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Travailler à l'école

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Anne Barrère

Chapitre 3. Le travail enseignant

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Géographique :

France

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  • 1 Ce chapitre reprend les principales conclusions de ma recherche sur les enseignants ; cf. Les ense (...)
  • 2 16 % d'entre eux seulement citent l'un ou l'autre de ces facteurs comme « une des trois motivation (...)
  • 3 Les dossiers d'éducation et formations, numéro spécial, « Les nouveaux enseignants du second degré (...)
  • 4 Thélot C., « Salaire et durée du travail des enseignants, des cadres, des professions intermédiair (...)
  • 5 Claude Thélot indique une fourchette de 29 à 36 heures de travail, l'horaire statutaire devant élè (...)

1C’est la même démarche analytique qui permettra de rendre compte de la pluralité des tâches enseignantes, avant d’envisager d’en comparer les contenus, les satisfactions et les difficultés avec ceux du travail scolaire. Mais à l’orée de cette étude, il importe de resituer brièvement le travail enseignant dans son cadre statutaire, qui d’emblée le différencie de l’expérience des élèves. Le statut d’enseignant comporte bien des aspects attractifs1. Si la sécurité de l’emploi, le temps libre et les vacances ne sont pas des motivations professionnelles assumées prioritairement par les enseignants2, les plus jeunes d’entre eux n’y sont pas insensibles, surtout sur fond de crise de l’emploi3. Même si les enseignants sont moins bien payés, à diplôme égal, que les autres cadres de la fonction publique et du secteur privé, le calcul refait en péréquation avec les heures effectuées diminue considérablement ce déficit, voire l’annule4. Il est vrai que l’on entre ici dans la difficulté de mesurer le temps réel d’un travail, accompli en partie dans l’espace privé, et dont, comme tout travail essentiellement intellectuel et organisationnel, certains aspects font travailler l’esprit en dehors même d’un cadre spécifique5.

  • 6 En 1998, 28 000 personnels non titulaires exerçaient dans les établissements du second degré publi (...)
  • 7 Il n'est pas rare de voir les enseignants de musique et d'arts plastiques enseigner à la totalité (...)

2Au sein de ce confort statutaire global, le métier enseignant se diversifie cependant en fonction de nombreux facteurs. D’abord, un nombre conséquent de personnels non titulaires exerce, malgré les plans de titularisation ; d’autres sont titulaires remplaçants6. Surtout, la nature des établissements d’exercice devient un paramètre déterminant des conditions réelles de travail des enseignants. Mais la matière enseignée est aussi importante, car elle décide du nombre d’heures par classe et donc du nombre de classes d’un enseignant donné7.

3Ces différences concrètes s’inscrivent aussi dans une évolution générale des cadres de l’exercice du métier. L’accueil de la quasi-totalité d’une classe d’âge dans l’enseignement secondaire s’est répercuté d’une double manière sur les représentations du métier. D’une part, il donne prise à des interprétations en termes de crise, de dérégulation et d’échec institutionnel de la démocratisation. L’idée de la baisse du niveau rejoint la thématique de la montée des incivilités et de la violence, alimentant les discours de l’impossibilité du métier et de la dégradation des conditions de travail. D’autre part, il ouvre des opportunités de développement pour une professionnalité appuyée sur le continent des « nouvelles pédagogies », et la nécessité d’adaptation à une nouvelle donne sociale. Au rebours d’un exercice routinisé et fonctionnarisé du métier, il s’agit alors de développer, face à des publics hétérogènes, de nouvelles compétences et d’accroître sa marge d’autonomie.

4Analyser le travail enseignant se situe en quelque sorte en deçà de cette double perspective qui revient bien souvent à dire, dans le premier cas, pourquoi les enseignants ne peuvent plus faire leur travail, et dans le deuxième cas, comment ils devraient désormais le faire. Il s’agit au contraire de s’attacher à l’ensemble des tâches auxquelles sont confrontés les enseignants dans ce contexte précis, et de tenter d’en faire une analyse globale, malgré leur diversité et leur nombre.

L’ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE

  • 8 BOEN, 22 mai 1997. Circulaire n° 97-123, MEN-DLC, DGES.
  • 9 Lang V., La professionnalisation des enseignants, Paris, PUF, 1994.

5Le cadre du travail prescrit à l’enseignant s’est transformé ces dernières années. L’enseignement secondaire massifié a maintenu ses objectifs en termes d’instruction, a vu ses tâches de socialisation s’accroître et s’est vu doter d’une mission de préparation à l’insertion qu’elle n’assumait pas aussi explicitement auparavant. Désormais, l’enseignant doit « tout à la fois instruire les jeunes qui lui sont confiés, contribuer à leur éducation, et les former en vue de leur insertion sociale et professionnelle8 ». De plus, il est censé devenir maître de ce que le rapport Bancel appelle une professionalité « globale9 », où ses savoirs « théoriques » doivent se diversifier au-delà du seul horizon disciplinaire— savoirs issus des sciences sociales, savoirs sur les théories pédagogiques—, et s’élargir jusqu’à prendre conscience de l’existence de savoirs de la pratique, même s’il existe une difficulté à les verbaliser ou à les formaliser.

6Mais cet élargissement des buts et des moyens s’est fait à l’intérieur d’une organisation de l’espace et du temps inchangée, centrée sur la classe et le passage de groupes d’élèves d’un enseignant à un autre et d’une matière à une autre. Si la forme scolaire reste la rationalisation majeure des cadres du travail enseignant, elle s’accompagne aujourd’hui d’autres tentatives qui l’infléchissent à plusieurs niveaux.

Adaptation-individualisation de l’enseignement

  • 10 Durkheim E., Éducation et sociologie (1922), Paris, PUF, 1968.

7La réflexion pédagogique s’est toujours préoccupée de l’adaptation de l’enseignement à des individus différents ; Durkheim écrivait déjà que « le maître devra diversifier les méthodes suivant les tempéraments et la tournure de chaque intelligence10 ». Mais la massification, en accentuant considérablement ce qu’il est convenu de nommer l’hétérogénéité des publics d’élèves, a rendu cette consigne plus impérieuse. Même si la liberté pédagogique de l’enseignant n’est remise en question par aucun texte, il doit néanmoins être à même de « construire des situations d’enseignement et d’apprentissage », « communiquer l’envie d’apprendre », « favoriser les situations interactives », et « s’adapter à des situations inattendues sur le plan didactique, pédagogique, éducatif », c’est-à-dire, pour employer une terminologie métaphorique plus industrielle, réagir davantage sur le modèle du « flux tendu » que de la mise à disposition d’un stock de connaissances ou de cours pré-standardisés.

  • 11 Dès 1846, un texte préparatoire à la réforme Fortoul prône un rapport au savoir de type inductif. (...)
  • 12 Pour une vision globale de ces évolutions, cf. Mialaret G, Pédagogie générale, Paris, PUF, 1991 ; (...)
  • 13 Plaisance E., L'enfant, la maternelle, la société, Paris, PUF, 1986 ; Vincent G., L'école primaire (...)

8En fait, la question de l’adaptation pédagogique a fini par porter bien des enjeux et débats propres à la massification. Elle doit beaucoup aux transformations auriculaires et c’est d’abord sous l’impact de la montée en puissance des matières scientifiques, mais aussi artistiques ou technologiques, qu’adviendra l’ère des méthodes inductives et actives. Elle s’alimente également aux sources plus larges et finalement relativement anciennes de la « pédagogie nouvelle », appuyée sur le développement de la psychologie et l’attention portée à l’enfance et à l’adolescence. Même dans l’enseignement secondaire où son essor a été plus limité que dans l’enseignement primaire, de nombreux textes officiels, des colloques comme le colloque d’Amiens, des expérimentations diverses comme les classes nouvelles de la libération, prônent longtemps une « autre » pédagogie qui empruntera plusieurs voies au sein d’une même constellation11. À partir de la rénovation des collèges, en 1984, la référence à la pédagogie différenciée, puis à la pédagogie de contrat, font des pédagogies modernisantes des prescriptions officielles. Ces pédagogies, fort diverses, s’unifient pourtant dans une grande méfiance face aux tâches scolaires dites « passives12 ». L’appel à l’activité orale de l’élève, à sa participation au cours, à ses questions s’impose en maternelle et dans le primaire13 et fraye aussi son chemin au collège et au lycée. Cette activité n’est cependant pas toujours visible : la référence aux conceptions constructivistes des savoirs favorise l’émergence d’un soupçon envers toutes les tâches supposées ne pas favoriser l’activité cognitive et intellectuelle de l’élève : copie sous la dictée, exercices de pure mémorisation, exercices d’application systématique d’une règle. La préoccupation de la contextualisation des savoirs renvoie également à l’inscription dans des réalités sociales différenciées vécues par les élèves. Les savoirs scolaires sont, dans cette perspective, présentés comme accessibles à tous à condition d’être « recadrés » par des situations de travail appropriées.

  • 14 Guiral P., Thuillier G., La vie quotidienne des professeurs de 1870 à 1940, Paris, Hachette, 1982, (...)
  • 15 Bourdieu P., Saint-Martin M. de, op. cit.
  • 16 Barbier J.-M., Savoirs théoriques et savoirs d'action, Paris, PUF, 1996.

9La construction de situations d’enseignement adaptées représente donc un mouvement de déstandardisation qui diffuse sur les tâches traditionnelles de l’enseignant. Préparer un cours, c’est désormais prévoir un cadre de travail pour les élèves, organiser des exercices et des contrôles, varier les méthodes. On est loin du cours stéréotypé de l’enseignement du début du vingtième siècle : interrogation orale, cours magistral, résumé dicté14. Le cours préparé est de plus en plus conçu comme une anticipation-réaction sur les cours pratiqués et de moins en moins le face à face d’un enseignant et d’une série de contenus. Dans cette nouvelle configuration, la gestion de classe occupe une place à part entière, et de plus en plus significative. Tant que la communication pédagogique se réduisait à une « émission » peu préoccupée de la réception, elle n’était au fond qu’un corollaire plus ou moins réussi de la préparation de cours15. Désormais, elle se leste de nouveaux impératifs à la fois pédagogiques et relationnels, et se présente comme une tâche experte d’adaptation en situation des savoirs et exercices présentés, qui éventuellement fait recours à des techniques de communication et de gestion de conflits mais aussi à des « savoirs d’expérience16 ».

Rationalisation des curriculums et de l’évaluation

  • 17 Pour une critique radicale de cette introduction à l'école primaire, cf. Le Goff J.-P., La barbari (...)
  • 18 Stroobants M., « Former et évaluer des compétences : des objectifs contradictoires ? », in Bourdon (...)
  • 19 Perrenoud P., Enseigner, agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude, Paris, ESF, 1999, et Mei (...)
  • 20 Le reproche le plus vif consistera alors à montrer comment elle continue au contraire cette tradit (...)

10La deuxième forme de rationalisation vient également de la prise en compte de la nécessité d’adaptation aux nouveaux publics collégiens et lycéens et du désir de mener de pair rationalisation pédagogique et démocratisation. Plus récemment, la volonté d’explicitation s’est accompagnée d’une reformulation en termes d’objectifs, articulée précisément avec l’évaluation des tâches scolaires. Un des courants de la pédagogie nouvelle, précisément appelée « par objectifs » a pu alors rejoindre une certaine importation du vocabulaire des compétences tel que le monde du travail l’a vu naître à partir des années quatre-vingt-dix. Les programmes sont alors l’agrégation de diverses compétences à acquérir, elles-mêmes s’incarnant dans des activités scolaires précises. Pourtant, le processus a été variable selon les niveaux — il a été plus fort à l’école primaire17 que dans le secondaire, et dans le secondaire technique et professionnel que dans le secondaire général —, et les matières : très répandu en sciences de la vie et de la terre, en éducation physique et sportive ou mathématique, il est plus diffus en lettres ou en langues, voire totalement absent en philosophie. Il a malgré tout considérablement influencé les programmes effectifs ou, du moins, leur simple mise en forme, comme le soutiennent de manière critique un certain nombre de chercheurs. Marcelle Stroobants, en particulier, dénonce une rationalisation qui ne met que superficiellement en regard connaissances et compétences18. Plus généralement, cette pédagogie accusée d’être abusivement « taylorienne », et au service d’objectifs à court terme, déformant potentiellement les véritables modalités et buts des tâches solaires, est dénoncée comme une fausse promesse de maîtrise19. Si le vocabulaire des « objectifs » s’est plus ou moins facilement imposé à l’école, c’est sans doute que son principal mérite était de paraître répondre au mieux aux méfaits de la pédagogie de l’implicite inhérente à l’ancienne configuration pédagogique20.

  • 21 Demailly L., Deubel P., Gadrey N., Verdière]., Évaluer les établissements scolaires, Paris, L'Harm (...)
  • 22 Derouet J.-L., École et justice, Paris, Métailié, 1992.

11Un autre de ses mérites était la préoccupation de lier le plus étroitement possible enseignement, apprentissage et évaluation, par l’intermédiaire de compétences traduisibles en prestations scolaires précises et mesurables. Et en effet, depuis les années quatre-vingt, sur fond de volonté de moderniser le service public, le système scolaire se préoccupe de son évaluation, qui passe évidemment par celle des performances des élèves : il se donne les moyens de bilans généralisés des connaissances et compétences des élèves à certains points du système afin de mieux cerner les évolutions. Il met également en place des indicateurs par établissements, qui permettent de décrire les publics et leurs performances, des procédures d’audit dans certaines académies, qui ont pour but de mettre en évidence et de comprendre si possible les performances différentielles des environnements éducatifs21. Pour autant, cette culture de l’évaluation, dont bien des cadres modernisateurs de l’Éducation nationale regrettent instamment qu’elle ne pénètre pas facilement l’école, constitue certes un nouveau modèle de justification de l’activité enseignante, mais qui précisément entre en tension avec les autres. Car pour Jean-Louis Derouet22, dorénavant, plusieurs modèles sont en concurrence et le modèle de l’efficacité, qui ne triomphe paradoxalement, dit-il, que sur fond d’impossibilité concrète à l’estimer, n’est que l’un d’entre eux. Sa conception plutôt technicienne de l’acte éducatif, sa préoccupation constante de la productivité du service public recentre l’activité enseignante sur l’évaluation des élèves et de leur propre activité, la recherche et la mise à l’épreuve d’instruments pédagogiques rationnels. Mais elle est à la fois dénoncée par le modèle de l’« intérêt général », modèle de socialisation professionnelle traditionnel des enseignants qui, certes en crise, n’en est pas moins une matrice forte de prise de distance avec des impératifs de performance, et par le modèle communautaire ou « domestique », qui au nom de la spécificité de l’enfance et de l’adolescence, dénonce la focalisation sur une compétition scolaire potentiellement destructrice de l’épanouissement personnel.

