandes communistes qui refusent de s’y plier, alors même que Togliatti amnistie les fascistes. Mais la déception à l’égard de la Résistance – nouvelle « révolution manquée » – ne s’épuise pas dans le désenchantement révolutionnaire et n’atteint donc pas seulement les communistes. Très vite, des fissures apparaissent au sein des nouvelles élites ; fissures politiques dès octobre 1945 avec les critiques acerbes du Parti d’Action à l’égard du conservatisme gouvernemental ; fissures dans le champ intellectuel, à partir de décembre 1947, quand la revue Il Ponte publie une série d’articles sur « la crise de la Résistance » et la restauration conservatrice en passe de s’accomplir. Sur le plan économique et social, les réformes annoncées sont oubliées ou nettement insuffisantes ; le chômage et la pauvreté provoquent de graves conflits sociaux, souvent réprimés dans le sang ; enfin, l’espoir d’une plus grande intégration politique de la classe ouvrière se heurte au maintien d’une politique favorable aux classes moyennes et d’un développement économique fondé sur l’exportation et nécessitant de faibles coûts du travail… Quant au consensus politique, il s’effondre avec l’expulsion des communistes du gouvernement au printemps 1947 et le climat pesant des élections du 18 avril 1948 qui marquent la victoire de la Démocratie-Chrétienne.

  • 47 Minutes du procès d’Alain Geismar, Paris, Éd. Hallier, 1970, p. 61. Voir également l’ouvrage Vers (...)

34Certes, cette référence à la Résistance se retrouve également en France, en particulier à la GP, « parti de la Résistance47 » selon Alain Gesimar, et dont la branche militaire s’appellera significativement la « Nouvelle Résistance Populaire ». Pour nombre de ses militants, « notre modèle, c’était la Résistance, c’est-à-dire les FTP. Le livre le plus diffusé, c’était “Debout partisan” » (Christian, GP). Le témoignage suivant met bien en évidence les motivations morales, antifascistes et anticolonialistes, qui poussent Pierre à s’engager à la GP, dans le respect et en continuité des valeurs familiales qu’il estime « embourgeoisées » :

« Mes motivations [pour militer à la GP] remontent à la guerre d’Algérie […]. Et il y avait une mobilisation antifasciste assez grande dans les lycées parisiens. Il y avait deux racines à cette mobilisation : la culpabilité face à la torture et la colonisation, et la mobilisation antifasciste due à la Résistance contre les nazis en France. Une chose est à noter : c’est que beaucoup de militants était soit juifs (ce qui n’est pas mon cas), soit enfants de gens qui avaient résisté, ce qui est mon cas. On estimait en quelque sorte être les continuateurs de ça. Mais on trouvait par ailleurs que nos parents s’étaient embourgeoisés. Et cette société embourgeoisée, pacifiée, ne nous plaisait pas, et elle nous plaisait d’autant moins qu’à l’extérieur, c’était pas la pacification puisqu’à l’extérieur, on faisait la guerre. Et on avait l’impression que la pacification interne de la société avait pour prix la guerre à l’extérieur. »

  • 48 Henri Weber, Vingt ans après, op. cit., p. 74.

35Henri Weber va plus loin en affirmant que beaucoup de leaders de 1968 étaient des enfants de victimes de la Shoah, de résistants ou de collaborateurs48. En tout état de cause, le mythe partisan revêt une grande importance également en France. L’hymne de la GP s’intitule d’ailleurs « Les nouveaux partisans », avec pour refrain :

« Nous sommes les nouveaux partisans/Francs-tireurs de la guerre de classe/Le camp du peuple est notre camp/Nous sommes les nouveaux partisans. »

36Là aussi, les représentants officiels se voient nier toute légitimité à se poser en héritiers de la Résistance, comme en témoigne l’intervention spectaculaire de militants et sympathisants gépistes aux cérémonies du Mont Valérien le 18 juin 1971. Et, là aussi, le PCF est accusé d’avoir bradé les espoirs partisans.

  • 49 Alain Geismar, L’engrenage terroriste, Paris, Fayard, 1981, p. 53.

« La Gauche Prolétarienne se vivra comme le germe de la résistance, dans un univers où l’État et ses forces de répression représentent les nazis et le PC-CGT les collabos.49 »

  • 50 À la suite de nombreux auteurs, nous considérons, en effet, qu’il y a trois « générations » soixan (...)

37De toute évidence, le « mythe partisan », lié en partie avec les luttes anti-impérialistes du Tiers-Monde, constitue dans les deux pays un référent commun à la génération militante politisée avant 1968 et, en partie, pour celle qui se mobilise au cours des événements de 196850.

  • 51 Sans compter que l’exercice de délégitimation de De Gaulle était, sur ce terrain, fort délicat… Su (...)

38Mais le sentiment d’inachèvement, voire de trahison des idéaux nés de la Résistance, rencontre en Italie un terrain conjoncturel favorable à la fin des années soixante, quand semble resurgir le péril fasciste, favorisé par la passivité, voire la bienveillance d’une partie de l’État. Et c’est sans doute une telle jonction entre le mythe de référence et l’événement politique donnant corps à sa réactivation pratique qui fait la singularité de ce pays. Car elle fait défaut en France, quoi qu’en disent les débats de l’extrême gauche sur la fascisation de l’État gaullien51. De fait, les tentatives de filiation des gauchistes français à la Résistance demeureront infiniment plus abstraites et symboliques.

  • 52 Alberto Melucci, L’invenzione del presente. Movimenti, identità, bisogni individuali, Bologna, Il (...)
  • 53 Connue sous le nom de « piano Solo ». Cf. Giorgio Galli Storia del partito armato, Milano, Rizzoli (...)
  • 54 Nom de deux villes où des manifestants trouvèrent la mort dans le cadre d’un mouvement syndical de (...)
  • 55 Le terme est emprunté à Luigi Manconi, « Il nemico assoluto. Antifascismo e contropotere nella fas (...)
  • 56 Adriano Sofri in Democrazia Proletaria, 1968-1976. Le vere ragioni, Milano, Mazzotta, 1985, p. 94.
  • 57 Giovanni De Luna, « Azione collettiva, violenza e conflitto nelle construzione dell’Italia repubbl (...)
  • 58 Le 22 juillet 1970, un attentat fait dérailler un train à Gioia Tauro (6 victimes et 50 blessés). (...)
  • 59 Sur l’« affaire Gladio », qui confirma ces thèses : Franco De Felice, « Doppia lealtà e doppio Sta (...)

39Ainsi que le souligne le sociologue Alberto Melucci, « les gouvernements démocrates-chrétiens et les forces modérées ont cru pouvoir utiliser la violence fasciste, surtout entre les années 69 et 74, comme instrument de contre-mobilisation52 ». Déjà en 1964, une rumeur de coup d’État, fomenté par le directeur des carabiniers De Lorenzo avec, semble-t-il, la complicité du Président de la République de l’époque, Antonio Segni, avait circulé, entraînant la démission du chef de l’État53. Par ailleurs, les méthodes de répression des manifestations suscitaient une indignation qui ira en s’amplifiant avec le climat d’effervescence sociale, comme le montrent les réactions aux faits d’Avola et de Battipaglia54. Mais c’est l’explosion d’une bombe à la Piazza Fontana de Milan, le 12 décembre 1969, qui constitue sans doute pour la jeunesse de gauche le « traumatisme originel55 », l’« irréparable scission » avec le passé56, la « fin de l’innocence57 » et ce, tant au niveau de l’analyse théorique que de l’action. Sur le plan politique, elle alimente la crainte d’une évolution autoritaire du pays, crainte fondée sur l’idée d’une « continuité de l’État » républicain par rapport au fascisme (nouvelle étape de démystification), car elle initie une série d’attentats d’extrême droite appelés de façon symptomatique par la gauche « strage di Stato » (massacres d’État), en raison de la collusion d’une fraction des services secrets58. La complicité d’une partie de l’appareil d’État dans les manœuvres de déstabilisation se précisera par la suite avec les deux autres tentatives de coups d’État en 1970 et 1974, le scandale de la loge P2, jusqu’à sa révélation officielle avec l’« affaire Gladio59 ».

  • 60 Le lendemain même de l’explosion, 27 militants d’extrême gauche sont arrêtés, parmi lesquels l’ana (...)

40L’attentat de la Piazza Fontana marque également une fracture dans la pratique politique de la nouvelle gauche en ce qu’il entraîne une radicalisation de ses formes d’action et une certaine logique de clandestinité rendue nécessaire par la répression60. L’« antifascisme militant », consistant pour les groupes d’extrême gauche à l’attaque et au passage à tabac des militants d’extrême droite, joue, comme on l’a vu, un rôle important de socialisation politique ; les services d’ordre sont renforcés, voire militarisés. Certains, tel l’éditeur Giangiacomo Feltrinelli, considèrent l’heure venue pour constituer des groupes armés clandestins aptes à résister… L’épisode fournit enfin à la nouvelle gauche un puissant facteur d’unité et de mobilisation transcendant ses frontières « naturelles » pour interpeller la gauche traditionnelle, la classe ouvrière et… les vieux partisans, comme le fera le journal Lotta Continua dans un article du 12 novembre 1970. Ainsi sont jetées les bases pour l’organisation d’une violence dans un premier temps défensive, mais dont le mode de légitimation (résister à un État injuste) laisse ouvert le passage à une violence offensive.

  • 61 Témoignage choisi parmi bien d’autres faisant le même constat.

« Piazza Fontana est une ligne de partage pour ma génération. Si, avant, nous n’avions jamais pensé à la possibilité d’un coup d’État, de l’usage de la violence, de choses de cet ordre, après Piazza Fontana, beaucoup ont posé ce problème. Dans tous les groupes s’est engagé le débat sur ce problème de la violence », raconte Lucio, militant de LC qui n’est pas passé à la lutte armée61.

  • 62 Pierre Favre, Générations et politique, Paris, Economica, 1989, p. 317. Voir également le concept (...)

41Par le traumatisme qu’ils provoquèrent, les faits déclenchés par l’attentat de la Piazza Fontana fournissent aux groupes d’extrême gauche d’une part, une justification pratique à leur militarisation, d’autre part, une base de consensus passif parmi les sympathisants de gauche et, enfin, un « événement générateur », une expérience politique inaugurale qui « cristallise les générations potentielles »62.

Les réponses étatiques à la crise

  • 63 Chalmers Johnson, Revolutionary Change, rééd. Boston, Stanford University Press, 1982, p. 57.

42D’après Alain Touraine, la violence surgit au point de rencontre d’une crise et d’un conflit, quand les demandes se heurtent à une fermeture rigide du système politique. De son côté, Chalmers Johnson nous invite à considérer trois variables explicatives de l’échec d’une solution pacifique au conflit : le déséquilibre du système social, la délégitimation des élites et la perte de contrôle des forces de l’ordre qui rendent les autorités impuissantes à engager des réformes63. C’est pourquoi nous allons maintenant examiner les mesures différentielles prises par l’État français et l’État italien en réponse à la contestation, afin de comprendre dans quelle mesure elles ont pu calmer ou attiser le conflit.

  • 64 Au sens qu’en donne Karl Deutsch de « processus global de changement qui affecte une proportion im (...)
  • 65 Sidney Tarrow, La crisi italiana, Torino, Einaudi, 1979, t. 1, p. 14-15. La situation de tension p (...)

