Chapitre III. Guerres des mémoires, guerre pour la mémoire
p. 141-214
Texte intégral
1La notion de guerre des mémoires est bien postérieure à la IVe République, de même que celle de devoir de mémoire, puisqu’elles s’affirment toutes deux dans le débat public au cours des années 19901. Néanmoins, dès notre période, les forces politiques issues de la Résistance sont bien conscientes que des conflits d’usage du passé les opposent et qu’elles sont toutes tenues de lutter contre l’oubli. Pour reprendre l’expression des vaincus de la Libération, la « guerre franco-française » n’est pas terminée : vichystes et autres collaborateurs ne se laissent pas abattre et, grâce aux amnisties, retrouvent progressivement droit de cité. Plus que jamais, les identités politiques sont en jeu et les socialistes, là encore, suscitent notre curiosité par la complexité du problème qu’ils doivent résoudre et les solutions qu’ils expérimentent. Car pour évaluer leur efficacité, il faut peser les contraintes qui s’exercent sur eux, ainsi que les ressources dont ils disposent. Ils ne partagent pas la religion séculière des dirigeants communistes en la matière, lesquels réécrivent leur passé en fonction de leurs besoins présents sans émouvoir leurs nouvelles recrues et en sachant mettre au pas les anciennes. La SFIO n’a pas le monolithisme du PCF.
2Si les socialistes se repentent des fautes de ceux qui ont dérivé dans la collaboration, ils sont du même coup contraints de relire leur pacifisme de l’entre-deux-guerres. Or, ce pacifisme humaniste a longtemps été qualifié avec Jaurès de consubstantiel au socialisme. C’est un marqueur identitaire indélébile. Fusionner les mémoires des deux guerres en une seule, patriotique, de « la guerre de Trente Ans » telle que la définit de Gaulle, les met à l’unisson de la nation, mais ce procédé ne suffit pas à leur faire oublier ni leurs divisions pendant la Grande Guerre, ni leur remords durable d’y avoir consenti. À usage interne, pour rester fidèles à leur pacifisme et ne pas s’entre-déchirer, ils doivent trouver des clés pour concilier leur nouvelle définition de la défense nationale et leur culture pacifiste, teintée encore d’un peu d’antimilitarisme.
3Ils souffrent donc d’un mal qu’ignorent là encore leurs frères ennemis : un syndrome d’Andromaque qui interdit l’oubli. Car un autre remords les taraude, celui de la non-intervention en Espagne que les communistes ont beau jeu de cruellement raviver. La guerre civile espagnole les hante et ce fantôme les pousse à agir. De même, ils s’interdisent de laisser salir l’esprit et l’héritage de la Résistance ou, pire, de les voir sombrer dans l’oubli, ce qui les conduit à se disperser dans de multiples associations souvent exogènes et hétérogènes. Dans ce contexte, l’amnistie des collaborateurs est leur combat le plus difficile, d’autant que leurs mémoires territoriales s’affrontent.
4Ils doivent donc occuper eux aussi le terrain mémoriel, en dépit du duel entre gaullistes et communistes, et y trouver leur place, au gré d’alliances – le GPRF, le Tripartisme – qui n’ont qu’un temps. À gauche, il leur faut empêcher le PCF d’exercer son monopole sur les grandes commémorations qui leur sont communes et démonter son mythe résistancialiste. À droite, ils doivent séparer l’homme du 18 juin de l’homme providentiel du RPF. Néanmoins, pour investir l’espace urbain de la mémoire, il leur faut aussi débattre de la toponymie et du patrimoine monumental des cités. C’est donc encore en changeant de focale que nous pourrons réellement observer et mesurer leur rôle dans ces guerres de mémoires et pour la mémoire et évaluer la place respective des deux conflits mondiaux dans leurs représentations.
D’une guerre à l’autre
5La Seconde Guerre mondiale crée une concurrence mémorielle avec la Première, mais il y a encore en France trois millions d’anciens combattants de « la Der des Der » de sorte que son souvenir reste très vif2. La manifestation patriotique des étudiants et lycéens de Carnot, Janson-de-Sailly et Buffon le 11 novembre 1940 est en outre saluée comme l’un des premiers signes de résistance et commémorée à ce titre ; et le défilé militaire des maquis de l’Ain et du Haut-Jura à Oyonnax, le 11 novembre 1943, a profondément marqué les esprits. La mémoire de la Grande Guerre est d’autant moins reléguée que vichystes et collaborationnistes ont tenté de l’instrumentaliser en vain3. À l’automne 1944, les socialistes adhèrent à cette lecture pérenne de 14-18 avec d’autant moins de difficulté qu’ils souhaitent oublier leurs déchirements de l’époque. Alors que les majoritaires ont rallié l’Union sacrée derrière Jules Guesde et Marcel Sembat, une minorité a rapidement contesté ce consentement à la guerre, ouvrant une durable crise de conscience4. L’entre-deux-guerres a été ponctué de débats internes sur la défense nationale et, face à la montée des périls, d’aucuns ont développé un pacifisme intégral, comme Paul Faure qui, pour sauver la paix, s’est déclaré prêt à « applaudir le diable » au lendemain de Munich5. Et si la Gauche révolutionnaire de Marceau Pivert, qui professait le défaitisme révolutionnaire, a été exclue en juin 1938, son fondateur a été réintégré en août 19456.
6Après la Libération, la condamnation de ces socialistes qui, en 1940, ont choisi « Plutôt la servitude que la guerre », selon la célèbre formule de Jean Mathé en mars 1936, est sans appel. Que dire et que faire alors des formules d’autrefois telles que : « Le pacifisme est consubstantiel du socialisme » ou « Pas un sou, pas un homme pour l’appareil militaire de la bourgeoisie » que les accusés arguent pour leur défense ? D’autant que tous les pacifistes et paul-fauristes n’ont pas dérivé dans la Collaboration et que tous les partisans de la fermeté et blumistes ne sont pas entrés en Résistance. En dépit de l’épuration, les débats restés en suspens au congrès de Nantes en mai 1939 ne sont donc pas apurés. Or en pleine bataille pour la reconstruction de la France, le PCF décide de son côté de liquider toute forme d’antimilitarisme en septembre 19447. Cette relecture du pacifisme de l’entre-deux-guerres pèse donc sur le renouveau doctrinal de la SFIO et engendre une guerre des mémoires entre les tenants de la fidélité à un héritage identitaire à leurs yeux, et tous ceux qui jugent nécessaire de le réviser. Des solutions inédites doivent donc être trouvées pour la surmonter.
Fig. 17. – Paul Ordner, Nouvel An (Le Populaire, 31 décembre 1944-1er janvier 1945).

Que faire du « Plus jamais ça ! » de l’entre-deux-guerres ?
7L’un des principaux arguments des paul-fauristes qui ont dérivé dans la collaboration ou soutenu Vichy est leur pacifisme conjugué à ce qu’ils considèrent comme leur fidélité à « l’idéal de Jaurès8 ». Les socialistes peuvent d’autant moins faire abstraction de cette contre-mémoire que, parmi eux, tous n’ont pas renoncé à leur idéal pacifiste de l’entre-deux-guerres. Génération du feu et « génération de 1905 » ont été profondément pacifistes et, chez les plus jeunes, leur sentiment s’est souvent mêlé à une révolte contre l’ordre établi qui avait failli à conjurer la guerre9. À leurs yeux, le « Plus jamais ça ! » incarne toujours le pacifisme humanitaire qu’ils ont défendu après le carnage de 14-18, et Mars ou la guerre jugée d’Alain (1921) reste d’actualité. Comme l’a montré Antoine Prost, depuis 14-18, la mort est au cœur des représentations de la guerre, assimilée à la catastrophe par excellence10, et la découverte des camps de la mort et l’avènement de l’ère atomique ne font qu’accentuer ce sentiment eschatologique chez ces irréductibles. La FNDIP lance ainsi, à sa création en octobre 1945, une affiche qui associe le « Plus jamais ça ! » à un cadavre de déporté politique en uniforme rayé et un appel à l’union nationale « pour une paix féconde par l’union de tous nos alliés ». Les socialistes mobilisent-ils la mémoire de la Première Guerre mondiale ou celle de la Seconde dans les débats sur la défense nationale, à quelles fins et pour quelles raisons ?
8Pour le nouvel an 1945, Le Populaire publie une carte de vœux de Paul Ordner (fig. 17). Chronos, reconnaissable à son sablier et muni d’une faux telle la Mort, libère la Paix avec son rameau d’olivier et sa colombe de la fosse où la guerre de 1939-1945 l’avait ensevelie, écrasant Hitler avec la pierre tombale au passage. C’est la Paix qui est proche, nimbée d’une éclatante lumière, plus que la victoire, et c’est elle qui est espérée par « la Civilisation11 ». Obéissant aux lois du genre des vœux de bonne année, cette image est optimiste. Toutefois, elle est aussi révélatrice d’une naïveté qui, une fois Hitler et son régime belliciste disparus et l’URSS appartenant encore à la Grande Alliance, conduit certains socialistes à remonter le temps pour retrouver leur idéal pacifiste d’avant la menace fasciste, lorsque la mémoire de 14-18 régnait seule sur les esprits. Rappelons que le bréviaire en la matière était alors résumé dans Les problèmes de la paix (1931) de Blum qui préconisait certes l’adhésion à la défense nationale, mais aussi un désarmement général concerté dans le cadre de la sécurité collective, en espérant une convergence entre l’Internationale et la SDN12. En congrès, des délégués expriment par conséquent leur fidélité au pacifisme des années vingt et s’opposent à la nouvelle direction. Plusieurs d’entre eux, en écho au célèbre éditorial d’Albert Camus du 8 août 1945 de Combat, sont convaincus que l’usage de la bombe atomique les 6 et 9 août à Hiroshima et Nagasaki constitue un tournant qui doit ramener la SFIO à ses idéaux d’origine. Le 15 août, le vieux Salomon Grumbach constate que c’est l’arme la plus effroyable jamais inventée et, anticipant sur l’équilibre de la terreur, il espère qu’elle ramènera les hommes à « la raison » et leur fera « comprendre qu’il faut organiser la paix d’une façon définitive13 ». Yves Lavoquer (Côtes-du-Nord) dépose, au nom de toutes les fédérations de Bretagne, une motion où le parti s’élèverait « contre la politique militariste d’après laquelle la puissance militaire d’une nation est le seul rempart contre la guerre », puisque « la paix ne peut régner dans le monde que si les puissances financières internationales sont abattues14 ». Ce retour à un anticapitalisme traditionnel suscite de vifs applaudissements. En Bretagne, l’hebdomadaire de la SFIO, Le Breton socialiste, se distingue, en effet, par une culture pacifiste marquée. Son directeur politique est Hippolyte Masson qui, maire de Morlaix, a refusé de recevoir le ministre de la guerre venu lancer un cuirassé en 1913. En exergue de son journal, on peut lire : « Pas d’argent pour le lampiste ! Mais pour la guerre : outre, bouffe et gouffre ! », ou « L’armée dévore la nation ! », ou encore « À bas la guerre !15 ». À ce congrès d’août 1945, André Parpais, secrétaire fédéral de l’Indre, explicite ce désir de renouer avec le pacifisme des années vingt :
« Maintenant que le Japon lui-même a déposé les armes et que le monde entier se retrouve dans le cadre d’une paix officielle, je me demande si nous ne devons pas revenir à une certaine conception qui était autrefois la nôtre et, au nom de la grandeur du Socialisme comme au nom de la grandeur de notre patrie, brandir devant le monde entier le drapeau largement déployé de la paix et du pacifisme. Camarades, en parlant de ces choses, je sens bien que je réveille en vous des souvenirs douloureux pour le Parti Socialiste. Mais, décidés à défendre à tout prix la patrie, lorsqu’elle est attaquée, puisque nous ne voyons pas aujourd’hui contre qui nous pourrions avoir à la défendre, peut-être serait-il temps pour la France et pour le Socialisme français de déclarer la paix au monde16. »
9Sans doute, se fait-il des illusions quant à l’avenir des relations internationales. Mais une fois son devoir patriotique accompli dans la Résistance, cet ancien instituteur normalien, ancien combattant de 14-18, ne fait que retrouver la foi pacifiste de sa jeunesse.
10Pour d’autres, toute la période marquée par « l’esprit de Genève » et les tentatives diplomatiques pour amener les régimes fascistes à la raison est rendue caduque par ce qu’il en est ensuite advenu. La mémoire de 14-18 s’efface derrière celle de 39-45. Antimunichois et munichois, anciens paul-fauristes et blumistes se retrouvent puisque – rappelons-le – les chemins n’étaient pas tracés dès 1938, ni même juillet 1940. Un Georges Monnet, dauphin et fils spirituel de Blum, a créé Agir avec Pierre Brossolette et Daniel Mayer avant de voter les pleins pouvoirs le 10 juillet 1940 puis de rester en retrait. Un Édouard Depreux, paul-fauriste, s’est fait élire conseiller général sur une profession de foi munichoise en novembre 1938, avant de s’engager à Libération-Nord et au CAS. Et un Guy Mollet a soutenu les positions ultra-pacifistes de son mentor Ludovic Zoretti jusqu’en 1940, avant de rejoindre l’OCM à l’été 1942. Ces exemples, parmi d’autres, sont parfaitement connus de tous, et il n’est plus question de se jeter l’anathème comme avant la guerre. Le souvenir, toutefois, des années 1935-1939 reste lancinant puisqu’il a conduit certains d’entre eux aux pires erreurs et trahisons.
11Une fois Hitler au pouvoir et le Reich remilitarisé en mars 1935, les divergences entre blumistes et paul-fauristes se sont accentuées. Paul Faure a publié Si tu veux la paix (1935) où il était proche du pacifisme intégral de Félicien Challaye17. Pour les paul-fauristes, considérer la guerre comme fatale est déjà y consentir et ce consentement mène à la guerre. Céder aux sirènes de la propagande nationaliste qui jouent sur le sens de l’honneur et l’héroïsme mène aussi à la guerre. Le dissensus a éclaté avec Munich en 1938. Dès lors s’est cristallisé un courant pacifiste antisémite attribuant aux « juifs-sac-au-dos », les Blum, Bloch, Grumbach, Lévy, Lussy, Moch… la responsabilité de la marche à la guerre. Le député du Rhône Armand Chouffet pouvait ainsi déclarer en 1938 : « J’en ai assez moi de la dictature juive sur le parti. Le socialisme n’est pas un ghetto. Je ne marche pas moi pour la guerre juive18. » Ludovic Zoretti, secrétaire de la fédération générale de l’enseignement et animateur de la tendance Redressement, incarnait cette mouvance. Devenu l’un des dirigeants du Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, il est condamné à mort par contumace en septembre 1944, peine commuée à 8 ans de prison en 1946.
12Aussi, à l’ouverture du congrès de novembre 1944, Daniel Mayer regrette que la scission n’ait pas eu lieu dès 1938 en se séparant « des hommes qui avaient confondu le pacifisme et le défaitisme ». Ce regret, sans doute sincère puisqu’il le réitère par la suite, a aussi un usage interne immédiat. En omettant de rappeler que les accords de Munich, à la demande de Léon Blum lui-même, avaient été votés à l’unanimité ou presque par le groupe parlementaire19 et qu’il n’était guère possible d’anticiper les comportements futurs, il veut imposer une interprétation péjorative a posteriori de l’attitude de ceux qui ont accepté l’armistice, puis le régime de Vichy. Au-delà, en accolant « défaitisme » à « pacifisme », le secrétaire général fait clairement passer la défense nationale avant la paix. En août 1945, Léon Boutbien précise cette nouvelle hiérarchie des valeurs en fustigeant « un pacifisme inconditionnel » et « un défaitisme inexcusable » parce que, pour les résistants, « le but était clair : il fallait abattre l’hitlérisme20 ». La démocratie devient elle aussi une priorité. Et le responsable des Jeunesses socialistes (JS) lui emboîte le pas, en rejetant l’antimilitarisme, car « un proche passé a montré quels dangers un pacifisme sentimental mal compris pouvait faire courir à une démocratie », la solution étant « l’armée du peuple au service du peuple » dessinée par Jaurès21. Il convient donc de discréditer à jamais les dérives des pacifistes paul-fauristes ou autres et de ne pas les réitérer, avec d’autant plus de vigueur si l’on a été soi-même membre de ces tendances.
13Avec la guerre froide, les positions se durcissent. D’une part, le PCF instrumentalise le pacifisme selon les consignes de Jdanov à la conférence constitutive du Kominform en septembre 1947 : soutien au Mouvement de Wroclaw créé en août 1948, au Mouvement mondial des partisans de la Paix à partir d’avril 1949 et surtout à l’Appel de Stockholm, dont il orchestre la signature avec la plus grande efficacité à partir de mars 1950, dans le contexte de la guerre de Corée22. D’autre part, les socialistes exercent d’importantes responsabilités pendant ces premières années de guerre froide : Paul Ramadier est président du Conseil de janvier à novembre 1947, puis ministre de la Défense de septembre 1948 à octobre 1949, et Jules Moch lui succède jusqu’en février 1951. Quelques-uns, à l’extrême gauche de la SFIO, préfèrent partir ou sont exclus ; d’autres tentent de faire survivre leur idéal pacifiste tout en l’adaptant, forts des leçons de la Seconde Guerre mondiale, aux périls de ces temps nouveaux.
14En juin 1947, les JS sont dissoutes parce que, infiltrées par des trotskistes dont André Dunoyer, elles affichent des positions gauchistes et qu’elles critiquent avec éclat la politique étrangère et coloniale du parti, en particulier en Indochine23. De même, le secrétaire général adjoint, Yves Dechezelles, démissionne de son poste et crée l’Action socialiste révolutionnaire (ASR) en décembre, où il accueille les JS exclues et leur organe Drapeau rouge. Jean Rous, membre du comité directeur, démissionne aussi en 1948 et participe à l’éphémère Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), qu’il fonde avec David Rousset et Jean-Paul Sartre24. Dans le même temps, une aile gauche se reconstitue avec la « Bataille socialiste » sous la houlette d’Élie Bloncourt25 et défend des positions en politique étrangère proches de celle du PCF au nom de l’unité ouvrière. Après avoir publié un manifeste condamnant le vote des lois dites de « défense républicaine » par les socialistes en novembre 1947, cette tendance est exclue et constitue le Parti socialiste unitaire (PSU) en septembre 1948. Outre Bloncourt, on y trouve des résistants tels que Marcel Fourrier, Jean Guignebert, Claude Estier, Robert Fuzier, Jean-Maurice Hermann, Andrée Marty-Capgras, Maurice Preyssoure… Entre le printemps 1947 et l’automne 1948, c’est toute l’extrême gauche du parti qui s’en va et qui, parce qu’elle défend l’égalité des droits entre les peuples et s’oppose à la guerre coloniale, se considère comme la véritable dépositaire de la mémoire pacifiste du mouvement ouvrier. Ce qui constitue une contre-mémoire de plus, avec celle des paul-fauristes.
15Chez ceux qui demeurent à la SFIO, la mauvaise conscience n’a pas totalement disparu : se préparer à la guerre grâce à une sécurité collective armée, est-ce y consentir et, par là même, renoncer au désarmement moral qui leur était si cher dans les années vingt ? Sans doute, de sorte qu’un équilibre est recherché. À la veille de reprendre la mairie de Clichy aux communistes qu’il n’a cessé de combattre, Georges Levillain résume bien le cheminement de nombre de ses camarades pacifistes et internationalistes « de toujours ». Minoritaire au côté de Jean Longuet pendant la Grande Guerre, il déclare : « Reprenons notre idéal socialiste. Mais cette fidélité, elle ne peut être et ne doit pas nous dispenser de tenir compte des leçons de l’Histoire, surtout quand ces leçons, ces faits, sont soulignés d’immenses fleuves de sang26. » En d’autres termes, la naïveté n’est plus de mise. Après avoir voté la réduction des crédits de guerre en 1945 et 1946, le groupe socialiste prépare quatre projets de loi pour réorganiser la défense en 1948, sous la direction de Pierre Métayer, ancien sous-secrétaire d’État aux Forces armées (décembre 1946-janvier 1947) et membre de la commission de la Défense nationale. En août 1947, ce dernier souhaite que le congrès opte pour un service militaire inférieur à douze mois et, par là même, propose une synthèse des leçons du passé :
« Cette question [de la défense nationale] avait été réglée en 1920, et, je crois que, depuis la guerre et l’Occupation, bien des illusions se sont évanouies devant les réalités, et que l’on ne viendra plus défendre des positions théoriques, certainement généreuses, comme le pacifisme intégral, ou quelque peu utopiques, comme le défaitisme révolutionnaire, ou la transformation de la guerre dite impérialiste en guerre de libération révolutionnaire. […] Nous avons le devoir – car la défense nationale est une question importante – d’étudier cette question, sans pour cela céder aux exigences d’un militarisme qui reste un militarisme conservateur27. »
16Théorique ou utopique, le pacifisme de l’entre-deux-guerres était une illusion selon cet instituteur normalien qui y a pourtant cru lui aussi avant d’être fait prisonnier et d’organiser une filière d’évasion dans son Oflag. L’Armée nouvelle de Jaurès, adaptée par Métayer aux conditions d’après-guerre, préconise par conséquent une « défense nationale intégrale » où le militaire et le civil ne seront plus séparés. Métayer reste toutefois vigilant à l’égard du militarisme de la droite nationaliste en réduisant le plus possible les exemptions et en valorisant l’armée de réserve. Les Bretons, qui ont renoncé tardivement à toute alliance avec les communistes, ne peuvent se résoudre à étouffer leur culture pacifiste. En octobre 1947, Eugène Reeb, député du Finistère, réclame « la Paix d’abord ! » ; en novembre, Le Breton socialiste s’écrie en une : « La politique du sabre ? Très peu pour nous ! » ; et en février 1948, Gérard Morvan compare Jaurès à Gandhi qui vient d’être assassiné28. De sorte qu’après le coup de Prague en février 1948 et alors que le blocus de Berlin vient de commencer, toute forme d’antimilitarisme n’a pas disparu pour autant. En juillet, le délégué du Morbihan, Pierre Postollec, accuse le groupe parlementaire d’avoir cédé sur le service militaire, alors que – selon lui – tous ont toujours été d’accord pour dire leur « horreur de la guerre ». Or selon sa fédération, « l’idéal du pays, c’est qu’il n’y ait plus de service militaire du tout » – ce qui ne signifie pas une armée de métier, ne nous y trompons pas29. De sorte qu’il convient de nuancer l’analyse de Patrice Buffotot qui considère que, à partir de 1947, il n’y a « plus aucune trace de pacifistes30 » : bien que résiduel, ce pacifisme viscéral traduit la prégnance d’un héritage et augure une mue difficile.
17Tant que les États-Unis sont les seuls à disposer de la bombe atomique, les socialistes semblent s’accorder sur la nécessité de la mettre hors la loi et d’affecter l’atome exclusivement à des œuvres civiles, anticipant l’EURATOM, et ce grâce à un contrôle international confié à l’ONU. Ce discours fait écho au réquisitoire contre « les marchands de canons » et à la croyance en la science, seule capable d’œuvrer pour le progrès de l’humanité31. L’affiche d’Anri Ubair de 1946 « À l’âge atomique, la paix du monde tient en une formule : le socialisme » (ill. 5, cahier hors texte) et la série d’articles que publie Géraud Jouve dans Le Populaire et La Revue socialiste en août 1947 puis en août 1948 vont dans ce sens32. Le toujours pacifiste Populaire du Centre demeure toutefois fort méfiant et espère que, grâce au progrès de la science, « on ne va pas en profiter pour nous construire une super bombe atomique, capable de faire voler notre pauvre vieille planète en poussière33 ». Une fois l’URSS dotée à son tour de la bombe en août 1949, les débats reprennent, non sur la défense nationale, mais sur la défense européenne.
18Depuis le traité de l’Atlantique nord signé le 4 avril 1949, la SFIO est officiellement atlantiste, puisque le pacte s’inscrit dans le cadre de la sécurité collective. La mémoire pacifiste ressurgit néanmoins sous deux formes : le désarmement général, en particulier nucléaire, officiellement monopolisé par les communistes ce qui peut rendre son expression au sein de la SFIO délicate ; et le neutralisme, représenté en dehors de la SFIO par Le Monde et son directeur Hubert Beuve-Méry, ou Combat avec Claude Bourdet, ou encore Étienne Gilson34. La première devient la doctrine officielle du parti, tandis que la seconde, minoritaire, peut conduire à la dissidence. Leurs tenants, aussi bien que leurs opposants, usent des mêmes références historiques pour en tirer des conclusions opposées.
19Sans se rallier au Mouvement de la Paix, qui réclame l’interdiction absolue de la bombe atomique avec l’appel de Stockholm du 19 mars 1950, et qu’ils considèrent comme un miroir aux alouettes, les socialistes souhaitent le rejet de l’arme nucléaire ainsi qu’un désarmement général simultané et contrôlé au nom de leur héritage pacifiste. Leur spécialiste, Géraud Jouve, considère qu’il y a urgence35. Leur porte-parole n’est autre que Jules Moch, qui a participé aux négociations sur l’OTAN et qui accepte de devenir le délégué de la France à l’ONU sur le désarmement en 1951 – sans d’ailleurs demander l’accord du parti – mandat qu’il exerce jusqu’en 196036. Avec lui, ils refusent de confondre la sécurité collective avec la course aux armements et souhaitent aboutir au contrôle international permanent du désarmement. Lorsqu’en tant que ministre de la Défense, Jules Moch allonge le service militaire à dix-huit mois avec la loi du 23 novembre 1950, c’est « sans joie aucune, avec tristesse même » qu’il cède à un état de fait imposé par l’URSS et le PCF pour « décourager toute velléité d’agression et toute velléité de subversion37 ». C’est « sans gaité de cœur » également que le groupe le soutient et vote la loi à l’unanimité :
« Nous ne renions en rien notre attitude d’hier. On nous rappellera peut-être la campagne que nous menions avant la guerre. L’idéal de paix qui avait guidé nos premiers élans n’est pas oublié. Nous persistons à penser que la plus grande des victoires que peuvent remporter les nations sur elles-mêmes est la réduction des armements et de la durée du service militaire, mais une expérience douloureuse nous a prouvé que nous devions tenir compte de l’attitude des autres pays38. »
20« L’expérience douloureuse » de la Seconde Guerre mondiale prime. C’est l’occasion pour l’un de leurs anciens camarades, transfuge au PSU, Marcel Pouyet, de leur faire la leçon « en tant que socialiste resté fidèle à l’enseignement de nos maîtres du socialisme », et qui confronte « le langage des responsables socialistes au gouvernement actuel avec celui des socialistes d’autrefois ». Sa longue intervention est entrecoupée par les interventions agacées ou indignées de plusieurs socialistes. Lorsqu’il cite un texte du 15 mars 1935 de Blum critiquant le service militaire de deux ans et l’assimilant à la course aux armements, Rachel Lempereur lui interdit, alors qu’il est « un transfuge », de se réclamer de « la mémoire de Léon Blum » qu’il « insulte ». Ce qui n’empêche pas Pouyet d’enrôler, en citant leurs articles du Populaire, Amédée Dunois « mort en déportation » et le vieux Bracke qui a connu Vaillant, Guesde et Jaurès. D’après Pouyet, puisque c’est l’Allemagne qui a déclaré la guerre en 1870, 1914 et 1939 et non l’URSS, cela confirme la formule de Jaurès selon laquelle « le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage39 ». Lors du scrutin, il vote donc contre, rejoint par un autre dissident exclu en 1949, Paul Rivet, désormais membre de l’Union progressiste et qui, aux législatives de 1951, présente une « liste neutraliste » avec Gilles Martinet à Paris. Ces escarmouches font certes l’ordinaire des débats parlementaires, mais elles révèlent néanmoins le malaise des socialistes, quelque peu empêtrés dans leur mémoire pacifiste. Les débats au sein du groupe en amont du dépôt de projet de loi ont été houleux40. En agitant sous leur nez des références totémiques, les dissidents les contraignent soit à renoncer à leur pacifisme d’hier en arguant du péril communiste, soit à recourir à une surenchère de symboles pour ne pas se renier.
21En mai 1951, l’un des représentants du neutralisme revenu à la SFIO – un autre instituteur normalien et qui a participé au RDR –, Maurice Brugnon, qualifie au nom de « nombreux camarades » l’atlantisme d’erreur car, en renforçant l’un des blocs, il rendrait possible un conflit que « beaucoup d’ailleurs, sans toujours l’avouer, croient fatal ». L’on retrouve ici ce refus de la fatalité de la guerre propre aux pacifistes de l’entre-deux-guerres, et ce péché contre l’espérance et donc le désarmement moral, inavouable.
« C’est grave, car cela suppose qu’on a oublié, du long passé pacifiste du Socialisme, deux principes au moins : “Que ce n’est pas en faisant la guerre qu’on combat la guerre” et “que la guerre s’accompagne du totalitarisme contre lequel on voulait lutter”, la préparation de la guerre également d’ailleurs. […] Nous donnons, à retardement, une justification aux collaborateurs de la dernière guerre qui pensaient qu’on ne pouvait combattre le stalinisme qu’en portant le fer au cœur de ladite Russie. Qu’on ne se renie pas41 ! »
22Il refuse, par conséquent, que les neutralistes du parti soient qualifiés de défaitistes puisqu’ils ont fait leur devoir pendant la guerre. Il repousse aussi l’argument de la lutte contre le stalinisme, puisque le « Plutôt Hitler que Staline » a conduit des collaborateurs à s’engager dans « la croisade contre le judéo-bolchevisme ». En face, André Philip excipe aussi du danger totalitaire soviétique et tire les leçons inverses42. Le neutralisme, selon lui, masque des idées différentes dont l’histoire a révélé les erreurs. Il écarte « le pacifisme radical » des objecteurs de conscience qu’il a défendus par ailleurs. Car contrairement à ce que leur a enseigné Alain, la guerre n’est pas le pire de tous les maux affirme Philip : « Depuis que nous avons connu l’hitlérisme, le pétainisme et l’Occupation, nous savons que le pire de tous les maux, c’est de vivre en perdant sa liberté, ce n’est pas de perdre la vie. » Or poser la liberté, y compris de conscience, comme valeur première du socialisme ne va pas de soi chez tous les militants, même en 1951. Et Philip rejette aussi « l’isolationnisme systématique » de l’Europe qui se verrait condamnée à l’impuissance, même verbale, parce que l’America First des Américains en 1940 a encouragé Hitler qui savait Roosevelt pieds et poings liés par son opinion publique. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale, par conséquent, permet aussi bien de critiquer le renforcement de la défense nationale et bientôt européenne, que de le justifier. À terme, elle va favoriser leur « querelle de la CED ».
23Certains n’hésitent cependant pas à remobiliser la mémoire de la Grande Guerre et donc « l’horreur de la guerre » lorsqu’il s’agit de faire campagne pour les législatives de janvier 1956. L’un des axes de campagne du Front Républicain auquel participe la SFIO est la paix négociée en Algérie. La fédération de la Seine, alors dirigée par Mireille Osmin qui a remplacé Marceau Pivert, publie ainsi une affiche de Frip. L’artiste reprend non seulement le slogan « Plus jamais ça ! (en rouge sang) Combattez la guerre par le socialisme (en bleu azur) », mais aussi une tête de mort goguenarde coiffée d’un casque (ill. 6, cahier hors texte) : la référence au pacifisme ancien combattant est plus que subliminale.
24Les socialistes, volontairement ou non, confondent leur pacifisme des années vingt qui voulait éviter la répétition de la mort de masse, avec celui des années trente face aux impérialismes des régimes totalitaires43. À l’image de la société française, tous ont été marqués par la guerre de 14-18 et nombre d’entre eux l’ont faite. Ils comptent en outre dans leurs rangs de nombreux instituteurs, formés dans les Écoles normales ou au SNI, où l’hécatombe des hussards noirs de la République dans les tranchées n’a jamais été oubliée. Leur pacifisme a donc un caractère héréditaire et identitaire qu’il leur est difficile de renier même si la Seconde Guerre mondiale l’a depuis infirmé, et c’est plus volontiers qu’ils convoquent la mémoire de la Grande Guerre. Ceux qui veulent prévenir de nouveaux périls, tels que l’invasion de l’Europe par l’Armée rouge, un troisième conflit mondial, ou le désastre atomique se réfèrent, quant à eux, aux leçons de la Seconde Guerre mondiale et jouent les Cassandre. À défaut d’un consensus idéologique, pour atténuer la tension entre l’idéal et le réel, la SFIO tente d’adapter au moins ses rituels et lieux de mémoire.
Jaurès, au secours !
25Vénérer la figure tutélaire de Jaurès comme une icône est l’une des solutions qui permet aux socialistes d’établir une continuité avec leur passé. Le procédé n’est pas neuf puisqu’il a été utilisé dès juin 1916, par les majoritaires, avec la création de la Société des Amis de Jean Jaurès pour lutter contre les tendances44. Ce retour à Jaurès est d’autant plus nécessaire qu’en dépit du Cercle Jean Jaurès de Louis Lévy rassemblant une partie des socialistes de Londres puis d’Alger, le grand homme a été instrumentalisé par un groupe collaborationniste sous l’Occupation45. « Reprenons-le, tout à nous, lavons-le de leurs outrages, purifions sa mémoire. Enfin ! » s’exclame Maurice Delépine en septembre 194446. En outre, la « guerre de dévolution ou de succession », selon l’expression de Jean-Pierre Rioux, entamée en décembre 1920 entre « la vieille maison » et le PCF n’est pas terminée47. Reconquérir Jaurès est un enjeu mémoriel qui justifie différents moyens.
26Dès la Libération, les Éditions de la Liberté du parti éditent deux discours sur Jaurès afin de lancer sa réappropriation. Le premier, de Léon Blum, est déjà ancien puisqu’il avait pour objet de présenter l’homme et les grandes lignes de sa doctrine lors d’une conférence au Théâtre des Ambassadeurs en 193348. Le second, de Vincent Auriol, est plus en prise avec l’actualité49. Il s’inscrit dans la commémoration du 30e anniversaire de sa mort, lors de la manifestation organisée par la fédération d’Algérie, dans l’immense salle du cinéma Majestic devant six mille auditeurs, à Alger, le 30 juillet 1944. Y assistent non seulement des socialistes – les ministres du GPRF Adrien Tixier, André Le Troquer, André Philip, et Pierre-Bloch, des membres de l’ACP dont le président Félix Gouin, la délégation du parti avec Édouard Froment et Just Évrard et les JS d’Algérie, mais aussi des représentants du général de Gaulle, de la France combattante, de Combat, du PCF et du parti radical-socialiste. L’écrivain Max-Pol Fouchet, l’artiste Madeleine Gauthier, le communiste Georges Lévy et le recteur d’académie y prennent la parole. Auriol, qui a connu Jaurès, en fait d’abord un chantre de l’union des partis ouvriers et, saluant le communiste Georges Lévy, n’hésite pas à dire : « Je pense aujourd’hui à ce que serait sa joie si, dans ce rassemblement du souvenir, il pouvait pressentir un rassemblement plus durable, plus profond, déjà fait dans le combat de tous […] pour la libération de la patrie50. » Puis il l’invoque pour réaffirmer les vertus de la sécurité collective et souhaiter le regroupement des patries autonomes en « une fédération fraternelle des nations ». Enfin, il définit le « double devoir indivisible […] auquel nous avons toujours été fidèles : préserver et consolider la paix, mais défendre la patrie51 ». La formule, équilibrée, permet de contenter tous les socialistes, tout en autorisant diverses nuances. En 1946, Louis Lévy publie une Anthologie de Jean Jaurès chez Calmann-Lévy, « dans lequel les socialistes découvriront les raisons profondes de leur foi52 », pour bien marquer cette reconquête de leur icône.
27L’invocation de Jaurès, parfois purement incantatoire, parfois argumentée et illustrée de citations, semble devoir guérir toutes les plaies laissées par la guerre. « En 1944, Jaurès demeure parmi nous comme un guide et, si des querelles fratricides menaçaient encore de déchirer la France, comme l’un de nos médiateurs », écrit René Lalou53. Est-ce pour se réconcilier que socialistes et communistes entreprennent de commémorer ensemble Jaurès à l’été 1945 ? L’heure est au comité d’entente, pas aux hostilités. Le 31 juillet, les rédactions du Populaire et de L’Humanité, dirigeants, parlementaires, élus de la Seine, militants de la SFIO et du PCF, ainsi que les Jeunesses républicaines se rendent au café du Croissant où a été assassiné Jaurès en chantant La Marseillaise et L’Internationale. Selon Le Populaire, ils y promettent de « poursuivre sa lutte contre les ennemis de la démocratie et de la paix internationale54 » ; L’Humanité veut surtout y voir un appel à l’unité d’action55. Le soir, au grand amphithéâtre de la Sorbonne, les socialistes commémorent Jaurès avec Guesde, leurs deux portraits encadrés de drapeaux rouges, des emblèmes de la SFIO et des JS, le tout agrémenté d’un concours artistique et musical. La manifestation est présidée par Daniel Mayer, en présence d’un ministre SFIO, Tanguy Prigent, d’un conseiller municipal de Paris, Paul Rivet, d’un membre du comité directeur Charles Dumas, du représentant des JS, et de Jacques Duclos, le secrétaire général du PCF. Alors que les socialistes célèbrent d’abord leur ancêtre commun, les communistes poussent à l’unité d’action, voire organique. Par ailleurs, la culture guesdiste n’a pas disparu avec l’exclusion des paul-fauristes puisque « les Anciens du Parti » refusent de leur en laisser le monopole, mais elle fédère moins largement que la culture jaurésienne. Lorsqu’en novembre 1945 est fêté le centenaire de la naissance de Guesde, le remords du consentement à la guerre en 1914 ressurgit dans les articles de Bracke ou du Populaire du Centre avec l’occultation de sa participation au gouvernement de 1914 à 191656. L’œuvre de Jaurès semble mieux adaptée aux enjeux de l’après-guerre, en l’occurrence son Armée nouvelle, ouvrage fort touffu, plusieurs fois réédité depuis 1910, et dont les uns et les autres peuvent s’inspirer à loisir en fonction de leurs besoins57. Michel Morin n’hésite pas à s’y référer pour défendre le projet de loi de Gouin et Philip en février 1946 : l’armée sera populaire parce que ses effectifs permanents seront très réduits, qu’elle sera basée sur une conscription à très court terme et qu’elle s’inspirera de « l’esprit de la Résistance et du maquis58 ». Et lorsqu’en juillet 1946, Auriol célèbre sa mémoire à Limoges, il l’enrôle sans complexe : « Si Jaurès avait été en vie en 1939 […] il aurait été au premier rang pour sauvegarder et défendre l’indépendance nationale et pour combattre l’hitlérisme et le fascisme59. » Car dans la ville du communiste Georges Guingouin, « le préfet du maquis » du Limousin, la SFIO doit réaffirmer que ce Jaurès patriote et républicain lui appartient… à elle aussi.
28Avec la guerre froide, « la guerre de dévolution » avec les communistes éclate au grand jour. Le 31 juillet 1947, la SFIO commémore « Jaurès assassiné par les chauvins et les royalistes pour s’être opposé à la guerre ». C’est sans le PCF que la fédération de la Seine de Marceau Pivert se rassemble au café du Croissant et que les Anciens du Parti de Gilbert Nowina organisent une « grandiose » manifestation au Panthéon le 31 juillet. Ils déposent « une palme du souvenir » en un geste syncrétique sur le tombeau de leur martyr. Dans son discours, Blum reconnaît que, s’il avait vécu, il n’aurait pas empêché la guerre – comme cela se dit encore – mais qu’il aurait su préparer la Paix60. Or, pour la soirée à Montmartre, les socialistes ont dû jouer des coudes et exiger que les communistes retardent leur manifestation61. On chante L’Internationale, puis l’on écoute l’enregistrement du discours de Renaudel à la mort de Jaurès – ce qui provoque l’intervention de jeunes « intoxiqués par leur lecture journalière ». Aux cris de « l’unité ! », « le tumulte » se poursuit pendant le discours de Guy Mollet62. L’enjeu mémoriel que constitue Jaurès n’est plus seulement identitaire mais devient géopolitique. Lors d’une tournée dans le Midi, le président du conseil Ramadier, le ministre Robert Lacoste et plusieurs parlementaires SFIO invoquent l’européisme de Jaurès à chacune de leurs étapes : comme lui, « l’Europe doit dire “pas de place à la guerre” » déclare Ramadier à Castres au pied de sa statue63. En commémorant Jaurès, explique Marceau Pivert, les socialistes manifestent « leur volonté de lutter contre la troisième guerre mondiale, contre la séparation du monde en deux blocs antagonistes64 ». Dès lors, ce rituel se répète chaque année, avec une double manifestation à Paris, celle de la fédération de la Seine au café du Croissant et celle des Anciens du Parti au Panthéon, avec des élus, éventuellement des membres du gouvernement, des militants d’autres régions et des délégations étrangères et ce au moins jusqu’en 1956, ainsi que des commémorations en province. Le Breton socialiste, par exemple, rend fidèlement hommage à « l’apôtre de la Paix » chaque été65 ; et à la veille de la conférence des Quatre en janvier 1954, La République de Normandie veut rappeler avec lui que « Non, la guerre n’est jamais fatale !66 ». Jaurès permet aussi de disqualifier le socialisme qui ne sert ni la vraie démocratie, ni la Paix67 ; et c’est à cette fin que Mollet le mobilise lorsqu’il rétorque à Thorez au Palais-Bourbon : « Vous n’êtes pas des internationalistes, mais des patriotes russes ! » en février 194968. Ce qui n’empêche pas la SFIO d’être marxiste ; et il n’est pas rare de voir associés les portraits des deux penseurs pour décorer les salles de meetings ou de congrès69. Il y a bien une tentative marginale, en juillet 1953, du Comité Jean Jaurès de la gare Saint-Lazare pour rapprocher les fédérations socialiste et communiste de la Seine, mais vaine ; et le 31 juillet, Jules Moch occupe la place de Carmaux, ce qui « épouvante » les communistes70. Les socialistes ne veulent rien céder sur le front de la patrimonialisation de leur grand ancêtre. En janvier 1950, la radiodiffusion française commémore le 25e anniversaire de sa panthéonisation et confie l’émission à Édouard Calic : le bureau de documentation du parti, dirigé par Clair-Gérard Lagarde, lui prête son concours71. En 1952, la SFIO réédite l’anthologie de Georges Bourgin, publiée deux ans plus tôt à Monaco. Et en 1954, sa ville natale de Castres fonde un musée Jean Jaurès sous l’égide de l’adjoint au maire radical, Bernard Raynaud, lequel leur musée met sur pied une exposition du Centenaire en 1959.
29Cependant, la guerre d’Algérie et l’accusation de « national-molletisme » pour les uns, les révélations traumatisantes du XXe Congrès du PCUS pour les autres, font de Jaurès un recours face aux doutes et aux incertitudes du lendemain et favorisent, contre toute attente, une certaine convergence à la fin des années cinquante72. En juillet 1956, les fédérations du Nord et Pas-de-Calais organisent une « Journée Jean Jaurès pour la Paix » à Phalempin, où « 10 000 manifestants » acclament le nouveau président du Conseil, Guy Mollet, qui défend sa politique en Algérie après avoir obtenu les pouvoirs spéciaux en mars : c’est l’occasion de diffuser des photographies de foules venues « prouver leur confiance au Parti et au président du conseil73 ». Le 31 juillet, Mollet se rend au Panthéon pour tenter à nouveau de cautionner sa politique algérienne grâce à Jaurès, cette fois-ci vis-à-vis de la nation, ce qui lui attire les foudres de François Mauriac dans son Bloc-Notes de L’Express74. Pourtant, d’autres s’y essayent à nouveau : Augustin Laurent en 1957, à usage interne, et Vincent Auriol en 1962, dans le cadre d’une réhabilitation bien plus large auprès de la gauche anticolonialiste75. Les lignes bougent avec le Centenaire de la naissance de Jaurès en 1959. Ernest Labrousse fonde la Société d’Études Jaurésiennes (SEJ) avec des membres d’horizons divers qui ont en commun d’être surtout un peu en porte-à-faux avec leur parti d’origine, parmi lesquels Madeleine Rebérioux76. Les communistes souhaitent un rapprochement grâce à leurs intellectuels qu’encadre Roger Garaudy, lequel considère que le Centenaire doit permettre d’établir un lien avec les démocrates et les socialistes. À cette fin, le PCF autorise la publication, aux « Classiques du Peuple » des Éditions sociales, du premier volume de textes choisis « contre la guerre et la politique coloniale » par Madeleine Rebérioux77.
30Conserver « l’apôtre de la Paix » dans le patrimoine socialiste est d’autant plus crucial que la guerre de dévolution avec les communistes perdure au moins jusqu’à la création de la Société d’Études Jaurésiennes en 1959. Néanmoins, au-delà de cet usage politique immédiat, Jaurès est surtout le principal recours pour des socialistes qui veulent se montrer fidèles à leur idéal pacifiste, tout en évitant les dérives des années trente. Dans une société où les séquelles de 14-18 sont toujours vives et où les anciens combattants constituent un milieu qu’aucun parti ne peut négliger, le pacifisme « plus jamais ça » leur apparaît comme un marqueur identitaire qu’ils ne peuvent renier. C’est dans ce contexte que le 11 novembre doit trouver sa place dans leurs pratiques mémorielles.
Le 11 novembre : une commémoration ambiguë mais fédératrice
31Les 30 000 monuments aux morts de 14-18 sont des lieux de mémoire familiers que tout un chacun a fréquentés ne serait-ce qu’avec son école. Or peu de nouveaux monuments sont édifiés pour les morts de 39-45 qui sont, le plus souvent, ajoutés à la suite de ceux de la guerre précédente. De plus, le statut du 8 mai – férié, chômé, ou pas – connaît bien des mésaventures légales. De sorte que le 11 novembre, ses monuments aux morts et ses rituels ont tendance à être absorbés par la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette confusion a en outre l’avantage de masquer les conflits mémoriels propres à cette dernière78. Chez les socialistes, le sens de la commémoration évolue aussi. Dans l’entre-deux-guerres, le 11 novembre était pour eux l’occasion de décliner avec force démonstrations toutes les figures du « Plus jamais ça ! ». Après la Libération, si cette forme de pacifisme n’est pas oubliée, elle est recouverte par l’usage patriotique qui en a été fait par les résistants dans la clandestinité : l’on est passé des soldats « morts à cause de la France » aux soldats « morts pour la France », pour inverser l’expression de Serge Barcellini79. Le 11 novembre, dans le prolongement de la célébration de la Toussaint, conserve toutefois une portée pour les socialistes qu’il convient d’analyser.
32Laïcs, les socialistes ont toujours respecté, voire participé s’ils sont croyants et pratiquants, aux rituels de la Toussaint. Celle de 1944 ramène le vieux Bracke trente ans en arrière : « Comment la mémoire ne remonterait-elle pas alors à l’année 1914, à celle où débutait l’autre guerre mondiale, destinée à une fin victorieuse que l’humanité secouée ne sut pas transformer en victoire de la Paix80 ? » Daniel Mayer, quant à lui, commémore « les héros de la liberté », « sans discrimination », « de Gabriel Péri à Pierre Brossolette et à Estienne d’Orves », ainsi que tous les déportés et victimes des territoires occupés81. Le jour même, de Gaulle se rend au Mont-Valérien, puis à Ivry, et enfin au château de Vincennes pour rendre hommage aux fusillés, accompagné par son ministre de l’Intérieur, le socialiste Tixier, grand mutilé de 14-18, dont le Populaire étale la photographie en une82. Ces premières commémorations sont organisées par le CNR et le CPL, où les socialistes luttent pour ne pas se laisser déborder par les communistes. Gérard Namer a montré que, dans la foulée de la Toussaint, la commémoration du 11 novembre marque l’apogée de la mainmise communiste, qui ignore en pratique le gouvernement et son chef83. Mais si le 12 novembre, L’Humanité triomphe en mettant en avant le CPL, le CNR et ses Milices devenues « les Gardes civiques républicaines », Le Populaire, lui, salue de Gaulle et Churchill avec enthousiasme et se réjouit – avec conviction parce qu’ils veulent y croire ? – de l’unité affichée : « Tous les manifestants sont fraternellement unis ; il n’y a plus là de PC ou de PS, de “Libération” ou de MLN : c’est l’absolue unité de la Résistance ». Sans surprise, les socialistes sont bien plus proches de l’interprétation des gaullistes que de celle des communistes. Ils anticipent même l’idée forte que de Gaulle met en scène quelques mois plus tard lors de la journée des drapeaux du 2 avril 1945 : celle d’une guerre de Trente Ans. L’ancien combattant et gazé, Robert Fuzier, illustre ainsi la « Permanence du destin » en représentant l’armée allemande en déroute, de dos, pourchassée par les drapeaux des alliés, avec au loin le soleil levant, emblème du socialisme au tournant du siècle, sur lequel s’inscrit 1918 et 1944 ou 19SS (fig. 18).
Fig. 18. – « 11 novembre, permanence du destin » (R. Fuzier, Le Populaire, 12 novembre 1944).