La régulation par le local

12Enfin, avec la décentralisation, l’existence d’établissements publics locaux d’éducation et des projets d’établissement, rendus obligatoires depuis 1981, mais aussi avec le développement des Zones d’éducation prioritaire, la politique éducative locale est dotée d’un certain degré d’autonomie officielle. L’enseignant est alors censé s’impliquer dans l’espace local, y animer des équipes ou y être porteur de projets. Cette nouvelle tâche revêt une grande importance normative, parfois peu proportionnelle à son importance réelle, mais explicable aussi par sa grande valence polémique, puisqu’elle est porteuse d’interrogations sur la redéfinition des services enseignants ou le problème du renforcement des pouvoirs du chef d’établissement. Les points de vue varient aussi sur la nature de ces politiques territorialisées, structurellement associées à une logique marchande inégalitaire pour certains, vecteur de démocratie locale pour d’autres, en tout cas très diverses dans le degré de réalité et de dynamisme qu’elles confèrent à l’échelon local.

13C’est également au niveau de l’établissement que l’enseignant est censé s’impliquer davantage dans l’orientation des élèves, comme le signifie bien l’existence de l’indemnité de suivi et d’orientation, mise en place en 1983. Cette démarche va de pair avec l’inscription de l’évaluation dans un cadre plus large que celui de la classe, et la prise de conscience de l’existence d’une offre locale et régionale de formation. Dans cette perspective, le travail de l’enseignant ne saurait se réduire à son activité en classe, et il agit au sein d’un contexte d’action pluriel dans lequel il doit s’inscrire et définir des interventions cohérentes avec celles des autres.

  • 23 Derouet J.-L., Dutercq Y., Les établissements scolaires, entre autonomie locale et service public,(...)

14On peut là encore convoquer l’approche de Jean-Louis Derouet et Yves Dutercq23, pour mieux comprendre les conséquences au quotidien de la montée de l’établissement comme échelon de régulation de la vie scolaire. En effet, les enseignants « entre plusieurs mondes » confrontent leurs visions de l’activité lors d’épreuves où les mondes s’affrontent : politiques d’ouverture à la cité désavouées par de mauvais résultats, répartition d’élèves dans les classes critiquable dans le monde civique, et parfois justifiable dans celui de la performance ou de la paix scolaire, conflits de l’égalité et de l’équité. Mais dans bien des états « silencieux » du monde scolaire, les débats sont pour ainsi dire suspendus, et on agit ensemble sans vraiment le faire au nom des mêmes principes généraux, à moins que précisément, au nom de ces divergences, on évite certains engagements ou prises de position.

Les limites de l’expertise enseignante

  • 24 De même la pédagogie de groupe ne paraît que très légèrement favoriser les acquisitions des élèves (...)
  • 25 Bressoux P., « Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres », Revue française de pé (...)
  • 26 Tochon F.V., L'enseignant expert, Paris, Nathan, 1993.
  • 27 Cousin O., L'efficacité des collèges, Paris, PUF, 1998.
  • 28 Schön D., Le praticien réflexif, Montréal, Éditions Logiques, 1994, ou encore Perrenoud P., Dévelo (...)

15Ces différents processus peuvent être présentés comme articulés ou harmonisés entre eux, sous le signe d’une expertise enseignante qui se construit. Mais elle a précisément ses limites et ne doit pas être prise dans un sens trop étroit. D’ailleurs, un corps stable de résultats lui fait défaut. Multiples et souvent difficilement généralisables en dehors de situations d’observation très précises, les recherches actuelles concernent souvent davantage l’enseignement primaire où le maître unique favorise la définition d’un style de pédagogie. Mais même à ce niveau, elles ne sauraient proposer pour l’instant de modèles stabilisés de conduites professionnelles efficaces. Dans l’ensemble, les chercheurs ont des avis plutôt réservés quant à la plus grande efficacité d’un enseignement différencié ou individualisé24. Le point mérite un temps d’arrêt, tant les discours prescriptifs en éducation paraissent le méconnaître et suivre leur cours sans le prendre en considération. Un comportement n’apparaît efficace que dans une situation, et devant un public donné, rejoignant l’idée d’une adaptation à des situations nouvelles mais se dérobant à la généralisation25. L’efficacité peut alors être relue, non en termes de rationalité experte, mais en termes d’« improvisation réglée », comme celle du musicien de jazz26. Les recherches sur les effets-établissements les mettent bien en avant de manière nette mais échouent là encore à en stabiliser des causalités simples, vu la multiplicité de facteurs à l’œuvre27. Surtout, cette expertise incertaine plaide plutôt pour une réflexivité professionnelle accrue permettant à l’enseignant de modifier ses propositions en fonction de l’estimation de leur efficacité. On aura reconnu le modèle du « praticien réflexif » qui s’oppose à l’idée d’une rationalité experte stricto sensu, au profit du développement d’une « réflexion en action », certes perceptible principalement au travers d’une réflexivité « sur » l’action, sans lui être totalement réductible28. Ce modèle normatif connaît un certain succès aujourd’hui, s’appuyant sur un lien plus organique à la pratique enseignante, ce qui ne préjuge en rien de son impact réel sur les pratiques.

16Enfin, les différents mouvements de rationalisation du travail enseignant peuvent à bien des égards apparaître tendus entre des mouvements contradictoires. L’individualisation et l’adaptation des situations d’apprentissage sont en tension avec une évaluation-orientation mue par des considérations et des objectifs globaux. La rationalisation curriculaire paraît contenir des virtualités de standardisation des cours, s’opposant à l’idée de pédagogie différenciée. Mais en même temps, la culture de l’évaluation qu’elle sert par certains côtés peut être considérée comme au service de la différenciation de l’enseignement, en permettant de cerner finement les acquis et les manques. Enfin, la marge d’autonomie croissante supposée par la prise au sérieux des régulations locales ne va pas forcément de pair avec l’idée d’un contrôle accru du travail enseignant, par le biais d’une obligation de résultats se substituant peu à peu à une obligation de moyens. Ces processus de rationalisation sont donc loin d’être univoques et homogènes. Ils ne proposent pas non plus une alternative au cadre global de la forme scolaire dont ils se satisfont, au prix de quelques réaménagements ponctuels.

LES TÂCHES ENSEIGNANTES

  • 29 Obin J.-P., La crise de l'organisation scolaire, Paris, Hachette Éducation, 1991.

17Le travail empirique sur lequel s’appuie cette réflexion ne demandait pas aux enseignants leur avis sur les transformations en cours mais la description aussi précise que possible de leurs pratiques au quotidien. Ces pratiques se déterminent certes face aux processus évoqués précédemment car ils se traduisent par un certain nombre de prescriptions. Mais elles ne le font certainement pas de manière simple ni homogène. Si l’adhésion globale des enseignants « aux réformes » est parfois prise comme indicateur descriptif de l’état de la profession29, la dichotomie entre enseignants « adhérents » et « opposants » ne saurait en fait rendre compte pratiquement des situations, vu la diversité des transformations proposées. Les prescriptions structurent d’ailleurs inégalement les entretiens, ce qui signale en soi un certain nombre d’écarts avec la réalité du travail. Par ailleurs, cette réalité doit ses contours réels aux expériences antérieures des enseignants, à leurs options pédagogiques, à leur histoire personnelle autant qu’aux textes ou instructions officielles. Nous envisagerons successivement quatre faisceaux de tâches : la préparation du cours, la classe elle-même, l’évaluation des élèves, le travail dans l’établissement.

Rationalisation prescrite, autonomie réelle : le travail de conception des cours

  • 30 Bourdoncle R., « La professionnalisation des enseignants : analyses sociologiques anglaises et amé (...)

18Face à des prescriptions de plus en plus précises sur le contenu et le temps des séquences pédagogiques par exemple, ou sur les cadences d’évaluation souhaitables, les enseignants ont maintenu une marge de manœuvre considérable. On sait d’ailleurs que ce maintien de l’autonomie professionnelle enseignante, si elle avait pu apparaître comme une spécificité française alors que l’hypothèse de la déqualification enseignante se faisait jour dans les travaux anglo-saxons, est de nouveau une hypothèse plus générale sur l’évolution du travail enseignant au-delà des limites hexagonales30.

Réappropriation critique des prescriptions

  • 31 « Évidemment, je vais critiquer en disant, ben ça, faudrait l'enlever, mais pas parce que je trouv (...)

19Les enseignants témoignent d’abord d’une réappropriation critique des nouvelles prescriptions en matières de contenu, en réintégrant le point de vue de concepteur, du cours et de la classe, que leur confère leur « autonomie pédagogique » officielle. S’ils critiquent la pertinence des évolutions, c’est au fond assez posément, par comparaison avec leur discours sur d’autres aspects du métier, peut-être parce que leur jugement obéit à un double point de vue. Si beaucoup d’enseignants qualifient le programme de « démentiel », ou d’« infaisable » au vu des élèves concrets de leurs classes, bien des réformes leur paraissent intéressantes intellectuellement31. Surtout, elles ne menacent pas en profondeur leur rôle dans l’élaboration des cours. Les enseignants répugnent à se définir comme des exécutants de programmes pédagogiques, et leur investissement dans la discipline leur permet effectivement de ne pas le faire.

  • 32 Les stages de formation qu'elle organise à ce sujet ne sont pas toujours, aux dires des enseignant (...)

20Pourtant, face aux termes de compétences et d’objectifs, les enseignants sont plutôt perplexes. Cette rationalisation leur paraît être menée de manière souvent opaque, alors qu’elle s’opère au nom même de la transparence. « Où sont les objectifs du programme par objectifs ? », telle est bien souvent leur question, parfois explicitement ironique, face à des notions qui sont déplacées de niveau ou qui disparaissent sans que les raisons n’en soient, d’après eux, réellement expliquées. D’autres dénoncent des transformations purement rhétoriques, une nouvelle présentation qui, au fond, n’engage pas de réelles questions sur les savoirs. La modernisation des programmes, à laquelle les enseignants se sentent peu associés, pose alors, comme toute réforme organisationnelle, le problème de sa pédagogie propre et de l’explication des décisions par la hiérarchie pédagogique32.

Un travail créatif

  • 33 « Je vois un peu ce qui a été fait dans les manuels, je vois un peu ce qui a été fait dans d'autre (...)
  • 34 « On connaît les objectifs des programmes mais pour les activités de communication, c'est démerden (...)

21Mais ce que les enseignants sentent quand même comme le fruit de leur propre activité de conception, et non d’application de consignes, se dit dans l’ensemble bien peu dans les termes de la rationalisation et davantage dans celui de l’artisanat, même pour des enseignants qui considèrent sans hostilité les nouveaux programmes. L’aspect créatif de la tâche est bien souvent métaphoriquement évoqué dans les termes de l’habileté manuelle : il s’agit d’« élaguer le programme », de « bricoler », de « faire sa cuisine ». Cet ensemble de termes renvoie le plus souvent à l’activité de compilation et de synthèse qu’effectuent les enseignants lorsqu’ils préparent leurs cours, à partir de manuels mais aussi de livres universitaires ou de documents parascolaires. Il désigne aussi souvent l’invention, la fabrication d’exercices ou de corrigés de leur cru33. Même lorsque des supports pédagogiques interviennent massivement comme dans les cours des langues, ou lorsque les démarches adoptées par un enseignant pour bâtir un cours sont relativement uniformes (exercice de recherche-cours-exercices d’application en mathématiques ; examen d’un document-discussion-cours en histoire et géographie), les enseignants décrivent ces cadres comme retravaillés et modifiés par leur activité propre. Il arrive qu’un nouveau programme ou des changements prescrits de méthode les laissent dans l’incertitude, mais l’insuffisance de prescription est toujours compensée par la liberté qu’elle permet34.

Une tâche incertaine

22L’activité de préparation des cours est affectée d’un assez grand coefficient d’incertitude, qui tourne autour de la préoccupation centrale de la productivité de ce travail dans l’acte pédagogique lui-même. Si elle procure toujours un plaisir intellectuel aux enseignants, qu’il soit de l’ordre de l’appropriation de connaissances, ou de l’organisation et de l’« inventivité », elle n’est au fond vraiment jugée qu’à l’aune de ce qui se passe en cours. Or les enseignants constatent souvent que les heures passées à préparer un cours sont loin de garantir sa réussite ou que deux séquences identiques dans leur définition, mais faites en présence de deux groupes différents d’élèves, peuvent avoir des destins bien différents. Préparer beaucoup peut être alors improductif, lorsque ce travail donne un cadre trop strict qui empêche les adaptations, ou lorsqu’il suscite naturellement, par l’effort qu’il a nécessité, des attentes irréalistes.

  • 35 « —Tu me montres une image de cathédrale, moi (rires...) — Mais, c'est un exemple... D'une classe (...)

23L’inquiétude au sujet de la motivation est un leitmotiv des anticipations enseignantes incluses dans la préparation du cours. Elle se traduit très souvent par la recherche délicate d’un support, d’un document, d’un exercice idéalement « efficace » quant au bon démarrage du cours, dans une conception presque mécanique de sa mise en œuvre. Le « déclic », la tâche ou la présentation qui font que « ça fonctionne », « ça marche », « ça roule tout seul » font du cours vécu un engrenage délicat et difficile à maîtriser, dont évidemment l’attention et la motivation lycéennes sont les carburants indispensables. Cette conception est parfois parfaitement compatible avec les prescriptions rationalisatrices : en sciences de la vie et de la terre de même qu’en histoire, les programmes préconisent de toujours commencer par une activité, par un document, en mathématiques par un exercice. Mais à l’intérieur de ce cadre les enseignants conservent une marge d’appréciation considérable, puisque bien évidemment n’importe quel document ne fait pas la motivation. Un enseignant d’histoire du groupe de discussion en collège qui racontait qu’il commençait un cours par une diapositive... de cathédrale avait fait éclater de rire ses collègues, qui trouvaient l’image peu attractive, eu égard à la surenchère spectaculaire à laquelle sont soumis les élèves en la matière35.