43Les deux pays sont, à la veille de 1968, des sociétés en pleine mutation socioculturelle ; la modernisation économique – les « trente glorieuses françaises » ou le « miracle économique » italien – ayant entraîné une mobilisation sociale64 sans précédent dont le législateur n’a pas encore pris acte. Toutefois, ses conséquences sont sans doute plus déstabilisantes en Italie, dans la mesure où, sur ce plan, le pays a accompli en quelque vingt ans ce que d’autres, notamment la France, ont mis près d’un siècle à parcourir. Avec un taux de croissance du produit intérieur brut de 5,5 % en moyenne par an entre 1951 et 1958, l’Italie passe rapidement d’une économie sous-développée à dominante agraire à une économie industrielle d’exportation. Le déclin vertigineux du secteur primaire (42,2 % de la population active en 1951, 17 % en 1971) provoquera un exode massif vers le Nord de six millions de méridionaux, dont le rôle dans la contestation a été maintes fois souligné. Mais ce miracle économique est lourd de déséquilibres, géographiques – au profit quasi-exclusif du triangle industriel – et industriels, car se faisant dans la plus totale anarchie. La production, tournée vers l’exportation et les biens de consommation privés, délaisse les biens publics (hôpitaux, transports, écoles, logement…). En l’absence d’intervention publique pour soutenir les effets du développement industriel, le pays souffrirait, selon Sidney Tarrow65, du « retard de la modernisation civile » qui se traduirait par l’immobilisme des réformes (notamment de l’enseignement et du code civil) et une bureaucratie fermée aux valeurs universelles.

  • 66 Pierre Milza, « Italie 1968 : le mai rampant », in Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 11 (...)

44Il y a, à ce stade, une intrigue : majeure était sans doute l’ampleur des défis économiques et sociaux que l’Italie devait relever à la veille de 1968 pour assurer la transition vers le « capitalisme mûr » dans lequel s’était déjà engagée la France depuis plusieurs années. Mais c’est ici, paradoxalement, que la contestation va déboucher sur une crise politique inégalée en Occident, consécutive à la force et à la rigidité de l’État, alors qu’elle rencontre là-bas ce que Pierre Milza appelle le « ventre mou » de l’État italien, les « qualités d’esquive de la classe politique » et le « très grand pouvoir d’adaptation de la société civile »66.

45De part et d’autre des Alpes, des réformes seront engagées avec plus ou moins de succès : après le projet gaullien de participation, voué à l’échec, le septennat pompidolien s’ouvre sur la promesse d’une « nouvelle société » qui œuvrerait, en particulier, pour la décentralisation et une harmonisation des relations professionnelles sous l’inspiration du « social-delorisme ». Une loi d’orientation de l’enseignement supérieur est rapidement votée le 12 novembre 1968, un centre universitaire expérimental ouvert à Vincennes. Satisfaction est donnée aux contestataires, tout en les confinant dans un lieu isolé et surveillé.

  • 67 N° 33, 13 novembre 1968.

« Il s’agit, dira alors le journal Action avec irritation mais non sans clairvoyance, de récupérer le mouvement, quitte à en acheter une partie à coups de gadgets, et à en berner l’autre à coups d’enseignants communistes. La phrase révolutionnaire facilitera la digestion bourgeoise.67 »

  • 68 À noter que le Statut des Travailleurs, adopté le 20 mai 1970, va plus loin que les Accords de Gre (...)

46L’espoir de changement semble également permis aux Italiens : les lois d’application permettant de concrétiser certains droits constitutionnels inscrits dans la charte fondamentale de 1947, tels les pouvoirs des régions et l’institution du référendum, sont finalement adoptées au printemps 1970. Les salariés se voient comblés par une réévaluation des retraites et surtout par le Statut des Travailleurs68. Les nouveaux droits civils ne sont pas oubliés, puisqu’une loi sur le divorce est (péniblement) votée le 1er décembre 1970, une réforme du logement en octobre 1971.

47Mais c’était sans compter sur trois éléments : 1° l’enracinement au sein du parti dominant d’une aile très conservatrice ; 2° les capacités d’inertie et de blocage d’une administration incontrôlée ; 3° l’ampleur des demandes appuyées par une mobilisation toujours forte. De fait, certaines réformes doivent attendre plusieurs années (1978) pour être satisfaites : réforme des hôpitaux psychiatriques, reconnaissance du droit à l’avortement… D’autres sont remises en cause à peine nées, comme le droit au divorce, qui ne sera entériné par référendum qu’en 1974 ; d’autres, enfin, ne seront jamais appliquées, en particulier les diverses lois relatives au logement, thème qui constitue une des revendications majeures durant toutes les années soixante-dix. Dans le contexte de cette période, de telles hésitations ou voltes-face des pouvoirs publics ne manquent pas de surprendre, tant elles donnent de grain à moudre à la poursuite des mobilisations.

48Première interprétation : la difficulté du groupe dirigeant à trouver des alliés sûrs et à passer des alliances fermes. Elle ne serait étrangère ni à l’absence de révolution bourgeoise, ni à la gestion presque patrimoniale de l’État italien. Cette impuissance constitue un élément particulièrement discriminant par rapport à la situation française.

  • 69 Alfredo Gigliobianco et Michele Salvati, Il maggio francese et l’autunno caldo italiano : la rispo (...)
  • 70 Ibid., p. 95.
  • 71 D’après Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 70-71.

49La capacité des gouvernants français à mobiliser des soutiens, éclatante durant la crise avec la manifestation du 30 mai 1968, n’est pas moins évidente par la suite et, en tout état de cause, sera certainement fondamentale sur le terrain économique. D’après l’analyse comparée d’Alfredo Gigliobianco et Michele Salvati, on assiste en effet, aux lendemains de 68, à la réorganisation du CNPF et à l’affermissement de son pouvoir d’influence au sein du parti au pouvoir. La politique économique, axée sur les investissements et le soutien des profits des entreprises bénéficie de la confiance des chefs d’entreprise et se solde par une expansion de la production industrielle et des investissements qui « gomme » les dommages subis durant les événements69. En Italie en revanche, le secteur privé semble paralysé par les « années rouges » : la relance, très imparfaite, n’est assurée qu’au prix de l’accroissement du déficit public qui assure seul, ou presque, les investissements, tandis qu’augmentent le nombre d’entreprises en faillite et l’inflation. C’est ainsi que la production industrielle croît, entre 1969 et 1973, de 32 % en France contre seulement 13 % en Italie70. Le pays s’enfonce précocement dans la crise : augmentation de 28,8 % des coûts salariaux entre 1970 et 1972, de 13 % des prix, déclin de 8 à 9 % des investissements, fuite illégale des capitaux de l’ordre de quatre à cinq millions de dollars71

50Deuxième interprétation, d’ailleurs fortement tributaire de la première : les réponses de l’État italien sont, dans leur ensemble, si contradictoires qu’elles semblent ne pas émaner de la même autorité ni, à tout le moins, être guidées par un dessein clair et homogène. Elles témoignent en effet d’une certaine ouverture, mais procèdent aussi d’une utilisation démesurée de la répression. Si tout État démocratique, confronté à la protestation, manie conjointement les réformes curatives et préventives avec la coercition, équilibre et surtout cohérence sont en général de rigueur.

  • 72 Jean Moreau, « Les maos de la Gauche prolétarienne », in La Nef, n° 48, juin-septembre 1972, p. 95 (...)

51En France, malgré quelques déclarations tonitruantes de la place Beauvau et la mise en place de mesures spectaculaires, la politique de répression a, somme toute, été assez mesurée. Alain Geismar, leader de la GP recherché un temps, nous dit-on, par toutes les polices pour apologie et incitation au meurtre, sera condamné à dix-huit mois de prison, cette peine soulevant en outre bien des émois tant elle paraissait sévère. Si, en septembre 1970, quelque soixante militants de la GP sont en prison, ils le sont pour de courtes peines72. La grande intelligence de Pompidou durant le mois de mai – servie par la personnalité du préfet de police de Paris Maurice Grimaud – fut guidée par ce principe :

  • 73 Edouard Balladur, alors conseiller du premier ministre Pompidou, cité par Jean-Jacques Becker, « Co (...)

« Laisser durer le mouvement, le laisser s’essouffler, ne pas le provoquer par des tentatives de remises en ordre vouées à l’échec en raison de l’état d’esprit de la population favorable aux étudiants la première semaine, attendre que les Français, d’abord séduits et amusés, se lassent du désordre.73 »

52Même si elle n’a pas été exempte de bavures, la politique coercitive fut assez mesurée au cours des années soixante-dix. Cette retenue est aujourd’hui considérée comme essentielle par les militants d’extrême gauche française, pour expliquer que la violence soit restée à un niveau symbolique :

« L’un des éléments qui a joué énormément, c’est le fait qu’on a eu des ennemis qui n’étaient pas franchement des hystéros non plus. La politique de répression du gouvernement n’était pas celle de l’Italie par exemple […]. Quinze ou seize mois de prison, ça n’amène pas aux solutions désespérées. » (Antoine, GP)

  • 74 Ted Gurr, « Il nesso tra rivoluzione e mutamento sociale », in Alberto Melucci (dir.) Movimenti di (...)
  • 75 Dernier chiffre repris dans Gabriele Martignoni et Sergio Morandini, Il diritto all’odio. Dentro, (...)

53À l’inverse, au mépris de l’une des hypothèses-clef formulées par Ted Gurr sur la violence, selon laquelle « plus grande est la violence utilisée contre des personnes qui croient être dans le juste, plus grande est la probabilité de résistance de leur part dans la mesure de leurs capacités74 », l’État italien va user et abuser de la ressource répressive, provoquant à chaque fois une accentuation et une radicalisation de la protestation. C’est ainsi que, d’après les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur, rien qu’entre septembre et novembre 1969, plus de 7 000 ouvriers seront inculpés dans le cadre des grèves de l’« Automne Chaud » et plus de 3 000 étudiants pour « agitations universitaires » en 196875 !

54Il nous faut nous arrêter un moment sur la politique de répression. Comme nous l’avons déjà souligné, les mouvements étudiants vont en partie basculer dans la violence par leur rencontre, sur le terrain, avec les forces de l’ordre, lesquelles sont, par leur fonction même, « disposées » à symboliser l’adversaire étatique. Il ne fait pas de doutes pour autant que le niveau de polarisation ami/ennemi est, en Italie, bien plus élevé qu’ici. À nouveau, un bref retour à l’histoire peut nous permettre de comprendre les représentations si négatives de l’« agent répressif », du « sbire » en Italie, qui préexistent à l’aube de 1968.

  • 76 Voir notamment Rolande Trempé, Les mineurs de Carmaux, Paris, Éd. ouvrières, 1971, p. 660-662 ; Pa (...)
  • 77 Notamment Vittorio Foa, Per una storia del movimento operaio, Torino, Einaudi, 1980, p. 97.

55Tandis que de nombreux ouvrages constatent un certain effort de modération de la répression en France depuis la fin du siècle76, les historiens italiens, eux, s’accordent à relever la rigueur de l’exercice du maintien de l’ordre italien et la méfiance persistante à l’égard des forces coercitives77. La divergence prend sa source dans celle de la construction historique de l’État : d’unité récente et contestée, l’État italien voit rapidement le processus de sa démocratisation s’interrompre par l’avènement du fascisme en 1922. Malgré l’établissement de la République, l’assimilation des forces de l’ordre avec les forces réactionnaires se poursuit et trouve dans les années qui suivent matière à se renforcer, sous le coup de quatre facteurs.