33Tout autre est la commémoration de 1945. Cette fois-ci, de Gaulle ne se laisse pas prendre de court et décide de rendre un hommage solennel aux morts des deux guerres et aux résistants : deux veillées funèbres ont lieu, l’une au Soldat inconnu, l’autre aux Invalides où sont transférées les cendres de combattants des deux guerres et de déportés ; puis le soir du 11 novembre, elles sont inhumées au Mont-Valérien, qu’il consacre ainsi comme le haut lieu gaulliste de la mémoire nationale. En réaction, à la Toussaint, le PCF a organisé une manifestation à la Bastille où « le peuple » a rendu hommage à sept fusillés communistes, parmi lesquels des otages de Châteaubriant. Or la SFIO conserve sa position médiane, presque d’arbitre. Le Populaire a salué la cérémonie « populaire » de la Bastille le 2 novembre, puis elle s’associe à la dramaturgie gaulliste. Le 10 novembre, Félix Gouin, président de l’Assemblée, se rend sur la tombe du Soldat inconnu. Le 11 après-midi, les fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise participent « sans pancarte ni drapeaux » au défilé civil mené par le CNR et le CPL84. Le président du Conseil municipal, André Le Troquer, préside, place des Invalides, à l’entrée des quinze cercueils de combattants des trois armes, de résistants et de déportés sous le dôme. Leur inhumation, le soir, au Mont-Valérien où une immense Croix de Lorraine en chrysanthèmes est mise en valeur, est relatée avec émotion par leur presse85.
34Les socialistes s’associent donc au glissement de sens du 11 novembre qui désormais célèbre trois figures : le soldat de l’an II, le poilu et le résistant. Ce dernier devient ainsi, comme l’écrit Rémi Dalisson, « une sorte de militaire de substitution » à l’armée régulière qui a endossé la défaite, alors que le combattant de l’ombre a lui concouru à la Victoire86. Dans ses instructions, le ministre des Prisonniers, Déportés et Rapatriés, Henri Frenay écrit :
« Il s’agit de marquer la continuité des sacrifices consentis par la France dans le combat pour la Liberté et la participation aux deux victoires : 1918 et 1945 ; de souligner l’unité morale des Français dans cette dernière guerre dont le sacrifice […] a contribué à la victoire commune87. »
35Alors que les socialistes résistants – à l’exception de France au Combat et Brutus – n’ont pas pratiqué de résistance armée, ils ne dérogent pas à cette militarisation de la Résistance voulue au sommet. La spécificité du 11 novembre pâtit, en effet, du statut amoindri du 8 mai. La loi du 7 mai 1946 institue « la commémoration annuelle de la victoire de 1945 » le 8 mai, si ce jour est un dimanche et, dans le cas contraire, le premier dimanche qui suivra. Le 8 mai n’est donc ni fête nationale, ni férié, ni bien entendu chômé. Le dimanche 12 mai 1946, sous les averses, la célébration parisienne est moins chargée de symboles que le 11 novembre précédent et plus festive avec ses bals populaires. Le président du Conseil Gouin doit en outre fêter Jeanne d’Arc : la journée s’ouvre par un dépôt de gerbe aux pieds de la Pucelle place des Pyramides, avant l’hommage au Soldat inconnu88. Le 8 mai 1947, le président de la République Auriol, comme le veut la tradition lors de la première année de son mandat, se rend à la fête johannique d’Orléans. À l’unisson des Orléanais et des forces politiques locales, il déclare : « Vous le savez bien, la leçon de Jeanne d’Arc, c’est aussi l’union, c’est-à-dire la discipline nationale », sous les vivats de la foule y compris du député communiste Rigal89. Pris entre la fête de Jeanne d’Arc et son statut bâtard, le 8 mai peut difficilement cristalliser la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et encore moins la mémoire résistante qui se reporte sur le 11 novembre. C’est donc le 11 novembre 1947 que se manifeste, pour la première fois, la guerre des mémoires entre les communistes, les gaullistes et le gouvernement de Troisième Force qui participent, en ordre dispersé, à trois défilés différents90. Mais Le Populaire ne s’en fait pas l’écho et préfère se focaliser sur les officiels, en particulier le président Auriol, et l’hommage à tous les morts, y compris ceux d’Auschwitz91. Le 11 novembre doit conserver sa dimension fédératrice.
36Le 11 novembre permet, en effet, à la SFIO de maintenir un lien avec les associations d’anciens-combattants de 14-18, lesquels sont offensés de passer au second plan dans les célébrations au lendemain de la Libération. Nombre de socialistes ont des responsabilités à la FOPAC (Fédération ouvrière et paysanne des anciens combattants), tels Henri Ribière, Louis-Auguste Nermond, Albert Trilland92. Le Populaire publie régulièrement « Le coin de la FOPAC », animé par Élie Bloncourt, aveugle de guerre 14-18, jusqu’à son exclusion en 1948. En province, la mémoire de la Grande Guerre s’érode moins face à cette militarisation de la Résistance – élitiste en fin de compte, et les élus, ainsi que la presse socialiste y contribuent. À Marseille, ce sont les mutilés et anciens-combattants de 14-18 qui défilent en tête en 1946 et ils les saluent93. Le 11 novembre leur permet ainsi de partager une véritable mémoire commune avec leurs concitoyens. De même, tout au long de la IVe République, dans leurs professions de foi pour les législatives, leurs parlementaires préfèrent mettre en avant leur guerre de 14-18 plutôt que leur itinéraire résistant, en reconstituant une cartographie des champs de bataille et en mentionnant des blessures qui parlent à tous94.
37Le 11 novembre est, enfin, l’occasion de renouer avec leur pacifisme traditionnel, sinon dans leurs actions, au moins dans leurs discours. Dès 1944, Le Populaire du Centre réclame « une paix véritable, définitive, la Paix des peuples » et fustige « le mensonge » de « la dernière des guerres », où l’on a fait croire aux soldats qu’ils faisaient « la guerre pour tuer la guerre », et « le mensonge d’une paix extravagante qui était à peine un armistice, d’une paix qui préparait fatalement de nouvelles tueries ». Le révisionnisme des traités préconisé par la SFIO dans les années vingt n’est pas oublié. Et l’éditorial conclut :
« Mais cette fois, après la délivrance, après l’espoir, aurons-nous aussi le mensonge et continuera-t-on de sacrifier la jeunesse à l’insatiable Moloch, toujours avide de chair humaine ! Ou bien, éclairé par les leçons du passé, construira-t-on réellement un monde d’où seront bannies toutes les possibilités de guerre et où les ambitions des despotes, les hallucinations des demi-fous, la mégalomanie des gouvernants seront impuissantes à réveiller l’ancestrale bestialité95 ? »
38La personnification de la guerre en monstre, la haine de l’oligarchie et la victimisation du peuple et de sa jeunesse permettent de retrouver les accents de l’entre-deux-guerres. La tonalité est la même en 1945, alors que le directeur politique est désormais Jean Le Bail, pacifiste convaincu et munichois en 1938. Le 11 novembre, le journal affirme qu’à Limoges, la foule a exprimé son attachement à une paix fragile « que nous devons défendre et sur laquelle il nous faudra toujours veiller96 ». En dépit de la guerre froide en 1947, après avoir regretté la division qui gagne les anciens combattants à Limoges, Le Populaire du Centre rappelle que le 11 novembre ne peut être que « le lieu de notre recueillement, de notre honte et de notre remords » et redit qu’il est « criminel d’accepter la guerre, d’acquiescer au sacrifice de millions de morts97 ». En 1953, le 11 novembre redevient autonome avec la loi du 20 mars qui fait du 8 mai un jour férié, non chômé. Mais en 1954, aux quarante ans de la bataille de la Marne, se juxtaposent les dix ans de la Libération, ce qui entraîne la création d’un Comité des deux anniversaires 14-18 et 39-45, le tout bouleversé par le désastre de Dien Bien Phu le 7 mai 1954. Les socialistes accordent toutefois le même soin à commémorer le 11 novembre où partout sont associés les morts des deux guerres et d’Indochine. Ainsi, à Marseille, Defferre, qui a enfin emporté la mairie l’année précédente, confère un éclat « inaccoutumé » à la journée. Après la prise d’armes à la préfecture, la remise de décorations et le défilé des anciens combattants des deux guerres et des résistants, ces derniers gravissent le glacis du haut-fort Saint-Nicolas « où pour la première fois ils ont pu se recueillir dans un haut lieu qui leur est particulier », le monument aux morts de la tour du souvenir. Puis « des sachets de terre prélevée sur tous les chemins de bataille ont été symboliquement mêlés dans une amphore » antique. Si le député-maire a dû se faire représenter, tous ses conseillers sont là, ainsi que le président du Conseil général, le socialiste Max Juvénal98.
39La mémoire de la Grande Guerre semble désormais mieux assumée que dans l’entre-deux-guerres grâce à un patriotisme et une adhésion à la défense nationale d’autant plus décomplexés que la guerre froide a commencée. En pratique, sur le terrain, le 11 novembre s’avère plus intégrateur et moins élitiste que le 8 mai : il rassemble tous les anciens-combattants et donc toutes les générations et, autour de l’Union sacrée, il favorise l’union d’abord nationale, puis de la Troisième Force. Les socialistes, soucieux d’être au centre du jeu, n’y trouvent que des avantages. Le 11 novembre permet, en outre, aux pacifistes d’exprimer leur dégoût traditionnel de la guerre sans entrer en dissidence, comme ceux qui partent en 1948. De ce point de vue, il a une valeur cathartique non négligeable pour maintenir l’unité du parti.
40Chez les socialistes, les mémoires des deux guerres mondiales sont intriquées. Si la mémoire résistante de la Seconde adoucit le remords d’avoir consenti à la Première, le pacifisme « plus jamais ça » demeure un caractère identitaire qui ne peut être aboli. L’adhésion sans faille à la Défense nationale s’accompagne d’une grande vigilance à l’égard du militarisme, et ministres et élus s’investissent sans compter pour promouvoir une « armée nouvelle » adaptée aux menaces du temps. Ceux qui ne peuvent s’acculturer à cette nouvelle forme de patriotisme doivent quitter la SFIO. Il est néanmoins nécessaire de conserver une trace du pacifisme des années vingt dans le discours et les pratiques et pas seulement par opportunisme ou cynisme. Nombre de militants ont conservé leur foi en « l’idéal de Jaurès » et refusent absolument de se résigner à la fatalité de la guerre. L’invocation du tribun, parfois purement incantatoire, et la commémoration du 11 novembre qui n’est jamais négligée recèlent à cet égard une dimension conjuratoire. Chez certains, cette culture pacifiste s’ulcère avec les guerres coloniales. Irriguant la Nouvelle Gauche, elle va ressurgir plusieurs décennies plus tard, après les Assises du socialisme de 1974, au sein du PS d’Épinay.
Le syndrome d’Andromaque
41Si les socialistes sont capables d’occultation volontaire et de trous de mémoire involontaires99, il leur est le plus souvent impossible d’oublier. « N’oublions jamais » nos héros et nos martyrs est la mission première de tous les acteurs du devoir de mémoire avant la lettre. « Car le temps qui passe ne diminue rien, n’affaiblit rien, n’efface rien », constate Jean Binot quatre ans après la mort de Brossolette100. Or, ce syndrome que nous appellerons d’Andromaque s’étend également aux erreurs et fautes passées, les leurs et celles des autres. Il rend ardue la voie qui les mènerait à une mémoire apaisée, réconciliée, prête à pardonner, ce que Paul Ricœur qualifie de « juste mémoire101 ». L’impossible oubli nourrit leur mauvaise conscience, tel le remords d’avoir consenti à la guerre en 1914 déjà évoqué, autant que leur mémoire obligée ou devoir de mémoire102. Après la Libération, leur mémoire butte sur deux événements : la victoire de Franco en Espagne attise leur mauvaise conscience de la non-intervention, tandis que la Résistance devait rénover à jamais la vie politique française. Dans les deux cas, leurs espoirs sont déçus : la République espagnole n’est pas rétablie et l’image, ainsi que l’héritage de la Résistance sont très vite remis en cause. Dans les deux cas, ils demeurent tributaires des usages politiques qu’en font leurs adversaires et partenaires en fonction de la conjoncture du moment et ils doivent rester eux-mêmes sans se laisser déborder tant par les communistes que par les démocrates-chrétiens. Comment aider les Républicains espagnols ? Comment sauvegarder l’esprit de la Résistance alors qu’un néo-vichysme s’exprime et ce, jusqu’au Parlement à partir de 1951 et que la majorité souhaite l’amnistie générale pour la période de l’Occupation ?
Le remords espagnol
42La guerre d’Espagne de juillet 1936 à septembre 1939 a non seulement divisé les socialistes mais elle a aussi contribué à l’échec du Front populaire. À la SFIO, la Bataille socialiste de Jean Zyromski a créé un Comité d’action socialiste pour l’Espagne, alors que les paul-fauristes ont critiqué avec virulence les livraisons d’armement accordées par le gouvernement Blum au Frente popular de José Giral par l’intermédiaire du ministre de l’Air, Pierre Cot, entre le 20 juillet et le 8 août. Et alors que le PCF et la CGT ont lancé une campagne favorable à l’intervention avec des affiches saisissantes, la droite et l’extrême droite se sont déchaînées contre « le juif sac au dos » qui aurait risqué de déclencher une nouvelle guerre européenne. Dans un climat proche de la guerre civile, Blum a dû renoncer à l’intervention sous la pression de ses alliés, les radicaux membres de son gouvernement et les Britanniques, tenants d’une politique d’apaisement avant la lettre. Le 6 septembre 1936, à Luna Park, Blum a tenté de justifier sa décision d’adopter une neutralité absolue devant des militants de la Seine complètement désarçonnés et a fait prévaloir l’intérêt supérieur de la nation et de la paix en Europe. Ce discours fleuve, où Blum fait part de sa détresse et de son émotion, calme les critiques un temps, mais il reste néanmoins dans toutes les mémoires103. En secret, le président du Conseil a fait passer des armes aux républicains par des moyens détournés, mais – outre qu’il ne pouvait s’en prévaloir à l’époque – cette aide a été une goutte d’eau face à l’intervention massive des puissances fascistes italienne et allemande. Le bombardement de Guernica, village basque et républicain rasé par l’aviation hitlérienne le 26 avril 1937, constitue un autre traumatisme. Le monumental tableau qu’il a inspiré à Picasso et qui a été exposé à la demande de Largo Caballero dans le pavillon espagnol de l’exposition universelle de 1937, l’a fixé lui aussi dans les mémoires. Après la Libération, ce douloureux passé espagnol est d’autant plus difficile à endosser que les communistes se targuent de leur engagement dans les Brigades internationales et de celui des républicains espagnols dans leurs propres rangs sous l’Occupation. Alors que toute la gauche européenne partage ce sentiment de dette envers les démocrates espagnols, ce remord se traduit de différentes façons chez les socialistes français et détermine leur politique à l’égard du régime franquiste.
43Les communistes n’ont pas attendu la Libération pour rouvrir la plaie, et lors des premières ébauches du comité d’entente, ils ne se privent pas d’user d’un argumentaire bien rodé sur la trahison de Blum envers la République espagnole. Avant même que ce dernier ne rentre de déportation, les délégués SFIO s’en font l’écho lors du congrès de novembre 1944. De leur côté, ils disposent du plaidoyer élaboré à l’époque par Blum à la Chambre, ses discours ayant été publiés en brochures par le parti104. Mais est-ce suffisant ? Jean Minjoz, secrétaire fédéral du Doubs, a ainsi tendu la main aux communistes de son département pour créer une unité d’action efficace en espérant à terme une unité organique, et leur a écrit en ce sens le 24 octobre. En retour, le PCF reproche à Blum d’avoir instaurer « le blocus sous le vocable trompe-l’œil de la non-intervention » en Espagne105. Une fois rentré, Blum peut lui-même répondre aux attaques qui se poursuivent, en particulier dans L’Humanité, mais aussi à Franc-Tireur. En pleine campagne électorale pour la constituante, le 14 octobre 1945, Blum rétorque que la non-intervention était une convention multilatérale entre divers États, dont l’Allemagne et l’Italie, la Grande-Bretagne et, souligne-t-il, l’URSS. Les puissances fascistes ne respectant pas l’accord, il a pratiqué une « non-intervention relâchée », « une contrebande » d’armes en faveur des républicains. Enfin, il rappelle que le PCF n’a jamais officiellement demandé l’intervention, laquelle aurait nécessairement mené à la guerre dans les pires conditions possibles pour la France106. Il doit récidiver trois jours plus tard, lorsque André Marty l’accuse d’avoir trahi le Frente popular « par crainte du peuple et haine de l’Union soviétique » et l’associe, insulte suprême, à Laval107. Par la suite, L’Humanité préfère enfourcher d’autres chevaux de bataille comme Munich ou, mieux encore, le 10 juillet 1940. Cela n’empêche pas les socialistes de revenir sur « l’affaire espagnole » dans leurs mémoires, tel Joseph Paul-Boncour qui fait porter la plus lourde responsabilité sur les Britanniques108. Et Blum décédé, Le Populaire Dimanche ressent encore le besoin de développer longuement « la vérité sur la non-intervention en Espagne109 ».
44Sur le terrain, cette bataille mémorielle se traduit par des pratiques singulières. Il convient, autant que faire se peut, d’afficher la présence de républicains espagnols sous sa bannière dans les commémorations du 8 mai, du 14 juillet ou de la Libération, et ni la SFIO, ni le PCF ne sont en reste. À Toulouse, « capitale des républicains en exil », où se tiennent les congrès du PSOE depuis septembre 1944, le maire socialiste de 1944 à 1958, Raymond Badiou, apporte tout son soutien aux socialistes, mais moins aux communistes qui quittent la ville rose en 1946. Llopis salue d’ailleurs ce dernier chaleureusement en 1957110. La mobilisation antifranquiste est un temps unitaire. Lorsqu’en février 1946, le gouvernement ferme la frontière espagnole, SFIO, PCF, CGT, parti radical et LDH organisent un grand meeting au Vél’d’Hiv « pour exiger la rupture immédiate avec l’assassin Franco » après l’exécution de dix républicains, dont Cristino Garcia, « héros de la libération française ». Devant « 50 000 » personnes et en présence de Dolores Ibárruri – la Pasionaria –, Louis Saillant, Émile Kahn, Robert Verdier et Jacques Duclos rendent hommage aux républicains espagnols qui ont combattu dans la Résistance et en appellent à « la réprobation universelle » pour acculer Franco à la sortie. Alors que Georges Cogniot insiste sur l’unité d’action « nécessaire » dans son compte rendu, Le Populaire met l’accent sur le danger que le survivant du fascisme fait courir aux démocraties et à la paix111. En mars 1946, les obsèques de Largo Caballero, membre du PSOE et ancien président du conseil (septembre 1936-mai 1937), sont l’occasion pour les socialistes d’organiser la veillée funèbre chez eux, dans leur ancien siège de la rue Victor Massé, en face de la cité Malesherbes. Selon la une du Populaire, toute la gauche non communiste défile avec des représentants en exil du PSOE, de l’UGT et de la CNT, des partis socialistes italien et roumain, ainsi que des membres des Cortes et du gouvernement en exil112. Selon L’Humanité, il faut y ajouter Jacques Duclos, Étienne Fajon, ainsi que Dolores Ibárruri et Santiago Carillo, respectivement secrétaire générale et membre du Bureau du PCE113. En province, les municipalités socialistes prennent l’initiative de rendre à Caballero un hommage, auquel doivent s’associer là encore les communistes. À Lille, Denis Cordonnier y ajoute une résolution de soutien aux républicains espagnols et de « mépris public » au dictateur114. En janvier 1947, à Limoges, conseillers communistes et socialistes rivalisent pour condamner l’exécution de trois républicains espagnols et exhorter les gouvernements démocratiques à ne plus encourager « l’impunité » de Franco115. À Nantes, le PCF réclame une plaque « à la mémoire des patriotes du quartier de Barbin », tous communistes. Le conseil municipal, présidé par le maire Front national Jean Philippot, y est favorable mais, le 25 août 1947, le ministre de l’Intérieur, qui n’est autre qu’Édouard Depreux, s’y refuse : dans la liste de noms, figurent deux militants des Brigades internationales tués en Espagne. L’hebdomadaire communiste de Loire-inférieure, Clarté, se déchaîne contre le ministre socialiste en vain116. Certes la crise du 4 mai 1947 est passée par là, mais il est surtout impossible, pour certains anticommunistes de longue date, de valoriser l’intervention de communistes dans la guerre d’Espagne.
Fig. 19. – L’Espagne n’oublie pas el Frente popular (Robert Fuzier, Le Populaire, 31 octobre 1944).

