Introduction
p. 7-29
Texte intégral
1Le récit autobiographique, naviguant entre le livre personnel et le roman, vient de faire un retour en force pour évoquer les troubles dans la famille. Clémentine Autain dans un ouvrage intimiste, Dites-lui que je l’aime, évoque Dominique Laffin qui fut, pour une génération, une icône radieuse : sa mère, disparue à 33 ans. La fillette d’alors, puis l’adolescente et enfin l’adulte ont dû composer avec les images et les souvenirs, sans cesse réagencés. La vie trépidante permet de tenir à distance les zones d’ombre jusqu’au moment où un « appel à l’ordre intime » se manifeste, obligeant, à rebours, de revisiter son passé et de donner de la consistance à la figure maternelle évanouie1. De son côté, Jean-Marie Laclavetine, avec Une amie de la famille, évoque Annie, sa grande sœur, noyée à 20 ans, emportée par une vague à Biarritz. Depuis, tout s’est passé comme si un voile avait été lancé pour recouvrir « l’événement » et ne rien dire, le silence agissant comme une gomme. Cinquante ans plus tard, parti à sa recherche, scrutant les photographies, les mots écrits, les espaces habités ou parcourus, même si les « souvenirs flottent, indécis », l’écrivain reconnu et nouvelliste récompensé peut mener l’enquête2.
2Les violences familiales « ordinaires » et extraordinaires sont encore plus difficiles à écrire. Si tout le monde songe à Christine Angot, qui, d’une certaine manière, réécrit plusieurs fois le même livre ou plus exactement raconte différemment la même histoire3, les brutalités intrafamiliales, allant de l’humiliation à la mort, sont souvent peu dicibles, même sous la forme d’un témoignage brut. Aussi, la visée du présent ouvrage est-elle de saisir et de restituer les logiques à l’œuvre dans les heurts et les violences en famille.
Mettre en scène et en récits
3Les témoignages, les récits, les fictions ont progressivement donné aux violences familiales une actualité qu’il n’est plus possible de méconnaître, mais les contemporains peuvent toujours les contourner, les occulter, les minimiser, ou décider de les ignorer. Walter Benjamin, auteur involontaire de Je déballe ma bibliothèque, car l’ouvrage sera composé après sa mort à partir de différents articles, a consacré de nombreuses pages à des images variées. Le lecteur y trouve à la fois des dessins, vignettes, compositions de « livres de malades mentaux pris dans ma collection », que des rébus imagés mystifiant les liseurs, sans oublier les jouets russes, la pyramide de Noël présentée comme la devancière du sapin de Noël et surtout « les abécédaires d’il y a cent ans4 ». Avec ces derniers, chaque lettre rivalise avec ses voisines en qualités esthétiques mais aussi en signification. En effet, progressivement les lettres rassemblent autour d’elles toutes sortes d’attributs dessinés. Le seul critère étant que les objets et personnages réunis commencent par la même lettre. Ce phénomène devient à ce point irrésistible que les dictionnaires suivirent cette mode. Le plus célèbre d’entre eux, Le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle de Pierre Larousse qui s’est imposé au mitan du xixe siècle participe à ce grand mouvement visuel. La lettre V comme violence et la lettre F comme famille apportent de suggestifs éclairages. Cette dernière s’avère la plus énigmatique. Un F majestueux, ouvragé, prend appui sur un léger tertre. Tout autour plusieurs scènes se déploient : la France rurale, la France royale, du moins celle de François Ier, la France des salons du siècle des Lumières. Sur la barre intermédiaire du F, un petit personnage semble gesticuler, il s’agit d’un fou, un bouffon à gages en costume au service d’un suzerain ou d’un grand seigneur, peut-être est-ce Triboulet ? Tout en bas de la vignette se trouve un rassemblement hétéroclite : une carte de France, un flamant, des faisans, mais aussi toutes sortes d’armes comme une faucille, des flèches, un fusil, deux fleurets… la folie et la violence font bon ménage pour présider au destin des articles5. De nombreuses colonnes sont consacrées à définir la famille, mais on sent bien que le lexicographe n’est pas toujours à l’aise et dans la partie encyclopédique il s’interroge : « Le sauvage a-t-il une famille ? Assurément non : il n’en connaît ni les charges ni les devoirs6. » Plus loin de nombreux passages sont consacrés à quelques tableaux choisis. Si les représentations de la Sainte Famille occupent les premières places, un long développement est consacré à La famille Malheureuse, célèbre toile à l’époque, due à Pierre-Paul Prudhon et Constance Mayer, exposée au salon de 1822. Le tableau vaut sans doute moins que le destin tragique de leurs auteurs, dû à leurs conceptions du couple et de la famille : la seconde, véritable peintre, se trancha la gorge ; le premier mourut de chagrin peu après7. Les contemporains y virent, dans la vraie vie, un personnage romantique à la manière d’Atala, mais la postérité y vit plutôt une femme dont l’œuvre fut minorée, taxée d’imitatrice, et placée sous la tutelle de celui qui fut son maître et son amant. La production visuelle ne restitue pas les dissensions et le drame.
4Il est vrai qu’il a toujours été dicible de représenter des batailles, des scènes de massacres, des naufrages, des villes incendiées, mais, au lendemain de la Révolution de 1789, en dehors de l’héritage antique – Kronos dévorant ses enfants, les récits relatifs aux Labdacides et aux Atrides – les déchirements familiaux, qu’ils soient verbaux ou physiques ne prennent pas place dans les musées et les journaux. Au xixe siècle l’imagerie d’Épinal fait entrer dans les foyers des scènes fantastiques comme « Le monde à l’envers », mais aussi des scènes plus prosaïques comme le partage de l’autorité dans la famille. La plus célèbre, est assurément celle qui a pour titre Qui tient la culotte ? On en trouve des versions plus anciennes8, mais au xixe siècle les procédés techniques et les moyens de diffusion qui vont au-delà de la librairie de colportage lui assurent une large présence. Le cadre a été précisé, il ne s’agit pas de l’espace public mais toujours de l’espace domestique. Un homme et une femme se trouvent au centre de la pièce principale, un personnage regarde par la fenêtre, le couple se dispute une culotte, attribut de l’autorité masculine. L’homme tient à la main un gourdin, la femme une quenouille. Les enfants prennent parti pour l’un ou l’autre9. Une autre image s’intitule Grande querelle entre le mari et l’épouse, qui portera la culotte et commandera dans le ménage10. La petite fille prend le parti de sa mère, le petit garçon de son père. Une variante porte le même titre mais l’intérieur est un peu plus cossu et le témoin de la scène est une femme11. Une dernière fait figurer la culotte en rouge, le mari tient un tisonnier dans la main gauche et l’épouse une louche. L’intérieur est encore plus coquet, des jouets, une poupée, un tambour, sont sur le parquet, et un épais double-rideau ne dissimule pas le conflit à une observatrice qui ne réprime pas un sourire12. Plusieurs lectures peuvent être faites de cette série mais nul doute que chacun y voit au moins une scène rare de violence conjugale.
5Par la suite, l’âge d’or de la presse satirique, entre 1880 et 1891, offre une profusion d’images dont il n’est pas envisageable ici de faire l’inventaire. Signalons que les viols et les agressions sexuelles ne sont pas abondants mais ils existent. Par exemple, une livraison de L’Assiette au Beurre, le fleuron de la caricature et du dessin, se gausse d’une brute sournoise gouvernée par ses instincts. Le dessin souligne que l’agression sexuelle fait l’objet d’un odieux marchandage. Si la victime ne tombe pas enceinte, il n’aura rien à débourser13. D’autres montrent aussi bien un cadavre de femme qu’une mère qui essaie de tarifer les atouts de sa fille. L’image, ici, comme plus tard, dit quelque chose du réel. Michel Foucault s’était arrêté sur le dessinateur Constantin Guys mentionné par Baudelaire. Le peintre, écrivait le philosophe, a la faculté de transfigurer le réel, mais pas de l’annihiler ni le trahir. En effet la transfiguration s’avère un « jeu difficile entre la vérité du réel et l’exercice de la liberté ; les “choses naturelles” y deviennent “plus que naturelles”14 ». L’image fixe, puis plus tard, l’image animée traitent en assombrissant ou en rehaussant les violences familiales. Insécurité, maltraitance, humiliation, coups échangés… sont bien présents, mais souvent de manière parcellaire. Les violences conjugales sont plus nombreuses à figurer sur les écrans comme l’attestent de nombreux films dont : C’est pas de l’amour (2013, Jérôme Cornuau), L’emprise (2015, Claude-Michel Rome), Jusqu’à la garde (2017, Xavier Legrand) ou, plus récemment encore, le téléfilm Jacqueline Sauvage. C’était lui ou moi, incarné par Muriel Robin, qui regroupa devant les écrans, le jour de la première diffusion, près de 8 millions de spectateurs15. Qualifié de « fiction sociétale » il a passionné, comme le véritable fait divers, l’opinion publique. Les effets de cette production consistent à sensibiliser et à émouvoir. Si la prise de conscience est un premier pas, elle ne suffit pas. Des campagnes d’affiches ont voulu aller plus loin. La campagne menée par l’association Ni Putes Ni Soumises a voulu, pour frapper les lecteurs, jouer sur le décalage en proposant des textes au second degré, placés au centre d’une photographie représentant un espace domestique. L’une précise « Les escaliers ont encore tué 146 femmes cette année », une autre « Les coins de portes ont encore tué 146 femmes cette année », une troisième « Les plis de tapis ont encore tué 146 femmes », une quatrième « Les lavabos ont encore tué 146 femmes cette année ». Le choix du noir et blanc renforce le message anxiogène.