  1. Le corps militaire apparaît pour le moins politiquement marqué, puisque, dès 1948, le ministre de l’Intérieur Mario Scelba78 maintient les officiers de formation fasciste tandis qu’il procède à des épurations successives des anciens partisans79.
  2. La conjonction de la répression avec des gouvernements de droite est évidente : les années les plus sombres du mouvement ouvrier ou paysan coïncident avec les gouvernements de l’aile droite de la Démocratie Chrétienne – 1947-1950 – ou appuyés par le Mouvement Social Italien – gouvernement Tambroni du printemps 1960.
  3. La distorsion n’est pas moins évidente dans le traitement réservé aux manifestations de gauche et celui des manifestations d’extrême droite. Dans la même perspective, l’impunité dont ont bénéficié jusqu’à la fin des années cinquante les assassins de dirigeants syndicaux du Mezzogiorno, meurtres commandités par les grands propriétaires fonciers, ne laisse pas de surprendre80.
  4. La faiblesse du sentiment démocratique au sein de l’armée se révèle enfin dans les tentatives de coups d’État du Général-commandant des carabiniers De Lorenzo en été 1964 et du Prince Borghese en décembre 1970, ainsi que dans le rôle obscur joué par les services secrets dans la déstabilisation de l’État après l’attentat de la Piazza Fontana de Milan en décembre 1969. L’agent serait ainsi vu, selon le magistrat Franco Providenti, « comme un corps étranger au peuple ; jeté au milieu comme force de choc au service, un temps du feudataire, ou aujourd’hui au service des nouveaux patrons81 ». Il fait d’autant plus peur qu’il apparaît de conviction démocratique douteuse et sensible à la tentation autoritaire. À la fragilité de sa légitimité, s’ajoute en Italie un usage brut de la coercition, intégrant jusqu’au milieu des années soixante-dix, blindés, tirs à balles réelles et passages à tabac.
  • 82 Pour établir ce graphique, nous avons exclusivement retenu les victimes directes des opérations de (...)

56Enfin, il n’est que de comparer les statistiques françaises et italiennes relatives aux grévistes ou manifestants victimes de la répression policière de la fin de la guerre à 1969 pour constater la distance qui, sur ce terrain, sépare les deux pays82.

Répression en France et en Italie (1947-1969)

Répression en France et en Italie (1947-1969)
  • 83 Chiffres les plus bas et recoupés par plusieurs sources.

57Au total, près de 90 manifestants ou grévistes sont morts en Italie du fait de la répression entre 1947 et 1969, 674 auraient été blessés et environ 80 000 arrêtés83. À la dureté du maintien de l’ordre, qui se poursuit en se soldant annuellement par une ou plusieurs victimes (21 entre 1970 et 1979), s’ajouteront plus tard les entorses aux droits provoquées par la législation d’exception. Rappelons enfin que cette répression directe s’accompagne d’une utilisation de la violence d’extrême droite : la « stratégie de la tension » devient l’une des ressources à disposition, à côté des réformes et de la répression « conventionnelle », pour répondre à la contestation, en utilisant de façon diffuse tous les soutiens disponibles, ici la frange la plus réactionnaire du pays. Avec les conséquences que l’on sait sur les groupes d’extrême gauche.

58On peut dire qu’en se plaçant sur le strict terrain de l’ordre public (répression et utilisation de la violence d’extrême droite), les réponses gouvernementales au mouvement de contestation ont précipité la formation d’une génération politique qui, exposée à l’événement générateur symbolisé par l’attentat de Piazza Fontana, développe un ensemble d’attitudes et de comportements en rupture radicale avec l’ordre politique. Usurpateur du titre d’héritier de la Résistance, l’État se révélerait en outre miné de l’intérieur et serait en passe de présenter son vrai visage, tandis que le PCI se voilerait la face. Se profile la seconde rupture avec la politique conventionnelle : le progressif divorce avec le représentant légitime du mouvement ouvrier, le Parti Communiste.

Les stratégies contrastées des partis communistes français et italien

Compromis historique ou alternance ?

59Que l’État italien ne jouisse, depuis son origine, que d’une légitimité chancelante et partielle, qu’il fasse montre de maladresse et d’incohérence dans ses réponses à la contestation ne suffit à expliquer ni le succès des groupes d’extrême gauche enclins à l’action violente, ni l’engagement ultérieur d’une partie de leurs militants dans une guerre ouverte contre les institutions. Si l’année 1969 constitue, à leurs yeux, une date charnière en ce qui concerne les représentations d’un État qui, d’adversaire, devient nettement ennemi, un simple regard sur les différentes étapes de radicalisation violente nous révèle combien elles sont fortement conditionnées par la stratégie du PCI, c’est-à-dire par ce qui apparaît aux protagonistes comme une renonciation toujours plus explicite du « grand frère » à assumer son rôle d’alternative au système.

60C’est cette rencontre entre la critique de l’État et l’éloignement d’une perspective de changement pacifique qui donne sa force au phénomène armé. Ainsi que le constate Donatella Della Porta,

  • 84 Donatella Della Porta, « Le cause del terrorismo nelle società contemporanee, riflessioni sulla li (...)

« […] le terrorisme trouve un meilleur terrain de croissance là où les institutions étatiques ont été incapables d’accueillir les instances de changement mûries dans la société civile. La dégénérescence des mouvements sociaux dans la violence semble avoir été plus fréquente, par exemple, là où le gel des oppositions (Japon et Italie) ou une politique de grandes coalitions entre le centre et la gauche (RFA et, encore, Italie) ont bloqué les changements et, dans tous les cas, diffusé la perception de l’impraticabilité d’une alternative à travers les mécanismes institutionnels de la négociation collective.84 »

  • 85 Chiffres repris à l’article de Giordano Sivini, « Le parti communiste, structure et fonctionnement (...)

61Certes, là encore, la critique du « révisionnisme » des communistes n’est pas propre à l’extrême gauche italienne. Elle se déploie également en France avant, pendant et après Mai 68, sur le thème de la « trahison » des appareils traditionnels, trahison responsable pour tout ou en partie de l’échec révolutionnaire. La méfiance croissante des jeunes communistes à l’égard du parti s’est traduite, de part et d’autre des Alpes, par l’hémorragie des rangs de ses organisations de jeunesse : l’Union des Étudiants Communistes tombe à un millier d’adhérents en 1966, contre 4 000 en 1964, la Federazione Giovanile Comunista Italiana passe de 358 126 inscrits en 1956 à 125 000 en 1968, pour atteindre son niveau le plus bas en 1970 avec 66 451 inscrits85. Exclus ou dissidents nourriront ensuite les groupes d’extrême gauche : JCR et UJCML en 1966, Il Manifesto en 1969…

62Dans les deux pays, les partis communistes exerçaient sans doute une « fonction tribunitienne » : d’une part, en légitimant les règles du jeu démocratique par leur légalisme sans faille et leur aversion pour le désordre, d’autre part, en canalisant et en disciplinant les luttes sociales. Ils constituent donc un instrument du système pour vivre avec les clivages tout en déviant les virtualités révolutionnaires. Ainsi, pour Georges Lavau,

  • 86 In Cahiers de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Le communisme en France, Paris, Arma (...)

« […] le parti communiste a capté, régularisé et socialisé cette marge de protestataires qui existe dans toutes les sociétés. Ne serait-ce que par là, en politisant une protestation instable et en ordonnant une violence latente, il exerce une fonction de légitimation et de stabilisation du système politique.86 »

  • 87 Georges Lavau, À quoi sert le parti communiste français ?, Paris, Fayard, 1981, p. 343.

63Cette fonction tribunitienne assurerait aux partis communistes suffisamment de bénéfices pour qu’ils ne cherchent plus « réellement à prendre le pouvoir87 ».

64Par ailleurs, la puissance électorale des deux partis, qui recueillent aux législatives l’un 22,4 % (PCF, 1967), l’autre 27 % (PCI, 1968) ne rend que plus aiguë leur impuissance politique à assurer une relève politique au point que l’on peut parler de blocage total du système. L’absence d’alternance de gauche tient à l’échec des alliances de type Front Populaire et à l’isolement des communistes, qui conduit les socialistes italiens à s’allier depuis 1963 avec les démocrates-chrétiens dans des gouvernements de centre-gauche. Mais les ressemblances s’arrêtent là.

65Même si les partis communistes occupent la seconde place en termes électoraux, les perspectives et les conditions à remplir pour accéder au pouvoir sont très divergentes, tant en raison de la structure du système partisan que de leur stratégie. En France, il est loisible de penser que la position dominante de l’UNR, largement tributaire de la popularité du Général De Gaulle, s’affaiblira avec la disparition du chef fondateur, d’autant que la coalition au pouvoir donne déjà, au lendemain des événements, des signes de tension ; la nette polarisation droite/gauche du système partisan, aidée par le mode de scrutin, favorise en outre le rapprochement entre les partis de l’opposition. Ainsi le PCF se prononce-t-il, lors de son XVIIe Congrès (1964), en faveur d’une unité d’action avec les socialistes, unité réalisée en 1972 par la signature du programme commun.

  • 88 Percy Allum, Italy. Republic without Government ?, London, Weidenfeld & Nicolson, 1973, p. 178-179
  • 89 Giovanni Sartori, « Il caso italiano : salvare il pluralismo e superare la polarizzazione », in Ri (...)

66En Italie en revanche, la DC se présente depuis la naissance de la République comme un parti dominant qui, fort d’un minimum de 38 % des voix, reste le pivot de toutes les formules gouvernementales de coalition. Il s’agit, par ailleurs, d’un parti hétéroclite et interclassiste qui mobilise de la droite conservatrice au centre-gauche. En face, le PCI, privé d’alliés depuis la participation socialiste au pouvoir à partir de 1963, reste totalement isolé. La situation de blocage apparaît telle qu’elle conduit certains chercheurs à faire preuve d’un pessimisme absolu quant à l’avenir de la péninsule ; c’est le cas de Percy Allum qui envisage, au début des années soixante-dix, l’éventualité d’un coup d’État88, ou de Giovanni Sartori pour lequel l’alternance entraînerait une réaction militaire de type chilien si son pays n’avait cette « vocation transformiste » déjà évoquée89.

  • 90 Enrico Berlinguer, « Riflessioni sull’Italia dopo i fatti del Cile », in Antonio Tato (dir.), La q (...)
  • 91 Alberto Asor Rosa, « La cultura politica del compromesso storico », in Laboratorio politico, Anno (...)

67La comparaison entre l’Italie et le Chili n’a rien de fortuit. C’est le coup d’État de Pinochet en 1973 qui amène Enrico Berlinguer à élaborer la stratégie du « compromis historique » avec la Démocratie Chrétienne : les caractéristiques économiques et sociales du pays, en particulier l’« arriération » culturelle et le poids du catholicisme, rendraient impossible l’exercice du pouvoir à une majorité de gauche, quand bien même celle-ci remporterait 51 % des suffrages, mais exposeraient l’Italie à une riposte réactionnaire que seul « un nouveau grand “compromis historique” entre les forces qui recueillent et représentent la grande majorité du peuple italien », c’est-à-dire une alliance avec la DC, pourrait éviter90. Ainsi, malgré le score qu’il atteint aux législatives de juin 1976 (34,4 %), le PCI décline-t-il toute perspective d’alternance et, contre un droit de regard sur le programme gouvernemental, il s’engage à ne pas provoquer la chute du gouvernement Andreotti ; c’est le « gouvernement de non défiance », suivi jusqu’en 1979 par les « gouvernements de solidarité nationale ». Pour preuve de sa bonne volonté, il multiplie les concessions : sur le plan extérieur, il accepte en 1975 le maintien de l’Italie au sein de l’OTAN ; sur le plan intérieur, il se rallie à la politique économique d’austérité en offrant « la garantie d’un contrôle social91 » sur la classe ouvrière et se fait le défenseur le plus zélé des lois d’exception. La perspective d’alternance qui se dessine peu à peu en France avec l’union de la gauche, offrant aux militants d’extrême gauche un espoir et des voies de participation politique conventionnelle, apparaît donc exclue en Italie. Aussi la poursuite de la stratégie du compromis historique signe-t-elle la rupture définitive avec les groupes d’extrême gauche :

  • 92 Paolo Virno, rédacteur de la revue Metropoli, fut parmi les inculpés du 7 avril 1979. Son texte «  (...)