45Un signe du remords qui les taraude est l’illusion qui les aveugle lorsqu’ils considèrent le départ de Franco inéluctable. Le Populaire publie ainsi le reportage de son envoyé spécial en Espagne, Jacques Baron, en novembre 1944, lequel trouve des raisons d’espérer117. La conviction que Franco est acculé au départ est telle que les caricaturistes arrivent à faire sourire de sa situation. En octobre 1944, Robert Fuzier le ridiculise en matamore cocu, déclarant sa passion jalouse à l’Espagne en Carmen, laquelle détourne la tête pour regarder par sa fenêtre un jeune républicain (fig. 19).
46En décembre 1944, tous s’interrogent sur sa démission, Roger Las avec Franco téléphonant à Hitler : « Allo Adolf, moi aussi je leur ai fait le coup de la “retraite” élastique » (fig. 20) et H. Monier représentant un petit Franco, suant de peur et en mauvaise posture sur le dos d’un énorme taureau furieux, qui déclare à la presse internationale : « Dites bien, surtout, que je n’ai pas la moindre velléité de démissionner118 ! »
Fig. 20. – Franco, le dernier des trois (Roger Las, Le Populaire, 12 décembre 1944).

47En août 1945, Roger Guillien interviewe un combattant espagnol qui décrit une répression plus féroce que jamais et un peuple prêt à se lancer dans l’insurrection, pourvu qu’il soit assuré du soutien des Européens. Or l’auteur conclut : « Quoi qu’il en soit, l’heure H est proche119. » Réunis en congrès, les délégués accueillent Rodolfo Llopis (PSOE) et Pascual Tomas (UGT) aux cris de « Franco au poteau ! » et leur chantent debout l’Internationale, alors que Daniel Mayer leur confie : « Le souhait le meilleur que nous puissions formuler, pour nos camarades espagnols, c’est que, comme j’en ai la conviction, dans quelques mois ou quelques semaines, ils rentrent dans leur patrie120. » Encore en février 1946, Le Breton socialiste déclare : « L’Espagne doit être libre […]. C’est un acte de foi121. » En dépit de la répression qui s’accentue, les socialistes veulent continuer d’y croire, comme le montre un dessin de Grum : Franco, assis au milieu d’un monceau de têtes de mort, accablé, le pompon de son chapeau en berne, illustre des vers de Ruy Blas qui annoncent sa chute inéluctable (fig. 21). Rétrospectivement, cette certitude semble bien naïve, mais elle est à la hauteur de leurs regrets.
48À défaut de pouvoir tourner la page, ils affichent donc un soutien sans faille à la République espagnole en exil, en accueillant leurs représentants avec chaleur ou en manifestant publiquement leur hostilité au régime franquiste. Leur constance en ce domaine est sans faille et a sans doute une vertu consolatrice voire rédemptrice, visible dans les congrès où les délégués trouvent à exprimer collectivement, par des gestes, des cris et des chants, leur amitié envers leurs camarades espagnols. Rodolfo Llopis est ainsi invité à tous les congrès nationaux jusqu’en 1967 et intervient à presque chacun d’entre eux122. À celui d’août 1945, hommage est ainsi rendu à la République espagnole ainsi qu’aux Cortes réunies à Mexico qui portent à la présidence Martinez Barrio après le décès d’Azaña. Mais surtout, à l’initiative de la fédération oranaise, une motion demandant au gouvernement français de rompre toute relation diplomatique avec Franco est votée123. Elle suscite une réunion de la Conférence internationale socialiste en août 1946 et, l’année suivante, les Femmes socialistes organisent une vaste collecte lors de la Conférence internationale des Femmes124. À la veille de la discussion de la question espagnole à l’ONU, pour les quinze ans de la République espagnole proclamée le 14 avril 1931, Le Populaire organise la réception du président de l’un des deux gouvernements en exil, Rodolfo Llopis, dans ses locaux et la SFIO participe au meeting organisé par l’Association France-Espagne de Léon Jouhaux à la Mutualité125. De son côté, le PCF assiste à une conférence du président de l’autre gouvernement en exil auquel participe le PCE, José Giral126.
Fig. 21. – Les fantômes de Franco (Grum, Le Populaire, 3-4 mars 1946).

49Avec la guerre froide, l’espoir de voir partir Franco s’amenuise. Du moins, les socialistes veulent-ils qu’il demeure au ban des nations. Commémorer sans faute chaque année l’Espagne républicaine permet de rendre hommage à la République en exil, donc de contribuer à son existence, tout en essayant d’isoler le régime franquiste. Lors du plan Marshall, il est impossible, pense Léon Blum, d’en exempter le peuple espagnol, si misérable, mais il faut le dissocier du dictateur qui l’oppresse127. Le 1er avril 1948, il réitère : « Franco doit rester au ban de l’Europe ». Et lorsque l’année suivante le Portugal propose d’admettre l’Espagne à l’ONU, c’est Oreste Rosenfeld qui s’écrie qu’au préalable « Il faut chasser Franco128 ! » L’ancien ministre des Affaires étrangères, Joseph Paul-Boncour, est appelé à la rescousse par le gouvernement en exil pour lequel il publie Le Problème espagnol devant la conscience universelle en 1949129. Cette même année, Gaston Chazette, sénateur de la Creuse et membre du Grand Conseil du GODF, réunit un convent en juin pour soutenir les maçons ibériques persécutés130. En 1950, Pierre-Olivier Lapie se fait l’ambassadeur de Llopis auprès du ministre des Affaires étrangères MRP, Robert Schuman, pour obtenir l’assurance que l’Espagne n’entrera pas à l’OTAN131. Or le 4 novembre, l’ONU lève les recommandations discriminatoires édictées quatre ans plus tôt à des fins de normalisation. La SFIO tente alors d’enrayer le processus, en vain132. Le 21 février 1951, le comité directeur s’associe à la protestation de Llopis contre les négociations entre les Américains et Franco, et la Conférence socialiste internationale lui emboîte le pas en mars. Guy Mollet récidive devant l’assemblée européenne de Strasbourg en août 1952. C’est dans ce contexte qu’est commémoré le vingtième anniversaire de la République en 1951. Le 12 avril, Chazette avec « Les Amis de la République espagnole » qu’il préside organise un meeting salle Saulnier auquel participent les socialistes et où le discours d’Albert Camus résume bien la place qu’ils accordent à l’Espagne républicaine dans leur mémoire et leur culture antifasciste :
« C’est cette culture [espagnole] qui peut nous aider à refaire une Europe qui n’exclura rien du monde, ni ne mutilera rien de l’homme. […] Les morts espagnols, des camps allemands, des Glières, de la division Leclerc et les 25 000 tués dans le désert de Libye étaient cette culture et cette Europe. C’est à eux que nous sommes fidèles. »
50 La Revue socialiste consacre un numéro entier et Le Populaire Dimanche deux pages à l’histoire de la République et de l’Espagne franquiste133. Le secrétaire général adjoint, Georges Brutelle, appelle enfin tous les militants à verser des dons à l’Entraide ouvrière française pour soutenir les grévistes barcelonais. Lui-même, journaliste de métier, est le directeur politique du journal des exilés PSOE en France, El Socialista. Lorsque le pacte américano-espagnol est signé le 23 septembre 1953, la SFIO proteste publiquement et, tout au long des années qui suivent, intervient pour empêcher l’admission de l’Espagne dans l’OTAN. En décembre 1960, Llopis considère que c’est grâce à la vigilance constante des socialistes européens, en particulier de Guy Mollet, que l’Espagne franquiste demeure isolée. Mais il constate aussi que les démocraties européennes ont la mémoire courte et que leur reconnaissance envers les républicains exilés commence à s’estomper. N’a-t-on pas commémoré, en mai, la bataille de Narvik en célébrant les Français, les Norvégiens, les Anglais, les Polonais… mais en oubliant les 800 Espagnols qui combattaient sous les ordres du général Béthouart ? Et sans doute va-t-on encore oublier, lors de la commémoration de la libération de Paris, les Espagnols de la division Leclerc134 ? Il y a une dette, et cette dette doit non seulement être payée en marginalisant les franquistes sur la scène internationale mais aussi en acquittant un devoir de mémoire lors des diverses commémorations du combat antifasciste. De ce point de vue, les socialistes français peuvent enfin être en paix avec leur conscience.
51La mémoire de la guerre civile espagnole fait partie intégrante de la culture politique de la gauche européenne. En France, socialistes et communistes ne l’abordent pas sur un pied d’égalité : remords pour la SFIO, geste de gloire pour le PCF. La bataille mémorielle se joue sur plusieurs terrains : l’histoire de la non-intervention en termes de croisade de la vérité, celui des commémorations où les deux partis rivalisent pour afficher leur proximité avec les républicains espagnols, et enfin celui de l’influence diplomatique pour isoler la dictature franquiste. Dans l’ensemble, la gauche européenne partage ce sentiment collectif de dette historique envers les démocrates espagnols et offre une tribune à ceux que la dictature stigmatise comme étant « l’anti-Espagne ». Or la SFIO n’a pas à rougir car elle tient son rang dans ce combat. À chaque congrès, Llopis remercie les socialistes français pour leurs actions et, progressivement, le remords de la non-intervention s’estompe au profit de la satisfaction du devoir accompli envers leurs camarades exilés.
Gardiens de la Résistance dans « la guerre franco-française »
52Longtemps, les divisions qui ont déchiré les Français sous l’Occupation et à la Libération ont été qualifiées de « guerre civile », mais cette interprétation a été remise en cause par Olivier Wieviorka en 2005135. Il a montré que non seulement la guerre civile n’a pas eu lieu, mais qu’elle n’a même pas été voulue parce que sa mémoire en France est frappée d’infamie. Il conclut – et nous partageons sa conclusion – qu’après la guerre, cependant, certains Français ont pu interpréter « les années sombres » de cette façon et, nous rajouterons, certains de bonne foi136. Or c’est bien ainsi que les socialistes la conçoivent, et s’ils n’utilisent pas l’expression « guerre franco-française », c’est pour se démarquer de ceux qui veulent discréditer la Résistance, la Libération et le régime qui en est issu. La guerre franco-française est, en effet, le titre d’un succès de librairie, écrit en 1950, par l’ancien chef de cabinet du maréchal Pétain, Louis-Dominique Girard, afin – prétend-il – de « servir la paix franco-française137 ». Loin de calmer les esprits, il acclimate cette formule dans l’opinion publique des années 1950-1960 et contribue à la légende noire de l’épuration. Avec ce plaidoyer pro domo, ce ne sont pas tant les luttes fratricides de l’Occupation qu’il stigmatise, que « la guerre civile actuelle », plus « meurtrière » qu’aucune autre selon lui, menée contre les pétainistes et collaborateurs par les vainqueurs138. Au tournant des années 1970-1980, le mythe des « 100 000 victimes » de l’épuration est définitivement battu en brèche139 et le caractère strictement idéologique de cette « guerre civile » est établi140. Dans le prolongement des travaux de l’École de Péronne puis de ceux du Centre d’Histoire de Science Po sur les sorties de guerre, nous définirons cette « guerre franco-française » comme la survivance d’une culture de guerre dans la société française et dans certaines familles politiques, en l’occurrence les socialistes141. Elle les conduit à faire évoluer leurs alliances pour adopter une stratégie de déploiement dans toutes les instances qui préservent la mémoire de la Résistance.
53Aux lendemains de la Libération, la SFIO qui a été le pivot de la Résistance éprouve des difficultés à se positionner sur le nouvel échiquier politique et, par là même, mémoriel.
54D’abord, elle est prise entre la tentative d’unité d’action, voire organique, avec le PCF et celle de créer un grand parti travailliste avec le MLN et l’UDSR, sachant que les socialistes ont dû batailler – on l’a dit – pour se faire une place au sein du MLN à partir de 1943142. Ils partagent avec les uns une longue mémoire de querelles de famille, de divorces et de réconciliations ratées, avec les autres une mémoire immédiate de combats communs contre l’occupant sans exemption de chicanes. Le 15 décembre 1944, à l’issue des Assises nationales des CDL réunies à l’Hôtel de Ville de Paris par le CNR, tous les délégués prêtent « le serment de la Résistance » d’être « les animateurs de la renaissance française », de faire appliquer le programme du CNR et surtout de « rester unis ». Le Populaire le prend au pied de la lettre, tandis que L’Humanité applaudit cette volonté qui se traduit par des listes uniques143. Toutefois, les socialistes se félicitent bientôt de la création de l’UDSR en juin 1945 et préconisent une unité d’action avec elle144. Les tensions avec les communistes se sont multipliées dans les CDL et « la charte de l’unité » proposée par le comité central en juin 1945 leur rappelle un peu « les 21 conditions »… Début juillet par conséquent, Léon Blum lance une série d’articles sur « le problème de l’unité », d’où il ressort que l’unité organique est impossible mais que l’unité d’action doit être maintenue autant que faire se peut145. Si l’échec du comité d’entente PCF-SFIO déçoit nombre de militants, du moins ne les prend-il pas par surprise, eu égard à ce long passé conflictuel. Plus décevant est l’échec du grand parti travailliste acté à l’été 1945.
55Ensuite, les socialistes qui, derrière Blum, se sont ralliés à « l’homme du 18 juin », restent fidèles au Général tant qu’il demeure dans ce rôle, mais évoluent lorsqu’il change de stature. Dans leur premier manifeste de la Libération du 22 août 1944, ils rappellent qu’il a « incarné » l’espérance du pays avant « l’unité de la nation146 ». Paris libéré, il est « à la fois le soldat qui lui a rendu l’espérance et l’homme d’État qui lui a rendu ses libertés147 ». Dans les municipalités, les socialistes suggèrent ou approuvent l’attribution de son nom à une place ou un boulevard, telle celle de Lille, où Denis Cordonnier propose de le faire citoyen d’honneur, d’apposer une plaque sur sa maison natale et, surtout, de donner son nom à la Grand’Place148. Le 11 novembre, Le Populaire du Centre représente, dans une maladroite composition qui fait penser à un ex-voto populaire, de Gaulle la main sur le cœur, suivi de ses soldats y compris indigènes, portant le drapeau tricolore avec la Croix de Lorraine et guidé par Marianne qui, du ciel, lui désigne les ennemis de la France qui s’enfuient, Pétain, Laval, Mussolini… (fig. 22). Le Populaire illustre son compte rendu de la journée des drapeaux du 2 avril 45 avec une photographie de de Gaulle remettant un étendard à un soldat devant une immense Croix de Lorraine en contreplongée 149. En juin, Charles Lussy raconte le 18 juin 1940 sur le mode épique qui forge le roman national dans les manuels d’histoire pour enfants : « Alors de Londres, le 18 juin, une voix s’éleva, celle du général de Gaulle. Elle les exhorta à la bataille150… » Quand on sait que cet appel n’a en fait guère été entendu, il apparaît que les socialistes participent volontairement au mythe résistancialiste construit par de Gaulle. Mais sa démission le 20 janvier 1946 constitue un tournant. Léon Blum évoque d’abord « l’homme qui a incarné pour elle [la France], dans les plus cruelles années de son histoire, l’indépendance, la liberté et l’honneur », avant de défendre le régime parlementaire et donc l’existence des partis151. De sorte qu’au lendemain du congrès de Lille du RPF en février 1949, Guy Mollet résume bien l’enjeu de cette guerre des mémoires en contestant aux gaullistes le droit de :
« monopoliser à leur profit l’esprit de la Résistance et l’épithète même de “gaullistes”. La Résistance n’appartient à personne, pas plus au RPF qu’aux communistes, pas plus d’ailleurs à nous qu’à d’autres. […] Quiconque prétend la monopoliser à son profit trahit, en le faisant, la mémoire de ceux qui sont tombés côte à côte, différents mais unis152 ».
Fig. 22. – De Gaulle, Le Populaire du Centre (11 novembre 1944).

56En dépit des discours incantatoires, l’unité de la Résistance n’est plus. À défaut, les socialistes s’engagent à défendre son héritage et sa mémoire et, à cette fin, pratiquent la même stratégie que celle adoptée par Blum et Mayer dans la clandestinité : la dispersion. Or, de même que dans la clandestinité les socialistes résistants avaient été mis devant le fait accompli, il ne s’agit pas réellement d’une stratégie concertée au sommet. Spontanément, les résistants adhèrent et prennent des responsabilités dans les organisations issues de leur mouvement, réseau, camp de déportation, filière d’évasion… Il s’agit en outre d’un trait culturel : depuis ses origines, le parti invite ses militants à créer ou animer des associations et à s’insérer dans le tissu social153. De sorte qu’en décembre 1951, alors qu’ils débattent de l’affaire Rassinier, Daniel Mayer dresse ce bilan aux membres du conseil national qui semblent le découvrir :
« Car, enfin camarades, je voudrais d’un mot vous indiquer comment se présente la Résistance actuellement […]. Ce sont nos camarades dans les fédérations qui ont réussi, dans la plupart des cas, à être à la tête des organisations de déportés et qui s’efforcent de dissocier les communistes de l’idée de déportation. [Il évoque le CAR et les groupes de parlementaires résistants]. Autrement dit, nous nous sommes efforcés, dans les travaux qui ont été les nôtres, de bien marquer que dans le pays, quand un résistant veut s’adresser à la Résistance, ce n’est pas aux communistes qu’il s’adresse, mais la plupart du temps aux socialistes154. »
57À cette date, Daniel Mayer parle de la Résistance au présent, comme d’une entité toujours vivante et hétérogène, puisqu’il s’efforce d’y lutter contre l’impérialisme communiste. Il confirme ainsi que les socialistes sont partout, en particulier dans les organisations de déportés telles que la Fédération nationale des déportés et internés de la Résistance (FNDIR) et l’Union nationale des associations de déportés internés et familles (UNADIF) créées en 1945 et 1950 avec, dans leurs instances nationales, Georges Brutelle, Edmond Debeaumarché, Marcel Guislain et Eugène Thomas, l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR, 1945) avec Marie-Louise Payen, ou encore l’Amicale des déportés politiques et de la Résistance de Dora, Ellrich, Harzungen et Kommandos annexes (1946) présidée par Pierre Segelle jusqu’en 1960. En décembre 1951, Brutelle considère que près de la moitié des délégués au dernier congrès de la FNDIR étaient socialistes155.
58Ils participent aussi à la fondation du CAR (Comité d’action de la Résistance) en avril 1948, présidé par le général Cochet – qui n’est pas socialiste – mais vice-présidé par Jean-Pierre Bloch et Jean Texcier et dont nombre de leurs élus ou dirigeants sont membres du comité directeur : Léon Boutbien, Gilberte Brossolette, Roger Carcassonne, Edmond Debeaumarché, Daniel Jurgensen, Max Juvénal, Charles Laurent, Daniel Mayer, Joseph Paul-Boncour, Christian Pineau, Roger Priou-Valjean, Robert Salmon, Pierre Segelle, et Eugène Thomas156. Le CAR est présidé par Daniel Mayer de novembre 1954 à décembre 1956, puis par Charles Laurent jusqu’en décembre 1962. Dans sa filiation directe, ils sont très actifs dans les groupes de parlementaires résistants, présidés à l’Assemblée nationale par Daniel Mayer, au Conseil de la République par Gilberte Brossolette et à l’Union française, depuis sa création en 1950, par Émilienne Moreau. Trois critères sont nécessaires pour en être membres : « avoir été résistant, ne pas éprouver le besoin de s’en excuser, et être prêt à recommencer quel que soit l’agresseur de la France157 ». Il faut donc être homologué comme résistant, ce qui, somme toute, va de soi. La seconde condition est sans doute une allusion à l’article du colonel Rémy dans Carrefour du 11 avril 1950 où, défendant la thèse du « Pétain bouclier et de Gaulle l’épée », il a ouvert la porte à des revendications en faveur du maréchal déchu. Enfin, il faut être prêts à résister aux chars soviétiques et donc ne pas appartenir au PCF. On appréciera l’art de désigner sans nommer.
59Daniel Mayer présente le CAR à la tribune du Palais-Bourbon le 7 novembre 1950, fait applaudir les membres de son bureau et conclut en demandant au nom de tous ses membres : « de ne pas les oublier eux-mêmes et d’être au moins aussi pressés de vous occuper d’eux que l’Assemblée a paru pressée, à certains moments, de s’occuper d’autres158 », faisant allusion aux débats sur l’amnistie. En 1954, Henri Ribière les représente dans les instances de la CNCVR (Confédération nationale des combattants volontaires de la Résistance), gaulliste, mais créée pour faire concurrence à l’ANACR d’obédience communiste159. Rappelons qu’ils sont aussi très présents, depuis sa fondation, à l’ANPCVV160, même si leur président, Eugène Chavant, se met en congé de la SFIO. Il faut rajouter le MNPGD (Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés), qui fusionne plusieurs formations dont le RNPG (Rassemblement national des prisonniers de guerre) de François Mitterrand le 12 mars 1944, mais à la création duquel ont participé Étienne Gagnaire et Georges Beauchamp161, et la Fédération nationale des déportés du travail, créée à la demande du parti à la Libération et présidée par ce dernier162.
60Toutes les associations auxquelles participent les socialistes inventent, par conséquent, le devoir de mémoire avant la lettre163 : elles veulent non seulement honorer la mémoire de leurs disparus et en être les porteurs dans la société, mais aussi la défendre contre les falsificateurs de l’histoire afin qu’ils ne soient pas morts en vain. Face à la résurgence de l’antisémitisme et d’une forme de néo-vichysme, le « N’Oublions jamais ! », titre du bulletin de l’Amicale de Neuengamme, devient un nouveau « Plus jamais ça ! », y compris pour défendre les droits de l’Homme et la Paix universelle. En tout cas, c’est bien ainsi que les socialistes définissent leur engagement dans ces associations. Ils font leur « le serment de la Résistance du 4 juin 1950 », prononcé à l’issue du premier congrès du CAR, et dont les attendus sont les suivants :
« Nous Résistants,
Fidèles à l’exemple de nos camarades tombés pour la libération de l’homme et de l’honneur de la France,
Fidèles à l’esprit de la Résistance qui est la révolte de la liberté contre l’asservissement de la personne humaine,
Résolus à défendre, partout et toujours, l’action de la Résistance contre les attitudes oublieuses et contre les intolérables audaces des évadés du déshonneur qui osent prétendre nous juger,
Hostiles à la vengeance, prêts à l’indulgence pour les égarés conscients de leur erreur, mais refusant la clémence aux coupables ancrés dans leur crime,
Convaincus qu’il importe pour restaurer l’esprit civique de faire connaître et partager par la nation entière les hautes aspirations de la Résistance,
Soucieux de demeurer fraternellement unis sans distinction de parti ni d’opinion, hormis ceux qui veulent davantage aujourd’hui se servir de la Résistance que la servir […]164. »
61Défendre les droits de l’homme avant ceux de la patrie, tel est, en 1950, l’objectif qu’aurait poursuivi la Résistance et que poursuit, en réalité, le CAR. Lutter contre l’occultation ou le déni de ceux qui ne veulent reconnaître ni leur dette, ni leur erreur, et donc lutter contre le mensonge et les accusations infondées est une autre de ses missions civiques. L’esprit de la Résistance est conçu comme la pierre angulaire du patrimoine républicain, ce qui va bien au-delà de la conception gaulliste qui a toujours minoré la dimension idéologique de la Seconde Guerre mondiale165. Enfin, le CAR est ouvert à tous – gaullistes, MRP, SFIO et autres, à l’exclusion implicite, là encore, des communistes. La patte des socialistes dans ce serment est évidente.
62Au Parlement, ils sont à l’initiative d’une Commission d’enquête sur les événements survenus en France de 1933 à 1945, créée par la loi du 31 août 1946166, et Le Populaire rend régulièrement compte de ses travaux. Dans leur esprit, en prolongeant le procès Pétain, il s’agit explicitement de faire table rase du procès de Riom et de réhabiliter le Front populaire. Composée de 42 membres, avec une représentation proportionnelle des groupes parlementaires et de 18 non parlementaires, au rôle consultatif, qui doivent être accrédités par le CNR, elle constitue en pratique un écosystème fragile. Certains sont accrédités, d’autres non, tels les Français libres qui n’étaient pas dans l’hexagone… De sorte que sa composition fait l’objet d’intenses débats. Lorsque Gérard Jaquet remplace le communiste Alfred Malleret-Joinville à sa tête, les communistes, entraînant à leur suite les non-parlementaires, pratiquent la politique de la chaise vide de mars à novembre 1947. Cette défection n’empêche pas Jaquet et les membres restants d’auditionner Léon Blum les 19 juin et 24 juillet et de se rendre à l’île d’Yeu pour auditionner « le maréchal félon » le 10 juillet, date qui ne peut être le fruit du hasard167. Ils participent à l’élaboration de la loi du 15 mai 1946 fixant le statut et les droits des combattants volontaires de la Résistance et adhèrent à la conception qui militarise la Résistance et qui met les deux « générations du feu », celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945, sur un pied d’égalité168. Ils font preuve de méfiance envers les résistants de « la dernière heure » qui se montrent souvent parmi les plus pointilleux. Jean-Maurice Hermann, journaliste au Populaire clandestin et chef régional puis national du réseau Brutus, adresse une réplique cinglante à la presse MRP qui présente les officiers comme les premiers résistants :
« Seule une poignée de militaires a le droit de parler aujourd’hui de ces années sombres sans rougir. Le peuple de France s’est rassemblé tout seul. Telle est la vérité, n’en déplaise au Figaro. […] Il ne faut pas qu’aujourd’hui vaincus de 1940 et dégonflards de Vichy puissent, s’abritant derrière les noms héroïques de leurs quelques collègues restés fidèles à l’honneur, se poser en libérateurs. Jamais la naphtaline ne fit pousser de lauriers169. »
Fig. 23. – « Ceux de septembre » (Grum, Le Populaire, 22 août 1946).

63Grum assimile « ceux de septembre » à d’anciens cagoulards ou miliciens en représentant leurs sigles sur le bureau d’un affairiste satisfait, identifiable à son haut-de-forme, face à un homme du peuple dépité auquel il déclare en août 1946 : « ça va bientôt faire deux ans que je suis dans la Résistance » (fig. 23). Avec la loi du 25 mars 1949, ils approuvent par conséquent la définition élitiste du statut de CVR qui ne doit récompenser que les actes les plus valeureux puisque résister relevait du devoir de tout bon citoyen170. Il s’agit également pour eux de contrer la vision communiste qui fait de la Résistance un phénomène civil et populaire débouchant sur l’insurrection nationale. Après la victoire de 1981, nous constaterons, par conséquent, une profonde évolution chez leurs successeurs.
64Le combat se durcit face aux anciens vichystes et autres exclus que l’éditeur d’extrême droite, Henry Coston, qualifie « d’opposition nationale au système171 ». Hétéroclite, à l’image de ce qu’ont été Vichy et le collaborationnisme, ce milieu rassemble, dans une communauté d’intérêts de circonstance, des hommes d’extrême droite, des déchus de la droite et du centre, et autres exclus de la SFIO, tels que les paul-fauristes. Mais ils reçoivent aussi la caution d’authentiques résistants déçus. Fin 1947, François d’Astier de la Vigerie, compagnon de la Libération, dénonce « l’épuration arme politique » et appelle à des mesures immédiates d’amnistie172. L’année suivante, le chanoine Desgranges stigmatise, dans Les crimes masqués du résistantialisme, les massacres supposés de l’épuration qui auraient fait 100 000 victimes en popularisant le néologisme dans certains milieux173. Après le 4 mai 1947, cette légende noire prospère sur le terreau anticommuniste, comme l’illustre Les nouveaux saigneurs de Mauloy, dont la carte de France sur la couverture, transpercée d’une faucille et d’un marteau, dégouline de sang174. L’indignation des socialistes est à son comble lorsque les paul-fauristes, qui ont participé à la fondation de l’Association des anciens représentants du peuple de la IIIe République en 1946, sont rejoints par des élus résistants. Présidée par le chanoine Desgranges, ancien député du Parti Démocrate Populaire (PDP) et résistant notoire, elle organise, à l’instigation de Paul Faure, un « Banquet des Mille » à la Porte de Versailles, le 14 mars 1948, avec des personnalités d’hier comme Pierre-Étienne Flandin, mais aussi d’aujourd’hui, comme Antoine Pinay. Cette manifestation provocatrice suscite une certaine émotion dans la presse et à la SFIO175. Damnatio mémoriae oblige, la nouvelle est reléguée dans la rubrique des échos « Air de Paris » du Populaire. Toutefois, Flandin et Paul Faure sont cités ainsi que le nombre de convives et le propos est au vitriol : « Ce fut une vaste foire, avec force mangeaille et force discours. Le parc des expositions était plein et l’air était chargé de relents de vieux bourgogne et de trahison176. » Il existe bel et bien une « guerre franco-française » de la mémoire.
65Dès l’automne 1946, par conséquent, les socialistes entreprennent de défendre les résistants accusés de pillages ou de crimes. Jacques Piette, « le colonel Personne », l’un des chefs de l’OCM, défend, lors de son procès, l’un de ses lieutenants FFI incarcéré pour avoir exécuté un collaborateur177. Et Marcel Roels enquête sur le maquis Surcouf de Normandie et interviewe Robert Leblanc, également poursuivi, en le disculpant178. En pleine campagne législative, il s’agit aussi de contrer le MRP en la personne du ministre des Armées, Edmond Michelet, accusé de laisser se reconstituer « une armée blanche » avec d’anciens officiers vichystes qui auraient « troqué leur francisque contre la croix de Lorraine ». Michel Morin publie une grande enquête, documentée, pour dénoncer « la maffia vichyssoise toute puissante dans l’armée de la IVe République179 ». Jean Carlier caricature Michelet en garde suisse du Vatican, avec dans son panier, une « lessive » qui « blanchit tout même les généraux » (fig. 24).
Fig. 24. – « Marchons au combat, à la gloire ! » (J. Carlier, Le Populaire, 10 novembre 1946).

