Chapitre IV. Crises mémorielles, crises existentielles
p. 215-271
Texte intégral
1Lorsque le passé n’est plus choisi, mais qu’il pèse sur les décisions à prendre1, il peut conduire les militants à douter de la ligne de leur parti. Ils ont alors l’impression que les principes mêmes au nom desquels ils se sont engagés en politique ne sont plus respectés, que leur parti se renie et qu’ils n’y ont donc plus leur place. Tout démocratique que soit le PS-SFIO, il est, en effet, régi par des statuts qui instaurent une discipline où, après avoir débattu et la majorité ayant tranché, les militants doivent se conformer à l’option que cette dernière a prise. Quelques années seulement après l’armistice, les socialistes sont confrontés à trois crises graves ; à chaque fois, ils peinent à harmoniser leurs lectures divergentes du passé et leurs mémoires individuelles se heurtent à la discipline partisane : la responsabilité de l’Allemagne dans la Seconde Guerre mondiale, la politique algérienne de la France et, enfin, le recours à l’homme providentiel pour sauver la République en mai-juin 1958. Ce vécu est alors si prégnant qu’il constitue un prisme au travers duquel ils interprètent l’actualité et justifient leurs choix, au risque de l’indiscipline voire de la dissidence.
2Dans le cas des relations internationales ou coloniales, le roman national constitue un filtre supplémentaire, même dans un parti internationaliste comme le PS-SFIO. Sa déclaration de principes de février 1946 renouvelle la synthèse jaurésienne entre le nationalisme et l’internationalisme mais le point d’équilibre est, en l’occurrence, délicat à atteindre2. Valérie Rosoux a montré que si l’Histoire est souvent instrumentalisée en politique étrangère, cet usage est également limité par le poids de l’expérience vécue3. Et depuis plusieurs années, les historiens des relations internationales interrogent les attitudes mentales et les images de l’autre qui jouent sur les processus de décision4, façonnées également, dans notre cas, par la culture politique du mouvement ouvrier. Or, pour parvenir à une résolution des conflits, il est nécessaire de décloisonner les mémoires, agressives et exclusives les unes des autres, de reconnaître ce qu’a vécu l’autre et d’être capable de mettre à distance sa propre expérience. Là intervient le sens que l’on donne à ce qui est arrivé, lequel, selon Paul Ricœur, n’est jamais fixé une fois pour toutes5. Dans quelle mesure les socialistes sont-ils capables de faire évoluer leurs représentations de « l’ennemi » ? Peuvent-ils passer de l’ennemi héréditaire allemand à un peuple victime du nazisme ? Ou envisager les Algériens, qu’ils considèrent comme des indigènes sous-développés, rebelles et terroristes, comme des résistants nationalistes ? La SFIO demeure un parti marxiste, et même si, avec Léon Blum, certains ne se réclament plus explicitement du matérialisme historique, nombre d’autres y demeurent attachés. Cette conception de l’Histoire a-t-elle une influence sur leur façon d’articuler passé, présent et futur ?
3Sous la IVe République, les socialistes assument directement la responsabilité des affaires étrangères et de la France d’outre-mer à plusieurs reprises, y compris avant et après le gouvernement Mollet de février 1956 à juin 19576. Les enjeux internationaux et coloniaux sont donc constamment débattus au sein des différentes instances du parti et abondamment commentés dans sa presse nationale et fédérale. S’ils ne se divisent guère sur la guerre d’Indochine7, ils sont empoignés, en revanche, par la guerre d’Algérie et la crise du 13 mai 1958, et sont incapables de faire front commun. Ils ont eu beau crier au danger fasciste depuis la création du RPF en avril 1947, ils sont pris de court et leurs mémoires des guerres se télescopent à nouveau. L’onde de choc sur un parti déjà fissuré par la querelle de la CED et la guerre d’Algérie lui porte alors un coup qui pourrait lui être fatal. On aura compris qu’il ne s’agira pas tant d’étudier pour elles-mêmes ces trois crises qui ont ébranlé la SFIO8, que de comprendre les usages du passé qu’elles suscitent, les processus mémoriels qui, réciproquement, peuvent les conditionner et, par là même, le régime d’historicité9 qu’elles induisent chez les socialistes.
Solder « la guerre de Trente Ans »
4« 1914-1945 : après cette guerre de Trente Ans, la France a commémoré deux victoires ! » titre Le Populaire du Centre au lendemain du 11 novembre 194510. Cette acculturation des socialistes à la conception gaullienne qui englobe les deux guerres a pour conséquence de gommer la singularité du nazisme, en le réduisant à une nouvelle version du germanisme avec sa soif séculaire de domination universelle11. Dans cette perspective, la responsabilité collective du peuple allemand ne fait guère de doute et, même si la haine et la vengeance doivent être écartées au nom du principe de fraternité universelle entre les peuples, son sort est assez simple à régler. En revanche, pour ceux qui distinguent les nazis des Allemands, il est plus difficile de cerner qui sont les véritables responsables des crimes du IIIe Reich. Si le capitalisme, l’impérialisme et des traités de paix iniques – dont la SFIO a toujours souhaité la révision – ont contribué à l’avènement d’Hitler et à la marche à la guerre, la classe ouvrière allemande devient une victime collatérale. Faut-il alors reconstituer l’Internationale socialiste en tendant la main aux sociaux-démocrates allemands12 ? La réponse ne va pas de soi. Puis, lorsque le coup de Prague en février 1948 et le blocus de Berlin de juin 1948 à mai 1949 confortent les socialistes dans leur anticommunisme, c’est la question du réarmement de l’Allemagne qui devient délicate même si le parti se dit atlantiste et européiste13. Quel rôle joue leur mémoire de guerre dans leur conscience d’être européens14 ?
5Alors que le débat sur la CED a commencé, Édouard Depreux met ainsi ses camarades en garde : « Il serait absolument indigne de nous d’employer des arguments sentimentaux les uns contre les autres. Personne, dans un débat comme celui-là, ne doit être ou ne peut être accusé de trahir les victimes de l’hitlérisme, les victimes d’Oradour et les victimes d’Ascq15. » Et pourtant… Ces arguments, que Depreux qualifie de « sentimentaux », ne relèvent pas de l’analyse distanciée et rationnelle que tout bon militant se doit de privilégier ; ils se nourrissent de l’expérience vécue, voire parfois de traumatismes insurmontables qui pèsent plus lourd que « la raison du Parti16 ». La SFIO se définissant comme un parti marxiste et démocratique, ses structures sont telles qu’elles doivent permettre à la fois de débattre librement de tous les sujets à tous les échelons, et de faire respecter ensuite la décision prise à la majorité. De sorte que les dissidents ou contrevenants à la discipline doivent se soumettre ou démissionner avant d’être exclus17. Lorsque la majorité veut discréditer les arguments de la minorité, elle les qualifie de « sentimentaux » ; mais lorsqu’un minoritaire veut faire valoir son point de vue, il excipe d’un « cas de conscience18 ». Bien que le parti se défende d’être une Église et que sa doctrine ne soit pas une religion, le vocabulaire religieux est omniprésent19 et dramatise des enjeux qui deviennent ontologiques sur l’Allemagne et la CED.
Que faire de et avec l’Allemagne ?
6Dans l’entre-deux-guerres, la SFIO était favorable à la réconciliation franco-allemande grâce à une révision des traités et a cru en « l’esprit de Genève ». Plusieurs militants ont œuvré en ce sens et peuvent s’en prévaloir après la Libération. Bracke a animé les organes centraux de l’Internationale ouvrière socialiste durant tout l’entre-deux-guerres et Salomon Grumbach y a représenté la France ainsi qu’à la SDN. Adrien Tixier a travaillé aux côtés d’Albert Thomas au Bureau international du Travail avant de rejoindre de Gaulle à Londres20. D’autres ont participé à des rencontres ou à la création de comités, telle Andrée Viénot, née Mayrisch, fille de l’industriel luxembourgeois Émile Mayrisch, à l’origine du Comité franco-allemand de documentation et d’information (1926-1933)21. Mais l’Occupation, la déportation et la répression ont nécessairement jeté une ombre sur les bonnes volontés d’hier.
7L’Allemagne vaincue et occupée à son tour, son sort est débattu. La tentation est alors grande d’essentialiser l’Allemand et de le réduire à l’Ennemi, barbare, responsable de tous les crimes du IIIe Reich. D’une part, chaque jour apporte son lot de découvertes macabres qui défient la raison ; d’autre part, les Français souffrent de blessures narcissiques, séquelles de la défaite et de la Collaboration, et diaboliser l’ennemi leur permet de reconstruire l’image de la nation. En dépit de leur internationalisme et de leurs liens d’autrefois avec les sociaux-démocrates allemands, les socialistes français s’interrogent.
8En prison, en 1941, Léon Blum revient sur l’avènement d’Hitler au pouvoir et se demande « si, dès 1933, la France n’aurait pas dû interdire par la force à l’Allemagne encore désarmée la remise du pouvoir à Hitler et à son parti ». Car si « personne, alors, en France, n’envisagea cette intrusion brutale dans les affaires allemandes, elle aurait pourtant sauvé l’Allemagne et préservé l’Europe22 ». Les historiens lui rétorqueraient que c’est accorder trop de pouvoir à Hitler, que son charisme était une coproduction et que l’on ne peut dédouaner le peuple allemand à si bon compte23. Cependant, si sa lecture de la chute de la République de Weimar peut sembler aujourd’hui simpliste, il a, en revanche, envisagé les lendemains de victoire des Alliés avec une étonnante lucidité. Dès 1941, il ne fait alors aucun doute pour lui que « Hitler sera vaincu » ; et d’ailleurs « son sort importe peu ». « Mais qu’est-ce que les vainqueurs feront de l’Allemagne24 ? », tel est l’exercice de prospective auquel se livre l’homme d’État avec clairvoyance. D’une part, la haine et le besoin de vengeance exigeront que l’on mette l’Allemagne hors d’état de recommencer. « On se refusera, et j’accorde que le refus sera légitime, à distinguer entre le tyran qui aura fanatisé son peuple et le peuple qui aura servi impitoyablement son tyran » et, par là même, on démembrera l’Allemagne et on lui réclamera des réparations. D’autre part, si les hommes en charge de faire la paix tirent les leçons du passé, ils lui éviteront « un statut fondé sur l’usage et l’abus de la force ». Il prophétise ainsi :
« On n’éteint pas la haine par la haine ni la violence par la violence. On ne met pas à un néant un peuple, une langue, une tradition, une légende. L’abus de la force crée la volonté de revanche, le temps ne l’éteint pas ; les hasards de l’Histoire lui offrent, tôt ou tard, des occasions inattendues. […] Pour résoudre la contradiction, pour obtenir l’innocuité allemande dans un statut paisible et sûr de l’Europe, il n’existe donc qu’un seul procédé, qui est l’incorporation de la nation allemande dans une communauté internationale assez puissante pour la rééduquer, pour la discipliner et, s’il le fallait, pour la maîtriser25. »
9Or, tous n’ont pas la hauteur de vue de leur vieux leader. Au congrès d’août 1945, comme il l’avait prévu, les deux points de vue antagonistes s’affrontent à chaud et, systématiquement, les délégués font valoir leur expérience passée.
10D’un côté, Gilbert Nowina veut crédibiliser son propos en rappelant ses trente-cinq années d’ancienneté et toutes celles qu’il a consacrées à militer en faveur de la réconciliation franco-allemande au sein de la Ligue des anciens combattants pacifistes et à l’Internationale des anciens combattants à Genève. Toutefois, en bon socialiste, dit-il, il tient compte des faits :
« Les faits nouveaux devant lesquels nous nous trouvons aujourd’hui, vous les connaissez. Ce sont d’abord les crimes allemands de ces dernières années. Je dis bien : les crimes allemands. Ce sont les exactions de l’Allemagne tout entière qui a pris devant le monde une responsabilité indélébile. […] Il n’est pas possible que déjà, alors qu’on ne connaît pas encore le nombre d’enfants, de femmes, d’hommes qui ont été envoyés dans les chambres à gaz ou été massacrés sous les pires tortures, il n’est pas possible que déjà on pense à oublier et à pardonner. »
11Et après avoir décrit par le menu diverses atrocités, provoquant le tumulte de ceux qui jugent qu’il exagère, il ajoute qu’il n’y aurait eu aucune résistance antinazie en dépit de la puissance du KPD et du SPD : « rien, rien, rien » s’énerve-t-il, considérant cette passivité supposée de la gauche comme une circonstance aggravante et une preuve de sa complicité. Et de conclure : « La vérité qu’il faut que le Parti dise, c’est que l’Allemagne est peuplée d’hommes orgueilleux, cruels et brutaux26. » Max Lejeune, revenu de captivité, ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « toutes les nations d’Europe n’ont pas le même âge » et que l’Allemagne n’est pas civilisée27. Leur caricature des Allemands n’a rien à envier à celle que diffusait Hansi dans ces livres pour enfants, et relève de la culture de guerre étudiée par l’école de Péronne28. Aussi les délégués ne s’accordent-ils pas sur la qualification des crimes du IIIe Reich : sont-ils « allemands » ou « nazis » ? Lorsque celui de la Seine-et-Oise fait remarquer que des journaux comme L’Humanité, certes communiste, mais aussi Témoignage chrétien, ne parlent pas de crimes « allemands » mais « nazis », il soulève un tollé29. Dans ce camp, la mémoire des crimes est survalorisée pour légitimer l’amalgame et peut s’apparenter à de la germanophobie.
12D’autres, moins manichéens, veulent bien croire qu’il y a eu des Allemands antinazis et espèrent qu’ils sauront obtenir de leurs compatriotes une reconnaissance de leurs crimes. Ainsi le secrétaire de la fédération martyre de la Loire-inférieure, Théodore Staub, concède :
« Il faut que le SPD attende le retour des camarades qui, réfugiés à l’étranger, ont toujours dénoncé l’hitlérisme. Et il faut que nous donnions notre appui à ceux qui auront le courage de dénoncer les crimes de l’hitlérisme et de dire aux Allemands que la seule manière d’arriver à une paix durable, c’est de reconnaître qu’ils ont des torts considérables, et qu’il faudra du temps pour qu’on puisse les oublier d’abord, et passer ensuite à une entente cordiale. Pour l’instant, nous ne pouvons pas leur tendre la main, nous ne pouvons pas oublier, nous ne pouvons pas pardonner. Et je voudrais que ce Congrès soit l’affirmation que, lorsque la question se posera, nous dirons, au nom de notre Parti, qu’il faut attendre que le calme soit revenu et que l’oubli se soit fait30. »
13Pour Staub, un opposant à Hitler a nécessairement choisi l’exil – peut-être dès 1933 – et ne peut avoir résisté de l’intérieur, ce qui montre une totale méconnaissance de la résistance allemande31. Le pardon étant impossible, seul l’oubli pourrait un jour lointain permettre « une entente cordiale », expression qui désignait autrefois un autre ennemi héréditaire, « la perfide Albion ». En attendant cette improbable amnésie, Staub semble proposer un nouvel article 231 du traité de Versailles lorsqu’il espère une « reconnaissance de torts considérables ». Or, d’autres, justement, se souviennent des conséquences néfastes du traité et de leurs propres arguments dans l’entre-deux-guerres. En 1941, Blum rappelle : « Les traités de Versailles ont laissé après eux tout un héritage d’erreurs, d’absurdités, d’iniquités qui ont été payées par des torrents de sang32. » « Je ne veux pas recommencer l’erreur de l’article 231 du Traité de Versailles, parce que je ne veux pas jeter le peuple allemand dans les bras d’un nouvel Hitler33 ! », fait écho un délégué.
14La majorité de ceux qui s’expriment à ce congrès essaie, en effet, de se montrer plus nuancés. Salomon Grumbach reconnaît la responsabilité collective du peuple allemand, alors même qu’il est convaincu que « le crime commis par l’Allemagne hitlérienne » – on notera l’adjectif – est indicible. « Il ne suffit pas de rappeler ce passé et de dire : “N’oubliez pas !” Certes, je n’oublie pas. » Il ne s’agit pas non plus de « fraterniser » – comme on lui en fait le reproche – « il s’agir de voir la réalité34 ». Comme Nowina, il s’en réfère au « réel » qu’un bon socialiste ne doit jamais ignorer. C’est pourquoi, avec Vincent Auriol, André Philip, Charles Dumas et Jules Moch, ils ont proposé à la conférence socialiste internationale de Londres des 3 au 5 mars 1945, la première depuis le conflit, d’entrer en contact avec les Allemands antinazis afin de les aider à créer une Allemagne nouvelle. Pour autant, il n’envisage pas que celle-ci puisse recouvrer son indépendance et retourner dans le concert des nations avant très longtemps. Un délégué de Montargis va plus loin en assimilant les « antifascistes allemands » aux « gaullistes de France »… ce qui suscite des remous dans l’assistance35.
15D’autres mettent en avant la crise conjoncturelle des années trente qui a favorisé l’embrigadement des chômeurs et la complicité des trusts : le nazisme ne serait donc pas congénital. Parmi eux, Léon Boutbien rappelle sa définition de l’esprit de la Résistance : « Pour nous le but était clair : il fallait abattre l’hitlérisme, mais à aucun moment nous n’avons fait la guerre contre le peuple allemand ». De sorte que la solution serait simple selon lui : il convient de punir les criminels de guerre et de dénazifier l’Allemagne. « Nous devons être aussi impitoyables dans la répression du nazisme que nous devons être humains dans notre politique vis-à-vis du peuple allemand » qui, lui aussi, « a des comptes à demander à ses bourreaux ». « La classe ouvrière organisée » ayant été la première victime, c’est à elle qu’il faut confier le soin de « balayer » le nazisme et de reconstruire l’Allemagne36. À la différence d’un Nowina où d’un Staub, demeurés dans l’hexagone, Boutbien, interné au Natzweiller-Struthof, est représentatif de ces déportés qui sont informés de la répression subie par les Allemands antinazis parce qu’ils les ont rencontrés. André Philip clôt le débat en fustigeant deux types d’erreurs : celle qui consisterait à reprendre « le vieux mythe de l’Allemagne éternelle », sorte de « matérialisme à rebours » selon lui, et celle qui négligerait le temps long nécessaire pour créer de « nouvelles générations capables de faire de leur pays une nation digne d’entrer dans la communauté internationale37 ».
16L’Appel au peuple de France d’août 1945 propose, par conséquent, une lecture du passé qui n’obère pas l’avenir de l’Allemagne, tout en ménageant la sensibilité des écorchés vifs. « Rénovée dans sa structure et sa mentalité », c’est-à-dire désarmée, dénazifiée et décentralisée, devenue « une nation humaine et pacifique » grâce aux démocrates et à la classe ouvrière, l’Allemagne pourra réintégrer, après « une longue période d’occupation » internationale, « la communauté civilisée dont l’a exclue la barbarie hitlérienne ». Si la barbarie doit être dénoncée pour apaiser les mémoires meurtries, son stigmate désigne le nazisme. Et en renouant avec ses mises en garde passées, « le Parti socialiste croit devoir attirer l’attention du pays sur les dangers de revanche nationaliste que présenteraient tout démembrement de l’Allemagne et toute annexion de territoires spécifiquement allemands38 ». Ses représentants, soutenus par les Belges, ont défendu cette position à la conférence socialiste internationale en mars 1945, en échange d’une internationalisation de l’industrie lourde de la Rhénanie. Ils la défendent à nouveau à la tribune de l’ANC le 16 janvier 1946 avec Salomon Grumbach et Pierre-Olivier Lapie, député lorrain, lequel explique que s’il convient de désarmer le soldat allemand, on ne doit pas affamer l’ouvrier39. Pour endiguer tout esprit de vengeance chez son lectorat, Le Populaire envoie René Naegelen en Allemagne pour y faire un reportage sur la profonde misère dans laquelle est plongée la population40. Ancien-combattant de 14-18 et militant pacifiste très actif dans l’entre-deux-guerres, il n’a aucun mal à renouer avec les convictions de sa jeunesse et à faire des Allemands des victimes du plus grand de tous les maux : la guerre41.
17Parallèlement, la SFIO entre en contact avec le SPD, qui se reconstitue plus ou moins légalement dans les zones occidentales et, plus particulièrement, avec Kurt Schumacher. Que ce dernier refuse la fusion avec le KPD en préservant l’autonomie de son parti, à la différence du SPD de la zone soviétique, rassure les anticommunistes de la SFIO, mais inquiète ceux qui ne veulent pas marginaliser les héritiers des spartakistes. « Ne perdons jamais de vue la montée du nazisme et n’oublions pas que, si elle fut favorisée par la misère, elle le fut aussi par la folie des Noske, des Ebert, des Scheidemann et la non moins folle complicité de nos bourgeoisies occidentales », rappelle l’historienne Odette Merlat, en faisant allusion à la semaine sanglante de janvier 191942. Quoi qu’il en soit, délégué au congrès du SPD à Hanovre en mai 1946, Salomon Grumbach apporte publiquement le soutien de son parti à Schumacher, qui y est élu président43. En juillet, c’est l’historien Étienne Weill-Raynal qui rappelle les conséquences désastreuses des réparations exigées à l’Allemagne lors de sa précédente défaite44 ; en décembre, c’est Charles Dumas qui proclame que « le socialisme en Allemagne, c’est la paix45 ». Le parti ne ménage pas ses efforts pour convaincre ses militants et sympathisants du bien-fondé de sa politique à l’égard de l’Allemagne et du SPD, laquelle demeure incompréhensible pour certains. Les Français, qui ont plaidé pour l’admission du SPD lors de la conférence socialiste internationale de Clacton en mai 1946, reçoivent, à celle de Bournemouth en novembre, le renfort des travaillistes britanniques qui, face à la fusion de la gauche dans la zone soviétique, veulent sortir le SPD de son isolement. En juin 1947 à Zurich, Schumacher est donc invité à s’exprimer et s’expose au feu roulant des questions, en particulier des délégués polonais, sur la responsabilité des sociaux-démocrates. Les réticences demeurent aussi bien au sein de la conférence, où les Tchèques, Hongrois, Polonais et Palestiniens sont parmi les plus hostiles, qu’à la SFIO. Lors de la Semaine d’Étude des 20 au 27 juillet 1947 à Meung-sur-Loire, la Cité Malesherbes doit consacrer l’un des ateliers à « la reconstitution de l’Internationale et la politique socialiste devant le problème de la paix » et donc encore au « problème allemand46 ». L’admission du SPD au sein du mouvement ouvrier international suscite encore et toujours l’indignation des germanophobes, lesquels objectent à nouveau le devoir de mémoire. Au congrès d’août 1947, Georges Levillain est l’un d’eux :
« Ces leçons [de l’Histoire], ces faits, que disent-ils ? Ils disent des choses que nous n’avons pas le droit d’oublier, sous peine de nous mentir à nous-mêmes. […] Ils disent encore que parce qu’elle a laissé passivement, sur son territoire, torturer, massacrer plus de 20 millions d’êtres humains, hommes, femmes et enfants, l’Allemagne tout entière doit être tenue solidairement responsable de ces abominables assassinats. […] Ils disent toujours, les leçons de l’Histoire et les faits, que par-dessus toutes les traditions doctrinales et aussi toutes les combines diplomatiques, nous n’avons pas le droit moral – et nous Socialistes moins que tous les autres – d’oublier déjà nos camarades martyrs et les millions d’autres malheureux assassinés avec eux, en consentant, par l’admission de l’Allemagne dans l’Internationale, à un rapprochement scandaleusement prématuré […]47. »
18Comme d’autres, Levillain, qui n’a pas été déporté mais qui a combattu à Libération-Nord, ne peut surmonter sa haine. Rien n’y fait : ni la fidélité à l’internationalisme proclamée par le nom même de la SFIO, ni la peur de la mainmise des Soviétiques sur l’Allemagne de l’Ouest. Levillain a pourtant maille à partir avec les communistes qui l’ont battu aux municipales d’octobre 1945 à Clichy-la-Garenne, mais il lui faudra plus de temps pour dépasser son ressentiment : élu maire en octobre 1947, il finit par réaliser l’un des premiers jumelages franco-allemands avec la ville d’Heidenheim, douze ans plus tard, en mai 1959. Quels que soient les débats en interne, le SPD est réintégré à la conférence d’Anvers de novembre 1947 et la SFIO s’en réjouit. Il faudra, cependant, attendre trois ans pour qu’un socialdémocrate allemand soit invité au congrès national, alors que la SFIO participe à toux ceux du SPD depuis sa reconstitution.
19Les événements tchécoslovaques de février 1948 puis le blocus de Berlin confortent la SFIO dans sa ligne, d’autant que la rupture entre les partis socialistes de l’Ouest et ceux de l’Est est consommée dès mars48. En juillet, le parti plaide pour l’intégration de l’économie ouest-allemande dans l’OECE créée en avril et demeure opposé à « toute annexion comme à tout morcellement, à toute pression extérieure en vue d’imposer à l’Allemagne une structure politique déterminée49 ». À l’automne, Le Populaire publie, en feuilleton, les souvenirs de captivité de Marcel Roëls, sous le titre « Cellule 5150 ». Prisonnier de guerre, victime avec plusieurs de ses camarades de la Gestapo, il est interné huit mois à Leipzig, avant d’être finalement libéré par un tribunal militaire. L’auteur y distingue la Gestapo, au service du régime nazi, de la Wehrmacht, qui applique les lois internationales de la guerre. Claude de Fréminville le préface ainsi : « Puisse-t-il donner à tous une horreur encore plus grande, une haine plus farouche contre tous les régimes policiers du monde » – sous-entendu staliniens51. À cette date, l’organe du parti tire à moins de 100 000 exemplaires et n’est pas encore relayé par Le Populaire Dimanche ; il est néanmoins mobilisé pour convaincre les militants de ne pas amalgamer les nazis et les Allemands et de voir progressivement ces derniers comme de futurs alliés.
20Pour transcender « le problème franco-allemand » – car « il y a et il y aura toujours “un problème franco-allemand” » reconnaît Grumbach52 – la SFIO souhaite l’avènement des « États-Unis démocratiques d’Europe53 ». Dès juin 1946, le Mouvement pour les États-Unis socialistes d’Europe, présidé par André Philip, est fondé à Montrouge afin de construire une Europe socialiste indépendante des États-Unis et de l’URSS. En février 1947, sous la pression de la conjoncture, il devient le Mouvement démocratique socialiste pour les États-Unis d’Europe (MDSEUE), marquant ainsi sa priorité de faire d’abord l’Europe, avec l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves, avant de lutter pour qu’elle ne devienne socialiste54. Néanmoins, en dépit de la méthode Coué de Blum qui prétend que « l’idée fédérative est donc reconnue désormais par le socialisme international55 », le Labour party rejette le fédéralisme. Alors qu’André Philip voudrait passer outre les réticences britanniques, Guy Mollet préfère temporiser pour ne rien provoquer d’irrémédiable. Sans préjuger du périmètre et de l’architecture de cette future Europe, au sein du parti, l’européisme permet au moins de poser différemment le problème allemand et de sortir du tête-à-tête avec « l’ennemi » dans lequel les germanophobes s’enferment. Si en juillet 1949, Boutbien, au nom de la commission des relations internationales, est défavorable à l’intégration de la RFA à l’OTAN de crainte qu’elle ne soit vécue comme une agression par les Soviétiques, dans le même temps, Grumbach s’efforce de convaincre les délégués que la « nouvelle Europe » doit se faire avec elle :
« Ce n’est pas dans l’oubli de ce qui s’est passé que la solution de notre défense pourra se trouver, ce n’est pas de la volonté de ne pas regarder le passé pour savoir les chemins qu’il faut prendre à l’avenir que nous pourrons trouver les solutions des problèmes qui se posent depuis toujours entre eux et nous. Et au moment où nous appelons, où nous devons appeler l’Allemagne de demain dans la communauté européenne, il est de notre devoir de comprendre et de voir ce dont il s’agit56. »
21Le vieux militant, ancien collaborateur de Jaurès et homme-clé de la politique allemande du parti, par sa double qualité de juif et d’Alsacien, peut incarner un possible rapprochement. Il tente ici de trouver cette « juste mémoire », définie par Paul Ricœur, qui évite à la fois l’oubli et le trop-plein mémoriel57. Lui qui est né dans le Kreis de Guebwiller, c’est-à-dire l’Alsace annexée après la guerre de 1870, ne parle jamais d’ennemi héréditaire, même s’il considère qu’il existe des tensions « depuis toujours ». Porteur d’une conscience européenne malheureuse, il ne préconise pas l’oubli – on l’a déjà vu –, mais il invite à comprendre les enjeux cruciaux du présent. Lorsqu’après la déclaration Schuman du 9 mai 1950 sur la CECA, Schumacher se déclare défavorable à l’entrée de la RFA au Conseil de l’Europe, Grumbach lui fait part de la déception de la SFIO qui, elle, place la construction européenne avant la réunification allemande et l’égalité des droits58.