« Le compromis historique en Italie tailla à coups de serpe, refusant toute légitimité à ce qui échappait ou s’opposait à la nouvelle forme corporatiste de régulation des conflits […]. Dorénavant, le thème du “débouché politique” par une gestion alternative de l’État se confondit avec le “modérantisme” de la politique du PCI […] ; pour beaucoup, l’équation lutte politique = lutte armée apparut comme la seule réponse réaliste à l’étau dans lequel le compromis historique avait enfermé le mouvement.92 »

68Car l’extrême gauche tire du coup d’État chilien des leçons radicalement opposées à celles du PCI. Les slogans entendus lors des manifestations d’extrême gauche sont à cet égard éloquents :

« Camarade Berlinguer, ils te le disent du Chili/Que le compromis historique ils le font avec le fusil »,
« Le peuple du Chili prendra la mitraillette en main/Et toi camarade Allende tu ne seras pas mort en vain »…

  • 93 Jacques Levesque in Marie-Blanche Tahon et André Corten (dir.), L’Italie : le philosophe et le gen (...)
  • 94 Alors que les actions étaient auparavant symboliques, la séquestration du juge Sossi par les Briga (...)

69L’acheminement du parti vers le pouvoir « paraît inéluctable quand arrive l’affaire Moro, qui est perçue par le PCI comme pouvant mettre en péril sa stratégie politique, et comme dirigée contre lui.93 » Aldo Moro était en effet l’artisan de la concrétisation du rapprochement entre son parti, la DC, et le PCI ; il est d’ailleurs enlevé par les BR le jour même où il allait le formaliser au Parlement. Ce n’est donc pas l’effet d’une simple coïncidence si la période de théorisation du « compromis historique » (1973-1975) est aussi celle du progressif basculement des premiers groupes clandestins vers la lutte armée94 ; celle-ci se déployant entre les deux échéances électorales de 1976 et 1979, pour culminer avec l’enlèvement d’Aldo Moro.

70Toutefois, l’originalité de la stratégie du compromis historique ne doit pas être surévaluée. Si elle trouve sa naissance officielle au lendemain du coup d’État chilien, elle s’inscrit parfaitement dans l’histoire de la « voie italienne au socialisme », c’est-à-dire dans l’essence même du « partito nuovo ». Berlinguer et Togliatti partagent une même préoccupation vis-à-vis des « fractures naturelles » de la société italienne, une même crainte du retour de l’autoritarisme et un même projet idéal de gouvernement : l’alliance des forces politiques sur le modèle du Comité de Libération Nationale.

  • 95 Marc Lazar, Maisons rouges. Les Partis communistes français et italien de la Libération à nos jour (...)

71Au-delà d’une radicale mais néanmoins simple divergence de stratégie électorale qui apparaîtrait au début des années soixante-dix, l’opposition entre les partis communistes français et italien nous semble donc beaucoup plus fondamentale. Comme l’a bien montré Marc Lazar, elle engage à la fois deux modèles de parti – un parti bolchevique de masse et un « parti de masse à géométrie variable » ; deux cultures politiques – l’ouvriérisme et le populisme ; deux types de rapports à l’État – l’extériorité et la défense des institutions ; deux styles politiques : le maintien de l’identité, au prix de l’archaïsme, contre l’adaptation, au risque de l’acculturation95. Quitte à prendre le contre-pied d’une « évidence », largement enracinée parmi les « intellectuels de gauche » français, consistant à opposer un « bon » PCI (ouvert, moderne, novateur…) et un « mauvais » PCF (sclérosé, anachronique…), nous développerons l’idée que cette malléabilité du premier n’a pas peu contribué à la radicalisation de l’extrême gauche et ce, en raison d’un double paradoxe.

  • 96 Sidney Tarrow, Sociologie du communisme en Italie, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sc (...)
  • 97 Formules gramsciennes reprises par Marc Lazar, op. cit., p. 57. Deux textes sont ici fondamentaux  (...)
  • 98 Sidney Tarrow, Sociologie du communisme en Italie, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sc (...)

72Le premier paradoxe, dégagé par Sidney Tarrow, réside précisément dans cette voie italienne au socialisme dont l’objectif : la « démocratie progressive », et le moyen : le « parti nouveau », tranchent avec les potentialités d’existence, au sortir de la guerre, d’un « parti extrémiste de gauche »96. Influencé par les analyses gramsciennes sur la société civile italienne, Togliatti avait fondé la « stratégie de la présence » du PCI sur la nécessité d’intégration et d’alliances de la classe ouvrière avec les paysans et les classes moyennes, pour engager une « guerre de position » dans les « tranchées et fortifications » de la société civile avant que de penser, à l’instar de son homologue français, à une « guerre de mouvement97 ». « Organisateur culturel d’un nouveau bloc historique et arbitre des compromis entre alliés de classes98 », le parti va s’employer à la fois à décourager les tendances subversives du mouvement ouvrier et à rassurer les autres catégories sociales par une politique économique plutôt conservatrice dans les collectivités territoriales qu’il contrôle. De la nécessité d’alliances sociales à celle d’alliances politiques avec la DC, parti catholique interclassiste bien implanté dans le Mezzogiorno, il n’y avait qu’un pas que franchit Togliatti, après le « tournant de Salerne », lors de la conférence de Bergame le 20 mars 1964.

73Second paradoxe que l’on ne retrouve pas en France : l’absence d’alternance s’accompagne d’une absence d’opposition c’est-à-dire, précise Alessandro Pizzorno, que « nous avons en même temps le gel formel de l’opposition et son insertion rampante dans les centres de pouvoir », dans la mesure où

  • 99 Alessandro Pizzorno, I soggetti del pluralismo, Bologna, Il Mulino, 1980, p. 141. Joseph La Palomb (...)

« […] progressivement, le parti communiste, tant au niveau parlementaire qu’au niveau des administrations locales et des structures de la société civile en général, a acquis des pouvoirs qui l’ont rendu toujours plus coparticipant de responsabilités et d’implications dans le fonctionnement du système.99 »

  • 100 Yves Mény, Politique comparée, Paris, Montchrestien, 1987, p. 85.

74Une telle fluidité des frontières de la majorité et de l’opposition contribue au caractère byzantin de la politique italienne si étranger à l’observateur extérieur. Elle tient de l’originalité conjointe du PCI et du régime des partis, qui réintègre les exclus officiels de la sphère gouvernementale au moyen de leur « participation subalterne » au pouvoir, par le truchement des commissions parlementaires, des collectivités territoriales et surtout du « sotto-governo » : partage des postes-clef de l’économie, de l’administration, du secteur culturel, etc. Notant que c’est en RFA et en Italie que l’intégration des partis au sein de l’État est la plus poussée, Yves Mény conclut qu’il n’est « pas étonnant que les formes les plus vigoureuses et violentes de cette contestation de “l’État des partis” soient apparues dans ces deux pays.100 »

  • 101 Arend Lijphart, The Politics of Accomodation, Berkeley, University of California Press, 1968.
  • 102 Gianfranco Pasquino, La prova delle armi, Bologna, Il Mulino, 1984, p. 175 sqq.

75Cette gestion néo-corporative du politique a amené certains chercheurs à appliquer à l’Italie le concept de « démocratie consociative » dégagé par Arend Lijphart101. En dépit de certaines ressemblances – clivages au sein de la population et institutionnalisation du compromis des élites qui se traduit par l’absence d’alternance, rôle fondamental des partis –, l’analogie est sans doute excessive et doit être tenue pour ce qu’elle est : une image intellectuellement stimulante. Nul doute, en revanche, que le compromis historique poursuit et s’insère dans la logique transformiste du système politique italien, comme le fut en son temps la main tendue des démocrates-chrétiens aux socialistes, sauf qu’ici, l’initiative vient de l’opposition parlementaire : l’élargissement du consensus, rendu impératif sous la pression sociale de 1962 et du cycle de luttes ouvert en 1969, s’opère, une fois encore, par l’absorption officielle (gouvernements de centre-gauche) ou officieuse (pour le PCI) des élites rivales dans le fonctionnement de l’État. Réalisé, le compromis historique aurait mis fin à la conventio ad excludendum qui le frappe depuis la naissance de la République. Mis en échec, il a légitimé et intégré le « parti anti-système ». Dans un cas comme dans l’autre, était exclue toute alternance de gauche. L’« épreuve des armes », pour reprendre l’expression de Gianfranco Pasquino, commence, en réaction au blocage du système politique et à l’art du compromis des élites102.

Les partis communistes face à la contestation

76L’opposition entre les partis communistes français et italien se retrouve en partie dans l’attitude qu’ils adoptent à l’égard des groupes d’extrême gauche, comme nous avons le voir à travers l’examen de leurs publications et positions officielles sur la question des mobilisations étudiantes. L’un et l’autre sont également menacés par une contestation qui les déroute et les déborde sur leur gauche.

  • 103 Cf. Danielle Tartakowsky, « Le PCF en mai-juin 1968 », in René Mouriaux et al., 1968 : exploration (...)
  • 104 Jeanine Verdez-Leroux, Le réveil des somnambules, Paris, Fayard, 1987, p. 191. Souligné par l’aute (...)
  • 105 René Andrieu, Les communistes et la révolution, Paris, 10/18, 1968, p. 85.
  • 106 Réunions du Comité central du 8-9 juillet et du 5-6 décembre 1968. Citées par Marc Lazar, « Révolt (...)

77Le PCF fait preuve d’une défiance immédiate et sans faille pour un mouvement considéré comme « petit bourgeois » dont il condamne l’« aventurisme » en des termes parfois lourds de connotations ; ainsi la stigmatisation de l’« anarchiste allemand » par L’Humanité du 3 mai 1968, ou le tract dénonçant ensemble « les gauchistes et les fascistes [qui] font le jeu du pouvoir103 ». Même s’il infléchit sa position à partir du 8 mai, en affirmant sa solidarité avec les étudiants victimes de la répression et en soutenant la grève générale, il ne se départira jamais fondamentalement, sauf au détour d’une phrase, de cette aversion presque viscérale pour une contestation qui lui est étrangère tant par son style que par ses analyses. L’explosion de 1968 est en soi suspecte dans la mesure même où elle échappe aux schémas communistes classiques des mouvements sociaux. Comme le souligne Jeanine Verdez-Leroux, « face à des événements imprévus et incontrôlables, a joué d’abord un réflexe commun qui s’enracinait dans les vieilles habitudes staliniennes du parti français : tout ce qui n’est pas maîtrisé par le parti est dangereux104 ». Elle l’est ensuite dans sa dynamique du désordre et du spontanéisme qui heurte la culture d’ordre et de discipline du PCF. Elle mériterait de ce fait « les reproches que Lénine dans “La maladie infantile” faisait à la petite-bourgeoisie : dispersion, instabilité, inaptitude à la fermeté, à l’action conjuguée, individualisme, passage de l’enthousiasme à l’abattement.105 » Elle irrite enfin par sa phraséologie et sa mystique révolutionnaires qui, en tout état de cause, ne sont pas d’actualité aux yeux du parti. Car, quoi qu’en ait dit l’extrême gauche, la situation, pour le PCF, n’était objectivement pas révolutionnaire, en raison des soutiens politiques et militaires dont disposait le pouvoir gaulliste, de la fragilité de l’unité des forces de gauche et de l’indisponibilité de la classe ouvrière qui reste le sujet révolutionnaire106. Au grand dam des gauchistes qui crient à la trahison, le PCF choisit en conséquence la voie démocratique en appelant, le 18 mai, à la formation d’un « gouvernement populaire d’union démocratique ».

  • 107 Claude Prévost, Les étudiants et le gauchisme, Paris, Éd. sociales, 1969, p. 43.

78Mais le choix en faveur d’une stratégie électorale ne signifie pas que le PCF abdique sa qualité de parti révolutionnaire. Aussi s’engage-t-il dans une lutte de classement, sur le terrain révolutionnaire, avec les « gauchistes ». L’ouvrage de Claude Prévost, Les étudiants et le gauchisme, est révélateur de la posture de son parti, posture opposée terme par terme à l’attitude « gauchiste ». Le PCF se présente comme un parti responsable, proposant des revendications précises, et non pas une contestation diffuse, « concept [qui] vient tant bien que mal remplir le vide politique et théorique107 ». Il se dit « scandalisé », avec les paysans et la classe ouvrière, de « ces accès de destruction » que sont les barricades, où il voit le signe que les étudiants « idolâtrent » la marchandise en retournant contre elle une « fureur sacrée ». Il met l’accent sur le « contraste » entre la « dévastation d’un côté, [l’] ordre impeccable de l’autre […] », qui lui permet d’affirmer son caractère révolutionnaire tout en le déniant aux « gauchistes » :

  • 108 Ibid., p. 105-106.