6Le 25 novembre, la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes est l’occasion de diffuser des informations mais aussi de mobiliser. C’est ainsi qu’en 2015, une affiche sur fond blanc fit son apparition à Brest. Le dessin représente une jeune femme portant un sac à dos, mais en s’approchant on se rend compte qu’il s’agit en fait d’armes à feu rassemblées et confisquées, et le mot d’ordre principal étant « Dénonçons les violences masculines en temps de guerre ». L’année suivante, une autre ville, Romorantin-Lanthenay choisit de traiter plus particulièrement des violences conjugales et familiales. Une femme, en ombre chinoise est assise sur le sol, autour d’elle, en rouge et noir, des lettres forment des mots : « agression verbale », « agression sexuelle », « coups », « violence »… Et un slogan « Osons en parler… » invite les habitants aux diverses manifestations de la journée. Les autres formes de violences familiales ne sont pas négligées mais elles n’ont pas donné lieu à ce foisonnement visuel16.
7Si l’image peut se révéler une arme, il faut aussi trouver la bonne distance. C’est ainsi que les affiches qui voulaient alerter sans fard l’opinion, ont parfois été rejetées car considérées comme trop brutales ; d’autres fois, au contraire, leur impact a été presque immédiat17. Il n’en reste pas moins que ce qu’il est convenu d’appeler les visuals studies restent en France timorées18, mais nul doute que l’étude de la variété des images – photographies, bandes dessinées, voire ex-voto mexicains – apporterait beaucoup19. Les images visuelles accompagnent les images mentales pour construire un imaginaire social ainsi qu’une culture commune, et rendre compte de réalités violentes : il convient de comprendre le premier et d’analyser les secondes.
Peut-on étudier les violences familiales ?
8Les chercheurs et chercheuses qui se sont penchés sur l’étude des violences familiales se sont inscrits dans le sillage des travaux sur la famille. Tantôt, cette dernière est considérée comme le socle de toutes les sociétés, elle est dépeinte comme la cellule insécable de tous les groupements humains, tantôt, en changeant radicalement de perspective, elle est perçue comme une construction, la plus élaborée possible, que les êtres humains ont pu constituer. Ces approches de la famille ont donné lieu à des lectures différentes et parfois opposées. Les anthropologues ne disent pas tout à fait la même chose que les historiens, les démographes que les philosophes, les psychologues et psychanalystes que les sociologues. Un ouvrage important fut assurément celui de Remi Lenoir qui s’est attaché à la question du « familialisme » et à celle de la « gestion bureaucratique de la famille ». L’une des richesses du livre est de souligner, du moins dans un premier temps, qu’il n’existe pas d’approche unique, mais au contraire une grande variété de points de vue qu’il faut essayer de restituer, reposant sur des corpus divers20.
9Aujourd’hui l’historiographie relative aux violences s’avère pléthorique au point que plusieurs volumes seraient nécessaires pour en rendre compte21. Les travaux fondateurs ont d’abord porté sur les conflits armés, les combats et les batailles, sans ignorer les guerres civiles, les émeutes et les révolutions. Les massacres, organisés et planifiés ou en partie spontanés, et les exécutions « ciblées » ont également retenu l’attention. Les recherches n’ont pas oublié la violence raciale et xénophobe. Et puis, comme s’il s’agissait de resserrer la focale, les recherches ont porté sur un segment particulier, celui des violences criminelles, qu’elles soient organisées ou qu’elles soient individuelles. Les hommes brutaux et les femmes violentes ont alors fait l’objet de travaux spécifiques. Restait dans ce mouvement d’ensemble la question des violences familiales, classées dans la catégorie des « violences privées » et parfois confondues avec les violences interpersonnelles comme les rixes villageoises ou les conflits de voisinage. Toutes ces approches butent sur la question même de la définition de la violence qui nécessite, comme nous l’avons vu plus haut, pour la saisir, de cerner les contextes sociétaux et familiaux, ainsi que les grandes évolutions des sensibilités et des représentations sociales. L’immense archipel des heurts, tensions, brutalités, agressions domestiques n’a été rattaché au territoire de la violence domestique qu’à une date relativement récente.
10C’est ainsi qu’en France, pendant des siècles, le plus grand des crimes familiaux était le parricide. Pour la justice pénale, il n’y avait aucun doute, au point que la codification de 1791 à 1810 qui a redéfini les incriminations a considéré que les auteurs de parricide devaient être l’objet d’un châtiment particulier22. Il convenait en effet de guillotiner les condamnés mais aussi de mettre en scène leur trépas. Sortis de la prison, ils étaient acheminés sur le lieu du supplice avec un voile noir qui leur recouvrait la tête. Le public venu nombreux ne pouvait apercevoir les traits du visage et eux, camouflés de la sorte, ne voyaient rien. Le législateur du début du siècle considérait que ce n’était pas suffisant, qu’il convenait d’ajouter au rituel, une séquence particulière dont la visée était de frapper les esprits. Avant de gravir les dix marches conduisant à la plateforme où était installée la veuve, ils avaient le poignet droit sectionné. La répression devait intimider et servir à l’édification du peuple, mais l’exécution était un spectacle, une fête punitive, on se pressait et on s’y rendait parfois en famille. Mais les victimes intéressaient relativement peu les journalistes et l’opinion publique. La « Mort des Vieux » choquait davantage lorsqu’elle était transposée dans un roman, comme La Terre de Zola qui suscita un véritable scandale23 ou lorsque Marcel Proust prit la plume pour rendre compte des « sentiments filiaux d’un parricide », au début du xxe siècle24. Depuis, les travaux sur le parricide se sont multipliés25. Parmi les ouvrages les plus remarqués, la thèse de Sylvie Lapalus, à la fois fresque relative aux liens familiaux au xixe siècle et somme sur le crime familial majeur de l’époque26. Tuer le chef de famille était apparenté à un régicide, c’est un crime contre l’autorité suprême, consacrée alors par le Code civil. D’autres travaux portant sur le parricide se sont déployés. Pour certains il s’agit de mettre fin à une relation fusionnelle, pour d’autres de réagir et le meurtre d’un parent correspondrait à une violence défensive27, voir à l’appât du gain. L’auteur oscille, selon les observations, entre la personnalité psychotique et les « jeunes ne présentant pas de pathologie psychiatrique caractérisée28 » ou il trouve un point commun chez ces criminels dans le fantasme d’autoengendrement29. Mais il importe d’essayer de restituer le passage à l’acte dans son contexte ; c’est ainsi que dans la Chine des xiiie et xixe siècles, le parricide est bien considéré comme un crime absolument épouvantable, mettant en cause non seulement une famille mais toute l’organisation sociale30.