66Au printemps 1947, ce sont les milieux économiques qui sont passés au crible : Henri Noguères, René Naegelen et André Fontain publient « une enquête sensationnelle » sur « Quatre ans de pillage180 ». Roger Las dénonce le culot des vichystes en montrant un milicien en uniforme qui n’hésite pas à désigner un FFI dans la rue, à un gendarme, en protestant : « Monsieur l’agent, je l’avais déjà dénoncé sur lettre anonyme en 43181. » En mars 1948, Louis-Dominique Girard publie Montoire Verdun diplomatique, aux éditions André Bonne : il est interdit par le préfet de la Seine182 – qui n’est autre que Roger Verlomme, l’ancien chef de cabinet de Roger Salengro. Un mois plus tard, ce sont les prétentions du Comité d’honneur pour la libération du maréchal Pétain, créé par ses avocats Jacques Isorni et Jean Lemaire, qui leur soulèvent le cœur183. L’Aurore ayant organisé un référendum auprès de ses lecteurs qui serait favorable à cette mesure, ils participent à la campagne de protestation du CAR184. C’est finalement Jules Moch, ministre de l’intérieur, qui demande au préfet Verlomme de mettre fin aux activités du Comité le 24 avril185.
67Ce combat, les socialistes le transportent au Parlement. En novembre 1950, Daniel Mayer dénonce publiquement, au nom du groupe, « une vague de renaissance de la haine » portée par ceux qu’il appelle « les néo-collaborateurs ». Sa liste est longue, détaillée, et révèle que les socialistes sont à la fois lucides et bien informés sur un milieu pourtant mouvant et complexe. Dans l’ordre, Mayer nomme : les revues Réalisme et Les Écrits de Paris, de René Malliavin, les éditions Jeune Europe qui publient La troisième Paix de Pierre Clémenti, condamné à mort par contumace pour trahison, Le Nouveau Prométhée, journal néo-fasciste, l’Association des administrateurs de biens juifs, deux fois dissoute, reconstituée sous le nom de Rénovation économique et sociale française, le tract « La juiverie peste de la France » diffusé selon lui à plusieurs milliers d’exemplaires en Moselle, les Amis de Robert Brasillach, créés par Maurice Bardèche, le Comité de Salut français de Tixier-Vignancour, Aspects de la France, qui remplace l’Action française, l’Association des anciens parlementaires de la IIIe République (sic), le parti travailliste français (sic), l’Union des victimes civique de Jean-Charles Legrand186, et enfin le Mouvement social d’unité française187. En décembre 1950, le groupe socialiste au Sénat propose de sanctionner « le crime d’apologie » de Vichy et de la collaboration en interdisant que l’on diffame la Résistance. Le gouvernement se refuse alors à adopter cette « loi mémorielle » avant la lettre et le convainc, au nom de la liberté d’expression, de retirer son texte188. Le groupe, cependant, revient à la charge avec un nouvel amendement proposant la saisie préventive des écrits incriminés189, pour se résoudre de nouveau à le retirer.
68Cependant, un échelon est franchi lorsqu’aux élections de juin 1951, des pétainistes, qui n’ont pas été frappés d’inéligibilité, entrent à l’Assemblée : Roger de Saivre190 (Oran) et Paul Estèbe (Gironde), tous deux anciens membres du cabinet du maréchal, Jacques Le Roy Ladurie (Calvados), son ancien ministre, et donc Jacques Isorni (Paris). Ce dernier a constitué une liste UNIR (Unité nationale et des Indépendants républicains) avec des résistants et déportés et préconise la réconciliation nationale191. Avec l’Association pour la défense de la mémoire du maréchal Pétain (ADMP), fondée en novembre 1951, ils plaident pour la réhabilitation du « vainqueur de Verdun », en reprenant la thèse d’un Pétain « bouclier », de connivence avec de Gaulle « l’épée », thèse du colonel Rémy d’avril 1950 qui les a déjà scandalisés. Au printemps 1952, les attaques contre la Résistance se multiplient. Une lettre de Charles Maurras, adressée au président Auriol, est lue au perchoir. Le groupe des députés résistants l’interprète comme « une sorte de manifeste qui voudrait réhabiliter la collaboration, la trahison et condamner la Résistance » et demande au gouvernement des mesures pour enseigner l’histoire du « sacrifice » et de « l’héroïsme » des organisations résistantes ; pour mettre en garde l’opinion contre l’incitation à la haine ; et enfin pour envisager des sanctions contre ceux qui s’y livreraient192. Il réclame l’introduction, dans les programmes scolaires du primaire et du secondaire, de l’histoire de la résistance intérieure et extérieure, projet qui reste sans suite, ainsi qu’une véritable politique de commémoration des combats de la Résistance193.
69Au CAR, les socialistes sont plus actifs que jamais en s’investissant dans ses instances et ses publications, telle que Voix de la Résistance. Avec Henri Noguères, ils documentent, en particulier, l’enquête menée contre l’agence de presse collaborationniste Inter-France puis, après son procès en juin 1949, contre « la presse acquittée194 ». En menant la campagne contre Maurice Bardèche et son Nuremberg ou la terre promise (1948), Jean-Pierre Bloch offre une session de rattrapage à l’affaire Rassinier, même si la procédure se solde par une relaxe du négationniste en 1953195. La même année, le CAR se porte partie civile dans l’affaire des « Loups de France », où Jean-Louis Tixier-Vignancour et La Corrèze républicaine et socialiste ont accusé les Francs-Tireurs d’avoir « autorisé l’ennemi » à commettre le massacre de Tulle le 9 juin 1944196. En 1954, il s’oppose à la campagne de l’ADMP pour obtenir le transfert des cendres de Pétain à Douaumont197. En 1960, Léon Boutbien, devenu vice-président du CAR, anime, avec André Boissarie et Marie-Madeleine Fourcade198, une conférence de presse pour alerter sur la réapparition du néo-nazisme et de l’antisémitisme, laquelle est relayée par Démocratie, le nouvel organe du parti199. Parallèlement, au sein de la FNDIR, les socialistes s’associent à l’initiative du CNCVR et du Réseau du Souvenir pour obtenir la création d’un concours national de la Résistance, lequel est instauré à partir de 1961.
70Enfin, d’une manière plus discrète mais non moins efficace, les historiens socialistes s’emparent de l’objet « Résistance » et l’historicisent en dignes héritiers de L’Étrange défaite de Marc Bloch. Les travaux de Laurent Douzou ont montré le rôle des divers organismes où ils exercent d’importantes responsabilités sans insister sur leur appartenance politique pour la simple et bonne raison qu’ils n’en font eux-mêmes déontologiquement pas état à l’époque200. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont liés au parti et qu’ils collaborent à sa presse, laquelle en retour évoque leurs travaux. Dès le 20 octobre 1944, le GPRF crée la Commission d’histoire de l’occupation et de la libération de la France (CHOLF) qui, sous la direction du professeur des universités Édouard Perroy201, est chargée de rassembler les archives, y compris orales, nécessaires à l’écriture de l’histoire de cette période. Un autre militant, Georges Bourgin, directeur honoraire des Archives nationales, en est l’initiateur202. Le 6 juin 1945, le gouvernement Gouin crée le Comité d’histoire de la guerre (CHG) auprès de la présidence du gouvernement afin de coordonner les travaux en France et de centraliser les recherches des pays alliés. Présidé par Lucien Febvre, ce comité intègre notamment trois historiens socialistes qui y jouent un rôle majeur : Henri Michel, en tant que secrétaire général, Georges Bourgin, aux sous-commissions de la bibliographie et des archives, et Odette Merlat comme cheville ouvrière203. Bourgin présente le CHG dans La Revue socialiste et fait écho à la célèbre formule de Lucien Febvre en 1919 contre les positivistes, « une histoire qui sert est une histoire serve », avec celle-ci : « Si, alertée par tous ces Comités et Commissions, la vérité ne sort pas de son puits – c’est qu’elle a honte de sa nudité, ou est excédée d’être tellement sollicitée. Sollicitée ? On sait la valeur du terme en méthode historique204. » En janvier 1946, au lendemain de la démission fracassante du Général, Odette Merlat et Édouard Perroy publient « Esquisses d’une histoire de la Résistance française » où, volontairement ou non, Pierre Brossolette est présenté comme le grand artisan de l’unification des organisations résistantes en éclipsant Jean Moulin205… Bourgin définit « la pensée politique de la Résistance » en militant, en s’appuyant sur les travaux de la CHOLF et l’histoire du mouvement ouvrier :
« La Résistance a été patriotique. C’est-à-dire qu’elle a organisé la lutte contre les occupants et contre ceux qui les soutenaient. Et ça été une tâche magnifique et sanglante dont tout le détail est loin d’être connu en dépit des efforts de notre Commission de l’Histoire de l’Occupation et de la Libération. […] Or, quoi qu’en disent les négateurs de l’histoire, rien ne se perd totalement du passé révolu, et cette tradition de patriotisme, qu’on retrouve tout au long de l’évolution du socialisme […], il est naturel qu’on la retrouve dans la Résistance206. »
71En écrivant ceci dans Le Populaire, il montre que la frontière entre historien socialiste et socialiste historien est fragile. À l’automne 1950, Marie Granet rend compte de la participation du CHG au premier Congrès des historiens de la Seconde Guerre mondiale, qui se tient à Amsterdam du 5 au 9 septembre, dans La Revue socialiste207. En décembre 1951, la CHOLF et le CHG fusionnent pour créer le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale (CH2GM), présidé par Lucien Febvre208. On y retrouve Georges Bourgin, Ernest Labrousse et l’administrateur général de la BnF, Julien Cain – qui n’est pas un militant mais un ami de Blum – comme vice-présidents, Henri Michel comme secrétaire général, Odette Merlat et Marie Granet pour la collecte des témoignages. Déjà doté de la Revue de la Seconde Guerre mondiale dirigé par Michel, en 1954, le CH2GM soutient aussi le lancement d’une collection « Esprit de la Résistance » aux PUF, qui compte cinq socialistes dans son comité de patronage de vingt-et-un membres : Daniel Mayer, Paul-Boncour, André Philip, Christian Pineau et Robert Verdier. Elle est dirigée par Mayer et Michel, au côté du constitutionnaliste antibolchevique Boris Mirkine-Guetzévitch. Mayer s’engage, à terme, à y publier une étude sur le parti socialiste clandestin, ce qu’il fera en 1968. En 1955, le CH2GM décide de créer une commission d’histoire de la Résistance pour faire face à l’abondance de la documentation avec, entre autres, Marie Granet. Parmi les personnalités invitées à rejoindre la Commission, telles Marie-Madeleine Fourcade, Henri Frenay ou Maxime Blocq-Mascart, Henri Ribière représente Libération-Nord et les socialistes. Daniel Mayer, qui a rejoint le CH2GM en février 1956, prend la tête de cette commission.
72Mais les historiens socialistes entreprennent également de faire œuvre de vulgarisation et donc d’éducation. En 1947, Odette Merlat et Georges Bourgin publient une Histoire de la Libération de la France racontée à la jeunesse 1940-1945, album richement illustré par Pierre Perichon-Meslay, qu’ils signent en tant que vice-président et secrétaire générale adjointe de la CHOLF209. Ils y conçoivent la Résistance comme « la réaction d’un corps sain face à un microbe », prenant le contre-pied du discours hygiéniste du régime de Vichy contre l’Anti-France. Le peuple trahi par Pétain, retrouvant l’espérance à l’écoute du général de Gaulle, entre tout entier en résistance : « bien maladroitement, bien humblement, la France se couvrit d’un réseau de conspirations aux mailles encore distendues, trop souvent dévasté par les arrestations et les fusillades ». Ils n’hésitent pas, en effet, à détailler les tortures infligées par la Gestapo aux « héros et martyrs » et à louer leur sacrifice, en donnant pour exemple celui de Pierre Brossolette. Ils explicitent aussi « la mort lente » des juifs de France dans les camps qui n’y échappent que pour être jetés « dans les chambres à gaz et fours crématoires », sans pour autant utiliser le concept de « génocide » qui n’apparaîtra dans les programmes scolaires que bien plus tard. Ni la répression, ni la Shoah ne sont donc édulcorées dans ce livre pour enfants, mais la Résistance y est présentée comme un phénomène majoritaire et sur un mode héroïque qui ne dit rien de ses contradictions, dissensions et erreurs. En 1950, Henri Michel publie, dans la collection « Que sais-je ? », une Histoire de la Résistance pour le grand public et, en 1955, joue le rôle de conseiller historique pour le film d’Alain Resnais Nuit et Brouillard210.
73Ce souci de contribuer à l’écriture de l’histoire et à sa diffusion ne peut surprendre dans une famille politique qui se réclame du matérialisme historique et traditionnellement attachée à cette discipline qui fait partie de la formation des militants. La Résistance, en tant que moment de l’histoire du mouvement ouvrier et de la République, se doit donc d’être étudiée et enseignée.
74Aux yeux des socialistes, la guerre contre les fascistes, les pétainistes et autres néo-vichystes n’est pas terminée et c’est bel et bien d’une « guerre franco-française » de la mémoire qu’il s’agit. Comme Andromaque, ils refusent d’oublier les sacrifices des martyrs de la Résistance afin qu’ils ne soient pas morts en vain. Alors qu’ils étaient dispersés dans les différents mouvements et réseaux, c’est la Résistance prise comme un tout qu’ils entendent défendre, tant son honneur lorsqu’elle est injustement accusée que son héritage idéologique. À cette fin, ils utilisent toutes les associations qu’ils intègrent en fonction de leur engagement dans la clandestinité, conformément à une tradition socialiste bien établie d’irrigation du tissu social. Ils ont aussi recours à toutes les tribunes du Parlement. Ce combat sur le terrain ne semble jamais prendre fin et les socialistes se relaient au CAR, au-delà de leur scission de 1958, pour ne pas baisser la garde. C’est donc sans doute dans le champ historien que les socialistes impriment finalement le plus durablement leur marque ; et si l’on n’a pas encore souligné à ce jour leur appartenance politique, c’est qu’ils ont d’abord été des historiens.
Impossible oubli, impossible pardon ?
75Au sein de leur propre formation, les socialistes ont été très réticents à oublier les erreurs et les fautes – comme nous l’avons vu. Lors du conseil national de 1950 qui réintègre plusieurs parlementaires défaillants du 10 juillet, Léon Boutbien regrette cette « absolution » parce que « ce qui a fait à une certaine époque l’une des forces morales du parti s’est, avec le temps, un peu dissipé211 ». Or dans le pays, nombreux sont ceux qui souhaitent refermer « la parenthèse de Vichy » pour réconcilier la nation grâce à l’amnistie. Or celle-ci signifie aussi l’oubli, a-mnésikakein signifiant « ne pas se rappeler212 ». La première amnistie a eu lieu à Athènes, en 403 av. J. -C., lorsque Thrasybule demanda à chaque citoyen de prêter serment de ne plus jamais se souvenir des Trente Tyrans. Ni pardon ni réhabilitation, l’amnistie décrète ainsi que l’événement n’a pas eu lieu, ce qui permet, en cas de guerre civile, de sortir définitivement du conflit et de vivre à nouveau ensemble. Cependant, si l’amnistie semble, là encore, la seule solution juridique pour ramener la paix civile, elle n’a pas le même sens selon les cultures politiques et leur hiérarchie des valeurs. Pour les tenants de la raison d’État, la nécessité vitale de ressouder le corps de la nation exige l’amnistie, y compris des crimes : en d’autres termes, la fin justifie les moyens. Pour les tenants des principes universels de la République, cette amnistie ne peut s’étendre à ceux qui les ont bafoués ; elle ne peut en aucun cas être collective et doit s’appliquer au cas par cas. C’est pourquoi le MRP, favorable à une amnistie générale, en appelle aux valeurs chrétiennes du pardon, alors que les socialistes lui rétorquent celles de la Justice. Au-delà, où « fixer la limite où il devient nécessaire que le passé s’oublie pour ne pas enterrer le présent213 » ? Il faut, enfin, maintenir le délicat équilibre entre l’allié MRP – du moins jusqu’en 1951 – et le rival communiste, entre ce que la SFIO considère comme les commandements des Évangiles du premier et la surenchère robespierriste du second.
76Avant les débats sur l’amnistie proprement dite, deux affaires annoncent les difficultés à venir. Le 20 décembre 1945, Camille Laurens, député RAPS du Cantal, est invalidé par ses pairs pour avoir porté la francisque. Le Populaire s’en réjouit, cite la diatribe de Gérard Vée qui l’a accusé en tribune d’avoir appartenu à « l’organisation fasciste » de la corporation paysanne et omet de dire que 29 % des députés SFIO ont préféré s’abstenir214. Serait-ce par indulgence ? Le 5 juillet 1946, les députés refusent, au contraire, l’invalidation de Paul Reynaud, réclamée par les communistes au nom de sa politique en juin 1940. Cette fois-ci, ce sont 32 % des SFIO qui ne prennent pas part au vote alors que le groupe choisit de soutenir l’ancien ministre215. D’une part, ces deux indisciplines – sans conséquences sur le vote final – montrent que tous n’ont pas la même appréhension de la gravité de la faute passée. D’autre part, lorsque l’on examine les votes de chacun, on constate qu’ils se montrent plus indulgents envers Reynaud, inculpé à Riom avec Blum, qu’envers Laurens qui a porté la francisque. Le moindre signe d’obéissance ou d’adhésion au régime de Vichy est, en effet, une circonstance aggravante à leurs yeux. En octobre 1946, ils veulent frapper d’inéligibilité tous ceux qui l’ont portée ; mais la droite les soupçonne fortement de chercher à évincer des prochaines législatives le maire du Havre nommé par le gouvernement de Vichy, le républicain indépendant Pierre Courant qui, reconnu comme résistant par son CDL, siège alors parmi eux dans l’hémicycle216 ! La manœuvre est maladroite et ils doivent retirer leur projet. Notons qu’à cette date, celui pour qui Jean-Pierre Azéma a défini le concept de « vichysto-résistant », François Mitterrand, n’est pas encore député ; il n’est élu qu’un mois plus tard.
77En revanche, sur l’amnistie des « délits dus aux misères de la guerre ou à la lutte contre Vichy », soit aussi bien le marché noir que les réquisitions forcées perpétrées par les maquis, accordée par loi du 16 août 1947, les socialistes savent se montrer plus conciliants. En avril 1946, Adrien Mabrut, rapporteur de la Commission de la Justice, décrit les cinq années « les plus tragiques » de l’histoire de France, « pendant lesquelles le comportement de nombreux hommes fut soumis à tant d’épreuves, pendant lesquelles le discernement du bien et du mal apparut différent suivant les longitudes ou les radios », comprenons Radio-Paris ou la BBC. Arguant, en outre, que nombre d’entre eux « ont su racheter leurs fautes » en rejoignant ensuite la Résistance, il défend donc une « loi de pardon217 ». Et au Conseil de la République, en juillet 1947, Antoine Courrière, au nom du groupe, invite à ne pas infliger de trop lourdes amendes pour profits illicites aux petits artisans obligés de travailler quelques jours pour les Allemands218. Les socialistes jugent donc l’accommodement économique avec bien plus de mansuétude que la responsabilité politique, d’autant que les classes moyennes constituent un électorat à ne pas négliger. De même, sur l’amnistie à accorder aux moins de 21 ans pour faits de collaboration, si la jeunesse ne peut constituer à leurs yeux une circonstance atténuante219, en août 1947, ils acceptent toutefois de se montrer moins sévères que les communistes, en introduisant un amendement en faveur de ceux qui « se sont rachetés par l’impôt du sang, en combattant dans les armées de la Libération et qui ont obtenu une citation220 ». Cette clémence permet à la SFIO de se démarquer de l’intransigeance du PCF et de faire un geste envers la jeunesse qu’elle a bien du mal à se rallier. Toutefois, cette question du degré de responsabilité se pose à nouveau avec les anciens-combattants mutilés de guerre, dont Georges Scapini, ministre du gouvernement de Vichy, reste la figure repoussoir. En novembre 1948, un amendement pour les amnistier est déposé par un député du Parti Républicain de la Liberté (PRL), Louis Rollin. Il reçoit le soutien éloquent de Marc Sangnier (MRP) mais sa demande est rejetée par la gauche unanime – une fois n’est pas coutume –, Rachel Lempereur déclarant qu’ils « en avaient peut-être moins le droit que d’autres, parce qu’ils avaient été de grands patriotes et de grands combattants221 ».
78Si « l’amnistie n’est pas l’oubli » comme ils se plaisent à le répéter, les socialistes ont réussi jusque-là à maintenir un équilibre entre leurs principes et leur réalisme politique. À partir de 1950, le débat sur l’amnistie générale pour faits de collaboration crispe leur mémoire et grippe leur capacité de conciliation.
79Les débats qui président aux deux lois d’amnistie, celle du 5 janvier 1951 et celle du 5 août 1953 qui, en particulier, relève de leur inéligibilité les parlementaires défaillants du 10 juillet, ont déjà été étudiés222. À l’analyse, il convient cependant de souligner que les socialistes se sont battu pied à pied pour amender les deux textes et faire prévaloir leurs principes. Selon eux, une amnistie générale consisterait à oublier les erreurs passées et, par conséquent, à déresponsabiliser et réhabiliter le régime de Vichy et la collaboration. Certes, ils ne veulent pas se laisser déborder par les communistes qui jouent les Saint-Just. Mais au-delà, ils défendent une conception de la réconciliation nationale qui exige que justice soit faite. Ils ne peuvent adhérer à celle des démocrates-chrétiens, présentée par le rapporteur du nouveau projet, Joannès Charpin (MRP), qui définit l’amnistie comme « l’oubli consenti dans une pensée de concorde et d’opportunité », en un « geste conforme à nos traditions nationales223 ». En ce sens, comme l’avait déjà déclaré Waldeck-Rousseau en 1900 : « L’amnistie ne juge pas, elle n’accuse pas, elle n’innocente pas, elle ignore », ce qui signifie qu’elle oblitère les événements incriminés224. Celle des Communards est d’ailleurs régulièrement alléguée comme jurisprudence, ce qui suscite à chaque fois l’indignation de toute la gauche. Les Communards étaient des patriotes, ce dont ne peuvent se targuer les collaborateurs.
80Tout au long des débats, les socialistes, plutôt que l’amnistie collective, qu’ils jugent aveugle, préconisent des grâces individuelles, conformément à la décision de leur congrès de juillet 1949. Car l’oubli ne favorise pas le repentir : « En général, le pardon est fait pour les pécheurs qui se repentent. Où sont aujourd’hui les pécheurs repentants ? » s’interroge Jean Geoffroy face à la morgue des pétainistes qui trouvent journaux et éditeurs pour s’exprimer225. C’est dans ce contexte qu’Albert Aubry intervient avec une émotion d’autant plus remarquée qu’il s’agit d’un homme respecté pour sa pondération. Mutilé de 14-18, résistant et déporté, il entremêle les mémoires de ses deux guerres pour clamer son dégoût et son indignation envers les traîtres emprisonnés et compare leur situation avec celle des poilus dans les tranchées et celle des résistants déportés qui étaient, eux, des patriotes. En un raccourci saisissant, il assimile poilus et résistants pour dire que si on l’avait laissé, lui et ses camarades, se faire justice eux-mêmes, les premiers « des profiteurs et mercantis », les seconds des collaborateurs, leur justice aurait été expéditive. Vivement applaudi, interrompu par le président pour ses écarts de langage, il décrit la peur qui faisait « trembler la carcasse » des uns, les tortures et actes de barbarie endurés par les autres pour supplier ses collègues de ne pas accorder une « amnistie trop généreuse226 ». Après bien des débats et amendements, ils obtiennent la réduction du champ d’application et votent la loi du 5 janvier 1951.
81Cependant, l’assemblée élue en juin est plus à droite que la précédente et permet l’entrée au Palais-Bourbon – on l’a vu – de pétainistes. Les attaques contre la Résistance et l’épuration ont défrayé la chronique ; le climat s’est tendu. Pour tenter de calmer les esprits, Georges Bidault propose un préambule à la loi qui rende hommage à la Résistance, ce qui agace les socialistes. « La Résistance n’a pas besoin de cet hommage. Elle a l’Histoire pour elle, l’Histoire qui la jugera ! », s’écrie Jean Geoffroy, ancien déporté de Buchenwald227. En dépit de leurs efforts pour modifier le texte et, en particulier, obtenir son élargissement aux événements survenus outre-mer, ils doivent refuser la loi du 6 août 1953 avec les communistes. Daniel Mayer s’en explique à l’Assemblée :
« Il ne s’agit ni de ressentiment, ni de vengeance, ni de haine. Les sentiments, après onze ou douze ans passés, que l’on peut avoir à l’égard des collaborateurs, relèvent beaucoup plus du mépris que de la haine. […] Tout ce qui a été écrit dans la presse des collaborateurs, cela, je vous l’affirme, ne relève pas du tout ni du remords, ni du repentir, ni même du silence qui serait la forme la plus digne et la plus élevée du repentir. Non, c’est la revanche, et cette revanche donne à la loi que vous êtes en train de voter un caractère symbolique228. »
82Et Roger Carcassonne confie au Sénat : « Nous nous demandons avec angoisse si nous ne verrons pas un jour prochain le cortège triomphal du transfert de Pétain à Douaumont ou la réhabilitation complète de Laval », avant de conclure : « Français, vous avez la mémoire courte229 ! » Bien qu’ils soient attachés à la laïcité et loin d’être tous libres penseurs, nous avons vu que les socialistes utilisent le registre de la faute, ce même registre dont ils en ont fort usé dans l’épuration de leur propre parti. En revanche, ils restent sourds aux arguments des chrétiens-démocrates qui, tout au long des débats, les enjoignent d’accorder le pardon230. L’oubli n’a pas ici le même sens : pour ceux qui défendent l’amnistie, il s’agit d’oublier les fautes passées ; pour les socialistes, les collaborateurs doivent sombrer dans l’oubli, comme les paul-fauristes au sein de la SFIO. Pardonner serait oublier leurs victimes et, par là même oublier, ce pour quoi des résistants se sont sacrifiés : la République et ses valeurs. Le culte des héros et martyrs et la sacralisation de leur mémoire risquent de devenir de vains rites conjuratoires si l’on permet à leurs bourreaux et à leurs complices de revenir sur la scène politique alors qu’ils occupent déjà la scène médiatique. À défaut de repentir, ils auraient voulu que les criminels reconnaissent leurs responsabilités, à l’image des Commissions de Vérité et de Réconciliation instaurées en Afrique du Sud dans les années 1960. Mais la justice transitionnelle, telle qu’elle se développera dans divers pays comme le Rwanda, n’existe pas encore et il n’y a pas eu de guerre civile au sens propre du terme en France231. En 1953, les socialistes restent convaincus que « la guerre franco-française » n’est pas terminée et que cette amnistie, loin de réconcilier la nation, ne peut qu’encourager l’extrême droite.
83En 1953, les socialistes jouent les Cassandre et ressentent la loi du 6 août comme un sérieux revers. La rocambolesque équipée de la dépouille de Pétain, dérobée à l’île d’Yeu sans jamais atteindre Douaumont en février 1973, peut prêter à sourire. En revanche, la création d’Ordre nouveau en 1969, puis du Front national de Jean-Marie Le Pen en 1972 montrent que leur crainte n’était pas totalement infondée.
84Les socialistes se veulent fidèles à leurs idées, leurs amis et leurs morts. Cette fidélité à leur passé a une indéniable composante morale qui peut parfois se teinter de connotations religieuses. Pour rendre justice aux protagonistes de leur passé, ils refusent l’oubli, se privant par là même, comme l’a montré Paul Ricœur, de la mise à distance qui seule permet à l’immémorable d’exister et à la mémoire d’être apaisée232. Dans le cas de la République espagnole, c’est leur mauvaise conscience qu’ils entretiennent, laquelle est partagée par la gauche européenne, et qui les conduit à œuvrer sans relâche pour l’isolement diplomatique du régime franquiste. Le traumatisme de la non-intervention dans la guerre civile en 1936 tend à s’estomper au profit d’un long compagnonnage avec les républicains espagnols exilés. En revanche, chez les socialistes, l’Occupation et le régime de Vichy constituent un passé qui ne peut pas passer233. À la différence de la guerre civile espagnole, pendant la Seconde Guerre mondiale, le parti s’est irrémédiablement fracturé, a failli disparaître et n’a pu renaître de ses cendres que par cette volonté de ne pas oublier la faute originelle du 10 juillet 1940 contre la République. Dispersés dans la Résistance, ils doivent la prendre comme un tout et en faire un événement fondateur de leur identité retrouvée qu’ils disent rénovée. Comme l’amnistie du 6 août 1953 signifie à leurs yeux l’amnésie collective, elle devient un déni de justice et de vérité qu’ils ne peuvent tolérer et qu’ils vivent comme un appel à la vigilance. Grâce au CAR, ils ne baissent d’ailleurs pas la garde. Il n’est donc pas surprenant – même si l’on a tendance à l’oublier – qu’aux lendemains de la Libération, ce sont surtout des historiens socialistes qui portent le travail de mémoire sur la Résistance en constituant un corpus de sources et de méthodes encore incontournables pour les historiens d’aujourd’hui.
Occuper le terrain mémoriel
85Depuis que Pierre Nora a comparé la mémoire communiste à la mémoire gaulliste, la tentation est grande de penser, comme Malraux en 1949 aux Assises du RPF, que : « Il y a nous, les communistes et rien234. » La réalité est plus complexe, même s’il est indéniable que ce duel polarise la mémoire nationale. Ce n’est pas parce que les socialistes ont échoué à faire jeu égal qu’ils baissent les bras, et leurs stratégies et pratiques sont d’autant plus intéressantes à analyser qu’ils ne disposent pas des meilleurs atouts. Leurs relations à de Gaulle et au PCF, en outre, évoluent fortement en 1946-1947 et leur occupation du terrain mémoriel ne doit pas être évaluée à la seule aune des deux premières années de la Libération. Ils doivent, en effet, cultiver leur geste de gauche, commémorer eux aussi la Commune et le 12 février 1934 en dépit des tentatives hégémoniques du PCF d’incarner à lui seul « la rue ». La tâche est rendue d’autant plus difficile que leurs effectifs sont plus réduits. En revanche, ils trouvent le talon d’Achille du PCF lorsqu’ils entreprennent de démonter la construction mythique qu’il fait de sa propre histoire pendant la guerre. Quant à l’homme du 18 juin, lorsque la loyauté à son égard n’est plus de mise, ils cherchent là encore le moyen de lui faire contrepoids dans les commémorations. L’élection d’un président socialiste en 1947, doté des fastes du protocole républicain, est à cet égard bienvenue. Pour sortir de la guerre, enfin, la société a besoin de faire son deuil. Or, on a vu que les rites funéraires pouvaient non seulement être différés dans le temps avec la découverte ou le retour tardifs des corps, mais aussi faire ricochet avec l’inauguration de noms de rues, de plaques ou de monuments. Il s’agit alors de changer d’échelle d’observation et d’analyser ce qui se passe dans les conseils municipaux.
Geste de gauche et « croisade de la vérité » face aux communistes
86Depuis la scission de Tours, socialistes et communistes entretiennent une relation conflictuelle, d’attraction et de répulsion mêlées. L’espoir sincère de certains d’entre eux de reconstituer l’unité de « la vieille maison » après la Libération montre à quel point la fascination exercée par le PCF reste forte. Lorsqu’en 1994, Daniel Mayer explique pourquoi l’union de la gauche des années soixante-dix ne pouvait pas fonctionner après la guerre, il rappelle que non seulement les communistes étaient à cette époque plus nombreux et plus forts, mais aussi que les députés SFIO calquaient leurs votes sur ceux de leurs concurrents communistes jusqu’en 1947, pour, ensuite, voter systématiquement le contraire. « Autrement dit, conclut Mayer, ils ont toujours eu une sorte d’ascendant exemplaire, que cet exemple soit à suivre ou à rejeter235. » Or ce constat, Léon Blum le fait déjà, cinglant, à la fin du congrès qui écarte l’équipe issue du parti clandestin pour la remplacer par celle de Guy Mollet :
« Je crois que dans son ensemble, le Parti a peur, il a peur des communistes, il a peur du qu’en dira-t-on communiste. C’est avec une espèce d’anxiété timorée qu’il se demande : “Comment vont voter les communistes, que dira le journal communiste si j’agis de telle ou telle façon ?” La polémique et le dénigrement communistes agissent sur vous, vous gagnent à votre insu et vous découragent car la force intérieure manque pour lui résister236. »
87Dans son propos, il ne désigne ni la politique ni les pratiques mémorielles du parti ou de ses militants, mais une intériorisation du « dénigrement ». Ce travail de sape remonte à l’entre-deux-guerres avec l’idée que le PCF a toujours été plus ouvrier et plus révolutionnaire. Désormais, sous l’Occupation, il aurait été plus résistant et plus héroïque. Les socialistes entretiennent donc un véritable complexe d’infériorité à l’égard de leur éternel rival. Tant que dure l’espoir d’une unité au moins d’action jusqu’à l’automne 1946237, ils restent sur la défensive. Après la crise du 4 mai 1947 qui met fin au Tripartisme, « fils bâtard de la Résistance » selon Henry Rousso, ils se libèrent et tentent de reprendre le contrôle de la geste de gauche. Quant à leurs attaques du passé des communistes, elles prennent un air de croisade. Les socialistes ont le sentiment que l’histoire leur donne enfin raison.
88La phase de non-agression se traduit d’abord par la reconnaissance appuyée de la dette envers l’URSS. En 1945, le 22 juin 1941 est célébré comme le tournant de la guerre qui « scellait le destin de l’Allemagne » et Charles Dumas loue le courage et le sacrifice du peuple Russe238. En juillet, Léon Blum va même jusqu’à reconnaître « le génie » de Staline mais pour avouer aussitôt qu’il s’en méfie239. En fait, le ton est donné : les socialistes reconnaîtront toujours la dette des Alliés envers le peuple russe, voire « l’Armée rouge », comme le fait avec solennité le président de l’Assemblée Vincent Auriol en février 1946240. Ils n’en demandent pas moins aux Soviétiques de respecter les libertés et de jouer le jeu de la sécurité collective, comme le dit, sans ambages, Daniel Mayer au 2e congrès de l’Association France-URSS241. Commémorer ensemble des moments fondateurs de l’histoire du mouvement ouvrier apparaît alors plus efficace. La dimension performative de ce type de rituels est en effet essentielle.
89Cette phase s’accompagne ensuite d’une unité d’action pour commémorer la lutte contre la réaction et le fascisme en France, en tricotant, de la Commune au 6 février 1934, les fils d’une guerre civile qui ne dit pas son nom. Le premier épisode est un lieu de mémoire pour la gauche, mais il existe des nuances au sein du mouvement ouvrier. Si « la semaine sanglante » a pu laisser un remords dans la conscience républicaine au point que Vincent Duclert parle de « défaite victorieuse » de la Commune242, les socialistes commémorent à part égale la proclamation de la République le 4 septembre, quand les communistes mettent surtout l’accent sur la répression243. Quoi qu’il en soit, les historiens socialistes de l’événement, tels Amédée Dunois et Georges Bourgin, un proche d’Édouard Dolléans, entretiennent le souvenir de la Commune dans les cours de formation des militants244. Dès le 24 août 1944, en pleine libération de Paris, les socialistes de la Seine avec les dirigeants du parti clandestin fleurissent le mur des fédérés pour rendre hommage aux « héros et martyrs » de la guerre inachevée. Prennent-ils de court les communistes ? En tout cas, L’Humanité n’en dit pas un mot et n’évoque pas le souvenir la Commune245. C’est le dimanche 11 février 1945 qui offre la première occasion de célébrer ensemble « la victoire de la République sur le fascisme », en souvenir du 12 février et du Rassemblement populaire, place de la République à Paris et en province. Les socialistes jouent le jeu. Pour appeler les Parisiens à se mobiliser, Paul Ordner représente une Marianne brandissant d’une main une croix de Lorraine et de l’autre la date de la manifestation, et foulant aux pieds, de gauche à droite, la croix à tête de mort des Croix de feu, le PPF, la croix gammée, le faisceau fasciste, la fleur de lys royaliste, la francisque de Vichy, la Cagoule, et le sigle de la Milice (fig. 25). Et Robert Fuzier d’écrire : « Comme il y a onze ans, le peuple de Paris manifestera cet après-midi place de la République » avec en arrière-plan la statue, au premier plan une foule déployant des drapeaux tricolores et, à parité, deux drapeaux communistes et deux socialistes246. Le 12 février, les photographies du journal seront cadrées de même, alors que L’Humanité se contente d’un ouvrier à casquette et d’un col blanc à cravate portant ensemble une grosse gerbe de fleurs pour appeler à manifester, tout en reproduisant une image du comité directeur du PCF247. Incorrigibles, les socialistes ont oublié l’art communiste de « plumer la volaille socialiste » ! (Fig. 25, 26 et 27.)
Fig. 25. – « 12 février1934, 11 février 1945 » (P. Ordner, Le Populaire, 10 février 1945).