22À la fin de ce mois de mai 1950, pour la première fois depuis la guerre, la SFIO accueille en son congrès un représentant du SPD, Fritz Heine, membre de l’exécutif du SPD et proche de Schumacher. Conformément aux usages, il est invité à la tribune dès l’ouverture des travaux avec les autres délégués étrangers, dont Louis de Brouckère ; le 27 mai après-midi, il est associé à la cérémonie d’hommage à Léon Blum, décédé deux mois plus tôt, lequel l’a accueilli en France en 1938. Et le 28 mai, avant son intervention, le président, Édouard Depreux, le présente comme « un émigré politique dès 1933 » – ce qui suscite les applaudissements des délégués – et, après avoir évoqué ses activités antinazies en exil, conclut : « Le Camarade Heine, comme nous, a mené la bataille contre Hitler dès la première minute59. » Les socialistes reconnaissent, par conséquent, qu’il y a eu des Allemands antinazis et sont même prêts à les recevoir. Pour autant, dès le premier jour et en sa présence, Jules Moch exprime tout haut ce que d’autres pensent encore tout bas :
« Je ne rends certes pas les dirigeants actuels de l’Allemagne responsables de tout ce qui nous oppresse toujours, mais trop de chambres à gaz, trop de fours crématoires demeurent présents dans nos souvenirs et dans nos peines ! (Applaudissements). Trop de stèles le long de nos routes évoquent des vieillards, des femmes, des bébés déportés et systématiquement assassinés et qui se terminent souvent par ces mots lugubres : “Souvenez-vous !” Je vous dis, moi, socialistes, même si certains d’entre vous, comme Philip, s’efforcent d’oublier pour bâtir une paix durable : “Souvenez-vous que l’Europe de demain ne doit pas être à nouveau dominée par l’Allemagne”60 ! »
23Cette fausse note en annonce bien d’autres pour qui connaît la suite ; elle passe pourtant relativement inaperçue puisqu’elle suscite l’approbation des délégués. À cette date, en dépit des sensibilités personnelles des uns et des autres, le consensus est général pour refuser toute remilitarisation, même partielle, de la République fédérale de Bonn.
24Néanmoins, en juin 1950, la guerre de Corée pousse les États-Unis à faire pression pour réarmer l’Allemagne de l’Ouest face au bloc de l’Est. Jean Monnet, qui a déjà inspiré le plan Schuman, propose d’organiser la défense de l’Europe dans un cadre supranational comparable à celui de la CECA et convainc le président du Conseil, René Pleven, de soumettre son projet au Parlement, ce qu’il fait le 24 octobre. Celui-ci envisage la mise en place d’une armée européenne permettant d’intégrer les futures unités allemandes dans un ensemble placé sous une autorité européenne unique, militaire et politique. Le groupe socialiste mandate Daniel Mayer pour expliquer son refus de tout réarmement allemand61. Or d’emblée, il évoque un « débat de conscience », des esprits angoissés et un « dialogue dramatique ». La réponse au problème ne va donc pas de soi, ni au Parlement, ni même au sein du groupe parlementaire. Mayer affirme que son parti n’est pas méfiant envers « l’ensemble du peuple allemand » mais qu’il entend le protéger des « nazis, d’hier par l’uniforme, d’aujourd’hui par l’esprit et les aspirations ». Selon lui, de même que les anciens vichystes et collaborateurs français ne se sont pas repentis de leur faute, de même les nazis ne peuvent avoir renoncé à leurs convictions et infiltreront les régiments. Or il se méfie du parti démocrate-chrétien et du chancelier Adenauer, peu enclins à associer les représentants de la classe ouvrière au pouvoir, et donc incapables de leur faire barrage. Les précédents historiques sont convoqués : le traité de Versailles prévoyait la démilitarisation totale de l’Allemagne et cela n’a pas empêché cette dernière de se remilitariser. Quelles garanties seront apportées cette fois-ci ? L’impact psychologique désastreux du réarmement de la RFA sur les pays de l’Est, en particulier la Pologne et la Tchécoslovaquie, serait pire, en outre, que celui de « la remilitarisation de la Rhénanie par Hitler en 1936 », parce que les démocraties ne se contenteraient plus de rester passives mais en auraient l’initiative. Le parti édite ce discours avec une préface du secrétaire général adjoint, Pierre Commin, preuve que l’unité règne encore au sein du parti, du moins pour l’instant62.
25Les cas de conscience ne sont pas rares à la SFIO mais ils deviennent aigus lorsque les uns et les autres s’empêtrent dans leur passé ou l’instrumentalisent au sujet de l’Allemagne. C’est cette confrontation de la conscience de chacun à la discipline partisane qui transforme la crise mémorielle en crise existentielle lors de la querelle de la CED.
Rejeux de mémoire et querelle de la CED
26La querelle de la CED, « affaire Dreyfus de la Quatrième République63 », transcende le clivage gauche/droite traditionnel : le MRP y est favorable ; le PCF et le RPF y sont résolument opposés ; les indépendants, les radicaux et enfin les socialistes sont divisés. Ses conséquences sont connues : le 30 août 1954, l’Assemblée nationale française repousse, par un artifice de procédure, le traité de la CED par 319 voix contre 264. Pour les fédéralistes, « le crime du 30 août » met un coup d’arrêt à la dynamique supranationale ; pour les socialistes, la querelle revêt une ampleur exceptionnelle. Non seulement les indisciplines parlementaires sont multiples, avec des cas de récidives, mais la légitimité même de la discipline partisane est remise en cause au nom de la liberté de conscience, sans compter que des cadres « historiques » issus de la Résistance, tels que Daniel Mayer, Jules Moch ou Max Lejeune, sont exclus avant d’être réintégrés. Cependant, Gilles Morin a bien montré que le débat est plus vif dans les instances dirigeantes qu’à la base, puisque tout au long de la période 1952-1954, le vote anticédiste concerne près de la moitié des parlementaires contre un tiers seulement des militants dans les fédérations64. Il a également révélé des enjeux de pouvoir internes au parti et de politique intérieure sur lesquels nous ne reviendrons pas65. Moins de dix ans après la Libération, les guerres passées sont omniprésentes dans les discours, de même que le culte de l’unité hérité de la longue histoire du mouvement ouvrier et de la scission de Tours de 1920. Est-il possible, à la SFIO, d’invoquer une clause de conscience ? Entre le poids d’un passé imprescriptible et son instrumentalisation à des fins présentes, les militants sont-ils de bonne ou de mauvaise foi ? Il est difficile pour l’historien d’en juger.
27Au fil de l’année 1951, il apparaît que les conditions prévues dans le projet initial présenté en octobre 1950 sont en train de changer : la participation de la Grande-Bretagne à laquelle la SFIO est très attachée, l’autorité politique supranationale et le budget commun disparaissent. Au sein du groupe parlementaire, les mécontentements s’expriment d’abord à huis clos66, mais très vite le débat s’élargit. Guy Mollet, fervent européiste67, et son équipe tentent de conserver le contrôle : aucune « Tribune libre » n’est ouverte aux anticédistes ni dans Le Populaire, ni dans le Bulletin intérieur, et La Revue socialiste est régulièrement mise à contribution pour présenter la CED comme une étape nécessaire à l’unification de l’Europe68. Face à la majorité, le camp des anticédistes est hétérogène69. À l’extrême-gauche, on y trouve des internationalistes et antimilitaristes, tel Marceau Pivert qui dénonce le coût exorbitant du projet et qui, surtout, privilégie la construction politique des États-Unis socialistes d’Europe70. À l’opposé, il y a les jacobins, comme Max Lejeune, ancien secrétaire d’État aux Forces armées, ou Robert Lacoste, grand résistant et dont le père, Constant, résistant, a été fusillé par les Allemands, ou encore Marcel-Edmond Naegelen, né dans le Territoire de Belfort et élu alsacien : tous refusent de voir la France perdre une partie de sa souveraineté nationale. Entre les deux, un tenant de la sécurité collective, comme Jules Moch, des européistes qui espèrent la réunification allemande tels Alain Savary71, Robert Verdier ou Édouard Depreux, et des militants qui considèrent que l’Allemagne n’a pas été suffisamment dénazifiée, tels Daniel Mayer, Salomon Grumbach ou Jean Bouhey. Enfin, soumis au devoir de réserve, mais très critique tout en cherchant un compromis, se trouve le président de la République, Vincent Auriol.
28Tous convoquent l’Histoire ou leur histoire personnelle comme argument d’autorité. Cependant, nous avons déjà montré ailleurs, à partir du corpus des parlementaires de la IVe République, qu’il était difficile d’expliquer leur division par leurs expériences de guerre72. Certes, les prisonniers, à l’image de Max Lejeune, semblent plus spontanément amalgamer les nazis et les Allemands que les déportés, souvent mieux informés et plus nuancés, mais ce n’est pas systématique. Face à un Eugène Thomas, Camille Delabre ou Léon Boutbien qui croient qu’une réconciliation franco-allemande est non seulement nécessaire mais possible, on trouve un Gaston Charlet qui laisse éclater sa haine : « Il faudrait être fou, ou misérable, pour faire encore confiance à cette race73 ! » Or, on constate la même dispersion chez les socialistes résistants du CAS (Augustin Laurent, cédiste, face à Daniel Mayer, anticédiste), les résistants socialistes des mouvements et réseaux (Christian Pineau face à Camille Titeux), les anciens-combattants de 14-18 (Marcel Darou face à Marcel-Edmond Naegelen)… Christian Pineau a parfaitement compris que la mémoire de guerre constitue un prisme au travers duquel chacun est convaincu de voir la réalité. Il en fait le constat le jour même où la CED est rejetée, le 30 août 1954, au Palais-Bourbon :
« Avec beaucoup de mes camarades, j’ai vécu deux ans en cellule à Lyon et dans un camp de déportation. C’est dire que j’ai souffert de l’Allemagne. Encore une fois, je n’ai pas été le seul, mais parmi ceux qui sont revenus, j’ai constaté deux tendances. Il y a, d’abord, ceux qui ont conservé dans leur cœur une haine et, sinon un désir de revanche, du moins une répulsion profonde pour toute collaboration ultérieure avec l’Allemagne. Je les comprends, car la souffrance peut engendrer des sentiments de cette nature. Pour ma part, la leçon de ces épreuves a été toute autre. Ce que je souhaite, ce n’est pas une revanche sous une forme quelconque, c’est que nous n’ayons jamais plus l’occasion, dans notre Histoire, de connaître de nouveau ces camps de déportation74. »
29Si Christian Pineau a forgé sa conscience européenne dans la déportation, d’autres en sont incapables. Dans cette perspective, les socialistes ne se distingueraient alors guère de l’ensemble des Français. En creux, cependant, cela montre à quel point le comportement des communistes est exceptionnel puisqu’ayant subi la répression et la déportation eux aussi, ils réussissent à parler et à voter comme un seul homme, au nom d’intérêts supérieurs relevant d’équilibres géopolitiques internationaux. Rien de comparable chez les socialistes. Il nous appartient donc d’analyser comment leur mémoire de guerre diffractée s’articule à leur culture politique.
30La première indiscipline caractérisée a lieu lorsque vingt parlementaires, les 17 et 19 février 1952, contreviennent à la décision du groupe en repoussant le projet de la CED présenté par le gouvernement75. Lors de la procédure disciplinaire, les fédérations prennent la défense de leurs députés essentiellement avec des arguments juridiques. Néanmoins, trois d’entre elles plaident les circonstances atténuantes en alléguant les séquelles de la guerre dans leur territoire. Le Puy-de-Dôme rappelle qu’il a le triste privilège d’être le second département de France quant au nombre de résistants déportés. Le Var déroule le passé de résistants et d’internés de Franck Arnal et Jean Charlot. La Loire-inférieure signale que Jean Guitton est le seul survivant du bureau fédéral de 1939 et souligne le traumatisme régional des exécutions des 50 otages à Nantes et de ceux de Châteaubriant76. Les fédérations hésitent à invoquer l’opinion publique locale car, à la SFIO, un parlementaire représente son parti et la classe ouvrière mais pas ses électeurs. Ainsi, la Corrèze n’excipe pas du massacre de Tulle pour défendre Jean Montalat, son député-maire. En outre, le PCF mène une virulente campagne anticédiste en jouant sur la rancune germanophobe de l’opinion et en l’appelant à ne pas oublier les crimes de guerre des occupants à grand renfort d’affiches percutantes. Les socialistes ne sauraient imiter les communistes. À ce stade, il s’agit donc surtout pour les fédérations SFIO d’obtenir l’indulgence pour leurs élus, lesquels n’ont pas démérité sous l’Occupation, en arguant qu’elles seraient en grande difficulté s’ils étaient sanctionnés.
31En face, les cédistes se réfèrent d’abord de manière totémique à L’Armée nouvelle de Jaurès, lequel a su concilier l’internationalisme et la participation des socialistes à la défense nationale. Dans le cadre de la guerre froide, cette dernière ne peut plus être envisagée en dehors de la sécurité collective, ce qui a déjà justifié leur ralliement à l’atlantisme en 1949. Or, selon Guy Mollet, l’armée européenne peut « grâce à nous, constituer l’embryon de la future armée internationale, protectrice de l’ordre et gardienne de la paix dans un univers en marche vers le socialisme ». Car la « mission » des socialistes consiste « à infléchir sans cesse dans le sens du progrès, comme l’ont fait nos anciens, les œuvres imparfaites du présent77 ». La doctrine socialiste est fondée sur la croyance dans le progrès universel ainsi que sur la fidélité aux enseignements de Jaurès. Refuser « l’armée nouvelle » que constitue la CED serait y déroger. Pire, cela consisterait à pousser l’Allemagne à se doter d’une armée autonome et donc à répéter les fautes des années vingt. « Si vous renouvelez aujourd’hui les mêmes erreurs, si vous laissez une nouvelle fois l’Allemagne divisée, l’Allemagne isolée dans une Europe divisée, vous assisterez inévitablement, avec une logique implacable, à la même évolution inéluctable des choses », argue Jaquet, avec un matérialisme historique des plus déterministes78. Au plus fort de la crise en mai 1954, Félix Gouin déroule encore une longue rétrospective sur les « sources » de la doctrine en remontant à l’unité de 1905, assuré qu’il est d’y trouver « la confirmation éclatante » que les cédistes sont « au cœur de la pensée socialiste qui, depuis près d’un demi-siècle, creuse inlassablement son sillon79 ». La fidélité à l’héritage est un argument courant en politique, mais il l’est d’autant plus dans un parti qui a le culte de l’unité comme la SFIO.
32Cependant, l’argument de la tradition doctrinale et donc de l’orthodoxie – même si les socialistes réservent plutôt ce terme au communisme – est retourné par les anticédistes. Ainsi, Marceau Pivert, suivi par une bonne partie de sa fédération de la Seine, argue de la solidarité envers le mouvement ouvrier allemand que commande l’internationalisme. Or, dans leur majorité, SPD et syndicats privilégient la réunification de l’Allemagne et l’égalité des droits, et s’opposent à la CED80. Invité en mai 1952, Willi Eichler, membre de l’exécutif du SPD, le confirme publiquement au congrès81. Et en juillet 1953, Fritz Heine, après avoir dénoncé « les atrocités commises en Allemagne et dans les pays occupés par les armées » du régime hitlérien, loue les vertus de « l’internationalisme profondément enraciné » dans le PS-SFIO et son parti82. La majorité des sociaux-démocrates sont, eux aussi, submergés par des souvenirs traumatiques et ne veulent pas d’une nouvelle Wehrmacht. Jules Moch, quant à lui, fait jouer la fibre pacifiste. Selon lui, lorsque les cédistes prétendent que c’est par la réalisation concrète d’une armée européenne qu’ils pourront ensuite favoriser le désarmement, « ils reprennent inconsciemment à leur compte la vieille formule des nationalistes de toujours : “si tu veux la paix prépare la guerre”, à laquelle les pacifistes du début de ce siècle et les socialistes avec eux opposaient inlassablement cette autre formule : “si tu veux la paix, prépare la paix”83 ». En revenant aux débats du tournant du siècle, il renvoie les délégués à leurs principes fondamentaux et au fantôme de la Grande Guerre. Puis, au plus fort de la crise, il reprend l’argument du péché contre l’espérance, celui-là même qu’utilisaient les paul-fauristes avant la guerre :
« Mais je le dis en concluant, Camarades, et je le dis avec tout mon cœur, avec toute mon émotion : tant que des négociations seront ouvertes, tant qu’il y a une chance, si faible qu’elle puisse vous apparaître, à aboutir au contrôle international permanent des deux côtés du rideau de fer, ce serait un crime de la laisser échapper, ce serait un crime contre la Paix et un crime aussi contre le Socialisme84. »
33Moch ne veut pas croire que le péril soviétique soit si grand qu’il justifie de compromettre le désarmement international. C’est pourquoi il n’hésite pas à jouer la carte de l’émotion et à dramatiser en faisant explicitement de la CED une question identitaire.
34Outre leur fidélité proclamée à la doctrine, les cédistes procèdent par analogie et veulent voir dans la crise qui les divise un décalque de celle suscitée par les accords de Munich en septembre 1938, surtout après la signature du traité de Paris le 27 mai 1952. On a vu que la SFIO s’était reconstituée sur la condamnation sans appel des Munichois, et cette comparaison est considérée à juste titre comme disqualifiante par leurs adversaires. Ardent européiste, Félix Gouin n’hésite pas à leur déclarer :
« Le climat actuel, ne vous y trompez pas Camarades, c’est très exactement le climat tragique dans lequel nous avons été acculés à l’accord de Munich car aujourd’hui il y a menace, il y a chantage, ce n’est plus Hitler qui les exerce, mais c’est Staline, parce que Staline ne veut pas l’intégration dans le bloc occidental de l’Allemagne et qu’il entend la neutraliser85. »
35Jean Le Bail dénonce dans sa fédération de Haute-Vienne et dans Le Populaire du Centre « les faux pacifistes » en arguant que, pour pouvoir négocier jusqu’au bout et sauver la paix, à la différence de Munich, il faut avoir de bonnes cartes en main86. Rappelons que tous deux ont été munichois et ils trouvent peut-être quelque rédemption à retourner ainsi le stigmate à la volée contre d’autres. Marceau Pivert prend la majorité au mot et compare 1952 à 1938 pour conclure que « à Munich, la partie était déjà perdue pour le socialisme démocratique international » puisque tout s’était joué au moment de la guerre d’Espagne, alors qu’aujourd’hui son intervention « décisive » peut endiguer la menace stalinienne87. De même, Francis Leenhardt montre que la comparaison ne tient pas puisque « les Munichistes » (sic) étaient des pacifistes qui pensaient pouvoir faire confiance à l’Allemagne, alors que « c’est exactement le contraire aujourd’hui, nous conservons une méfiance totale des Allemands et nous croyons à la persistance du danger allemand88 ». Daniel Mayer a, quant à lui, beau jeu de rétorquer :
« Il est des rappels historiques généralement faux et, lorsqu’hier soir, il [Gouin] faisait […] allusion aux événements que l’on a connus dans l’Histoire sous le nom de Munich, je tiens à dire encore une fois que l’antimunichois que j’étais est demeuré antimunichois et que, au surplus, Munich était peut-être […] après tout, une tentative d’entente occidentale avec l’Allemagne et la France contre la Russie soviétique et que, par conséquent, dans la mesure où l’on se sert de quelques analogies historiques, ou elles ne valent rien, ou elles se retournent assez aisément contre les autres89. »
36Au-delà de l’autorité que lui confère sa fermeté antimunichoise très minoritaire en 1938, Daniel Mayer remet surtout en cause le raisonnement par analogie historique, lequel peut conduire à des conclusions radicalement opposées. Toutefois, cela n’empêche pas les cédistes de poursuivre dans cette voie au fur et à mesure que le débat s’envenime. Au congrès de juillet 1953, André Philip considère qu’accepter la neutralisation de l’Allemagne serait « un super Munich qui signifierait la fin totale de notre existence en tant que nation » et Christian Pineau dit ne pas vouloir éprouver « au lendemain d’une future conférence internationale, ce lâche soulagement dont parlait Léon Blum au lendemain de Munich90 ». Au congrès de mai 1954, André Ferrat affirme que « l’écrasante majorité de notre Parti ne partage pas l’esprit de Munich », car « Munich, c’est la guerre, mais c’est aussi la guerre dans la décomposition, dans le désarroi et dans le déshonneur !91 » Ce à quoi Marceau Pivert lui rétorque : « On nous accule, soit à Munich, soit à Dunkerque92 ! », en d’autres termes, consentir soit à la lâcheté et au déshonneur, soit à tous les sacrifices et enfin au désastre pour la défense nationale. En janvier 1955, Jean Bouhey considère encore que la CED aurait constitué « le dessaisissement total de la souveraineté nationale […] un nouveau Munich93 ». Dans la mesure où le souvenir traumatique de Munich ne pèse pas instinctivement sur les décisions mais où, vidé de son contenu, il est instrumentalisé pour jeter l’opprobre sur l’adversaire et le discréditer, il n’est pas encore un syndrome94. Néanmoins, la fréquence et la persistance de son usage rhétorique non seulement acculturent les nouveaux militants à cette image manichéenne des années trente mais elles sont aussi un symptôme de sa mutation en cours.
37La déchirure s’aggrave avec l’élection à la présidence de la République en décembre 1953. Marcel-Edmond Naegelen, candidat à la succession de Vincent Auriol, bénéficie du retrait du communiste Marcel Cachin, ce qui – contre toute attente – favorise l’accusation de « crypto-communisme » à l’encontre des anticédistes. Des relations de solidarité nouées dans des camps tels Buchenwald pourraient-elles jouer95 ? Guy Mollet se dépense sans compter pour défendre le projet et prend appui sur le MDSEUE et son comité de direction, où siègent André Philip et Gérard Jaquet, et qui soutiennent la CED au nom de la création d’une autorité supranationale. André Philip publie ainsi Contre la peur, pour la sécurité : la CED où il étrille avec virulence l’anticédisme qu’il taxe de « néo-poincarisme camouflé en pacifisme96 ». Le 5 mars 1954, Mollet fait, au côté du belge Paul-Henri Spaak, une intervention pour « tenter d’apaiser certaines appréhensions » dans un meeting du MDSEUE à Paris. Ceux qui croient que la neutralisation de l’Allemagne favoriserait le désarmement simultané se trompent car, « maîtresse de ses destinées », elle se dotera d’une armée autonome et sera tentée de signer « un nouveau pacte germano-soviétique ». Et il prend « à témoins tous les anciens de la guerre de 14-18 ». Il reconnaît, cependant, qu’il faut compléter le traité pour obtenir que la Grande-Bretagne y soit associée car les socialistes, qui n’ont pas « la mémoire courte », n’ont pas « oublié » ce que les Français doivent aux Britanniques et aux Américains97.
38Les anticédistes se mobilisent également et publient deux brochures en avril et mai 1954, signées par près de soixante parlementaires et rédigées par Alain Savary, Jean Charlot et Robert Verdier, la seconde étant une réaction, dans l’urgence, à la convocation d’un congrès extraordinaire sur le sujet98. Les guerres franco-allemandes ne sont pas explicitement convoquées : c’est inutile. Leur argumentaire postule la peur et le refus du réarmement de l’Allemagne avec un chapitre entier sur « A-t-on évité la reconstitution d’une armée allemande99 ? » – « La conséquence en est que la France se trouve presque isolée en face de 95 millions d’Allemands et d’Italiens influencés par un cléricalisme allié à la haute industrie, qui s’essaient à la vie démocratique après des années de régime fasciste ou nazi », expliquent-ils, montrant ainsi leur défiance envers des pays insuffisamment défascisés et où la complicité du capitalisme et de l’Église avec Mussolini ou Hitler n’est plus à démontrer selon eux100. Alors « la CED représente-telle un progrès vers l’organisation de l’Europe101 ? » « Elle nous fait courir le risque de retomber dans le dangereux tête-à-tête franco-allemand qu’une véritable construction européenne avait précisément pour but d’éviter », arguent-ils102 et conduit à « une Europe à six, cléricale et réactionnaire103 ». S’ils utilisent le passé, c’est pour en appeler au tribunal de l’Histoire : « Si la République fédérale devait être malgré tout réarmée après notre refus de ratification, du moins aurions-nous évité que le parti socialiste ait apporté son concours et, plus grave encore, sa caution à cette entreprise. Il est déjà arrivé entre les deux guerres mondiales que notre parti et l’Internationale Socialiste n’aient pu empêcher les gouvernants de commettre des erreurs. Du moins avaient-ils refusé d’en porter la responsabilité devant l’Histoire104… »
39Néanmoins, au congrès extraordinaire de mai 1954 qui doit trancher la question, il apparaît qu’au-delà de ses usages oratoires, le passé nourrit « un cas de conscience » que la discipline partisane ne saurait transcender, même si les anticédistes s’en défendent :
« On croit souvent minimiser notre position contre la CED en affirmant – de bonne foi le plus souvent – qu’elle est à base “sentimentale”. Qu’est-ce à dire ? Que nous agirions sous l’influence d’un souvenir trop obsédant du passé et qu’aveuglés par lui, nous nous refuserions à la construction “européenne”. […] Non, ce n’est pas le “sentiment” qui guide aucun d’entre nous. Mais la froide raison et la volonté de ne pas compromettre l’avenir105. »
40C’est sans doute vrai pour les européistes qui veulent avant tout une Europe à quinze… quoique ce désir soit également motivé par le besoin d’y diminuer le poids relatif de l’Allemagne. Cependant, la méfiance atavique envers l’Allemagne voire la germanophobie dominent encore certains esprits. Léon Boutbien le sait lorsqu’il rappelle aux anticédistes que la xénophobie et le racisme relèvent de « la mythologie nationaliste chère à Barrès et au triste Maurras106 ». Et Camille Titeux, des Ardennes, le reconnaît d’ailleurs après coup : « Je n’ai aucune honte à reconnaître que mon vote n’est que le cri de mon cœur et celui de mon instinct, le cri de mon cœur qui se refuse à approuver le réarmement de l’Allemagne, quelle qu’en soit la justification (applaudissements)107. » Aussi, quelles que soient leurs motivations, complexes, les anticédistes réclament « la liberté de vote » pour sauvegarder « l’unité fraternelle du parti » face à « un redoutable cas de conscience » qui ne concerne en rien, selon eux, la doctrine du parti. D’une part, presque tous les partis socialistes d’Europe sont partagés sur la question, d’autre part, le Parti socialiste belge a donné l’exemple en l’autorisant108. Ne l’a-t-on pas accordée pour l’amnistie des malgré-nous d’Oradour en 1953 ? Des précédents propres à l’histoire de la SFIO face à la guerre sont rappelés par les uns et les autres. Édouard Depreux cite le cas du traité de Versailles que plusieurs parlementaires socialistes ont refusé de ratifier109. Néanmoins, le secrétaire de la grosse fédération du Nord, Augustin Laurent, rappelle la loi : « Il ne peut pas y avoir de raison personnelle de conscience qui soit supérieure à la conscience collective du Parti ». Et il cite, en exemple, la ratification des accords de Munich où, à la demande de Léon Blum, des députés ont voté « contre leur volonté ». Il provoque d’ailleurs des « rumeurs dans la salle » de la part de délégués incrédules parce qu’ils ignorent tout de cet épisode. La ratification des accords de Munich est devenue un épouvantail pour la génération d’après-guerre alors même qu’elle n’en connaît pas bien les circonstances, ce qui révèle à nouveau, au passage, la progression du syndrome110.