11Mais la réprobation collective s’est déplacée. Progressivement, une attention beaucoup plus grande a été portée aux enfants31. Si l’infanticide32 n’émeut guère les médias, il en va tout autrement des violences exercées par les parents contre leurs enfants. De la sorte, en France, juristes et historiens se sont intéressés à la loi du 24 juillet 1889 sur la déchéance paternelle et surtout à la loi du 19 avril 1898 sur la répression des violences et voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants, car elle marque un tournant dans les sensibilités collectives et l’opinion publique, même si ses effets concrets ont été assez modestes33. Mais les violences physiques exercées contre les enfants et parfois même les actes de torture ne sont pas les seules. Aussi des travaux, d’abord en nombre limité, puis de plus en plus nombreux se sont attachés à l’inceste. Fabienne Giulani a traité des liaisons interdites au xixe siècle, abordant l’inceste comme un phénomène complexe, à la fois transgression et sexualité. Françoise Héritier, dans le sillage de l’anthropologie sociale et de l’étude des structures de parenté, s’était demandée ce qu’une société rejetait lorsqu’elle édictait des normes relatives à la sexualité, disant qu’il fallait essayer de comprendre pourquoi34. D’autres travaux, ceux d’Anne-Claude Ambroise-Rendu proposent une vaste fresque de la pédophilie, y compris dans le milieu familial, ou ceux d’Anne Emmanuelle Demartini à partir du cas Violette Nozière35. Or les rédacteurs du premier Code pénal, celui de 1791, ont dépénalisé le crime d’inceste, mais ils ont créé une nouvelle catégorie, celle du viol comportant des circonstances aggravantes. Mais il faut attendre la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance pour que l’inceste soit nommé et interdit (il apparaît sous la forme d’un adjectif : « incestueux »), mais le législateur ne dit pas un mot des personnes majeures36.
12Si le droit propose des catégories normatives pour décrire et qualifier, l’opération de catégorisation s’avère essentielle pour traiter des violences familiales qui sont non pas essentialisées mais catégorisées : la violence contre les parents, la violence envers les enfants, les violences sexuelles, les violences morales… Howard Becker avait montré toute l’importance de la construction d’une catégorie à la fois pour les groupes étudiés et pour les chercheurs37. Mais si les lectures de la violence apparaissent très variées presque toutes établissent un constat similaire : il convient de se méfier de toute théorie impériale et englobante. Pour cela, il importe de multiplier les études concrètes à partir de dossiers d’archives, d’un corpus de témoignages ou bien encore d’une série d’articles ou d’œuvres choisies. L’historiographie de la violence pose la question de l’accès aux sources. Quels sont les témoignages ou les récits disponibles ? De quelles façons nous sont-ils parvenus ? Que nous restituent-ils ? En effet, la perception de la violence reste subjective, elle est tributaire du système d’appréciation de celles et ceux qui en sont les victimes, de celles et ceux qui en usent, de celles et ceux qui, n’agissant pas pour protester et mettre un terme à des agissements inacceptables, sont soit d’autres victimes, comme les enfants, soit des complices comme les conjoints qui ne dénoncent pas les exactions de leur partenaire. Quant aux études plus contemporaines, elles ont donné lieu à des études historiques portant aussi bien sur la période de l’Antiquité, que du Moyen-Âge ou du siècle des Lumières ou encore, dans une moindre mesure, sur la période contemporaine, privilégiant le xixe siècle.
13Après les parents, après les enfants, la troisième grande catégorie concerne les violences au sein du couple38 qui ont donné lieu à des enquêtes multiples et à de nombreux travaux39. Ces recherches, aujourd’hui abondantes, offrent un large spectre d’explications. D’un côté il s’agit d’insister sur le maintien de société patriarcale et la domination masculine ; de l’autre de suggérer que la violence conjugale vient d’une tension entre le désir de liberté individuelle et les contraintes de la vie en couple qui ne peut se relâcher, pour certaines personnalités, que dans la violence40. Entre les deux se glisse une grande variété d’appréciations, dont certaines consistent à dire qu’il est difficile de généraliser sans prendre le risque de gommer toutes les particularités, et qu’il importe de restituer des trajectoires quasi-individuelles41. Mais il s’agit d’une question de société qu’il importe de sortir du cadre privé42, d’abord par l’entremise de mouvements militants puis de la faire advenir comme cause publique43.
Comment rendre compte des violences familiales ?
14Les productions scientifiques en psychologie et sociologie, littérature et droit à elles seules sont en aussi grand nombre que les recherches menées en histoire. Les unes et les autres s’inscrivent bien dans un contexte social donné que l’évolution du droit de la famille traduit à lui seul. L’abandon du Code civil de 1804 (dit Code Napoléon) fait disparaître la puissance souveraine de l’homme sur la femme et les enfants. Ce Code avait eu pour ambition première de mettre à bas le principe d’égalité de la Révolution française : « Il fallait aux démagogues régnants à cette époque l’égalité à tout prix, l’égalité poussée à l’extrême, l’égalité sans limites et sans mesure. […] Non seulement l’autorité, mais la révérence paternelle était abolie. […] La famille était sans direction et sans gouvernement » trouvait-on dans l’Essai sur l’utilité de la codification de 1844 étudié par Alain Desrayaud44. La puissance domestique redevenait, quelque cent ans plus tard, analogue à la puissance souveraine sans que pour autant le père ait tout pouvoir sur les siens. Sa mission était de gouverner la famille, il était ministre (au sens de serviteur) de la République qui armait son bras d’instruments de coercition. Certes, le contrôle de la famille ne retrouvait pas l’autorité illimitée du paterfamilias sur sa femme et ses enfants mais en gardait la trace et maintenait les intérêts de la religion catholique alors dominante qui donnait un statut différent à l’homme et à la femme. La femme était considérée mineure, elle n’avait donc pas le droit de prendre par elle-même des décisions la concernant, et encore moins des décisions relatives aux enfants, subordonnée donc au « chef de famille ». Depuis, plusieurs lois ont fait évoluer le Code civil de la famille jusqu’à la suppression de la notion d’autorité paternelle par celle d’autorité parentale et par l’innovation qu’est la notion d’exercice de cette autorité. Nul n’est plus autorisé à tuer en famille ni à maltraiter d’une façon ou d’une autre, de même que l’égalité de droit entre les sexes est une garantie.
15Comment alors rendre compte des violences en famille, lieu de deux sortes de liens selon la sociologie des années 90 : des liens affinitaires par excellence, ceux du couple, des liens devenus inconditionnels, ceux de filiation selon François de Singly45 ? Deux alternatives s’offrent aux chercheurs de plusieurs disciplines que nous sommes. Soit s’en tenir à l’exceptionnalité des situations de violence, soit entendre que leur fréquence et la difficulté à les prévenir sont devenues un problème politique et humain. En ce qui concerne les violences faites aux femmes, doit-on considérer que les résistances à la parfaite et illimitée égalité entre les sexes, fondée par la Révolution et annulée en grande partie par le Code civil de 1804, s’expriment de nouveau au travers de ces transgressions familiales ? Doit-on alors supposer qu’au-delà des volontés politiques égalitaristes il est des résistances durables en relation avec la valence différentielle des sexes et que ces résistances sont d’autant plus vives que le risque est de perdre une forme de pouvoir ancestral ? Aller au bout de cette logique conduit à l’idée que dans la culture et dans ses différentes formes de transmission une valence différentielle des sexes est véhiculée46, de façon peut être insidieuse mais bien réelle. Les explications psychopathologiques ne peuvent en effet justifier à elles seules l’ampleur du phénomène. Il ne s’agit pas pour autant de régler le problème par la seule mise en avant des logiques genrées comme cause explicative unique. Les violences en couple et sur les enfants sont le fait des hommes comme des femmes d’une part, si la valence différentielle dans certaines cultures permet de rendre compte d’une fraction importante des violences commises – comme certaines contributions de ce livre en témoignent – dans la nôtre avec sa pluralité de visages, elles sont susceptibles d’apparaître dans tous les milieux socio-économiques mais ne sont pas pour autant une constante de la vie familiale.
16Ce livre s’inscrit dans le cadre de cette problématique complexe que diverses statistiques justifient à elles seules. Ainsi les violences conjugales, par leur ampleur et par leur gravité, alarment depuis les années 1990 l’opinion et les pouvoirs publics. Différents rapports de l’OMS et de l’ONU relèvent la prévalence des violences par un partenaire intime actuel ou passé47. En France, les chiffres de référence sur les violences faites aux femmes48 sont de 225 000 toutes violences confondues avec 163 000 pour les violences physiques tandis que les chiffres les plus récents à propos des violences sexuelles (premiers résultats de l’enquête Virage49) demeurent inquiétants : « les violences sexuelles sont une variété d’actes qui, dans leurs formes les plus graves, concernent principalement les femmes et sont quasi exclusivement le fait d’un ou plusieurs hommes ». Sur une année, 52 400 femmes ont été victimes d’au moins un viol ; plus d’un demi-million de femmes (553 000) ont connu des agressions sexuelles autres que le viol50. Au cours de sa vie, 1 femme sur 26 est violée, 1 sur 7 est agressée sexuellement. Par ailleurs les résultats montrent que les filles et les jeunes femmes sont particulièrement exposées. En conclusion il ressort que « la famille et l’entourage proche constituent le premier espace dans lequel se déroulent les violences51 ». Il s’agit de souligner ici que 40 % des femmes victimes l’ont été dans l’enfance, 16 % au cours de l’adolescence et 44 % à l’âge adulte. À ces données récentes s’ajoutent celles concernant les mutilations génitales féminines. En France en 2004, on estimait à 53 000 environ le nombre de femmes adultes excisées (enquête INED52, 2004), on serait à 60 000 cas de mutilations sexuelles aujourd’hui avec un risque actuel en hausse pour les enfants et jeunes filles sur notre territoire. Ces mutilations comme les autres formes de violences physiques et sexuelles exposent les femmes à des problèmes de santé chroniques, à des difficultés quotidiennes dans leur vie sexuelle et affective ainsi qu’à un risque social de paupérisation.