Fig. 26. – « Comme il y a onze ans » (Robert Fuzier, Le Populaire, 11 février 1945).

Fig. 27. – Photographie de la manifestation du 11 février 1945, Le Populaire (13 février 1945).

90La pluie battante détruit les insignes en papier épinglés à la boutonnière, vendus au profit des œuvres militaires du CPL, mais elle n’entame pas – comme il se doit – la détermination de tous. Ils seraient « 250 000 » à défiler avenue de la République et boulevard Magenta pour « barrer la route au fascisme » d’après les deux journaux. En réunissant les dirigeants, élus et Jeunes du PCF, de la SFIO, du parti radical-socialiste et de Jeune République, les rédactions du Populaire et de L’Humanité, la CGT et autres unions syndicales, les associations d’anciens combattants telles l’ARAC et la Fédération républicaine des combattants, les Ligues avec la LDH et la LICA, et en y ajoutant les délégations de républicains espagnols et du Bund, les mouvements de Résistance tels le MLN, Libération-Nord, le Front national, Ceux de la Résistance, l’OCM, le MNPGD, et les associations des victimes du racisme et du nazisme248, cette manifestation reproduit les contours de celle du 12 février 1934 avec le calque de la Résistance en surimpression. Elle construit un continuum historique qui permet aux communistes d’enjamber la séquence délicate d’août 1939 à juin 1941, et aux autres forces de gauche, dont les socialistes, d’exprimer leur profond attachement à la République. On brandit des drapeaux : des tricolores, des rouges, des rouges à faucille et marteau et même des violets et or espagnols ; on fleurit d’abondance la statue de la République ; on chante La Marseillaise et L’Internationale, mais aussi La Carmagnole et Le Temps des cerises. La guerre n’est pas finie et les haut-parleurs diffusent les hymnes de tous les Alliés249. Les grandes villes de province sont à l’unisson. Le lendemain, Marcel Cachin y voit les prémices du « Parti ouvrier français » qu’il appelle de ses vœux et, à lire le compte rendu, le cri le plus entendu est celui d’unité250. Refermer la parenthèse ouverte à Tours en absorbant la SFIO, tel est l’un des objectifs de la commémoration pour le PCF. En outre, jouant le jeu de l’union nationale, il tient à s’afficher en parti républicain et patriote, et il trouve chez ses partenaires une caution bienvenue. Le Populaire, quant à lui, y voit réaffirmées « la foi et la force invincible » des patriotes et républicains.
91Trois mois plus tard, l’Allemagne hitlérienne vaincue, l’anniversaire de la Commune offre une nouvelle opportunité de jouer l’union commémorative, cette fois-ci à la seule échelle de la Seine, le 27 mai, au mur des fédérés. Ce sont Gérard Jaquet pour la SFIO et Raymond Bossus pour le PCF qui organisent le défilé commun « en vertu des décisions du comité d’entente251 ». Au moment même où l’appel est lancé par Le Populaire le 10 mai, les deux partis s’affrontent par voie de presse sur le second tour des élections municipales en s’accusant mutuellement de ne pas jouer le jeu de l’union252. La commémoration au Père Lachaise est donc aussi une opération de ravaudage. Selon Le Populaire, en apportant « aux combattants de la Commune, l’hommage des combattants de la Résistance », il s’agit de réhabiliter l’insurrection parisienne « diffamée » et « calomniée », car « l’Histoire […] l’a montrée telle qu’elle fut : républicaine et patriotique ». Tandis que les « Communards incarnaient au premier chef, avant même que le mot n’existât, l’esprit de la Résistance », « la collaboration naquit ce jour-là253 ». À l’exception des radicaux, les organisations représentées sont les mêmes que le 11 février, auxquelles s’ajoutent, tout juste créées, les associations de déportés, telle la FNDIRP, et des camps, avec leurs survivants « en tenue rayée si possible254 ». La manifestation dure sept heures, le double de celle du 11 février, toujours sous la pluie, et de grands portraits des Communards sont portés en procession. Des « charrettes à bras transportant des mannequins » de Thiers, Pétain et Hitler pendus par « une charmante jeune fille » en Marianne, des jeunes déguisés en « soldats de la Révolution », et de tout petits enfants en « nations alliées » donnent une dimension carnavalesque autorisée par la victoire. Selon Robert Verdier, ce rassemblement signifie la volonté du peuple de ne pas se faire « escamoter sa victoire » sur « les Versaillais de 1940 » et, selon André Marty, celle d’obtenir l’application immédiate du programme du CNR et, surtout, une sévère épuration255. L’Humanité cadre, d’ailleurs, les pancartes « Pétain au poteau » et autres slogans vengeurs dans son reportage photographique (fig. 28)256. Les militants parisiens de la SFIO et du PCF tentent de prolonger l’expérience unitaire en organisant, un mois plus tard, une veillée commune dans la nuit du 17 au 18 juin à Montmartre pour les « Martyrs de la Commune et de 1871 et les héros de la Résistance », car là réside enfin le dernier enjeu mémoriel : marquer l’antériorité du combat de la gauche, héritière du 18 mars 1871, sur l’homme du 18 juin.
Fig. 28. – Photographie de la commémoration de la Commune, L’Humanité (29 mai 1945).

92À la mi-janvier 1946, le comité d’entente s’est réuni pour aboutir à un accord sur la Constitution, mais « il s’est saisi de quelques polémiques regrettables qui se sont déroulées dans certaines régions et a décidé de veiller à ce qu’elles ne se reproduisent plus257 ». Les tensions se sont multipliées à l’occasion des élections de l’automne, sans compter les attaques contre Léon Blum depuis son retour258. Or, le général de Gaulle vient également de quitter le pouvoir et les passes d’armes avec le MRP sont vives. L’unité commémorative, à Paris comme en province, est plus que jamais nécessaire pour maintenir l’espoir de négociations constructives. Léon Blum ayant redit que c’était l’unité d’action du 12 février qui avait sauvé la République en 1934259, le secrétaire général adjoint s’interroge : « Mais s’agit-il seulement d’une commémoration ? » Il appelle donc à manifester « contre les forces réactionnaires » du moment, de même que Marcel Cachin qui entend « signifier aux réacteurs [sic] qui intriguent dans l’ombre que Paris ouvrier et républicain n’a rien oublié260 ». Les manifestants ne diffèrent guère du 12 février précédent, si ce n’est que le président du Conseil Félix Gouin a demandé aux préfets d’y participer, et que Maurice Thorez y représente le gouvernement. Les grandes villes de France manifestent également. Marcel Cachin, avec une dialectique rodée « de la carotte et du bâton », met les socialistes en avant, évoque un défilé fraternel et assimile la journée à « une marche à l’unité », en oubliant les radicaux. Si la photographie de L’Humanité est plus resserrée sur la tribune des officiels que celle du Populaire, elle n’escamote pas pour autant Jules Moch au côté de Thorez261. Cependant, en mars 1946, la SFIO décide de constituer des listes homogènes partout pour les élections à la Constituante de juin et la Fédération de Corse, qui a désobéi, est dissoute. Après l’échec du référendum sur la constitution le 5 mai 1946, où socialistes et communistes ont été désavoués, les fédérations de la Seine et l’Union des syndicats du département organisent une nouvelle commémoration de la Commune le 9 juin262. Dès le 10 avril, Guy Desson en appelle aux « leçons de l’Histoire de Sedan à nos jours » pour dénoncer le sabotage des nostalgiques du régime de Vichy qu’il compare aux « Prussiens de l’intérieur » stigmatisés par Martin Nadaud devenu préfet de Gambetta en 1870263. Cette manifestation s’avère plus modeste que celle de l’année précédente, ce que laisse deviner Le Populaire qui préfère n’avancer aucun chiffre, alors que L’Humanité se réjouit : « Pendant 5 heures, au mur des fédérés, par centaines de milliers, ouvriers et républicains ont clamé leur résolution de faire bloc pour mettre en échec la réaction264. » Si le souvenir de la Commune reste cher au cœur des socialistes, ceux-ci ne croient plus à la dynamique unitaire.
93Une partie des militants, en effet, nourrit une rancune tenace, qui peut remonter à loin et qui s’exprime assez vite. Dès l’été 1945, un délégué du Pas-de-Calais refuse l’unité avec le PCF et s’en explique auprès du congrès :
« D’abord, c’est peut-être mon plus grand tort, je suis de ceux qui ont vu et qui ont fait deux guerres et j’ai ressenti, en 1918, la douleur de Brest-Litovsk, camarades, avec pour conséquence, la trouée d’Amiens. Puis, j’ai vu, en 1939, le Pacte Moscou-Berlin, et je n’oublie pas que c’est grâce au ravitaillement russe que les tanks allemands ont troué nos lignes et sont venus jusqu’à Paris, en 1940 […]. Voilà deux plats de résistance que je n’ai pas pu avaler derrière les fils barbelés et je me suis promis, ce jour-là, qu’un jour je dirais ce que je pensais et je le dis ouvertement aujourd’hui. (Applaudissements) Mais il y a un troisième plat de résistance que je ne veux pas non plus passer sous silence et que je ne peux pas avaler non plus. Tenez-vous bien ! C’est le plat de résistance du patriotisme de Mr Maurice Thorez. (Exclamations. Mouvements divers)265. »
94Selon cet ancien combattant des deux guerres et prisonnier récemment libéré, la paix séparée signée par les Bolcheviks en mars 1918 ainsi que le pacte germano-soviétique d’août 1939 sont deux trahisons qui ont favorisé la défaite des troupes françaises. Quant à Maurice Thorez, l’orateur le considère comme un déserteur qui a fui à Moscou en septembre 1940. Un autre délégué, de la Seine quant à lui, rappelle la lettre envoyée par François Billoux le 19 décembre 1940 à Pétain pour proposer de témoigner à charge contre Léon Blum à Riom266. Lorsqu’intervient la crise du 4 mai 1947, les commémorations communes n’ont pas convaincu de la bonne volonté du PCF, pas plus les irréductibles que ceux qui ont loyalement tenté de jouer le jeu. Le retour de flamme est d’autant plus fort.
95L’anticommunisme se traduit d’abord par un hommage séparé aux Communards des fédérations de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne qui invitent « toutes les organisations ouvrières et démocratiques qui ont répudié et combattu l’esprit totalitaire dans le mouvement ouvrier » à se joindre à elles le 1er juin. C’est l’occasion de citer Marx267, puis les paroles de L’Internationale : « Il n’est pas de sauveurs suprêmes, ni dieu, ni césar, ni tribun », allusion explicite non seulement à de Gaulle qui vient de créer le RPF en avril, mais aussi à Staline268. De son côté, Le Populaire, qui ne tire plus qu’à 100 000 exemplaires, fait feu de tout bois pour mobiliser en amont. Afin de lancer la publication en feuilleton, le 1er juin, de L’Insurgé de Jules Vallès, qualifié de « leçon au service de la liberté269 », il fait précéder le premier épisode d’une série d’encarts publicitaires illustrés, qui renouent avec la tradition doloriste du peintre Maximilien Luce (fig. 29). Il propose également des articles des historiens Georges Bourgin et Georges Duveau, et reproduit les paroles d’Eugène Pottier Elle n’est pas morte (1886) à toutes fins utiles270. Le journal couvre la manifestation avec une débauche de photographies et affirme que 15 000 manifestants ont défilé pendant deux heures271. On connaît l’approximation de ce genre de statistiques mais c’est sans doute trois fois moins que le défilé unitaire de mai 1945. Pour faire nombre, des délégations de socialistes espagnols, italiens et du Bund, des mineurs du Pas-de-Calais en tenue et les Groupes socialistes d’entreprises, dont le « Groupe Marx Dormoy » de l’Union des ministères, sont mis en avant. La CGT ayant organisé le même jour un défilé de la jeunesse de la République à l’Hôtel de Ville de Paris, L’Humanité préfère ne rendre compte que de sa propre manifestation et ne dit pas un mot de la SFIO au Père Lachaise272.
Fig. 29. – Encarts publicitaires pour L’Insurgé (Le Populaire, 27-31 mai 1947).

96Pour se démarquer des communistes, la réappropriation de la Commune par les socialistes passe par une recontextualisation de l’événement, représenté dans son jus. Désormais et jusqu’en 1958, la SFIO défile seule devant le mur des fédérés et en profite, surtout, pour faire œuvre de pédagogie, en contribuant à sa mythologie ouvrière et révolutionnaire par des articles ou des conférences qui retracent son histoire et lui donnent un sens273. Conçus comme des outils de formation, ils sont diffusés dans les fédérations et leur presse : la Commune devient désormais un lieu de mémoire à usage interne. Il en va de même du centenaire des journées de juin 1848 et du manifeste du parti communiste allemand, auquel La Revue socialiste consacre un numéro spécial en janvier-février 1948. Quant au souvenir du 12 février, après une dernière passe d’armes en juin 1947 entre Marceau Pivert, Léon Blum et Raymond Guyot pour savoir qui était à l’origine de la manifestation en 1936, il s’estompe après une dernière leçon d’histoire de Raymond Gernez en 1950274. En février 1948, la translation des cendres de l’austro-marxiste Otto Bauer, mort en exil à Paris en 1938, compense l’absence de commémoration du 12 février. « Aujourd’hui, les travailleurs de la région parisienne se souviendront qu’il y a quatorze ans, les socialistes s’opposaient à une tentative de putsch fasciste », titre Le Populaire le 8 février, en faisant allusion au coup d’État de Dolfüss de juillet 1934. Les socialistes organisent la levée du corps au Père Lachaise, puis la veillée funèbre dans leurs propres locaux rue Victor Massé. Ils tiennent ensuite un meeting international à la Mutualité, avec au côté de Blum, Bracke et Grumbach, Paula Wallisch (SPÖ), Archibald F. Brockway (LB), Louis de Brouckère (PSB) et Franz Novy (SPÖ). Enfin, Guy Mollet et Charles Dumas accompagnent les cendres d’Otto Bauer en train à Vienne pour y représenter la SFIO lors de ses funérailles275. C’est la dernière fois que les socialistes occupent la rue pour une commémoration en février : la manifestation populaire prévue le 23 février pour le centenaire de la révolution de 1848 tourne au fiasco sous la neige276.
Fig. 29 (suite). – Encarts publicitaires pour L’Insurgé (Le Populaire, 27-31 mai 1947).

97L’année 1948 marque donc un tournant dans la pratique commémorative de masse des socialistes : seules les funérailles de Léon Blum en mars 1950 et, à une moindre échelle, celles de Jean Lebas en septembre 1951 mobilisent encore les foules. Par la suite, à l’échelle locale, l’inauguration d’un monument à un « héros et martyr » de la Résistance peut contribuer au rayonnement du parti277, mais sans commune mesure avec les grandes manifestations unitaires de la Libération. La lutte antifasciste n’est plus commémorée le 12 février ; en revanche, Roger Salengro, victime précoce du fascisme en 1936, est toujours systématiquement honoré dans sa ville de Lille et dans la presse socialiste278. La mémoire de guerre est d’abord funéraire et la geste de gauche ne s’entretient plus en marchant.
98L’autre front est celui de l’histoire que les communistes réécrivent. Cette instrumentalisation du passé, en particulier de la Seconde Guerre mondiale, qui n’hésite pas à tordre les événements ou à les occulter, est désormais bien connue grâce aux travaux de Stéphane Courtois et de ceux auxquels il a ouvert la voie279. Mais les socialistes ont fait œuvre de pionniers, en quelque sorte, en confrontant leur documentation et leurs témoignages aux contre-vérités que le PCF multiplie pour masquer, entre autres, la dérangeante séquence d’août 1939 à juin 1941. Plusieurs facteurs concourent à leur esprit de revanche, voire à leur hargne.
99Les socialistes ont d’abord le sentiment que les communistes ne les ont jamais laissés en paix, ni sous l’Occupation, ni à la Libération, et ne supportent plus leurs attaques perpétuelles contre Léon Blum, y compris à son retour de déportation280. Alors qu’ils restent sur la défensive jusqu’à l’automne 1946, les plus anticommunistes d’entre eux doivent se faire violence au point de finir par se montrer indisciplinés. Ainsi, le 4 décembre 1946 lors de la tentative d’investiture de Maurice Thorez, 1/5e ne votent pas pour lui en dépit de la consigne281. Blum est même obligé de créer un écran de fumée en rejetant l’échec sur les radicaux qui n’auraient pas voulu de Thorez « en dépit du franc appui des socialistes282 ». Pour expliquer ce rejet, Germain Rincent rappelle que Thorez a déserté, qu’il n’est « légalement qu’un traître amnistié » et que, surtout, il a tenu à plusieurs reprises des propos « infâmes » contre Blum283. En 1956, le sacrilège n’est toujours pas oublié et le parti confie à Charles Pot une édition critique de Léon Blum tel qu’il est, un article de Thorez du 16 février 1940, où il s’attachait à montrer que Blum était un traître à la classe ouvrière depuis 1920284.
100Leur activisme est également stimulé par l’essor d’un anticommunisme de guerre froide sous l’impulsion de divers groupes d’influence, lesquels ont plus ou moins pignon sur rue, que l’on songe à « Paix et Liberté » et à ses affiches bien connues pour le compte de la Troisième Force285, ou à d’autres milieux plus discrets où l’on retrouve d’anciens socialistes. Georges Albertini, ancien membre du RNP de Déat, fait collaborer à son Bulletin d’études et d’informations de politiques internationales, le BEIPI (1949) devenu Est-Ouest (1956)286, des antistaliniens de divers horizons, tel le plus prolifique et percutant d’entre eux, l’ancien chroniqueur des Affaires étrangères du Populaire, Angelo Tasca287. On y trouve aussi l’économiste tchèque Lucien Laurat, exclu par la SFIO à la Libération, et son épouse Marcelle Pommera, qui ont rejoint le PSD de Paul Faure et qui relayent les travaux du groupe dans La République libre. Charles Salençon qui, sans être exclu, préfère suivre Paul Faure, publie une série d’articles intitulée « Le Procès du communisme est ouvert » dans La République libre en 1956 en lien avec Est-Ouest. Or, membre de Force ouvrière (FO), il est son délégué à la propagande de 1948 à 1950 et dirige PTT syndicaliste, tout en collaborant à La Revue syndicaliste des anciens vichystes René Belin et Raymond Froideval qui luttent contre « la CGTK », comprenons communiste, alors que cette revue se dit apolitique288. Ces anciens socialistes, qui gravitent dans la nébuleuse d’opposition au « système », recyclent un argumentaire rodé depuis la scission de Tours en 1920 tout en l’actualisant. La SFIO juge alors que cet héritage anticommuniste, puisé aux meilleures sources, ne peut être abandonné aux vaincus de la Libération à l’heure de la guerre froide.
101En novembre 1946, par conséquent, Le Populaire inaugure sa « croisade de la vérité » avec un feuilleton de Paul Parpais qui revient d’un séjour d’études : « Un mois en URSS – le véritable rideau de fer ». En juin 1947, il recommande chaudement la lecture de J’ai choisi la liberté de Kravtchenko et, en février 1948, Fernand Caussy débusque les contre-vérités des Notes soviétiques sur le pacte d’août 1939 en dénonçant « les falsificateurs de l’Histoire289 ». Puis c’est Le Populaire Dimanche, lancé en novembre 1948 par Oreste Rosenfeld, qui prend le relais avec ses 100 000 abonnés. Désormais, même si leurs cibles sont prioritairement « les moscoutaires », les socialistes ne s’interdisent plus de dénoncer le régime « bolchevik » et « totalitaire » de l’URSS stalinienne. Cette propagande, très documentée, consiste d’abord à démontrer que les communistes français falsifient leur propre passé, afin de douter ensuite de ce qui se passe derrière le rideau de fer. Sur ce terrain-là, les socialistes peuvent légitimement se prévaloir d’une expertise ancienne. La direction du PCF, en choisissant de revendiquer « la lutte contre la guerre impérialiste » et de justifier sa politique d’août 1939 à juin 1941, prête opportunément le flanc à leurs critiques. Les socialistes, en effet, restent silencieux devant la glorification des résistants menée, sans désemparer, par André Marty, Charles Tillon et France d’abord, et s’ils la jugent indécente – on l’a vu –, ils ne remettent pas en cause le sacrifice des militants. La stratégie de Thorez et Duclos est donc une aubaine. Le 12 décembre 1947, L’Humanité ne va-t-elle pas jusqu’à publier un faux numéro clandestin pour authentifier « l’appel du 10 juillet290 » ? La séquence historique qu’ils dissèquent avec jubilation va du pacte germano-soviétique d’août 1939 à l’attaque allemande contre l’URSS en juin 1941. Entre les deux, le soi-disant appel patriotique du 10 juillet 1940, la tentative pour faire reparaître L’Humanité, la lettre de François Billoux à Pétain : autant d’épisodes aujourd’hui étudiés et reconnus par les historiens291 qu’ils entreprennent de démonter. En 1948, Raymond Gernez publie Les chefs communistes sont avant tout des patriotes russes, qui condense les arguments historiques à l’appui de cette thèse. Ce type de brochures ainsi que les articles similaires du Populaire Dimanche292 sont repris en province par la presse fédérale avec laquelle des accords sont passés293. Elle dispose aussi de ses propres plumes acérées : citons Nord-Matin avec Jean Piat, Le Breton socialiste avec Hippolyte Masson, Le Populaire du Centre avec Jean Le Bail, La République de Normandie avec Georges Brutelle et Pierre Bérégovoy, Le Provençal avec Gaston Defferre…
102Les années 1949-1951 constituent un temps fort de cette croisade. En 1949, à l’Est, Lazlo Rajk est condamné à mort à Budapest, tandis que partout les antifascistes, en particulier les titistes, sont emprisonnés ou exécutés. En France, la seconde édition de Fils du peuple, la version remaniée de l’autobiographie de Thorez, est lancée à grands frais. En réaction, les journaux socialistes couvrent le procès Kravtchenko contre Les Lettres françaises d’obédience communiste (janvier-avril 1949), et diffusent le témoignage de Margaret Neumann, veuve de l’ancien leader du KPD, déportée en Sibérie, qui accuse Staline d’avoir livré des communistes allemands et des juifs à Hitler294. En août, ils commémorent les dix ans du « crime du 23 août 1939 », en mettant à la une la célèbre photographie de la poignée de main entre Staline et Ribbentrop, accompagnée d’une étude historique d’Oreste Rosenfeld295. Ce dernier, d’origine russe, dirige l’Agence de presse socialiste et, à ce titre, a assisté à la conférence interalliée de Moscou en mars-avril 1947. Après avoir failli être retenu contre son gré, il en ramène une documentation détaillée sur l’URSS. En novembre, les socialistes soutiennent l’appel de David Rousset qui propose d’envoyer une commission d’enquête d’anciens déportés pour établir si « l’univers concentrationnaire » existe aussi en Russie. Rosenfeld, qui avait déjà été l’un des premiers à publier des témoignages sur les îles Solovki dans le Bulletin fédéral de la Seine et dans Le Combat social en 1924-1925, appelle à se mobiliser296. De fait, la SFIO et la FNDIR souscrivent à l’appel de Rousset et contribuent à la création de l’UNADIF, née de la scission de la FNDIRP après le départ du R. P. Riquet, au grand dam des communistes. Jean Geoffroy se réjouit que l’affaire Rousset ait contraint la FNDIRP à se démasquer297, renforçant ainsi la FNDIR à laquelle ont adhéré les anciens déportés socialistes.
103Si les socialistes n’occupent pas seuls la scène de l’anticommunisme, ils ont une expertise à faire valoir qui crédibilise leurs propos. Ils légitiment leur offensive tous azimuts contre le PCF par leur bonne connaissance de son idéologie et de son passé. Aussi, lorsqu’à l’automne 1950, d’aucuns, dont les radicaux, se demandent s’il ne faudrait pas interdire le PCF, le secrétaire général adjoint Pierre Commin répond par la négative. Il ne faut surtout pas lui offrir « l’auréole du martyr » qui renforcerait son action clandestine mais le combattre sur son terrain298, y compris celui de la propagande. Lors de la campagne législative de mai-juin 1951, l’ancien président de la Haute-Cour de justice, Louis Noguères, accuse sept députés communistes d’avoir été « des collaborateurs de Pétain et de Hitler » parce qu’ils avaient proposé de témoigner à charge contre Blum et Daladier à Riom, documents à l’appui : il lit leurs lettres au 43e Congrès national devant les délégués et la presse nationale le 13 mai. « Louis Noguères ouvre pour vous les dossiers de la trahison », annonce Le Populaire Dimanche299. À quatre jours des élections, le 13 juin, Le Populaire publie le fac-similé d’une lettre de Marcel Cachin du 21 octobre 1941 où, après avoir été interrogé par les Allemands, il a pris l’engagement de ne rien faire contre l’armée d’occupation. Parallèlement, la campagne d’affiches du parti, si elle n’a ni les moyens, ni la qualité graphique de celle de « Paix et Liberté », est virulente (ill. 7, cahier hors texte). L’une d’elles compare Staline au Führer et au Duce afin de qualifier le communisme de « stalino-fascisme ». Rappelons qu’à cette date le concept de « totalitarisme » créé par Hannah Arendt n’est pas très connu en France, de sorte que l’adjectif « totalitaire » est simplement accolé à « impérialisme stalinien ». Néanmoins, l’affiche énumère la plupart des critères que définira Raymond Aron en 1957-1958 : parti unique, terreur, monopole des moyens de communications, mépris du droit des peuples, culte du chef et impérialisme300. Le ton est donné. L’année 1956, avec le XXe Congrès du PCUS de février qui dénonce les crimes du stalinisme, lequel n’empêche pas les chars du pacte de Varsovie d’entrer à Budapest en novembre, donne encore raison aux socialistes et les encourage à poursuivre leur « croisade de la vérité ». À la demande de la SFIO, Jules Moch, qui a déjà publié Le Parti communiste n’est ni à gauche, ni à droite : il est à l’Est ! en 1955, récidive deux ans plus tard avec De la révolution d’octobre au règne de Monsieur K – 40 ans d’attentats contre le socialisme301. Et lorsque fin juin 1957, en pleine guerre d’Algérie, d’aucuns voient en de Gaulle le sauveur, Jean Le Bail suscite l’approbation du congrès en rejetant l’idée de toute unité d’action : « Vous n’êtes plus, Camarades, en 1934 et vous êtes bien décidés, n’est-ce pas, […] à ne pas accepter, pour barrer la route à un de Gaulle, l’aide des communistes302 ! » Les socialistes reviennent toujours à ce qu’ils considèrent comme une guerre intestine au mouvement ouvrier ; or il n’y a rien de pire qu’une guerre fratricide.
104Cette mise en perspective historique, que les socialistes ne manquent jamais de pratiquer à l’encontre des communistes, n’est pas seulement une réaction à la façon qu’ont ceux-ci de raconter leur propre histoire. Certes, ces frères ennemis se livrent un duel sans merci en se jetant à la tête leurs « trahisons » passées. Toutefois, il s’agit surtout pour les socialistes, formés au matérialisme historique, d’inscrire le communisme dans une continuité, de lui donner un sens depuis ses origines et de prouver que, fatalement, il ne peut mener qu’à la dictature, ici comme ailleurs. Si de nombreux historiens ont évoqué la bipolarisation du champ politique entre gaullisme et communisme dans cette période, les socialistes n’en demeurent pas moins les plus dangereux adversaires des communistes sur le terrain de la mémoire car, au-delà de la rue, ils documentent un anticommunisme durable. Cependant, il leur faut également lutter contre les usages politiques que les gaullistes font de la Résistance.
« Il n’est pas de sauveurs suprêmes303… »
105En démissionnant en janvier 1946, de Gaulle s’expose aux critiques de la gauche qui poursuit sans lui l’expérience du Tripartisme. Avec le discours de Bayeux de juin 1946 où il explicite sa conception du nouveau régime, puis la création du RPF en avril 1947, il devient un adversaire politique et descend du piédestal où l’appel du 18 juin l’avait hissé. Les socialistes ne reviendront jamais ni sur son rôle éminent pendant la guerre, ni sur leur ralliement à l’instigation de Léon Blum. Nulle croisade de la vérité n’est ici menée contre le de Gaulle de la France libre. Mais selon eux, il a changé. Et l’on sait comment le Général a su mettre en scène ses voyages, en particulier commémoratifs, pour asseoir sa légitimité304. Par conséquent, ils entendent démontrer qu’il n’est plus le meilleur gardien de la mémoire de la Résistance puisqu’il l’instrumentalise à des fins électorales. Et, son passé demeurant intouchable, c’est celui de son entourage récent qui est scruté afin de montrer qu’il blanchit des vichystes en tout genre.
106De Gaulle fait sa rentrée politique le 30 mars 1947 et choisit, pour ce faire, le cadre d’une commémoration, celle d’un commando anglo-canadien qui, en février 1942, a détruit une base de radars ennemis grâce aux renseignements de la Résistance française à Bruneval en Normandie. En uniforme, il rend un hommage appuyé aux mouvements et réseaux devant 40 000 personnes et des ambassadeurs étrangers305. Le commentateur des Actualités Françaises ne s’y trompe pas et annonce que « le premier résistant de France » est décidé à rejouer un rôle actif. Blum remarque que cet hommage à la Résistance intérieure est tardif et qu’il vient surtout à point nommé pour condamner les partis ainsi que le régime, et annoncer qu’un « jour prochain » les Français les rejetteront. « En annonçant catégoriquement ce jour prochain, le général de Gaulle […] s’offre comme chef aux Français rassemblés dans un nouveau mouvement de Libération », ce qui est parfaitement contraire aux principes de la République selon Blum. Et le président du Conseil, Ramadier, alors en déplacement à Capdenac dans le Lot, de déclarer : « Il n’est point de sauveurs suprêmes », ce qui n’a pas le même retentissement306. De Gaulle récidive le 7 avril à Strasbourg, alors que la ville alsacienne fête sa libération. Blum dénonce une stratégie plébiscitaire, héritière du bonapartisme, qu’il compare bientôt au boulangisme307. Dès lors, à chaque fois que de Gaulle occupe le terrain mémoriel, les socialistes l’accusent d’instrumentaliser la Résistance à des fins politiques. Lors de l’hommage qu’il rend au gouverneur Félix Éboué à Bordeaux le 15 mai, de Gaulle « en profite, évidemment, pour renouveler ses attaques contre la démocratie308 ». D’ennemi de la IVe République, de Gaulle devient un danger pour la démocratie. Le dimanche 7 mars 1948, il présente son programme lors d’une visite à Compiègne où il célèbre les anciens combattants de 14-18 et inaugure une rue du Général-Leclerc, puis à Royallieu où il rend hommage aux déportés politiques de 1941-1944. Le secrétariat général de la Troisième Force réagit avec le communiqué suivant : « Une fois de plus, une cérémonie du souvenir a été détournée de son objet à des fins d’agitations politiques. […] Or, pas plus que le parti communiste, le RPF n’a qualité pour revendiquer le monopole de la lutte contre l’envahisseur309. » Le Populaire, ayant qualifié de « factieux » le discours gaulliste, dénonce un « scénario publicitaire » qui remue « les souvenirs de la victoire » de 1918, profite de « l’émotion qui étreint » les déportés et utilise « les silhouettes des copains morts » pour « reporter le prestige dont jouissait alors justement le Général […] sur l’homme politique d’aujourd’hui310 ».
107Or les gouvernements de la Troisième Force sont incapables de faire contrepoids à ce formidable outil de propagande que constitue la personne même du « premier résistant de France », sans compter la logistique mise en place par le RPF. Le président du Conseil Ramadier, qui est le premier à s’y risquer, a beau se démener, il fait modeste figure. En mai 1947, il remet la médaille militaire à Churchill mais, en dépit de l’enthousiasme du Populaire, il ne peut faire oublier l’autre partenaire de ce duo mythique311. En août, le voilà commémorant le coup de main du « commando du 27 mars 1942 » au port de Saint-Nazaire, reçu par le député-maire socialiste Jean Guitton312. Il y dévoile un monument dédié avec l’ambassadeur anglais, Duff Cooper. Cette fois-ci, d’après Le Monde, la foule serait « considérable », mais elle est sans doute venue pleurer les morts et saluer les 125 survivants qui assistent à cette émouvante cérémonie313. Deux jours plus tard, il est dans son département de l’Aveyron et inaugure un pavillon Jean Moulin à l’hôpital de Rodez, où « il exalte la mémoire du premier président du CNR314 ». Car avant d’être panthéonisé par de Gaulle en 1964, Moulin incarne d’abord le CNR dont les socialistes réclament la paternité pour Léon Blum. En septembre, Ramadier préside les fêtes de la libération de Dijon et rend hommage au général de Lattre de Tassigny, libérateur de la ville, puis inaugure une voie de la Liberté, en l’honneur des Américains à Fontainebleau315. Peut-être ces hommages répétés aux Alliés, à d’autres officiers glorieux que le Général et à la Résistance intérieure ont-ils vocation à faire pièce au résistancialisme gaulliste. Cependant, en dépit du protocole qui encadre les visites du président du Conseil, il ne peut déplacer les foules comme le Général. Les gouvernements de Troisième Force peinent, en effet, à différencier les commémorations des manifestations politiques gaullistes – c’est d’ailleurs également vrai pour le PCF – ainsi qu’à définir le statut du Général et, par voie de conséquence, à préciser les privilèges auxquels il a droit ou pas. Lorsqu’en mai 1951, à Castres et Toulouse, l’armée est mise à la disposition du chef du RPF, Vincent Auriol enrage316. Et lorsqu’on lui oppose un refus, le RPF se victimise avec habileté317. Des municipalités socialistes décident publiquement de ne pas inviter de Gaulle à titre personnel, comme Valence, Menton, et Aix-en-Provence, à l’automne 1948, mais en représailles, il les traverse sans s’arrêter. À Nantes, de Gaulle ressuscite même l’union de la gauche contre lui lors de sa visite en juillet 1948. Socialistes, communistes, syndicats et associations d’anciens combattants s’unissent pour signer le même tract de protestation et en appeler au boycott de la manifestation organisée par la municipalité de droite318. De même, lorsque le sénateur-maire RPF du Mans, Yves Chapalain, prévoit que de Gaulle inaugure le monument à la résistance sarthoise le 23 octobre 1949, le ministre des Travaux publics et des Transports, Compagnon de la Libération, Christian Pineau refuse publiquement de représenter le gouvernement dans ce qu’il considère comme une opération politique319.
108Le président de la République Auriol entreprend lui aussi de faire barrage à cette captation de la mémoire patriotique par de Gaulle, mais avec plus de succès car il dispose de l’arme protocolaire des voyages présidentiels320. Dès le mois de mai 1947, il enchaîne la fête de Jeanne d’Arc le jeudi 8 à Orléans, ville martyre que de Gaulle a honorée le 18 septembre 1944, les fêtes de la Victoire avec Churchill le week-end qui suit à Paris, et enfin, le 17, l’inauguration de la place Félix Éboué à Bordeaux en présence de de Gaulle. Un mois plus tard, Auriol commémore encore le 18 juin à Paris ; président de tous les Français et chef de l’État, il n’est pas dans l’ombre du héros du jour321. Début juillet, le président de la République voyage dans le Nord – Pas-de-Calais et est fait citoyen d’honneur de Lille, la ville natale du Général, par le maire socialiste Denis Cordonnier322. « Le président citoyen323 » investit, sans trop y laisser paraître, tous les lieux de mémoire gaullistes : le Mont-Valérien chaque année et particulièrement lors du grandiose retour des cendres des « héros et martyrs » morts en Allemagne en juillet 1947324 ; la Normandie du débarquement, début juin 1948, où Auriol remet la Légion d’honneur et la Croix de Guerre avec palme à Caen, et à Bayeux où il prend un bain de foule au milieu des ruines325… Du coup, les gaullistes, narquois au début de son mandat, ne se méprennent plus sur la valeur de leur adversaire ; ils entreprennent de le brocarder dans leur hebdomadaire, Le Rassemblement, et vont même jusqu’à lui faire interdire par le conseil de Paris d’assister à l’inauguration d’une avenue Leclerc à Paris en 1948326.
Fig. 30. – « Les squatters » (Robert Fuzier, Le Populaire, 16 avril 1947).