24Globalement, et y compris dans ses aléas les plus imprévisibles, la conception des cours n’est jamais décrite comme ennuyeuse et les changements de programmes, même fréquents, sont en général considérés comme l’occasion d’aborder des thèmes moins connus. C’est bien plutôt son amenuisement au fil des années qui pose problème. Ainsi, les enseignants du secondaire estiment dans l’ensemble ne pas se laisser déposséder, par des manuels, des matériels, des directives, de la création de leur propre cours qu’ils envisagent comme une source de satisfaction professionnelle.

La gestion de la classe et l’autonomisation de la relation

  • 36 L'évaluation sommative, sous forme de contrôles de connaissances globaux, s'oppose à l'évaluation (...)
  • 37 Périer P., art. cit.

25Le cours magistral où l’enseignant est seul à parler dans sa classe, peu soucieux de ce que vivent ou pensent les élèves, ou de ce qu’ils font véritablement, fait désormais l’unanimité contre lui. À la fois, les pédagogies alternatives au cours magistral paraissent difficilement accessibles aux enseignants dans un environnement massifié, précisément parce qu’elles supposeraient un travail individualisé de diagnostic sur les acquis des élèves par exemple, ou de connaissance de leurs représentations préalables. On ne peut que constater la subsistance de formes pédagogiques pourtant décriées ou considérées comme caduques. Le cours magistral, l’évaluation purement « sommative », sont des pratiques encore très répandues36. Plus encore, on peut à certains égards soutenir que les transformations du système scolaire n’ont fait que renforcer parfois les anciennes manières de faire la classe. L’effet d’une mauvaise classe en lycée se traduit avant tout, par exemple et même avant les problèmes d’organisation et de discipline, par un recul très sensible du temps de travail individuel ou en petits groupes, qui apparaît très marginal dans l’organisation d’une séance type (environ 9 minutes sur 55)37.

Le cours participatif

  • 38 Ibid.
  • 39 Dans le groupe de discussion sur le collège, un débat finit par évaluer à 50-50 la part de magistr (...)

26Dans cet entre-deux, le discrédit du cours magistral et du type de rapport pédagogique qui l’accompagne est loin d’être sans effet sur les pratiques, ce que l’on a parfois tendance à sous-estimer, au vu de l’absence assez générale des formes canoniques des pédagogies considérées comme nouvelles. Il a en effet conduit à l’affirmation consensuelle de la nécessité de la participation des élèves au cours, menant parfois à des affirmations radicales : « C’est eux qui font cours », dit cet enseignant de mathématiques de collège. L’activité de l’élève est un élément désormais normativement central, dont la traduction dans les faits donne lieu à une forme de cours que l’on peut appeler le « cours dialogué » ou « participatif », compromis entre le nouvel ordre normatif et les exigences de la réalité du quotidien des classes. Le cours magistral n’est pas si loin : il est souvent une sorte de filet de sécurité, au cas où le dialogue « ne prendrait pas » ; une faible participation y ramène d’ailleurs. Il peut être aussi une manière d’accélérer les cadences et le rythme du cours, lorsqu’on est en retard dans une partie de programme. Il est enfin une manière de gérer un certain nombre de difficultés de comportement puisque des enquêtes montrent que plus on a affaire à une classe que l’on estime difficile, plus on adopte un dispositif magistral, ayant recours à l’écrit38. Pourtant, il est toujours considéré comme un pisaller, que l’on justifie alors— parfois par la demande des élèves qui le jugent plus sécurisant. Presque tous les enseignants le disent : « Il y a des moments où c’est magistral ». Et ce d’autant plus qu’il arrive que la participation se réduise à une approbation muette, une lumière dans le regard, « des yeux qui pétillent », souvent notés avec grande satisfaction39.

  • 40 Cet enseignant de mathématiques et cet enseignant de français arrivent au même constat : « Disons (...)
  • 41 « Vous me demandiez tout à l'heure comment un cours peut-être euphorique, et ben, c'est quand on t (...)

27Mais même réduite dans les faits, la participation orale des élèves apparaît pédagogiquement souhaitable et relativement accessible aux enseignants. Par contre, ils sont divisés sur son efficacité en termes d’apprentissage. Pour certains, elle permet une reformulation des problèmes qui améliore la précision et l’efficacité pédagogiques. Mais bien d’autres, d’accord en cela avec les lycéens, concèdent qu’une nouvelle explication n’est pas forcément plus claire, ni surtout différente. On mesure d’ailleurs ici l’écart entre les recherches didactiques et le quotidien enseignant : ce qui semble un B-A-BA pédagogique et didactique, la réexplication alternative, est loin d’être une évidence40. Si la participation est aussi décisive, c’est parce qu’elle est définie par les enseignants comme l’espace de construction, de renforcement, ou a minima d’expression de la motivation scolaire. Une motivation qui rassure à deux titres : l’intérêt que les lycéens ont pour le cours, et l’attitude favorable qu’ils ont face à l’enseignant. La participation est synonyme de bonnes relations, et témoigne de ce que les échecs ou difficultés scolaires ne les détériorent pas trop. C’est pour cela qu’elle est aujourd’hui l’indice minimal et synthétique du cours réussi41.

Le « sale boulot »

28La participation entre souvent en tension avec la deuxième grande préoccupation de la gestion de classe, celle de l’ordre scolaire. L’expression de cet enseignant d’histoire de lycée, évoquant une de ses interventions auprès d’un élève difficile, est à cet égard caractéristique : « Tu prends ton cahier, tu écoutes, tu te tais, qu’est-ce que t’as envie de dire ? ». Ainsi, la situation normative actuelle pousse à un faire-parler/faire-taire qui n’est pas simple à gérer. Et qui de plus se double d’un paradoxe. Le discrédit du cours magistral comme norme unique de classe va théoriquement de pair avec une évolution des repères quant à l’ordre scolaire : le cours silencieux ne devrait plus être l’indice d’un bon cours. Les travaux de groupe, les débats supposent un certain bruit. Or, tout se passe comme si une majorité d’enseignants avaient gardé, en la matière, des normes très strictes. Ils sont très nombreux à dire que le chahut commence « lorsque deux élèves bavardent », et craignent énormément le bruit qui franchit les murs au risque d’être perceptible par l’autre enseignant, même lorsqu’il s’agit d’applaudissements ! Ils semblent vivre alors véritablement dans une sorte de disjonction normative entre les exigences proprement pédagogiques, internes à la classe et celles de l’ordre scolaire, qui viseraient plutôt l’image que pourrait renvoyer la classe à l’extérieur.

29Quoi qu’il en soit, les tâches d’autorité sont aujourd’hui décrites comme un préalable envahissant, et dans l’ensemble mal considérées. À bien des moments de l’enquête, les enseignants ont réaffirmé qu’ils « ne sont pas des flics ». La fragilité de l’ordre scolaire ne les fait nullement rêver d’une « restauration » de relations plus verticales avec les élèves, de la discipline obersturmführer, comme le dit une enseignante en ajoutant que désormais, « cela ne passe plus », même s’ils déplorent souvent que le temps et l’énergie passés à établir l’ordre scolaire les empêchent de faire ce qu’ils sentent comme « leur véritable travail ». Refuseraient-ils, comme on le dit parfois, l’aspect socialisateur de la gestion de classe, et l’intensification que lui a conférée la massification ? La plupart admettent qu’il est normal d’accomplir une partie de cette tâche, mais tout est, selon eux, affaire de proportion.

  • 42 Rappelons que pour la sociologie interactionniste des professions, le sale boulot est la partie du (...)
  • 43 Payet J.-P., « ʺLe sale boulotʺ : division morale du travail dans un collège de banlieue », Les an (...)

30À cet égard, la notion de « sale boulot » paraît pertinente même s’il convient de la nuancer42. L’autorité n’est sans doute pas intrinsèquement une tâche dévaluée et disqualifiée et elle donne beaucoup de plaisir narcissique aux enseignants qui se disent « sans problème » à ce niveau. En fait, c’est une partie seulement de l’autorité qui est le « sale boulot », la sanction, le coup de force, l’autorité externe que l’on pourrait dire « traditionnelle », qui devient vite répressive et ne correspond plus aux normes légitimes de son exercice, à savoir l’intériorisation des règles, le dialogue et l’explicitation. C’est d’ailleurs bien ainsi que la définit Jean-Paul Payet, qui a travaillé sur cette notion. Ce que les enseignants essayent de « déléguer » aux CPE, c’est la gestion de l’exclusion de cours, et les punitions43. Le sale boulot, c’est au fond celui qui est rendu nécessaire par l’échec des nouvelles modalités de l’autorité, et la « régression » à ses formes les plus traditionnelles.

  • 44 Si les enquêtes quantitatives attribuent un temps de neuf minutes en moyenne à ces tâches, ce qui (...)

31L’envahissement du vécu enseignant par les tâches liées à l’autorité est décrit certes davantage en collège qu’en lycée, davantage ou moins honteusement dans les établissements dits « difficiles » que dans les établissements dits « faciles », mais cependant d’une voix étonnamment commune. Il apparaît bien comme une donne problématique dans l’ensemble des situations enseignantes, compréhensible à partir de son discrédit normatif, et explicable à partir de sa valence subjective. Mais on peut aussi la comprendre tout simplement à partir des tâches qu’elle suppose d’accomplir. D’une part, il existe une sorte de disproportion entre l’énergie et le temps qui y sont investis et la gratification professionnelle que les enseignants peuvent en attendre : avoir tout simplement les conditions minimales pour faire cours de façon « normale »44. D’autre part, dans le quotidien des classes, le sale boulot est aujourd’hui diffracté en de nombreuses tâches, matériellement très répétitives. L’autorité, c’est bien sûr l’anticipation et la gestion des problèmes de comportement, la mise en place et l’application d’échelles de sanctions, mais aussi le contrôle du travail fait ou non fait, des fraudes éventuelles, parfois du matériel nécessaire, et encore des entrées et des sorties de classe, moments souvent névralgiques dans les classes difficiles.

L’autonomisation de la sphère relationnelle

  • 45 Cette représentation rend compte vraisemblablement en partie de l'écart récurrent entre certains r (...)
  • 46 Dubet F., Les lycéens, op. cit ; Les inégalités multipliées, La Tour d'Aigues, Éditions de L'Aube, (...)
  • 47 Lepoutre D., Cœur de banlieue, op. cit.
  • 48 Même si la plupart des enseignants des collèges « difficiles » interrogés dans l'enquête, mais qui (...)

32Les problèmes d’autorité apparaissent souvent insolubles en termes strictement pédagogiques ou experts. C’est à ce niveau sans doute que le processus de rationalisation théorique du travail enseignant échoue le plus à rendre compte de l’évolution des pratiques. D’ailleurs, la pérennité de l’explication par le « charisme », la « personnalité » ou le « psychisme », le signale de manière évocatrice. La représentation moderniste d’une autorité experte, qui résorberait par la maîtrise pédagogique les risques de désordre, ne rend pas compte jusqu’au bout du vécu enseignant45. Certes, les problèmes d’ordre scolaire sont parfois dus à une mauvaise adaptation du cours à la classe, à des défauts techniques— obscurité ou manque de structure— mais ils ne le sont pas toujours, et pas pour tout le monde. Certes, le chahut et le désordre peuvent être interprétés parfois de manière pertinente comme la sanction de relations trop verticales, une contestation larvaire contre le « mépris » enseignant46. Mais là encore, pas toujours, pas pour tout le monde, comme le signale l’observation banale, dans les établissements difficiles, que des enseignants peuvent être à la fois « respectés » et « chahutés ». « Respectés » comme personnes sympathiques et respectueuses des élèves, « chahutés » comme experts d’une matière difficile ou peu attractive47. Par ailleurs, l’autorité « de fer » n’est pas toujours, loin de là, sanctionnée par le désordre48.

33Au sein de la gestion de classe, on assiste à l’autonomisation d’une sphère relationnelle incertaine. Car c’est de relation qu’il s’agit, aussi bien sous le signe de la « bonne relation », que montre la participation, que de la « mauvaise relation », dont le risque est permanent dans les relations d’autorité. La gestion de classe est ainsi de plus en plus un exercice relationnel dont la densité s’accroît avec l’hétérogénéité tant des comportements que des performances des élèves, mais qui risque de métastaser les autres problématiques professionnelles, de manière d’autant plus insidieuse qu’implicite, lorsque la « paix scolaire » devient l’objectif pédagogique central.

L’évaluation : une tâche centrale... à la périphérie de l’intérêt enseignant

La correction des copies

  • 49 Prost Α., op. cit.
  • 50 Les enseignants déclarent consacrer en moyenne 7 heures 30 hebdomadaires à la correction de copies (...)

34Pour rébarbative et envahissante qu’elle soit, la correction des copies est une part déterminante du travail enseignant. L’abandon des « compositions trimestrielles », comme l’a bien noté Antoine Prost, s’est traduit par une augmentation de la pression évaluative et du contrôle au quotidien49. Tous les enseignants en parlent abondamment et, pour la majorité d’entre eux, dans les termes d’une corvée envahissante, qui au pire les « noie » ou « donne la nausée ». Corriger les copies est unanimement désigné comme la part la plus ingrate et la moins satisfaisante du métier par les enseignants de lycée, qui en parlent en termes radicaux : « C’est le calvaire, c’est le pensum... » ; « Rien que de les voir, j’attrape des boutons » ; « S’il y avait pas les copies, ce serait merveilleux ! » À tel point que l’on peut penser que le thème de la réduction des effectifs par classe, si central dans les revendications enseignantes doit aussi beaucoup à la lourdeur de cette tâche. La multiplication des contrôles, parfois suggérée par les instructions officielles, est souvent ressentie comme une nécessité pédagogique, dans la mesure où elle est décrite comme pouvant seule mettre les élèves au travail. Mais elle entraîne un investissement en temps presque comparable à celui que demande la préparation des cours, même si existent entre les enseignants des différences assez considérables50. Le temps de correction dépend bien sûr du degré de standardisation du devoir, qui diminue du collège au lycée, et des matières scientifiques aux matières littéraires : entre un exercice de mathématiques ou une interrogation de verbes irréguliers, et les dissertations, il n’y a pas de commune mesure, même si la fréquence des premiers corrige la longueur des secondes. Il y a des petits et des gros paquets de copies.