17Elles exposent en outre les enfants. En effet de nombreux travaux aux États-Unis, au Canada et en France montrent que les enfants dits témoins ou exposés à ces violences du couple manifestent des difficultés comportementales et psychologiques souvent graves et handicapantes et insistent sur les risques de reproduction de modalités relationnelles violentes à la génération suivante. La lutte contre ces violences qui a suscité un Grenelle récent s’est renforcée face à deux constats notables. Le premier est la difficile efficacité des dispositifs actuels dédiés aux victimes qui ont comme objectif la séparation des conjoints pour mettre fin aux violences en cours ainsi que la fréquence du silence des victimes53 d’une part et des multiples atteintes aux enfants d’autre part. Le second concerne le bilan pour l’heure assez mitigé des dispositifs imposés aux auteurs de violences conjugales et sexuelles (injonction de soin, obligation de soin, stages de responsabilisation). Ces dispositifs français qui visent directement les auteurs peinent à opérer un changement du fait de ce qui serait perçu comme une attaque du masculin et de la virilité par les auteurs pour une part, du fait des enjeux inconscients du lien de couple en particulier l’histoire infantile et familiale de chacun54. Enfin, les chiffres sur les violences sexuelles réclament un regard scientifique qualitatif pour en comprendre la portée, notamment dans l’enfance et à l’adolescence, dans un pays dit « avancé ».
18Il s’agit donc d’éclairer de manière pluridisciplinaire les situations concernées par les liens saccagés, ces liens qui générant ou contenant de la violence viennent saccager la nature même du lien : attachement, rassurance, étayage, rencontre affective mais aussi repérage au plan des générations et des sexes. Les diverses transgressions agies dans la réalité familiale ont pour effet majeur, hormis leur valeur traumatogène durable, de déloger de sa place de droit tant la femme que la fille ou le fils. Un lien saccagé en entraîne d’autres dans sa destruction : pas de vœu parricide sans climat incestuel, pas d’infanticide sans vœu incestueux, rarement de violences de couple sans fantasmes de meurtre d’enfant55. Les méthodes d’analyse sont spécifiques à chacune des disciplines représentées ici. Il est apparu notamment que nous manquions d’éléments tirés de l’analyse littéraire à propos de ces violences qui permettent de catégoriser les formes de narrativité qui concernent le masculin et le féminin d’une part, la dimension visible ou invisible des violences d’autre part. Enfin s’il faut y insister, la pluridisciplinarité est une aventure qui demande à chacun de se décaler quelque peu de son registre et de ses normes pour aller à la rencontre de celles de l’autre. Si la pluridisciplinarité qui aborde un objet d’études selon les différents points de vue de la juxtaposition de regards spécialisés a pour objectif d’utiliser la complémentarité intrinsèque des disciplines pour la résolution d’un problème, elle peut parfois donner l’impression d’un éclatement de l’objet d’études. Cela peut correspondre à une phase de sa recherche. Ainsi les liens qui sont au travail avec ces contributions originales sont ceux des conditions de la destruction de l’altérité par la violence quelles qu’en soient la forme, le contexte, le mode de narration ou de figuration. Dans sa version la plus aboutie cette approche mène à de l’interdisciplinarité, soit à l’étude d’un même sujet par entrecroisement des disciplines. Pour cela une connaissance suffisamment solide du domaine de l’autre est requise. Ce livre s’inscrit dans le bâti d’une interdisciplinarité avec pour objet la violence du lien et faite aux liens en rapport avec le genre et une focale centrale : repérer les formations discursives, linguistiques et signifiantes des « Dire la violence en famille ».
Dire les violences conjugales
19La violence, en dépit de l’absence d’une définition unifiée dans le domaine des sciences humaines, présente une caractéristique indéniable, celle de se situer en dehors du champ du langage et de celui de la parole. Qu’elle soit ou non accompagnée par les cris rageurs, haineux ou courroucés de l’auteur ou par les appels à l’aide de la victime, elle demeure muette, enfermée dans la force de l’acte (vis en latin découle du mot grec bia qui signifie la force vitale, mais aussi la force et la contrainte) quelle qu’en soit la nature. Elle est, en ce sens, en deçà des mots et de la traduction communicable et signifiante des éprouvés, en deçà de la culture à cet égard. Il n’est que de regarder de près les bulles de certaines bandes dessinées remplies de « bruits et de fureur » pour s’en convaincre. Elle ne déclame pas, elle clame, elle tempête, elle rugit telle une corne de brume en mer, elle déchire tel le cri strident des rails, elle mugit tel le dinosaure qui s’empare de sa proie, elle éructe. La recevoir – si tant est qu’elle puisse être reçue encore par celui qui va en faire les frais – laisse sans voix. Elle est aux confins de la parole et ne peut que s’exhaler en cris et pleurs ou laisser sidéré comme après la rencontre de Méduse celui ou celle qui s’y heurte.
20Écoutons, puisqu’elle est sonore, le silence même dans lequel la violence peut s’accomplir et être vécue car bien des crimes et maltraitances conjugaux sont silencieux ou enveloppés de paroles lénifiantes lorsque l’autre est contraint d’aller au-delà des limites du supportable. Pour la personne ainsi traitée, c’est le bruit du silence intérieur qui surgit face à l’absence d’échange véritable. Sentons, puisqu’elle est aussi corporelle, les ravages de la violence sur l’image du corps, sur le sentiment de s’appartenir en propre, sur l’intimité avec soi-même. L’impact de la violence, dans les différentes formes de violences, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques, est toujours du même ordre : confronter soudain celui qui parle à un non-langage dont il ne peut extirper le sens, le priver de toute réponse et du droit même de dire. La violence c’est la confrontation à ce qui exige d’être symbolisé : le réel dans ce qu’il a d’inaccessible à la pensée, c’est dire l’ampleur de la tâche pour les femmes et les hommes victimes dans leur couple.
21Notre littérature regorge de descriptions de scènes de violence guerrière, de luttes fratricides, de règlements de comptes entre malfrats ou de violence d’état, les crimes familiaux et notamment les violences conjugales ont moins donné lieu à une description littéraire autre qu’humoristique ou à la Vaudeville sauf depuis la fin du siècle dernier où l’on assiste à un foisonnement de récits autobiographiques. Disent-ils la violence conjugale ou sont-ils autant de témoignages de ce qu’il est possible de vivre dans certains couples encore trop nombreux ? Quels mots sont alors choisis pour dépasser la simple description factuelle de la violence ? Si Christine Angot répète la même histoire au fil de ses récits n’est-ce pas pour parvenir à extirper le sens du hors sens qu’elle a vécu56 ? En effet, pour dire la violence, de quoi disposent celles et ceux qui l’ont vécue hormis de la possibilité de métaphoriser pour en décrire le ressenti car en fixer précisément la signification semble être une tâche impossible pour l’humain. Les inscriptions émotionnelles traumatiques enfouies sous la narration des scènes tentent de se symboliser par l’écriture et sa répétition. De ces constats se dégage un motif central dans la seconde partie de ce livre qui est d’envisager les manières de dire la violence chez les femmes concernées et d’entrevoir si des voies possibles de transformation de la violence subie apparaissent au travers des cas surtout cliniques qui sont présentés. Sortons du goulot d’étranglement de la lutte entre deux êtres dans le couple, et de la voie métaphorisant empruntée jusque-là, pour saisir les différents enjeux d’une mise en mots possible face à la mise en acte et les différents niveaux de réponse qui peuvent être apportés. Nous partirons du plan le plus large, celui des discours officiels, pour en venir au plus étroit, celui de la confidence.
