Introduction
p. 235-237
Texte intégral
1L’enfance délinquante, l’enfance déviante, l’enfance dangereuse ont acquis précocement, du moins en France, une grande visibilité dans le sillage des lendemains d’émeutes et de révolutions, au cours desquelles des observateurs avaient aperçu derrière les barricades des gamins, laissant dans l’ombre l’enfance en danger. Quelques faits divers ont mis en pleine lumière des épouses tuées par leur mari, donnant ainsi, pour un temps, une forme de réclame, vite oubliée, aux violences conjugales. Quant aux autres formes de brutalité, elles ont plutôt été traitées par d’autres biais et en particulier par l’enquête journalistique ou la littérature. Depuis peu, des livres pour enfants évoquent la question des méchants dans la famille, à l’instar de l’histoire d’un petit garçon qui découvre que la maltraitance et le danger ne viennent pas de l’extérieur, mais des proches et que lui, pour s’en prémunir ou se protéger, n’est pas un super héros1. Au-delà des études de cas, les contributions rassemblées ici ont pour visée de penser et de comprendre les violences familiales dans la longue durée ou lors d’un moment particulier. Elles interrogent à la fois la mécanique du pouvoir familial, la résilience, les expériences vécues et les supports permettant d’aborder ces questions. Elles prennent le risque aussi de sortir d’une certaine zone de confort et de proposer des grilles de lectures pour mieux s’en rapprocher.
2De la sorte, la France et l’Espagne sont des observatoires privilégiés au xixe siècles des violences à l’égard des filles. En effet, tandis que le Code civil napoléonien de 1804 a régenté la famille, le Code civil espagnol n’a été promulgué qu’en 1889. Tous les deux s’attachent à préciser la notion d’autorité paternelle. Inès Anrich, en comparant les deux pays, traite d’une configuration particulière, celle des pressions et brutalités exercées par les parents à l’égard de leurs enfants qui veulent se faire religieuses. En effet, être placée dans un couvent, ne veut pas dire que l’on a été rejetée par sa famille, il ne s’agit pas de se débarrasser d’une bouche inutile. La perspective est tout autre, ce sont les filles qui entrant en religion espèrent échapper aux violences parentales. Véritable stratégie qu’elles mettent en place, elles n’envisagent pas d’autres solutions pour se soustraire à un milieu malsain et délétère. Si les violences physiques sont les plus fréquentes, du moins sont-elles le plus souvent mentionnées, elles ne sont pas les seules. Aux violences morales prises en compte à la fin du xixe siècle s’ajoute également une nouvelle catégorie : celle des violences spirituelles : l’une des jeunes filles est privée par sa mère de messe et de confession. Une fois recluses, des parents, généralement les pères, s’évertuent à faire sortir par la ruse et plus sûrement par la force, leurs filles, comme à Auxerre qui constitue sans doute l’exemple le plus visible. La question de l’annulation des vœux est un autre point d’achoppement. Les mères n’essayent-elles pas, par de nombreux moyens, de faire pression sur leurs filles ? Enfants, parents, États et autorités ecclésiastiques sont-ils pris dans des jeux d’influences qui posent au final la question de l’exercice de la « sage autorité » parentale.
3Avec Sylvain Louet, il s’agit plutôt d’aborder la question des prérogatives maritales dans un contexte singulier, celui de la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement de l’espace de l’Allemagne nazie. En effet, à partir d’un film de fiction, dû à Wolfang Liebeneiner, il s’agit de préparer les esprits en 1941 à accepter l’intrusion de l’État dans le cercle familial et à justifier des lois et des mesures déjà adoptées. La question, ici, n’est pas traitée d’un point de vue éthique, mais dans la perspective de préparer les esprits à accepter des mesures extrêmes à l’encontre des handicapés, puis des enfants, puis des vies qui ne comptent pour rien… La propagande qui use de la fiction s’avère ainsi redoutable et assure la promotion d’une nouvelle figure de médecin : celui qui, au-delà, de la famille est présenté comme le « guérisseur » de la patrie.
4Yann Hermitte et Frédéric Perez proposent de systématiser des études ou des observations empiriques et de donner un nom à un syndrome ou à un complexe. Le premier part d’une tradition carnavalesque, dans laquelle un pantin appelé Caramantran, joue un rôle important. La dimension cathartique, les rituels et la place du collectif autorisent de revisiter, selon plusieurs approches, la portée d’une telle manifestation. En effet, il convient d’examiner autrement la clinique du thérapeute, notamment à partir d’entretiens avec une fillette ou une femme adulte. De la sorte, les jalons de repérages psychanalytiques peuvent être posés en insistant sur le fait qu’il existe bien une spécificité du Caramantran qui permet de mieux cerner le positionnement d’un sujet par rapport à un autre. Le second prête une grande attention au roman de Marie Shelley, rédigé sur les bords du lac Léman en 18162. À partir des relations entretenues entre le savant et sa créature, il devient possible de décrire tout d’abord les enjeux cliniques de la violence intrafamiliale. L’auteur donne force au « processus incestuel », puis revient, dans le sillage de Jean-Pierre Caillot, au « meurtriel », à l’« incestuel » « et au traumatique ». Distinguant trois étapes dans Frankenstein, dont la dernière se termine tragiquement, il propose une réflexion sur la violence dans les familles devant déboucher sur une « recherche empathique d’alliance thérapeutique ».
5L’examen de la violence homophobe est une autre manière d’examiner le rôle de la famille et les attitudes de ses membres. Si l’homophobie masculine a fait l’objet de quelques travaux, le lesbianisme fait partie d’un territoire silencieux, et pourtant, au Sénégal, comme l’analyse Boris Bertolt, il s’avère possible d’en prendre, d’une certaine manière, la mesure, en revenant tout d’abord sur une « affaire » scandaleuse dans laquelle cinq jeunes filles ont été accusées, par l’entremise d’une vidéo, largement diffusée sur les réseaux sociaux, de se livrer à des pratiques homosexuelles. Le procès public donne la mesure des représentations indignées des juges et de la société pour qui la Sutura doit guider les conduites des femmes, enveloppées dans un ensemble de règles contraignantes, à la fois religieuses, culturelles et juridiques. Il reste à aller au-delà et à se demander comment se fabrique l’homophobie féminine entre violence sexuelle et culture du secret.
6Dans un autre registre, mais toujours vis-à-vis du féminin, les droits de l’enfant au Togo peuvent se retourner contre les victimes qu’ils sont censés protéger. En effet, Jérémy Thérond montre que les meilleures intentions, si elles ne s’inscrivent pas dans le contexte de sociétés locales, avec leurs hiérarchies, leurs valeurs et leurs réseaux, peuvent conduire à l’ostracisme, voire à l’exclusion, même si, par ailleurs, un Code de l’enfant a été promulgué en juillet 2007. Ici, comme dans les autres contributions de cette troisième partie, penser les violences intrafamiliales nécessite d’abord de comprendre dans quels cadres et circonstances elles s’inscrivent, afin de mieux saisir la nature des liens saccagés et prendre les dispositions les plus appropriées.
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