35Les enseignants ont diverses stratégies pour en venir à bout, et les intègrent de manière différente à l’espace privé : on peut opposer des stratégies de fractionnement, permettant de faire passer en douceur le paquet, à des stratégies où l’enseignant se met au pied du mur et le « liquide » en une seule fois. Par ailleurs, le niveau de la classe se « paie » en général par des incertitudes et un temps de correction plus long. Dans la majorité des cas, surtout pour les prestations scolaires les plus enrichies comme la dissertation, la mauvaise copie est un entrelacs de problèmes qu’il est parfois difficile de distinguer, même s’il faudrait pourtant le faire si l’on veut donner une chance d’amélioration à l’élève.

  • 51 Un aspect très largement analysé par Merle P., L'évaluation des élèves, Paris, PUF, 1996.

36Mais au-delà de cette gestion quotidienne dans l’espace privé, la correction de copies se fait également dans l’anticipation de ses conséquences dans la relation pédagogique. Car elle renvoie l’enseignant à une dualité constante entre son rôle d’arbitre et celui d’entraîneur51. Cette tension est majorée par l’aspect très largement sommatif du verdict scolaire aujourd’hui, fait bien davantage de contrôles de connaissances ou de prestations demandant un ensemble de compétences que d’évaluations d’une tâche ponctuelle ou du progrès particulier d’un élève. L’évaluation est donc une tâche ingrate qui de plus peut mettre à mal la relation pédagogique. De nombreux enseignants évoquent l’« idylle » de début d’année avec les élèves, lorsque le premier paquet de copies « n’est pas encore tombé ». Bref, l’évaluation est prise elle aussi dans les halos et aléas de la relation pédagogique. Dans l’ensemble, les enseignants disent hésiter constamment entre se servir de la note pour motiver ou pour sanctionner un niveau « réel », c’est-à-dire à peu près ajusté à une norme large de performances. Dans le premier cas, on court le risque de tromper l’élève, et dans le deuxième de le décourager durablement, en lui faisant perdre ses chances ultérieures d’arriver au niveau voulu.

  • 52 Les enseignants de l'enquête n'évoquent quasiment pas ces évaluations, qui rappelons-le ne portent (...)
  • 53 Comme l'expriment bien ces enseignantes qui pratiquent toutes les deux une évaluation formative, l (...)
  • 54 « J'ai des hésitations par rapport à des gamins qui font beaucoup d'efforts et qui ne peuvent pas. (...)

37Qu’en est-il des processus de rationalisation de cette tâche ingrate par excellence ? La culture de l’évaluation n’entre pas sans difficultés dans l’enseignement secondaire. Elle est pour le moment davantage le lieu de la construction d’échelles relativement personnelles aux enseignants que d’un travail d’harmonisation, ne serait-ce qu’à l’échelle de l’établissement, comme le montrent parfois les difficultés, exprimées dans l’enquête, à accepter que lors d’épreuves blanches, les élèves soient corrigés par un collègue ayant éventuellement des manières différentes de noter. Les nouvelles conditions d’exercice pédagogique rendent nécessaire, aux yeux de beaucoup d’enseignants, une individualisation qui cependant s’appuie peu sur des dispositifs standardisés d’évaluation52. En effet, la plupart des enseignants cherchent plus ou moins longtemps, plus ou moins systématiquement des solutions pour noter « mieux » ou « autrement ». Soit en accordant beaucoup de place et d’importance aux annotations, le problème étant que les élèves y prêtent parfois peu d’attention, ne se focalisant que sur la note, ce qui est une cause fréquente d’amertume au quotidien. Soit en adoptant des barèmes précis dans le cadre d’une évaluation critériée, une pratique elle aussi très consommatrice de temps. Soit en tenant compte des efforts et des progrès dans la notation elle-même, au risque d’avoir une échelle de notes plus avantageuse pour les élèves, mais déconnectée de l’évaluation des collègues, ce qui ouvre un nouvel espace d’incertitude53. Dans ce cas-là, la rémunération de l’effort lui-même peut avoir une place, lorsque le simple fait d’effectuer une tâche « donne des points ». Dans les autres cas, il est intéressant de noter que si le « sérieux scolaire » est quand même pris en compte par les enseignants, qui recomptent ou cherchent des points pour certains élèves et pas pour d’autres, il l’est dans une grande opacité54.

Évaluation et orientation

38La deuxième partie du travail évaluatif, l’assistance aux conseils de classe et la participation aux procédures d’évaluation, apparaît également dans l’ensemble ingrate aux enseignants mais pour de tout autres raisons. Elle est le support de réunions qui ne s’accompagnent que rarement d’un réel travail d’équipe, et où on ne parle que superficiellement des élèves, faute de vouloir parler de ses propres pratiques et de ses difficultés pédagogiques. Ainsi, ces quelques heures de réunion annuelles sont l’objet d’une grande réflexivité critique de la part des enseignants et sont presque décrites comme du travail administratif, de même que le remplissage des bulletins scolaires. Un certain nombre d’entre eux résistent à l’idée qu’une moyenne générale ou même par discipline puisse rendre compte du niveau d’un élève, et se transformer en décision de passage, sans pour autant proposer d’autres critères que leur impression générale, globale, d’un élève.

  • 55 Ces objectifs peuvent être aussi académiques et régionaux, comme lorsqu'il s'agit de faire baisser (...)

39Mais surtout, autant l’évaluation elle-même des copies reste malgré tout un pouvoir exercé sans partage, autant sa transformation en décision d’orientation laisse l’impression à la majorité des enseignants de leur échapper. Les itinéraires des élèves à l’intérieur du système scolaire sont alors décrits comme finalisés « par le haut », par de grands objectifs sociaux, dont les 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat sont un bon exemple55. Ils sont d’ailleurs critiqués par les enseignants comme bureaucratiques et surtout comme imposant des normes arbitraires à leurs propres jugements.

  • 56 Alors que les recherches doutent fortement de la valeur ajoutée du redoublement, les enseignants c (...)

40Les moyennes et commentaires des enseignants sont par ailleurs relativisés par la confrontation avec les résultats de leurs collègues et contextualisés par le niveau d’une classe ou d’une section donnée. Le sentiment de « laxisme » est très répandu et déclenche des réactions parfois vives : « On évacue par le haut cyniquement », dit cette enseignante, plaidant la cause des élèves, alors que d’autres éprouvent surtout leur déficit de pouvoir, et trouvent qu’ils « passent pour des guignols ». Si certains enseignants vivent la même réalité de manière différente, en disant leur satisfaction de ne pas « fermer de portes » aux élèves, pour la majorité d’entre eux, l’intervention des familles dans les instances d’appel ou lors d’arrangements avec les chefs d’établissement est significative d’une nette dépossession56. Par ailleurs, l’orientation reste vécue au niveau de sa discipline et peu élargie à des considérations plus générales. Les enseignants se disent parfois sous-informés en matière de possibilités d’orientation et ils n’ont que rarement connaissance de ce que deviennent les élèves. Ainsi peut-on avoir l’impression dans leurs propos que les orientations actuelles fabriquent un échec massif au bac, ce qui n’est pas le cas. L’intégration de l’orientation comme tâche à part entière est donc pour le moment assez virtuelle, les enseignants en restant à leur marge individuelle d’appréciation des élèves et à une certaine myopie institutionnelle sur leur devenir.

41Les décisions de passage et d’orientation sont alors le lieu d’une forte tension entre une logique organisationnelle qui raisonne en termes de flux et l’activité d’évaluation solitaire et tâtonnante de l’enseignant. La rationalisation « par le haut » et les grands objectifs fixés au système sont vécus comme disjoints des problèmes professionnels au quotidien et les enseignants se reconnaissent peu dans la synthèse que les conseils de classe opèrent à partir de leur propre activité d’évaluation.

Le travail dans l’établissement : une tâche virtuelle, une sociabilité réelle

  • 57 Bonnet G., Murcia S., op. cit.

42Pour étudier cette tâche, il faut partir d’une tension qui la structure à la base, concernant son existence même. Car concrètement, la dimension collective institutionnelle du travail enseignant n’existe que très peu. Le temps passé par les enseignants dans les établissements en dehors des tâches d’enseignements reste très faible puisqu’il occupe moins de 10 % du temps de travail global57.

Une sociabilité professionnelle affinitaire

  • 58 Dutercq Y., Les enseignants, Paris, Hachette Éducation, 1993.

43Pourtant, il serait absurde de nier l’importance de l’établissement comme milieu de travail collectif, un milieu constitué aléatoirement, au hasard des nominations et des mutations, des appartenances syndicales et des modes de vie, et dont les clivages sont aussi divers que mobiles. Dans l’espace des relations, les oppositions se nimbent d’affectif, s’incarnent dans des groupes informels et changeants ou éventuellement se durcissent autour d’éléments plus objectifs, voire de détails mineurs de la vie en « salle des profs »58. Cette sociabilité au travail donne naissance à une culture de travail affinitaire et élective, assez informelle, bien davantage qu’à des pratiques et des discussions véritablement collectives.

  • 59 Ball S. The Micro-Politics of the School, Londres, Methuen/Routledge & Kegan Paul, 1987.
  • 60 Ou en l'enregistrant, comme l'a fait cette élève qui a fait écouter à un de ses enseignants, l'amb (...)

44Par dessus tout, elle est l’espace de regards et d’appréciations constants aussi bien que latents sur le travail des autres ou du moins sur ses aspects les plus visibles : l’ordre scolaire et les relations avec les élèves. La réticence des enseignants à parler des situations de classe, ce qu’on a pu appeler la « culture de la classe fermée » explique la nature bien particulière de cet espace, constitué par le jeu de réputations, à confirmer ou à démentir, de rumeurs59, d’une diffusion permanente d’informations dans laquelle les élèves jouent d’ailleurs un rôle, en racontant parfois aux enseignants ce qui se passe chez leurs collègues60. L’ordre scolaire en particulier donne lieu à des évocations mi-hyperboliques, mi-humoristiques, du désordre de l’autre — lorsque les élèves « grimpent aux rideaux » ou que la classe devient « la guerre des étoiles », le « Bronx » — mais aussi à la construction d’une échelle qui va de l’enseignant « notoirement » chahuté à celui qui a la réputation de ne l’être jamais en passant par la grande majorité des enseignants occasionnellement à problèmes, problèmes eux-mêmes classés en termes de gravité d’incidents et de degré de maîtrise.

45Ces classements permettent souvent de se rassurer sur un chapitre professionnellement déterminant sur lequel l’institution ne dit rien, ou pas grand-chose, sauf à constater les dégâts éventuels un jour d’inspection. Par ailleurs, les relations avec les élèves font naître un critère latent d’estime professionnelle au nom duquel sont fustigés les collègues qui « méprisent systématiquement les élèves ». L’expression « mépris systématique » vise à séparer les plaisanteries ou propos occasionnels de jugements négatifs sur les élèves, interprétables en termes de défense professionnelle contre les blessures du métier, d’attitudes plus stables et plus dures d’hostilité empreintes éventuellement d’élitisme.

Les projets

  • 61 Sur ces dix enseignants, huit enseignent en collèges de Réseau d'éducation prioritaire, un en lycé (...)
  • 62 Leur existence a été depuis remise en question et elles n'existent plus officiellement.

46Milieu professionnel réel, l’établissement n’est pourtant pas le lieu stable aujourd’hui d’une réelle redéfinition des tâches. Certes, une forte minorité d’enseignants dynamiques s’investit dans des activités d’équipes, dans le cadre global d’un projet d’établissement plus ou moins construit collectivement selon les contextes. Sur les quarante enseignants interrogés par entretiens, dix-huit sont engagés à un titre ou un autre dans un projet collectif interdisciplinaire. Cet investissement prend des formes plus ou moins intenses. Six personnes sont plutôt investies dans des projets relativement ponctuels dans l’année, un voyage ou bien une ou plusieurs sorties culturelles ou sportives. Deux mènent des collaborations plus larges dans le cadre de classes européennes, qui peuvent d’ailleurs aussi inclure des voyages. Les dix autres enseignants61 sont engagés dans des projets plus lourds, autour de classes difficiles en collège ou lycée, par exemple les quatrièmes et troisièmes technologiques62 ou correspondant d’une manière plus générale aux projets d’établissement, par exemple le renforcement des compétences de lecture-écriture en collège.

  • 63 Une crainte exprimée par Bouveau P., Rochex J.-Y., Les ZEP, entre école et société, Paris, Hachett (...)
  • 64 « Les élèves aiment bien, les élèves s'impliquent quand même, y'a des élèves qui sont faibles, qui (...)
  • 65 « Je vous parle en physique, on a la particularité d'être au même étage, on a un laboratoire et on (...)
  • 66 Un sondage Sofres-Snes montre que pour 87 % des enseignants, l'intégration des heures de concertat (...)