22Nous devons à l’Organisation des Nations unies (ONU) d’avoir, depuis les années 1970, alerté le monde sur les violences faites aux femmes en particulier et d’avoir proposé une définition de celles-ci qui englobe les violences conjugales. Selon l’ONU la violence à l’égard des femmes se définit comme :
« Tous les actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée57. »
23Elle peut prendre des formes diverses, allant du harcèlement moral à l’homicide en passant par toutes les formes de violences physiques et/ou sexuelles. Partant de là, de nombreux travaux en sciences sociales et humaines et un arsenal de textes législatifs58 ont cherché à signifier cette réalité destructrice, à fixer des interdits et à penser les conséquences pour les auteurs comme pour les victimes. S’en est dégagée une approche spécifique de la violence conjugale obtenue grâce à un effort de classification et de nomination59. La violence conjugale est un processus au cours duquel un partenaire utilise la force ou la contrainte pour perpétuer et/ou promouvoir des relations hiérarchisées et de domination. Elle peut se produire durant la relation ou après la fin de celle-ci. Selon Amnesty International, la violence conjugale se caractérise par : « sa persistance, son impact destructeur, son effet de peur, son intention cachée de contrôle et de pouvoir sur l’autre60 ». La distinction d’avec le simple conflit de couple, même s’il peut donner lieu à un débordement agressif, est patente : dans un cas le rapport n’est plus égalitaire, dans l’autre cas il le demeure. De nombreux auteurs ont concouru à fixer cette conception des violences conjugales. Dans la mesure où elles étaient nommées de l’extérieur il serait aisé d’envisager qu’elles puissent être, plus facilement que par le passé, identifiées par les victimes. Or, nous sommes loin de constater une telle efficacité de cette reconnaissance politique et juridique. D’une part, nombre de femmes victimes ne portent pas plainte ou retirent celle-ci, d’autre part nombre d’entre elles reviennent et reprennent la vie commune même après être parties du domicile. Enfin, si l’on en croit les enquêtes récentes, la plupart gardent le silence. Ce silence des femmes concernées sur les violences a été analysé sous l’angle de l’emprise61, on peut aussi y voir une réalité plus complexe, liée pour une part aux conséquences des violences62 et pour une autre part aux enjeux affectifs et psychiques à l’œuvre dans le couple63. Cette forme de résistance à la force de la loi et à l’ensemble des organismes qui luttent pour l’éradication de la violence conjugale concerne tout autant les auteurs. Elle pose un véritable problème de société. S’agit-il de n’y voir que les résonances encore aujourd’hui d’un tabou ancien sur lesdites violences dont notre société a témoigné pendant des siècles ? Peut-on imputer aux seules victimes ce silence sur le mode d’un « Si elle reste c’est qu’elle le veut bien » ou à l’inverse attribuer à l’auteur l’entière responsabilité du silence ? Peut-être qu’une autorisation culturelle n’est pas encore donnée pour dire – de façon publique – ce qui relève de l’alcôve et de l’intimité du couple. Revenons à l’affaire Jacqueline Sauvage. Les propos de Frédéric Chevallier, avocat général lors du procès, dans sa « Lettre ouverte à Jacqueline Sauvage », publiée par le journal Le Monde du 2 octobre 2018, ouvrent sur une grande perplexité qui pourrait défaire les modèles actuels qui consistent à attribuer l’entière responsabilité à l’un et l’absolution à l’autre :
« Voyez-vous, Madame, ce que je trouve le plus regrettable et le plus dommageable dans cette construction des réseaux qui est devenue la vérité du “peuple virtuel” au détriment de la vérité judiciaire, c’est que cette construction nie et détruit tout ce que vous avez bâti, tout ce que vous avez conçu, tout ce que vous avez créé. Jusqu’à vous faire victime de faits de viol dont vous ne vous êtes jamais plainte. […] Je vous avais qualifiée dans mes réquisitions de femme déterminée. Effectivement dans tous les actes et choix que vous avez réalisés, cette qualité prédomine. »
24Cet engouement public pour le sensationnel n’a rien de nouveau mais en ce cas précis, il semble avoir été à la mesure d’une idéalisation de la femme victime et d’une forme de populisme pénal64 qui donneraient bonne conscience à ceux qui, le reste du temps, n’osent pas regarder leur réalité familiale en face et les formes de violence genrée qui sont exercées par les deux sexes. Dire part toujours d’une intention, d’un désir et nul dire ne peut être garanti d’une valeur de vérité. Si mettre en mots la violence de l’extérieur est devenu plus facile de nos jours, la dire à partir de son intériorité est freinée tant par les effets traumatiques répétitifs que par la difficulté à assumer que l’on est aussi l’acteur de son histoire.
25Ce pourquoi notre objectif est ici de faire entendre des modalités du dire, des paroles qui renvoient à l’histoire singulière de celui qui énonce – aux prises avec un lien de couple saccagé néanmoins présent voire indestructible, car tel est le paradoxe dont nous devons rendre compte. Les enjeux existentiels et identitaires d’ordre culturel sont-ils tels que les femmes ne puissent se dédire et revenir sur leur promesse à l’égard de leur partenaire ? C’est avec humanité que nous devons entendre ce qui peut alors s’exprimer à travers elles de nos propres faiblesses et limites humaines. N’est-ce pas précisément cela qui serait, pour le public, toujours insupportable ?
Les contextes
26Pour comprendre les violences familiales, il importe de restituer les situations individuelles et structurelles. Si des disciplines insistent sur la nécessaire contextualisation, rares sont pourtant les travaux qui s’attachent à préciser ce qu’il faut entendre par contexte65. Les liens interpersonnels ? l’histoire des individus ? l’organisation des sociétés ? l’attitude vis-à-vis des enfants, l’importance et les effets de la domination masculine ?
27Dans le présent ouvrage, nous avons voulu présenter des contextes historiques variés, mais impossible bien sûr de tous les restituer. Il a donc fallu retenir des situations à la fois éclairantes et correspondant aux avancées de la recherche. C’est ainsi que l’Égypte ancienne apparaît comme un des premiers laboratoires où les questions, de tensions, de heurts, de transgressions, de violences peuvent être abordées. Les récits néoégyptiens sont le produit d’un milieu spécifique, celui des scribes, un groupe social privilégié, majoritairement masculin, haut placés dans les institutions politiques, qui sont parmi les seuls à lire et à écrire. Ces contes ont une valeur d’instruction plus que de distraction et contiennent souvent une ou plusieurs morales. Très riches en allusions mythologiques, ces contes sont le lieu de schémas familiaux récurrents inspirés du mythe osirien et présentent des caractéristiques communes telles que l’anonymat des femmes et les notions de vengeance ou d’héritage. Il est alors possible d’étudier les mécanismes à l’œuvre dans la manifestation, le développement et la résolution des violences familiales par une analyse des luttes fratricides, des conflits successoraux et la perception des femmes dans ces textes. D’autres périodes sont bien retenues, comme la Grèce antique, par l’entremise d’un mythe. En effet les figures de Déméter et Koré traversent les millénaires et permettent de comprendre certaines situations actuelles et des débats contemporains, car on peut y lire l’expression du deuil féminin66 ou le récit d’une « porteuse de lumière67 », et bien d’autres aspects que nous retrouvons dans le présent ouvrage. Le xixe siècle et le début du xxe siècle devaient aussi prendre place dans les pages qui suivent. En effet, cette période correspond à une lente montée de la transformation des sensibilités à l’égard des violences à enfants et à conjoints. Mais, au-delà du législateur et des moralistes, le poste d’observation le plus judicieux est probablement celui des palais de justice. Dans les prétoires se disent des violences, parfois abominables, des crimes de maris commis contre leur femme. La possession de l’autre et le crime de propriétaire correspondent aux constats les plus contemporains faits notamment lors du Grenelle contre les violences conjugales du 3 septembre au 25 novembre 2019. Redonner le contexte quand cela s’avère efficient peut consister à donner une sorte d’arrière-fond historique mais aussi le contexte de production d’une œuvre ou les conditions d’apparition d’une thématique.