41La liberté de vote n’est donc pas accordée par le congrès extraordinaire des 29 et 30 mai 1954 qui tranche en faveur de la ratification du traité. De sorte qu’au sein de diverses commissions des trois assemblées, plusieurs parlementaires se montrent indisciplinés en exprimant leur hostilité et sont logiquement sanctionnés par le comité directeur. Or, au regard des statuts, les récidives sont des « actes de rébellion ». Daniel Mayer, qui en fait partie, prononce un plaidoyer qui se transforme en réquisitoire au congrès national qui suit en juillet. Il excipe du statut de grand résistant de tous ses camarades, en mentionnant les hauts faits des uns et des autres : Oreste Rosenfeld, Georges Gorse, Jean Bouhey, Jules Moch, Marcel-Edmond Naegelen, Robert Verdier, Robert Lacoste et Eugène Montel. À son propre sujet, il se contente d’une prétérition : « Je ne vous parlerai pas de moi, d’abord parce que c’est gênant, et puis parce que si demain […] vous m’écartiez de vos rangs, vous ne pourriez pas totalement, je le pense, me chasser de notre histoire commune du Parti. » Avec une certaine malice, il énumère tous les engagements au nom du parti qu’il ne pourra plus tenir puisqu’il est suspendu et demande au comité directeur une dérogation pour aller inaugurer un buste à la mémoire de Pierre Viénot dans les Ardennes ! Et il conclut :
« Vous avez le droit d’être ingrats, vous avez le droit très exactement d’oublier ce que l’on a fait, vous avez le droit de négliger les services rendus. Ce que vous n’avez pas le droit de faire, c’est d’aggraver les divisions à l’intérieur du Parti, c’est en nous frappant, de frapper le Parti lui-même. Et puis, je vous le dis, si demain, jugé récidiviste par vos soins, j’étais quelque peu chassé du Parti, je rentrerais par la fenêtre. Le Parti, c’est ma vie. C’est la vie de tous les militants. Vous ne réussirez pas ni à nous en chasser moralement, ni encore moins à nous en chasser physiquement111 ! »
42Cette diatribe restaure l’équation : les socialistes résistants sont le parti, de sorte que la mémoire de la Résistance redevient constitutive de son identité même. Les exclure revient, par conséquent, à l’amputer. Mayer ne va pas jusqu’à se déclarer lui et ses camarades infaillibles, mais au nom de ce passé fondamental, il revendique la liberté de conscience et donc une dérogation112. Pourtant, le 30 août 1954, 53 parlementaires – soit la majorité du groupe – contribuent à l’échec définitif de la CED. Le 1er septembre, Le Populaire titre en une : « Après le rejet indirect de la CED par l’Assemblée, pathétique appel du Parti socialiste à toutes ses fédérations et à tous ses militants. Le comité directeur décide d’exclure Jules Moch, Max Lejeune et Daniel Mayer », repris en écho par Le Populaire Dimanche le 5. La responsabilité des contrevenants dans cet échec est soulignée car le parti ne veut pas l’endosser à leur place.
43Outre que dans l’ensemble du pays, les électeurs socialistes favorables à la CED chutent de 48 % en 1951 à 33 % en juillet 1954 d’après un sondage113, plusieurs parlementaires indisciplinés votent conformément aux décisions de leur congrès fédéral, tels les Ardennes, la Somme, le Haut-Rhin, les Basses-Alpes, la Côte-d’Or, la Drôme… Si l’anticédisme est minoritaire et dispersé dans toutes les fédérations, les votes en pourcentage des mandats fédéraux permettent néanmoins de repérer des régions frontalières marquées par l’Occupation, telles que la Picardie – de Max Lejeune – les Ardennes, l’Alsace et la Lorraine, à l’exception notable du Nord – grosse fédération acquise à Guy Mollet114. C’est ainsi que le délégué de la Meurthe-et-Moselle exprime une germanophobie et une peur ataviques propres à son territoire :
« Dans l’Est, la région qui est toujours envahie la première, où les chevaux cosaques n’ont plus piétiné le sol depuis 1815, pour nous, l’ennemi là-bas qui viendrait nous envahir, comme en 1870, comme en 1914, comme en 1939, ce sont les soldats d’Adenauer ! (Applaudissements) Qui, ici, à la tribune, me dira que notre ennemi sera le bolchevisme, la Russie, l’URSS ! Qui va nous garantir que les Boches ne vont pas nous envahir dans dix ans, ou dans quinze ans ? […] Ils ne veulent pas d’alliance avec nous s’ils ne sont pas mis sur un pied d’égalité, si on n’oublie pas les atrocités qu’ils ont commises en France. Il faut oublier Oradour, il faut libérer tous ceux qui ont violé nos femmes, tous ceux qui ont brûlé nos fermes, tous ceux qui nous ont fait nous cacher pendant la clandestinité, pendant quatre ans ! C’est avec ces gens-là que, demain, vous allez vous allier115 ? »
44À cette date, Oradour symbolise le massacre de masse pour un Mosellan qui n’a pas encore été confronté aux déchirements du procès des malgré-nous alsaciens à Bordeaux en 1953116. En revanche, le viol des femmes et la politique de la terre brûlée renvoient à des guerres antérieures à l’annexion de fait du 25 juillet 1940, laquelle a été suivie d’une germanisation forcée : les souvenirs des trois guerres s’enchevêtrent. Dans une sorte d’écho inversé au « plutôt Hitler que Staline » d’avant-guerre, ce Mosellan ne croit pas à la probabilité d’une agression soviétique mais semble, en revanche, persuadé qu’Adenauer – un démocrate-chrétien – peut devenir le successeur du Führer. Car l’anticédisme de ces régions est également motivé par un militantisme laïc et une hostilité prononcée contre le MRP. De sorte que son discours charrie à la fois les traumatismes du passé local et une reconstruction politique.
45Lors du vote sur les accords de Londres et de Paris, qui doivent remédier aux conséquences de l’échec de la CED117, le 30 décembre 1954, 18 parlementaires dont 17 récidivistes refusent la ratification alors que le congrès extraordinaire des 10 et 11 novembre de Suresnes l’avait ordonnée. Les indisciplinés allèguent à nouveau leurs actes de résistance. Cependant, ils insistent surtout, encore et toujours, sur « la primauté de conscience » et toutes les fois où les minoritaires d’hier ont eu raison par la suite : lors de l’affaire Dreyfus, en 1914-1915, au congrès de Tours en décembre 1920118… Avec rouerie, Marcel-Edmond Naegelen argue même que, lors des procès de collaborateurs et de criminels nazis, les juges n’ont pas accepté leur respect de la discipline comme une circonstance atténuant leur responsabilité119. Quant à Achille Auban, il répète sans fard ce qu’il a déjà dit au comité directeur : il ne peut oublier ses camarades résistants victimes de la répression ou de la déportation, alors que c’est lui qui les a entraînés dans ce combat et qu’il leur a survécu120. Certes, il n’a pas le monopole du devoir de mémoire et d’anciens déportés, comme Georges Brutelle ou Christian Pineau, sont favorables à la CED ; mais eux ne porteraient pas le poids de sa culpabilité. Il ne s’agit donc plus d’un passé choisi, mais d’un passé contraint, et Guy Mollet lui-même le reconnaît. Il lui demande toutefois, à lui comme à ses camarades, d’être capables de le transcender121. La querelle a atteint un tel degré de passion dans un parti déjà bien affaibli par la baisse de ses effectifs que Guy Mollet propose une amnistie pour les indisciplinés « qui, depuis lors, ont respecté les consignes de vote ». Elle est approuvée à l’unanimité par un congrès extraordinaire le 6 février 1955122. Le 7 mars 1957, les traités de Rome sont signés : le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Mollet considère que leur « mission » est enfin accomplie123 et les caricatures du Populaire Dimanche saluent l’aboutissement d’une longue marche (fig. 34 et 35). La querelle de la CED n’aurait été qu’un accident de parcours.
Fig. 34. – L’EURATOM (Lebon, Le Populaire Dimanche, 24 mars 1957).

46En réalité, la querelle laisse des traces durables dans le parti. Même si parfois les mots ont dépassé la pensée, de profondes blessures morales ont été infligées. Certes, la cité Malesherbes a renforcé son contrôle et la discipline, mais à quel prix ? Là encore, la comparaison avec la religion séculière des communistes est éclairante : les socialistes ont foi en leur doctrine mais pas nécessairement en ses « officiants », les membres de l’appareil. Et pire, forts de leur expérience passée, il leur arrive même de penser qu’ils peuvent avoir raison, seuls contre tous, et donc contre leur parti en dépit de son fonctionnement démocratique. La mémoire individuelle de chacun peine à se fondre dans la mémoire commune, et la discipline partisane ne peut y remédier.
Fig. 35. – La CEE (Grum, Le Populaire Dimanche, 31 mars 1957).

47Le réarmement de l’Allemagne et, au-delà, le projet de CED provoquent une crise mémorielle dans la mesure où les instances dirigeantes du parti n’ont pas réussi à imposer une mémoire de guerre partagée. À l’exception de certaines fédérations frontalières ou particulièrement martyrisées, des passés pourtant communs ne déterminent pas nécessairement les mêmes choix. Ni l’expérience d’ancien-combattant ou la captivité, partagées par bon nombre de Français, ni la Résistance ou la déportation, qui les distinguent du lot, ne préservent la cohésion des socialistes. Cet échec d’une mémoire par en haut est d’autant plus grave que la SFIO s’est autoproclamée refondée et rénovée dans et par la Résistance. À quoi servent cette refondation et cette rénovation si elles n’assurent pas pour autant une identité commune ? Car la confrontation de ces mémoires individuelles, meurtries et pas toujours guéries, n’est pas compensée par la doctrine socialiste. Les militants ont beau être internationalistes, européistes et, bon gré mal gré, atlantistes par anticommunisme, ils ne peuvent s’accorder sur « le problème allemand ». Consciente de cet échec mortifère, la direction « molletiste » – puisque tel est désormais son qualificatif – renforce la discipline partisane qui veut que « nul n’ait jamais raison contre son parti » et qui érige la conscience collective au-dessus de la conscience individuelle. Elle ne peut cependant se résoudre à exclure définitivement des résistants historiques qui excipent précisément de leur passé dans la Résistance pour justifier leur indiscipline. Pour mettre fin à la crise qui menace l’unité même du parti, les socialistes doivent donc leur accorder l’amnistie dans un curieux revirement de situation qui les voit préconiser une mesure qu’ils ont tant dénigrée les années précédentes. En cela, ils se démarquent des communistes. Dans ces conditions, tous instrumentalisent l’histoire du mouvement ouvrier et l’histoire de France en transformant Jaurès en totem et Munich en épouvantail. Ces usages rhétoriques semblent de bonne guerre et l’auteur de L’Armée nouvelle y survivra mais, dans le cas de Munich, qui acquiert peu à peu le statut d’une antonomase, ils préparent le terrain à ce qui va devenir un syndrome, en 1956 et au-delà.
La guerre sans nom ou la mémoire écran
48Toute une génération de la gauche s’est politisée avec la guerre d’Algérie, notamment les militants du PSU qui rejoignent par la suite le parti d’Épinay à partir de juin 1971 ou lors des Assises du socialisme en 1974. Ils n’ont jamais admis que des socialistes aient pu accepter que le gouvernement Mollet se fasse attribuer les pouvoirs spéciaux en mars 1956, obtienne l’exécution des condamnés à mort en juin, couvre le détournement de l’avion de Ben Bella le 22 octobre, pratique « la politique de la canonnière » à Suez le 31 du même mois, attribue tous les pouvoirs à Massu lors de « la bataille d’Alger » en 1957, et que – comble du reniement à leurs yeux – il couvre la torture. Bien entendu, il ne s’agira pas de refaire le procès du « national-molletisme », expression forgée par Alexander Werth pour le stigmatiser124, ni de lui chercher de circonstances atténuantes. On essayera, toutefois, de comprendre quel rôle les mémoires des guerres ont pu jouer dans ce tournant identitaire, rôle totalement ignoré par leurs plus virulents pourfendeurs par la suite. Or Henry Rousso a montré que, si objectivement cette guerre sans nom n’avait pas grand-chose à voir avec l’Occupation, les contemporains, et pas seulement les socialistes, ont cependant raisonné par analogie en y voyant une nouvelle « guerre franco-française ». C’est pourquoi l’historien diagnostique un « rejeu de la faille » dans les engagements des uns et des autres125. Il importe donc de distinguer ce qui relève de l’opinion commune de ce qui est spécifique aux socialistes.
49Chez les socialistes, la rétrospective remonte bien au-delà de la Seconde Guerre mondiale, puisqu’elle inclut la lutte contre le fascisme depuis le 6 février 1934 et, en amont même, les guerres de Religion du xvie siècle. Leur permet-elle de faire évoluer leur doctrine et d’envisager la décolonisation ? Ou, au contraire, sont-ils « prisonniers du passé126 » ? On sait qu’une minorité hostile à la politique menée par Marcel-Edmond Naegelen, Robert Lacoste et Guy Mollet se constitue progressivement127. Elle rassemble surtout des dissidents issus du socialisme humaniste de Jaurès et Blum, tels que Daniel Mayer, Oreste Rosenfeld, Robert Verdier, Robert Blum ou encore Édouard Depreux et des membres des Jeunesses socialistes (JS) et des Étudiants socialistes (ES). En s’inspirant de Pierre Vidal-Naquet, il est possible de les comparer à des « dreyfusistes », attachés à une certaine idée de la République et à ses valeurs, par fidélité aux résistants qu’ils ont été eux-mêmes ou dont ils se réclament128. Selon « ces consciences inquiètes129 », la patrie des droits de l’Homme ne peut tolérer la torture et les crimes de guerre sans se renier, pas plus que le parti socialiste. André Philip publie ainsi un livre au titre éloquent, Le socialisme trahi, dès 1957, qui servira par la suite de matrice au rejet du « national-molletisme130 ». Pourquoi la mémoire de guerre est-elle d’abord éthique chez les uns, alors qu’elle est patriotique chez les autres ?
Quand la mémoire révèle un outillage mental obsolète
50Cette faille de la mémoire ne rejoue pas brusquement lors de la guerre d’Algérie ; ce rejeu est préparé par des mouvements sous-jacents lors des conflits coloniaux à partir de 1945. Une série d’insurrections indigènes d’inspiration nationaliste, dégénérant de part et d’autre en violences de guerre, heurtent de plein fouet des socialistes idéologiquement plutôt démunis, qui recourent à la mémoire encore vive de la Seconde Guerre mondiale pour les appréhender. Dès le 8 mai 1945, les manifestations nationalistes du Constantinois, réprimées avec la plus grande violence, interpellent la conscience du parti fraîchement reconstitué et entraînent des débats sur la loi d’amnistie du 16 mars 1946. Et si officiellement la SFIO reste solidaire de la politique indochinoise des divers gouvernements jusqu’en 1952, des militants, ainsi que les JS et les ES, se montrent de plus en plus critiques. Sentiment national et violences de guerre suscitent des raisonnements par analogie : les indépendantistes algériens seraient des terroristes ; la République une et indivisible serait à nouveau menacée ; le FLN serait au service de l’impérialisme de Nasser. Ils sont autant des indices de leur incapacité à penser la décolonisation que des prétextes pour ne pas y remédier.
51Les premiers soubresauts de l’Empire ne troublent pas outre mesure les Français de la métropole, tout entier à leurs soucis quotidiens et dans l’attente d’une prompte reconstruction. Les massacres de Sétif et Guelma, puis la reprise en main de l’Union indochinoise ne suscitent les réactions que de quelques intellectuels comme Albert Camus dans Combat. Il n’est donc pas surprenant que les socialistes ne se distinguent pas du lot, d’autant que leur doctrine ne les a guère armés en la matière. Ils adhèrent à une Union française censée mettre fin au régime colonial pour lui substituer « une organisation d’ensemble à la fois souple et articulée », une sorte de confédération131. Mais s’agit-il d’assurer une émancipation individuelle par l’assimilation et l’intégration à la France, ou bien une émancipation collective par l’autonomie voire l’indépendance ? Sous la pression de la jeune génération, celle de Marius Moutet accepte d’écarter l’assimilation pure et simple, mais rejette le caractère national des futurs États : on s’en tient finalement à la personnalité territoriale avec une cohabitation des communautés132.
52 Le Populaire tarde à réagir aux événements algériens du 8 mai 1945, alors que L’Humanité s’interroge « Après les incidents de Sétif, où veut-on mener l’Algérie ? » dès le 12 mai. Pour l’organe de la SFIO, il s’agit de ne pas jeter d’huile sur le feu, alors que le ministre de l’Intérieur, Adrien Tixier, et le gouverneur général, Yves Châtaigneau, sont tous deux socialistes. Communistes et socialistes y voient d’abord le prolongement de la guerre franco-française, une tentative de revanche de la France de Vichy qui n’admet pas sa défaite. Le 28 juin, Charles-André Julien commente « les émeutes du 8 mai » et, à l’instar du PCF, il parle de « fascisme en Algérie » avec toutefois de sensibles différences133. L’Humanité incrimine « les traîtres à la France, toujours installés au gouvernement général » et « la poignée de vichystes » qui veulent instaurer « une dictature militaire fasciste, versaillaise » et « séparatiste134 ». Julien ne se réfère pas à la Commune, mais à la terreur blanche du Midi en 1795, à moins que cela ne soit à celle de 1815 lors de la Restauration : il accuse le général Catroux d’avoir laissé « à la réaction des forces intactes dont elle veut se servir pour faire triompher un régime de terreur blanche ». Mais alors que, dès le 13 mai, le journal communiste en profite pour mettre en cause Tixier, le ministre de l’Intérieur – « va-t-il continuer une telle politique anti-musulmane et anti-française ? », passant sous silence les bombardements ordonnés par le communiste Charles Tillon, alors ministre de l’Air – Julien se contente de critiquer les incohérences du « gouvernement », ce qui dilue les responsabilités. Et lorsque L’Humanité dénonce les musulmans manipulés par « des provocateurs » que sont « les cent seigneurs de la Terre, des Mines, de la Banque », ainsi que le « pseudo-nationaliste tunisien Bourguiba » et « les Amis du Manifeste, organisation pseudo-nationaliste dont les tueurs ont participé aux événements135 », Julien regrette que le parti de Ferhat Abbas ait été « noyauté et entraîné par des extrémistes suspects ». Le 29 juin, les accusations de Julien contre « les vichystes » se précisent : il dénonce la volonté de chasser Châtaigneau, la création de « milices armées » « sous la conduite d’anciens chefs légionnaires et SOL », l’humiliation de Kherrata, la tentative pour reconstituer le Front paysan de Dorgères… pour louer, enfin, « le sang-froid » de Tixier136. Ignorance ou omission volontaire, il ne dit mot ni de l’action du sous-préfet socialiste de Guelma, André Achiary, qui a contribué à l’escalade de la violence en constituant une garde civique armée137, ni de la participation de membres de la section SFIO de Bône à la répression. Au filtre de la mémoire immédiate de la Seconde Guerre mondiale, la dimension fondamentalement nationaliste des événements n’est donc pas saisie à sa juste mesure. Pour la majorité des militants SFIO, les Algériens, après avoir souhaité la victoire sur le nazisme, ne peuvent désirer quitter le giron de la mère patrie. Et c’est encore la responsabilité des Français, en l’occurrence des colons et de l’armée, qui est pointée par le délégué de Seine-et-Oise au congrès d’août 1945, après avoir évoqué « les atrocités nazies » dans la métropole :
« Je voudrais dire qu’aucun peuple n’est à l’abri de pareilles choses. Je pense quant à moi à d’autres atrocités qui ont été commises par d’autres que les nazis allemands. Je pense qu’un village d’Algérie s’étant révolté, un autre village qu’on a confondu avec le premier a été complètement rasé ; je pense que mon beau-frère qui était là-bas me disait : “Nous faisions mouche à tout coup”. Je sais d’autre part qu’il y a eu en Algérie, à la suite des événements récents, une répression féroce et que les morts pouvaient se compter par milliers. (Bruit. Mouvements divers) […] Un délégué – Il est honteux d’entendre de pareilles choses138 ! »
53Les massacres perpétués en Algérie rappellent ceux commis par les nazis aux plus clairvoyants et heurtent leur conception de la République, mais cette analogie n’éclaire en rien le fond du problème algérien. Somme toute, il ne les préoccupe guère, comme le déplore le délégué d’Oran, auquel bien peu de place est accordé dans l’ordre du jour de ce même congrès139. Et lorsque le groupe socialiste dépose un projet de loi d’amnistie en mars 1946 au nom de la réconciliation des communautés, il débat surtout de son éventuel élargissement aux actes de trahison sous le régime de Vichy, élargissement qu’il refuse bien entendu140. Comme l’écrit Jean-Pierre Peyroulou à propos de la loi du 9 mars 1946, l’amnistie permet de pas cerner les responsabilités, d’oublier et de ne pas comprendre141.
54Cependant, un congrès interfédéral sur l’Afrique du Nord est organisé à Alger les 13 et 14 juillet 1946 pour réfléchir au statut des pays nord-africains dans le cadre de la future Union française. Les socialistes de métropole se disent, en effet, « quelque peu désorientés », non seulement parce qu’ils ne connaissent pas « le problème à fond », mais surtout parce que les fédérations d’Afrique du Nord sont désormais divisées entre les partisans de l’assimilation et du rattachement à la métropole et leurs adversaires qui veulent une formule « fédéraliste142 ». Or, au cours des débats, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale fait soudain irruption. Alors que les délégués musulmans Allal Saadoun (Oran), Mostepha Benbahmed (Constantine), Mohamed Lechani (Alger) et Abderrahmane Farès (Alger) se succèdent pour expliquer, en détail, pour quelles raisons l’assimilation est une utopie et un leurre, Pierre Segelle, qui préside la séance de nuit, déclare comme une évidence :
« Quand j’étais dans les camps de concentration en Allemagne, j’ai eu des compagnons nord-africains. J’étais même enchaîné à l’un d’eux. À ce moment-là, rien ne nous distinguait dans le combat contre l’oppresseur. Cette égalité, nous en étions tous pénétrés. Nous sommes convaincus de mener ensemble le bon combat143. »
55Né à Médéa, Segelle a quitté très jeune l’Algérie pour suivre son père, médecin militaire, en métropole144. S’il n’évoque pas son éducation familiale, le souvenir de la résistance commune est pour lui la preuve de la supériorité de l’universalisme français et donc de l’assimilation. Le délégué d’Alger, Prouteau, ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque, en l’essentialisant, « l’Algérien » qui « petit à petit s’est mis à aimer la France », la preuve en est qu’en 1944 et 1945, il a « montré son attachement aussi bien dans la résistance que dans la lutte armée145 ». Benbahmed leur rétorque que la guerre a été « le bouleversement des esprits, une guerre de liberté à laquelle nous coloniaux (sic) avons participé avec vous pour combattre le racisme et le nazisme et que nous avons maintenant droit à une place au soleil146 ». De « socialiste musulman », le souvenir de la guerre le mue, à ses propres yeux, en colonisé. André Bidet avertit d’ailleurs ses camarades que l’analogie va se retourner contre eux : « Les Tunisiens disent à qui veulent les entendre : “Nous sommes des résistants comme les Français de France l’ont été”147. » La mémoire immédiate de la guerre, où des Algériens ont combattu les nazis à leur côté, contribue, cependant, à la méconnaissance du fait national algérien chez la plupart d’entre eux.
56Lorsque « le problème algérien » revient au Parlement en août 1946, Raoul Borra, élu un an plus tôt maire de Bône à la tête d’une liste « démocratique et d’union antifasciste », explique encore que le malaise algérien est avant tout un reliquat de la guerre. Trop de vichystes ont déconsidéré l’image de la France aux yeux des « indigènes » selon lui. Seules l’épuration et une véritable politique d’assimilation pourront apporter une solution. Car « le parti socialiste est convaincu qu’il n’y a pas de nation algérienne148 ». En mai 1947, un projet de statut de l’Algérie est déposé par le gouvernement Ramadier : plus libéral, il prévoit entre autres la création d’une assemblée algérienne. En dépit de débats houleux, le ministre de l’Intérieur, Édouard Depreux, épaulé par le rapporteur oranais Maurice Rabier, réussit à le faire adopter le 20 septembre 1947. « N’oubliez pas les leçons de 1936 », implore Claude de Fréminville : « Ne permettez pas que les djinns diaboliques de la réaction refassent le coup qu’ils réussirent en 1936 contre le projet Blum-Viollette149 ! » Charles-André Julien renchérit et compare les colons aux « émigrés de 1792 » qui « n’ont rien oublié, rien appris », avides de préserver « leurs privilèges » et à « l’esprit raciste150 ». Ce discours sur l’occasion manquée en 1936 servira bientôt de matrice à celui sur l’occasion manquée en 1947 – puisque le statut, on le sait, n’a pas été appliqué par les successeurs de Depreux151. Conformément à leur conception téléologique de l’Histoire, Élie Cohen-Hadria peut écrire que l’égalité au sein de l’Empire est « la loi de l’Histoire », la preuve étant « que le Guyanais Félix Éboué a été, aux heures sombres, au premier rang des grands mainteneurs de la France152 ». Les socialistes raisonnent par analogie historique. En l’occurrence, chez ces progressistes de bonne foi, cette guerre franco-française contre le fascisme, qu’ils s’honorent de mener depuis les années trente, ne les aide guère à comprendre que l’enjeu n’est pas l’égalité des droits, mais la reconnaissance d’une nation algérienne qui réclame le droit à disposer d’elle-même. Ils écartent donc « le séparatisme » préconisé par les nationalistes qui, selon eux, ne peut être envisagé que « s’il répond à une nécessité ethnique, historique et politique153 ».
Fig. 36. – Permanence des clichés colonialistes (Grum, Démocratie 60, 8 septembre 1960).

57La mémoire des guerres civiles ou contre l’occupant sert, en effet, à accommoder la conception évolutionniste, ethnocentriste, voire paternaliste, de nombre d’entre eux. Peut-être est-il excessif de dire qu’il s’agit d’une « acceptation consciente de l’ignorance » avec André Philip154, mais elle les conforte dans leurs stéréotypes. En juillet 1946, le délégué du Maroc, Gauthier, considère que « le Maroc est un adolescent qui n’a pas la résistance physique et la formation politique d’un être adulte et majeur155 ». En septembre 1960, Démocratie 60 peut publier une caricature de Grum qui n’aurait pas détonné dans l’entre-deux-guerres : une famille de Congolais, aux yeux ronds et aux lèvres lippues, dans le plus grand dénuement, sont accablés par le départ des Belges consécutif à leur indépendance en juin 1960 : « Les plus malheureux sont toujours ceux qui restent… » (fig. 36).