47Les enseignants investis dans des projets craignent peu, contrairement à certains chercheurs, les risques de disqualification du quotidien scolaire, au profit d’une pédagogie de l’exceptionnel63. Ils remarquent au contraire en général de bonnes retombées en termes de motivation, et surtout de relations avec les élèves, en particulier parce que le projet incarne bien l’existence d’un espace relationnel qui maintient le verdict scolaire aux strictes dimensions des performances, sans qu’il ne déteigne sur la personne64. Les projets réussis structurent parfois la mémoire professionnelle des enseignants qui les ont portés, et qui se souviennent des classes qui les ont vus vivre, comme cet enseignant qui dit revoir, vingt ans après, les porteurs d’un projet vidéo sur la « sécurité routière », si réussi qu’il avait été récompensé par un voyage au Canada. Mais ils s’y investissent dans le cadre de leurs affinités professionnelles, et avec des fluctuations qui tiennent autant aux aléas des groupes, ballottés par les mutations, qu’aux variations d’énergie ou d’enthousiasme, dans un contexte où la plupart des projets nécessitent un surcroît de travail, au-delà des heures supplémentaires parfois débloquées pour telle ou telle action. Une majorité d’enseignants, par contre, échangent informellement au sujet des cours, des évaluations et des élèves, parfois longuement, mais sans que cela fasse l’objet d’une organisation particulière65. Ainsi, l’action collective et la concertation suscitées ne s’institutionnalisent pas, en général, au-delà d’un projet ou d’un groupe circonscrit, posant le problème nouveau de l’articulation d’une sociabilité professionnelle affinitaire et de cadres institutionnels. Le travail en équipe est pour le moment une donne moins contestée que diluée dans des modalités très diverses et souvent circonscrite à quelques acteurs momentanément en synergie66.

48Si des poussées rationalisatrices traversent le travail enseignant, elles restent limitées, se heurtant à la difficulté de stabiliser une expertise dans bien des domaines pertinents : pédagogie, évaluation, gestion de la classe et des conflits. L’individualisation-différenciation des apprentissages ainsi que la rationalisation des curriculums, tout d’abord, rencontrent un certain nombre de limites, qui tiennent précisément à l’aspect artisanal du travail des enseignants, et aux satisfactions qu’ils en retirent. La tentative de régulation au local du travail enseignant reste elle aussi limitée, quant à la prise en charge de l’orientation et de l’action dans l’espace de l’établissement.

  • 67 Ainsi, les modules mis en place par Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale, ont été d'abo (...)
  • 68 Une récente étude montre qu'il n'y a pas véritablement d'effet de l'aide individualisée en seconde (...)

49Les discours des enseignants sur les pratiques peuvent en fait être plutôt saisis dans les termes globaux d’un processus de complexification de leurs tâches les plus traditionnelles, qui rend compte de l’essentiel de ce que l’on pourrait appeler l’enrichissement du travail enseignant. Cette complexification emprunte bien des éléments à des injonctions modernisatrices relativement consensuelles aujourd’hui sur la nécessité de la motivation ou de l’activité de l’élève, mais elle les déborde aussi largement, principalement au travers de l’autonomisation d’un domaine relationnel souvent tendu mais également porteur de grandes satisfactions. Cette autonomisation explique que les enseignants adhèrent à une partie des dispositifs d’individualisation proposés par les prescriptions, ce d’autant plus qu’ils proposent non pas une nouvelle rationalité pédagogique mais une légère inflexion de la forme scolaire elle-même. En effet, tous les dispositifs de fractionnement du groupe-classe, les modules, groupes de soutien et de besoin, s’ils sont parfois contestés pédagogiquement ou vus comme une manière d’abaisser l’horaire dévolu à une discipline, sont finalement défendus par les enseignants67. Ceci est bien compréhensible, au vu de leurs difficultés concrètes, car ce qui est résolu par les petits groupes, ce ne sont pas toujours les difficultés d’apprentissage mais bel et bien les problèmes relationnels de gestion de classe et d’autorité68.

LES ÉPREUVES SUBJECTIVES

50Chaque grand moment du travail enseignant peut être défini comme le lieu d’une épreuve, qui chaque fois naît de l’écart entre une définition idéale et la réalité du métier. Tous les enseignants ne les éprouvent pas de manière égale et on pourrait sans doute les catégoriser en fonction de celle qui revêt pour eux la plus grande intensité. À la croisée de l’histoire professionnelle et personnelle de chacun, et de son contexte d’enseignement actuel, émergent ainsi certaines sollicitations, certains obstacles à résoudre, qui rendent alors nécessaire un « travail sur soi » qui double en creux l’exécution quotidienne des tâches.

L’impossible deuil de la discipline : une épreuve subjective inégalement répartie

  • 69 Hughes E. C., Men and their Work (1958), Glencoe, The Free Press, 1967, chapitre IX.

51Le premier effort subjectif vient de la transformation en discipline scolaire d’une discipline universitaire qui a motivé la plupart des enseignants à entrer dans le métier. Si cette épreuve s’articule bien sûr plus logiquement avec la préparation de cours, elle colore pour certains enseignants toute l’expérience professionnelle. Elle a quelque chose d’une crise professionnelle d’entrée dans le métier qui ne pourrait se terminer et deviendrait chronique. En effet, si tous les métiers connaissent le choc qui sépare la formation de l’exercice, ce passage de « l’autre côté du miroir »69 certains enseignants finissent par le stabiliser comme une donne professionnelle permanente et y ajustent leurs images d’eux-mêmes. L’inutilité relative d’un surplus d’excellence disciplinaire n’empêche pas qu’elle reste désirable, et même théoriquement professionnellement utilisable. Pourtant, le temps et les opportunités manquent pour se tenir au courant, lire ou travailler ce que l’on jugerait nécessaire. Bien des enseignants définissent alors la « montée » de compétences pédagogiques qu’ils décrivent d’ailleurs en général comme instables et incertaines dans un mouvement de flux-reflux de leurs compétences disciplinaires : ils se décrivent comme meilleurs pédagogues qu’avant, mais moins bons géographes ou mathématiciens.

  • 70 N'oublions pas qu'il existe d'ailleurs une homologie de structure entre le statut et la nature des (...)

52Ils peuvent vivre alors dans une conscience diffuse des variations de leur niveau académique, en fonction de celui de leurs propres élèves, mais aussi au fur et à mesure du déroulement de leur carrière70. Le niveau qui baisse, c’est alors avant tout celui des enseignants. Cette préoccupation récurrente, en principe tournée vers les élèves, peut être lue comme une inquiétude, induite par l’écart entre leur maîtrise disciplinaire et les compétences requises en situation, mais aussi par la répétition des mêmes cours.

  • 71 Une enseignante d'allemand rencontrée en collège se plaint par exemple de ne plus lire le Spiegel (...)
  • 72 Le contraste entre ces deux formes de socialisation professionnelle avait déjà été analysé par Cha (...)
  • 73 Pinto L., « Les autres activités des professeurs du second degré », Education et formations, 1994, (...)

53Elle est particulièrement aiguë chez les enseignants de langues vivantes, pour qui les compétences sont très immédiatement perceptibles en termes d’aisance et de performances linguistiques71. Pour bien des enseignants titulaires d’un concours, s’amorce alors une sorte de dissociation entre l’investissement intellectuel potentiel et les tâches professionnelles. Il faut accepter de ne pas faire « vraiment de la littérature » ni « des maths », « au niveau du moins où on le souhaiterait », pour reprendre des expressions très répandues dans les entretiens. Certains enseignants sont épargnés par l’épreuve, lorsqu’ils ont connu une réelle promotion interne dans l’Éducation nationale, comme les PEGC ou maîtres auxiliaires qui ont passé les concours sur le tard. Pour eux, l’investissement intellectuel s’est traduit aussitôt par une gratification concrète : « avoir des élèves plus intéressants72 ». Dans d’autres cas, la culture scolaire prend totalement le pas : l’épreuve est réussie, parfois aidée par le réinvestissement intellectuel dans les aspects didactiques ou pédagogiques du métier. Pour une minorité, le rapport à la discipline s’investit explicitement ailleurs que dans le métier : la rédaction d’une thèse, d’un roman, l’investissement dans des activités culturelles annexes, voire des enseignements complémentaires en université73.

  • 74 « On fait deuil de quelque chose, je veux dire, quand on fait cours, on ne fait pas, c'est peut-êt (...)
  • 75 Clot Y., Le travail sans l'homme ?, Paris, La Découverte, 1995, et « Le sujet au travail », in Ker (...)

54Mais la majorité des enseignants ayant passé les concours restent dans la situation tendue d’un deuil intellectuel difficile à faire : ils ne peuvent renoncer à un élément important de leur motivation professionnelle, tout en vivant dans une grande insatisfaction74. Même s’il n’y a pas officiellement de décalage entre qualification et statut, les enseignants vivent alors un malaise descriptible en termes de surqualification. Une partie de l’usure professionnelle, vient alors de la frustration intellectuelle, de « ce qu’on ne peut pas faire dans ce qu’on fait75 ».

Les risques de la relation

  • 76 Éducation permanente, numéro spécial, « La relation de service », 1998-4.

55La deuxième épreuve est celle qui naît de la confrontation quotidienne avec les groupes d’élèves, et de la gestion des relations dans la classe. Si tous les métiers de la communication ou de service connaissent la même explosion des préoccupations relationnelles76, la situation des enseignants apparaît à certains égards spécifique, ne serait-ce, comme nous l’avons dit, que par la longueur et la nature de ces interactions où il faut mettre en activité le client !

  • 77 La dégradation du climat dans les collèges accueillant des élèves d'origine populaire est largemen (...)

56La relation pédagogique oblige à raisonner en termes de groupes, dont l’humeur et la fatigue, mais aussi les fluctuations ou tensions internes, viennent déterminer de l’extérieur les conditions d’exercice du métier. Une même classe peut se métamorphoser d’un jour à l’autre, comme l’évoque cet enseignant de collège : « Je savais jamais s’ils allaient être pour ou contre le cours ». Ses propres formes et méformes sont également déterminantes, lorsqu’on sent les élèves prêts à s’engouffrer « dans la brèche » comme le disent souvent les enseignants. Ainsi l’imprévisibilité née de la nécessité de construire ou de renforcer la civilité scolaire est accentuée par le sentiment d’une grande cyclothymie, qui affecte tous les enseignants. Ils ne maîtrisent pas vraiment les conditions réelles de la classe, ils dépendent d’une conjonction d’aléas. La fragilisation de l’autorité traditionnelle fait basculer tout un pan de la civilité scolaire de l’univers des « allants de soi » à celui du déchiffrement réciproque des codes. Les manières de parler, de discuter, ou de faire la queue à la cantine sont désormais l’objet d’un processus de redéfinition permanent et mouvant, où les uns et les autres peuvent parfois s’accuser de mépris ou d’indifférence, au pire d’agressivité ou de violence77.

  • 78 « J'ai eu des problèmes en collège avec un élève, enfin, un surtout, qui était d'une méchanceté in (...)
  • 79 « Je veux plus sortir d'une classe, mince, j'ai eu envie de chialer, je veux plus... Oui, me prése (...)

57Du coup, les relations avec les élèves décident dorénavant de bien des satisfactions professionnelles, mais aussi de l’acuité de blessures amplifiées encore par la dimension « intime » des problèmes d’autorité quotidiens. Un vocabulaire très fort, en termes d’affects positifs et négatifs, décrit ces épreuves du narcissisme et parfois de la haine78. Si les enseignants se méfient de la séduction et de la relation affective, tous parlent de l’importance de la « bonne ambiance », des « petites gentillesses », des sourires. De même, l’indignité liée au manque d’autorité peut conduire à faire des élèves des agresseurs potentiels dont on se défie ainsi qu’à éprouver des sentiments d’échec personnel qui apparaissent à bien des égards comme les véritables risques du métier. La classe envahit alors l’univers privé, lorsqu’on ressasse tel ou tel incident ou lorsqu’on en anticipe tel autre79. Le cauchemar d’avant la rentrée, souvent décrit dans les entretiens même par des enseignants chevronnés, concerne toujours des problèmes de maîtrise de classe : lorsqu’un élève refuse de sortir, que l’on perd la maîtrise ou que l’on se retrouve vêtue ridiculement devant ses élèves ! L’univers de la maîtrise de la classe est un univers de la face, où les enseignants ont beaucoup à perdre.

Le fantôme de l’impuissance

58L’évaluation est une tâche objectivement très lourde dont l’aspect subjectivement problématique vient de ce qu’elle renvoie à l’enseignant, avec une image du travail de l’élève, une évaluation de ses propres efforts d’explication. Dans une sorte d’effet boomerang, c’est aussi son propre travail que l’enseignant voit revenir avec les copies des élèves, avec une estimation de la compréhension qu’ils ont eue de ses demandes. La tension subjective revêt alors deux principaux aspects.

  • 80 « On a l'impression que ça a bien marché, on se dit, quand il y aura l'évaluation, quand il y aura (...)

59Un aspect pédagogique tout d’abord, lorsque, et c’est une situation très courante, les paquets de copies corrigés sont décevants de manière récurrente. L’enseignant est alors guetté par une démotivation devant l’inutilité de ses cours et de ses prescriptions précédentes. Il peut même être tenté de réduire ses efforts, pour les rendre proportionnels avec le travail qu’il estime avoir été accompli par les élèves. Pourquoi se fatiguer pour des « fumistes finis » comme le dit cette enseignante de lettres, montrant bien comment démotivations enseignante et adolescente peuvent se renforcer l’une l’autre. Par ailleurs, les copies font parfois rupture avec la perception que l’enseignant a pu avoir au sortir de la classe, mais dont il faut rappeler qu’elle vient souvent de l’intensité de la participation80. L’enseignant arbitre déçoit alors forcément l’entraîneur qu’il était quelques jours plus tôt.

  • 81 « J'ai des résultats mais je me dis, peut-être moins bien que Nicole, à mon avis j'ai de moins bon (...)

60Cette déception engendre alors en deuxième lieu un sentiment d’impuissance qui vient s’articuler avec le vécu des conseils de classe, où l’enseignant se sent dépossédé de son jugement scolaire individuel. L’évaluation informelle que fait l’enseignant de lui-même au travers de son paquet de copie est alors négative, ce qui est plus particulièrement le cas des enseignants de terminale, qui se sentent évidemment d’autant plus investis dans les résultats81. Mais au total, les malaises subjectifs liés à cette tâche sont plutôt résorbés dans sa lourdeur matérielle et temporelle. Le nombre de copies écourte la durée des dilemmes que peut poser chacune d’entre elles. Au contraire de la tâche de gestion de classe, où au contraire ils finissent par prendre souvent le pas, ils ne s’étendent au-delà du paquet de copies lui-même et ont peu de pouvoir de remise en question professionnelle.