28La contextualisation est également ce qui permet de prendre de la distance et de comprendre comment peuvent s’élaborer une réflexion complexe et la construction de grilles de lectures ou de paradigmes, à l’instar du syndrome du Catamaran ou du complexe de Frankenstein. Ne pas céder à la tentation facile et mettre en relief ce qui se répète nécessite d’inscrire chaque jalon dans un moment. La distance n’abolit pas le temps mais permet de tenir compte des expériences de chacun pour mieux les comprendre et leur donner un sens collectif. C’est ainsi que, dans un autre registre, la grande enquête sur les enfants menés en 1891 permet de mesure l’importance de la loi du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités, qui est une loi civile. Mais elle ouvre aussi la possibilité de doubler cette dernière par une loi pénale qui réprimerait toutes les formes de maltraitance : absence de soins, privation de nourriture entraînant la mort, brimades et brutalités68. Ces aspects relatifs au cas français permettent de mieux comprendre les violences familiales homophobes dans les familles au Sénégal ou l’extrême difficulté de faire appliquer des droits de l’enfant au Togo par exemple. Ces situations permettent aussi de mieux comprendre que les contextes, s’ils peuvent être sociaux, culturels, politiques, sont aussi, et parfois surtout, géographiques. Or les espaces ne relèvent pas seulement de la diversité topographique et territoriale. Michel Foucault avait insisté sur le fait que « l’inquiétude d’aujourd’hui concerne fondamentalement l’espace, sans doute beaucoup plus que le temps ; le temps n’apparaît probablement que comme l’un des jeux de distribution possibles entre les éléments qui se répartissent dans l’espace69 ». Ici les contextes géographiques présentés ne sauraient être exhaustifs, mais c’est leur particularité, en fonction une fois de plus de l’avancée des recherches, qui a retenu l’attention. La France, l’Espagne, le Togo, l’Algérie, le Cameroun, le Sénégal, l’Égypte, la Grèce, le Maroc, le Nigeria, etc., donnent ainsi la possibilité de se déprendre en partie d’un regard trop ethnocentré. Le voyage proposé est plus inconfortable car il nécessite de prendre des risques. Il ne s’agit pas d’une comparaison point par point, trait par trait, mais d’une exploration peu balisée. Les violences familiales, conjugales, envers les enfants, voire d’autres membres de la famille constituent à la fois un invariant, car on les retrouve à toutes les époques et dans tous les lieux, mais elles sont toujours singulières. C’est ainsi qu’Élisa Herman a montré dans un ouvrage publié il y a quelques années seulement qu’une cause féministe, comme celle de la lutte contre les violences conjugales se construit dans des espaces militants et scientifiques. Le phénomène s’observe aussi bien aux États-Unis qu’en France où les associations deviennent des lieux de mobilisation et d’ancrages locaux70.
29Reste, parmi d’autres, le contexte d’écriture. Michelle Perrot a retracé les pratiques de la mémoire féminine, leur parole, mais aussi leur écriture, à travers au moins deux femmes qui éclairent, dans des registres différents leur place et leurs combats, George Sand et Lucie Baud ; l’une femme de lettres, engagée en politique, auteure d’une œuvre littéraire immense, mais aussi d’une autobiographie et d’une volumineuse correspondance ; la seconde, ouvrière inconnue et auteur d’une autobiographie, publiée en 190871. Mais plus rares encore sont les récits, mémoires, journaux intimes ou correspondances relatant des maltraitances subies. Les discours qui se déploient ne sont ni ceux des victimes ni ceux des auteurs de violences.
30Toutefois, dans le présent volume l’écriture de soi, n’est pas autobiographique. Les personnages féminins sont des êtres de fiction. Certes plusieurs contributions ont recueilli des paroles de femmes, des bribes de confidence d’enfants, mais l’essentiel vient de l’écriture romanesque qui, comme souvent pour le théâtre et le cinéma, amplifie l’expérience sensible et possède une portée universelle. Les lecteurs et lectrices ont l’impression que le monde s’élargit, que les émotions, les liens affectifs et les situations des personnages les concernent directement, mais Delphine Naudier nous dit que les femmes sont disqualifiées « dans le jeu de concurrence propre à la littérature72 ». Pour parler des violences familiales auteurs et autrices parlent à tour de rôle dans les contributions qui suivent. Sade Adeniran a remporté le Prix des écrivains du Commonwealth 2008 du meilleur premier livre en Afrique pour Imagine Sid. Romancière et cinéaste elle avait entraîné ses lectrices et ses lecteurs dans la « part sombre » de la famille. Chimamanda Ngozi Adichie a publié en 2003 Purple Hibiscus et est devenue, dix ans plus tard, une icône en prononçant une phrase devenue un slogan : « Nous devrions tous être féministes. » Mais des hommes se sont aussi saisis des violences commises en famille, comme Tahar Ben Jeloun et d’autres encore. Dans ces récits les histoires sont à la fois temporelles et atemporelles, mais elles possèdent quelque chose en plus qui permet de « libérer par distillation un élément volatil73 » et de faire advenir, comme un « sortilège embusqué », sans en faire des romans à thèse, les questions des liens brutaux, des coups donnés et reçus, des traumatismes indépassables.
31La contextualisation des violences autorise une approche compréhensive, permettant de les décrypter, de repérer les formes diverses qu’elles empruntent, de suivre les protagonistes, de mesurer en partie leurs effets.
Mettre en perspective les violences familiales
32Les médias dits traditionnels, mais aussi les réseaux sociaux abordent difficilement les violences familiales. Plusieurs périodiques à grand tirage ont récemment titré sur la famille, que ce soit Psychologie magazine74, ou Sciences Humaines75 et bien d’autres. Dans l’imaginaire collectif la famille reste un havre de paix. Un sondage Ifop de 2017 donne des résultats sans appel : « À choisir entre leur famille et leurs amis, 72 % des Français se disent aujourd’hui plus proches de leur famille. On observe également l’importance qu’elle revêt au travers des représentations qui lui sont associées : ainsi, près de 9 sur 10 jugent que la famille constitue le premier lieu de solidarité (91 %), qu’elle est une valeur partagée par tous et qui n’est ni de droite ni de gauche (90 %), qu’elle est le principal amortisseur social (89 %) et favoriser le vivre ensemble (88 %) ». Dans ces conditions, aborder les violences au sein de la famille peut sembler parfois difficile parfois incongru parfois inaudible. Pour autant la famille possède bien une part sombre. Nombre de violences sexuelles ont pour cadre le foyer domestique et ne concernent pas que le couple. Si aujourd’hui les violences conjugales ont été portées en pleine lumière, elles occultent aussi, tout un pan de violences tues, cachées et méconnues. Il est vrai que la catégorie « famille » est assurément englobante et qu’il importe, à l’intérieur de ce qu’elle contient, de procéder par découpes. Éric Chauvier avait noté pour sa discipline que « le monde vécu par l’anthropologue est assimilable à un maelstrom de catégories, qu’il faut tenter de clarifier en revenant aux usages des mots. C’est admettre que, dans ce maelstrom de catégories, la plupart sont trop énormes pour nous ; elles étouffent ce que nous voulons dire76 ». Or il faut bien convenir que la famille est bien une catégorie énorme. Depuis quelques années, avec une accélération notoire ces derniers mois, des films, des romans, des téléfilms, des chansons, des bandes dessinées… se sont emparés des violences familiales comme objet. Il y a vingt ans, le film danois Festen réalisé par Thomas Vinterberg en 1998, primé au Festival de Cannes, ouvrait la voie à d’autres productions. Sur les écrans les spectateurs découvraient la face sombre de la famille. Ici, il s’agissait de la famille Klingenfeldt réunie au complet dans un manoir à la campagne, avec oncles, tantes, cousins, amis, pour célébrer les 60 ans du paterfamilias, hôtelier fortuné. Pour donner un effet de vérité, comme s’il s’agissait d’une immersion, le film avait été tourné à la manière d’une vidéo amateur. Les crimes du patriarche étaient exposés au grand jour et les terribles secrets de famille ne restaient plus enfouis. On y trouvait l’inceste, la complicité, la sœur aînée, elle aussi victime et rongée par le remords, acculée au suicide… Christian le fils abusé crie la vérité mais peu sont prêts à l’entendre et à l’assumer. Michael, le frère de Christian, refusant de l’écouter parvient à l’expulser du cercle familial, le traîne sur le perron et le jette littéralement dehors. Le sous-titre du film n’est pas anodin, « Repas de famille ». Se rassembler, se retrouver peut être un moment privilégié, une façon attendue de resserrer les liens, mais c’est aussi, en fonction des réalités du passé, de l’itinéraire de chaque membre de la famille, et de l’histoire du groupe familial, un moment qui peut tourner au désastre, comme l’analysent et le mettent en perspective les textes qui composent le présent volume. De Balzac à André Gide, sans oublier Paul de Kock, aujourd’hui bien oublié, des romanciers ont fortement souligné que les « meilleures » haines étaient les haines familiales.