Fig. 31. – « L’embarras du choix » (Grum et R. Las, Le Populaire, 4 mai 1948).

109À cette bataille des commémorations, s’ajoute progressivement la thèse que de Gaulle récupérerait les anciens vichystes et collaborationnistes, d’abord involontairement, puis sciemment. Au lendemain de la création du RPF, Robert Fuzier représente « les squatters » du grand Charles qui accourent pour s’accrocher aux plis de son pantalon ou pour grimper avec une échelle dans ses poches et prendre de la hauteur : parmi eux, un aristocrate à monocle (l’Action française ?), un prélat en soutane, des capitalistes à haut-de-forme et nombre d’hommes bottés (légionnaires ? miliciens ?) et, sur leurs drapeaux, l’insigne des Croix de feu, la fleur de lys, la francisque et le sigle de la Milice (fig. 30). Un an plus tard, Grum et Las, sous le titre « l’embarras du choix », juxtaposent à la foire de Paris : Duclos et Thorez exposant un marteau-pilon et une faucheuse-lieuse, version moderne de la faucille et du marteau ; une machine à lessiver qui « blanchit tout » avec de la Javel et un milicien qui demande à un grand industriel si le maréchal supportera « le lessivage » ; et enfin les jambes de de Gaulle devant une forêt de micros (fig. 31). L’amalgame entre gaullisme et néo-vichysme est en train de se construire sans être encore explicite. Il n’en va plus de même, lorsque le 20 juin 1948 de Gaulle commémore la bataille de Verdun : jamais il n’aurait, selon Le Populaire, « repris en public, avec autant de netteté les thèses maurrassiennes, qui furent aussi celles de Pétain327 ». De sorte qu’en septembre, Roger Las peut dessiner un milicien avec son béret et son insigne et un vichyste avec sa francisque au pied de la tribune à croix de Lorraine où discourt de Gaulle en uniforme (fig. 32). Lorsque le 11 avril 1950, le colonel Rémy développe dans Carrefour sa thèse du « bouclier et de l’épée », aux yeux des socialistes, la preuve est faite : « De Gaulle fait battre le rappel des pétainistes par le colonel Rémy328. » C’est donc en s’appuyant sur « l’histoire » que Raymond Gernez entreprend de démontrer que le RPF est l’héritier du PSF du colonel de La Rocque329 et qu’il ressuscite le souvenir du 6 février 1934. Que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit du RPF, pas de « l’homme du 18 juin ». Lorsque le premier volume des Mémoires de guerre est publié, Marie Granet peut écrire en 1955 :
« Leur lecture rassure immédiatement : ils sont dignes de l’image que, pendant la guerre, nous nous faisions du général de Gaulle. Loin de diminuer l’homme, ils lui rendent sa place – qui est grande – dans notre histoire. Ses sentiments nobles, son patriotisme intransigeant, son énergie sans défaillance, son sens aigu des responsabilités, sa vue claire de la situation de la France… […] Tout cela est digne d’estime et d’admiration330. »
Fig. 32. – « I’ paraît que c’en est un qui veut prendre le pouvoir » (Roger Las, Le Populaire, 15 septembre 1948).

110Remettre en cause le de Gaulle auquel ils se sont ralliés pendant la guerre semble impensable ; néanmoins ce texte les « rassure » : ils ne se sont donc pas trompés. Lorsqu’aux législatives de janvier 1956, une partie de l’électorat du RPF est capté par le mouvement poujadiste, tandis que l’autre a rejoint le Front républicain, il leur apparaît qu’il y a deux de Gaulle. Gérard Jaquet distingue ainsi « le de Gaulle de 1951, pas celui de la Résistance bien sûr ! », celui qui pouvait aider « les adversaires de toujours du régime républicain, ceux qui étaient à la Concorde le 6 février 1934 » « à abattre les institutions démocratiques qu’ils exécraient331 ». André Philip suscite même les applaudissements du congrès en s’apitoyant en ces termes : « Ce qu’il doit y avoir de plus triste pour de Gaulle, c’est de découvrir aujourd’hui la nature de ce qu’était la majorité de ceux qui l’ont suivi et qui, enfin, ont trouvé un chef à leur hauteur », en désignant Poujade332.
Combats de rues et mémoire de pierre
111L’espace urbain devient le champ de bataille privilégié des mémoires de la guerre à la Libération et ce jusqu’au tournant des années cinquante. Il faut non seulement défaire ce que le régime de Vichy a fait et rebaptiser nombre de rues, places et autres boulevards, pour réhabiliter les prétendus représentants de « l’anti-France » ou les victimes du culte de la personnalité au maréchal Pétain. Souvent, après avoir fait arracher tous les panneaux en allemand, le premier acte officiel des délégations municipales provisoires consiste à restaurer la toponymie urbaine républicaine balayée par l’État français333. Cette démarche porte aussi les stigmates des guerres de mémoire entre les différents acteurs politiques et révèle les moments d’oblitération et de promotion. En dépit du deuil des martyrs, « l’ère honorifique » a cédé la place à « l’ère idéologique », pour reprendre Daniel Milo334. Le plus souvent en phase avec la mémoire nationale de cette période – la « Grand’Place » de Lille devient la « Place du général de Gaulle » et la « Place du maréchal Pétain » redevient la « Place de la mairie » à Rennes335 – la toponymie exprime en sus une mémoire ancrée dans le territoire qui n’est pas nécessairement lisible pour un étranger au pays. Car elle est souvent peu explicite : si les plaques indiquent le statut de résistant, de fusillé ou de déporté, la fonction de parlementaire, d’édile ou d’élu local, elles ne mentionnent presque jamais l’appartenance politique du personnage. Les monuments, édifiés grâce à des souscriptions publiques et donc plus tardifs, font preuve de la même réserve. Inscrits dans l’espace public, les héros ou martyrs deviennent des personnages publics au-dessus des querelles partisanes… du moins en théorie. Si des décennies plus tard la plupart des habitants les ont oubliés, les contemporains conservent le souvenir de leurs itinéraires et sont parfaitement capables de déchiffrer les enjeux politiques sous-jacents à ces combats de rues, de stèles et de monuments. C’est ainsi que, comme les autres forces issues de la Résistance, les socialistes ne gravent guère leur identité partisane dans le métal ou la pierre. La plaque signée des JS à l’une des leurs, Odette Malossane, dans le Vercors336 ou le monument du « Parti socialiste SFIO à ses héros de la Résistance » de la Marne à Reims (fig. 33)337 semblent des exceptions. Pour autant, sont-ils incapables d’occuper ce terrain ou bien leur stratégie est-elle plus subtile ?
Fig. 33. – Monument du « PS-SFIO à ses héros de la Résistance » à Reims.