« D’un côté l’arbitraire destructeur de privilégiés qui se conduisent en propriétaires de droit divin d’une richesse constituée grâce au travail de la classe ouvrière, de l’autre une classe qui veille au patrimoine national qu’elle rêve de remettre à la nation, parce qu’elle est authentiquement révolutionnaire.108 »

79Malentendus sur la conception de la révolution et luttes de classements au sein de la gauche – que la réunion de Charléty marque bien –, se sont donc succédé en mai pour empoisonner les rapports entre le parti et les étudiants. Le PCF les rendra d’ailleurs responsables de l’échec électoral par le spectre de la guerre civile que leur comportement extrémiste aurait agité. La leçon qu’il tire des événements de 1968 est nette :

  • 109 Laurent Salini, Le mai des prolétaires, Paris, Éditions Sociales, 1969, p. 133.

« Les nouveaux progrès du mouvement ouvrier passent pas la défaite politique du gauchisme en tant que courant politique.109 »

  • 110 Pour une analyse des articles de Rinascità et de L’Unità consacrés à l’agitation étudiante, voir R (...)
  • 111 Rinascità du 1er mars 1968.
  • 112 Rinascità du 12 avril 1968.
  • 113 Rinascità du 3 mai 1968. Ce qu’il fait par ailleurs en recevant certains leaders d’extrême gauche.
  • 114 Rinascità du 7 juin 1968.
  • 115 Rossana Rossanda, L’anno degli studenti, Bari, De Donato, 1969, p. 120. Cette intellectuelle commu (...)

80L’attitude du PCI ne diffère guère dans un premier temps. Il aborde les premiers mois de la contestation étudiante avec une logique de stigmatisation équivalente à celle du PCF, la traitant durant l’année 1967 d’« extrémisme infantile », de « doctrinarisme abstrait », voire de « fasciste »110. Cecchi accuse même Potere Operaio de « gauchisme anarcho-syndicaliste et petit bourgeois, fondamentalement qualunquiste111 ». Mais, à la différence de son homologue français, le parti italien est plus ouvert à la fois au débat interne et aux évolutions de la société. C’est ainsi que se font jour, à partir de mars 1968, des divergences d’analyse couronnées, l’été suivant, par un changement de ligne radical. Deux « écoles » s’opposent sur l’attitude à adopter face au mouvement étudiant : Luigi Longo, constatant que la mobilisation a le mérite de favoriser une politisation à gauche des jeunes, préconise dès avril 1968 de ne plus lui « donner de leçons112 » et même d’engager des « contacts de collaboration et d’entente dans l’action113 ». Assez isolé, Giorgio Amendola lui demeure hostile et appelle à une « lutte sur deux fronts » : l’extrémisme et l’anarchisme114. La question est tranchée au cours de l’été, sous l’influence des enseignements du Mai français et de la publication de L’anno degli studentide Rossana Rossanda. Par sa dénonciation de l’impréparation du PCI à comprendre un phénomène qui témoignerait d’une « crise d’hégémonie de la part du mouvement ouvrier115 », ce livre aura de grandes conséquences sur la stratégie communiste vis-à-vis des mouvements de masse : refus de leur mise sous tutelle du parti et reconnaissance de leur autonomie ; éloge du spontanéisme… Deux congrès viendront ensuite formaliser ce changement : le congrès d’Ariccia (29 novembre-2 décembre 1968), qui assigne au PCI une fonction de « radicalisation contrôlée des luttes » et de gestion des conflits sur le plan institutionnel ; le XIIe congrès de Bologne (8-15 février 1969) qui développe l’idée d’un lien entre les luttes sociales et l’action parlementaire.

  • 116 Voir Giorgi Galli, Il bipartismo imperfetto, Bologna, Il Mulino, 1966, p. 45 ; et Donald Blackmer, (...)

81Mais cette adaptation du PCI à la contestation n’est exempte ni d’ambiguïté ni d’effets pervers. Le parti ne peut en effet longtemps faire le grand écart entre un appui tactique au gauchisme qui alimente la poussée contestataire et une stratégie de reconnaissance institutionnelle. D’où des volte-face et des contradictions qui tranchent avec l’intransigeance sans faille du PCF et mettent en doute sa sincérité tant à l’égard du système politique qu’à l’égard des groupes d’extrême gauche. À vouloir à la fois rassurer ses partenaires politiques quant à sa respectabilité démocratique et « récupérer » le mouvement étudiant en s’ouvrant aux nouvelles aspirations révolutionnaires, le PCI s’expose aux suspicions et aux critiques des deux bords qui voient dans son attitude de conciliation des extrêmes une nouvelle illustration de sa « duplicité ». La dénonciation de la « duplicité » qui le caractériserait n’est du reste pas l’apanage de ses adversaires, puisque la qualification reçut ses lettres de noblesse « scientifique » de politistes fameux comme Giorgio Galli ou Donald Blackmer, lequel va jusqu’à définir la voie italienne au socialisme comme une « schizophrénie institutionnalisée116 ».

  • 117 Publié dans le supplément « Contemporaneo » de Rinascità de mai 1968. Cité par Domenico Settembrin (...)
  • 118 « C’est vraiment nous qui pendant des années avons travaillé dans les différents secteurs pour cré (...)
  • 119 Rinascità du 21 juin 1968.

82Cette ambiguïté est perceptible dans son appréciation même de la violence, dont nous avons vu qu’elle était légitimée par l’extrême gauche à la fois idéologiquement et comme praxis à travers la réactivation du thème de l’antifascisme. L’entreprise de réhabilitation de la stratégie révolutionnaire par le parti commence à la veille des élections législatives de mai 1968, quand Luigi Longo rencontre Oreste Scalzone et juge positif « le mouvement étudiant dans la lutte anticapitaliste » « car il s’est qualifié largement comme un mouvement subversif »117. Les étudiants italiens se voient ensuite clairement intégrés dans la famille communiste par Enrico Berlinguer, qui va jusqu’à attribuer au PCI la paternité de la contestation118, et par Achille Occhetto qui, dans un article intitulé « Insurrection et voie démocratique », les compare pêle-mêle aux sans-culottes, aux assaillants du Palais d’Hiver, aux partisans et enfin aux combattants du FLN vietnamien. Il y décrit en outre les différentes phases insurrectionnelles en des termes qu’aucun gauchiste ne désapprouverait : lutte démocratique menée « jusqu’aux limites de supportabilité du système », poussant la bourgeoisie à « changer de terrain de lutte » pour arriver, ultime étape, à « la forme obligée de la lutte révolutionnaire » : l’insurrection119. Mais il revient à Luigi Longo, en décembre 1968, d’expliquer dans une interview au quotidien communiste Rinascità :

  • 120 28 décembre 1968.

« Nous n’avons jamais conçu la voie italienne vers le socialisme comme une voie purement parlementaire. Dans notre conception comme dans notre action politique, elle est une voie de grandes luttes populaires et de masse […]. Nous voulons que ces luttes se développent sur le terrain démocratique. Mais nous avons ajouté et nous ajoutons que, là où l’adversaire aurait recours à la violence avec l’illusion de pouvoir étouffer le mouvement rénovateur, il nous trouverait prêts et décidés à le combattre et à le battre aussi sur ce terrain.120 »

  • 121 Cf. L’Unità du 23 janvier 1969.
  • 122 Ainsi Franco Antonicelli estime que le mouvement de 1968 a réveillé les espoirs de la Résistance, (...)
  • 123 Cité par Settembrini, op. cit., p. 354-355.

83Aussi le parti dénonce-t-il avec vigueur la répression dont le mouvement étudiant fait l’objet et soutient-il même des actions illégales comme le blocage des routes et des voies ferrées121. Mais les accents révolutionnaires retrouvés chez les dirigeants communistes ne constituent pas, pour les partis au pouvoir, l’unique signal du « double langage » que tiendrait le PCI à l’endroit du système politique. La référence des groupes d’extrême gauche à la Résistance, référence qu’il accepte voire reprend122, n’est pas sans rappeler, en effet, les opérations de délégitimation de l’État démo-chrétien entreprises par le PCI dans les années cinquante, quand le gouvernement De Gasperi était accusé de « masquer une dictature » et, plus généralement, le « gouvernement clérical » d’avoir des desseins convergents avec le « mouvement pour la restauration du fascisme et de la monarchie123 ». Togliatti lançait d’ailleurs au Comité Central l’avertissement suivant :

  • 124 L’Unità du 12 juin 1958, cité par Settembrini, op. cit., p. 357.

« Rappelez-vous que tant que le pouvoir est dans les mains de la bourgeoisie, le groupe dirigeant bourgeois est disposé, pour dépasser ses propres contradictions, à n’importe quel crime contre la démocratie, à n’importe quel délit contre la volonté populaire. Il faut être prêts à voir l’ennemi et à le combattre avec les armes adéquates.124 »

  • 125 La « Volante Rossa » fut, avec les groupes « Bandiera Rossa » et « Stella Rossa », une organisatio (...)

84Ces ressemblances troublantes, que d’aucuns ont la perfidie de lui rappeler en parlant d’« album de famille » au moment même où le parti, engagé dans la stratégie du compromis historique, appelle à la répression des groupes armés, lui sont évidemment fort dommageables, d’autant qu’elles réveillent certaines zones d’ombre qu’il préférerait oublier ; en particulier l’utilisation des membres de la « Volante Rossa », officiellement liquidée, dans le service d’ordre et le bras clandestin qu’il maintient alors125.

  • 126 Giorgio Napolitano, in L’Unità du 21 mai 1972.

85Une clarification s’impose au PCI, coincé entre la radicalisation des groupes d’extrême gauche et sa stratégie de reconnaissance institutionnelle. Elle passe, d’abord, par une désolidarisation progressive de l’« aventurisme provocateur » des « groupes soi-disants révolutionnaires » dont il est affirmé que, désormais, « notre condamnation à leur égard est nette et profonde »126. Un militant de Lotta Continua raconte :

  • 127 Interview parue dans La Repubblica du 21 septembre 1977.

« En un an, tout a changé, toutes les portes se sont fermées […]. Le parti ne nous donnait pas une couverture officielle, mais il nous prêtait les camions, les drapeaux, les hauts-parleurs “avec les salutations de la fédération”. Et nous, nous avons fait la campagne électorale pour le PCI, nous lui avons apporté le vote des jeunes. Puis, brusquement, ils nous ont dit : ou avec nous ou contre nous.127 »

86Elle suppose ensuite que soient sapées les bases de la légitimation de la violence à travers la filiation historique à la Résistance, dont le parti s’estime le premier dépositaire :

  • 128 L’Unità du 10 décembre 1974.

« [La voie de l’action armée], à partir du moment où elle est déracinée de toute motivation profonde qui en faisait, comme dans la Résistance, un devoir moral, une lutte du peuple, une action de masse, devient une aberrante folie provocatrice qui conduit à se placer sur le même terrain que les pires ennemis des travailleurs et du peuple.128 »

87Dans la logique du compromis historique, c’est ensuite l’essence unitaire de la Résistance qui est invoquée par Giorgio Amendola pour rendre illégitime son utilisation, par les groupes d’extrême gauche, contre la Démocratie Chrétienne :

  • 129 L’Unità du 11 mai 1976.