33Mais la mise en perspective est aussi historique. Les mythes grecs, les heurts et tueries entre grandes familles médiévales, les conflits familiaux au Siècle des Lumières attestent des formes variées et des logiques prises par la violence entre soi. Au xixe siècle, qui s’est pensé comme un siècle positiviste, des interrogations renouvelées se font jour. De quelles ressources haineuses un être humain peut-il disposer, se demandent à plusieurs reprises les spécialistes de la psyché et les chroniqueurs judiciaires, devenus des professionnels des passions hostiles Mais en l’absence de statistiques il reste des études de cas. Ainsi dans une affaire jugée à huis clos, un des protagonistes fait une déclaration ressemblant aux propos de des Esseintes, le héros d’À Rebours, qui après avoir connu « la fièvre chaude de la luxure », les états morbides les plus terrifiants et l’épuisement d’un esprit qui a pataugé dans les replis les plus « fangeux », s’écrie : « Le refuge ? C’est peut-être la famille, le mariage ? » L’auteur, veuf, a une liaison avec une couturière. Six semaines après la rencontre c’est la rupture et il ne le supporte pas, mais comme il est fortuné et possède un statut social, il décide de se venger par tous les moyens et envoie partout des lettres ordurières77. La violence morale commence à être à l’ordre du jour et des juristes s’en préoccupent.
34Quant à la violence physique, elle peut prendre des formes singulières. L’amoureux contrarié ou rejeté peut en effet choisir une victime de substitution. Le désir de vengeance qui relève à la fois de relations de genre, d’une « économie émotionnelle » et de la volonté de détruire s’illustre au cours de la période de l’entre-deux-guerres dans le quartier Mouffetard. Géo London, le chroniqueur judiciaire le plus célèbre de la période, s’était intéressé comme Albert Londres à la Russie ou au bagne. En 1936, il suit un singulier procès. La partie civile est représentée par une danseuse, divorcée, entretenant une liaison avec un amant attitré. Elle était la mère d’une fillette. Sa fille, âgée de huit ans, a eu le crâne écrasé à l’aide d’un pavé et son corps a été enfoui dans une couverture pour le dissimuler aux regards. Dans le box des accusés ne se trouve pas un prédateur sexuel mais un amoureux éconduit qui a voulu « exercer la plus inhumaine des vengeances contre sa mère78 ». Tuer l’enfant plutôt que la mère c’était s’assurer que la malheureuse souffrira davantage. À peu près à la même époque le premier traité de psychiatrie médico-légale voit le jour et évoque les structures familiales et la personnalité de ses membres quand l’amour a été remplacé par un sentiment sombre dont les femmes et les enfants sont le plus souvent les victimes. Ces haines familiales se traduisent par exemple, par le crime de la femme unie à son époux ivrogne et brutal qui lui a imposé un joug avilissant. Plus dramatiques encore sont les haines du père pour le fils, de la mère pour la fille, basées sur toutes sortes de sentiments complexes de jalousies motivées par des choix affectifs, ou le besoin de domination des individus les uns à l’égard des autres79.
35Mais, par la force des choses, et sous l’aiguillon d’une prise de conscience collective, ce sont surtout les violences conjugales qui sont abordées sur la place publique. Il est vrai que le décompte des féminicides80 leur donne une actualité palpable. Il reste à se demander comment, et selon quelles logiques, les violences conjugales en viennent à saccager les familles et parfois à broyer les individus ; de même, il convient de s’interroger sur les ressorts qui font que les liens familiaux, censés offrir protection, assistance et secours aux membres d’une famille, se retournent contre un ou plusieurs d’entre eux, infligeant humiliation, contrainte, emprise, maltraitance et mort. Certes il convient de ne pas noircir exagérément le tableau sociétal en versant dans le dolorisme mais il importe de porter un regard à la fois lucide et panoramique sur la face sombre de la famille.
Notes de bas de page
1Clémentine Autain, Dites-lui que je l’aime, Paris, Grasset, 2019.
2Jean-Marie Laclavetine, Une amie de la famille, Paris, Gallimard, 2019.
3Voir en particulier Chritine Angot, L’inceste, Paris, Stock, 1999.
4Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque, Paris, Payot et Rivages (1972), 2000.
5Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du xixe siècle, Paris, Administration du GDU, tome huitième, 1872, p. 1.
6Ibid., p. 73.
7Ibid., p. 80.
8Christiane Klapisch-Zuber, « La lutte pour la culotte, un topos iconographique des rapports conjugaux (xve -xixe siècle) », Clio. Femmes, Genre, Histoire, 2011, p. 203-2018. Pierre Bureau, « La “dispute” pour la culotte » : variations littéraires et iconographiques d’un thème profane (xiie - xvie siècle) », Médiévales, 29, 1995, p. 105-109.
9Imprimerie Pellerin, à Épinal, s. d.
10Imprimerie de Deckherr à Montbelliard (Doubs), s. d.
11BNF, La Grande querelle du ménage, PV 307, Pacher del. ; C. M. lith, s. d.
12Nouvelle image d’Epinal, La querelle du ménage, no 888, s. d.
13L’Assiette au Beurre, 13, 1901, dessin d’Emmanuel Dareet.
14Michel Foucault, « What is Enlightenment ? », « Qu’est-ce que les Lumières ? », dans Paul Rabinow (dir.), The Foucault Reader, New York, Pantheon Book, 1984, p. 32-50, repris dans Dits et Écrits, IV, 1980-1988, Édition établie sous la direction de Daniel Defert et François Ewald, Paris, Gallimard, 1994, p. 570.
15Réalisé par Yves Rénier en 2018.
16S’il existe un nombre prodigieux de photographies sur internet, en revanche, les campagnes d’affiches ont été beaucoup plus rares.
17En particulier les affiches réalisées en 2010 pour Solidarité Femmes par W & Cie. Elles montrent des photos d’une femme couchée sur le sol, inerte, chez elle. Son mari ou compagnon est en train de la frapper. Tout autour des proches, qui restent debout, ignorant la scène comme si elle ne les concernait pas. Le slogan : « Violences conjugales, se taire c’est participer ».
18Par exemple James Elkins, Visual Studies. A Skeptical Introduction, Londres, Routledge, 2003.
19Voir par exemple l’iconographie dans Lydie Bodiou, Frédéric Chauvaud, Marie-José Grihom et Héloïse Morel, Une femme sur trois. Les violences faites aux femmes d’hier à aujourd’hui, Poitiers, Éditions Atlantique, 2019.
20Remi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, 2003.
21Parmi quelques travaux, il convient de mentionner la synthèse de Robert Muchembled, Une histoire de la violence, Paris, Seuil, 2008.
22Pierre Lascoumes, Pierrette Poncela et Pierre Lenoël, Au nom de l’ordre. Une histoire politique du code pénal, Paris, Hachette, 1989.
23Sylvie Lapalus, La mort du vieux. Une histoire du parricide au xixe siècle, Paris, Tallandier, 2004.
24Marcel Proust, « Sentiments filiaux d’un parricide », dans Pastiches et mélanges, Éditions de la Nouvelle Revue française, 1921 (7e éd.), p. 221-224.
25En particulier Didier Lett, « Genre et violences sexuelles commises contre les enfants dans les registres judiciaires de Bologne au xve siècle », Annales de démographie historique, 1, 135, 2018, p. 141-172.
26Pour la période moderne, Julie Doyon, « Le “père dénaturé” au siècle des Lumières », Annales de démographie historique, 2, 2009, p. 143-165.
27Jean Bergeret, La violence fondamentale. L’inépuisable Œdipe, Paris, Dunod, 1984.
28Arnaud Martorell, « Violence et parricide chez les jeunes ne présentant pas de pathologie psychiatrique caractérisée », Soins Psychiatrie, 85, 1987, p. 5-11.
29Daniel Zagury, « Le double parricide, un crime d’autoengendrement », Perspectives Psychiatriques, 31, 1992, p. 235-248.
30Françoise Lauwaert, Le meurtre en famille. Parricide et infanticide en Chine (xviiie -xixe siècle), Paris, Odile Jacob, 1999.
31Pour une mise en contexte, voir Marie-Françoise Levy (dir.), L’enfant, la famille et la Révolution française, Paris, Olivier Orban, 1990.
32Annick Tillier, Marie Vaillant : Histoire tragique d’une infanticide en Bretagne, Paris, Larousse, 2011.
33Jean-Jacques Yvorel, « La justice et les violences parentales à la veille de la loi de 1898 », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2, 1999, p. 15-45. Dominique Dessertine, « Les tribunaux face aux violences sur les enfants sous la Troisième République », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 2, 1999, p. 129-141.
34Françoise Héritier, Les deux sœurs et leur mère : anthropologie de l’inceste, Paris, Odile Jacob, 1994.
35Anne-Claude Ambroise-Rendu, Histoire de la pédophilie, xixe -xxe siècle, Paris, Fayard, 2014 ; Anne Emmanuelle Demartini, Violette Nozière, la fleur du mal, Paris, Champ Vallon, 2017.
36Article 222-31.