58Ces clichés montrent la permanence, chez les militants, des théories du sociologue Lucien Lévy-Bruhl, condisciple à l’ENS et ami de Jaurès, penseur de « la mentalité primitive156 ». Son fils Henri, membre du parti et juriste, considère que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une formule dépassée : « Il est d’abord des États, surtout en Afrique, en Asie, en Océanie, qui, bien que souverains, n’ont pas le degré de culture suffisant pour être en état de se gouverner eux-mêmes. On peut les assimiler à des mineurs157. » Le secrétaire d’État aux forces armées de Mollet, Max Lejeune, est également représentatif de ce substrat idéologique lorsqu’il écrit à propos du Maroc en 1955 : « La vérité, c’est que toutes les nations du monde n’ont pas le même âge. […] À côté de l’évolué qui a assimilé notre civilisation, subsistent malheureusement de nombreux individus primitifs chez qui l’instinct de combat et de rapine peut facilement être éveillé ». De sorte que si la France a « pétri et façonné » cette colonie, il s’agit d’y « poursuivre aujourd’hui sans faiblesse » la mission civilisatrice et, à terme, assimilationniste de la France modèle de développement d’une civilisation évoluée158. En mai 1956, Claude Fuzier réunit, dans une même condamnation, le massacre des dix-sept soldats français, qui vient d’être commis à Palestro, avec celui de femmes et d’enfants à Philippeville le 20 août 1955. Or, visant leurs frères ennemis communistes, il réfute que l’on puisse expliquer ces « abominations » par « des considérations sur la marche de l’Histoire » :
« La marche de l’Histoire par le fer et par le feu, ce sont Bismarck, Hitler et Staline qui l’ont faite. Mais la gauche française, comme la gauche internationale, qui n’acceptent pas les “fatalités” et qui se refusent à ce genre de “réalisme” politique, ont une autre conception de l’évolution de l’humanité159. »
59Cette autre « conception de l’évolution de l’humanité » puise toujours sa source dans la croyance en une Histoire orientée vers le progrès et s’avère du même coup tout aussi déterministe. L’anthropologue africaniste et anticolonialiste Georges Balandier est pourtant encarté à la SFIO de 1946 à 1951 mais, sous réserve d’inventaire, il ne collabore à aucun de ses organes de presse et, surtout, n’influence guère sa réflexion sur l’Union française et le devenir de ses membres160. Seuls les ES de Michel Rocard, dit Georges Servet, semblent plus perméables aux réflexions sur les rapports de domination, comme en atteste L’Étudiant socialiste où Serge Adour recommande la lecture de Peaux noires, masques blancs de Frantz Fanon (1952), et Roger Dause celle de La révolte de l’Asie de Tibor Mende (1951)161. Si des militants formés dans l’entre-deux-guerres sont capables d’abandonner leurs clichés et d’adopter de nouveaux schémas de pensée, la jeune génération y échappe encore plus facilement.
60Par conséquent, la mémoire des guerres menée contre le fascisme intérieur ou extérieur, qu’elle soit instrumentalisée pour justifier un discours ethnocentriste ou qu’elle contribue à ancrer une conception évolutionniste et progressiste de l’Histoire, ne permet guère aux socialistes de comprendre « la situation coloniale », pour citer Georges Balandier, et d’innover en la matière162. À cela s’ajoute une mémoire laïque des guerres de Religion, entretenue par l’histoire enseignée dans l’école de Jules Ferry.
61L’idée que l’Égypte et les pays arabes attisent en sous-main une guerre sainte en Algérie est largement partagée et n’est pas spécifique à la SFIO. Dans son introduction à L’Année politique de 1955, André Siegfried évoque « la croisade de l’Islam163 ». Chez les socialistes, en outre, cette conviction induit une analogie avec la Saint-Barthélemy qui leur semble aller de soi, mais qui interroge. Une douzaine de jours après la Toussaint rouge, Paul Parpais écrit qu’il « commence à être possible de tirer les premières leçons de la nuit sanglante de la Toussaint en Algérie », pour conclure que l’espoir des « émeutiers » était que « ces attentats seraient le signal d’une Saint-Barthélemy générale des Français d’Algérie164 ». Comme d’autres, ils sont convaincus que les attentats commis dans les Aurès ont été orchestrés depuis Le Caire, entre autres à cause des appels au meurtre lancés par la radio « La Voix des Arabes165 ». Et Max Lejeune traduit un sentiment partagé lorsqu’il évoque « la guerre sainte que les fantoches d’Égypte et les esclavagistes d’Arabie prêchent contre les roumis » et qu’il dénonce « le fanatisme religieux le plus primitif […] dont le caractère cruel se marque dans le rite des exécutions, des victimes égorgées, comme immolées, dans la destruction des écoles, dans le sabotage d’installations d’intérêt public évident166 ». En janvier 1962, Démocratie 62 publie les extraits d’une tragédie, La trompe d’Hellequin, sur le massacre de la Saint-Barthélemy, diffusée à la radio dans le cadre d’une Carte blanche accordée à l’un de ses collaborateurs réguliers, Roger Ikor167. « En raison de son caractère d’une éternelle actualité historique – les guerres de religions du passé ont le même aspect maudit que les guerres civiles d’aujourd’hui – nous publions aujourd’hui les dernières séquences » justifie le journal, illustrant son propos d’une photographie aérienne d’émeute, fort peu explicite, non-référencée, et légendée « Saint-Barthélemy 1960 » (fig. 37). Ikor lui-même explique avoir voulu montrer « les sortilèges du fanatisme » :
« Il va de soi qu’en m’attachant aux guerres de religions du xvie siècle, c’est à notre guerre de religion d’aujourd’hui que je pensais : la guerre d’Algérie ! […] C’est l’appel de l’homme contre la bête que j’ai voulu une fois de plus lancer168 ! »
62À la veille des accords d’Évian, Max Lejeune craint encore une nouvelle « Saint-Barthélemy des Européens et musulmans français » en Algérie169. Ethnocentrisme et conception évolutionniste de l’Histoire se conjuguent pour les convaincre de ce que Samuel Huntington n’a pas encore qualifié de « choc de civilisations » entre musulmans « primitifs » et chrétiens « évolués170 ». Or, la référence à la nuit du 23-24 août 1572 confère d’autres dimensions à cette guerre sans nom : celle d’une guerre civile, puisque l’Algérie c’est la France, et celle d’une guerre religieuse d’un autre âge qui bafoue le principe républicain fondamental de la laïcité. En l’occurrence, à la différence d’Oradour, la Saint-Barthélemy est un souvenir froid, transmis à des générations d’écoliers par le « Petit Lavisse », mais son usage traduit la grille de lecture laïque de ce qui va bientôt être qualifié de « national-molletisme ».
Fig. 37. – « Saint-Barthélemy algérienne » (Démocratie 62, 11 janvier 1962).

63En 1972, pour conclure son analyse du « marécage indochinois », Roger Quilliot, qui s’était montré critique sur sa politique algérienne, offre cette circonstance atténuante en guise de mea culpa au parti qu’il n’a pas abandonné en dépit de ses dérives :
« Il manquait enfin une doctrine de l’émancipation des peuples coloniaux ou, à défaut, une suffisante sensibilité aux mouvements qui agitaient le monde. Mais, comme l’ensemble des Français, les socialistes n’avaient qu’un sens limité de la géographie171. »
64La formation des militants, en favorisant une histoire du mouvement ouvrier teintée de matérialisme historique avec, en toile de fond, le roman national d’Ernest Lavisse, ne les a guère préparés à concevoir des phénomènes qui leur demeurent étrangers et à faire un pas de côté pour mieux les saisir. Encore faut-il ajouter à cet outillage mental obsolète sur la colonisation les biais cognitifs engendrés par leur mémoire des guerres : elle entretient un patriotisme méfiant et donc sourd aux aspirations nationalistes – et pas seulement « fanatiques » ou « obscurantistes » – des peuples colonisés et les confirme à tout le moins dans leur conception ethnocentriste et évolutionniste de l’Histoire. À l’inverse, nombre de ceux qui rompent avec la politique coloniale de la SFIO, souvent au prix de leur exclusion, invoquent l’esprit de la Résistance. C’est alors un dialogue de sourds qui s’engage.
Esprit de la Résistance ou syndrome de Munich
65Des militants n’attendent pas l’organisation de la minorité hostile à la politique algérienne du gouvernement Mollet en juin 1956 pour adopter ouvertement une posture « dreyfusiste ». Dès les débuts de la guerre d’Indochine, puis lors de l’insurrection de Madagascar en 1947, quelques-uns expriment leur doute et inquiétude, tant le parallèle avec les massacres subis sous l’Occupation leur semble inévitable. Après le 6 février 1956, ils sont plus nombreux à considérer que le nationalisme jacobin du gouvernement, pourtant socialiste, menace les principes et les idéaux pour lesquels ils ont combattu dans la Résistance, laquelle était porteuse d’un espoir de changement. Esprit de la Résistance contre la honte de Munich, dans ce débat qui touche à leur identité même, la mémoire de guerre est mobilisée par les uns comme par les autres, les uns contre les autres172. Pourquoi leur hiérarchie des valeurs est-elle ainsi bouleversée au nom de leur passé ?
66L’opération de Suez à l’automne 1956 révèle une autre fonction de la mémoire173. Lorsque Nasser nationalise le canal, le 26 juillet, au mépris de la convention internationale de 1888, le spectre de Munich semble conditionner l’appréhension des événements par le gouvernement Mollet et la plupart des militants. Rappelons que ce gouvernement est alors au diapason de l’opinion publique et des responsables politiques, droite et gauche confondues, à l’exception notable des communistes. Le 30 juillet, Le Monde titre « Tel Hitler ». Le 2 septembre 1956, le ministre des Affaires étrangères, Christian Pineau, déclare que « le complexe de Munich » détermine l’action de tous les ministres et, après coup, lors du conseil national du 16 décembre, Mollet s’écrie : « Oui, c’est bien le complexe de Munich qui nous a animés174 ! » Munich a désormais totalement perdu sa nature de nom propre et, par antonomase, désigne la pire lâcheté de l’histoire diplomatique européenne. Pourtant, quelques-uns refusent de s’y cantonner.
67Sans revenir sur le déroulé de chacune des étapes qui cristallisent la division, il faut expliquer pourquoi les uns se focalisent sur septembre 1938, alors que les autres montent en généralité. Quelles formes caractéristiques le syndrome de Munich revêtil chez les socialistes, et pour quelles raisons la plupart en sont-ils affectés quand quelques-uns semblent immunisés ?
68Ceux qui défendent le droit des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes ou qui dénoncent les dérives coloniales de la République, invoquent l’esprit de la Résistance. En d’autres termes, ils rappellent qu’ils ont d’abord lutté contre le régime de Vichy et l’occupant pour défendre la liberté et les droits de l’homme, et que ce combat ne s’est pas achevé avec l’armistice.
69Ainsi, en mars 1946, Oreste Rosenfeld s’indigne qu’à Saïgon l’armée se livre à des violences – massacres, exhibitions de femmes tondues – dignes de la guerre précédente175. La SFIO, toutefois, persévère à voir dans l’intégration de l’Indochine à l’Union française « une occasion » de progrès176. Alors que le conflit s’enlise, la répression de l’insurrection malgache du 29 mars 1947 suscite une certaine émotion. La mémoire d’Oradour-sur-Glane fait irruption avec une telle acuité que « Moramanga, l’Oradour malgache » est encore présent dans les esprits aujourd’hui sur l’île177. Il semble que le PCF ait usé a posteriori de cette analogie stigmatisante dans les années 1950, mais il est difficile d’établir à quel moment précis178. Le 5 avril 1947, Le Populaire, en titrant « Le calme est revenu à Madagascar » et en se félicitant de « l’amitié franco-malgache » retrouvée, montre à quel point les socialistes se méprennent sur la nature même de l’intervention des forces armées sous le gouvernement de l’un des leurs, Paul Ramadier. Or, dès le 20 avril 1947, L’Humanité accuse l’armée française d’avoir massacré « 2 000 Malgaches par représailles à Moramanga ». Le 9 mai, alors que l’on apprend l’arrestation des élus MDRM (Mouvement démographique de la rénovation malgache), Joseph Ravoahangy et Joseph Raseta, accusés d’avoir fomenté les troubles, le groupe parlementaire socialiste assure de sa confiance le gouvernement et son ministre de l’outre-mer, Marius Moutet179. Lors du débat sur la levée de l’immunité parlementaire de Raseta, ses membres refusent de joindre leurs voix à celles des communistes – nous sommes après la crise du 4 mai ; ils s’abstiennent de sorte que celle-ci est votée180 et, le 1er août, ils accordent celle de deux autres députés, alors que les communistes la refusent181.
70Quelques socialistes s’engagent, pourtant, dans ce qu’ils considèrent être le prolongement naturel de leur combat dans la Résistance. Avocat de plusieurs nationalistes depuis 1945, l’ancien membre de Ceux de la Résistance, Pierre Stibbe, débarque en qualité de défenseur des députés inculpés le 1er mai à Tananarive. D’autres avocats l’y rejoignent, dont Lamine Gueye, député SFIO du Sénégal, et Yves Dechézelles, ancien secrétaire-général adjoint du parti qui a démissionné depuis. En octobre 1947, la Cité Malherbes refuse d’investir la candidature de Stibbe à l’Union française et l’exclut en janvier 1948182. Le 23 mars, c’est Paul Rivet qui démissionne du groupe parlementaire, lequel a écarté sa proposition de suspendre les poursuites contre les députés malgaches au nom des principes socialistes. Rivet est exclu en janvier 1949183. Officiellement, le parti ne veut voir dans les événements de 1947 qu’un simple complot « des anciens PPF et cagoulards et ex-collaborateurs184 ». Mais le 22 septembre, au Palais-Bourbon, André Philip dénonce la torture qui a été pratiquée sur les accusés du procès de Tananarive pour leur extorquer des aveux, preuves à l’appui. Grand résistant, juriste, homme du verbe, Philip adopte une posture à la Zola qui impressionne manifestement ses collègues dans l’hémicycle. Certains s’avouent « effarés185 ». Les tortures sous l’Occupation sont dans tous les esprits et un communiste s’écrie : « C’est pire que du temps des Boches ! » Philip, lui-même, déclare accorder foi à la déclaration de l’un des accusés qui a refusé d’avouer parce que « nous, qui sommes passés par là, nous savons apprécier le courage lorsque nous le rencontrons » et compare les procédés utilisés à ceux de « nos ennemis ». Dix mois plus tard, Philip récidive, cette fois-ci devant le congrès, en évoquant aussi bien l’Indochine que Madagascar :
« J’ai eu récemment encore des lettres de là-bas, venant pas seulement de camarades socialistes, mais d’aumôniers protestants, d’un père dominicain, de professeurs à la Faculté de Droit, de conservateurs, me signalant de la part de troupes, qui d’ailleurs ne sont pas heureusement des troupes purement françaises, des actes qui se rapprochent assez des actes d’Oradour. Nous ne pouvons pas, nous, avoir la responsabilité de cela… (applaudissements)186. »
71Oradour est devenu le symbole du massacre de civils désarmés par une armée criminelle. Dans la bouche de Philip, il ne s’agit sans doute pas tant d’un effet de manche que de la conviction profonde que « lorsqu’il y a quelque chose qui touche à la justice et à l’honnêteté républicaine, là, nous ne pouvons rien accepter », conviction qui a conduit naguère ce protestant à refuser les pleins pouvoirs à Pétain et à entrer en résistance187. Le « pas nous », d’ailleurs, englobe tous les socialistes dans une même fidélité à la Résistance. Il est suffisamment éloquent pour que le congrès adopte une résolution exigeant la révision du procès de Tananarive188.
72Ces scrupules de conscience, ce souci de l’honneur de la République et cette fidélité aux idéaux du socialisme ne pèsent guère, toutefois, au sein du parti face à la mémoire patriotique de la guerre contre le fascisme.
73La majorité des dirigeants et des militants et, plus particulièrement, ceux qui doivent gérer les « événements » considèrent que la politique d’outre-mer de la IVe République est d’autant plus légitime que le nouveau régime a balayé Vichy et qu’il est issu de la Résistance.
74Ainsi, Gaston Defferre, bien qu’il ait enquêté à Madagascar en juin-juillet 1947 et qu’il fasse preuve de lucidité sur les causes de l’insurrection, juge légitime la répression et illégitimes les aspirations indépendantistes malgaches, notamment à cause de son propre passé de résistant qui a lutté pour sauver la République. Cette expérience, en l’occurrence, neutralise sa grille de lecture de protestant189. De même, l’Alsacien Marcel-Edmond Naegelen, gouverneur général de l’Algérie de 1948 à 1951, « jugeant aussi sévèrement l’autonomisme algérien que l’autonomisme alsacien coupable de connivence avec Hitler » veut « être le mainteneur d’une souveraineté française absolue ». C’est pourquoi, en 1948, il couvre la fraude électorale massive qui favorise les candidats de l’administration lors des élections des délégués du second collège à l’Assemblée algérienne, vidant de sa substance le statut de 1947190.
75Le cas de Guy Mollet lui-même est plus complexe. Proche du syndicaliste enseignant Ludovic Zoretti, qu’il a suivi à la tendance Redressement, il a été un pacifiste intégral et un munichois, quoi qu’il en ait dit par la suite. Qu’en 1966 le secrétaire général ressente le besoin de mentir à ce sujet aux ES en dit certes long sur le poids du mythe de la Résistance dans le parti, mais révèle surtout la honte qui le conduit au déni devant de jeunes militants191. Son secrétaire d’État aux forces armées, Max Lejeune, laisse également transparaître un rapport douloureux à son passé, non pas celui du prisonnier forte tête, anti-vichyste et décoré à ce titre, mais celui du pacifiste munichois qui s’est trompé192. Il qualifie sans ambages la défaite de « honte de 1940193 ». Des années après, il conserve encore le souvenir « navrant », au début de sa captivité, de « l’hostilité marquée » de ses camarades « à un parlementaire à qui on reprochait, parce que parlementaire et socialiste, la défaite qui venait de balayer la France !194 ». Or, il doit affronter la calomnie. À son adversaire Louis Prot, député PCF de la Somme, en octobre 1945195, puis au groupe communiste en décembre 1947, qui le qualifient de « traître » et de « munichois », il rappelle que, pour avoir organisé la résistance dans son Oflag, les Allemands l’ont envoyé en camp de représailles196. De même qu’il a fustigé le fédéralisme sécessionniste des Girondins dans son histoire de la Révolution française en 1939 au nom de « la République une et indivisible197 », il est convaincu que l’Algérie c’est la France. Le 22 mars 1962 à l’Assemblée, il affiche donc sa solidarité avec les députés d’Algérie qui s’assimilent aux députés d’Alsace-Lorraine en 1871198.
76Quant à Robert Lacoste, tous s’accordent sur le courage de cet ancien syndicaliste dans la Résistance, marqué par l’exécution de son père par les Allemands en mars 1944. Le ministre résidant et gouverneur général de l’Algérie de février 1956 à mai 1958 se réclame de Bugeaud, tristement célèbre pour ses enfumades en Algérie en 1845199. Roger Quilliot écrit que, lors de sa nomination au lendemain du 6 février 1956, « tout au plus croyait-on discerner en lui, au travers de son action résistante et anticédiste, un patriotisme instinctif200 ». Peut-être a-t-il été convaincu par les arguments des colons et militaires qui ont fait son siège ? Quoi qu’il en soit, sa mémoire vive de la dernière guerre pouvait le conforter dans la volonté de défendre « la République une et indivisible » contre tous ceux qui la menacent, y compris de l’intérieur.
77En toile de fond, en effet, s’affiche, encore et toujours, pour la majorité des dirigeants et militants de la SFIO, le complot fasciste de militaires « vichystes » qui jouent l’escalade de la violence. « S’il est notoire que les émeutiers se sont conduits comme de véritables hordes nazies, il n’était guère honorant et encore moins utile que l’armée et surtout les “milices” parachèvent le tout par une action digne des plus hauts faits d’armes SS », déplore, par exemple, un témoin constantinois après les massacres de Philippeville du 20 août 1955201. Si « la guerre franco-française » continue, il existe un ennemi intérieur qu’il faut mettre hors d’état de nuire : les problèmes de conscience n’ont alors pas leur place.
78Or, en 1956, cette mémoire patriotique semble atteindre son paroxysme chez les molletistes. Dans la mesure où le souvenir traumatique de Munich ne fait pas seulement l’objet d’un usage politique à des fins de diabolisation de l’ennemi et de mobilisation de l’opinion, mais joue bel et bien un rôle dans la part d’irrationnel que comporte une décision politique, on peut parler de syndrome.
79En 1981, Michel Winock diagnostique « un complexe munichois » lors de la crise de Suez, en reprenant l’expression des contemporains. L’année d’après, l’historien suédois Göran Rystad invente le concept de « syndrome de Munich » pour expliquer la politique étrangère américaine durant la guerre froide et la guerre du Vietnam, qui lit le présent au prisme du passé202. À la différence notable des États-Unis, dont le syndrome s’est renforcé grâce aux succès initiaux en Turquie, Grèce et Corée, l’intervention à Suez n’a pas de précédent victorieux sur lequel se fonder et elle tourne au fiasco. Quoi qu’il en soit, si l’on transpose le syndrome défini par Rystad à la crise de Suez, il oblitère une perception pragmatique du présent : l’Égypte de Nasser serait comparable aux États fascistes des années trente, autoritaires, agressifs et expansionnistes par nature, et une politique d’apaisement à l’égard d’un tel État représenterait un danger mortel.
80La conviction qu’une guerre civile larvée contre les fascistes ou vichystes se poursuit en Algérie, alors que Nasser y attise en sous-main la rébellion, plante un décor comparable, semble-t-il, à celui des années trente203. Le 6 février 1956, à Alger, Mollet découvre, stupéfait, l’opposition des pieds-noirs issus des classes modestes qu’il croyait acquis au socialisme. Il accepte la démission du général Catroux que ceux-ci jugent trop libéral et finit par trouver Robert Lacoste pour le remplacer204. D’emblée, concordance des temps aidant, Le Populaire Dimanche fait de cette « journée des tomates » une réplique du 6 février 1934, suivi en cela par la presse fédérale205.
81Au congrès de l’UFAC, le ministre des Anciens Combattants, François Tanguy Prigent, reprend la thèse d’un Nasser, nouvel Hitler206. Au congrès de juin, le bienfondé de cette comparaison n’est guère discuté. Pour un Marceau Pivert qui trouve que « l’on exagère un peu en disant que Nasser c’est Hitler » puisqu’il existe des prolétaires musulmans qui ont une conscience de classe en Égypte207, la cause est entendue pour la plupart des orateurs. Le livre La philosophie de la Révolution de Nasser est assimilé à Mein Kampf, Augustin Laurent affirmant même que « ce nouveau dictateur […] n’a pas hésité à plagier le Mein Kampf de Hitler pour faire connaître les visées de son mouvement panarabiste208 ». Pierre-Olivier Lapie va plus loin : « Dans un riche delta, le nouveau pharaon écrit peut-être des livres comme Hitler, mais il fait organiser son armée par d’anciens officiers nazis », car le pays serait trop misérable pour y parvenir sans eux209. Dans Le Monde du 31 juillet, le président du Conseil, qui les a lus crayon en main, développe ce parallèle entre les deux ouvrages et assimile, au passage, la nationalisation du canal à la remilitarisation de la Rhénanie210. Là encore, la mauvaise conscience des socialistes leur joue des tours. Que de fois, après Pierre Brossolette, n’ont-ils pas reproché aux munichois d’avoir mésestimé la nature totalitaire du régime nazi par ignorance, notamment parce qu’ils n’avaient pas lu et pris au sérieux Mein Kampf ! De sorte que leur raisonnement leur semble d’une logique implacable : « Je suis pacifiste, mais je n’irai pas jusqu’à tout accepter. Nous savons ce qu’ont coûté certaines faiblesses comme Munich… », s’écrie le délégué de Seine maritime en écho à plusieurs autres211. À la fin du congrès, Guy Mollet peut conclure :
« À d’autres heures, d’autres sages expliquaient qu’il valait mieux composer avec le pangermanisme de Hitler que de résister… (applaudissements)… puis d’autres encore qu’il valait mieux composer avec le panslavisme de Staline que de résister212 ! »
82L’amalgame est parachevé et Nasser rejoint le pandémonium des régimes totalitaires. Lorsqu’il s’agira de faire oublier le fiasco de l’intervention franco-britannique, un caricaturiste du Populaire Dimanche imaginera ce dialogue entre les dictateurs défunts de l’Allemagne et de l’URSS : « C’est un bon petit ce Nasser, et c’est vous tout craché ! » dit l’un ; « Mais je vous assure qu’il a aussi des expressions à vous ! » lui répond l’autre, alors que le « petit » s’apprête à tirer du canon sur un navire213. De même, lorsqu’un discours « secret » de Nasser sur sa politique panarabe est publié par un journal irakien en juillet 1957, le journal le qualifiera de « Nouveau Mein Kampf de Nasser214 ».
83Le 30 septembre 1956, peu de temps avant que ne se noue la crise, le président du Conseil, en tournée sur ses terres du Nord – Pas-de-Calais, fait une déclaration à Roubaix, la ville du résistant Jean Lebas, où il développe publiquement l’analogie avec Munich :
« Les démocraties ont déjà eu à lutter contre d’autres dictateurs qui cherchèrent, eux aussi, à faire prévaloir leur volonté expansionniste, au mépris du droit. Elles ont connu Hitler et son pangermanisme, ainsi que Staline, qui reprenait à son compte les ambitions panslaves des tsars. Nasser, lui, n’est, qu’un petit dictateur, mais le danger qu’il représente pour la paix n’est pas moins grand. […] Il ne faut rien ménager pour assurer la paix, mais la paix à n’importe quel prix, la paix de Munich, maintenue au mépris de la justice, serait la négation de tous les efforts d’organisation internationale et des Nations unies elles-mêmes215. »
84Même s’il n’est pas explicitement formulé, il y a du « plus jamais ça », mais vidé de son sens pacifiste, dans le « pas de Munich » que, dès lors, la presse socialiste entonne au mois d’octobre216. La suite est connue. Des accords secrets sont négociés à Sèvres les 21-24 octobre entre les gouvernements français, britannique et israélien ; le 29, les Israéliens, suivis des Français et des Britanniques le 31, interviennent. Pourtant, alors qu’ils sont assurés de la victoire militaire, les coalisés doivent battre retraite sous la pression des États-Unis et de l’URSS.