« Qui a enseigné aux jeunes que Démocratie Chrétienne et fascisme sont la même chose ? […] Qui a enseigné aux jeunes que la Résistance a été “rouge” et non “tricolore” ?129 »

  • 130 Pour une illustration, voir les propos tenus par le responsable CGIL Gianni Celata dans Sindacato (...)
  • 131 Voir les commentaires du communiste Lucio Libertini, La generazione del sessantotto, Rome, Ed. Riu (...)

88La rupture entre le PCI et l’extrême gauche est définitivement consommée en 1977. Ce changement radical s’explique, non seulement par la stratégie de compromis historique qui se développe, mais aussi par l’évolution des protestataires à l’égard du parti. Les militants de 68 venaient pour beaucoup du PCI, qu’ils contestaient, certes, mais au nom de ses valeurs. En revanche, pour ceux de 77, plus jeunes, le PCI, qui a été intégré officieusement dans les institutions, ne diffère pas des partis conventionnels : il appartient au « système » qu’ils rejettent. Dans une veine identique à celle du PCF confronté aux « gauchistes » de Mai 68, le mouvement de 77 est officiellement analysé par le PCI comme un conflit entre classes sociales, bourgeois ou marginaux d’un côté, classe ouvrière de l’autre130. Indignes socialement, les « avant-gardes névrotiques » le sont également politiquement puisqu’elles seraient devenues « nihilistes », « irrationnelles », et se révéleraient « de racine catholique »131

La révolte de la jeunesse scolarisée

La révolte de la jeunesse scolarisée

Tract 7 : Affiche de Mai 68.

Tract 9 : Affiche de Mai 68.

L’alliance intellectuels/ouvriers

L’alliance intellectuels/ouvriers

Tract 9 : Affiche de Mai 68.
Deux images exemplaires de la jonction étudiants-« peuple » appelée de leurs vœux par les groupes d’extrême gauche. Remarquer les outils de travail, qui font le réalisme du style, et l’agressivité de la posture.

Tract 10 : Vive la Révolution, n° 2, décembre 1969, p. 1.

Notes

1 Carlo Donolo, « Politicizzazione e crisi di legittimità », in Quaderni di sociologia, volume XIX, n° 3-4, juillet-décembre 1970, p. 302.

2 Ted Gurr, Why Men Rebel, Princeton, Princeton University Press, 1970, p. 320.

3 Gabriel A. Almond et George Bingham Powell, Comparative Politics, Boston-Toronto, Little Brown, 1978, p. 25.

4 Gabriel A. Alwond et Sidney Verba, The Civic Culture (1963), Newbury Park, Sage publications Inc., 1989, p. 308. Voir également Joseph La Palombara « Italy : fragmentation, isolation, alienation », in L. W. Pie et Sydney Verba Political Culture and Political Development, Princeton, Princeton University Press, 1965, p. 282.

5 Des exemples sont donnés, pour l’Italie, par Almond et Powell, op. cit., p. 54-62 et p. 142-167 et par Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 59-61 ; pour la France par Daniel Gaxie, Le cens caché, Paris, Seuil, 1978, p. 105 sqq., p. 164 sqq.

6 Contre 85 % des Américains, 30 % des Mexicains et 7 % des Allemands. Cf. Almond et Verba, op. cit., p. 64.

7 Gabriel Almond et Sidney Verba (dir.), The Civic Culture Revisited, Boston, Little brown, 1980. Pour un exemple des critiques qu’ils ont suscitées, voir Bertrand Badie, Culture et politique, Paris, Economica, 1983, p. 43-57.

8 Cf. Annick Percheron et al., Les 10-16 ans et la politique, Paris, PFNSP, 1978 ; Alessandro Oppo, I giovanni d’oggi di fronte alla società, Roma, Indagini e documentazioni sociali, 1973 ; Joseph La Palombara, Clientela e parentela, Milano, Ed. di comunità, 1967, p. 69-75.

9 Contre 75 % des Américains, 62 % des Anglais et 38 % des Allemands et des Mexicains. Cf. Almond et Verba, The Civic Culture, op. cit., p. 142.

10 Carlo Donolo, « Politicizzazione e crisi di legittimità », in Quaderni di sociologia, vol. XIX, n° 3-4, juillet-décembre 1970, p. 300-302.

11 Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 50.

12 Jurgen Habermas, L’espace public, Paris, Éd. de Minuit, 1983.

13 Voir en particulier l’anthropologue Carlo Tullio-Altan, La nostra Italia, arretratezza socioculturale, clientelismo, trasformismo e ribellismo dall’Unità ad oggi, Milano, Feltrinelli, 1986, p. 24.

14 Edward Banfield, Le basi morali di una società arretrata, (1958), trad. Bologna, Il Mulino, 1976, p. 38.

15 Ibid., p. 105. La thèse de Banfield a été critiquée par John Davis, « Attegiamenti morali e arretratezza economica nel Mezzogiorno », in Critica Sociologica, n° 6, été 1968, p. 5-27 et Alessandro Pizzorno, « Perché non c’é niente da fare a Montegrano », in Quaderni di Sociologia, n° 3, 1967.

16 Joseph La Palombara, Clientela e parentela, op. cit., p. 74.

17 Ibid., p. 76.

18 Distinction faite par Luigi Graziano : « La politique est « privatisée » lorsque les groupes ont un accès direct (non médiatisé) à l’autorité politique qu’ils considèrent comme un outil pour leurs objectifs particuliers. « L’étatisation de la société civile » est le processus inverse. Il se produit lorsque les partis au pouvoir parviennent à contrôler un certain nombre d’institutions sociales qui étaient auparavant autonomes. Son objectif est de limiter le rayon d’action des groupes non gouvernementaux en « occupant » les secteurs-clés dans la société civile. » « La crise d’un régime libéral-démocratique : l’Italie », in Revue Française de Science Politique, vol. 27, n° 2, avril 1977, p. 281.

19 Ces subcultures ont été analysées dans l’ouvrage classique dirigé par Giorgio Galli, Il comportamento elettorale in Italia : un indagine ecologica sulle elezioni in Italia fra il 1946 e il 1963, Bologna, Il Mulino, 1968 et par Guy Michelat et Michel Simon, Classe, religion et comportement politique, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1977. Elles se rapprochent par plusieurs points communs : une vision du monde dont la reproduction est assurée par un tissu d’organisations et des mécanismes de socialisation ; un sentiment d’appartenance et d’altérité vis-à-vis des autres (Roberto Mannheimer et Giacomo Sani, Il mercato elettorale, Bologna, Il Mulino, 1987, p. 86). La reproduction des comportements électoraux du père est de l’ordre de 77 % chez les démocrates-chrétiens et les communistes (Giacomo Sani, « Canali di comunicazione politica e orientamenti dell’elettorato », in Rivista Italiana di Scienza Politica, Anno IV, n° 2, août 1974, p. 379-382). Elle est également forte en France, puisqu’elle se situe autour de 43 % (Annick Percheron, Les 10-16 ans et la politique, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1978).

20 Karl Deutsch, « Social Mobilization and Political Development », in American Political Science Review, n° 3, septembre 1961, p. 493.

21 Giacomo Sani et Paolo Segatti, « Mutamento culturale e politica di massa », in Vincenzo Cesareo (dir.) La cultura dell’Italia contemporanea, Torino, Ed. della Fondazione Giovanni Agnelli, 1990, p. 151. Voir également la contribution de Tullio De Mauro à l’ouvrage collectif Dal’68 a oggi. Come siamo e come eravamo, Bari, Laterza, 1979, p. 167-218.

22 Lucio Colletti, Le déclin du marxisme, (1980), trad. Paris, PUF, 1984, p. 47.

23 Enquête de Rassegna Italiana di sociologia, reprise dans Mino Monicelli, L’ultrasinistra in Italia, Bari, Laterza, 1978, p. . On peut regretter le caractère très vague des catégories « monde catholique » et « monde communiste », qui ne font pas l’objet d’explicitation. Le terrorisme a fait également l’objet d’une analyse en terme de « catho-communisme ».

24 In Fabio Luca Cavazza et Stephen R. Graubard, Il caso italiano, Milano, Garzanti, 1974, p. 555-556.

25 Pierre Rosanvallon et Patrick Viveret, Pour une nouvelle culture politique, Paris, 1977, p. 65.

26 Dans un ouvrage très novateur, Giuseppe Galasso évoque ainsi une « autre Europe », méditerranéenne, qui n’aurait pas misé sur l’État, présentant ainsi, si elle n’avait été soumise, un modèle résolument alternatif de développement. L’autre Europe, Collection de l’École Française de Rome, 1993.

27 Ces études concernent la période 1958-1967. Cf. Douglas Hibbs Jr, Mass Political Violence : a Cross-National Causal Analysis, New York, Wiley, 1973 et « Industrial Conflict in Advanced Industrial Societies », in American Political Science Review, LXX (1976), n° 4, p. 1033-1058. Pour une présentation synthétique de ces travaux, Philippe C. Schmitter, « Intermediazione degli interessi e governabilità nei regimi contemporanei dell’Europa occidentale et dell’America del Nord », in Suzan Berger (dir.), L’organizzazione degli interessi nell’Europa occidentale, (1981), trad. it. Bologna, Il Mulino, 1983, p. 415-476.

28 Seymour M. Lipset, L’homme et la politique, trad. Paris, Le Seuil, 1960, p. 89.

29 Domenico Settembrini, in Renato Mieli (dir.), Il PCI allo specchio, Milano, Rizzoli, 1982. p. 346. La remarque est fréquente chez les historiens ou politistes, notamment Sabino S. Acquaviva, Guerriglia e guerra rivoluzionaria in Italia, Milano, Rizzoli, 1979, p. 24 ou Piero Ignazi, « Protesta e mugugno », in Il Mulino, n° 330, juillet-août 1990, p. 562.

30 Jacques Le Goff, « Il peso del passato nella conscienza collettiva degli italiani », in Fabio Luca Cavazza et Stephen R. Graubard, Il caso italiano, 1974, p. 545. Souligné par nous.

31 Luigi Graziano, « La crise d’un régime libéral démocratique », in Revue Française de science politique, n° 2, avril 1977, p. 283. Voir Benedetto Croce, Storia d’Italia dal 1871 al 1915, Bari, Laterza, 1942, et Giorgio Candeloro, Storia dell’Italia moderna, Milano, Feltrinelli (1970), 3e éd. 1990, vol. 1-5.

32 Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 10. À remarquer la similitude du cas italien avec le cas allemand qui, l’un et l’autre, ont eu l’expérience du fascisme et, plus tard, du terrorisme. À la suite de Stein Rokkan qui a appliqué son modèle pour expliquer le fascisme, il faudrait sans doute prolonger la réflexion pour expliquer le terrorisme à la lumière de l’histoire de la construction étatique (« Un modèle géo-économique et géopolitique de quelques sources de variations en Europe de l’Ouest », in Communications, n° 45, 1987, p. 86-98).

33 Cf. Stein Rokkan, « Dimension of State Formation and Nation Building », in Charles Tilly The Formation of National States in Western Europe, Princeton, Princeton University Press, 1975, p. 562 sqq.

34 Guy Hermet, Sociologie de la construction démocratique, Economica, 1986, p. 28-29.

35 Rosario Romano, Risorgimento e capitalismo, 1959, rééd. Bari, Laterza, 1970. Sur ces différents mouvements de protestation, voir notamment Eric Hobsbawm, Les bandits, 1969, trad. Maspero, 1972 ; Renzo Del Carria, Proletari senza rivoluzione, Roma, Savelli, 1975, t. 2.

36 Luigi Graziano, « La crise d’un régime libéral démocratique », in Revue Française de science politique, n° 2, avril 1977, p. 284, note 62.

37 D’après Sergio Romano, Histoire de l’Italie du Risorgimento à nos jours, Paris, Seuil, 1977, p. 77.

38 Carlo Tullio Altan, Populismo e trasformismo, Milano, Feltrinelli, 1989, p. 99.

39 Si le Nord se prononce massivement pour la République, le Sud, lui, fait le choix du maintien de la Monarchie, en dépit de sa compromission avec le fascisme (80 % des napolitains y sont favorables par exemple).