112En termes strictement politiques, sous le Tripartisme, les socialistes en mal de reconnaissance jouent des coudes avec leurs partenaires tout en étant freinés par l’espoir de reconstituer un jour l’unité du parti ouvrier ; à partir de l’automne 1946 et surtout de mai 1947, ils lâchent leurs coups contre les « moscoutaires » et les gaullistes du RPF au bénéfice de leurs partenaires de la Troisième Force ou des républicains qu’ils jugent authentiques. Mais qu’en est-il au sein des conseils municipaux qui décident de la toponymie et du patrimoine monumental des cités ?
113La reconstruction des villes est favorable à une inflation toponymique. Une ville martyre comme Orléans, bombardée à deux reprises en juin 1940 et juin 1944, dispose de quartiers entiers à rebâtir et à baptiser. Pourtant, outre que leur identification idéologique s’érode avec le temps, les plaques sont susceptibles d’être remplacées : elles sont par conséquent « des traces fragiles338 ». Un parti peut jouer sur la quantité, comme le PCF à Orléans qui tente d’obtenir une rue pour chacun de ses dix-sept fusillés du terrain des Groues339. Or, les socialistes ne peuvent faire le poids – nous l’avons vu – dans ce domaine. Il peut aussi préférer le renom du personnage, au risque qu’il soit nationalisé, comme la SFIO avec Brossolette.
114Trois études de cas permettent d’observer le rôle de la toponymie urbaine et de l’érection de monuments dans la politique mémorielle des socialistes : la capitale où ils deviennent assez vite minoritaires ; Marseille où, les armes à la main, ils ont participé à sa libération et où Defferre détient la mairie, d’abord en 1944-1945 puis à partir de 1953 ; et Nantes, la ville aux « 50 otages » et la première à avoir reçu l’ordre des Compagnon de la Libération le 11 novembre 1941, où ils sont rapidement relégués dans l’opposition.
115À Paris, à la Libération même, a priori les socialistes ont des atouts pour ne pas se laisser déborder par les communistes. Ils sont représentés au CPL par Gérard Jaquet et bénéficient du soutien du préfet de la Seine, Marcel Flouret, et des trois nouveaux préfets qui l’entourent depuis le 2 septembre 1944 : Roger Gazier, Jean Julien et Jean Mons340. Tous quatre ont fait carrière dans la fonction publique mais sont très proches de la SFIO : Flouret a été, entre autres, membre du cabinet d’Auriol sous le Front populaire ; Mons et Julien sont membres de Libération-Nord ; Gazier a participé à la libération de l’Hôtel de Ville avec Jaquet. Or, si c’est le conseil municipal qui vote les dénominations, l’aval de la préfecture est indispensable. Parmi les dix-huit premières rues et places rebaptisées du nom de « martyrs de la Résistance », le 22 octobre 1944, les socialistes revendiquent Pierre Brossolette, Victor Basch le président de la LDH assassiné, René Boulanger l’un des fondateurs de la CGT clandestine avec Albert Gazier, et Léon-Maurice Nordmann du réseau du Musée de l’Homme, soit un petit quart des attributions341. Les communistes, qui n’ont pas choisi la date anniversaire du 22 octobre par hasard, ont la part belle avec les emblématiques Danielle Casanova et Gabriel Péri, trois des 27 fusillés de Châteaubriant du 22 octobre 1941 parmi lesquels deux élus de la Seine (le député Charles Michels, le conseiller général Maurice Gardette, et le secrétaire du syndicat de la métallurgie Jean-Pierre Timbaud), et cinq autres fusillés (Pierre Semard et les conseillers municipaux parisiens Corentin Cariou, Léon Frot, René Le Gall et Raymond Losserand), soit plus de la moitié des dénominations342. Restent Berty Albrecht de Combat et Léon Jost, chef d’un réseau d’évasion de prisonniers, tous deux inclassables, et les gaullistes d’Estienne d’Orves de la France Libre et Gilbert Médéric de Ceux de la Libération.
116Dans cette occupation symbolique de la capitale, les socialistes ne s’en tireraient donc pas si mal. Mais Brossolette – on l’a dit – est capté par la mémoire nationale ; Basch est d’abord un ligueur et Boulanger un syndicaliste. Reste Nordmann dont il convient d’afficher l’identité socialiste, au moins dans son milieu professionnel. Avocat, il a été fusillé avec six autres de ses camarades au Mont-Valérien le 23 février 1942. Ayant reçu la croix de chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume en 1946, il fait l’objet d’une cérémonie d’hommage le jour anniversaire de son exécution, au Palais de Justice, avec ses anciens collègues, puis au Musée de l’Homme avec les anciens du réseau Vildé, dont Paul Rivet, alors député SFIO de la Seine343.
117Cette étude de la première attribution de noms de rues à Paris est riche d’enseignements. D’une part, investir la toponymie urbaine ne suffit pas à y inscrire une identité socialiste volatile, et cette dernière nécessite d’être cultivée dans un terreau propice, comme le milieu professionnel qui se sent honoré de compter un « héros et martyr » dans ses rangs. D’autre part, le PCF a beau jeu d’incarner « le parti des fusillés » : il cristallise la mémoire sur ceux de Châteaubriant, des « martyrs », assimilés à des résistants activistes alors qu’ils ont été raflés parce qu’ils étaient communistes, et il les entoure d’un cortège de militants qui, eux, ont résisté et ont été exécutés plus tard et dans d’autres lieux344. Le Populaire lui-même, qui titre « Paris communie dans le souvenir des martyrs de la Résistance » le 22 octobre 1944, n’y voit que du feu ! À partir de mars 1945, c’est le socialiste André Le Troquer qui préside le conseil de Paris, auquel succède Henri Vergnolle de juin 1946 à octobre 1947, date à laquelle il doit céder son siège à Pierre de Gaulle345. Si la rue et la station de métro Marx Dormoy en octobre 1945 et mai 1946 constituent de très belles prises, le square Suzanne Buisson en juin 1947 est bien modeste et ils n’obtiennent plus rien par la suite346. C’est donc uniquement par leurs commémorations que les socialistes peuvent espérer investir ponctuellement l’espace parisien.
118À Marseille, la majorité des voies ou lieux qui ont changé de nom à cause de la guerre, l’a été aux lendemains mêmes de la Libération347. La délégation municipale provisoire est présidée par Gaston Defferre, qui a pris part aux combats de la libération de la cité phocéenne. Il est élu maire en avril 1945 sur une liste d’union avec les communistes, et la première vague de dénominations, au nombre de 35, est votée le 19 juillet 1945 sous sa présidence348. Outre la restauration de l’avenue Roger Salengro, le conseil municipal accorde 17 noms aux communistes soit la moitié, 6 aux socialistes, 4 à de jeunes volontaires sans étiquette connue morts au combat à l’été 1944, et 5 à des personnalités de sensibilités diverses (Honoré d’Estienne d’Orves, le gaulliste Albert Chabanon, le chrétien Gilbert Dru, l’entrepreneur et responsable régional du MLN Jules Moulet et le syndicaliste Paul Codaccioni)349. La SFIO peut se réclamer, outre de Brossolette et Dormoy, de quatre combattants des Milices socialistes (Fernand Négro, Paul Bouygues, et les « Queyrel », Jean-Baptiste et son fils Roger, ces trois derniers tués lors de l’attaque du Plan d’Aups du 10 juin 1944) et des « Trois Frères Barthélemy » (Lucien, Georges et Louis) du réseau Brutus. La part accordée aux communistes reflète plus leur poids électoral que leur rôle dans la Résistance régionale et la libération de la ville qui, s’il n’a pas été négligeable, n’a pas été hégémonique350. Les socialistes sont sous-représentés – moins que les gaullistes toutefois, en dépit du retentissement de la découverte du « vallon des fusillés » à Signes et de l’hommage national qui leur a été rendu en septembre 1944 à Marseille, où le PCF n’a pas été mis en avant351.
119En septembre 1945, les cantonales sont décevantes, de sorte que Defferre préfère démissionner et laisser son siège au communiste Jean Cristofol. Une deuxième vague plus importante de 76 dénominations est alors votée le 27 juillet 1946. La priorité est accordée aux Marseillais qui sont morts les armes à la main pour libérer leur cité, souvent de jeunes volontaires, sans engagement politique préalable. Robert Mencherini montre, en effet, que s’il est très difficile d’établir les effectifs réels dont disposait la Résistance intérieure le 20 août 1944 (quelques centaines ?), entre les FTPF (Francs-Tireurs et Partisans français), les CFL (Corps-francs de la Libération), l’ORA (Organisation de la Résistance armée) et les Milices socialistes, il est certain que, de jour en jour, ils ont augmenté jusqu’au 28 août. Avec plus d’un tiers des attributions, le conseil veut donc d’abord rendre hommage aux divers quartiers de la ville qui ont perdu leurs enfants. Puis viennent les communistes (1/5e), dont Henri Barbusse et la seule femme de la liste, Joséphine dite « Fifi » Turin, avec une majorité bien entendu de fusillés. Ensuite, à parts égales (1/7), on distingue un groupe de fusillés non communistes dont Guy Fabre et Georges Saint-Martin à Signes et le seul socialiste, Adrien Gerbe ; et un autre groupe plus hétérogène composé de combattants de 1940, des FFI, de l’Armée secrète, de ceux des maquis, voire des FFL avec le capitaine Guy de Combaud Roquebrune, tués à l’ennemi. Comme partout à cette date, les déportés sont les moins nombreux (1/11)352. Les débats qui ont présidé à cette liste ayant été perdus, il faut se contenter de constater un déclin des communistes, bien qu’ils tirent encore leur épingle du jeu. Les socialistes, comme les autres tendances politiques, se fondent dans la masse des patriotes, même si un quatrième fusillé des Milices socialistes du 10 juin 1944 au Plan d’Aups est honoré. Cette stratégie n’est pas nécessairement subie car honorer l’héroïsme de tous les Marseillais sans distinction est plus rassembleur et sans doute, à terme, plus payant au plan électoral pour la SFIO.
120Après les municipales d’octobre 1947, les socialistes préfèrent s’abstenir, ne pas soutenir Cristofol et laisser le RPF Michel Carlini emporter la mairie. Quelques attributions ont encore lieu en ordre dispersé sous son mandat. Le maire gaulliste ne privilégie alors aucune catégorie, pas plus que Gaston Defferre à partir de 1953. La municipalité se contente de sessions de rattrapage pour des soldats morts au front en 1940 ou 1944-1945 comme le lieutenant Fine (1950) ou l’officier de Marine Louis Gilbert (1954), des déportés comme Étienne Brondino (1950), des combattants de la libération… La seule attribution notable se situe après le retour au pouvoir du général de Gaulle : c’est celle du boulevard Jean Moulin en octobre 1963, lorsqu’est lancée l’opération « Monsieur X » par L’Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber et les Clubs, dont le club Jean-Moulin, visant à faire de Defferre le candidat idéal à la présidentielle353. À cette exception près, la mémoire de guerre ne colonise plus guère la toponymie marseillaise, d’autant qu’en juillet 1950, déjà, la Commission faisait état d’un millier de noms faisant double emploi entraînant de graves dysfonctionnements de la poste et d’incessantes réclamations354 ! À l’occupation massive visée par les communistes, mais avec des noms qui retomberont bientôt dans l’anonymat, Defferre préfère la portée symbolique d’un personnage d’envergure commémoré en un moment opportun.
121À Nantes, le président de la délégation provisoire est un socialiste, Camille Constant. Un mois après avoir commémoré le martyre des 50 otages fusillés le 22 octobre 1941, il décide d’attribuer à la voie centrale allant du carrefour de l’ancien pont Morand à l’île Feydeau, réalisée grâce au comblement du cours de l’Erdre, le nom de « Cours des 50 otages » afin de « perpétuer, pour les générations à venir, le souvenir de l’événement qui a fait frémir la France entière355 ». Constant veut également qu’un monument, financé par une souscription nationale, soit érigé afin d’y graver le nom de chacun d’entre eux356. À l’automne 1944, le consensus patriotique règne encore. Cependant, en mai 1945, c’est un communiste, Jean Philippot, qui emporte la mairie grâce à une « liste d’union résistante et républicaine ». Dès lors, une lutte s’engage à bas bruit sur la toponymie, union de façade oblige. En août, la commission de dénominations propose de redonner au boulevard de la Préfecture, débaptisé par Vichy, son nom de « Roger Salengro » et de trouver trois rues pour d’anciens élus SFIO fusillés : Alexandre Fourny (l’adjoint au maire), Maurice Daniel (conseiller d’arrondissement) et Marcel Hatet (conseiller municipal). Néanmoins, dans le même temps, elle refuse aux communistes une voie « Stalingrad » ainsi qu’un « square des fusillés », préférant un « Cours des 50 otages et des fusillés » car, précise l’un de ses membres, il est préférable d’honorer toutes les victimes de la répression, quel que soit leur horizon politique357. Devant la menace des communistes de refuser leurs trois rues aux socialistes, la commission cède à leurs demandes le 14 décembre, et la rue « Stalingrad » est compensée par une voie « Franklin-Delano Roosevelt358 ». En mai 1946, le conseil municipal, après avoir accordé une concession gratuite au Comité des Amis d’Alexandre Fourny, l’un des 50 otages fusillés au champ de Bêle, vote une aide financière à l’érection du monument à sa mémoire dans le cimetière de la Miséricorde359. Cette passe d’armes montre d’abord qu’aux yeux de l’opinion publique de l’époque le terme de « fusillés » renvoie aux communistes alors que celui « d’otages » est apolitique. En réalité, le 22 octobre 1941, si les 27 fusillés de la Sablière de Châteaubriant ont tous été condamnés pour leur appartenance au PCF, les 5 Nantais du Mont-Valérien l’ont été pour « action en faveur de l’ennemi », de même que 10 des 16 Nantais du champ de Bêle, auxquels il faut en ajouter 2 pour « violence contre soldat allemand360 ». Cette assimilation des fusillés aux communistes est donc le fruit de la propagande communiste.
122Cette querelle révèle aussi que l’occupation symbolique de l’espace public est la traduction fidèle de rapports de forces avant tout locaux. Car l’affaire ne s’arrête pas là. En novembre 1946, la section PCF du quartier Barbin demande une plaque pour honorer les volontaires espagnols et les patriotes du quartier, la plupart communistes. Les socialistes, arguant de la décision prise en août 1945 de renommer le boulevard Madeleine « Boulevard des Martyrs nantais de la Résistance » avec une plaque unique pour tous, refusent. « Serait-on gêné, persifle un conseiller communiste, chez nos camarades socialistes, parce qu’il y a plus de fusillés d’un côté que de l’autre ? » Finalement, après avoir obtenu la garantie que tous les patriotes du quartier Barbin, y compris les non communistes, figureraient sur la dite plaque, les socialistes acceptent361. Or, l’éviction des ministres communistes par Ramadier le 4 mai 1947 ne bouleverse guère ce jeu d’équilibre lorsque les Nantais s’unissent pour résister au pouvoir jacobin. Lorsqu’en juillet, le préfet demande à la municipalité de régulariser, après coup, une plaque que le réseau Cohors-Asturies a déposée à la mémoire de ses camarades sur l’enceinte de la prison de Nantes, conseillers socialistes et communistes s’accordent pour défendre leurs prérogatives en répondant au préfet que sa lettre est parvenue trop tard et que l’autorisation a déjà été refusée362 ! Pourtant, ce réseau a été fondé par Jean Cavaillès et Christian Pineau, ce dernier étant désormais membre de la SFIO. Les communistes savent, eux aussi, se montrer conciliants lorsqu’ils acceptent la subvention proposée par les socialistes pour la commémoration du coup de main britannique à Saint-Nazaire du 28 mars 1942363. Les deux camps ont le même intérêt à maintenir le statu quo.
123C’est le retour de l’ancien maire nommé par le gouvernement de Vichy en octobre 1942, Henry Orrion, alors député CNI de Loire-inférieure, qui rompt l’équilibre en octobre 1947. La gauche s’oppose à la nouvelle majorité mais le plus souvent en ordre dispersé. Ainsi les communistes se voient refuser le nom d’Antoine Croizat et les socialistes celui de Léon Blum à plusieurs reprises, mais ils s’invectivent au lieu de faire front commun contre la droite364. Et lorsque la commission accorde enfin une « Place Léon Blum » en 1957, les conseillers non socialistes se laissent convaincre par le maire de s’en tenir à une simple rue365. En réalité, derrière Jean Lepage, les socialistes nantais sont pris entre leur opposition au maire « vichyste » et la surenchère communiste : dans la bataille mémorielle qui oppose le résistancialisme communiste à une mémoire patriotique nantaise, ils se rallieraient volontiers à la seconde, mais c’est Orrion qui en est désormais l’étendard. Entre Charybde et Scylla, qui choisir ? Pour commémorer le 22 octobre 1944, le PCF organise son hommage « populaire » à la Sablière à la mémoire des 27 communistes du camp de Choisel fusillés dans la carrière de Châteaubriant. La municipalité Orrion décide d’organiser, dans le même temps, une messe de requiem à la cathédrale, puis des dépôts de gerbes aux Tables mémoriales des deux guerres et au Cours des 50 otages, et enfin des visites du souvenir au champ de Bêle et aux cimetières. Ce mauvais coup fait aux communistes indigne les socialistes366 et c’est bon gré mal gré qu’ils y participent. Lorsque le communiste Georges Batard demande à la municipalité de contribuer au financement du monument de la Sablière, inauguré en octobre 1950, les socialistes votent avec eux la subvention, en vain367.
124À la veille de l’inauguration, tant attendue, du monument aux 50 otages par un représentant du gouvernement Pinay le 22 octobre 1952, une très vive altercation oppose les communistes au maire qui ne les autorise pas à y prendre la parole en leur nom ; bien que pris à témoins par le maire, les socialistes ne pipent mot pour le soutenir368. D’une part, les socialistes supportent très mal qu’Orrion et un ministre de Pinay, qu’ils qualifient tous deux de vichystes, président cette cérémonie ; d’autre part, ils sont à l’unisson de nombre d’habitants qui ne pardonnent pas aux auteurs de l’attentat contre l’officier allemand Hotz d’avoir déclenché de telles représailles. Les communistes en sont d’ailleurs conscients et se gardent bien d’exalter la lutte armée en Loire-inférieure369. Le jour venu, les socialistes tiennent leur rang sans s’afficher au côté d’Orrion et de son équipe : l’ancien maire, Clovis Constant, accompagné de son camarade le maire de Saint-Nazaire, François Blancho, fait partie des personnalités accueillies par l’évêque dans la cathédrale tandis que le conseiller municipal SFIO, Pierre Léoneau, représente Libération-Nord. En revanche, la Résistance de l’Ouest ne relève le nom d’aucun communiste et ne mentionne pas non plus de représentants de la FNDIRP, alors que la FNDIR et l’UNADIF sont présentes, y compris à « la cérémonie intime » dans les locaux du journal pour le dévoilement d’un bas-relief dédié aux résistants par le ministre Claudius-Petit370. Si au niveau national et à long terme Châteaubriant est une réussite dans le processus de mythification de la résistance communiste, localement, les socialistes sont, comme à Marseille, plus en phase avec les sentiments de la majorité de leurs concitoyens. À la vision élitaire du PCF, ils s’accordent mieux avec celle des Nantais qui, à cause des 50 otages, peuvent dire « moi aussi j’ai souffert ». À terme, les socialistes cultivent leur implantation municipale371.
125Les luttes autour de la toponymie urbaine permettent ainsi d’observer comment les militants appliquent la politique mémorielle de leur parti à l’échelle locale. Or quelle que soit la ville, Daniel Milo montre qu’il n’est pas certain qu’elle puisse conserver longtemps vivante la mémoire de ceux qu’elle honore372. L’identité militante en général, et socialiste en particulier, est volatile ; elle nécessite d’être affichée et, si possible, régulièrement entretenue dans la mémoire collective par des rituels. Les élus ne sont pas sans l’ignorer même si l’histoire enseignée est alors sans doute plus incarnée par des grands hommes qu’aujourd’hui. Ces combats sont en fait profondément ancrés dans les enjeux du présent avant de se projeter dans le futur pour ériger un rempart contre l’oubli. Pour autant, de même qu’il serait impensable de ne pas arpenter les rues et les marchés pour gagner les élections, la toponymie ne peut être désertée. En la matière, les élus municipaux socialistes se montrent habiles. Autant les communistes, obéissant à leur ligne officielle, contribuent à construire le mythe du « parti des 75 000 fusillés » en réclamant le plus de dénominations possibles, autant les socialistes font preuve de plus retenue, privilégiant la qualité à la quantité, comme le souhaitait Gérard Jaquet dès novembre 1944373. En cela, ils risquent moins d’agacer la majorité de leurs concitoyens qui, à défaut de se prévaloir d’actes héroïques, peuvent au moins dire qu’eux aussi ont souffert374. Et par là même, ils se montrent plus réceptifs aux sensibilités locales. À Paris, c’est le ministre du Front populaire assassiné par les fascistes, Marx Dormoy, qui laisse une trace qu’ils peuvent espérer pérenne ; à Marseille et à Nantes, ils sont à l’unisson de la mémoire patriotique et du deuil de la cité qui pleure tous ses enfants.
126Dans un premier temps, les socialistes sont bridés par leur volonté de préserver l’union de la Résistance. Ils ne désespèrent pas – du moins les militants de base – de reconstituer « la vieille maison », et leur guerre des mémoires avec les communistes reste larvée jusqu’à ce que l’échec du comité d’entente devienne patent. Avec la crise du 4 mai 1947 et l’entrée en guerre froide, ils ne retiennent plus leurs coups et trouvent un merveilleux exutoire à leur anticommunisme en passant au crible la reconstruction mythique qu’il fait de son histoire. Or l’évolution de leur relation avec de Gaulle est assez comparable. Conformément au vœu de Léon Blum sous l’Occupation, ils se sont ralliés à l’homme du 18 juin et font preuve à son égard de loyauté jusqu’à sa démission fracassante de janvier 1946. Après une période d’incompréhension et de reproches, le discours de Bayeux de juin les libère et leurs critiques s’aiguisent jusqu’à devenir virulentes lorsque le Général crée le RPF en avril 1947. La période du GPRF et du Tripartisme ne doit donc pas faire croire que les socialistes désertent le terrain mémoriel. Au contraire, ils veillent à ne rien céder et entretiennent leur geste de gauche et leur rejet de l’homme providentiel. À usage interne au moins, ces pratiques mémorielles ont pour vertu de conforter les socialistes dans leurs valeurs et principes, et donc leur identité. À l’échelle locale, ils tâchent d’être au diapason du ressenti de leurs concitoyens, en partageant leurs souffrances et leurs deuils, tout en rendant hommage à leur patriotisme de bons Français. S’ils défendent leur place dans la toponymie urbaine, ils ne sont pas dans la surenchère à la différence de ce qu’ils jugent être l’attitude du PCF. Selon eux, le « parti des fusillés » risque de lasser les gens ordinaires. Même à bas bruit, leur occupation du terrain mémoriel n’est donc pas négligeable et, localement, a des effets durables qui favorisent leur implantation.
Conclusion : Ce n’est pas être nulle part qu’être partout
127Par la complexité de leur situation, les socialistes se distinguent d’emblée des deux principaux porteurs de mémoire de la Seconde Guerre mondiale, les gaullistes et les communistes, voire des démocrates-chrétiens du MRP. De là à conclure qu’ils sont en dehors du jeu, il y a un pas que nous ne franchirons pas.
128Leur parti a beau s’affirmer rénové par l’expérience résistante, il semble toujours appartenir aux temps anciens quand d’autres font démarrer leur roman partisan – pour adapter la formule du roman national – au 18 juin. Or, il ne peut pas non plus du passé faire table rase, comme le PCF qui semble capable de réécrire son histoire en fonction de ses besoins présents. En dépit d’une discipline interne statutaire, la SFIO doit composer avec les différentes expériences de guerre de ses membres et donc avec leurs différentes mémoires. Les socialistes, atteints d’un syndrome d’Andromaque que les psychiatres d’aujourd’hui qualifieraient peut-être de « stress post-traumatique », ruminent divers remords d’une guerre à l’autre : le vieux remords d’avoir rallié l’Union sacrée en 1914, le plus récent de la non-intervention en Espagne et – on l’a déjà vu – le vote du 10 juillet 1940. De sorte que, chez eux, les mémoires respectives de chaque guerre se juxtaposent, sans que celle de la dernière n’enfouisse celles des précédentes, en un encombrant mille-feuille. Tel le Funes el memorioso de Borges375, les socialistes éprouvent des difficultés à penser le présent en dehors de leurs mémoires des guerres et à trouver le point d’équilibre de la « juste mémoire » préconisée par Paul Ricœur.
129Cette tension, qui semble moins affecter leurs adversaires politiques, les conduit à s’engager sur plusieurs fronts à la fois pour défendre leur mémoire et conserver leur identité. Pour conjuguer leur pacifisme « plus jamais ça » avec leur atlantisme sans se renier, ils utilisent l’invocation quelque peu incantatoire à Jaurès et leur participation aux commémorations du 11 novembre auxquelles ils accordent un soin jaloux. En réalité, ils ne peuvent étouffer définitivement les bouffées d’un antimilitarisme prêt à ressurgir à la première crise. En revanche, ils réussissent mieux à digérer la non-intervention en Espagne en ne ménageant pas leurs efforts pour soutenir les républicains espagnols en exil et le PSOE et maintenir Franco au ban des nations. Disséminés dans la Résistance enfin, les socialistes se dispersent à nouveau pour en défendre l’esprit et l’héritage dans des associations telles que la FNDIR, le CAR ou encore l’UNADIF, autant d’organisations exogènes où ils cohabitent avec leurs adversaires du centre et de la droite. Ils échouent, cependant, à contrer tous ceux qui, au nom de la réconciliation de la nation, obtiennent l’amnistie générale en 1953.
130Jusqu’en 1947, en outre, ils souffrent de leur loyauté envers leurs partenaires au sein du GPRF puis du Tripartisme, ainsi que de leur fol espoir de reconstituer un unique parti ouvrier. Ces premières années pèsent sur leur capacité à occuper le terrain mémoriel, même s’il convient de réévaluer, selon nous, leur poids. La polarisation de la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale par les gaullistes et les communistes est indéniable mais, à y regarder de plus près, leur duel ne fait pas des socialistes de simples spectateurs passifs, surtout lorsque certaines hypothèques sont levées. Ils disputent aux communistes leurs traditionnels lieux de mémoire partagés, de la Commune au Front populaire, à Paris mais aussi en province. L’éphémère unité d’action où ils jouent le jeu – sans naïveté mais sans doute avec trop de loyauté – ne doit pas faire oublier qu’ils cultivent la geste de gauche pendant la guerre froide. Il convient surtout de réévaluer leur notable contribution à « la croisade de la vérité » pour démythifier le résistancialisme communiste. Quant au général de Gaulle, il leur est plus facile de rester fidèles à « l’homme du 18 juin », tout en attaquant l’homme providentiel récupéré par les vichystes qui se muerait en apprenti dictateur au cours de l’année 1946-1947. Ce qui – situation singulière là encore – ne les empêche pas de poursuivre leur combat pour préserver la mémoire de la Résistance aux côtés de gaullistes, comme au CAR dont Daniel Mayer prend la présidence en novembre 1954. Car sur le terrain, lorsqu’il s’agit de marquer de leur empreinte l’espace urbain par la toponymie et l’érection de monuments, les socialistes font preuve d’une capacité d’adaptation qui, souvent, leur permet au niveau local de dépasser les clivages politiques en dépit de la conjoncture nationale. Exemptés d’une mémoire par le haut contraignante, qu’il s’agisse de la foi en un homme d’exception ou envers une idéologie globalisante, ils s’acclimatent aux mémoires des territoires avec profit. Cette acculturation favorise leur implantation locale et prépare leur succès aux municipales de 1977, en amorçant un renversement du rapport de forces mémorielles avec les communistes.
Notes de bas de page
1Voir Lindenberg Daniel, « Guerres de mémoire en France », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 42, avril-juin 1994, p. 77-96 ; Veyrat-Masson Isabelle, Ferro Marc et Blanchard Pascal, « Les guerres de mémoires dans le monde », Hermès, no 52, octobre 2008, introduction ; Veyrat-Masson Isabelle et Blanchard Pascal, « Les guerres de mémoires : un objet d’études ? », Tracés. Revue de sciences humaines, HS, 2009, p. 43-52 ; et Ledoux Sébastien, Le devoir de mémoire. Une formule et son histoire, Paris, CNRS Éditions, 2016.
2Sur leur poids dans la société avant la guerre, voir Prost Antoine, Les anciens combattants et la société française (1914-1939), Paris, Presses de la FNSP, 1977.
3Voir Dalisson Rémi, Histoire de la mémoire de la Grande Guerre, Saint-Cloud, Éd. Soteca, 2015, p. 96-98.
4Voir Chambarlhac Vincent et Ducoulombier Romain (dir.), Les socialistes français et la Grande Guerre. Ministres, militants et combattants de la majorité (1914-1918), Dijon, EUD, 2008.
5Faure, Paul, Le Populaire, 2 octobre 1938.
6Il existe de nombreux travaux sur le pacifisme, mais sur celui des socialistes voir Gombin Richard, Les socialistes et la guerre. La SFIO et la politique étrangère française entre les deux guerres mondiales, Paris, Mouton, 1970 ; Bilis Michel, Socialistes et pacifistes ou l’impossible dilemme des socialistes français 1933-1939, Paris, Syros, 1979.
7Santamaria Yves, Le pacifisme, une passion française, Paris, A. Colin, 2005, p. 171.
8Voir supra, chap. i : « Une épine dans le pied : la contre-mémoire des paul-fauristes et autres exclus ».
9Sirinelli Jean-François, « La France de l’entre-deux-guerres : un “trend” pacifiste ? », dans Vaisse Maurice (dir.), Le pacifisme en Europe des années 1920 aux années 1950, Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 45.
10Prost Antoine, « Les représentations de la guerre dans la culture française de l’entre-deux-guerres », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 41, janvier-mars 1994, p. 23-31.
11Le Populaire, 31 décembre 1944-1er janvier 1945.
12Blum Léon, Les problèmes de la paix, Paris, Librairie du Populaire, 1931, 214 p.
13Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945 à Paris, CAS-FJJ, 15 août au matin, p. 358.
14Ibid., 15 août au matin, p. 350.
15Le Breton socialiste, 5 janvier, 23 février et 19 octobre 1946.
16Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 379.
17Faure Paul, Si tu veux la paix, Paris, Éd. du Parti socialiste, 1935, 281 p. et Challaye Félicien, Pour la paix désarmée, même face à Hitler, Le Vésinet, chez l’auteur, 1934. Paul Faure préconise surtout la fin de la production privée d’armements mais sa philosophie privilégie la paix à tout prix.
18Cité par Santamaria Yves, op. cit., p. 145. Sur le pacifisme antisémite à la SFIO, voir Sadoun Marc, « Les facteurs de conversions au socialisme collaborateur », Revue française de Science Politique, vol 28, no 3, juin 1978, p. 480-484 ; Burrin Philippe, La dérive fasciste, Doriot, Déat, Bergery (1933-1945), Paris, Le Seuil, 1986, p. 240 sq. ; et Dreyfus Michel, L’antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe de 1830 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, chap. 6.
19Sténographie du Congrès national extraordinaire des cadres des fédérations reconstituées dans la résistance, 9-12 novembre 1944 à Paris, CAS-FJJ, p. 14. Sur la ratification des accords de Munich, voir supra, chap. i : « Un parti épuré, rajeuni, rénové et surgi de la Résistance ».
20Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 366.
21Ibid., p. 59.
22Buton Philippe, « Le pacifisme communiste de la Seconde Guerre mondiale à la guerre froide », dans Vaisse Maurice (dir.), op. cit., p. 303-324.
23Voir Ayme Jean-Jacques, Jeunesses socialistes 1944-1948, Nantes, Éd. Amalthée, 2009. Dunoyer est le pseudonyme d’André Essel, le fondateur de la FNAC.
24Hamiel Bastien, « Le Rassemblement démocratique révolutionnaire. Acteurs et conjoncture d’une insoluble équation », dans Le Clech Sylvie et Hastings Michel (dir.), La France en guerre froide. Nouvelles questions, Dijon, EUD, 2015, p. 33-41.
25Voir Nadaud Éric, « Élie Bloncourt (1896-1978), une figure du socialisme de gauche unitaire », Parlement [s]. Revue d’histoire politique, no 12, 2009/2, p. 120-131.
26Sténographie du 39e Congrès national des 14-17 août 1947 à Lyon, CAS-FJJ, p. 8.
27Ibid., p. 276.
28Le Breton socialiste 18 octobre et 1er novembre 1947 et 14 février 1948.
29Sténographie du 40e Congrès national des 1er-4 juillet 1948 à Paris, CAS-FJJ, p. 52.
30Buffotot Patrice, Le socialisme français et la guerre. Du soldat citoyen à l’armée professionnelle 1871-1998, Bruxelles, Bruyland/LGDJ, 1998, p. 214.
31Voir par exemple de Faure Paul, Les marchands de canons contre la Paix. Discours prononcé à la Chambre des députés le 11 février 1932, Paris, PS-SFIO, 1932, 36 p.
32Jouve Géraud, « Un anniversaire angoissant », Le Populaire, 10, 11 et 12 août 1947 ; « Socialisme et impérialisme devant la bombe atomique », Revue socialiste, no 9, mars 1947 ; « La bombe atomique va-t-elle pulvériser le droit de veto ? », Le Populaire, 6 août 1948, et « Il faut mettre la bombe hors la loi », Le Populaire, 7 août 1948.
33Ulysse, « Du neuf et de l’atomique », Le Populaire du Centre, 10 novembre 1947.
34Michel Florian, Le neutralisme au seuil de la Guerre froide. Entre culture, pouvoir et relations internationales : l’affaire Gilson, Paris, Librairie$ùùùhilosophique Vrin, 2018.
35Jouve Géraud, « La bombe H appelle une solution urgente au contrôle atomique ! », Le Populaire Dimanche, 19 février 1950.
36Voir Mechoulan Éric, Jules Moch, un socialiste dérangeant, Bruxelles, Bruylant-LGDJ, 1999. Moch s’inquiète particulièrement de « la prolifération » avant la lettre des armes nucléaires, qu’il pressent et appelle à contrôler leur production. Voir « Difficultés et chances du désarmement », dans « La Guerre et la Paix », La NEF, 10e année, nouvelle série, cahier no 4, juillet 1953, p. 132-146.
37Séance du 26 octobre 1950, AN, JO, p. 7253-7254.
38Jean Capdeville (Seine inférieure – SFIO), au nom du groupe socialiste, séance du 26 octobre 1950, AN, JO p. 7280 et scrutin du 23 novembre 1950, AN, JO, p. 8099.
39Marcel Pouyet (Allier – Républicains progressistes), séance du 23 novembre 1950, AN, JO, p. 8078-8080.
40Séance du groupe socialiste du 24 octobre 1950, citée par Buffotot Patrice, op. cit., p. 227.
41Sténographie du 43e Congrès national des 12-15 mai 1951 à Paris, CAS-FJJ, p. 228-230.
42Ibid., p. 119-123.
43Sur cette confusion qui touche plus généralement toute la société française, voir Vaisse Maurice, « Le passé insupportable. Les pacifismes, 1984, 1938, 1914 », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 3, juillet 1984, p. 27-40.
44Hohl Thierry, « Jaurès mort, la construction d’un patrimoine », dans Chambarlhac Vincent et Ducoulombier Romain (dir.), op. cit., p. 84-90.
45Pollack Guillaume, « Une mémoire improbable : Jaurès sous l’Occupation (1940-1944) », Les Cahiers Jean Jaurès, no 211, 2014/1, p. 95-114.
46Delepine Maurice, « Jaurès délivré », Le Populaire, 6 septembre 1944.
47Rioux Jean-Pierre, « Lectures posthumes de Jaurès », dans Reberioux Madeleine et Candar Gilles, Jaurès et les intellectuels, Paris, Éd. de l’Atelier, 1994, p. 231-250.
48Blum Léon, Jaurès, Paris, Éd. de la Liberté, Pages socialistes no 3, 1944 (réédition d’une conférence donnée le 16 février 1933 au Théâtre des Ambassadeurs).
49Auriol Vincent, Souvenirs sur Jean Jaurès, Discours prononcé à Alger le 30 juillet 1944 à la manifestation organisée à l’occasion du 30e anniversaire de la mort de Jean Jaurès, Paris, Éd. de la Liberté, 1945.
50Ibid., p. 14.
51Ibid., p. 16.
52Encart publicitaire, Le Populaire, 11 décembre 1946.
53Lalou René, « Jaurès guide et médiateur », Le Populaire, 12 septembre 1944.
54Le Populaire, 1er août 1945.
55« Par milliers, communistes, socialistes et républicains ont fleuri la place où Jaurès a été assassiné », L’Humanité, 1er août 1945. Le journal présente l’hommage commun en soirée, à la mairie de Montreuil, comme un appel « à l’unité d’action » avant tout. Et Jaurès est cité pour légitimer une armée nationale incorporant les résistants et les Milices patriotiques (ibid., p. 2).
56Bracke-Desrousseaux Alexandre, « Le centenaire de Guesde », Le Populaire, 11 novembre 1945 ; « Le 11 novembre 1845, naissait Jules Guesde », Le Populaire du Centre, 10 novembre 1945.
57Sur les sept éditions de L’Armée nouvelle, voir l’introduction de Candar Gilles, « L’arme nouvelle : trois introductions » sur le site de la Société d’études jaurésiennes, [http://www.jaures.info/dossiers/dossiers.php?val=65_l+armee+nouvelle+trois+introductions].
58Morin Michel, « Vers l’Armée nouvelle », Le Populaire, 16 février 1946.
59« Vincent Auriol, à Limoges, célèbre le souvenir de Jean Jaurès », Le Populaire, 23 juillet 1946.
60« Deux imposantes manifestations… », Le Populaire, 1er août 1947.
61« Ce soir, à 18H, en face du café du Croissant », Le Populaire, 31 juillet 1947.
62« Deux imposantes manifestations… », art. cité.
63Le Populaire, 29 juillet 1947.
64Pivert Marceau, « 31 juillet 1914 : Jaurès assassiné ! 31 juillet 1947 », Le Populaire, 29 juillet 1947.
65Le Breton socialiste, 3 août 1946, 9 août 1947, 14 août 1948, 23 juillet 1949 etc.
66Guyon Jean-Raymond, « La guerre n’est jamais fatale », La République de Normandie, 8 janvier 1954.
67Le Populaire, 1er-2 août 1948.
68« Guy Mollet à Maurice Thorez », Le Populaire Dimanche, 6 mars 1949.
69Voir par exemple la photographie panoramique de la tribune du congrès de juillet 1949 : un grand portrait de Marx est affiché sur le mur du fond, alors qu’un buste de Jaurès trône juste devant. Le Populaire Dimanche, 24 juillet 1949.
70Lalouette Jacqueline, Jean Jaurès, l’assassinat, la gloire, le souvenir, Paris, Perrin, 2014, p. 270-271.
71« Jean Jaurès apôtre de la Paix », Le Populaire Dimanche, 15 janvier 1950, p. 8-9.
72Fontaine Marion, « Usages politiques de Jaurès », Cahiers Jaurès, no 200, 2011/2, p. 17-35.
73La Voix du Nord, 23 juillet 1956 et La République de Normandie, 27 juillet 1956.
74Candar Gilles et Duclert Vincent, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014, p. 510-511 et Fontaine Marion « Mauriac, Mollet, Jaurès », Cahiers Jaurès, no 189, juillet-septembre 2008, p. 73.
75Laurent Augustin, Jules Guesde et Jean Jaurès – Deux grandes figures – Une même leçon, Paris, Librairie des municipalités, supp. au BI, no 94, 1957 et Auriol Vincent, présentation de Jean Jaurès, Paris, PUF, coll. « Ils ont fait la République », 1962.
76Ernest Labrousse est membre de la SFIO de 1914 à 1920, puis du PCF jusqu’en 1925, date à laquelle il revient à la SFIO, qu’il quitte à nouveau en 1958 pour le PSA puis le PSU. Voir la notice de Justinien Raymond, DBMOF Sur la SEJ, voir Blum Françoise, « Portrait de groupe avec dame », Cahiers Jaurès, no 183-184, janvier-juin 2007, p. 53-64.
77Candar Gilles et Duclert Vincent, op. cit., p. 512.
78Prost Antoine, « D’une guerre mondiale à l’autre » dans La mémoire des Français. Quarante ans de commémorations de la Seconde Guerre mondiale, Paris, CNRS Éditions, 1986.
79Barcellini Serge, « L’État républicain, acteur de mémoire : des morts pour la France aux morts à cause de la France », dans Blanchard Pascal et Veyrat-Masson Isabelle, Les guerres des mémoires. La France et son histoire, Paris, La Découverte, 2008, p. 209-219.
80Bracke-Desrousseaux Alexandre, « Souvenirs de trente ans », Le Populaire, 28 octobre 1944.
81Mayer Daniel, « La France unanime commémore les héros de la Liberté », Le Populaire, 1er novembre 1944.
82Le Populaire, 2 novembre 1944.
83Namer Gérard, La commémoration en France de 1945 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1987, p. 19-21.
84Consignes du bureau fédéral, Le Populaire, 11-12 novembre 1945.
85Le Populaire, 11-12 novembre 1945.
86Dalisson Rémi, « Du héros à la victime : le mythe du poilu dans les fêtes nationales, de 1945 à nos jours », dans Jalabert Laurent et al. (dir.), La longue mémoire de la Grande Guerre. Regards croisés franco-allemands de 1918 à nos jours, Villeneuve-d’Ascq, Septentrion, 2017, p. 184.
87Cité par Dalisson Rémi, Du souvenir à la mémoire, histoire du 11 novembre des origines à nos jours, Paris, A. Colin, 2013, p. 124.
88Le Populaire, 12-13 mai 1946 et « Le roi du Cambodge, MM. Bevin, Byrnes et Molotov assistent au défilé des troupes, places de l’Étoile. Galas et cérémonies », Le Monde, 14 mai 1946.
89« Dans Orléans en fête… », Le Populaire, 9 mai 1947. Sur ce que représente le 8 mai à Orléans et cette visite présidentielle, voir Castagnez Noëlline, « La mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans la vie politique orléanaise après la Libération », dans Allorant Pierre et al. (dir.), Mémoires des guerres. Le Centre-Val-de-Loire de Jeanne d’Arc à Jean Zay, Rennes, PUR, 2015, p. 269-286.
90« Aux morts de 14-18… », Le Monde, 12 novembre 1947 et « Une manifestation politique… », Le Monde, 13 novembre 1947.
91Le Populaire, les 11 et 12 novembre 1947.
92Anciens-combattants de 14-18, ils conduisent la délégation de la FOPAC en 1946 : voir « Journée du souvenir », Le Populaire, 12 novembre 1946. Dans le DBMOF, pour l’Hérault où les auteurs ont renseigné ce champ, on trouve également au titre de 14-18 : Victor Rocacher (président), Léo Terral, Émile Azéma, Aimé Fontes et Auguste Bertuel. Auguste Gévaudan anime celle de la Seine et Charles Hénon celle de l’Aisne.
93« En Province », Le Populaire du Centre, 11 novembre 1945.
94Voir Castagnez Noëlline, Socialistes en République. Les parlementaires SFIO de la IVe République, Rennes, PUR, 2004, p. 85.