85Toutefois, même si le gouvernement Mollet obtient le soutien d’une majorité du parti, tous les socialistes ne sont pas convaincus par cet argument d’autorité que voudrait être l’analogie avec Munich. Au conseil national des 15 et 16 décembre 1956, le délégué des Vosges la conteste formellement parce que Nasser ne dispose que d’une « armée de pacotille », de même que celui de l’Isère, Alix Berthet, qui rappelle que l’Égypte est un pays rural, sans industrie ni armée217. Or cet échec humiliant à Suez n’atténue pas le syndrome, bien au contraire, puisqu’il semble contaminer leur représentation de l’étranger et de l’outre-mer. Au congrès de juin 1957, après la chute du gouvernement Mollet, nombre de délégués en présentent les symptômes. Arthur Notebart, au nom de la fédération du Nord, exige que soit confirmée au plus vite l’adhésion de la France à l’OTAN car il est impossible de jouer plus longtemps « la politique du pacifisme bêlant », expression qui stigmatisait les paul-fauristes en 1938218. Le délégué des Vosges propose une vision géopolitique inédite :
« L’Algérie est au centre du dispositif stratégique du monde libre. Nous ne pouvons pas perdre ce centre, faute de quoi nous irions à un Munich algérien et nous savons ici, que ce soit Daniel Mayer ou que ce soit Guy Mollet, les conséquences d’un Munich, quel qu’il soit219. »
86Pour accréditer son propos, il n’hésite pas à se réclamer de deux figures de la Résistance, même si, en l’occurrence, elles s’opposent. Par conséquent, la déroute de Suez ne fait que renforcer le syndrome de Munich chez la majorité des socialistes qui, à cette date, ne veulent toujours rien céder en Algérie220.
87Or, assimiler Nasser à Hitler entraîne plusieurs biais. Cette disqualification morale fige le jugement et évite d’analyser ce qui se passe dans le « Tiers-Monde » avec de nouveaux outils – à commencer par cette notion déjà célèbre créée par Alfred Sauvy en 1952. Outre cette paresse intellectuelle, elle rend difficile toute négociation avec le Diable. Munich devient ainsi « le repoussoir absolu », qui doit clore tout débat, en accusant son adversaire de lâcheté ou de manque de lucidité, ce qui au sein d’un parti démocratique comme la SFIO en perturbe le fonctionnement naturel. Or – et c’est en cela qu’il devient un véritable syndrome – ce raisonnement par analogie avec Munich offre une grille d’analyse évidente, semble dévoiler le futur et impose par conséquent une solution221. Au nom de ce passé hypertrophié et d’un principe de précaution avant la lettre, cet avenir menaçant doit être écarté. Or, les socialistes, qu’ils adhèrent au matérialisme historique, ou qu’ils aient du moins une vision téléologique de l’Histoire, ont des dispositions particulières pour être affectés par ce biais cognitif dit rétrospectif : puisque le passé peut s’expliquer, le futur peut se prédire et, si l’on fait preuve de clairvoyance, on peut éviter le pire. Cette application de la psychologie comportementale de Daniel Kahneman aux relations internationales prend ainsi en compte la force psychologique du raisonnement par analogie222. Ainsi conçu, il n’est pas qu’un simple argument rhétorique et tactique, mais induit un régime d’historicité présentiste. Il faut donc en chercher le ressort propre aux socialistes.
88La puissance du syndrome chez les molletistes et une majorité de militants, alors que le groupe parlementaire SFIO a voté les accords de Munich dans les circonstances que l’on sait, s’explique sans doute par le remords qui les taraude. Cette mémoire douloureuse parce que honteuse est entretenue par les déportés qui témoignent de la vindicte et du mépris de leurs compagnons d’infortune étrangers dès leur retour des camps223. À peine revenu de Buchenwald, Léon Blum doit d’ailleurs se justifier, lui aussi, face aux attaques, tant de la part d’un Émile Buré que du journal Franc-Tireur224. Aussi lors du congrès d’août 1945, Daniel Mayer accueille-t-il les représentants des socialistes tchèques en ces termes :
« L’accueil que nous faisons à nos camarades tchécoslovaques devrait effacer la honte de Munich. (Très bien ! Très bien !) Ce sera une manière de pardon que la France Socialiste (sic) et démocratique demandera à la République Tchécoslovaque… (applaudissements)… qu’elle a abandonnée en 1938225. »
89Antimunichois lui-même, Mayer entretient alors vive la plaie dans laquelle les communistes ont beau jeu de retourner leur couteau puisqu’ils ont, eux, refusé la ratification des accords. En janvier 1953, le député Marcel Rosenblatt établit un raccourci terrible à l’Assemblée nationale : « En partant de la période de 1938, de Munich, du “lâche soulagement” de Léon Blum et de la période de 1939-1940, on aboutit à la trahison de l’Alsace par “l’État français” de Pétain-Laval226. » C’est pourquoi, lorsque le 30 août 1956 le ministre socialiste des Anciens Combattants, François Tanguy Prigent, inaugure à Strecno, en Tchécoslovaquie, un monument à la mémoire des partisans français tombés pour la libération de la Slovaquie en 1944-1945, il espère effacer Munich227. Dans son plaidoyer devant le conseil national en décembre 1956, Mollet fend l’armure en reconnaissant à demi-mot qu’il a été munichois et qu’il n’a pas voulu commettre deux fois « la même faute ». S’il en est venu à prendre un tel risque c’est, dit-il, parce qu’il « a gardé le souvenir de ses erreurs de jeunesse », du temps où il était engagé aux côtés des pacifistes intégraux, Léon Émery et Félicien Challaye : « j’ai été comme JS, très bête […], j’ai professé des stupidités […], de 18 à 22 ans, j’ai été fou228… » Indéniablement, le poids du remords et la volonté de se racheter ont pesé. Cela étant, à ce stade, l’historien ne peut qu’émettre des hypothèses. Est-ce parce qu’il a été antimunichois que Daniel Mayer échappe au syndrome ? Un Depreux, qui a bel et bien été un munichois fervent, se montre lui aussi réservé et n’use pas de cette analogie avec Munich. Le souvenir des valeurs démocratiques et humanistes pour lesquelles ils ont combattu sous l’Occupation semble l’emporter chez ceux qui restent insensibles au syndrome de Munich et les conduit à ne pas baisser la garde. Claude Fuzier le reconnaît lorsqu’il fustige « le manège des moralistes » – officiellement de la Nouvelle Gauche, mais chacun comprend que les minoritaires sont également visés229.
90Comment expliquer une telle discordance entre des hommes qui, pour la plupart, ont été résistants ou qui, du moins, adhèrent au mythe d’un « parti retrempé dans la Résistance », tel qu’il a été défini par le congrès de novembre 1944 ? Face à la torture, qui « gangrène » la République depuis le début de la guerre et dont ils se sont préoccupés en participant activement à la commission de sauvegarde230, les socialistes font, là encore, un usage différent de leur mémoire de la Seconde Guerre mondiale et cette divergence interroge.
91Mollet et Lacoste font un usage opportuniste de leur engagement passé pour conférer de l’autorité à leurs dénégations : « Il y a parmi les hommes de ce gouvernement, non seulement d’anciens résistants, mais d’anciens concentrationnaires. Cela me dispense d’insister », déclare, sans ambages, le président du Conseil interpellé à l’Assemblée en mars 1957231. Dans leur presse, les molletistes soulignent que des atrocités sont également commises par le FLN, ce que personne ne conteste à la SFIO, mais ce que minimisent les communistes, voire la presse de la Nouvelle Gauche. En avril 1957, Claude Fuzier cite pêle-mêle « Buchenwald, Karaganda, les pendus d’Alexandrie ou les dix musulmans égorgés chaque jour par les frères libérateurs du FLN », soit les nazis, les staliniens, Nasser et le FLN. Il en conclut que même s’ils doivent échouer, les socialistes veulent être « jusqu’au bout les défenseurs intransigeants et quelques fois impitoyables de la liberté ». Alors que les deux adjectifs et l’adverbe justifient les moyens avec des accents robespierristes, l’amalgame inscrit l’action du gouvernement dans le prolongement du combat antitotalitaire232. Une semaine plus tard, le journal titre : « On oublie de voir ceci… pour ne parler que de cela », en juxtaposant des photographies de cadavres d’Algériens atrocement mutilés par le FLN à des extraits de lettres de soldats, publiées par France Observateur, qui s’accusent d’avoir commis des « Oradour233 ». Après le massacre du village messaliste de Melouza fin mai 1957, Bernard le qualifie d’« assassinat sur une grande échelle, style Oradour », avec un titre pour le moins scabreux, emprunté à Louis-Ferdinand Céline, « Bagatelle pour un massacre234 ».
92La confusion est complète et ne favorise guère le débat philosophique, ou du moins éthique. Pour les molletistes, la violence extrême est de tout bord comme lors de la dernière guerre, et comme à l’époque, tous les moyens sont bons pour y mettre fin. Il n’y a donc aucune raison de s’interroger ni sur les motivations de l’entrée en guerre et de l’envoi du contingent, ni sur le jus in bello. En se moquant avec cynisme des « intellectuels torturés » qui condamnent les exactions commises par la police et l’armée, Jaquet, Lacoste, Mollet et Lejeune nous offrent un indice pour expliquer leur réaction235. Non seulement la guerre les a convaincus que la fin justifiait les moyens, mais ils n’en sont pas sortis. L’occupant vaincu et la paix en métropole revenue, les socialistes admettent, ainsi, dans leur majorité, le recours aux violences de guerre qu’ils ont jugées légitimes dans la Résistance contre ce qu’ils perçoivent comme un ennemi intérieur en Algérie. Ce n’est pas tant une volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix qui les meuvent236, que l’inachèvement de leur sortie de guerre. Une sorte de « brutalisation », pour reprendre le concept de George L. Mosse, est donc à l’œuvre, dans la mesure où ils ne peuvent se déprendre de leur « culture de guerre237 ». Ce phénomène n’est certes pas le propre des molletistes, mais les socialistes anticolonialistes, comme la Nouvelle Gauche, pensent que leur socialisme aurait dû les immuniser.
93Contrairement à ceux qui soutiennent la politique de Mollet et Lacoste, sans le formuler en ces termes, les « dreyfusistes » se préoccupent autant du jus ad bellum que du jus in bello, parce qu’ils se souviennent d’avoir combattu l’occupant et Vichy avant tout pour des motivations éthiques. Andrée Viénot appelle ainsi les résistants à ne pas se renier dans un article intitulé « Résistants souvenez-vous ! ». Évoquant les exécutions sommaires, les « corvées de bois » et l’emploi du terme « terroristes », utilisé par la police vichyste comme la gestapo, elle conclut : « Si nous acceptons aujourd’hui de laisser torturer et assassiner en notre nom au lieu de crier notre révolte, Hitler apparaîtrait aujourd’hui comme le vainqueur moral car il aurait contaminé notre âme238. » Le degré variable de « brutalisation » chez les anciens résistants expliquerait que la mémoire de guerre des uns est avant tout patriotique, quand celle des autres est éthique. Et son absence chez les JS et ES, sensibles à l’anticolonialisme, expliquerait que cette guerre qu’ils n’ont pas faite ne les ait pas autant affectés et ne participe donc pas avec la même force à leur ethos239.
94Au début de l’année 1958, alors que le bombardement de Sakhiet Sidi Youssef en Tunisie, le 8 février, par l’armée française suscite l’indignation de la Tribune du socialisme, André Philip, l’une des « consciences inquiètes » du parti, et Gabriel Karila, le secrétaire national des ES, sont exclus240. Cette double exclusion frappe logiquement les deux milieux qui ont échappé à la mémoire patriotique et nationaliste de la guerre : ceux qui privilégient les idéaux qu’ils ont toujours défendus et qui commencent à se structurer en courant, et les jeunes qui, à leur tour, sont en quête de valeurs à défendre. La « honte de Munich », que les militants socialistes ont pourtant en partage, ne leur permet donc pas de s’accorder sur la stratégie à adopter. Depuis le congrès de novembre 1944, ils ont appris à privilégier la défense nationale et à se méfier du pacifisme, voire du neutralisme. Mal outillés pour penser la décolonisation, ils l’analysent, pour la plupart, au filtre d’un mythe patriotique de la Résistance réducteur et qui les empêche de concevoir le fait national algérien. En outre, pour un Alain Savary qui démissionne du gouvernement lors de l’affaire Ben Bella en octobre 1956241, peu d’entre eux s’interrogent sur la légitimité des moyens mis en œuvre puisque, à leurs yeux, la guerre n’est pas finie. Ce qui se joue à l’échelle de la nation affecte donc de plein fouet la SFIO, envenime certaines blessures et en provoque bientôt d’autres irrémédiables.
95La mémoire de guerre finit, par conséquent, par faire écran. Elle empêche la majorité des dirigeants et militants non seulement de saisir en quoi la décolonisation est un phénomène inédit en les confortant dans leurs certitudes, mais aussi de se déprendre de leurs représentations forgées sous l’Occupation et de leur accoutumance aux violences de guerre. Réciproquement, leur héritage doctrinal en matière coloniale, périmé, ne peut endiguer la progression du syndrome de Munich qui atteint un point culminant lors de l’affaire de Suez en octobre 1956. Leur conviction que la guerre n’est pas terminée puisque l’ennemi intérieur, le fascisme, que d’aucuns voient réactivé dans le panarabisme, doit encore être vaincu, bouleverse leur hiérarchie des valeurs. Elle aboutit, chez les uns, à une sacralisation de la République jacobine et de la nation, quand les autres, « dreyfusistes », privilégient les droits de l’homme, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et les principes républicains. Après Épinay, pour se refonder, le PS puisera dans leur mémoire éthique de la guerre pour vouer « le national-molletisme » aux gémonies, oubliant au passage le rôle de François Mitterrand et ouvrant ainsi un nouveau cycle de mémoires contrites.
Face à « l’homme du 18 juin » et à la crise du régime
96En mai 1958, faire appel au général de Gaulle s’inscrit dans une tradition française qui, de Thiers en 1871 à Pétain en 1940, cherche à sauver la France d’un désastre. Cependant, ce recours à de Gaulle au nom de la défense républicaine fait l’objet de deux interprétations radicalement inverses dans la classe politique. Pour les uns, tels Pierre Mendès France ou François Mitterrand, de Gaulle se fait le complice d’un coup d’État ; pour les autres, tel le président René Coty, il est l’ultime rempart de la République contre les factieux d’Alger242. Tout un chacun semble en proie à de multiples réminiscences et en tire des leçons souvent contradictoires243. L’année 1940 est dans tous les esprits, dans tous les discours et sous toutes les plumes, les uns privilégiant la mémoire de la défaite, d’autres celle de l’appel du 18 juin, d’autres encore celle du vote du 10 juillet. Les socialistes n’échappent bien évidemment pas à ce phénomène de diffraction mais y mêlent plusieurs autres souvenirs propres à leur mémoire collective.
97Au soir de la crise, il n’est pas certain que les dirigeants et parlementaires socialistes puissent s’accorder sur le sens à donner au retour du Général, malgré leur sévérité à l’égard du 10 juillet 1940 et leur opposition au RPF depuis 1947. Les observateurs pensent toutefois que la SFIO a un rôle décisif à jouer. Quelques jours avant la crise, Maurice Duverger n’a-t-il pas écrit : « Le parti socialiste est l’arbitre de la législature. Rien ne peut être fait sans lui, rien ne peut être fait contre lui244 » ? Si, dans un premier temps, leurs parlementaires privilégient le soutien au gouvernement de Pierre Pflimlin, à partir du 24 mai, ils se divisent sur la stratégie à adopter, fracturant par là même leur parti. Lors du congrès du 11 septembre 1958, hostiles au vote des pleins pouvoirs au gouvernement présidé par de Gaulle, où figurent trois socialistes, et à son projet constitutionnel, une partie des minoritaires fait scission. Dès lors, la SFIO connaît une nouvelle relation en miroir avec le PSA, qui se juxtapose à celle qu’elle entretenait déjà avec le PCF depuis 1920.
98Le rôle de la SFIO et de son secrétaire général en mai-juin 1958 étant bien connu245, il nous importe surtout d’analyser pourquoi la mémoire collective qu’a tenté d’instaurer le parti depuis la Libération échoue, là encore, à construire un consensus. Et alors que le fossé s’élargit chaque jour un peu plus, comment chaque camp s’efforcet-il de monopoliser cette mémoire pour affirmer son identité ?
La crise du 13 mai 1958 ou le trop-plein mémoriel
99Le 13 mai 1958 au soir, le groupe parlementaire est unanime, fidèle en cela à sa tradition de défense républicaine : il est impératif d’investir Pierre Pflimlin face aux insurgés d’Alger qui le jugent trop libéral sur la question algérienne. Le 6 février 1934 est alors invoqué par tous comme une évidence246. Néanmoins, au fur et à mesure que la crise se déploie jusqu’à son dénouement du 3 juin avec l’investiture du général de Gaulle, réminiscences et raisonnements par analogie se multiplient et s’affrontent au point d’être totalement discordants. Pourquoi, à la différence de l’affaire de Suez, assiste-t-on à un tel déferlement de souvenirs ? Et quels sont les effets de ce trop-plein mémoriel sur le sens donné aux événements ?
100Le 13 mai 1958, les minoritaires sont parmi les plus ardents partisans de cette investiture, Édouard Depreux refusant de « capituler247 ». Depuis le 25 janvier, ils se sont eux-mêmes dotés de la tribune que la presse organique leur a refusée en publiant leur mensuel, Tribune du socialisme, qui leur permet de polémiquer. Le 15 mai, ils y affirment qu’« à Alger et à Paris, le fascisme a levé le masque », qu’il s’agit d’un « pronunciamiento » et que ceux qui ont refusé d’investir Pflimlin sont « les complices de la rébellion248 ».
101Toutefois le 6 février n’implique pas nécessairement la manifestation unitaire du 12 avec le PCF. Le souvenir des désillusions du Front populaire est encore très frais, et onze ans d’anticommunisme de guerre froide ne peuvent s’abolir en quinze jours. De Gaulle s’étant déclaré « prêt à assumer les pouvoirs de la République » le 15 mai, le groupe et le comité directeur publient un communiqué commun sous le titre : « La République est menacée ! », tout en interdisant tout contact et toute forme d’action avec les communistes249. Le 25 mai, encore, Le Populaire Dimanche illustre une rétrospective des derniers jours, intitulée « Les Républicains en état d’alerte », avec une photographie de manifestants pour l’Algérie française à Paris, le 13 mai, légendée ainsi : « Ce béret sur la tête, cela ne rappelle-t-il pas d’autres bérets ? Il ne manque qu’un autobus renversé et nous voilà revenus vingt-quatre ans en arrière. » Elle est flanquée d’un encart qui liste les organisations dissoutes, au premier rang desquelles, « Le parti patriote révolutionnaire : Fondé en novembre 1957, par l’avocat Biaggi, […] celui qui fut l’organisateur de la manifestation du 6 février 1956 à Alger ». Faire du 6 février 1956 à Alger une réplique du 6 février 1934 à Paris doit légitimer la politique algérienne du gouvernement Mollet, quelles qu’aient été ses dérives. Mais pour faire bon poids bonne mesure, Claude Fuzier convoque aussi la guerre d’Espagne :
« A-t-on imaginé quel souvenir ce pronunciamento africain fera jaillir, quelles assimilations et quelles analogies il permettra ? Le parti de la guerre frappe sur la table et devient celui de la guerre civile250. »
102Cité à tout propos, le 6 février voit son sens s’affadir et perdre son pouvoir de mobilisation : il doit être renforcé par d’autres réminiscences plus dramatiques. Ni le 6 février 1934, ni le 6 février 1956, ni même le pronunciamiento du 18 juillet 1936, au-delà du ton alarmiste qu’ils confèrent aux propos, ne permettent d’en déduire une solution qui s’impose à tous. En l’occurrence, Salan ayant fait appel à de Gaulle et celui-ci lui ayant répondu, c’est le souvenir de 1940 qui domine. À l’Assemblée, le 16 mai, alors que la gauche s’émeut que de Gaulle n’ait pas formellement condamné le comité de salut public d’Alger, Raymond Triboulet entreprend de montrer que l’on ne peut, pour autant, douter de ses sentiments républicains grâce à son illustre passé. Guy Mollet lui rétorque :
« Il y a dans ce texte une sorte de confusion qui m’étonne entre les heures d’aujourd’hui et les heures de 1940. En 1940, nous étions déjà – j’allais dire tous, mais ce serait trop dire – un certain nombre qui avions pris position contre le gouvernement illégitime251… »
103Ce gouvernement déjà « illégitime », en vertu de l’ordonnance du 9 août 1944, est celui de Pétain du 16 juin 1940 et c’est donc de « l’appel du 18 juin » qu’il s’agit. Si l’on passe sur la précocité supposée de l’entrée en résistance du « nous », Mollet semble limiter la pertinence de l’analogie avancée par le Général dans sa déclaration et, du même coup, celle du recours au personnage, tout historique soit-il. Il justifie ainsi son intervention où il met de Gaulle en instance d’affirmer son respect de la République252. Or, en ouvrant ainsi un dialogue public avec une personne extérieure à l’Assemblée, il intronise de facto de Gaulle comme un candidat au pouvoir légitime253. Deux jours plus tard, Pierre Herbaut, le secrétaire général adjoint, a beau écrire qu’« il n’est pas de sauveur suprême ! », il ajoute qu’il « est explicable que des hommes de bonne foi, convaincus des mérites de l’ancien chef de la France libre, se tournent d’instinct vers lui chaque fois que le pays leur paraît en danger254 », ce qui est pour le moins ambigu. De fait, l’on sait que Mollet multiplie alors les contacts avec des gaullistes, en particulier Olivier Guichard255.
104En face, l’ancien ministre du Général, François Tanguy Prigent, dans Le Monde du 19 mai, rappelle qu’il n’a « capitulé », ni pendant Munich, ni le 10 juillet 1940, et se déclare prêt à monter sur les barricades pour lui faire obstacle256. Au lendemain de la conférence de presse du 19 mai, Claude Fuzier ne semble pas convaincu par l’« ironie bonhomme » de de Gaulle, car « cette façon d’affirmer qu’en homme seul, libéré de toute entrave, on se croyait utile au pays et qu’on allait attendre maintenant sa réponse, avait trop souvent le ton d’autres allocutions où un autre soldat ayant eu lui aussi son heure de gloire faisait à la France le don de sa personne257 », allusion à la déclaration du 17 juin 1940 de Pétain. On y revient toujours.
105Après le succès de l’opération « Résurrection » du 24 mai en Corse, qui échappe ainsi un temps à l’autorité de la République, les événements se précipitent et chacun prend position. Dans la mesure où ces choix font ensuite l’objet d’une justification que nous analyserons, rappelons-les brièvement.
106Les 25 et 26 mai, Mollet et Auriol écrivent en leur nom personnel au Général, le premier faisant le pari d’un de Gaulle républicain capable de trouver une solution au guêpier algérien, le second voulant croire que « l’homme du 18 juin » ne peut renier son passé258. Les socialistes réagissent alors en ordre dispersé dans la plus grande confusion259. Ainsi, des défilés unitaires avec les communistes, en écho au 12 février 1934, sont organisés à Marseille, par Gaston Defferre et Francis Leenhardt, et à Toulouse, par André Hauriou260. Cependant la Cité Malesherbes empêche toute manifestation comparable dans la capitale. Le 28 mai, François Tanguy Prigent participe au défilé des deux cent mille participants, en tête avec Pierre Mendès France, André Philip, Édouard Daladier et François Mitterrand. Le 31 mai, le compte rendu enthousiaste de Mollet et Deixonne, qui viennent d’obtenir à Colombey que de Gaulle se présente devant le Parlement, emporte la courte adhésion du groupe parlementaire à son investiture. Fait tout à fait remarquable, qui en dit long sur la gravité de la crise, la liberté de vote est accordée. Soucieux de limiter la portée de ce clivage interne, Georges Guille réussit à faire adopter cette mesure exceptionnelle261, de sorte que le 1er juin, alors que l’Assemblée nationale accorde l’investiture à de Gaulle, le groupe socialiste se divise262. Le lendemain, les mêmes reconduisent les pouvoirs spéciaux, puis votent l’article unique accordant les pleins pouvoirs au nouveau gouvernement, où figurent trois socialistes : Guy Mollet, Max Lejeune et Eugène Thomas.
107Le 10 juillet 1940 hante les esprits, mais tous n’en tirent pas les mêmes conséquences. Il existe, en effet, une différence fondamentale entre les deux événements : le pouvoir constituant et les pleins pouvoirs sont accordés au gouvernement et non à de Gaulle seul. La division des six membres des Quatre-Vingts en est une première illustration. Pour ceux qui refusent l’investiture, le Parlement capitulerait à nouveau263. C’est pourquoi le vote du 1er juin de Félix Gouin, François Tanguy Prigent et Jean-Louis Rolland peut être interprété comme une réplique de leur « non » du 10 juillet. Mais pour ceux qui accordent l’investiture à de Gaulle, le Parlement sauverait la République : trois anciens Quatre-Vingts, Jules Moch, Marius Moutet et Paul Ramadier jugent donc les circonstances toutes différentes de 1940. Quant aux autres parlementaires de 1940 absents de Vichy en juillet, ils semblent moins inhibés par leur passé : Jean Bouhey (Côte-d’Or), Pierre-Olivier Lapie (Meurthe-et-Moselle), Max Lejeune (Somme), Jean Meunier (Indre-et-Loire) et Eugène Thomas (Nord) délèguent les pleins pouvoirs en 1958 ; seul Adrien Mabrut (Puy-de-Dôme) les refuse. Au-delà du souvenir précis de cette journée de juillet, celui de la Résistance ne détermine pas plus leur vote : les résistants se partagent à parts égales entre le ralliement et l’opposition à de Gaulle, et si l’on considère plus précisément les membres de la France libre ou ceux qui ont joué un rôle à Londres ou à Alger, les proportions restent comparables, avec une dizaine dans chaque camp. Les anciens ministres socialistes du Général au GPRF se partagent de même, Christian Pineau et François Tanguy Prigent s’opposant à son retour, alors que Jules Moch et Eugène Thomas le soutiennent. Leur passé, pourtant commun, n’éclaire pas le présent sous le même angle.
108Passé contraint ou passé choisi ? Quelques mois plus tard, ce n’est pas tant le précédent de 1940 qui est discuté que l’occasion manquée d’une « solution espagnole », c’est-à-dire d’un soulèvement républicain de grande ampleur comme en 1936 contre Franco – ce qui laisse perplexe lorsque l’on se remémore son échec. Guy Mollet réplique que « cela aurait été une guerre d’Espagne sans armée républicaine », ce que confirme Jules Moch, qui juge l’armée et les forces de l’ordre tout entières « gangrenées » par « le complexe de 1940 », réactivé par le désastre de Dien Bien Phu264. Maurice Deixonne justifie, de même, le ralliement à de Gaulle et au projet constitutionnel en ces termes :
« Eh bien, il faut se rappeler cette comparaison qui s’impose de la guerre civile qui menaçait notre pays avec celle qui a ravagé la République espagnole. […] Là encore, c’est une armée d’Afrique qui prétend reconquérir la métropole, avec les mêmes dangers d’intervention étrangère, et, camarades, avec, hélas, des atouts que nous n’avions pas en France, un Parti communiste infiniment plus puissant qu’il n’existait alors dans l’Espagne républicaine, avec une armée passée en quasi-totalité de l’autre bord, et la police dans une large mesure. Et puis enfin, avez-vous constaté ce grand élan populaire qu’on avait vu dans la République espagnole […] ? Avez-vous vu ce moment irrésistible dans les journées tragiques de mai ? Camarades, non, on ne l’a pas vu265 ! »
109L’analogie avec la guerre d’Espagne a beau être évidente, selon Deixonne, les communistes en embuscade, l’armée en grande partie déloyale et l’opinion publique indifférente au sort de la IVe République rendaient impossible un soulèvement populaire républicain. L’autre objet du débat est la personnalité même de de Gaulle. Guy Mollet explique son ralliement à ses camarades en juillet, puis en septembre :
« Voyez-vous, j’ai l’impression – je suis peut-être un peu naïf – que l’attitude du Président du Conseil à notre égard est vraiment une attitude d’honnêteté. Je sais bien que, par rapport à certains des anciens j’ai un désavantage : plusieurs d’entre vous l’avez connu à d’autres heures, pas moi266. »
110En fait ce « désavantage » n’en est pas un, puisqu’il sait que plusieurs d’entre eux l’ont pendant la guerre trouvé « brutal » et nourrissent, peut-être à son égard, quelque rancœur :
« Le général de Gaulle a-t-il pensé et pense-t-il à la dictature ? […] Personnellement, je ne le crois pas. Je ne m’appuie pas, pour le dire, sur une connaissance personnelle de son caractère, je dois avouer que je ne le connais pas. Je veux me borner à appuyer mon opinion sur deux souvenirs historiques […] : le premier, c’est le discours qu’il fit à la radio de Londres, en 1940, quand il appela les hommes à se battre pour lui, avec lui, contre la dictature fasciste, où il faisait appel au combat non pas seulement pour la patrie, mais aussi pour la République. Et la seconde, disais-je, c’est quand, dès le lendemain de la Libération, il a refusé une dictature que tout le monde lui offrait, y compris les staliniens, et qu’il eût pu prendre tranquillement, sans coup férir et sans difficultés267. »
111Mollet n’aurait aucune prévention personnelle à son égard et s’en tiendrait au personnage historique. Or, en cela, il adopte la même posture qu’il a pourtant vivement reprochée au gaulliste Raymond Triboulet le 16 mai ! En 1962, Mollet développera son plaidoyer pro domo dans un ouvrage268. Plus tard encore, deux autres ralliés témoigneront. L’un, Jules Moch invoque la raison d’État : « Responsable de l’ordre public, je me résignai à voter l’investiture comme un moindre mal », car il avait été « déçu », pendant la guerre, par la « morgue un peu hautaine » du Général269. L’autre, Pierre-Olivier Lapie, dit avoir naturellement renoué avec son gaullisme de la France libre270.