40 D’où le scandale provoqué par la publication, en 1991, du livre de Claudio Pavone intitulé Una guerra civile (Torino, Bollati Boringhieri). Jusque-là en effet, le terme de « guerre civile », officiellement exclu pour rendre compte des années 1943-1945, n’était utilisé que par l’extrême droite. Sur ce débat, voir Gian Enrico Rusconi, « Per una revisione storica della Resistenza », in Micromega, n° 5, 1991, p. 25-34.

41 Pietro Calamandrei, Dieci anni dopo, Bari, Laterza, 1955, p. 215.

42 Alexander Mitscherlich, Le deuil impossible, trad. Paris, Payot, 1972.

43 Expressions de militants interviewés par Diego Novelli et Nicola Tranfaglia in Vite sospese, Milano, Garzanti, 1988, p. 81 et 86.

44 Carlo Donolo, « Politicizzazione e crisi di legittimità », in Quaderni di sociologia, n° 3-4, juillet-décembre 1970, p. 276.

45 Cette filiation est analysée dans notre article « La Résistance comme référence légitimatrice de la violence », in Politix, n° 17, 1992, p. 86-103.

46 Voir notamment, Pietro Secchia, I comunisti e l’insurrezione, Roma, Éd. Culture sociale, 1954 ; et Roberto Carli-Ballola, La resistenza armata, Milano, Ed. del Gallo, 1965.

47 Minutes du procès d’Alain Geismar, Paris, Éd. Hallier, 1970, p. 61. Voir également l’ouvrage Vers la guerre civile, Paris, Éd. et publications premières, 1969, p. 362-363.

48 Henri Weber, Vingt ans après, op. cit., p. 74.

49 Alain Geismar, L’engrenage terroriste, Paris, Fayard, 1981, p. 53.

50 À la suite de nombreux auteurs, nous considérons, en effet, qu’il y a trois « générations » soixante-huitardes : la première, politisée avant les événements, de matrice essentiellement communiste et qui fournira la majeure partie des leaders ; la seconde, qui se politise durant les événements qu’elle vit, et la troisième, qui était trop jeune pour y être et rejoint les groupes d’extrême gauche au début des années soixante-dix. Cf. Stéphane Courtois, « Le joli mois de mai… », in Communisme, n° 18-19, 1988, p. 224-235 et Daniel Bertaux, Danièle Linhart et Béatrice Le Wita, « Mai 68 et la formation de générations politiques en France », in Le Mouvement social, n° 143, avril-juin 1988, p. 75-89.

51 Sans compter que l’exercice de délégitimation de De Gaulle était, sur ce terrain, fort délicat… Sur les analyses de la « fascisation de l’État », voir par exemple l’article d’André Glucksmann, « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie » in Les temps modernes, n° 310 bis, 1972, p. 292 et le débat reproduit dans l’ouvrage collectif Le gaullisme et après ? État fort et fascisation (Paris, Maspero, 1974) entre les trotskistes Jean-Marie Brohm (« La crise de l’État fort », p. 15-29 et « Fascisme et fascisation. Débat sur la nature de la période », p. 49-79) et Jean-Yves Touvais (« Vers un IVe Reich ? », p. 30-48).

52 Alberto Melucci, L’invenzione del presente. Movimenti, identità, bisogni individuali, Bologna, Il Mulino, 1982, p. 110.

53 Connue sous le nom de « piano Solo ». Cf. Giorgio Galli Storia del partito armato, Milano, Rizzoli, 1986, p. 11.

54 Nom de deux villes où des manifestants trouvèrent la mort dans le cadre d’un mouvement syndical de protestation, respectivement en décembre 1968 et avril 1969. L’opposition demanda le désarmement de la police et un débat s’engagea sur la politique de maintien de l’ordre.

55 Le terme est emprunté à Luigi Manconi, « Il nemico assoluto. Antifascismo e contropotere nella fase aurorale del terrorismo di sinistra », in Raimondo Catanzaro (dir.), La politica della violenza, Bologna, Il Mulino, 1990, p. 54. L’attentat contre la banque de l’agriculture fit 16 victimes et 80 blessés.

56 Adriano Sofri in Democrazia Proletaria, 1968-1976. Le vere ragioni, Milano, Mazzotta, 1985, p. 94.

57 Giovanni De Luna, « Azione collettiva, violenza e conflitto nelle construzione dell’Italia repubblicana 1945-1990 », in Passato e presente, Anno X, n° 25, janvier-avril 1991, p. 29.

58 Le 22 juillet 1970, un attentat fait dérailler un train à Gioia Tauro (6 victimes et 50 blessés). Le 28 mai 1974, une bombe explose à Brescia durant un cortège antifasciste, faisant 8 morts et 94 blessés. Le 4 août 1974, une bombe placée dans le train Italicus provoque la mort de 12 personnes et blesse 105 voyageurs. Ces deux derniers attentats furent revendiqués par le groupe néo-fasciste Ordine Nero (Ordre Noir). Sur la responsabilité d’une partie de l’État dans la « stratégie de la tension », voir Ouv. Coll. La strage di Stato, Roma, Samonà & Savelli, 1970 ; Giorgio Bocca (dir.), Trent’anni di trame, Roma, L’Espresso, 1985 ; Giuseppe De Lutiis, Storia dei servizi segreti in Italia, Roma, Riuniti, 1984 ; Mario Coglitore et Sandro Scarso (dir.), La notte dei gladiatori, Milano, Calusca ed., 1992.

59 Sur l’« affaire Gladio », qui confirma ces thèses : Franco De Felice, « Doppia lealtà e doppio Stato », in Studi Storici, 30, n° 3, 1989, p. 493-563 ; Luigi Ferrajoli, « L’affare Gladio. Per una storia dei poteri invisibili in Italia », in Passato e presente, 10, n° 25, janvier-avril 1991, p. 9-14.

60 Le lendemain même de l’explosion, 27 militants d’extrême gauche sont arrêtés, parmi lesquels l’anarchiste Giuseppe Pinelli qui mourut durant son interrogatoire. Suicide prouvant sa culpabilité selon la police, défenestration provoquée par le commissaire Calabresi selon la gauche, les circonstances troubles de sa mort en feront un symbole, exalté dans la production militante et « vengé » en 1972 par l’assassinat du commissaire désigné comme responsable (voir par exemple, à sa mémoire, la « Ballade de Pinelli », chanson reportée dans Guido Viale, Il sessantotto, tra rivoluzione e restaurazione, Milano, Mazzotta, 1978, p. 216-217 ou la pièce de Dario Fo, « Mort accidentelle d’un anarchiste », trad. Paris, Éd. dramaturgie, 1983). Un second anarchiste, Pietro Valpreda, sera immédiatement arrêté après. Nous reviendrons sur l’assassinat du commissaire Calabresi pour lequel Adriano Sofri, ex-leader de LC, vient d’être accusé à vingt-cinq ans de prison sur la foi d’un repenti dans la 3e partie.

61 Témoignage choisi parmi bien d’autres faisant le même constat.

62 Pierre Favre, Générations et politique, Paris, Economica, 1989, p. 317. Voir également le concept d’« unités de génération » de Karl Mannheim, Le problème des générations, (1928), trad. Paris, Nathan, 1990, p. 60-62.

63 Chalmers Johnson, Revolutionary Change, rééd. Boston, Stanford University Press, 1982, p. 57.

64 Au sens qu’en donne Karl Deutsch de « processus global de changement qui affecte une proportion importante de population dans les pays qui transitent des modes de vie traditionnels aux modes de vie modernes » (« Social Mobilization and Political Development », in American Political Science Review, n° 3, septembre 1961, p. 493).

65 Sidney Tarrow, La crisi italiana, Torino, Einaudi, 1979, t. 1, p. 14-15. La situation de tension provoquée par la rapidité des transformations économiques donne d’ailleurs un poids certain aux analyses psycho-sociales de la contestation des années 60-70, comme celle d’Alberto Melucci, qui l’a interprétée par l’écart entre les attentes croissantes permises par le « miracle italien » et leur satisfaction effective, in Movimenti di rivolta, Milano, Etas libri, 1976, p. 24-25.

66 Pierre Milza, « Italie 1968 : le mai rampant », in Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 11-12-13, janvier-septembre 1988, p. 40.

67 N° 33, 13 novembre 1968.

68 À noter que le Statut des Travailleurs, adopté le 20 mai 1970, va plus loin que les Accords de Grenelle, tant du point de vue de son champ d’application (entreprise d’au moins 15 salariés, contre 50 en France) que des droits accordés aux travailleurs : droits à la dignité, interdiction des enquêtes d’opinion à l’embauche ainsi que des syndicats de complaisance, répression de l’activité anti-syndicale, etc.

69 Alfredo Gigliobianco et Michele Salvati, Il maggio francese et l’autunno caldo italiano : la risposta di due borghesie, Bologna, Il Mulino, 1980, p. 83 sqq.

70 Ibid., p. 95.

71 D’après Geneviève Bibes, Le système politique italien, Paris, PUF, 1974, p. 70-71.

72 Jean Moreau, « Les maos de la Gauche prolétarienne », in La Nef, n° 48, juin-septembre 1972, p. 95. 29 d’entre eux feront une grève de la faim pour la reconnaissance de la qualité de détenus politiques.

73 Edouard Balladur, alors conseiller du premier ministre Pompidou, cité par Jean-Jacques Becker, « Communisme et gaullisme dans la crise de mai 68 », in Stéphane Courtois et Marc Lazar (dir.), Cinquante ans d’une passion française, Paris, Balland, 1991, p. 112. Sur la modération de la politique de répression en mai, voir le témoignage de Maurice Grimaud, En mai, fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, en particulier p. 102-103.

74 Ted Gurr, « Il nesso tra rivoluzione e mutamento sociale », in Alberto Melucci (dir.) Movimenti di rivolta, Milano, Etas libri, 1976, p. 88.

75 Dernier chiffre repris dans Gabriele Martignoni et Sergio Morandini, Il diritto all’odio. Dentro, fuori, al bordo dell’area dell’autonomia, Verona, Bertani, 1977, p. 59.

76 Voir notamment Rolande Trempé, Les mineurs de Carmaux, Paris, Éd. ouvrières, 1971, p. 660-662 ; Patrick Bruneteaux Maintenir l’ordre, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, ou, sur un autre registre, les remarques de Georges Sorel sur la timidité du maintien de l’ordre in Réflexions sur la violence, rééd. Paris, Seuil, 1990, p. 62 sqq.

77 Notamment Vittorio Foa, Per una storia del movimento operaio, Torino, Einaudi, 1980, p. 97.

78 Mario Scelba (1901-1991) était réputé pour être « l’ennemi » par excellence de la classe ouvrière. Ses deux passages au ministère de l’Intérieur furent en effet les plus sanglants de la République en matière de maintien de l’ordre (1947-1953 et 1960-1962).

79 Quand Scelba prend la direction du ministère de l’Intérieur en 1947, les effectifs sont de 30 000 agents. En un an, ils seront portés à 50 000 pour atteindre le chiffre de 75 000 en 1959 sous le ministère Tambroni. En 1959 toujours, seuls deux préfets n’ont jamais exercé sous un ministère de l’Intérieur fasciste ; les 241 vice-préfets ont tous appartenu à l’administration fasciste, comme 120 des 135 questeurs. Sur 1 642 commissaires et commissaires-adjoints, 34 ont participé à la Résistance. Données reprises à Giorgio Bocca, Storia della repubblica italiana, Milano, Rizzoli ed., 1982, p. 103. Voir également John Roach et Jurgen Thomaneck (dir.), Police and Public Order in Europe, London, Croom Helm, 1985, p. 196-197.

80 De 1946 à 1948, 36 trouvent ainsi la mort en Sicile. Pour un témoignage des luttes paysannes de 1948 à 1952 et de leur répression, voir Giovanni Altamore, Anni di lotta, Catania, CUECM, 1990.