61Lorsque les enseignants retrouvent plus tard, en général par hasard, un de leurs anciens élèves, une scène présente dans la moitié des entretiens, ce sentiment d’impuissance s’abolit. Certes miroir déformant par excellence (les élèves qui ont vraiment un mauvais souvenir d’un enseignant donné changent de trottoir en le voyant ou ne viennent pas à la réunion parents-enseignants qui concerne leurs petits frères et sœurs), ces retrouvailles permettent à l’enseignant de considérer son action en perspective, dans une vision plus globale. Les enseignants voient ainsi mieux ce qu’ils ont fait, s’aperçoivent que l’insertion d’élèves jugés faibles n’est pas si mauvaise que cela, ou que leur enseignement a, tout compte fait, et malgré certaines apparences, plutôt marqué leur public. Cette forme de réassurance professionnelle en dit long sur leur sensation habituelle de travailler « à l’aveugle », sans image concrète de ce qu’ils contribuent à construire.

Les enjeux de la reconnaissance

  • 82 Demailly L., Le collège, crises, mythes et métiers, op. cit.
  • 83 La dernière inspection d'un enseignant a eu lieu en moyenne, cinq ans auparavant. Cf. Do C., Serra (...)
  • 84 Trancart D., « L'image du métier chez les enseignants du second degré », Éducation et formations, (...)

62Ce qui se joue subjectivement dans l’établissement tourne autour de la reconnaissance professionnelle, une reconnaissance dont les enjeux sont d’autant plus forts chez les enseignants que leur carrière, ou plutôt leur « absence de vraie carrière » doit peu à leurs réels mérites pédagogiques ou relationnels82. Seuls les inspecteurs ont leur mot pédagogique à dire, de temps en temps, sur le travail enseignant83. Le chef d’établissement n’a qu’un pouvoir pédagogique « transdisciplinaire » assez mal, voire très mal reconnu par les enseignants qui ne souhaitent guère le voir s’élargir, même s’ils ne sont pas forcément très satisfaits de la situation actuelle en matière d’évaluation84. C’est pourtant à la hiérarchie de l’établissement que les enseignants adressent quotidiennement une demande de reconnaissance, dans le cadre quotidien de leur activité d’une part, mais aussi dans le cadre de projets.

  • 85 « Toute l'année, on a ramé pour leur (une classe de quatrième technologique) faire lire un livre, (...)

63Au premier niveau, le pouvoir du chef d’établissement est bien plus à trouver du côté de la répartition des classes et la fabrication des emplois du temps, éléments réels et cruciaux de l’année de travail enseignante encore très majoritairement de son fait exclusif. Ces décisions organisationnelles sont d’une certaine manière une forme de reconnaissance parce qu’elles font une place plus ou moins grande aux « réputations ». La reconnaissance est aussi la préoccupation des enseignants investis dans des projets dévoreurs de temps et d’énergie et qui, s’ils sont certes en général (mais pas toujours) « bien vus » de l’administration, n’y trouvent pas forcément une gratification suffisante. Le sentiment est fort chez certains enseignants que cette reconnaissance leur est en quelque sorte confisquée par leurs chefs d’établissement, à des finalités d’image externe, et avec un moindre investissement de leur part85.

64Elle est enfin la blessure des enseignants en échec, « murés » dans des difficultés qui deviennent indissociablement professionnelles ou personnelles, et qui finissent par être parfois très concrètement mis au ban, comme le raconte cette enseignante de collège qui, devant une agitation incompréhensible de ses élèves, avait fini par comprendre qu’elle faisait cours dans « la classe du prof fou », un enseignant dépressif relégué les années antérieures dans un fond de couloir où le bruit de ses élèves ne pouvait pas nuire aux autres...

65Si les enseignants s’appuient sur les marques de reconnaissance des élèves et des familles et les jugent comme particulièrement gratifiantes, ces marques apparaissent parfois insuffisantes, à l’heure de l’appel à l’initiative et au dynamisme local. Les reconnaissances attendues de la hiérarchie dépendent aujourd’hui quasi exclusivement du style de direction de l’établissement, et des manières de faire des principaux et proviseurs.

DEUX CONFIGURATIONS

66Ces tâches et ces épreuves sont le fait de tous les enseignants. Mais les contextes d’enseignement en diversifient les modalités et surtout les articulations. Les enseignants classent eux-mêmes les établissements dans lesquels ils exercent, soit en entérinant le label « difficile » octroyé par l’appartenance à un Réseau d’éducation prioritaire, soit en le nuançant, soit au contraire en soulignant la difficulté de certaines classes d’établissements dits « faciles ».

Variations des tâches en fonction des contextes

67En ce qui concerne la préparation de cours et l’évaluation, l’impact d’un contexte difficile est malaisé à mesurer parce qu’il peut être ambivalent, menant soit à une adaptation vers le bas au niveau des élèves, soit à un alourdissement considérable de la tâche. En fait, les enseignants peuvent tenir les deux types de discours, selon la confiance qu’ils font à l’interaction pédagogique elle-même : soit c’est dans une « bonne classe » qu’ils disent qu’il n’y a pas besoin de préparer, lorsque « ça démarre au quart de tour », soit c’est dans une mauvaise, tant le travail pédagogique en situation et les aléas des incidents rendent la préparation incertaine. D’autres soulignent que le défaut de motivation et le risque de désordre conduisent, dans ce type de classes, à préparer plusieurs cours à la fois au cas où le cours prévu ne marcherait pas, ou des devoirs-sanction au cas où le cours déraperait.

68En matière d’évaluation, le bilan est aussi très dépendant du vécu subjectif de la tâche. Si les bonnes copies des bonnes classes sont sans doute « objectivement » plus longues à corriger, elles sont moins ennuyeuses et plus gratifiantes. Les copies d’élèves en difficulté déconcertent et découragent par le nombre de problèmes, qui parfois s’amalgament dans une impression globale d’erreur. Mais elles sont parfois si mauvaises qu’elles sont vite corrigées. Par contre, d’autres enseignants, pour des raisons de motivation et d’ordre scolaire adoptent très souvent la stratégie des « petits paquets » fréquents de contrôles qui finissent par représenter une somme assez considérable de travail. Ils prennent en quelque sorte acte de la demande latente de vérification du travail de la part des élèves qui sinon ne l’exécutent pas.

  • 86 En collège ZEP, 83 % des enseignants trouvent une heure de cours plus fatigante que sa préparation (...)

69Au niveau des deux autres tâches, les différences sont bien plus nettes. C’est la gestion de classe qui se présente indéniablement de la manière la plus contrastée selon les établissements86. L’intensification du travail dans les classes difficiles vient du travail constant de construction et de solidification d’une forme scolaire qui ne va pas de soi. Faire tenir un certain nombre d’élèves le temps voulu dans un lieu précis et des conditions de communication à peu près acceptables n’est plus alors le point de départ de la situation scolaire mais aussi un de ses objectifs. Les entretiens ont du mal à s’éloigner du thème de la gestion de classe, ils enchaînent alors les anecdotes racontant des conflits et la manière dont les enseignants ont pu les gérer. Par contre, lorsque le rôle d’élève n’est plus à construire, et que la forme scolaire fonctionne comme routine structurant le quotidien scolaire, les incertitudes de la gestion de classe sont, même si elles existent, contenues dans des limites raisonnables, et le travail face aux élèves en est d’autant moins lourd.

  • 87 Les enseignants de collèges en ZEP disent bien davantage travailler ensemble sur divers sujets : p (...)
  • 88 « Moi, j'ai connu des années où on travaillait en groupes de niveau, on se voyait deux heures par (...)

70Enfin, le travail en équipe a été souvent souligné comme la seule spécificité réelle du travail en ZEP-REP87. Effectivement, dans l’enquête, on constate que la totalité des enseignants qui ne parlent pas de travail en équipe n’exercent pas dans des établissements dits difficiles. Par contre, les enseignants « multi-projets » y exercent tous, même si les autres aspects du travail en équipe ne sont pas le monopole des REP. C’est d’ailleurs également en REP que l’on trouve les expressions les plus désabusées des enseignants quant aux aléas des équipes en fonction des mutations et des projets officiels88.

L’articulation des tâches

71Mais c’est au moins autant l’articulation des tâches que la considération de leurs contours séparés qui différencient les deux ensembles de tâches.

La cohérence implacable des contextes difficiles

  • 89 « J'ai pas envie de saquer mais j'ai pas envie de faire de cadeau, c'est-à-dire, j'avais l'impress (...)
  • 90 Les principales enquêtes sur la santé des enseignants font état d'une surconsommation de médicamen (...)

72Dans les classes et établissements difficiles, l’agencement des tâches se fait inéluctablement autour de la gestion du cours lui-même et de son imprévisibilité. Tout peut contribuer à essayer de la limiter : la préparation du cadre du cours, des exercices, les efforts de motivation qui lui sont inhérents, la prévision d’un système de sanctions, la gestion de l’évaluation, le travail sur projets. En fonction du style de l’enseignant, telle ou telle tâche sera davantage sollicitée à cet effet, gonflant éventuellement le volume des copies, accroissant les temps de compilation de différents manuels, ou de recherche d’un document support de la motivation. Certains détails, auxquels on ne penserait même pas, y contribuent lourdement : les enseignants des classes les plus difficiles expliquent comment il faut ramasser le matériel pour qu’il soit là encore le prochain cours, prévoir des polycopiés de remplacement, garder un maximum de matériel dans l’armoire de classe pour pouvoir travailler quels que soient les oublis des élèves. D’autres pratiques, difficiles à assumer en première personne, mais décrites lorsqu’elles sont le fait des collègues, conduisent à des compromis évaluatifs pour préserver de « bonnes relations avec les élèves89 ». Dans ces contextes, l’usure, née principalement de la tension de la classe est le risque subjectif le plus grand. Bien sûr le deuil de la discipline est également plus important, de même que l’impuissance pédagogique devant des copies de faible niveau. Mais ce qui l’emporte avant tout, c’est la fatigue issue de la densité et des problèmes relationnels dans les classes90.

  • 91 Comme dans ce propos, il est vrai extrême, de ce jeune enseignant d'un lycée technique : « Je les (...)

73Il est certain que le narcissisme enseignant ne sort pas toujours en deuil de la confrontation avec des élèves difficiles. Certains disent se sentir au contraire bien plus utiles que dans des contextes plus favorisés, et assument pleinement leur rôle de « fantassins du social », mais aussi parfois d’éducateurs ou même de références adultes quasi substitutives à celles des parents. Et lorsqu’on parvient à imposer un ordre ou une ambiance de travail dans un contexte où l’on sait que d’autres « craquent », on se sent très fort, comme le signale cet enseignant d’un collège difficile de Roubaix qui se dit que « s’il tient là, il tiendrait partout en France ». Certains entrent même dans une logique de défi personnel ou de surenchère en disant vouloir se tester dans des établissements encore plus difficiles91.

  • 92 « Je pense, que quand on est dans un collège comme ça, il faut partir, il faut rester un petit mom (...)

74Mais dans la réalité, c’est plutôt la difficulté à supporter les conflits et la tentation de partir qui dominent. Les enseignants racontent comment ils pleurent, ragent, se plaignent à leurs conjoints qui eux aussi se sentent du coup envahis par l’école et ses problèmes. Les personnes ont alors l’impression d’être usées par l’institution92.

Dispersion et routine des contextes plus faciles

  • 93 On peut lire dans la forte proportion de demandes de mutation pour « convenances personnelles » (6 (...)

75Dans les autres établissements, chaque tâche est en quelque sorte renvoyée à sa propre logique, c’est-à-dire aussi à sa propre répétition. Ce sont surtout les cours eux-mêmes (préparation et prestation en classe confondue) et la présence dans l’établissement aux côtés des mêmes collègues qui sont alors désignés. On ne peut s’en prendre qu’à soi-même si l’on répète ses cours et il suffirait de les changer pour ne pas éprouver cette répétitivité parfois extrême. En ce sens, les changements de programme peuvent être des contraintes extérieures relativement bien acceptées, parce qu’elles obligent à ce renouvellement. Mais pourquoi changer des cours qui ont fait la preuve de leur efficacité et qui fonctionnent ? L’autre hantise enseignante exprimée est de rester trop longtemps dans le même établissement. C’est alors le milieu de collègues qui porte la charge de la répétition, et du risque de « s’encroûter ». La barrière des dix ans est souvent évoquée comme la limite à ne pas franchir93. Mais les autres tâches portent également cette inquiétude. La classe est rythmée avant tout par les heures et la routine de l’emploi du temps, les copies sont ce qu’elles sont, même un peu plus gratifiantes. C’est alors l’ennui qui devient l’autre nom de l’usure professionnelle.

76Bien des métiers sont essentiellement routiniers, bien d’autres définis essentiellement par l’adaptation à des situations constamment nouvelles ; le travail enseignant admet alors cette caractéristique d’être indissociablement défini par le mélange de ces deux aspects.

77Le dosage entre routine et incertitude varie selon les tâches et les contextes d’enseignement. La gestion de la classe, si elle est structurellement du côté de l’incertitude, ne l’est pas au même degré dans toutes les situations, selon le degré de fragilité de l’ordre scolaire ; les tâches de l’évaluation sont massivement situées du côté de la routine, et la préparation de cours est un mélange des deux, dont les dosages varient selon les niveaux auxquels on enseigne, le stade de sa carrière, et son volontarisme personnel. Car l’incertitude n’est pas toujours malheureuse. Si l’insécurité de certaines situations scolaires est souvent lourde autant objectivement par les tâches qu’elle suppose pour en limiter l’aléatoire que par la charge subjective qu’elle entraîne, l’incertitude est aussi créative et stimulante, dans une recherche d’un cours motivant, dans un essai de résolution d’un problème relationnel. Quant à la routine, elle anesthésie et enlève du sens, mais elle permet aussi de s’économiser et parfois de se désengager de situations trop impliquantes, de freiner l’intensification potentielle de certaines tâches. Malgré l’opposition analytique de deux types de contextes, bien des enseignants connaissent des situations mélangées car les classes sont inégalement difficiles dans un même établissement, et bien des établissements sont par ailleurs dans une situation intermédiaire. C’est dire que les deux symptômes de l’usure professionnelle — la fatigue de la gestion de classe et l’ennui de la routine — peuvent parfois être éprouvés simultanément. C’est dire aussi qu’ils se compensent, le déroulement « normal » de la forme scolaire s’éprouvant comme un bienfait en comparaison de situations plus chaotiques, les difficultés des conflits interdisant la répétition immuable des heures et des jours. Les enseignants, concepteurs sous surveillance, exécutants autonomes, vivent moins un changement radical du système dans lequel ils opèrent qu’une diversification de la donne scolaire réelle et une floraison d’injonctions normatives qui finit par faire taire parfois la réalité de leur travail. À charge officielle de travail inchangée, le vécu du travail dépend avant tout d’un compte subjectif où le sentiment de réussite professionnel provient de multiples facteurs, mais avant tout de la teneur globale des relations avec les élèves, dans un espace mi-professionnel mi-personnel autonomisé de tout indice objectif, d’ailleurs difficile à construire. La « routine incertaine » peut être alors un dosage harmonieux des contraires comme un attelage désajusté.