112Aux lendemains du vote du Parlement en juin 1958, René Naegelen se veut optimiste et brocarde ceux de la Nouvelle Gauche qui prédisent l’implosion de la SFIO à son prochain congrès. « Après tout, si nous essayons de faire un peu entendre ce qu’est le parti et pourquoi il ne peut se disloquer… », écrit-il avant d’asséner : « C’est si simple pour nous : nous nous tiendrons au coude à coude parce qu’au coude à coude nous avons lutté, souffert, espéré271. » Suit une sorte de chanson de geste où l’auteur énumère tous les épisodes clés de leur mémoire collective sur la longue durée : « Le Parti c’est, au temps de nos dix-huit ans, Jaurès dans les préaux d’école », les 1er mai d’avant 1914 et leur répression, « la longue guerre de 1914 », « notre bataille contre le traité de Versailles », Tours avec « le drame de la scission et la reconstruction difficile de “la vieille maison” », « Salengro, pire qu’assassiné par la calomnie », « la grande victoire de 1936, Léon Blum », et enfin la Résistance, « notre grandissant espoir dans la peur, non pas de la mort, mais de la défaillance dans la torture ». L’énumération se clôt par cette évocation héroïque et sacrificielle, qui voudrait – là encore – faire du mythe de la résistance socialiste l’alpha et l’oméga de l’identité du parti. Juste après, Naegelen veut conjurer l’avenir : « C’est tout ce qui est et sera, hier, aujourd’hui, demain, passionnément vécu ensemble. » Il feint d’oublier non seulement que tous n’ont pas adhéré avant 1914, mais surtout que tous – y compris lui – n’ont pas résisté et qu’en outre ceux qui l’ont fait se sont engagés selon des modalités différentes. Cet article, largement diffusé auprès des militants, a donc une dimension incantatoire sur les vertus de la mémoire collective diffusée par la direction : « Rien, rien, rien ne nous divise. En une heure dangereuse pour la République, nous différons seulement sur le choix des moyens pour le défendre. C’est tout. » Lorsqu’il souligne l’épaisseur du temps passé ensemble : « Le Parti, c’est toutes les années, toutes les semaines et presque tous les jours de notre vie », il est convaincu – semble-t-il – que tant d’expériences et d’épreuves communes empêcheront la scission. Il révèle ainsi qu’il confond « l’esprit de parti » aurait dit André Philip, « la raison du parti » avons-nous proposé, et les principes mêmes du socialisme, l’Église et la foi en quelque sorte.
113Cette crise de mai-juin 1958 appelle plusieurs commentaires. À la différence de l’affaire de Suez hantée par le seul fantôme de Munich, l’insurrection d’Alger et le recours à l’homme providentiel nécessitent de mobiliser un plus grand nombre de références historiques, car aucune ne s’imposait. Or, l’on constate qu’un même « champ d’expérience », en dépit d’un même « horizon d’attente » idéologique, n’induit pas nécessairement une mémoire partagée des événements : une journée tragique comme le 10 juillet ou une rencontre avec une personnalité comme le chef de la France libre ne suscitent pas les mêmes interprétations272. En outre, la mémoire collective antifasciste de la SFIO, celle du 6 février 1934 et du 18 juillet 1936, censée trouver son accomplissement dans le mythe de la Résistance, pourtant entretenue par moult discours et commémorations, peine à mobiliser tous les militants dans la même direction. Tout se passe comme si, à force d’avoir trop servi, ces références obligées sonnaient creux et avaient perdu tout pouvoir d’évocation et d’interprétation. De sorte que ce trop-plein mémoriel, mal canalisé, non seulement confère une certaine irrationnalité aux motivations des uns et des autres, mais traduit, en outre, l’échec définitif d’un mythe de la résistance socialiste qui ne peut préserver la cohérence et la cohésion du parti dans la tempête.
Querelles d’héritages
114Avant même que le divorce ne soit consommé, chaque camp doit affirmer son identité en se posant comme le seul héritier du socialisme et, par là même, en qualifiant son rival d’imposteur. « Petite Gauche » contre « hétérodoxie Molletiste » (sic)273, la technique a été rodée non seulement contre les communistes depuis 1920, mais lors de toutes les autres scissions, en 1933 contre les néo-socialistes, en 1938 contre les pivertistes… de sorte que, dans l’entre-deux-guerres, il y avait une rubrique « Eux et Nous » dans la presse organique. Connaissant la mauvaise réputation du « national-molletisme » à partir de 1957, il importe de comprendre la défaite mémorielle de la SFIO sur le long terme face aux minoritaires puis au PSA et, dans une moindre mesure, face au PCF, patente dès cette période. Ainsi, chacun s’efforce de faire l’histoire immédiate des événements litigieux en les inscrivant dans un passé plus lointain afin d’affirmer haut et fort sa légitimité. Chacun se veut fidèle au « Socialisme » et s’empresse d’en faire la preuve en se disputant des lieux de mémoire jusque-là partagés.
115Le soir même du 3 juin 1958, les minoritaires entreprennent de donner un sens aux deux années écoulées en établissant un lien de cause à effet entre différents moments : « la politique algérienne de Mollet-Lacoste, avec ses odieuses méthodes de “pacification”, ses continuelles capitulations devant les ultras et les chefs militaires, et l’aventure de Suez, ont déshonoré le Parti et acculé le Pays à la catastrophe274 ». Deux semaines plus tard, ils dressent un réquisitoire détaillé où ils « résument » les principaux éléments à charge en les numérotant275. Le premier d’entre eux est « la capitulation du 6 février 1956 » devant « l’émeute des fascistes », qui a entraîné la France « dans une véritable guerre contre les Algériens ». Ensuite, c’est l’engrenage : la négation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en faisant « avaliser la guerre coloniale » par la SFIO ; « l’abdication devant les chefs militaires » en couvrant « les représailles collectives contre la population, les ratissages, les bombardements aériens des villages, les internements arbitraires, les sévices, les tortures, les exécutions sommaires et les condamnations à mort… » ; la censure partielle du rapport de la Commission de Sauvegarde des droits et libertés individuelles ; l’affaire Ben Bella d’octobre 1956 rendant impossible toute tentative maghrébine de conciliation ; et le bombardement de Sakhiet en février 1958 alors que la SFIO participait au gouvernement. Dans cette liste, « l’agression contre l’Égypte » arrive en point d’orgue, car ce serait « la déception compréhensible » des militaires, stoppés dans « l’aventure » de Suez par « la réprobation universelle », qui les aurait poussés à la préparation du complot et donc du 13 mai 1958. Ultime conséquence, « la démoralisation du parti », « fatalement » – cet adverbe soulignant le déterminisme à l’œuvre – a entraîné « la dégradation du régime républicain lui-même ». On ne trouve pas un mot sur la construction européenne et la signature des traités de Rome en mars 1957, ni sur la troisième semaine de congé payé et autres réformes sociales inscrites dans la filiation du Front populaire. À cette date, jouant les Cassandre, ils n’évoquent pas moins « l’instauration du régime personnel de de Gaulle, qui semble devoir évoluer vers un régime césarien, en attendant de se transformer en régime totalitaire, sous la pression des éléments militaires et fascistes ». Si cette prédiction est vite désavouée, force est de constater que le portrait du « national-molletisme » est ciselé avec suffisamment de détails – même si le terme n’est pas encore utilisé – pour rester longtemps gravé dans les mémoires, y compris dans ces oublis volontaires sur l’œuvre européenne ou sociale.
116La motion que les minoritaires présentent en vue du congrès de septembre ouvre la perspective à la fois dans l’espace et dans le temps. La IVe République est morte de pas avoir « su comprendre le sens historique de la décolonisation » :
« Pour n’avoir pas compris cela, la IVe République a été condamnée, dès 1946, à la guerre désastreuse d’Indochine. En 1947, elle a eu recours à une répression sanglante à Madagascar. De 1952 à 1954, elle a eu à lutter contre l’insurrection des Tunisiens. De 1953 à 1955, elle s’est laissé entraîner dans des mesures de force au Maroc. Et depuis 1954, elle est en guerre avec le peuple algérien276. »
117Le déterminisme est forcé au prix de quelques occultations : d’une part, celle de l’action de Pierre Mendès France pour conclure la paix en Indochine et préparer l’indépendance de la Tunisie et du Maroc ; et, d’autre part, celle de Gaston Defferre, demeuré à la SFIO, avec sa loi-cadre sur l’Afrique noire. Cette mémoire immédiate est articulée à une profession de foi, intitulée « Être socialiste » qui, entre autres, refuse « tout moyen avilissant », car « si “la fin justifiait les moyens”, alors tous les crimes de l’Histoire, y compris celui d’Oradour et ceux de Budapest, trouveraient une justification ». Alors que l’unité interne se brise, mémoire et identité ont ici partie liée.
118Le PSA une fois fondé et doté d’un secrétaire général, Édouard Depreux, et de deux adjoints, Robert Verdier et Alain Savary, il entreprend de faire du 6 février 1956 et du 13 mai 1958 des répliques des 10 et 11 juillet 1940. « Tout a commencé ce jour-là… » titre Tribune du socialisme, la veille de l’anniversaire de « la journée des tomates » en février 1960. En écho au Zola dreyfusard, Édouard Depreux signe un « Nous accusons », où ils condamnent « les responsables de la spectaculaire défaite de l’État le 6 février 1956 » et « le système » né sous la pression des ultras qui n’a « pas voulu ou pas pu se laver de ce péché originel277 ». Jusqu’au champ lexical, celui de la faute, on retrouve la même argumentation que celle employée à la Libération pour stigmatiser le vote des parlementaires défaillants du 10 juillet. Elle nourrira une nouvelle forme de mémoire contrite.
119Ralliée à de Gaulle et participant à son gouvernement, la SFIO appelle à accepter la constitution de la Ve République lors du référendum du 28 septembre, alors que le PSA, ses alliés de l’Union des forces démocratiques, tels Mendès France, Mitterrand, Claude Bourdet et Gilles Martinet, comme le PCF la refusent. À la veille des élections législatives de novembre, le parti lance une campagne nationale « destinée à donner à l’opinion une image exacte de ce qu’est notre Parti, de la place qu’il tient dans la nation, et de ce qu’il a déjà apporté au pays », le 12 octobre278. Suit une leçon d’histoire, dans un style positiviste, narrant les « étapes les plus éclatantes de notre histoire contemporaine [qui] ont été marquées par l’action socialiste sur la vie sociale et économique ». D’emblée, l’identification du socialisme français à la nation et au régime républicain est posée. Dans ce récit chronologique, les guerres ont toute leur place, ou presque. La Commune est présentée comme matricielle : « De ce sang et de ce rien allait jaillir la grande expansion du socialisme » ; l’assassinat de Jaurès explique l’échec de l’Internationale à préserver la paix ; et avec 14-18, « les idées semées par le socialisme ont maintenant une portée universelle ». L’objectif de cette rétrospective ne se dévoile qu’à la fin quand, en un raccourci qui enjambe la Seconde Guerre mondiale, 1956 fait écho à 1936 : « C’est le bouleversement de la vie ouvrière par les lois de 1936 et les conventions collectives. Ce sont de nouveaux progrès réalisés à la Libération, puis en 1956 pendant les seize mois de gouvernement à direction socialiste ». Cette continuité est apparue dès janvier 1956, lorsque Le Populaire Dimanche a juxtaposé la photographie de Mollet et Mendès France à un article sur « le procès de Léon Blum », puis à une photographie de Blum en 1936279. Dans ce récit d’octobre 1958, après la Commune et la Grande Guerre, l’ellipse de la Résistance semble plus surprenante. Il est certes difficile de supplanter Mayer, Verdier, Depreux, Savary et consorts sur ce terrain-là, mais elle permet surtout de continuer d’assimiler 1956 à 1936, le Front républicain au Front populaire et Mollet à Blum, au moment même où la légitimité du secrétaire général est mise à mal. Le numéro spécial du 9 novembre est tout à fait explicite : « 1936, Léon Blum ; 1956, Guy Mollet » titre-t-il en reliant par une grosse flèche rouge les deux dates et les deux portraits photographiques. La charge contre les communistes est la plus féroce : « La division ouvrière née de la scission de Tours s’est aggravée au fur et à mesure que l’expérience soviétique laissait apparaître son vrai visage. Les socialistes […] n’entendent user, ni de la haine, ni du mensonge, ni du crime pour instaurer une société nouvelle. » Cependant les dissidents ont tout de même droit à cette diatribe : « Ce ne sont certainement pas les groupuscules qui se font et défont au hasard des événements et selon l’humeur de quelques individualités qui produiront […] le rassemblement des républicains épris de justice sociale. » La bataille en termes d’image au sein même de la gauche est délicate et le passé récent difficile à défendre.
120De son côté, après la semaine des barricades à Alger du 24 janvier au 1er février 1960 et à la veille de l’anniversaire du 6 février, le PSA adopte la formule des Étudiants du PSA et de l’UGS : « Personne derrière le Général, tous à ses côtés » ; et il accuse la SFIO de pratiquer l’unité d’action avec l’UNR, bien que ses ministres aient démissionné du gouvernement en décembre 1958. Doté d’un bel hebdomadaire depuis octobre 1959280, Mollet leur répond en justifiant le vote des pouvoirs spéciaux que l’Assemblée vient d’accorder à de Gaulle, avec la grille de lecture habituelle : cette insurrection à Alger était « pour certains l’heure de la revanche, pour d’autres celle de la curée », car « tout ce qu’écrivaient les valets de plume les plus vils au service de la collaboration et du nazisme entre 1940 et 1944 réapparaît281 ». Il reçoit, d’ailleurs, le président de la République, en voyage dans le Nord, à Arras et s’affiche à ses côtés en voiture décapotable ; leur photographie doit illustrer l’évocation de leur engagement commun dans la Résistance282. Surtout, la SFIO triomphe de « la petite gauche » puisque de Gaulle a défendu la République en cette occasion : « l’événement nous a donné raison ». Un temps, la mémoire de guerre gaulliste est donc à l’honneur : de Gaulle en voyage à Londres en avril, c’est le chef de la France libre, seul avec l’Angleterre à se dresser contre le nazisme en 1940 ; le 25 août, c’est l’anniversaire du jour que de Gaulle « avait prévu, annoncé et préparé283 ». Cependant, en désaccord avec la politique européenne du Général et concurrencée sur sa gauche par ses dissidents, la SFIO va devoir progressivement abandonner cette rhétorique dithyrambique. Dès lors, il lui faut trouver une solution mémorielle satisfaisante.
121Au-delà de cette mémoire immédiate interprétant la mort de la IVe République, les partis de gauche se disputent leurs lieux de mémoire et, plus particulièrement, tous ceux qui ont partie liée avec leurs guerres passées. La SFIO doit désormais ferrailler non seulement avec le PCF mais aussi avec les minoritaires, puis avec le PSA. En février 1958, l’éloge de Robespierre est assez inattendu à la SFIO : il y est présenté comme « un patriote » exemplaire en 1793, « un héros pour la jeunesse », en un portrait que ne démentiraient pas les communistes284. Plus traditionnel est l’hommage rendu à la Commune, avec le défilé au mur des fédérés que la SFIO ne peut abandonner aux seuls communistes, alors que le PSU se fait un malin plaisir de la commémorer chaque printemps285. De même, aucun parti socialiste, l’ancien et le nouveau, ne veut céder Jaurès. La mémoire de celui qui a su concilier socialisme et nationalisme, « l’infatigable défenseur de la paix », est mobilisée par Guy Mollet pour justifier sa politique en Algérie, puis le ralliement à de Gaulle, lors de « la journée Jean Jaurès », qui a lieu tous les ans en juillet à Phalempin dans le Nord – Pas-de-Calais, en 1956, 1957, 1958 et encore en 1959286. Cette année du Centenaire de la naissance de Jaurès, c’est la surenchère. L’un des fondateurs du PSA, l’historien Ernest Labrousse, a créé et préside la Société d’études jaurésiennes et, lors de son premier congrès à Montrouge en mai, le parti nouveau-né est placé sous le patronage de l’icône287. En réaction, le 51e congrès de la SFIO en juillet, est également placé sous l’égide de son immense portrait au-dessus de la tribune288. Le parti participe à l’inauguration de l’exposition qui lui est consacrée par le musée de sa ville natale, Castres, au cours de laquelle le maire remet à Paul Ramadier la médaille du Centenaire que vient de frapper la Monnaie de Paris. Paul-Boncour évoque la vie du grand homme et l’instrumentalise sans hésiter : « la réponse de Jaurès lorsqu’on lui demanda ce qu’il aurait fait s’il y avait eu la guerre. – “J’aurais parcouru le pays pour animer la défense nationale”289 ».
122De même, cette année-là, tous les militants sont invités à participer à la commémoration annuelle des Anciens du Parti, au Panthéon, en juillet, où Suzanne Lacore rend un vibrant hommage à « l’apôtre de la paix290 ». En septembre, c’est la fédération du Tarn qui organise un pèlerinage sur tous les lieux où vécut Jaurès, puis deux meetings à Carmaux et Castres, le tout clos par un banquet dans la cité minière. Elle édite une carte postale avec le portrait du tribun pour recevoir le timbre émis à l’occasion et proposé en vente anticipée à Castres. Outre la fédération, les municipalités de Castres, Bessoulet, Carmaux, Albi et Graulhet se mobilisent291. Le secrétaire général et la plupart de ses lieutenants ne manquent aucune de ces manifestations destinées à resserrer les rangs et à légitimer leur politique.
123Léon Blum et d’autres figures sont également convoités. Alors que le fossé s’élargit au sein de la SFIO à partir de 1956, la presse organique continue de commémorer Blum et les « héros et martyrs », tel Pierre Brossolette, ou de rendre hommage aux résistants qui décèdent, tels Henri Ribière et Jean Texcier292. Néanmoins, nombre de blumistes, dont le fils de Blum, et de résistants appartiennent à la minorité. En février 1958, Tribune du socialisme condamne le bombardement de Sakhiet : Robert Blum parle de « contagion des mœurs fascistes, vichyssoises ou staliniennes » et met en exergue une longue citation de Blum sur la nécessité de dire la vérité pour garantir la paix. Madeleine Lagrange évoque le ministre de la Jeunesse du Front populaire, son époux Léo293. En avril, le très antigaulliste George Gombault, après avoir évoqué les intellectuels dreyfusards, cite à nouveau Blum pour condamner implicitement tout projet de ralliement à de Gaulle294. Et lorsque l’attendu volume de L’œuvre de Léon Blum, celui sur la Naissance de la Quatrième République, la vie du Parti et la doctrine socialiste, 1945-1947, sort en cette même année 1958, il est précédé d’un avant-propos de Robert Blum et est introduit par Robert Verdier295. Lors du 9e anniversaire de sa mort, en avril 1959, le PSA se rend au cimetière de Jouy-en-Josas, en compagnie de sa veuve et de « plusieurs centaines de militants », dont des représentants de l’UGS et de la Jeune République296. Il récidive en 1960297. C’est l’occasion pour le tout jeune parti de défiler en corps constitués en déployant les drapeaux et insignes de ses sections, des JSA et de ses Femmes socialistes.
124Toutefois, pour compenser ce déficit de légitimité blumiste, Démocratie 60 s’approprie les activités de l’Union des Résistants pour une Europe unie et du Comité d’Action de la Résistance (CAR), grâce à Léon Boutbien qui en est membre298. Ce dernier va plus loin en utilisant son statut de déporté pour relativiser « les tortures en Algérie ». « Toutes ces exactions ont peut-être pu se produire, mais elles sont restées exceptionnelles », affirme-t-il ; les camps étaient destinés à exterminer, ce qui ne saurait avoir été le cas en Algérie ; il est impossible de comparer la Résistance française à « la rébellion algérienne » ; enfin, « Melouza ne rappelle-t-il pas Oradour299 ? » Et lorsque le journal publie des extraits du récit concentrationnaire de Christian Pineau, Georges Altman les introduit par ces mots : « Ce que nul ne peut oublier d’un passé encore proche, dont l’horreur et la grandeur dépassent sans doute les drames qui angoissent le présent300. »
125Entre « la vieille maison », usée par l’exercice du pouvoir et salie par « la guerre sans nom », et la minorité puis le tout jeune parti dissident, qui a peur de se dissoudre dans la nébuleuse de la Nouvelle Gauche, la guerre des mémoires est rude. L’une est en mal de légitimité, l’autre de reconnaissance, et écrire sa version de l’Histoire depuis 1956 ne peut suffire. Pratiques et rites mémoriels sont mis à contribution pour embrigader les héros des « bonnes » guerres précédentes, de Jaurès à Blum, en passant par quelques résistants et déportés. Ils ont également l’avantage de souder les rangs, de permettre de faire corps et donc de donner ou redonner consistance à des organismes partisans affaiblis ou immatures. Rien de plus efficace que des commémorations pour affirmer son identité.
126La crise de mai-juin 1958 est l’ultime coup porté à l’identité du parti « issu de la Résistance », tel qu’il s’est autoproclamé en novembre 1944. Le souvenir du ralliement à de Gaulle sous l’Occupation, alors encouragé par Léon Blum, a été effacé par la lutte contre le RPF depuis 1947 et la conviction qu’il est soutenu par nombre de fascistes et vichystes non repentis. Aussi, lorsque le secrétaire général Guy Mollet ou l’ancien président de la République Vincent Auriol considèrent, avec le président Coty, que de Gaulle est le meilleur rempart de la République, le revirement de la SFIO n’est pas facile à justifier. S’il n’est point de sauveurs suprêmes, comme le chantent les socialistes dans toutes leurs manifestations, le recours à l’homme providentiel nécessite de mobiliser des précédents historiques susceptibles de faire momentanément oublier le prince-président Louis Napoléon Bonaparte en 1848, Adolphe Thiers en 1871 et, surtout, le maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Pour les partisans du ralliement à la solution gaulliste, l’imminence du danger fasciste est donc démontrée grâce à la vulgate des 6 février 1934 à Paris et 18 juillet 1936 en Espagne, lesquels auraient été rejoués les 6 février 1956 et 13 mai 1958 à Alger. Mais pour leurs adversaires, s’ils s’accordent sur la nature du péril, s’en remettre à de Gaulle constitue une capitulation supplémentaire ; la réponse de 1934 et 1936, un vaste rassemblement populaire et républicain, est la seule voie de salut possible à leurs yeux. De sorte que là encore, la mémoire collective du parti qui, du 6 février 1934 aux combats de la Résistance, définit les socialistes comme à l’avant-garde de l’antifascisme intérieur et extérieur, échoue à préserver leur unité : ils ne se reconnaissent plus les uns les autres. Dès lors, une nouvelle querelle de famille éclate entre eux, à l’image de celle qui les oppose depuis 1920 avec les communistes. Ils se disputent leurs lieux de mémoire, moments ou grands hommes, pour tenter de réparer leur fragile identité.
Conclusion : Un passé diffracté, un parti fracturé
127À chacune des crises, de la CED, de la politique algérienne du gouvernement Mollet et du 13 mai 1958, le récit et l’interprétation des évènements que la SFIO tente d’imposer par en haut échouent à préserver la cohésion des socialistes, au point que leur identité même est rendue vulnérable. Européistes et atlantistes, ils se déchirent sur la CED ; démocrates et pacifistes, sur la guerre en Algérie ; antifascistes et républicains, sur le 13 mai 1958.
128Dans leurs discours, le passé surgit à chaque instant, mais les leçons qu’ils en tirent divergent. « Oradour » ou « le 6 février », par antonomase, se décontextualisent, perdent du sens et s’affadissent. Ces références historiques perdent d’autant plus leur pouvoir d’orientation et de mobilisation que les socialistes partagent la première avec la majorité des Français et la seconde avec les communistes. Au registre des événements tragiques, « Munich » et « le 10 juillet 1940 » ont un statut à part. Car, en suscitant des raisonnements par analogie, ils conservent leur faculté de déterminer les comportements. Ils induisent un biais cognitif rétrospectif qui leur fait croire que, puisqu’ils connaissent le passé, ils peuvent expliquer le présent et donc prédire l’avenir. Dans cette perspective, on peut parler de syndromes de Munich et du 10 juillet 1940, même si tous les socialistes n’en sont pas pareillement affectés.
129Ce serait donc une erreur de penser que cette diffraction du passé n’est que pure rhétorique. Si les besoins présents conditionnent les représentations de leurs guerres, il n’en demeure pas moins que ces dernières contiennent aussi une forte part de conviction. Face au « problème allemand », la germanophobie, quels que soient ses nuances ou ses masques, n’a pas totalement disparu chez les socialistes et prohibe « une juste mémoire ». Face au nationalisme algérien, non seulement leur conception évolutionniste et ethnocentriste de l’Histoire les empêche d’appréhender la décolonisation, mais leur mémoire patriotique de la Seconde Guerre mondiale convainc la plupart d’entre eux que la guerre contre le fascisme n’est pas terminée puisqu’elle se poursuit désormais contre un ennemi intérieur. Bon gré, mal gré, cette croyance les entraîne à penser que seul de Gaulle peut sauver la République du bourbier algérien en juin 1958. Or, chez d’autres, que nous avons appelé « les dreyfusistes », la mémoire éthique de la Résistance l’emporte et les pousse à considérer qu’avec « le national-molletisme », ce sont les principes et valeurs mêmes de la République et du Socialisme qui sont menacées. De même, lors de la crise de mai-juin 1958, la mémoire du Rassemblement populaire du 12 février 1934 et celle de la mobilisation des républicains espagnols de l’été 1936 se conjuguent au syndrome du 10 juillet pour persuader les minoritaires que c’est le ralliement de la SFIO à de Gaulle qui met la République en danger.