37Howard Becker, Outsiders, Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié (1963), 1985.
38Elles possèdent bien sûr une histoire, encore méconnue, se reporter à Victoria Vanneau, La paix des ménages. Histoire des violences conjugales, xixe -xxie siècle, Paris, Anamosa, 2016.
39Il est évident que la violence conjugale ne se limite pas au couple, voir en particulier Roland Coutanceau et Muriel Salmona, Violences conjugales et famille, Paris, Dunod, 2016. Voir également Édouard Durand, Violences conjugales et parentalité. Protéger la mère, c’est protéger l’enfant, Paris, L’Harmattan, 2013. Voir encore Karen Sadlier (dir.), Violences conjugales : un défi pour la parentalité, Paris, Dunod, 2020.
40Isabelle Corpart, « Conjugalité et violence, les liaisons dangereuses », LPA, 130, 17 octobre 2017, en ligne.
41Jean-Georges Lemaire, Le couple : sa vie, sa mort, Paris, Payot, 1979.
42Fanny Vasseur-Lambry, Penser les violences conjugales comme un problème de société, Arras, Artois Presses Université, 2018.
43Élisa Herman, Lutter contre les violences conjugales. Féminisme, travail social, politique publique, Rennes, PUR, 2016. Voir aussi Pauline Delage, Violences conjugales : du combat féministe à la cause publique, Paris, Presses de Science Po, 2017.
44Alain Desrayaud, « Le père dans le Code civil, un magistrat domestique », Napoleonica. La Revue, 14, 2012/2, p. 3-24.
45François de Singly (dir.), La famille, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 1991 ; Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan, 1996 ; et al., La famille en questions, état de la recherche, Paris, Syros, 1996.
46Françoise Héritier, Masculin/féminin, la pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996.
47Nous reprenons ici la définition retenue dans les enquêtes ENVEFF et VIRAGES, les violences conjugales ont lieu avec tous partenaires intimes, passés ou présents, mariés ou non, vivant ou non ensemble, dont le lien dure depuis au moins quatre mois.
48[http://stop-violences-femmes.gouv.fr/Les-chiffres-de-reference-sur-les.html/] ; [https://egalitefemmes-hommes.gouv.fr/publications/droits-des.html.fr].
49« VIRAGE (Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes) est une enquête quantitative portant sur les violences subies par les femmes et par les hommes. Toutes les violences sont abordées : violences sexuelles et conjugales, physiques et verbales, qu’elles aient lieu dans l’espace domestique, l’espace public ou au travail, qu’elles soient récentes ou se soient produites au cours de l’enfance. La violence est abordée dans une perspective de genre : il s’agit de rendre compte de la place que tient la violence dans les rapports entre les hommes et les femmes, mais aussi du rôle qu’elle joue dans la construction de la féminité et de la masculinité. »
5011 % attouchements du sexe, 95 % attouchements des seins/fesses ou baisers imposés par la force.
51Les ¾ des femmes victimes de viols et des tentatives de viols ont été agressées par un membre de leur famille, un proche, un conjoint ou ex-conjoint ; 5 % des femmes ont subi au moins une violence sexuelle d’un membre de leur famille ou d’un proche et 1,6 % au moins un viol ou une tentative de viol.
52Enquête INED, Excision et handicap, 2004.
53Marie-José Grihom, « Pourquoi le silence. Violence et lien de couple », Dialogue, Familles § Couples, 208, 2, 2015, p. 71-84.
54Louise Atani-Torasso, « Femmes victimes », subjectivation, lien · s et violences conjugales : effets des facteurs interculturels et intersubjectifs chez les femmes immigrées dans les couples endogames ou mixtes », thèse de Psychologie de l’université de Poitiers, 2017.
55Marie-José Grihom et Alain Ducousso-Lacaze (dir.), Justice et liens familiaux : quelles relations ? Dialogue, Familles § Couples, 211, 1, 2016.
56Op. cit.
57« Déclaration sur l’élimination des violences à l’égard des femmes », Organisation des Nations unies, 1993, disponible sur [http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ViolenceAgainstWomen.aspx].
58Myriam Soria, « Dire les violences de couple en audience correctionnelle : mots d’agresseurs, mots de magistrats, cheminer d’une norme à une autre », dans Lydie Bodiou et al (dir.), Le corps en lambeaux. Violences sexuelles et sexuées faites aux femmes, Rennes, PUR, 2016, p. 103-124.
59Laurence Leturmy et Michel Massé, « Dictionnaire pénal non amoureux du sexuel », dans Lydie Bodiou et al (dir.), Le corps en lambeaux, op. cit, p. 95-102.
60« Qu’est-ce que la violence conjugale ? », Amnesty International, disponible sur [https://www.amnesty.be/camp/droits-des-femmes/violence-conjugale/article/qu-est-ce-que-la-violence-conjugale].
61Muriel Salmona, « Comprendre l’emprise pour mieux protéger et prendre en charge les femmes victimes de violences conjugales », dans Roland Coutanceau et Muriel Salmona (dir.), Violence conjugale et famille, Paris, Dunod, 2016, p. 98-107.
62Liliane Daligand, Violences conjugales en guise d’amour, Paris, Albin Michel, 2006 ; Mélanie Voyer, Alexia Delbreil et Jean-Louis Senon, « Violences conjugales et troubles psychiatriques », L’information psychiatrique, 90, 2014, p. 63-71.
63Marie-José Grihom, « Les motifs du silence : violence sexuelle et lien de couple », dans Lydie Bodiou et al (dir.), Le corps en lambeaux, op. cit, p. 321-332 ; Marie-José Grihom et Michel Grollier, Femmes victimes de violences conjugales. Une approche clinique, Rennes, PUR, 2013.
64Denis Salas, La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal, Paris, Hachette, 2005.
65Par exemple, l’important ouvrage de Christian Delacroix, François Dosse, Patrick Garcia et Nicolas Offenstadt (dir.), Historiographies, I et II, Concepts et débats, Paris, Gallimard, 2010, ne comporte aucune entrée « concept ». En histoire la question de la contextualisation est souvent mentionnée dans les ouvrages relatifs au commentaire de documents, qu’ils soient écrits ou iconographiques.
66Emmanuelle Palermini, « Jeux de voiles, expression du deuil féminin et valeur et valeur de l’enveloppement dans la quête de la déesse Déméter », Genre & Histoire 19/2017 (en ligne).
67Mariette Mignet, « Déméter au divan », Cahiers jungiens de psychanalyse, 108, 2003/3, p. 21-32.
68Jean-Jacques Yvorel, « L’enfant, la puissance paternelle et le juge au xixe siècle », Les Cahiers de la Sécurité Intérieure, 28 : « Violences en Famille », 1997, p. 17-31.
69Michel Foucault, « Des espaces autres », Architecture, Mouvement, Continuité, 5, octobre 1984, p. 46-49, repris dans Dits et écrits IV, 1980-1988, Paris, Gallimard, 1994, p. 754.
70Élisa Herman, Lutter contre les violences conjugales. Féminisme, travail social, politique publique, op. cit.
71Michelle Perrot, Le chemin des femmes, Paris, Robert Laffont, 2019, p. 844-899, et p. 913-989.
72Christine Bard (dir.), Le genre des territoires. Féminin, masculin, neutre, Angers, Presses de l’université d’Angers, 2004, p. 187.
73Expression empruntée à Julien Gracq, En lisant en écrivant, dans Œuvres complètes II, Gallimard, 1995, p. 707.
74Psychologie, « Être en paix avec sa famille », 392, 22 novembre 2018.
75Sciences Humaines, « Que devient la famille ? », 316, juillet 2019.
76Éric Chauvier, Anthropologie de l’ordinaire, Toulouse, Anacharsis, 2011, p. 115.
77Frédéric Chauvaud, Histoire de la haine. Une passion funeste, 1830-1930, Rennes, PUR, 2014, p. 171-174.
78Geo London, Les grands procès de l’année 1936, Paris, Les Éditions de France, 1937, p. 186.
79Henri Claude, Psychiatrie médico-légale, Paris, G. Doin & Cie, 1932, p. 138.
80Lydie Bodiou, Frédéric Chauvaud, Ludovic Gaussot, Marie José Grihom, Laurie Laufer et Beatriz Santos, On tue une femme. Histoire et actualité, Paris, Hermann, 2019.
Auteurs
Maître de conférences en histoire grecque à l’université de Poitiers et membre du laboratoire HERMA (EA 3811).
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Poitiers (Criham, EA 4270) et directeur de la Maison des sciences de l’homme et de la société.
Psychologue, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique à l’université de Poitiers (Caps, EA 4050).

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