Notes

1 Ce chapitre reprend les principales conclusions de ma recherche sur les enseignants ; cf. Les enseignants au travail, Paris, L'Harmattan, 2002.

2 16 % d'entre eux seulement citent l'un ou l'autre de ces facteurs comme « une des trois motivations les plus fortes » ; cf. Périer P., « Enseigner dans les collèges et lycées », Les dossiers d'éducation et formations, n° 61, février 1996, p. 7.

3 Les dossiers d'éducation et formations, numéro spécial, « Les nouveaux enseignants du second degré », juin 1996 ; cf. aussi, Men-Dep, « Note d'information 96-42 », octobre 1996.

4 Thélot C., « Salaire et durée du travail des enseignants, des cadres, des professions intermédiaires », Éducation et formations, n° 37, mars 1994, p. 79-89.

5 Claude Thélot indique une fourchette de 29 à 36 heures de travail, l'horaire statutaire devant élèves étant de 15 heures pour un professeur agrégé et de 18 heures pour un certifié. D'autres enquêtes arrivent à un total approximatif de 39 heures avec des variations selon l'établissement, la matière,... ; cf. Bonnet G., Murcia S., « Temps et charge de travail estimés par les enseignants du second degré dans les établissements publics », Éducation et formations, n° 46, juillet 1996, p. 83-93. Un récent sondage commandé par le SNES pour la Sofres en mars 2002, montre que les enseignants ne sont que 37 % à estimer que le temps de travail est un problème prioritaire ; 70 % ont l'impression de travailler autant que les autres salariés de même niveau de qualification, 20 % plus et 8 % moins. Enfin, 96 % déclarent travailler souvent ou très souvent le soir, 85 % en période de congé scolaire, 90 % les week-ends.

6 En 1998, 28 000 personnels non titulaires exerçaient dans les établissements du second degré public ; cf. Vasconcellos M., Le système éducatif, Paris, La Découverte, 1999, p 25.

7 Il n'est pas rare de voir les enseignants de musique et d'arts plastiques enseigner à la totalité d'un collège. Rappelons aussi que les enseignants de sciences économiques et sociales n'enseignent qu'en lycée et ceux de philosophie qu'en terminale.

8 BOEN, 22 mai 1997. Circulaire n° 97-123, MEN-DLC, DGES.

9 Lang V., La professionnalisation des enseignants, Paris, PUF, 1994.

10 Durkheim E., Éducation et sociologie (1922), Paris, PUF, 1968.

11 Dès 1846, un texte préparatoire à la réforme Fortoul prône un rapport au savoir de type inductif. Des instructions jointes aux programmes de 1902 interdiront en principe le cours dicté. Jean Zay puis le plan Langevin-Wallon se feront également l'écho de ces options, puis ensuite viendront le colloque d'Amiens en 1968, la réforme Haby, le rapport Legrand de 1982, et la réforme Jospin. Cf. Baluteau F., Les Savoirs au collège, op. cit.

12 Pour une vision globale de ces évolutions, cf. Mialaret G, Pédagogie générale, Paris, PUF, 1991 ; Houssaye J., La pédagogie : une encyclopédie pour aujourd'hui, Paris, ESF, 1993.

13 Plaisance E., L'enfant, la maternelle, la société, Paris, PUF, 1986 ; Vincent G., L'école primaire française, op. cit.

14 Guiral P., Thuillier G., La vie quotidienne des professeurs de 1870 à 1940, Paris, Hachette, 1982, p. 67-68.

15 Bourdieu P., Saint-Martin M. de, op. cit.

16 Barbier J.-M., Savoirs théoriques et savoirs d'action, Paris, PUF, 1996.

17 Pour une critique radicale de cette introduction à l'école primaire, cf. Le Goff J.-P., La barbarie douce, La Découverte, 1999.

18 Stroobants M., « Former et évaluer des compétences : des objectifs contradictoires ? », in Bourdoncle R., Demailly L. (éds), Les professions de l'éducation et de la formation, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1998.

19 Perrenoud P., Enseigner, agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude, Paris, ESF, 1999, et Meirieu P., Apprendre, oui, mais comment ?, Paris, ESF, 1993.

20 Le reproche le plus vif consistera alors à montrer comment elle continue au contraire cette tradition, par exemple en nommant certaines compétences nobles de manière substantive, et d'autres, proposées aux élèves des sections professionnelles, à l'aide de verbes d'action. Cf. Ropé F., Tanguy L., « Le modèle des compétences : système éducatif et entreprise », L'Année sociologique, n° 50, 2000, p. 493-521.

21 Demailly L., Deubel P., Gadrey N., Verdière]., Évaluer les établissements scolaires, Paris, L'Harmattan, 1998.

22 Derouet J.-L., École et justice, Paris, Métailié, 1992.

23 Derouet J.-L., Dutercq Y., Les établissements scolaires, entre autonomie locale et service public, Paris, ESF, 1997.

24 De même la pédagogie de groupe ne paraît que très légèrement favoriser les acquisitions des élèves de CE2. Cf. Serra N., Thaurel-Richard M., « Acquisitions au CE2 des élèves et pratiques pédagogiques », Revue française de pédagogie, n° 107, 1994, p. 43-62.

25 Bressoux P., « Les recherches sur les effets-écoles et les effets-maîtres », Revue française de pédagogie, n° 108, 1994, p. 91-137.

26 Tochon F.V., L'enseignant expert, Paris, Nathan, 1993.

27 Cousin O., L'efficacité des collèges, Paris, PUF, 1998.

28 Schön D., Le praticien réflexif, Montréal, Éditions Logiques, 1994, ou encore Perrenoud P., Développer la pratique réflexive dans le métier d'enseignant, Paris, ESF, 2001.

29 Obin J.-P., La crise de l'organisation scolaire, Paris, Hachette Éducation, 1991.

30 Bourdoncle R., « La professionnalisation des enseignants : analyses sociologiques anglaises et américaines », Revue française de pédagogie, n° 94,1991, p. 73-91.

31 « Évidemment, je vais critiquer en disant, ben ça, faudrait l'enlever, mais pas parce que je trouve ça inintéressant, parce qu'on n'a pas le temps de le faire » ; « Les séquences, vous les organisez un peu comme vous voulez, il y a une dizaine de séquences sur l'année, ça va être le dialogue au théâtre ou les groupements de texte et c'est à partir de là que l'on va faire des points de grammaire, et c'est très très séduisant comme démarche mais c'est difficile à mettre en œuvre avec des gamins qui ont faibles » ; « Les documents emblématiques, je les ressens pas comme un carcan, parce qu'il y en a très peu finalement » ; « Les contes de Maupassant, je vais les abréger, y'avait une nouvelle, on avait passé deux années là-dessus, c'est vrai que c'est trop, déjà, dans les textes officiels, c'est trop ».

32 Les stages de formation qu'elle organise à ce sujet ne sont pas toujours, aux dires des enseignants, parfaitement éclairants !

33 « Je vois un peu ce qui a été fait dans les manuels, je vois un peu ce qui a été fait dans d'autres livres, et j'essaie de faire le cours le plus logique, le plus intéressant qui soit » ; « Quand on se fait des exercices de toutes pièces, c'est très difficile et c'est très long, mais on en fait quelquefois et on a parfois des surprises, c'est quelque chose de prenant » ; « C'est moi qui fais tous les exercices, au début non... mais après je me suis rendu compte que c'était pas opérant, alors depuis, je les fais-moi-même ».

34 « On connaît les objectifs des programmes mais pour les activités de communication, c'est démerden sie sich, de temps en temps on a des petits stages, avec des petites idées qui se baladent mais le reste, c'est créer, créer, créer... » ; « Les documents emblématiques, je les ressens pas comme un carcan parce qu'il n'y en a que très peu ».

35 « —Tu me montres une image de cathédrale, moi (rires...) — Mais, c'est un exemple... D'une classe à l'autre, on change de photos. Mais c'est dur de trouver des documents... — Ils préfèrent voir quelqu'un en train de brûler comme hérétique (rires). L'exemple qu'il a donné des diapos des cathédrales... C'est la partie qui est intéressante dans le travail, titiller l'imagination. Mais il y a le risque de tomber dans la démagogie ».

36 L'évaluation sommative, sous forme de contrôles de connaissances globaux, s'oppose à l'évaluation formative, centrée sur un point d'acquisition et prévoyant des stratégies de remédiation.

37 Périer P., art. cit.

38 Ibid.

39 Dans le groupe de discussion sur le collège, un débat finit par évaluer à 50-50 la part de magistralité et la part de dialogue, après certains atermoiements. Pour le documentaliste, « Dans le CDI, on ressent que nos collègues ne font pas beaucoup parler leurs élèves dans leurs cours. Je sens un besoin de parler ». L'enseignant de maths estime que « pas tant que ça, les profs donnent pas tant que ça la parole aux élèves » ; et l'enseignant de physique admet que « Je fais des manipulations mais je fais aussi du cours magistral. À un moment donné, il faut balancer des notions et là, c'est du cours magistral ».

40 Cet enseignant de mathématiques et cet enseignant de français arrivent au même constat : « Disons en règle général, avec un peu de recul, on a à disposition plusieurs exploitations, c'est clair mais t'arrives toujours sur un truc où t'as qu'une explication...c'est ce qui fait que ça ne se passe pas très bien d'ailleurs, tu répètes, mais plus détaillé, mais en général tu t'embrouilles encore plus et t'embrouilles encore plus les élèves » ; « Moi, quand je réexplique, j'ai toujours l'impression que je le fais de manière plus compliquée. Les élèves disent : merci, monsieur, c'était pas la peine ».

41 « Vous me demandiez tout à l'heure comment un cours peut-être euphorique, et ben, c'est quand on trouve les bonnes ficelles... pour faire parler un maximum d'élèves » ; « L'échange, il peut se faire, pas forcément au niveau compréhension, mais disons qu'il y ait une certaine curiosité des élèves, y compris de ceux qui ont du mal à comprendre, de ceux qui posent des questions » ; « Je suis très content quand j'ai mes petits gamins qui ont beaucoup de difficultés au début de l'année et qui ne participaient pas et puis, au fur et à mesure parce qu'il sont en confiance, parce que peut-être je les rassure, j'en sais rien, au fur et à mesure, ils commencent à participer ».

42 Rappelons que pour la sociologie interactionniste des professions, le sale boulot est la partie du travail qui porte une certaine honte sociale, et que l'on a tendance à dissimuler : tels le contact avec les ordures pour les concierges ou les gestes intimes en rapport avec les excréments et le sang pour les professions médicales. Cf. Hughes E.C., « Le travail et le soi » (1951), in Le regard sociologique, Paris, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 1996, p. 75-85.

43 Payet J.-P., « ʺLe sale boulotʺ : division morale du travail dans un collège de banlieue », Les annales de la recherche urbaine, 75, 1997, p. 19-31.

44 Si les enquêtes quantitatives attribuent un temps de neuf minutes en moyenne à ces tâches, ce qui sur un temps moyen de cours de cinquante-cinq minutes, représente quand même presque un cinquième du temps, ce temps s'accroît dans les classes difficiles jusqu'à être estimé à un quart du temps d'enseignement ; cf. Périer P., art. cit.

45 Cette représentation rend compte vraisemblablement en partie de l'écart récurrent entre certains résultats de recherche concernant les difficultés enseignantes. Mes recherches, et bien d'autres, y compris quantitatives, montrent à quel point l'ordre et la prévention des incidents en classe sont la priorité des enseignants dans la régulation du travail en classe. Pourtant, les résultats de questionnaires demandant aux enseignants leur avis sur leurs difficultés montrent qu'une minorité répond alors en termes d'ordre scolaire mais au contraire en termes de « motivation » et de « gestion de l'hétérogénéité », un vocabulaire largement plus légitime. Pour un exemple récent des premières recherches, cf. Casalfiore S., « La structuration de l'activité quotidienne des enseignants en classe », Revue française de pédagogie, n° 138, 2002, p. 75-85 ; pour un exemple récent des secondes, cf. Esquieu N., « La maîtrise du métier d'enseignant au bout de six ans », Éducation et formations, n° 56, 2000, p. 53-59.

46 Dubet F., Les lycéens, op. cit ; Les inégalités multipliées, La Tour d'Aigues, Éditions de L'Aube, 2000. Dans cet ouvrage, François Dubet explique comment les élèves opposent au mépris une quête de reconnaissance et de respect.

47 Lepoutre D., Cœur de banlieue, op. cit.

48 Même si la plupart des enseignants des collèges « difficiles » interrogés dans l'enquête, mais qui ne se revendiquent guère de ce type d'autorité, signalent qu'il peut être sanctionné parfois en dehors de la classe, par exemple par des rayures sur la voiture de l'enseignant.

49 Prost Α., op. cit.

50 Les enseignants déclarent consacrer en moyenne 7 heures 30 hebdomadaires à la correction de copies, contre 8 heures 35 à la préparation des cours. Les enseignants certifiés de lycée déclarent y consacrer deux heures de plus en moyenne que leurs homologues de collège ; les enseignants de matière littéraire s'estiment plus lourdement chargés que ceux de matière scientifique. Cf. Bonnet G., Murcia S., op. cit.