95Éditorial du Populaire du Centre, 11 novembre 1944.
96« Limoges a honoré la mémoire de ses morts », Le Populaire du Centre, 11 novembre 1945.
97Peyrat Marie-Louise, « Les deux cortèges », Le Populaire du Centre, 10 novembre 1947 et Peslier Paul, « 11 novembre », ibid., 11 novembre 1947.
98Le Provençal, 12 novembre 1954.
99Voir supra, chap. i : « Un parti épuré, rajeuni et surgi de la Résistance » et « Les socialistes ont-ils la mémoire courte ? ».
100Binot Jean, « Nous ne l’oublierons jamais », Le Populaire, 21-22 mars 1948.
101Ricœur Paul, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Le Seuil, 2000, introduction et p. 536-537.
102Ibid., p. 82.
103À écouter « À Luna-Park, Blum tente de justifier aux militants sa politique de non intervention en Espagne », 6 septembre 1936, Jalons, INA, [http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu02043/a-luna-park-blum-tentede-justifier-aux-militants-sa-politique-de-non-intervention-en-espagne.html].
104Léon Blum en action pour la paix. Une séance historique à la Chambre des députés (5 décembre 1936), préface de Paul Faure, Paris, Librairie du Populaire, 1936, 26 p. et Blum Léon, La question d’Espagne, discours prononcé à la Chambre le 26 janvier 1939, Paris, Librairie du Populaire, 1939, 24 p.
105Lecture des deux lettres par Jean Minjoz (Doubs), Sténographie du Conseil national… 1944, arch. cit., p. 99.
106Blum Léon « La non-intervention en Espagne », Le Populaire, 14-15 octobre 1945.
107Marty André, « La non-intervention en Espagne », L’Humanité, 16 octobre 1945 et Blum Léon, réponse à André Marty, Le Populaire, 17 octobre 1945.
108Paul-Boncour Joseph, Entre deux guerres. Souvenirs de la IIIe République, t. 3 : « Sur les chemins de la défaite 1935-1940 », Paris, Plon, 1946, p. 73.
109Le Populaire Dimanche, 25 mars 1951.
110Llopis salue Toulouse « la capitale de la République espagnole en exil » et son « maire des réfugiés espagnols », Sténographie du 49e Congrès national du 27-30 juin 1957 à Toulouse, CAS-FJJ, p. 18.
111Le Populaire, 25 et 27 février 1946 et L’Humanité, 27 février 1946, dont une photographie confirme que le vélodrome est archi-comble.
112« Socialistes et syndicalistes français et espagnols ont conduit hier de la rue Victor Massé au Père Lachaise… », Le Populaire, 28 mars 1946.
113« Largo Caballero a été inhumé hier au Père-Lachaise », L’Humanité, 28 mars 1946.
114Délibérations du conseil municipal, séance du 25 mars 1946, AM de Lille, p. 168-169.
115Délibérations du conseil municipal, séance du 31 janvier 1947, AM de Limoges, p. 115-116. Rappelons que le communiste Georges Guingouin est maire.
116Clarté, 6 septembre 1947, cité par Guyvarc’h Didier, La construction de la mémoire d’une ville, Nantes, 1914-1992, thèse de Rennes 2 dirigée par Alain Croix, Villeneuve-d’Asq, Presses du Septentrion, 1994, p. 540.
117Baron Jacques, série « En Espagne », Le Populaire, novembre 1944.
118Las Roger, Le Populaire, 12 décembre 1944 et Monier H., idem, 15 décembre 1944.
119Guillien Roger, « Une heure avec ceux qui libèreront l’Espagne », Le Populaire, 28 août 1945.
120Sténographie du 37e Congrès national des 11 et 15 août 1945, arch. cit., p 152.
121Le Breton socialiste, 23 février 1946.
122Il n’y a plus de représentant du PSOE jusqu’au 59e congrès national de Grenoble en juin 1973.
123Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 259 et p. 395.
124Sténographies du 38e Congrès national des 29 août-1er septembre 1946 à Paris, CAS-FJJ, p. 180 et du 39e Congrès national des 14-17 août 1947, arch. cit., p. 75.
125« 14 avril 1931-14 avril 1947. La république espagnole a trente ans », Le Populaire, 16 avril 1947.
126« Le quinzième anniversaire de la République espagnole », L’Humanité, 16 avril 1947.
127Blum Léon, « Franco protège les assassins de Dormoy », Le Populaire, 23-24 juin 1947.
128Rosenfeld Oreste, Le Populaire Dimanche, 17 avril 1949.
129Paul-Boncour Joseph, Le Problème espagnol devant la conscience universelle, Services de l’information et de la propagande de la République espagnole, Paris, Société parisienne d’impressions, 1949.
130Combes André, 1914-1968 La Franc-maçonnerie cœur battant de la République, Paris, Éd. Dervy, 2018, chap. ix.
131Intervention de Llopis, Sténographie du 42e Congrès national des 26-29 mai 1950 à Paris (partie 2), CAS-FJJ, p. 3-5.
132Dulphy Anne, « La France et la défense atlantique : le pacte hispano-américain de septembre 1953 », RHMC, no 49, 2002/4, p. 53-70.
133La Revue socialiste, no 46, avril 1951 et Paul-Boncour Joseph, « Aidez ceux de Barcelone », Le Populaire Dimanche, 29 avril 1951.
134Sténographie du 52e Congrès national des 30 juin-3 juillet 1960 à Issy-les-Moulineaux, CAS-FJJ, p. 279-282.
135Wieviorka Olivier, « Guerre civile à la française ? Le cas des années sombres 1940-1945 », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 85, 2005/1, p. 5-19.
136Il a été montré depuis que cette représentation s’inscrivait dans la longue durée. Voir Caron Jean-Claude, Frères de sang. La guerre civile en France au xixe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2009.
137Dédicace de Girard Louis-Dominique à Jean Castagnez du 22 mars 1950 de La guerre franco-française, Paris, Éditions André Bonne, 1950, arch. privée de l’auteur.
138Avertissement, ibid., p. 8.
139Il a été montré que l’épuration avait fait 10 000 victimes maximum. Voir Rioux Jean-Pierre, « L’épuration en France », L’Histoire, no 5, octobre 1978, p. 24-32, confirmé par Baudot Marcel et Levy Claude, Bulletin de l’IHTP, CNRS Éditions, no 4, juin 1981, p. 19-45.
140Voir Azema Jean-Pierre, Rioux Jean-Pierre et Rousso Henry, « Les guerres franco-françaises », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 5, janvier-mars 1985, p. 3-6 et Rousso Henry, « Vichy, le grand fossé », ibid, p. 55-80.
141Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Annette, 14-18 Retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000 et Cabanes Bruno et Piketty Guillaume (dir.), « Sortir de la guerre : jalons pour une histoire en chantier », CHSP, Histoire @ Politique, no 3, 2007/3.
142Voir supra, chap. ii.
143L’Humanité, 17 décembre 1944 ; « Le serment de la Résistance du 15 décembre 1944 », Le Populaire, 17 décembre 1944.
144Le Populaire, 4 juillet 1945.
145Blum Léon, « Le problème de l’unité », Le Populaire, à partir du 5 juillet 1945.
146« Manifeste au Peuple de France », Le Populaire, 22 août 1944.
147Le Populaire, 2e éd., 26 août 1944.
148Délibérations du conseil municipal, séance du 5 septembre 1944, AM de Lille, p. 5 et 10.
149« L’armée française a retrouvé ses drapeaux », Le Populaire, 3 avril 1945.
150Lussy Charles, « Ici Londres, le général de Gaulle vous parle… et la France est appelée à la Résistance », Le Populaire, 17-18 juin 1945.
151Blum Léon, « La lettre de démission », Le Populaire, 22 janvier 1946.
152Mollet Guy, « Du gaullisme de 1940 au néo-gaullisme de 1949 », Le Populaire Dimanche, 20 février 1949.
153Voir Morin Gilles, « Le parti socialiste SFIO et les associations », dans Andrieu Claire, Le Beguec Gilles et Tartakowsky Danielle, Associations et champ politique, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 362.
154Sténographie du 43e Conseil national des 1er et 2 décembre 1951, arch. cit., p. 102.
155Ibid., p. 104.
156D’après la liste de son premier comité directeur de 1948, reproduite dans Car, Plus de soixante ans d’histoire, Paris, imprimerie Launay, 2011, p. 11. Voir aussi « Le CAR entre en lutte contre les collaborateurs impertinents », Le Populaire, 10 avril 1948.
157Mayer Daniel, « Les députés résistants », La Voix de la Résistance, no 96, décembre 1950.
158Daniel Mayer (SFIO – Seine), Première séance du 7 novembre 1950, AN, JO, p. 7510-7511.
159Voir Boursier Jean-Yves « L’association, la construction du passé et l’écriture de l’événement », dans Benoit Bruno et Frangi Marc, Guerres et associations, Lyon, PUL, 2003, p. 43.
160Voir Vergnon Gilles, « Les associations d’anciens combattants du maquis du Vercors, le souvenir et la mémoire », dans « Les associations d’anciens résistants et la fabrique de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale », Cahiers du CEHD, no 28, ministère de la Défense, 2006, p. 65.
161Voir Durand Yves, « Les associations des anciens prisonniers de guerre », dans Wahl Alfred (dir.), Mémoire de la Seconde Guerre mondiale, actes du colloque de Metz 6-8 octobre 1983, Metz, Centre de recherche Histoire et civilisation de l’Europe occidentale, 1984, p. 41-53.
162Voir notice de Gilles Morin, DBMOF Georges Beauchamp quitte la 19e section SFIO de la Seine en 1950 pour rejoindre Mitterrand à l’UDSR.
163Lalieu Olivier, « L’Invention du “devoir de mémoire” », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 69, 2001/1, p. 83-94.
164Reproduit dans Car, op. cit.
165Voir Wieviorka Olivier, « Les avatars du statut de résistant en France (1945-1992) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 50, avril-juin 1996, p. 59.
166Michel Henri, « L’œuvre de la Commission parlementaire chargée d’enquêter sur les événements survenus en France de 1933 à 1945 », Revue d'histoire de la Seconde Guerre mondiale, no 3, juin 1951, p. 94.
167« La Commission d’enquête sur les événements survenus en France de 1933 à 1945 », Le Populaire, 10 et 11 juillet 1947.
168Voir l’intervention d’Albert Aubry (SFIO – Ille-et-Vilaine), rapporteur du budget, le 21 juillet 1947, cité par Wieviorka Olivier, « Les avatars du statut… », art. cité, p. 58. Voir aussi Barcellini Serge, « La Résistance française à travers le prisme de la carte du CVR », dans IHTP, La Résistance et les Français : villes, centres et logiques de décision, actes du colloque international de Cachan, 16-16 novembre 1995, IHTP, 1995, p. 151-181.
169Hermann Jean-Maurice, « La Résistance militaire ? Nous ne l’avons guère connue », Le Populaire, 12 janvier 1946.
170Voir l’intervention de Marcel Darou (SFIO – Nord), 14 décembre 1948, cité par Wieviorka Olivier, « Les avatars du statut… », art. cité, p. 58
171Voir supra, chap. i : « Une épine dans le pied : la contre-mémoire des paul-fauristes et autres exclus » et la note 32. Coston Henry (dir.), Partis, journaux et hommes politiques d’hier et aujourd’hui, Paris, no spécial des Lectures françaises, décembre 1960. Sur « la guerre franco-française froide », voir Rousso Henry, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1987, p. 42-48.
172Défense des libertés françaises, L’épuration arme politique, « Les cahiers de la France libérée », Paris, Éd. de la Nouvelle France, no 1, 1947, 61 p.
173Desgranges Jean-Marie, Les crimes masqués du résistantialisme, Paris, l’Élan, 1948, réédité chez l’Encre, en 1998, avec une préface du pamphlétaire frontiste André Figueras.
174Mauloy J.-F. [Jacques], Les nouveaux saigneurs, Paris, La Balance, 1948.
175Le Monde et L’Humanité, 16 mars 1948. Si Jacques Fauvet se contente d’ironiser sur l’avenir de ce rassemblement, à sa une, L’Humanité s’indigne : « Jules Moch a autorisé le banquet de la trahison autour de Pierre-Étienne Flandin et de Paul Faure ! Les fossoyeurs de la République ont célébré Munich, Pétain, de Gaulle ».
176Le Populaire, 16 mars 1948. Voir aussi Cointet Michèle, « Le banquet des Mille », dans Richard Gilles et Sainclivier Jacqueline, La recomposition des droites en France à la Libération 1944-1948, Rennes, PUR, p. 325-332.
177« Pour faire libérer son camarade injustement emprisonné », Le Populaire, 6-7 octobre 1946. Proche de Guy Mollet, Piette entre au comité directeur en 1947.
178Roels Marcel, « Quelque part dans le maquis normand… », Le Populaire, 4 et 5 décembre 1946.
179Morin Michel, Le Populaire, 7, 8, 9, 15, 23, 24 et 27 novembre 1946.
180« Quatre ans de pillage », Le Populaire, 16, 22 avril, 4 mai et 7 mai 1947. André Fontain est le pseudonyme d’André Kanter, ami d’enfance de Daniel Mayer.
181Las Roger, « La moutarde (de Dijon) monte au nez des vichystes », Le Populaire, 13 mars 1948.
182« Montoire Verdun diplomatique interdit » se réjouit Le Populaire, 18 mars 1948.
183« On a libéré d’autres collaborateurs, on peut bien libérer Pétain ! », Le Populaire, 16 avril 1948.
184« Les lecteurs de L’Aurore réclament la liberté pour Pétain », Le Populaire, 18-19 et 23 avril 1948.
185Le Populaire, 25-26 avril 1948.
186Voir Baudiniere Caroline, « Une mobilisation de victimes illégitimes. Quand les épurés français de la Seconde Guerre mondiale s’engagent à l’extrême droite », no 30, Raisons politiques, 2008/2, p. 21-39.
187Daniel Mayer (SFIO – Seine), première séance du 7 novembre 1950, AN, JO, p. 7507-7508 et 7510.
188Séance du 22 décembre 1950, CR, JO, p. 3271.
189En l’occurrence, le numéro du 1er novembre 1950 de Réalisme dénonce l’exécution de Pierre Laval et met en accusation de Gaulle et le ministre de la Justice, Francois de Menthon. Ibid, p. 3275.
190Auparavant, en octobre 1940, Roger de Saivre a fondé avec Henri Pugibet la Jeunesse de France et d’outre-mer, qui entendait mener une action révolutionnaire fondée sur une rhétorique autoritaire, xénophobe, antisémite et anticommuniste.
191On y trouve Odette Moreau, déportée de Ravensbrück, et même un compagnon de la Libération, André Moulinier. La liste lance un journal, Unir, dirigé par Michel Petitjean, dont le premier numéro, le 12 juin 1951, appelle à la réconciliation des pétainistes et des résistants.
192Séance du 11 avril 1952, AN, JO, p. 2215.
193Ibid., p. 2220.
194Voir « Les socialistes veulent mettre fin au scandale de la presse collaborationniste », Le Populaire, 2 juin 1948 et Car, « Les ultras de la collaboration – Inter-France – Documents » et « La presse dite “acquitté” », no 2 et 3, Les Cahiers de la Résistance, 1949.
195Voir Car, op. cit., p. 25-26.
196Voix de la Résistance, 15 juillet 1953.
197Rousso Henry, « À contre-courant : l’ADMP », dans Wahl Alfred (dir.), op. cit., p. 111-123.
198André Boissarie est procureur général, spécialiste de droit international et membre de la LDH. Chef du réseau Alliance, Marie-Madeleine Fourcade devient présidente du CAR en 1962.
199« Le CAR – Alerte à la propagande néo-nazie », Démocratie, 21 avril 1960.
200Douzou Laurent, La Résistance française : une histoire périlleuse, Paris, Le Seuil, 2005 et (dir.), Faire l’histoire de la Résistance, Rennes, PUR, 2010.
201Résistant, membre du MUR et du CDL de la Loire, Édouard Perroy est membre de la SFIO de 1924 à 1958, date à laquelle il la quitte pour le PSA puis le PSU. Voir la notice de Jacques Girault, DBMOF.
202Laurent Douzou en émet l’hypothèse (La Résistance française…, op. cit., p. 55.), laquelle est confirmée par Bourgin Georges, Le problème de l’histoire de l’Occupation et de la Libération, conférence du 7 février 1946, Archives nationales, 72AJ/58, dossier no 12, pièce 5, consultable sur le site des inventaires virtuels. Bourgin est membre de la SFIO depuis 1905. Voir la notice de Justinien Raymond, DBMOF.
203Henri Michel est agrégé d’histoire-géographie depuis 1932, militant SFIO depuis 1934, membre du parti clandestin et membre du CDL du Var (Voir notice de Jacques Girault dans le DBMOF). Odette Merlat est agrégée d’histoire depuis 1935, membre du réseau du Musée de l’Homme et membre de la SFIO depuis la Libération (voir notice de Jacques Girault et Gilles Morin dans le DBMOF).
204Bourgin Georges, « Un “Comité d’Histoire de la Guerre” », La Revue socialiste, no 3, juillet 1946, p. 395.
205Merlat Odette, Notes documentaires et études, nos 25 et 26, Ministère de l’Information, janvier 1946. Voir Blanc Julien, « L’histoire de la Résistance avant les travaux du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale », dans Douzou Laurent (dir.), Faire l’histoire…, op. cit., p. 26.
206Bourgin Georges, « La pensée politique de la Résistance », Le Populaire, 21-22 septembre 1947.
207Granet Marie, « Le Congrès d’Histoire de la IIe guerre mondiale de l’occident », La Revue socialiste, no 38-39, 1950, p. 325-326.
208Piketty Guillaume, « L’histoire de la résistance dans le travail du Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale : projets, méthodes », dans Douzou Laurent (dir.), Faire l’histoire…, op. cit., p. 31-45.
209Bourgin Georges et Merlat Odette, Histoire de la Libération de la France racontée à la jeunesse 1940-1945, Paris, éd. Guy le Prat, 1947, 46 p.
210Michel Henri, Histoire de la Résistance, Paris, PUF, QSJ ?, 1950. Sur les origines et les interprétations du film, voir Lindeperg Sylvie, « Nuit et brouillard ». Un film dans l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2007.
211Sténographie du Conseil national du 25 février 1950, CAS-FJJ, p. 40.
212Loraux Nicole, La cité divisée. L’oubli dans la mémoire d’Athènes, Paris, Payot, 1997 et Baroin Catherine, Se souvenir à Rome. Formes, représentations et pratiques de la mémoire, Paris, Belin, 2010 et Gacon Stéphane, L’amnistie. De la Commune à la guerre d’Algérie, Paris, Le Seuil, 2002.
213Réflexion de Nietzsche citée par Ferenczi Thomas (dir.), Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Paris, Complexe, 2002, p. 14.
214« Il a porté la francisque : il ne sera pas député ! », Le Populaire, 21 décembre 1945. Scrutin du 20 décembre 1945, AN, JO, p. 275-276. Sur les 140 SFIO présents, 41 n’ont pas pris part au vote.
215Selon les statuts du parti, il s’agit de deux indisciplines avérées, mais qui n’ont aucun écho car sans conséquences.
216Séance du 4 octobre 1946, ANC, JO, p. 4576.
217Adrien Mabrut (SFIO – Drôme), séance du 22 avril 1946, AN, JO, p. 1748.
218Séance du 25 juillet 1947, CR, JO, p. 1118. Voir aussi Gaston Defferre (SFIO, Bouches-du-Rhône), séance du 1er août 1947, AN, JO, p. 3842.
219Séance du 12 avril 1946, AN, JO, p. 1749 et séance du 25 juillet 47, CR, JO, p. 1119.
220Eugène Montel (SFIO, Haute Garonne), séance du 1er août 47, AN, JO, p. 3847-3848.
221Rachel Lempereur (SFIO, Nord), séance du 26 novembre 1948, AN, JO, p. 7296.
222Gacon Stéphane, op. cit., p. 161-247.
223Joannès Charpin (MRP, Rhône), séance du 24 octobre 1950, AN, JO, p. 7103.
224Cité par Nicolaidis Dimitri, « La nation, les crimes et la mémoire », dans Nicolaidis Dimitri (dir.), Oublier nos crimes. L’amnésie nationale : une spécificité française, Paris, Autrement, 2002, p. 12.
225Jean Geoffroy (SFIO, Vaucluse), séance du 21 décembre 1950, CR, JO, p. 3229.
226Albert Aubry (SFIO, Ille-et-Vilaine), séance du 17 novembre 1950, AN, JO, p. 7880-7886.
227Jean Geoffroy (SFIO, Vaucluse), séance du 8 juillet 1953, CR, JO, p. 1163.
228Daniel Mayer (SFIO, Seine), séance du 24 juillet 1953, AN, JO, p. 3946.
229Roger Carcassone, (SFIO, Bouches-du-Rhône), séance du 9 juillet 1953, CR, JO, p. 1242.
230Daniel Mayer : « nous ne voterons pas cette loi […] au nom d’une foi qui relève de la métaphysique de la loi du pardon », séance du 24 juillet 1953, AN, JO, p. 3946.
231Rosoux Valérie, « Réconcilier : ambition et piège de la justice transitionnelle. Le cas du Rwanda », Droit et société, no 73, 2009/3, p. 613-633. Elle montre que l’injonction au pardon réciproque en échange de la confession du crime n’est pas toujours efficace.
232Ricœur Paul, « Esquisse d’un parcours de l’oubli », dans Ferenczi Thomas (dir.), op. cit., p. 23-31.
233Conan Éric et Rousso Henry, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994.
234Cité par Nora Pierre, « Gaullistes et communistes », dans Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, t. 2 : Les France, Paris, Quarto Gallimard, (1992) 1997, p. 2489-2532.
235Propos confiés à Wieviorka Olivier, Nous entrerons dans la carrière. De la Résistance à l’exercice du pouvoir, Paris Le Seuil, 1994, p. 53-54.
236Sténographie du 38e Congrès national des 29 août-1er septembre 1946, arch. cit., p. 98-99.
237Voir supra, chap. i : « Déportés et déportés raciaux : élitisme ou refoulement ? ». Sont ici développées les pistes amorcées dans Castagnez Noëlline, « Penser le passé à la Libération », dans Cepede Frédéric et al. (dir.), Les socialistes français à l’heure de la Libération perspectives française et européenne 1943-1947, Paris, OURS-CHS XXe, p. 47-64.
238Dumas Charles, « Le 21 juin 1941… », Le Populaire, 23 juin 1945.
239Blum Léon, « Le problème de l’unité », Le Populaire, 21 juillet 1945.
240« Le 28e anniversaire de l’Armée rouge », Le Populaire, 23 février 1946.
241Mayer Daniel, « La Russie soviétique et nous », Le Populaire, 9 avril 1946.
242Duclert Vincent, 1870-1914 La République imaginée, Belin, coll. « Histoire de France », 2010, p. 86.
243L’usage de la Commune par la mémoire socialiste après 1944, moins ostentatoire, n’est guère étudié à la différence de celui des communistes. Voir Tartakowsky Danièle, Nous irons chanter sur vos tombes, Le Père-Lachaise, xixe-xxe siècle, Paris, Aubier, 1999 et « La Commune : “mémoire vive”, résurgences et refoulements », dans Perrot Michelle, Rougerie Jacques et Latta Claude (dir.), La Commune de 1871. L’événement, les hommes et la mémoire, Saint-Étienne, PU de Saint-Étienne, 2004, p. 332 sq. et Fournier Éric, La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, Clermont-Ferrand, Libertalia, 2013.
244Bourgin Georges et Dunois Amédée (dir.), La guerre de 1870-1871 et la Commune, Paris, Les Éditions nationales, 1939 et Bourgin Georges, « Le sens prolétarien de la Commune », Le Revue socialiste, no 1, mai 1946, p. 14-17.
245« 1871-1944 », Le Populaire, 24 août 1944 et L’Humanité des 24, 25 et 26 août 1944.
246Dessins de Paul Ordner et de Robert Fuzier, Le Populaire, 10 et 11 février 1945.
247« Tous demain 11 février à la statue de la République… » et « À la République… », L’Humanité, 10 et 13 février 1945.
248Entre autres… La liste la plus complète des participants se trouve à la page 2 de L’Humanité du 10 février 1945.
249« Place de la République… », Le Populaire, 13 février 1945.
250Cachin Marcel, L’Humanité, 13 février 1945.
251Appel des fédérations SFIO de la Seine et de la région Paris-Ville du PCF, Le Populaire, 10 mai 1945. Il faut attendre le 23 mai pour que L’Humanité lance lui aussi l’appel… le temps de changer d’avis ?
252Le Populaire, 11 mai 1945 et L’Humanité, 12 mai 1945.
253Lussy Charles, « Peuple de Paris, au mur des fédérés ! », Le Populaire, 23 mai 1945. En écho, à l’hommage d’Oyonnax, le 11 novembre 1943 : « Aux combattants d’hier, les combattants d’aujourd’hui ».
254« L’ordre du cortège », Le Populaire, 27-28 mai 1945 et « L’immense cortège », L’Humanité, 29 mai 1945. Les déportés ne sont pas en tête, comme l’écrit Éric Fournier après Danielle Tartakowsky (op. cit. p. 117), mais au cœur, après les politiques et les anciens-combattants et avant les syndicats.
255Verdier Robert, « Sept heures durant la foule a défilé… », Le Populaire, 29 mai 1945 et Marty André, « Les leçons de l’épopée de la Commune de 1871 », L’Humanité, 27 mai 1945.
256L’Humanité, art. cité, 29 mai 1945.
257Le Populaire, 19 janvier 1946.
258Voir supra, chap. i : « Léon Blum ou la statue du Commandeur ».
259Blum Léon, « Le 12 février », Le Populaire, 7 février 1946.
260Verdier Robert, « Demain, Paris défilera de la Nation à la République… », Le Populaire, 9 février 1946, Cachin Marcel, « Pour commémorer la victoire de 1934 sur le fascisme », L’Humanité, 10-11 février 1946.
261Le Populaire, 12 février 1946 et Cachin Marcel, « Socialistes et communistes ont fraternellement défilé sous des banderoles communes », L’Humanité, 12 février 1946.
262Appel commun de Raymond Bossus (PCF), Charles Lancelle (SFIO) et Eugène Henaff (Union des syndicats), Le Populaire, 25 mai 1946 et L’Humanité, 7 juin 1946.
263Desson Guy, Le Populaire, 10 avril 1946.
264Le Populaire, 7 et 11 juin 1946 et L’Humanité, 8 et 11 juin 1946.
265Sténographie du 37e Congrès national des 11-15 août 1945, arch. cit., p. 338.
266Ibid., p. 320.
267« Hommage socialiste à la Commune », Le Populaire, 11 et 12 mai 1947.
268« Tous au mur des fédérés », Le Populaire, 25 et 26 mai 1947.
269De Freminville Claude, « La leçon de “L’Insurgé” », Le Populaire, 24 mai 1947.
270Bourgin Georges, « Jules Vallès », Le Populaire, 29 mai 1947 et Duveau Georges, « L’Idéalisme communard », ibid, 1er-2 juin 1947.
271Le Populaire, 3 juin 1947.
272L’Humanité, 3 juin 1947.
273Le Populaire, 26, 27, 30-31 mai et 1er juin 1948 ; Dommanget Maurice, « Le drapeau rouge à Paris sous la Commune », La Revue socialiste, no 29, juin 1949, p. 8-21 ; Le Populaire Dimanche, 29 mai 1949, 28 mai 1950…
274Guyot Raymond, « Paroles et actes », L’Humanité, 4 juin 1947 ; Pivert Marceau « À propos de faux historiques », Le Populaire, 5 juin 1947 et Blum Léon « Le 12 février 1934 », ibid., 7 juin 1947 ; et Gernez Raymond, Le Populaire Dimanche, 5, 12 et 19 février 1950.
275Le Populaire, 10 février 1948.
276« 1848-1948, tous place de l’Hôtel de Ville ! » et « À l’occasion du centenaire… », Le Populaire, 22-23 février et 24 février 1948.
277Voir supra, chap. i : « Héroïsations et panthéonisations : jeux d’échelles ».
278Délibérations du conseil municipal, séances du 5 septembre 1994, AM de Lille et Le Populaire, 18 novembre 1944, 6 février 1945, 17-18 et 19 novembre 1946… Pour les vingt ans de sa mort, Coquart Armand, Roger Salengro ou l’exercice du pouvoir, Lille, section lilloise du PS SFIO, 1956, 48 p.
279Courtois Stéphane, Le PCF dans la guerre, Ramsay, 1980 et « Luttes politiques et élaboration d’une histoire : le PCF historien du PCF dans la Seconde Guerre mondiale », Communisme, 4, 1983, p. 5-26 ; Lavabre Marie-Claire, Le fil rouge. Sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses de la FNSP, 1994 ; et Pudal Bernard, « Le PCF et la manipulation des horizons d’attente durant la guerre froide », dans Le Clech et Hasting Michel, La France et la guerre froide. Nouvelles questions, Dijon, EUD, 2015, p. 145-153.
280Voir supra, chap. i : « Des héros aux martyrs : un “cortège d’ombres” ».
281Soit 18 sur 91. Jean Le Bail (Haute-Vienne) et Charles Lamarque-Cando votent carrément pour André Le Troquer, lequel vote Thorez ; Marcel David (Landes), Georges Gorse (Vendée) et Francis Leenhardt (Bouchesdu-Rhône) votent contre ; et Joseph Apithy (Dahomey-Togo), Gaston Charlet (Haute-Vienne), Gaston Defferre (Bouches-du-Rhône), Édouard Depreux (Seine), Édouard Froment (Ardèche), Raymond Guesdon (Orne), Hermence-Véry (Martinique), Fernand Mazuez (Saône-et-Loire), Maurice Rabier (Algérie), Germain Rincent (Aube), René Schmitt (Manche), Fily-Dabo Sissoko (Soudan-Niger) et Paul Valentino (Guadeloupe) préfèrent s’abstenir. Scrutin du 4 décembre 1946, AN, JO, p. 51-52.
282Blum Léon, « Faisons le point », Le Populaire, 6 décembre 1946. La veille, le journal expliquait que « les parlementaires du MRP, du RGR et du PRL » s’étaient abstenus, de sorte qu’il manquait 51 voix à Thorez pour obtenir la majorité constitutionnelle.
283Sténographie du 39e Congrès national des 14-17 août 1947 à Lyon, arch. cit., partie 2, p. 222-223.
284Thorez est alors réfugié à Moscou et publie l’article dans un organe de langue allemande de l’Internationale communiste, Die Wielt Thorez Maurice, Léon Blum tel qu’il est, présenté par Charles Pot, éd. du PS SFIO, 1956, 24 p.
285Voir Duhamel Éric, « Jean-Paul David et le mouvement Paix et Liberté, un anticommunisme radical », dans Delmas Jean et Kessler Jean (dir.), Renseignement et propagande pendant la guerre froide, 1947-1953, Bruxelles, Complexe, 1999 et Ludwig Bernard, « Le Comité européen et international « Paix et Liberté » (1950-1970). « Internationale » ou réseau de l’anticommunisme ? », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, no 20, 2004.
286Voir Rigoulot Pierre, Georges Albertini (1911-1983). Socialiste, collaborateur, gaulliste, Paris, Perrin, 2012.
287Communiste italien exilé à Paris, Angelo Tasca quitte le PCF en 1933. À partir de 1934 et jusqu’à la guerre, il tient une rubrique régulière dans Le Populaire sous le pseudonyme d’André Leroux et dans Il Nuovo Avanti du Parti socialiste italien. Il cesse sa collaboration au Populaire peu après Munich. Voir notice de Denis Peschanski, DBMOF.
288Voir notices de Michel Dreyfus, Jean-Louis Panné et Noëlline Castagnez, DBMOF.
289fc (Caussy Fernand), « Où sont les falsificateurs de l’Histoire ? », Le Populaire, 17 et 18 février 1948.
290Voir Courtois Stéphane, art. cité, p. 9.
291Voir Courtois Stéphane, op. cit. ; Peschanski Denis, « La demande de parution légale de l’Humanité 17 juin-27 août 1940 », Le Mouvement social, no 117, octobre-décembre 1980, p. 67-89 et « L’été 40 du PCF », L’Histoire, no 60, octobre 1983 ; Racine Nicole, « 18 juin 1940 ou 10 juillet 1940. Bataille de mémoires », dans Courtois Stéphane et Lazar Marc, Cinquante ans d’une passion française. De Gaulle et les communistes, Paris, Balland, 1991, p. 197-215.
292Voir, entre autres, Gernez Raymond, « Bolchevisme et syndicalisme : comment les staliniens se servent des organisations ouvrières », Le Populaire Dimanche, 26 décembre 1948, p. 8-9 ; Gernez Raymond, « De Boukharine à Thorez : un seul but “Défense de la Russie par tous les moyens” », ibid., 15 mai 1949 ; Rosenfeld Oreste, « Mensonges et hypocrisie », ibid., 13 février 1949 ; Commin Pierre, « François Billoux, mouchard de Pétain », ibid., 14 janvier 1951, p. 8-9.
293Voir, par exemple, le mot de l’administrateur Naegelen René, Le Populaire Dimanche, 18 décembre 1949, p. 1.
294« Comment Staline a livré à Hitler des communistes allemands et des juifs », Le Populaire Dimanche, 13 mars 1949.
295« Il y a dix ans… » (p. 1) et Rosenfeld Oreste, « Le crime du 30 août 1939 » (p. 5-6), Le Populaire Dimanche, 21 août 1949. Sur Rosenfeld, voir notice de Jean-Louis Panné et Justinien Raymond, DBMOF. La presse fédérale lui emboîte le pas comme Binot Jean, « Après dix ans », La République de Normandie, 3 septembre 1949.
296« Pour connaître la vérité sur le pays des Soviets » (p. 1) et Rosenfeld Oreste, « Les camps de concentration au pays des soviets », Le Populaire Dimanche, 20 novembre 1949.
297Geoffroy Jean, « La FNDIRP se démasque », Le Populaire Dimanche, 18 décembre 1949.
298Commin Pierre, « Faut-il interdire le PC ? », Le Populaire Dimanche, 24 septembre 1950.
299Nogueres Louis, « Sept députés communistes collaborateurs de Pétain et de Hitler », Le Populaire Dimanche, 27 mai 1951.
300Arendt Hannah, The Origins of Totalitarisme, 1951 n’est publié en français qu’en 1973. Aron Raymond, Démocratie et totalitarisme, Cours en Sorbonne de 1957-1958, Paris, Gallimard, 1965.
301Moch Jules, Le Parti communiste n’est ni à gauche, ni à droite, il est à l’Est !, Paris, SFIO, suppl. à La Documentation socialiste, no 16, 4 décembre 1955, 16 p. et De la révolution d’octobre au règne de Monsieur K – 40 ans d’attentats contre le socialisme, suppl. au BI, no 95, sept 1957, 30 p.
302Sténographie du 49e Congrès national des 27-30 juin 1957, arch. cit., p. 161.
303« Il n’est pas de sauveurs suprêmes, ni Dieu, ni César, ni tribun » : début du second couplet de L’Internationale d’Eugène Pottier (1871).
304Morin Gilles, « Les voyages du général de Gaulle en France (1946-1953). Manifestations politiques et mise en scène de la légitimité », dans Institut Charles de Gaulle-université de Bordeaux III, De Gaulle et le RPF, 1947-1955, Paris, A. Colin, 1998, p. 175-193 ; Mariot Nicolas, Bains de foule. Les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Paris, Belin, 2006.
305Voir Actualités françaises, INA, 3 avril 1947, [http://www.ina.fr/video/AFE85002425].
306Blum Léon, « Deux discours », Le Populaire, 2 avril 1947 et Mollet Guy, ibid., 3 avril 1947. Le Monde parle déjà de « discours de Bruneval » mais s’il évoque la réponse de Ramadier, point de « discours de Capdenac » ! « Avertissement », Le Monde, 4 avril 1947.
307Blum Léon, éditorial et François Jean, reportage depuis Strasbourg, Le Populaire, 8 avril 1947 et Blum Léon, éditorial, Le Populaire, 16-17 novembre 1947.
308Chateauneu (correspondant bordelais), Le Populaire, 16 mai 1947.
309« Un commentaire du discours de Compiègne… », Le Monde, 10 mars 1948.
310Parpais Paul, « Tout est prêt… », Le Populaire, 9 mars 1948
311« Devant une assistance passionnée, le sergent Ramadier remet la médaille… », Le Populaire, 12 mai 1947.
312Capocci Armand, « Paul Ramadier a assisté… », Le Populaire, 3-4 août 1947.
313Le Monde, 4 août 1947.
314Le Populaire, 5 août 1947 et Le Monde, 5 août 1947.
315Le Populaire, 12 et 19 septembre 1947. Le Monde, 12 septembre et 19 septembre 1947.
316Auriol Vincent, Journal du septennat, édition établie par Pierre Nora et Jacques Ozouf, Paris, Tallandier, 2004, 6 mai 1951.
317Voir Morin Gilles, « Les voyages du général de Gaulle… », art. cité.
318Tract « De Gaulle à Nantes ! ! ! », signé par l’Amicale des veuves et victimes des deux guerres, la FNDIRP, l’association des Anciens FFI et FTPF, le Front national, la SFIO, le PCF, la FOPAC, l’UFF, la CGT, le RDR, l’ARAC et l’UJR, cité par Guyvarc’h Didier, La construction de la mémoire d’une ville…, op. cit., annexes, p. 695.
319Lettre de Christian Pineau du 20 octobre 1949, reproduite dans Le Breton socialiste, 5 novembre 1949. Rappelons que Chapalain a longtemps milité à la SFIO avant la guerre et que la municipalité socialiste mancelle, engagée à Libération-Nord, a été en grande partie décimée par la déportation.
320Mariot Nicolas, Bains de foule. Les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Paris, Belin, 2006.
321Le Populaire, 9, 13 et 19 mai 1947 et 19 juin 1947. Le Monde, 9 mai et 19 juin 1947.
322Le Populaire, 13-14 juillet 1947.
323Ghebali Éric, Vincent Auriol, le président citoyen, Paris, Grasset, 1998.
324Le Populaire, 25 juillet 1947, parmi lesquels Léo Lagrange, voir supra, chap. i : « Le triomphe post-mortem ».
325Le Populaire, 6-7 juin 1948.
326Ghebali Éric, op. cit., p. 228-230.
327« Quand de Gaulle trouve des excuses au traitre Pétain et parodie Maurras », Le Populaire, 22 juin 1948.
328Parpais Paul, Le Populaire, 11 avril 1950.
329Gernez Raymond, « Le RPF du général de Gaulle… », Le Populaire Dimanche, 22 octobre 1950.
330De Gaulle Charles, Mémoires de guerre, t. 1 : « L’Appel 1940-1942 », Paris, Plon, 1954 ; Granet Marie, « Les mémoires du général de Gaulle », La Revue socialiste, no 84, février 1955, p. 203. Jean Texcier ne dit pas autre chose, « De Gaulle écrivain », Le Populaire Dimanche, 7 novembre 1954.
331Sténographie du Congrès national extraordinaire des 14-15 janvier 1956 à Puteaux, CAS-FJJ, p. 57-58.
332Ibid., p. 38.
333Bouvier Jean-Claude et Guillon Jean-Marie (dir.), La toponymie urbaine. Significations et enjeux, Paris, L’Hamattan, 2001, p. 129.
334Milo Daniel, « Les noms des rues », dans Nora Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, t. 2, Paris, Gallimard, 1997, p. 1887-1920.
335Délibérations du conseil municipal, séance du 5 septembre 1944, AM de Lille, p. 10 et délibérations du conseil municipal, séance du 20 septembre 1944, AM de Rennes, p. 275.
336Voir supra, chap. ii : « Une territorialisation des mémoires ».
337Cette stèle, érigée dans le cimetière Nord de Reims, honore la mémoire de 29 résistants SFIO marnais morts au combat, en déportation, sous la torture, ou fusillés. Elle a été inaugurée le 4 mai 1947 par Jean-Pierre Bloch. Voir Husson Jocelyne et Jean-Pierre, sur le site du crdp de la Marne, lieux de mémoire, [http://www.cndp.fr/crdp-reims/memoire/lieux/2GM_CA/monuments/reims_sfio.htm].
338Sauber Mariana, « Traces fragiles. Les plaques commémoratives dans les rues de Paris », Annales ESC, no 3, 1993, p. 715-727.
339Castagnez Noëlline, « La mémoire de la Seconde Guerre mondiale… », art. cité.
340Voir Riondet Charles, Le Comité parisien de la Libération 1943-1945, Rennes, PUR, 2017, p. 213-214.
341Le Populaire, 20, 22 et 24 octobre 1944.
342L’Humanité, 21 et 22 octobre 1944.
343Le Populaire, 17 octobre 1944 et 23, 24-25 février 1946.
344On remarquera que Danielle Casanova est doublement singulière dans cette cohorte : femme et déportée. Les tombes des conseillers municipaux communistes (Cariou, Frot, Gardette, Le Gall, Losserand et Michels, auquel s’ajoute Jules Auffret), sont regroupées dans un carré près du Mur des Fédérés au Père Lachaise, une autre façon d’investir le lieu.
345Nivet Philippe, Le conseil municipal de Paris de 1944 à 1977, Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, voir chap. 3 et chap. 4-I.
346Voir supra, chap. i : « Le triomphe post-mortem de trois anciens ministres du Front Populaire » pour Dormoy, et « Une mémoire genrée » pour Buisson.
347Évaluation réalisée à partir de Bles Adrien, Dictionnaire historique des rues de Marseille. Mémoire de Marseille, Marseille, Éd. Jacques Laffitte (nouvelle éd.), 2001.
348En dépit des recherches de M. Boris Gaubert que je remercie, presque aucun débat de la Commission des noms de rues aux AM de Marseille n’a pu être retrouvé. Seuls quelques rares dossiers ont été conservés. On ne peut donc analyser les négociations qui ont présidé à l’élaboration des listes.
349Délibérations du conseil municipal, séance du 19 juillet 1945, AM Marseille, 44 U, p. 45-47.
350Voir Mencherini Robert, Midi rouge, Ombres et lumières : Une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, t. 3 (1940-1944) et t. 4 (1944-1947), Paris, Syllepse, 2011 et 2014.
351Voir supra, chap. ii : « Une épine dans le pied : la contre-mémoire des paul-fauristes et autres exclus ». Dans cette liste du 19 juillet 1945, il n’y a que 5 rues pour les fusillés de Signes : André Aune (chrétien et membre de l’Armée secrète), Albert Chabanon (Jade-Fitzroy), Paul Codaccioni (Résistance PTT et MUR), Jules Moulet (MLN) et Lucien dit Berthon et Georges des « Trois Frères Barthélemy ». Aucun d’entre eux n’est communiste.
352C’est le groupe le plus hétérogène et nous n’avons pas toujours pu identifier le motif de leur déportation, laquelle en revanche a pu être attestée : Jean Colombani (Franc-Tireur, Dora), Raymond Fillat (?, Maïdaneck), Pasteur Marcel Heuzé (dénoncé comme antinazi, Ravensbrück), Paul Longes (?, Auschwitz), Pierre Mouren (réseau de l’abbé Blanc, Dachau), Rodolphe Pollak (juif, Birkenau), Jean Salducci (Combat, Dachau). Si l’on rajoute le communiste René Carasso (Auschwitz), on arrive à 1/10.
353Nous n’avons malheureusement pas retrouvé non plus ces débats de la Commission des noms de rues. Sur « Monsieur X », voir Ollivier Anne-Laure, Gaston Defferre. Un socialiste face au pouvoir de la Libération à l’élection présidentielle de 1969, op. cit., chap. 10 ; et sur le Club, Andrieu Claire, Pour l’amour de la république 1958-1970. Le Club Jean Moulin, Paris, Fayard, 2002.
354Commission des noms de rues, 1D250, AM de Marseille, 31 juillet 1950, 195. SP.
355Délibérations du conseil municipal, séance du 18 novembre 1944, AM de Nantes, p. 388-390 et 436-437. Voir sur le sujet Guyvarc’h Didier, « Les cinquante otages dans la mémoire nantaise », dans Bougeard Christian (dir.), Bretagne et identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale, Brest, CRBC, 2002, p. 381-392.
356Délibérations du conseil municipal, séance du 22 décembre 1944, AM de Nantes, p. 499.
357Ibid., séance du 10 août 1945, AM de Nantes, p. 527-537.
358Ibid., séance du 8 février 1946, AM de Nantes, p. 131-133.
359Ibid., séance du 26 juillet 1945, p. 380-381 et séance du 17 mai 1946, AM de Nantes, p. 365.
360Kervarec Michel, « Les 50 otages », dans Guyvarc’h Didier, La mémoire d’une ville. Vingt images de Nantes, Morlaix, Éd. Skol Vreizh, 2001, p. 166-170. Il y a eu en fait 48 exécutés, deux y ont échappé.
361Délibérations du conseil municipal, séance du 29 novembre 1946, AM de Nantes, p. 817-822.
362Ibid., séance du 18 juillet 1947, AM de Nantes, p. 664-666.
363Ibid., p. 681-682.
364Amboise Croizat (1901-1951) est membre PCF de l’ACP d’Alger et de Paris et surtout ministre du Travail de 1945 à 1946. Délibérations du conseil municipal, séances des 21 février 1951 (p. 39), 27 avril 1951 (p. 718-724), 29 mai 1951 (p. 874-880), AM de Nantes. « Non intervention en Espagne » crie Georges Batard le 29 mai 1951 (p. 876).
365Ibid., 18 mars 1957, AM de Nantes. « Je comprends que le nom de Léon Blum effraie encore les tenants d’un régime déchu qui veut encore survivre… » avait dit le conseiller SFIO Macé (le 27 avril 1951, p. 719).
366Voir le quotidien communiste Ouest-Matin, 22-23 octobre 1949.
367Délibérations du conseil municipal, séance du 20 septembre 1949, AM de Nantes, p. 1016-1020.
368Ibid., séance du 10 octobre 1952, AM de Nantes, p. 1125-1135. Le maire fait valoir que le président de la FNDIRP est invité ; Batard rétorque que ce n’est pas au gouvernement de désigner leurs représentants…
369Voir Haudebourg Guy et Liaigre Franck, « La Résistance communiste en Loire-Inférieure (1940-1944) », dans Bougeard Christian (dir.), op. cit., p. 89-102. La Résistance de l’Ouest, ancien journal du CDL devenu « apolitique », écrit le 21 octobre 1952 : « On prêtait à l’époque au lieutenant-colonel Hotz, feldkommandant de Nantes, des sentiments francophiles. C’était en tout cas un militaire et sa mort, aussi regrettable qu’elle ait pu être pour nous, ne justifiait en aucun cas l’assassinat… »
370La Résistance de l’Ouest, 18-19 octobre, 20, 21, 22 et 23 octobre 1952.
371Capdevila Luc, « La construction du mythe résistancialiste : identité nationale et représentations de soi à la Libération (Bretagne, 1944/1945) », dans Sainclivier Jacqueline et Bougeard Christian, La Résistance et les Français. Enjeux stratégiques et environnement social, Rennes, PUR, 2015, p. 347-357.
372Milo Daniel, art. cité, p. 1889.
373Voir supra, chap. ii : « Le filtre de la dispersion dans la Résistance ».
374Voir les travaux de Laborie Pierre, « Opinion et représentations, la Libération et l’image de la Résistance », RH2GM, no 131, 1983, p. 65-91 et « L’idée de Résistance, entre définition et sens : retour sur un questionnement », Les Cahiers de l’IHTP, « La Résistance et les Français. Nouvelles approches », Cahier no 37, décembre 1997, réédité dans Les Français des années troubles, Desclée de Brouwer, 2001 et, enfin, Penser l’événement 1940-1945, Paris, Gallimard, 2019.
375À la suite d’un accident, Funes se souvient de tout et, ne pouvant plus oublier, ne peut plus penser le présent. Borges Jose Luis, « Funes el memorioso », Ficciones, 1944, Fictions, Paris, Folio, 1983.

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