130Or, les fractures ne sont pas toujours les mêmes : des anticédistes peuvent soutenir la politique de Lacoste en Algérie, tel un Max Lejeune ; des cédistes refuser l’investiture à de Gaulle en 1958, tel un Tanguy Prigent. Ces itinéraires entrelacés révèlent à eux seuls à quel point l’identité de la SFIO, pourtant réaffirmée avec force en novembre 1944, est fragile. Si même un passé commun ne peut assurer une mémoire commune parce que chacun lui donne un sens qui lui est propre, a fortiori construire une mémoire collective, englobante et valable pour tous par-delà des parcours individuels, est une gageure. Des expériences partagées aussi traumatisantes que le 10 juillet 1940, les combats de la Résistance ou la déportation ne déterminent pas les choix du présent. Il est vrai que les socialistes n’ont pas tous vécu de la même manière la Seconde Guerre mondiale et que leurs points de vue, au sens plein du terme, diffèrent. Néanmoins, cet handicap, le PCF, lui, est capable de le surmonter en dépit d’un Maurice Thorez réfugié à Moscou dès l’automne 1939 et d’un Gabriel Péri engagé en résistance bien avant juin 1941. Plusieurs facteurs peuvent expliquer que la SFIO se distingue de son frère ennemi dans ce domaine. D’une part, son attachement à la République et à l’unité de la Résistance, ainsi que sa difficulté à unifier ceux qui avaient été dispersés au combat, l’ont empêchée – nous l’avons vu – de produire un véritable mythe de la résistance socialiste. D’autre part, comme chacune de ces trois crises le montre, sa discipline partisane n’a pas aboli le libre jeu des consciences. Certes, des sanctions, voire des exclusions ou démissions, et pour finir une scission finissent par fracturer la SFIO, mais « la raison du Parti » n’est pas aussi puissante que chez les communistes.
131En août 1946, Léon Blum mettait les socialistes en garde :
« Vous avez la nostalgie de tout ce qui peut vous écarter du passé tel que vous l’avez connu et pratiqué. […] La nostalgie vous ramène à ce passé bien qu’il ne représente plus rien, qu’il ne réponde plus à rien et bien qu’autour de vous, tout soit renouvelé301… »
132Sous la IVe République, les socialistes sont empoignés par les enjeux du présent et fabriquent au jour le jour le passé dont ils ont besoin dans un « présentisme » mortifère et précoce302. De sorte qu’en septembre 1958, l’identité de la SFIO proclamée en novembre 1944 – « un parti rénové et issu de la Résistance » – vole en éclats.
Notes de bas de page
1Sur la distinction entre le « choix du passé » et le « poids du passé » définie par Marie-Claire Lavabre, voir notre Introduction et Lavabre Marie-Claire, Le fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p. 31.
2Déclaration de principes du PS-SFIO (février 1946) : « Il est un parti tout à la fois national et international. Essentiellement national parce qu’il n’y a pas de travail libre dans une nation asservie ou sujette, parce que les travailleurs, que les abus du capitalisme tendaient à rejeter hors de la patrie, s’y sont réintégrés eux-mêmes par un siècle et demi d’efforts et de sacrifices, que la patrie est aujourd’hui leur bien, et en grande partie leur œuvre, et qu’ils sont déterminés à la défendre. Essentiellement international parce que les lois de l’économie ont pris un caractère universel, parce que les intérêts de tous les travailleurs sont solidaires aussi bien que les droits et les devoirs de tous les hommes, parce que le premier de ces intérêts, la paix, ne peut être assuré en dehors de leur organisation et de leur action internationales. »
3Rosoux Valérie, « Pièges et ressources de la mémoire dans les relations internationales », La Revue internationale et stratégique, no 46, 2002, p. 43-50. Voir aussi Rystad Goran, Prisoners of the Past ? The Munich Syndrome and Makers of American Foreign Policy int the Cold War Era, Lund, CWK Gleerup, 1982 et Neustadt Richard et May Ernest, Thinking In Time. The Uses of History for Decision-Makers, New York, Free Press, 1988.
4Frank Robert, « Mentalités, opinions, représentations, imaginaires et relations internationales », dans Frank Robert (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, PUF, 2012, p. 345-370.
5Ricœur Paul, La mémoire, l’Histoire, l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, p. 496.
6Affaires étrangères : Léon Blum (décembre 1946-janvier 1947), Christian Pineau (février 1956-novembre 1957). France d’outre-mer : Marius Moutet (janvier-décembre 1946), Augustin Laurent (décembre 1946-janvier 1947), Moutet (janvier-octobre 1947) ; le gouvernement Guy Mollet (1er février 1956-13 juin 1957) avec Gaston Defferre ministre et Alain Savary secrétaire d’État aux affaires marocaines et tunisiennes (jusqu’à sa démission le 3 novembre 1956) ; Gérard Jaquet ministre (juin 1957-mai 1958), Max Lejeune ministre du Sahara (juin 1957-juin 1958).
7Daniel Le Couriard a montré qu’à ses débuts, cette guerre leur demeurait lointaine, dans Le Couriard Daniel, « Les socialistes et les débuts de la guerre d’Indochine (1946-1947) », RHMC, 1984, 31/2, p. 334-353 Par la suite, sur les instances d’Alain Savary, ils finissent par souhaiter une solution négociée avec le Vietminh. Voir Dalloz Jacques, « Alain Savary, un socialiste face à la guerre d’Indochine », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 53, 1997, p. 42-54.
8Voir Morin Gilles, « Les oppositions socialistes à la CED : les acteurs du débat », Les cahiers IRICE, no 4, 2009/2, p. 83-100 ; Morin Gilles, De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie au Parti socialiste autonome, 1954-1960 : un courant socialiste de la SFIO au PSU, doctorat d’histoire à Paris I, 1992 ; Fondation Charles de Gaulle, L’avènement de la Cinquième république, Paris, A. Colin, 1999.
9Nous empruntons ce concept, qui désigne les rapports du présent avec le passé et le futur, à Hartog François, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003.
10Le Populaire du Centre, 12 novembre 1945.
11De Gaulle a déclaré : « La guerre contre l’Allemagne a commencé en 1914. […] Le monde fait la guerre de trente ans, pour ou contre la domination universelle du germanisme » dans son discours du 17 septembre 1941 à la radio de Londres.
12Voir Devin Guillaume, L’Internationale socialiste. Histoire et sociologie du socialisme international 1945-1990, Paris, Presses de la FNSP, 1993, chap. 1.
13Voir Buffotot Patrice, « Les socialistes et le modèle de L’Armée nouvelle », Cahiers Jaurès, no 207-208, 2013/1, p. 140.
14Frank Robert et Fleury Antoine (dir.), Le rôle des guerres dans la mémoire des Européens. Leur effet sur la conscience d’être européen, Berne, Peter Lang, 1997.
15Sténographie du 44e Congrès national des 23-25 mai 1952 à Montrouge, Archives de l’OURS, p. 89.
16On remarque que le champ lexical du « sentiment » est utilisé à chaque fois qu’un militant déroge à « la raison du Parti » au sens de « raison d’État ». Rappelons le principe fondateur : « Nul n’a jamais raison contre son parti ». Lorsque les fédérations réclament la réintégration de leurs élus défaillants du 10 juillet 1940, Daniel Mayer leur oppose ce registre.
17Rappelons que la SFIO a connu les scissions de 1920 à Tours, des néo-socialistes en 1933, et du PSOP en 1938. Cependant, Christian Pineau dit aussi avoir choisi la SFIO en 1945 parce qu’il y régnait « une très grande liberté d’expression », dans Wieviorka Olivier, Nous entrerons dans la carrière, Paris, Le Seuil, 1994, p. 263.
18Jean Le Bail, évoquant l’investiture ratée de Thorez en décembre 1946, témoigne : « Je revois le drame de conscience, je revois Le Troquer, je revois Daniel [Mayer], Philip disant : “Peu m’importe, je ferai de mon vote un cas de conscience” » parce qu’ils refusent la discipline du groupe (Sténographie du 40e congrès national des 1er-4 juillet 1948 à Paris, Archives de l’OURS, partie 1, p. 31).
19Au congrès d’août 1946, Blum prend la défense du secrétaire général Daniel Mayer dont le rapport moral est rejeté par 2 975 mandats contre 1 365 et 145 abstentions. « Avec conscience et avec scrupule », il compare la doctrine socialiste à un « cathéchisme », pense que son « humanisme » a été considéré comme « une hérésie », et reproche à son auditoire de n’avoir eu « ni assez d’abnégation et d’esprit de sacrifice », « ni assez de “foi” depuis la Libération ». Son diagnostic est sévère : « Le mal en vous, c’est le manque d’ardeur, de dévouement, de foi ». Il y a six occurrences de « foi » dans ce discours. Voir sténographie du 38e congrès national des 29 août au 1er septembre 1946, Archives de l’OURS, p. 90-100. D’Almeida Fabrice, Berkowitz Peter et Cepede Frédéric, « Discours chrétiens et discours socialistes : un double parcours », Mots. Les langages du politique, 1994, no 38, p. 43-58.
20Adrien Tixier a secondé Albert Thomas lors de la fondation du BIT à Genève en 1920 et en est le sous-directeur de 1936 à 1941.
21Andrée Mayrisch épouse le député des Ardennes, Pierre Viénot, et lui succède après la guerre. Sous-secrétaire d’État, chargée de la Jeunesse et des Sports en juin 1946-janvier 1947, elle s’intéresse de longue date aux questions allemandes et coloniales. Amie de Thomas Mann et de nombreux intellectuels allemands, elle est aussi proche des nationalistes tunisiens et marocains.
22Blum Léon, À l’échelle humaine, Paris, Gallimard, (1945) 1971, p. 49.
23Citons, entre autres, Kershaw Ian, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995.
24Blum Léon, À l’échelle humaine, op. cit., p. 151.
25Ibid., p. 152.
26Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945 à Paris, Archives de l’OURS, p. 351-354.
27Ibid., p. 388.
28Audoin-Rouzeau Stéphane, La guerre des enfants 1914-1918 : essai d’histoire culturelle, Paris, Colin, 1993.
29Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 371-372.
30Ibid., p. 378. Théodore Staub a été un pacifiste très actif à la LICP dans l’entre-deux-guerres, avant d’adhérer au réseau Libé-Vengeance, puis de combattre dans un maquis de la Vienne, et enfin de s’engager volontairement dans l’armée jusqu’en juin 1945. Voir notice de Claude Geslin et Gilles Morin, DBMOF.
31Ce préjugé persiste assez longtemps et ce sont le plus souvent des exilés qui sont invités aux congrès et dûment présentés comme tels. Citons Willi Eichler (le 25 mai 1952) ou Erwin Schoettle (le 27 juin 1957).
32Blum Léon, À l’échelle humaine, op. cit., p. 145.
33Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 373.
34Ibid., p. 355-356.
35Ibid., p. 359.
36Ibid., p. 366-369.
37Ibid., p. 382.
38Ibid., p. 457.
39Salomon Grumbach et Pierre-Olivier Lapie, séance du 16 janvier 1946, ANC, JO, p 52-54 et 54-56.
40Naegelen René, série « L’Allemagne aujourd’hui », Le Populaire, janvier 1946.
41René Naegelen a écrit Les suppliciés : histoire vécue (La Baudinière) en 1927 qui lui a valu d’être invité en France et à l’étranger pour des conférences. Il a pris aussi la défense des mutins de 1917 en préfaçant Quand on fusillait des innocents d’Henry Andraud (Gallimard) en 1935. Il ne doit pas être confondu avec son frère Marcel-Edmond.
42Merlat Odette, « La conférence des quatre du 25 avril 1946 », La Revue socialiste, no 1, mai 1946, p. 88.
43Voir son compte rendu, sténographie du 38e Congrès national du 29 août-1er septembre 1946 à Paris, Archives de l’OURS, p. 299-300.
44Weill-Raynal Étienne, « Et voici de nouveau le problème des réparations allemandes », La Revue socialiste, no 3, juillet 1946, p. 285 sq. Il a achevé une thèse de doctorat en 1938 sur ce sujet mais ne l’a soutenue que le 14 avril 1945. Weill-Raynal Étienne, La politique française des réparations, Paris, Nouvelles éditions latines, 1946.
45Dumas Charles, Le Populaire, 20 décembre 1946.
46Voir le questionnaire diffusé au préalable dans le hors-série de La Revue socialiste, consacré à la préparation de la Semaine d’études, juillet 1947.
47Sténographie du 39e congrès national des 14-17 août 1947, Archives de l’OURS, partie 2, p. 9-10.
48Devin Guillaume, op. cit., p. 33-34. À la conférence d’Anvers (28 novembre-2 décembre 1947), est créé le COMISCO en attendant la reconstitution de l’Internationale socialiste à Francfort en juillet 1951.
49Sténographie du 40e congrès national des 1er-4 juillet 1948 à Paris, Archives de l’OURS, partie 2, Commission des résolutions, p. 163-164.
50Roels Marcel, « Cellule 51 », Le Populaire, 9-11, 15-22, 26-27 et 29 septembre et 1er, 5-7 octobre 1948.
51De Freminville Claude, « Cellule 51, souvenirs de captivité de Marcel Roëls », Le Populaire, 8 septembre 1948.
52Sténographie du 41e congrès national des 15-18 juillet 1949 à Paris, Archives de l’OURS, p. 195.
53Projet d’orientation générale de la délégation SFIO à Londres les 21-13 mars 1943, OURS.
54L’organisation française du MDSEUE rassemble des militants de la SFIO, du MRP, du parti radical-socialiste, de la Jeune République, de FO…
55Blum Léon, Le Populaire, 25 mars 1948.
56Sténographie du 41e congrès national des 15-18 juillet 1949 à Paris, arch. cit., p. 89 et p. 195.
57Ricœur Paul, « Vulnérabilité de la mémoire », dans Le Goff Jacques (dir.), Patrimoine et passions identitaires, Paris, Fayard, 1998, p. 31.
58Grumbach est délégué au congrès SPD de Hambourg des 21-25 mai 1950 et fait son rapport au congrès. Voir Sténographie du 42e congrès national des 26-29 mai 1950 à Paris, Archives de l’OURS, partie 1, p. 60-63.
59Ibid., partie 1, p. 2, partie 2, p. 6-7.
60Ibid., partie 1, p. 98. Le cas de Jules Moch – bien qu’il se distingue de la masse des militants par ses nombreuses responsabilités – est en l’occurrence assez représentatif d’un irrépressible ressentiment. Rappelons que son fils, résistant, a été exécuté par les Allemands et que son épouse a sombré dans la dépression.
61Daniel Mayer (Seine – SFIO), séance du 25 octobre 1950, AN, JO, p. 7190-7196.
62Mayer Daniel, Contre le réarmement allemand, avant-propos de Pierre Commin, Paris, Éd. du parti socialiste, s. d., (1950), discours de Mayer à l’AN du 25 octobre 1950.
63Buton Philippe, « La CED, affaire Dreyfus de la Quatrième République », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 84, 2004/4, p. 43-59.
64Morin Gilles, « Les oppositions socialistes à la CED… », art. cité.
65D’une part, Guy Mollet en profite pour renforcer son leadership et la discipline partisane ; d’autre part, les cédistes espèrent relancer des alliances de Troisième Force contre les fédérations laïques qui refusent toute alliance avec le centre, et surtout avec son pivot, le MRP.
66Buffotot Patrice, Le socialisme français et la guerre. Du soldat citoyen à l’armée professionnelle 1871-1998, Bruxelles, Bruyland/LGDJ, 1998, p. 241-244.
67Guy Mollet est ministre d’État chargé du Conseil de l’Europe (juillet 1950 – mars 1951) ; représentant français à l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe (1948-1956) et président de son intergroupe socialiste (1948-1956) ; membre de l’Assemblée de la CECA (1952 à 1956) et président de son groupe socialiste ; président de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe (1954-1956).
68La Revue socialiste consacre 12 pages à la CED en 1951, 16 pages en 1952 et 42 pages en 1953, dont un no spécial, no 68. Voir Buffotot Patrice, op. cit., p. 244.
69Voir Morin Gilles, « Les oppositions socialistes à la CED… », art. cité.
70Marceau Pivert est membre fondateur du Comité pour les États-Unis d’Europe. Voir Kergoat Jacques, Marceau Pivert, socialiste de gauche, Paris, Éd. de l’Atelier, 1994.
71Voir Frank Robert, « Alain Savary et l’Europe », dans Alain Savary : politique et honneur, Paris, Presses de la FNSP, 2002, p. 141-154 et Prevot Maryvonne, Alain Savary : le refus en politique, Paris, La Renaissance du livre, 2003.
72Voir Castagnez Noëlline, Socialistes en République. Les parlementaires SFIO de la IVe République, Rennes, PUR, 2004, p. 299-303 et, plus largement, sur les résistants des pays occupés d’une part, et les déportés d’autre part, Fleury Antoine et Frank Robert, op. cit.
73Charlet Gaston, Le Populaire du Centre, 24 juillet 1945.
74Christian Pineau (SFIO – Sarthe), séance du 30 août 1954, AN, JO, p. 1038-1039.
75Les vingt sont : Arnal, Audeguil, Binot, Bouhey, Capdeville, Cartier, Charlot, Doutrellot, Gourdon, Guitton, Laissac, Lejeune, Levindrey, Mabrut, Mayer, Maurellet, Moch, Montalat, Savary et Verdier.
76Morin Gilles, « La CED : les fédérations SFIO face aux indisciplines », dans Hohl Thierry et al. (dir.), Les socialistes français et l’Europe, documents et analyses, Dijon, EUD, 2008, p. 41-58.
77Mollet Guy, « Les socialistes et l’armée européenne », La Revue socialiste, no 53, janvier 1952, p. 2.
78Sténographie du 45e congrès national des 2-5 juillet 1953 à Asnières, Archives de l’OURS, p. 227.
79Sténographie du congrès national extraordinaire des 29 et 30 mai 1954 à Puteaux, Archives de l’OURS, p. 9-15.
80Sténographie du 44e congrès national des 23-25 mai 1952 à Montrouge, Archives de l’OURS, p. 58-59.
81Ibid., p. 266-267.
82Sténographie du 45e congrès national des 2-5 juillet 1953, arch. cit. p. 240.
83Ibid., p. 215.
84Sténographie du Congrès extraordinaire des 29-30 mai 1954, arch. cit., p. 152.
85Sténographie du 44e congrès national des 23-25 mai 1952, arch. cit., p. 80.
86Ibid., p. 130 et Le Bail Jean, Guerre à la guerre et aux faux pacifistes, Limoges, Fédération de la Haute-Vienne, 1950.
87Marceau Pivert, « 1952, l’année cruciale », La Revue socialiste, no 53, janvier 1952, p. 9 sq. Il le répète au congrès en mai. Voir sténographie du 44e congrès national des 23-25 mai 1952, arch. cit., p. 66.
88Ibid., p. 99.
89Ibid., p. 169-170.
90Sténographie du 45e congrès national des 2-5 juillet 1953, arch. cit., p. 264 et p. 402. En fait, Blum exprime un « lâche soulagement » avant la conférence et non après l’annonce de ses résultats.
91Sténographie du Congrès extraordinaire des 29 et 30 mai 1954, arch. cit., p. 23.
92Ibid., p. 125.
93Bouhey Jean, La Bourgogne républicaine, 22 janvier 1955. Rappelons qu’il est le seul socialiste à ne pas avoir ratifié les accords de Munich en 1938.
94Voir la définition proposée par Rystad Göran, op. cit., introduction.
95Christian Pineau se voit reprocher, dans sa circonscription de la Sarthe, par des anciens de Buchenwald communistes, de s’y soustraire. Le Populaire Dimanche, 22 janvier 1955.
96Philip André, Contre la peur, pour la sécurité : la CED, Paris, MDSEUE, 1954, 16 p.
97mdseue, P.-H. Spaak et Guy Mollet devant la CED. Discours prononcé le 5 mars 1954 à la salle des horticulteurs de Paris, Paris, MDSEUE, 1954, 21 p.
98Arnal Franck et al., Contre le traité actuel de la CED. Pour la liberté de vote et l’unité fraternelle du parti, s. l., Éd. du parti socialiste, s. d. (avril 1954), 24 p. et Arnal Franck et al., Contre la petite Europe cléricale et réactionnaire, s. l., à compte d’auteur, s. d. (mai 1954), 24 p. Sur chaque couverture, est mentionné : « Ce texte est réservé aux membres du PS-SFIO ». La seconde brochure n’a pas bénéficié du financement du parti, ce qui en dit long sur les tensions.
99Arnal Franck et al., Contre le traité actuel de la CED…, op. cit., chap. 3.
100Arnal Franck et al., Contre la petite Europe cléricale…, op. cit., p. 15.
101Arnal Franck et al., Contre le traité actuel de la CED…, op. cit., chap. 5.
102Arnal Franck et al., Contre la petite Europe cléricale…, op. cit., p. 12.
103Ibid. Deuxième partie p. 12 sq et Arnal Franck et al., Contre le traité actuel de la CED…, op. cit., p. 15.
104Arnal Franck et al., Contre la petite Europe cléricale…, op. cit., p. 21.
105Arnal Franck et al., ibid., « Et maintenant Camarades, à vous la parole… ».
106Sténographie du Congrès extraordinaire des 29 et 30 mai 1954, arch. cit., p. 34.
107Sténographie du Congrès extraordinaire des 5 et 6 février 1955 à Puteaux, Archives de l’OURS, p. 49.
108Voir l’intitulé même de leur première brochure en avril 1954 : Arnal Franck et al., Contre le traité actuel de la CED. Pour la liberté de vote et l’unité fraternelle du parti, op. cit., p. 22 et la conclusion de la seconde.
109Sténographie du Congrès extraordinaire des 29 et 30 mai 1954, arch. cit., p. 209.
110Ibid., p. 186-187. La ratification des accords de Munich est à nouveau évoquée à propos des indisciplines, par Jules Moch et Augustin Laurent, dans les mêmes termes, en février 1955. Voir sténographie du Congrès extraordinaire des 5 et 6 février 1955, arch. cit., p. 88 et 160. En 1976, Moch affirme qu’il s’est rallié à Blum parce qu’il avait fait appel à son sens de l’amitié. Voir Une si longue vie, Paris, R. Laffont, 1976, p. 149.
111Sténographie du 46e congrès national des 1er-4 juillet 1954 à Asnières, Archives de l’OURS, p. 77-84. Ce propos montre à quel point sa décision de rompre en septembre 1958 ne va pas de soi.
112Daniel Mayer (Seine), Max Lejeune (Somme) et Jules Moch (Hérault) sont exclus le soir même ; Pierre-Olivier Lapie (Meurthe-et-Moselle) l’est pour le même motif le 29 septembre.
113Cahiers de la FNSP, 4e semestre 1956, cité par Quilliot Roger, La SFIO et l’exercice du pouvoir 1944-1958, Paris, Fayard, 1972, p. 499, note 2.
114Voir Morin Gilles, « La CED : les fédérations… », art. cité.
115Sténographie du 43e congrès national des 12-15 mai 1951 à Paris, Archives de l’OURS, p. 241.
116Voir supra, chap. ii : « Un tableau accommodant du comportement des édiles ».
117Les accords de Londres et de Paris (23 octobre 1954) décident de mettre fin à l’occupation de la RFA, de restaurer sa souveraineté, de permettre son adhésion à l’OTAN et de maintenir des forces britanniques sur le continent. Ils sont ratifiés par 350 voix contre 113 et 152 abstentions. Voir Cocatre-Zilgien André, « Les accords de Paris devant le Parlement français », Annuaire français de droit international, no 1, 1955, p. 140-150.
118Sténographie du Congrès extraordinaire des 5 et 6 février 1955, Archives de l’OURS, p. 127, p. 227 et p. 213.
119Ibid., p. 227.
120Ibid., p. 74.
121Sténographie du Congrès national extraordinaire des 5 et 6 février 1955, arch. cit., p. 198.
122Ibid., p. 248.
123Pineau Christian, 1956, Suez, Paris, R. Laffont, 1976, p. 219.
124Werth Alexander, La France depuis la guerre 1944-1957 (1re éd. 1956), 1957, p. 570-608.
125Rousso Henry, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1987, p. 93 sq. Olivier Wieviorka parle de « miroir des années sombres » dans La mémoire désunie. Le souvenir politique des années sombres de la Libération à nos jours, Paris, Le Seuil, 2010, p. 141.
126Rystad Göran, Prisoners of the Past ?…, op. cit.
127Gilles Morin a montré que des seuils de tolérance sont franchis les uns à la suite des autres. Voir Morin Gilles, De l’opposition socialiste à la guerre d’Algérie…, op. cit. Marcel-Edmond Naegelen remplace Yves Châtaigneau au gouvernement général de l’Algérie de 1948 à 1951. Robert Lacoste l’est également sous le gouvernement Mollet de janvier 1956 à mai 1957, puis devient ministre de l’Algérie jusqu’au 2 mai 1958.
128Vidal-Naquet Pierre, « Une fidélité têtue. La résistance française à la guerre d’Algérie », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 10, avril-juin 1986, p. 3-18. L’auteur parle de « dreyfusards » mais il est aujourd’hui plus approprié de les qualifier de dreyfusistes pour signifier qu’ils se préoccupent d’abord du respect des principes et valeurs de la République.
129Expression que nous empruntons à Yves Lavoquer, secrétaire fédéral de l’Aube, au congrès de la scission : p. 142 « Quand on a appris le Socialisme dans les écrits de Jaurès, ou de vive voix dans l’intimité de Léon Blum, on a peine à justifier ou à tenter de justifier l’arrestation de Ben Bella, les massacres de Sakhiet ou les méthodes particulières d’interrogatoires en Algérie des prisonniers. Cela, je l’ai fait, par discipline de Parti, la conscience inquiète et mal à l’aise ». Sténographie du 50e Congrès national des 11-14 septembre 1958 à Issy-les-Moulineaux, Archives de l’OURS, p. 142.
130Philip André, Le socialisme trahi, Paris, Plon, 1957. Voir l’analyse qu’en propose Duclert Vincent, La Gauche devant l’Histoire. À la reconquête d’une conscience politique, Paris, Le Seuil, 2009.
131Voir Quilliot Roger, op. cit. p. 146-149.
132Cao-Huy Thuan montre que, d’une part Léon Blum n’échappe pas aux contradictions lors de ces débats et que, d’autre part l’inter-groupe des parlementaires d’outre-mer auquel appartiennent les députés socialistes échoue à faire entendre leur point de vue y compris à la SFIO. Voir Thuan Cao-Huy « Le préambule de 1946 et la guerre d’Indochine », dans Koubi Geneviève (dir.), Le Préambule de la constitution de 1946. Antinomies juridiques et contradictions politiques, Paris, PUF, CURAPP, 1996, p. 157-167.
133Julien Charles-André, « Alerte au fascisme en Algérie. La répression des émeutes du 8 mai a eu un caractère impitoyable », Le Populaire, 28 juin 1945.
134L’Humanité, 12 mai 1945. L’article évoque l’intervention, qui allait déjà dans ce même sens, d’Étienne Fajon à l’ACP en mars.
135L’Humanité des 13 et 29 mai 1945.
136Julien Charles-André, « Le fascisme appuyé sur des milices armées veut imposer sa loi en Algérie », Le Populaire, 29 juin 1945. Les populations sont contraintes à d’humiliantes scènes de soumission en particulier à Kherrata.
137André Achiary est le fils de Léon et Henriette, résistants de Haute-Garonne. Commissaire de Police à Alger, il réprime les communistes puis organise le soulèvement du 8 novembre 1942. Sous-préfet de Guelma, le 8 mai, il fait retirer le drapeau algérien, déclenche l’escalade, puis mène la répression.