51 Un aspect très largement analysé par Merle P., L'évaluation des élèves, Paris, PUF, 1996.

52 Les enseignants de l'enquête n'évoquent quasiment pas ces évaluations, qui rappelons-le ne portent que sur deux disciplines, les maths et le français. Un rapport de 1999 sur les collèges note un malaise au sujet de l'utilisation de ces évaluations, les professeurs de collège reconnaissant leur intérêt mais ne l'utilisant pas (cf. Dubet F et al., Le collège de l'an 2000, op. cit., p. 55-56). Un autre rapport note qu'elles ont été utilisées pour mettre en place des sixièmes de consolidation, mais ne dit rien de son utilisation en général ; cf. Dulot Α., Politique d'établissement et politiques publiques, ΜΕΝ, 1998.

53 Comme l'expriment bien ces enseignantes qui pratiquent toutes les deux une évaluation formative, la première en collège et l'autre en lycée : « Est-ce que j'ai pas fait croire à ces gamins-là qu'ils pouvaient s'en sortir et maintenant on est à nouveau en train de leur couper la tête ? » ; « J'ai la réputation de surnoter ; il m'est arrivé d'avoir carrément un regard négatif de la part de collègues qui récupéraient les élèves en première ». Rappelons par ailleurs, que, contrairement à une représentation largement partagée dans le milieu enseignant, sévérité et efficacité ne vont pas véritablement de pair ; cf. Felouzis G., L'efficacité des enseignants, Paris, PUF, 1997.

54 « J'ai des hésitations par rapport à des gamins qui font beaucoup d'efforts et qui ne peuvent pas. Quand je vois qu'ils ont fait des erreurs alors qu'ils semblaient avoir compris, j'ai du mal à baisser la note » ; « Je te dirais même qu'il m'est arrivé pour un élève, ça n'est pas très bien de ma part... mais je l'ai fait... pour un élève, de me tromper volontairement dans sa note pour lui mettre des points en plus... mais dans le bon sens... un mec qui bosse doit être récompensé à un moment, c'est réglo... »

55 Ces objectifs peuvent être aussi académiques et régionaux, comme lorsqu'il s'agit de faire baisser les taux de redoublement en troisième ou d'augmenter les taux de passage en seconde générale, pour remonter les « handicaps » d'une académie ou d'un département. C'était précisément le cas dans l'Académie Nord-Pas-de Calais au moment de l'enquête. Cf. Men-Académie de Lille, Réussir l'avenir des jeunes du Nord-Pas-de-Calais, septembre 1999.

56 Alors que les recherches doutent fortement de la valeur ajoutée du redoublement, les enseignants croient en leur efficacité, ne serait-ce que comme moyen de pression sur les élèves difficiles, et parce que le contraire du redoublement, le passage en classe supérieure d'élèves dont ils pensent qu'ils n'ont pas le niveau discrédite leur évaluation au quotidien ; cf. Crahay M., Peut-on lutter contre l'échec scolaire, Bruxelles, de Boeck, 1996.

57 Bonnet G., Murcia S., op. cit.

58 Dutercq Y., Les enseignants, Paris, Hachette Éducation, 1993.

59 Ball S. The Micro-Politics of the School, Londres, Methuen/Routledge & Kegan Paul, 1987.

60 Ou en l'enregistrant, comme l'a fait cette élève qui a fait écouter à un de ses enseignants, l'ambiance « électrique » du cours d'un de ses collègues.

61 Sur ces dix enseignants, huit enseignent en collèges de Réseau d'éducation prioritaire, un en lycée général et technologique, un autre dans un collège non classé REP.

62 Leur existence a été depuis remise en question et elles n'existent plus officiellement.

63 Une crainte exprimée par Bouveau P., Rochex J.-Y., Les ZEP, entre école et société, Paris, Hachette Éducation, 1997.

64 « Les élèves aiment bien, les élèves s'impliquent quand même, y'a des élèves qui sont faibles, qui auraient même tendance à s'impliquer beaucoup dans ce genre de tâches » ; « J'ai eu trois élèves qui étaient pratiquement les plus mauvais de la classe et je les aimais bien... mais je sais pourquoi, Os étaient avec moi en Russie, dans le cadre de l'échange... ».

65 « Je vous parle en physique, on a la particularité d'être au même étage, on a un laboratoire et on s'y retrouve, a contrario je ne sais pas ce qui se passe chez les collègues de lettres, on fait des petites bouffes ensemble et cela crée un esprit d'équipe... On a décidé du barème ensemble, du sujet ensemble, on s'est divisé les tâches... ». Certains collègues de lettres ne sont précisément pas en reste : « On s'échange les cours, et comme ça on se complète les uns les autres et quand on se pose des questions, on en discute. Avec Nicole, Jackie et Franck, ça se passe bien ».

66 Un sondage Sofres-Snes montre que pour 87 % des enseignants, l'intégration des heures de concertation dans le service n'est pas une remise en question de la liberté pédagogique. Cf. Sofres-Snes, Le temps et les conditions de travail des enseignants aujourd'hui, mai 2000.

67 Ainsi, les modules mis en place par Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale, ont été d'abord combattus par les enseignants, avant d'être défendus lorsque Jack Lang les mit en cause par la suite. Un bilan récent de la rénovation des collèges montre que les enseignants adhèrent globalement aux mises en places d'aides individualisée en collège, et au tutorat ; cf. La rénovation du collège, Les Dossiers, ΜΕΝ, n° 11, juin 1998.

68 Une récente étude montre qu'il n'y a pas véritablement d'effet de l'aide individualisée en seconde sur les résultats des élèves, même si enseignants comme élèves se la représentent plutôt comme positive ; cf. Danner M., Duru-Bellat M., Le Bastard S., Suchart B., « L'aide individualisée en seconde », Éducations et formations, n° 60, 2001, p. 55-67.

69 Hughes E. C., Men and their Work (1958), Glencoe, The Free Press, 1967, chapitre IX.

70 N'oublions pas qu'il existe d'ailleurs une homologie de structure entre le statut et la nature des classes qui leur sont confiées : les agrégés enseignent plus en lycée qu'en collège, les PEGC davantage dans les petites classes des collèges. Cf. Jeljoul M., « Qui enseigne où ? », Education et formations, juillet 1996.

71 Une enseignante d'allemand rencontrée en collège se plaint par exemple de ne plus lire le Spiegel avec autant d'aisance qu'auparavant.

72 Le contraste entre ces deux formes de socialisation professionnelle avait déjà été analysé par Chapoulie J.-M., op. cit.

73 Pinto L., « Les autres activités des professeurs du second degré », Education et formations, 1994, n° 37, p. 67-77.

74 « On fait deuil de quelque chose, je veux dire, quand on fait cours, on ne fait pas, c'est peut-être pas vraiment de la littérature, ça, c'est sûr » ; « Les collègues, il y en a qui sont extrêmement ouverts, et puis d'autres alors, c'est assez terrifiant, qui n'ont plus de pratique autre que pédagogique de leur matière ».

75 Clot Y., Le travail sans l'homme ?, Paris, La Découverte, 1995, et « Le sujet au travail », in Kergoat]., Boutet J., Jacot H., Linhart D., (sous la dir.), Le monde du travail, Paris, La Découverte, 1998.

76 Éducation permanente, numéro spécial, « La relation de service », 1998-4.

77 La dégradation du climat dans les collèges accueillant des élèves d'origine populaire est largement portée par l'augmentation d'agressivité, ressentie de part et d'autre, entre enseignants et élèves ; cf. Debarbieux E., op. cit., t. 2.

78 « J'ai eu des problèmes en collège avec un élève, enfin, un surtout, qui était d'une méchanceté incroyable... et ça s'est mal passé avec cette classe tous les soirs » ; « Ce que je déteste, c'est la peur, y'en avait un, c'était physique, hein, je pouvais, c'était physique, il y avait quelque chose d'animal, il foutait le bordel dès qu'il pouvait. » ; « Y'a quand même une haine des élèves pour les profs, quelque part », « Y'a des classes que je déteste et qui me détestent, pas forcément les mêmes d'ailleurs ».

79 « Je veux plus sortir d'une classe, mince, j'ai eu envie de chialer, je veux plus... Oui, me préserver, moi, je veux dire, je veux pas me taper la déprime, quoi donc, il faut prendre du recul, sinon, tu prends tout à cœur et c'est ça qui te ronge, qui te mine, ça pourrait me ronger, mais je me dis, bon... » ; « Comme j'en ai pas dormi pendant trois jours, je me suis remis en question, je me suis dit, bon, là, écoute, il faut te calmer parce que si tu commences comme ça, tu vas pas tenir longtemps ».

80 « On a l'impression que ça a bien marché, on se dit, quand il y aura l'évaluation, quand il y aura le devoir, ils vont cartonner, et puis c'est comme d'habitude ».

81 « J'ai des résultats mais je me dis, peut-être moins bien que Nicole, à mon avis j'ai de moins bons résultats qu'elle mais je ne pourrai pas faire comme elle, je la trouve trop scolaire [...]. L'année dernière, je pensais que les élèves me disaient pas bonjour parce qu'ils avaient eu une sale note, au bac français... » ; « Je vais être très heureux, enfin j'espère quand je vais voir les résultats de mes élèves au bac, c'est sûr quand tu vois qu'au niveau du bac, t'as de bonnes moyennes, c'est toujours très agréable ».

82 Demailly L., Le collège, crises, mythes et métiers, op. cit.

83 La dernière inspection d'un enseignant a eu lieu en moyenne, cinq ans auparavant. Cf. Do C., Serra N., op. cit.

84 Trancart D., « L'image du métier chez les enseignants du second degré », Éducation et formations, n° 46, juillet 1996, p. 149-162 ; Do C., Serra N., op. cit.

85 « Toute l'année, on a ramé pour leur (une classe de quatrième technologique) faire lire un livre, mais cela dit, c'est propre à cette année aussi, on a l'impression que ce n'est pas tellement reconnu... — Par le chef d'établissement ? — Oui, parce que c'est lui qui nous rajoute quelque part une part de travail supplémentaire, et il pourrait au moins essayer d'alléger les tâches administratives ». Un coordonnateur de REP s'exprime ainsi : « J'ai osé me lever dans la réunion et dire des choses qu'ils aimaient entendre sur le travail du prof, qu'il faut le considérer, le prendre en considération. Mais ça, on ne le leur dit jamais, en ZEP, il n'y a pas assez de reconnaissance. Dans cet établissement, il y a eu deux palmes académiques, et ici, les profs techniques, ils étaient premiers pour un concours au niveau national, des clubs technologiques, ils sont allés représenter la France à Dallas, et tu crois qu'il y a eu une retombée, ni du ministère, ni de rien ! »

86 En collège ZEP, 83 % des enseignants trouvent une heure de cours plus fatigante que sa préparation contre 75 % des collèges hors ZEP. Cf. ΜΕΝ, Note d'information 98.16, mai 1998.

87 Les enseignants de collèges en ZEP disent bien davantage travailler ensemble sur divers sujets : préparation des séquences pédagogiques (41 % contre 24 % hors ZEP), suivi des élèves qui sans doute regroupe aussi, tout le travail, formel ou informel, sur les problèmes d'ordre scolaire (78 % contre 59 %) ou travail sur projets, qui est tout de même loin d'être absent dans les collèges hors ZEP (33 % contre 42 %). Cf. ΜΕΝ, Note d'information 98.16, mai 1998.

88 « Moi, j'ai connu des années où on travaillait en groupes de niveau, on se voyait deux heures par semaine, des gens d'âge différent, y'avait des gens plus âgés, des célibataires, des gens avec des enfants, des problèmes différents, et ça marchait ; alors actuellement, il y a plus d'équipe, au lieu de réunir des gens qui peuvent s'entendre, on a l'impression qu'on continue à réunir des gens qui ne peuvent pas se saquer » ; « On était une équipe très soudée quand on travaillait sur les classes de techno, je parle à l'imparfait parce que c'est la dernière année qu'on en a en collège ».

89 « J'ai pas envie de saquer mais j'ai pas envie de faire de cadeau, c'est-à-dire, j'avais l'impression la première année, que les profs qui étaient souqués, les notes étaient plus élevées, comme si on pouvait... ». Dans leur livre, Boris Séguin et Frédéric Teillard, dressant une galerie de portraits d'enseignants d'un collège de banlieue, font défiler, entre autres, Mireille qui assume une pédagogie peu exigeante « des films, des jeux, des mots-croisés. "Qu'est-ce que tu veux faire ?" ». Seguin B., Teillard F., Les céfrans parlent aux français, Paris, Calmann-Lévy, 1996, p. 40.

90 Les principales enquêtes sur la santé des enseignants font état d'une surconsommation de médicaments anxiolytiques et calmants, et d'une tendance plus forte que les autres aux problèmes de sommeil, les résultats auxquels nous avons eu accès ne permettant pas de distinguer suivant les contextes d'enseignement ; cf. Enquête Mgen/Dresp, 2001 (Résumé disponible sur http://www.l-aef.com).

91 Comme dans ce propos, il est vrai extrême, de ce jeune enseignant d'un lycée technique : « Je les trouve éminemment dociles, un peu moins docile, un peu moins dur, ça m'intéresse, c'est un challenge, quoi (rires), c'est même pas ça, je veux voir si ça se passe aussi bien avec des élèves de la zone Roubaix, Lille-Sud, des vrais... ».

92 « Je pense, que quand on est dans un collège comme ça, il faut partir, il faut rester un petit moment mais après, il faut partir » ; « Et puis fondamentalement, ce qui est très usant aussi, c'est que je me dis, ʺça se passe bien, ça se passe bien ʺ, je lis jamais le futur, ʺJusque là, tout va bien ʺ... » ; « En salle des profs, les gens, ils soufflent, ils sont fatigués, on en a quelques-uns qui fument une cigarette, ils sont crevés. »

93 On peut lire dans la forte proportion de demandes de mutation pour « convenances personnelles » (60 %), et dans le grand nombre des mutations intra-académiques un écho de cette réalité. Cf. Dutriez L., Privat J.-L., Grin Α., « Mutation et mobilité dans le second degré », Éducation et formations, n° 37, mars 1994, p.47-59.

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