81 In Vincenzo Balzamo (dir.), Ordine pubblico e sicurezza democratica, Firenze, La Nuova Italia, 1976, p. 273.

82 Pour établir ce graphique, nous avons exclusivement retenu les victimes directes des opérations de maintien de l’ordre dans les conflits sociaux entendus de façon stricte. Les manifestations françaises relatives au problème de la décolonisation, telle la manifestation de Charonne, n’ont pas été prises en compte. Pour la France, nous nous sommes basée pour l’essentiel sur les données de Georges Carrot (Le maintien de l’ordre en France, Paris, Henri Veyrier et Kronos, 1990). Essentielles ont par ailleurs été les discussions sur ce sujet avec Patrick Bruneteaux. Qu’il en soit ici remercié. Pour l’Italie, nous avons d’abord consulté L’Unità du 9 mai 1968 ; Potere Operaio, Anno I, n° 10 du 27 novembre-3 décembre 1969 ; Annali della Fondazione Giangiacomo Feltrinelli, Anno XVIII, 1977 ; et Quaderni di Rassegna Sindacale, Anno XVII, septembre-octobre 1979, qui, tous les quatre, présentent un bilan de la répression. Puis les ouvrages suivants : Domenico Tarantini, L’ordine manipolato, la violenza pubblica da Avola a piazza Fontana, Bari, De Donato, 1970 ; Romano Canosa, La polizia in Italia dal 1945 a oggi, Bologna, Il Mulino, 1976 ; Renzo Del Carria Proletari senza rivoluzione, Roma, Savelli, 1977 ; Vittorio Foa, Sindacati e lotte operaie 1943-1973, Torino, Loescher ed., 1975 ; Pietro Secchia, Chi sono i comunisti, Milano, Mazzotta, 1977 ; Giorgio Galli, Storia del partito armato, Roma, Rizzoli, 1986. Les chiffres ne se recoupant pas tous, nous avons enfin dépouillé la presse durant les années posant problème (1947-1949 ; 1951 et 1954 ; 1960-1961). Faute de trouver la trace de certaines victimes signalées par un auteur, nous ne les avons pas retenues. Les difficultés, et surtout la longueur de la recherche, furent telles que nous avons abandonné l’idée de comparer de la même manière le nombre des blessés, qui ne sont pas toujours relevés et qui font plus encore l’objet de divergences.

83 Chiffres les plus bas et recoupés par plusieurs sources.

84 Donatella Della Porta, « Le cause del terrorismo nelle società contemporanee, riflessioni sulla litteratura », in Terrorismo e violenza politica, Bologna, Il Mulino, 1983, p. 46.

85 Chiffres repris à l’article de Giordano Sivini, « Le parti communiste, structure et fonctionnement », in Ouvrage collectif Sociologie du communisme en Italie, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1974, p. 71.

86 In Cahiers de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Le communisme en France, Paris, Armand Colin, 1969, p. 40.

87 Georges Lavau, À quoi sert le parti communiste français ?, Paris, Fayard, 1981, p. 343.

88 Percy Allum, Italy. Republic without Government ?, London, Weidenfeld & Nicolson, 1973, p. 178-179.

89 Giovanni Sartori, « Il caso italiano : salvare il pluralismo e superare la polarizzazione », in Rivista Italiana di Scienza Politica, Anno IV, n° 3, décembre 1974, pp. 678-679 et 687.

90 Enrico Berlinguer, « Riflessioni sull’Italia dopo i fatti del Cile », in Antonio Tato (dir.), La questione comunista, Roma, Ed. Riuniti, 1975, vol. 2, p. 639. Rappelons enfin que la stratégie du compromis historique fut brutalement abandonnée en novembre 1980 au profit de l’« alternative démocratique ».

91 Alberto Asor Rosa, « La cultura politica del compromesso storico », in Laboratorio politico, Anno II, n° 2-3, mars-juin 1982, p. 31.

92 Paolo Virno, rédacteur de la revue Metropoli, fut parmi les inculpés du 7 avril 1979. Son texte « Do you remember revolution ? » est paru dans Il Manifesto des 20-22 février 1983.

93 Jacques Levesque in Marie-Blanche Tahon et André Corten (dir.), L’Italie : le philosophe et le gendarme, Montréal, VLB éd., 1986, p. 209-219.

94 Alors que les actions étaient auparavant symboliques, la séquestration du juge Sossi par les Brigades Rouges en avril 1974 marque le passage à la stratégie d’« attaque au cœur de l’État ». Cf. Soccorso Rosso Brigate Rosse. Che cosa hanno fatto, che cosa hanno detto, che cosa se ne è detto, Milano, Feltrinelli, 1976. Noter également que le corps d’Aldo Moro fut symboliquement déposé à mi-chemin des sièges romains du PCI et de la DC. Comme on le voit, tant la date de son enlèvement (16 mars 1978) que le lieu de la découverte de son corps (9 mai 1978) n’ont été laissés au hasard par les BR.

95 Marc Lazar, Maisons rouges. Les Partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Paris, Aubier, 1992.

96 Sidney Tarrow, Sociologie du communisme en Italie, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1974, p. 1. L’auteur explique cette potentialité par la « révolution nationale incomplète », le radicalisme rural dû au système agraire, le discrédit de la classe dirigeante, etc.

97 Formules gramsciennes reprises par Marc Lazar, op. cit., p. 57. Deux textes sont ici fondamentaux : Antonio Gramsci, Note sul Machiavelli, Torino, Einaudi, 1955 et Palmiro Togliatti, La via italiana al socialismo, Roma, Ed. Riuniti, 1964.

98 Sidney Tarrow, Sociologie du communisme en Italie, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1974, p. 16.

99 Alessandro Pizzorno, I soggetti del pluralismo, Bologna, Il Mulino, 1980, p. 141. Joseph La Palombara fait une analyse similaire dans Démocratie à l’italienne, (1987), trad. Paris, Plon, 1990, p. 40 et 322.

100 Yves Mény, Politique comparée, Paris, Montchrestien, 1987, p. 85.

101 Arend Lijphart, The Politics of Accomodation, Berkeley, University of California Press, 1968.

102 Gianfranco Pasquino, La prova delle armi, Bologna, Il Mulino, 1984, p. 175 sqq.

103 Cf. Danielle Tartakowsky, « Le PCF en mai-juin 1968 », in René Mouriaux et al., 1968 : exploration du mai français, Paris, L’Harmattan, 1992, tome 2, p. 145.

104 Jeanine Verdez-Leroux, Le réveil des somnambules, Paris, Fayard, 1987, p. 191. Souligné par l’auteur.

105 René Andrieu, Les communistes et la révolution, Paris, 10/18, 1968, p. 85.

106 Réunions du Comité central du 8-9 juillet et du 5-6 décembre 1968. Citées par Marc Lazar, « Révoltes, révolutions et parti communiste français en Mai 68 », in Révolte et société, tome 2, p. 252. Pour la CGT, voir René Mouriaux, « Le mai de la CGT : les masses en mouvement sans issue politique », in René Mouriaux et al. 1968 : exploration du mai français, Paris, L’Harmattan, 1992, tome 2, p. 32.

107 Claude Prévost, Les étudiants et le gauchisme, Paris, Éd. sociales, 1969, p. 43.

108 Ibid., p. 105-106.

109 Laurent Salini, Le mai des prolétaires, Paris, Éditions Sociales, 1969, p. 133.

110 Pour une analyse des articles de Rinascità et de L’Unità consacrés à l’agitation étudiante, voir Romano Luperini, Il PCI e il movimento studentesco, Milano, Jaca Book edizioni, 1969.

111 Rinascità du 1er mars 1968.

112 Rinascità du 12 avril 1968.

113 Rinascità du 3 mai 1968. Ce qu’il fait par ailleurs en recevant certains leaders d’extrême gauche.

114 Rinascità du 7 juin 1968.

115 Rossana Rossanda, L’anno degli studenti, Bari, De Donato, 1969, p. 120. Cette intellectuelle communiste sera exclue du parti l’année suivante avec son groupe Il Manifesto.

116 Voir Giorgi Galli, Il bipartismo imperfetto, Bologna, Il Mulino, 1966, p. 45 ; et Donald Blackmer, Unity in Diversity, Cambrigde (Mass.), MIT Press, 1968, p. 45.

117 Publié dans le supplément « Contemporaneo » de Rinascità de mai 1968. Cité par Domenico Settembrini, in Renato Mieli (dir.), Il PCI allo specchio, Milano, Rizzoli, 1983, p. 372.

118 « C’est vraiment nous qui pendant des années avons travaillé dans les différents secteurs pour créer une situation comme celle qui existe aujourd’hui », dit-il dans son rapport de clôture du XIIe Congrès (15 février 1969). Cité par Settembrini, op. cit., p. 380.

119 Rinascità du 21 juin 1968.

120 28 décembre 1968.

121 Cf. L’Unità du 23 janvier 1969.

122 Ainsi Franco Antonicelli estime que le mouvement de 1968 a réveillé les espoirs de la Résistance, dans un article paru dans L’Unità du 29 décembre 1968.

123 Cité par Settembrini, op. cit., p. 354-355.

124 L’Unità du 12 juin 1958, cité par Settembrini, op. cit., p. 357.

125 La « Volante Rossa » fut, avec les groupes « Bandiera Rossa » et « Stella Rossa », une organisation communiste armée dissidente en ce qu’elle refusa de rendre les armes au lendemain de la guerre, comme le PCI le demandait dès juillet 1965. Après l’exécution de fascistes, elle poursuivit son action en frappant le patronat à partir de 1947. Elle fut officiellement désavouée par le parti et influencera notablement, plus tard, les BR auxquelles elle fournit notamment des armes. Voir Cesare Bermani, « La Volante Rossa », in Primo Maggio, n° 9-10, hiver 1977-1978, p. 96-104 ; Miriam Mafai, L’uomo che sognava la lotta armata, la storia di Pietro Secchia, Milano, Rizzoli, 1984 et, pour un témoignage des anciens membres de ces formations : Giuseppe Fiori, Uomini ex, Torino, Einaudi, 1993.

126 Giorgio Napolitano, in L’Unità du 21 mai 1972.

127 Interview parue dans La Repubblica du 21 septembre 1977.

128 L’Unità du 10 décembre 1974.

129 L’Unità du 11 mai 1976.

130 Pour une illustration, voir les propos tenus par le responsable CGIL Gianni Celata dans Sindacato e questione giovanile, Bari, De Donato, 1977, p. 97. Rappelons pourtant que le mouvement de 1977 est, sociologiquement, plus populaire que celui de 1968…

131 Voir les commentaires du communiste Lucio Libertini, La generazione del sessantotto, Rome, Ed. Riuniti, 1979, p. 42-51 et p. 102-110.

Table des illustrations

Titre Tableau 6. Attitudes des Italiens à l’égard des formes de participation politique (1975)
Légende Source : Giacomo Sani, « The Political Culture of Italy : Continuity and Change », in Almond et Verba, op. cit.,1980, p. 312.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/24643/img-1.jpg
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Titre Répression en France et en Italie (1947-1969)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/24643/img-2.jpg
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Titre La révolte de la jeunesse scolarisée
Légende Tract 7 : Affiche de Mai 68.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/24643/img-3.jpg
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Légende Tract 9 : Affiche de Mai 68.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/24643/img-4.jpg
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Titre L’alliance intellectuels/ouvriers
Légende Tract 9 : Affiche de Mai 68.Deux images exemplaires de la jonction étudiants-« peuple » appelée de leurs vœux par les groupes d’extrême gauche. Remarquer les outils de travail, qui font le réalisme du style, et l’agressivité de la posture.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/24643/img-5.jpg
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Légende Tract 10 : Vive la Révolution, n° 2, décembre 1969, p. 1.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/24643/img-6.jpg
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