138Sténographie du 37e congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 372.
139Ibid., p. 392. Ce reproche est récurrent, comme le déclare encore sans ambages le « Tunisien » André Bidet : « Je regrette d’avoir à rappeler que le PS, depuis trop longtemps, se désintéresse à peu près complètement de ce que l’on appelle la politique “coloniale” ». Sténographie du Congrès interfédéral d’Afrique du Nord des 13 et 14 juillet 1946 à Alger, Archives de l’OURS, p. 36.
140Compte rendu du Populaire, 1er mars 1946.
141Peyroulou Jean-Pierre, Guelma 1945. Une subversion française dans l’Algérie coloniale, Paris, La Découverte, 2009, p. 283.
142Discours d’ouverture du président de séance, Charles Dumas, sténographie du Congrès interfédéral d’Afrique du Nord des 13 et 14 juillet 1946, arch. cit., p. 3. Les noms musulmans y sont très mal orthographiés et pas toujours identifiables.
143Ibid., p. 19.
144Voir notice de Gilles Morin, DBMOF.
145Sténographie du Congrès interfédéral d’Afrique du Nord des 13 et 14 juillet 1946, arch. cit., p. 22.
146Ibid., p. 33.
147Ibid., p. 41.
148Le Populaire, 24 août 1946 et Raoul Borra (SFIO – Bône), séance du 23 août 1946, AN, JO, p. 3273-3275.
149Freminville Claude de, Le Populaire, 2 août 1947.
150Julien Charles-André, « Faisons confiances à l’Algérie démocratique », ibid.
151Cette thèse « des occasions perdues » perdure chez nombre de socialistes. Voir Pierre-Bloch, Jean, Algérie, terre des occasions perdues, Paris, Deux-rives, 1961. La famille maternelle de l’auteur est originaire d’Alger.
152Cohen-Hadria Élie, « Le fait colonial », La Revue socialiste, no 14, octobre 1947.
153« Préparation à la Semaine d’études du PS des 20-27 juillet 1947 à Meung-sur-Loire », « Solutions socialistes aux problèmes coloniaux », La Revue socialiste, hors-série de juillet 1947, p. 145.
154Philip André, Le socialisme trahi, op. cit., chap. viii.
155Sténographie du Congrès interfédéral d’Afrique du Nord des 13 et 14 juillet 1946, arch. cit., p. 57.
156Levy-Bruhl Lucien, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, Alcan, 1910 et La mentalité primitive, Paris, Alcan, 1922.
157Levy-Bruhl Henri, « Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes : formule dépassée », La Revue socialiste, no 4, octobre 1946, p. 462.
158Lejeune Max, « Notre mission au Maroc », Le Cri du peuple, 4 septembre 1955. Voir notre article « Max Lejeune, de la défaite de 1940 à la guerre d’Algérie : une certaine idée de la guerre juste », dans Bellamy David (dir.), Max Lejeune (1909-1995). Carrière politique d’un Picard, Amiens, Encrage éditions, 2017, p. 125-138.
159Fuzier Claude, « Le drame algérien », Le Populaire Dimanche, 27 mai 1956.
160Notice de Marie-Ève Humery-Dieng, DBMOF.
161Adour Serge (Gérard Bélorgey), « Climat de la crise marocaine » et Dause Roger, « Aux frontières de l’Union française », L’Étudiant socialiste, novembre-décembre 1953.
162Balandier Georges, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, no 11, 1951, p. 44-79.
163Siegfried André, L’année politique, Paris, Le Grand Siècle, 1955, introduction.
164Le Populaire Dimanche, 14 novembre 1954.
165Begarra Joseph, « Le problème algérien n’est pas celui de la répression », Le Populaire Dimanche, 5 décembre 1954.
166« Max Lejeune au Populaire », Le Cri du peuple, 25 mars 1956.
167Prix Goncourt en 1955 pour Les eaux mêlées, roman prêchant déjà la tolérance, mais évoquant cette fois-ci une famille fuyant les pogroms russes en France, Roger Ikor a appartenu aux ES dans l’entre-deux-guerres. Il n’est plus encarté lors de sa longue collaboration avec le journal de Guy Mollet (voir la notice du DBMOF).
168Ikor Roger, « La trompe d’Hellequin », Démocratie 62, 11 janvier 1962.
169Lejeune Max, « Mensonges et violences », Le Cri du peuple, 15 mars 1962.
170Huntington Samuel, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, New York, Simon & Schuster, 1996.
171Quilliot Roger, op. cit., p. 474.
172En cela, ils ne se distinguent pas des autres anciens résistants. Perville Guy, « La génération de la Résistance face à la guerre d’Algérie », dans Marcot François (dir.), La Résistance et les Français. Lutte armée et maquis, Besançon, Annales littéraires de l’université de Franche-Comté, 1996, p. 445.
173L’opération de Suez a fait couler beaucoup d’encre et François Lafon a montré le rôle décisif qu’y a joué Guy Mollet, Guy Mollet, Paris, Fayard, 2006, chap. 13 et « Guy Mollet et la gestion de la crise : le style et la manière », dans Soutou Georges-Henri et al. (dir.), Les Occidentaux et la crise de Suez : une relecture politico-militaire, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014.
174Intervention de Pineau citée par Fauvet Jacques, « Causes et conséquences de la politique de fermeté du gouvernement français », Le Monde, 4 septembre 1956.
175Rosenfeld Oreste, « La mutinerie de Saïgon », Le Populaire, 3-4 mars 1946.
176Labrouquere André, La Revue socialiste, no 2, juin 1946, p. 196. Il est alors secrétaire général pour l’Indochine à la Présidence du gouvernement.
177Le 6 mai 1947, prétextant une attaque rebelle, le commandant fait mitrailler des militants MDRM emprisonnés dans des wagons. Le parallèle avec le massacre d’Oradour est donc audacieux. Pour autant, l’audience, sur les réseaux internet malgaches, du livre de Rémi Rahajarizafy, D’Oradour à Moramanga, publié en 2014, sont toujours visibles sur la toile.
178Voir Fremigacci Jean, « 1947 : l’insurrection à Madagascar », Marianne, no 401, du 25 au 31 décembre 2004 et « La vérité sur l’affaire malgache », L’Histoire, 2007, no 3. L’auteur parle des années 1950 et cite l’article du conseiller PCF de l’Union française, Pierre Boiteau, « Moramanga, l’Oradour malgache » dans la Nouvelle Critique de janvier 1954.
179« Les événements de Madagascar devant l’Assemblée nationale », Le Populaire, 10 mai 1947 et séance du 9 mai 1947, AN, JO, p. 1542-1548.
180« Les socialistes s’étant abstenus… », Le Populaire, 7 juin 1947. En fait, Joseph Apithy (Dahomey) vote contre. Séance du 6 juin 1947, scrutin 117, AN, JO
181Il s’agit de Ravohangy et Rabemanjara. Le Populaire, 2 août 1947 et séance du 1er août 1947, AN, JO, p. 3833-3834. Apithy, mais aussi Lamine Gueye, Houphouët-Boigny et Senghor, cette fois-ci, votent contre.
182En 1954, Pierre Stibbe publie un ouvrage engagé, Justice pour les Malgaches (Paris, Le Seuil) qui est préfacé par Claude Bourdet.
183Notice de Nicole Racine, DBMOFPar la suite, Rivet défend la politique de Soustelle et se montre donc partisan de l’Algérie française, avant de revenir à la SFIO.
184Sténographie du 40e Congrès national des 1er-4 juillet 1948 à Paris, Archives de l’OURS, p. 236 et « Il est temps de faire la vérité sur certains évènements de Madagascar ! », Le Populaire, 1er septembre 1948.
185André Philip (SFIO – Rhône), séance du 22 septembre 1948, AN, JO, p. 6825-6829. Il n’évoque pas les procès de Moscou dont il a dénoncé le même mécanisme en leur temps, mais nul doute qu’il y a pensé.
186Sténographie du 41e Congrès national des 15-18 juillet 1949 à Paris, Archives de l’OURS, p. 149.
187Ibid. Voir André Philip par lui-même ou les voies de la Liberté, Paris, Aubier Montaigne, 1971, Dreyfus Michel, « André Philip, du pacifisme à la Résistance » et Douzou Laurent, « André Philip, résistant de l’intérieur », dans Chevandier Christian et Morin Gilles (dir.), André Philip, socialiste, patriote, chrétien, Paris, CHEFF, 2005, p. 95-116.
188Ibid., p. 231.
189Ollivier Anne-Laure, Gaston Defferre. Un socialiste face au pouvoir de la Libération à l’élection présidentielle de 1969, thèse de doctorat de l’ENS Cachan, 2011, p. 422-424.
190Depreux Édouard, Souvenirs d’un militant. De la social-démocratie au socialisme un demi-siècle de luttes, Paris, Fayard, 1972, p. 338-339. Voir aussi Droz Bernard, « Marcel-Edmond Naegelen », dans Verdes-Leroux Jeannine (dir.), L’Algérie et la France : Dictionnaire, Paris, R. Laffont, 2009.
191Mollet est intervenu devant les ES le 12 janvier 1966, compte rendu à l’OURS, cité par Lafon François, op. cit., p. 133. Voir la démonstration implacable du chap. 3 : « Guy Mollet, le pacifiste intégral 1934-1939 ». Pourtant, il est de notoriété publique, à la SFIO, que des munichois se sont engagés dans la Résistance, tel Édouard Depreux qui ne rompt avec Paul Faure qu’après la défaite de juin 1940.
192Castagnez Noëlline, « Max Lejeune, de la défaite de 1940 à la guerre d’Algérie… », art. cité.
193Lejeune Max, « Revivre », Le Cri du peuple, 15 septembre 1945.
194Lejeune Max, « Cela est bien navrant », Le Cri du peuple, 9 janvier 1955.
195Il y répond avec fermeté le 20 octobre 1945 dans Le Cri du peuple.
196« Réponses aux injures », Le Cri du peuple, 6 décembre 1947. Il était alors vice-président de l’Assemblée et venait de faire un rappel au règlement.
197Lejeune Max, La Grande Révolution, vers la démocratie et le socialisme, Paris, Librairie populaire, 1939, p. 28.
198« Une mise au point de Max Lejeune », Le Courrier picard, 22 mars 1962. Il aurait même chanté la Marseillaise avec les protestataires, ce qu’il dément dans cet article.
199Depreux Édouard, op. cit., p. 449. La fascination de Lacoste pour Bugeaud est confirmée par Brana Pierre et Dusseau Joëlle, Robert Lacoste (1898-1989). De la Dordogne à l’Algérie. Un socialiste devant l’histoire, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 184.
200Quilliot Roger, op. cit., p. 613-614.
201« Le témoignage d’un militant syndicaliste constantinois », Le Populaire Dimanche, 18 septembre 1955. Voir Thenault Sylvie, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Paris, Flammarion, 2005, p. 47-52 et Mauss-Copeaux Claire, Algérie, 20 août 1955. Insurrection, répression, massacres, Paris, Payot, 2011.
202Winock Michel, « Suez et le complexe munichois », L’Histoire, no 38, 1981 et Rystad Göran, op. cit., Introduction. Il y a eu depuis une abondante littérature anglo-saxonne sur le raisonnement par analogie historique dans les relations internationales. Outre leurs conséquences, cependant, elle s’attache plus à démontrer que ces analogies sont infondées qu’à décortiquer les causes et les formes du syndrome. Sur Munich : Foong Khong Yuen, Analogies of War : Korea, Dien Bien Phu and the Vietnam Decisions of 1965, Princeton, Princeton University Press, 1992 et Record Jeffrey, Making War, Thinking History : Munich, Vietnam and Presidential Uses Force from Korea to Kosovo, Annapolis, Naval Institute Press, 2002.
203Voir Ageron Charles-Robert, « L’opération de Suez et la guerre d’Algérie », dans Vaisse Maurice (dir.), La France et l’opération de Suez de 1956, ADDIM, 1997, p 23-60. Selon lui, pour la plupart des politiques français, c’est « Algérie, capitale Le Caire ».
204Voir l’analyse de cet épisode dans Lafon François, op. cit., p. 508-519.
205Le Populaire Dimanche, 12 février 1956 ; Le Breton socialiste, 18 février 1956. C’est François Mauriac qui intitule ainsi cette journée dans son Bloc-notes pour stigmatiser l’attitude de Mollet.
206Bougeard Christian, Tanguy-Prigent paysan ministre, Rennes, PUR, 2002, p. 249.
207Sténographie du 48e Congrès national des 28 juin-1er juillet 1956 à Lille, Archives de l’OURS, p. 104.
208Ibid., p. 188.
209Ibid., p. 275.
210Son ministre des Affaires étrangères atteste qu’il a fait cette comparaison à plusieurs reprises devant lui, texte à l’appui : voir Pineau Christian, 1956, Suez, Paris, R. Laffont, 1976, p. 38-39. Et François Lafon a commenté l’exemplaire qu’il a annoté (op. cit., p. 559 et sq.)
211Sténographie du 48e Congrès national des 28 juin-1er juillet 1956 à Lille, arch. cit., p. 134.
212Ibid., p. 330.
213Caricature de Lebon, Le Populaire Dimanche, 21 avril 1957.
214Bernard J.-M., « Le nouveau Mein Kampf de Nasser ? », Le Populaire Dimanche, 14 juillet 1957.
215Cité dans Le Monde, 2 octobre 1956.
216« Suez et la Sarre », Le Populaire Dimanche, 7 octobre 1956.
217Sténographie du Conseil national des 15 et 16 décembre 1956, Archives de l’OURS, p. 34 et p. 63.
218Sténographie du 49e Congrès national des 27-30 juin 1957 à Toulouse, Archives de l’OURS, p. 125.
219Ibid., p. 260.
220Voir « les grandes manœuvres du défaitisme », Le Populaire Dimanche, 30 juin 1957.
221Voir Grosser Pierre, Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au xxie siècle, Paris, Odile Jacob, 2013.
222Voir Balzacq Thierry et Ramel Frédéric, Traité de relations internationales, Paris, Presses de la FNSP, 2013, chap. : « Un choix réellement rationnel ? » et Kahneman Daniel et al. (dir.), Judgement Under Uncertainty : Heuristics and Biases, Cambridge/New York, CUP, 1982 et Heuritics and Biases. The Psycology of Intuitive Judgement, Cambridge/New York, CUP, 2002.
223Voir par exemple Thomas Eugène, « Contacts internationaux… », Nord-Matin, 25-26 juin 1945.
224Le Populaire des 24 mai 1945 et 13 octobre 1945.
225Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945 à Paris, Archives de l’OURS, p. 151.
226Marcel Rosenblatt (Bas-Rhin-PCF), séance du 27 janvier 1953, AN, JO, p. 474.
227« M. Tanguy-Prigent exalte le rapprochement entre les peuples français et tchécoslovaque », Le Monde, 31 août 1956.
228Sténographie du Conseil national des 15 et 16 décembre 1956, arch. cit., p. 227-229. Émery et Challaye sont nommément cités par Mollet mais fort mal orthographiés dans le compte rendu (par pudeur ?).
229Le Populaire Dimanche, 3 février 1957.
230Branche Raphaëlle, « La commission de sauvegarde des droits et des libertés individuels pendant la guerre d’Algérie. Chronique d’un échec annoncé ? », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 62, avril-juin, 1999, p. 14-29.
231Discours de Guy Mollet à l’Assemblée nationale du 28 mars 1957 cité dans Le Populaire du 29 mars 1957.
232Le Populaire Dimanche, 7 avril 1957.
233Ibid., 14 avril 1957.
234Bernard J.-M. (pseudonyme ?), « Bagatelle pour un massacre », Le Populaire-Dimanche, 16 juin 1957.
235Guy Mollet, Conseil national du 9 juin 1956, arch. de l’OURS ; Jaquet Gérard, Demain, 29 novembre 1956.
236Comme le dénonce tout du long Philip André, Le socialisme trahi, op. cit.
237Mosse George-L., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999.
238Vienot Andrée, Action socialiste, no 5, avril 1957. Rappelons qu’elle a déjà quitté le parti après l’affaire de Suez, en novembre 1956.
239Les sondages effectués dans leur presse, Luttes, L’Étudiant socialiste, et Jeune Garde ne révèlent aucune trace de la mémoire de la guerre de 39-45, si ce n’est la dénonciation de méthodes « fascistes ».
240Suspendu en 1957, André Philip est exclu le 25 janvier 1958. Gabriel Karila est exclu le 6 février 1958, Tribune du socialisme, no 2, 20 février 1958.
241Voir Prevot Maryvonne, Alain Savary. Les combats d’une vie (1940-1971), op. cit., t. 2, p. 422.
242Voir les témoignages de Francis de Baecque et Michel Poniatowski, dans Fondation Charles de Gaulle, L’avènement de la Cinquième République, op. cit., p. 60-62.
243Voir Rousso Henry, op. cit., p. 85-88.
244Duverger Maurice, Le Monde, 9 mai 1958.
245Cointet Jean-Paul, « Guy Mollet, la SFIO et l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle », dans Menager Bernard et al. (dir.), Guy Mollet, un camarade en République, Lille, Presses universitaires de Lille, 1987, p. 335-347, Fondation Charles de Gaulle, op. cit. et Lafon François, op. cit., chap. 15 : « Ides de mai ».
246Archives du groupe parlementaire SFIO, Centre d’Histoire de Sciences Po, G.S. 10, séance du 13 mai 1958.
247En janvier 1957, ils ont créé le Comité socialiste d’études et d’action pour la paix en Algérie (CSEAPA), dont le bureau est présidé par Robert Blum, une étape supplémentaire dans leur structuration. Archives du groupe parlementaire SFIO, Centre d’Histoire de Sciences Po, G.S. 10, séance du 13 mai 1958.
248Depreux, Hauriou, Mayer, Rosenfeld, Seurat et Verdier, « Pas de compromis avec le fascisme !… », Tribune du socialisme, no 5, 15 mai 1958. Les responsables du CSEAPA créent ce mensuel le 25 janvier 1958.
249Édition spéciale du Populaire, 16 mai 1958, tiré pour l’occasion à 150 000 exemplaires ; Supplément à La Documentation socialiste, no 67, 15 mai 1958.
250Fuzier Claude, « Cette droite, la plus bête et la plus néfaste », Le Populaire Dimanche, 18 mai 1958, le premier numéro après la crise.
251Guy Mollet (vice-président du Conseil), séance du 16 mai 1958, AN, JO, p. 2368.
252« 1. Reconnaissez-vous comme seul légitime le gouvernement actuel ? 2. Désavouez-vous les promoteurs des comités de salut public en Algérie ? 3. Si vous étiez un jour sollicité pour former le gouvernement, accepteriez-vous, comme tout candidat, de vous présenter à l’Assemblée nationale, d’y exposer votre programme, de vous considérer responsable devant l’Assemblée souveraine si vous étiez investi, et de vous retirer simplement si vous ne l’étiez pas ? » Le Populaire, 17 mai 1958.
253Voir Cointet Jean-Paul, art. cité, p. 339. Guy Mollet lui-même justifia son rôle dans 13 mai 1958-13 mai 1962 (Plon, 1962).
254Herbaut Pierre, Le Populaire Dimanche, 18 mai 1958.
255À la demande de Mollet, Augustin Laurent prend contact avec Olivier Guichard, l’un des maîtres d’œuvre de l’opération d’Alger. Voir son témoignage à Bernard Vanneste, dans Augustin Laurent ou toute une vie pour le socialisme, Dunkerque, Les éditions des Beffrois, 1983, p. 123 sq.
256Christian Bougeard souligne que la culture républicaine du Breton, éduqué « à la laïque », lui a sans doute fait penser à la gravure du député Victor Baudin, tué sur une barricade du faubourg Saint-Antoine, le 3 décembre 1851, alors qu’il s’opposait au coup d’État du prince président. Bougeard Christian, op. cit., p. 267-268.
257Fuzier Claude, « Une déclaration inquiétante mais imprécise », Le Populaire Dimanche, 25 mai 1958. On se souvient du « Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »
258« Il n’est pas possible que vous fassiez capituler la République devant la violence d’une faction et que vous teniez de la contrainte un pouvoir qui serait illégitime », écrit Auriol à de Gaulle, le 26 mai 1958. Cité par Ghebali Éric, Vincent Auriol. Le président citoyen, Paris, Grasset, 1998, p. 367.
259Des notes sténographiques de Germaine Degrond sur les réunions du groupe parlementaire des 29, 30 et 31 mai montrent un climat tendu, confinant parfois au chahut, où les uns et les autres vocifèrent. Archives du PS-SFIO, OURS, Fonds Germaine Degrond, 10 APO2 dossier 7.
260Depreux Édouard, op. cit., p. 477.
261Guille s’en explique devant le congrès. Voir sténographie du 51e Congrès national des 9-12 juillet 1959 à Puteaux, Archives de l’OURS, p. 25.
262Avec 42 voix favorables contre 49, André Le Troquer, pourtant hostile, ne prenant pas part au vote en tant que président de l’Assemblée nationale.
263Immédiatement, André Philip voit « une analogie surprenante » dans la lâcheté et le déshonneur des deux journées. Membre des Quatre-Vingts en 1940, il n’est plus député depuis 1951. Philip André, « De la IVe à la Ve République », Cahiers de la République, no 14, juillet-août 1958.
264Sténographie de la Conférence nationale d’information du 7 juillet 1958, Archives de l’OURS, p. 93 et p. 18.
265Sténographie du 50e Congrès national des 11-14 septembre 1958 à Issy-les-Moulineaux, Archives de l’OURS, p. 246.
266Sténographie de la Conférence nationale d’information du 7 juillet 1958, arch. cit., p. 105.
267Ibid., p. 295. Pineau a été choqué par le mépris de de Gaulle à l’égard des forces politiques lors de son passage à Londres en mars 1942. Il a conservé de cet épisode une retenue que sa participation au GPRF n’a pas effacée et ne l’a jamais cachée. Voir son témoignage, s. d., Archives nationales, 72AJ/59, AI2, et Pineau Christian, Une simple vérité, Paris, Julliard, 1960, p. 156-157.
268Mollet Guy, 13 mai 1958 – 13 mai 1962, Paris, Plon, 1962.
269Moch Jules, Une si longue vie, Paris, Robert Laffont, 1976, p. 541 et Rencontres avec… de Gaulle, Paris, Plon, 1971, p. 34.
270Lapie Pierre-Olivier De Léon Blum à de Gaulle, le caractère et le pouvoir, Paris, Fayard, 1971, p. 802-803.
271Naegelen René, « Aux professeurs de morale socialiste », Le Populaire de Paris, 6 juin 1958 et Le Populaire Dimanche, 15 juin 1958.
272Sur l’usage des concepts « champ d’expérience » et « horizon d’attente », voir Koselleck Reinhart, Le futur passé, Paris, Éd. de l’EHESS (1re éd. 1979), 1990, p. 311. Sur notre distinction entre « mémoire collective », « mémoire commune » et « mémoire partagée », voir l’introduction.
273Mollet Guy, Démocratie 60, 4 et 11 février 1960 et Jean Bastide, Tribune du socialisme, 18 mars 1959.
274« L’Appel du 3 juin », Tribune du socialisme, no 6, 20 juin 1958.
275« La guerre d’Algérie et la fin de la IVe République. Les éléments d’un livre blanc pour établir les responsabilités des dirigeants du Parti », ibid.
276Motion « Pour que la SFIO redevienne un parti vraiment socialiste », Tribune du socialisme, 25 août 1958.
277Lussy Charles, « tout a commencé ce jour-là… » et Depreux Édouard, « Nous accusons », Tribune du socialisme, 5 février 1960. Le PSA, comme le PSD en son temps, tente d’incarner la continuité en accolant à son nom « SFIO » et en essayant de se faire reconnaître par l’Internationale socialiste.
278Herbaut Pierre, « Le parti socialiste à l’avant-garde de la Ve République », Le Populaire Dimanche, 12 octobre 1958.
279Les une du Populaire Dimanche, 1er janvier et 15 janvier 1956.
280D’après le témoignage de Denis Lefebvre, qui tenait l’information de Claude Fuzier, Démocratie est lancé en 1959 grâce à des fonds donnés par Israël au secrétaire général en remerciement pour l’intervention à Suez. Entretien avec l’auteur, 29 novembre 2018.
281Mollet Guy, « Pourquoi nous avons voté les pleins pouvoirs », Démocratie 60, 4 février 1960.
282Le Populaire Dimanche, 4 octobre 1959.
283Altman Georges, « Solitude à deux » et « Un jour qui valut un monde », Démocratie 60, 7 avril 1960 et 25 août 1960. Ancien communiste, rédacteur en chef de Franc-Tireur de 1941 à 1957, il s’est éloigné du communisme et est membre du syndicat FO des journalistes.
284Vermarel C., « Connaître Robespierre », Le Populaire Dimanche, 16 février 1958.
285Renaudel Pierre (le fils), « La Commune de 1871 », Le Populaire Dimanche, 18 mai 1958. Tribune socialiste, 4 juin 1960, 27 mai 61, 26 mai 62…
286Le Populaire Dimanche, 29 juillet 1956 ; Jeune Garde, no 4, octobre-septembre 1957 ; et Populaire Dimanche, 27 juillet 1958 et 26 juillet 1959. Voir Henry Bénédicte, La pratique commémorative du PS-SFIO, le cas du centenaire de Jean Jaurès en 1959, mémoire de DEA, Éd. de l’EHESS, 1998, sous la direction de Christophe Prochasson, 133 p.
287Tribune du socialisme, 18 avril 1959.
288Photographies du congrès, Le Populaire Dimanche, 5 juillet 1959.
289« Le centenaire de Jaurès » et Llopis Germaine, « L’inauguration de l’exposition Jaurès au musée de Castres », Le Populaire Dimanche, 24 mai 1959.
290« Centenaire de Jaurès, le 11 juillet, à 15H » et « Au Panthéon… », Le Populaire Dimanche, 5 et 7 juillet 1959.
291Le Populaire Dimanche, 6, 20 et 27 septembre 1959.
292Le Populaire Dimanche, 6 mai 1956 (Ribière), 24 mars 1957 (Brossolette), 7 avril 1957 (Texcier – Blum) et 6 avril 1958 (Blum).
293Blum Robert, « Respect de l’opinion publique » ; « Écoutons Blum » ; Lagrange Madeleine, « Préface à des souvenirs », La Tribune du socialisme, 20 février 1958.
294Gombault Georges, « Quelques souvenirs… d’un socialiste de 1900 et 1958 », Tribune du socialisme, 15 avril 1958. Il a animé le Groupe Jean Jaurès à Londres en 1940-1944.
295Blum Léon, L’œuvre de Léon BlumT. 6. Naissance de la Quatrième République, la vie du Parti et la doctrine socialiste 1945-1947, Paris, A. Michel, 1958.
296Tribune du socialisme, 18 avril 1959.
297Voir l’annonce de la cérémonie dans Tribune du socialisme, 5 février 1960.
298Démocratie 60, 7 janvier et 21 avril 1960. Léon Boutbien est alors vice-président du CAR.
299Boutbien Léon, « Deux déportés vous parlent », Démocratie 60, 19 mai 1960.
300Altman Georges, « De la lutte clandestine au camp de Buchenwald par Christian Pineau », Démocratie 60, 13 octobre 1960.
301Sténographie du 38e congrès national des 29 août-1er septembre 1946 à Paris, Archives de l’OURS, p. 98-99.
302Si l’on suit le diagnostic de François Hartog qui le situe dans le dernier quart du xxe siècle, Hartog François, op. cit.

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